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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 février 1841

(Moniteur belge n°58 du 27 février 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune donne lecture des pièces de la correspondance.

« Le sieur Jacques Plass, né à Vinau (Suisse), propriétaire et maître tailleur au 1er régiment de lanciers, marié à Tournay, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur P.-A. Minazio, né à Chiasso (Tessin), sous-lieutenant au 18e de réserve des Pays-Bas et de la Belgique, depuis 1815, demande la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Les administrations de Marchiennes-au-Pont, Monceau-sur-Sambre, Mont-sur-Marchiennes, demandent l’exécution du chemin de fer de la Meuse.

- Dépôt au bureau des renseignements.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1841

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Mines

Article premier

« Art. 1er. Traitement des fonctionnaires : fr. 42,000

« A. Frais de route : fr. 3,200.

« B. Entretien et renouvellement du mobilier : fr. 2,400.

« Total : fr. 47,600. »

La section centrale propose sur ce chiffre une réduction de 2,000 francs.

M. le président – M. le ministre se rallie-t-il à cette proposition ?

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, la section centrale a réduit le chiffre en discussion d’une somme de 2,000 francs qui était destinée aux conseillers.

La section centrale pense que les conseillers honoraires ne doivent pas recevoir d’indemnité pour le travail dont ils sont chargés en cette qualité. Je crois, messieurs, qu’il est utile qu’on puisse accorder une indemnité à messieurs les conseillers honoraires, surtout à ceux qui ne résident pas à Bruxelles.

D’après le relevé des travaux de la commission des mines, le tiers des instructions qui ont été faites par le conseil l’a été avec le concours des conseils honoraires ; si l’administration ne peut pas accorder d’indemnité aux conseillers honoraires qui ne résident pas à Bruxelles, il s’ensuivra qu’on devra toujours choisir ces fonctionnaires à Bruxelles même, alors cependant que par la nature de leur fonction, il semblerait plus convenable de les choisir dans les provinces où les mines sont situées. Il paraît toutefois que dans le sens du conseil des mines tout le monde n’est pas d’accord sur l’urgence de cette allocation. Je n’ai pas d’ailleurs la conviction que ce crédit devra être nécessairement employé dans le courant de l’année 1841, de telle manière que pour ne pas soulever un débat qui pourrait peut-être se prolonger plus que ne le mérite le chiffre de l’allocation, je consentirai à la réduction proposée par la section centrale.

M. de Garcia – Messieurs, le gouvernement a créé en Belgique deux écoles spéciales, l’une affectée aux mines, et l’autre aux ponts et chaussées.

L’utilité et les avantages que présente cette création sont incontestables, j’en conviens tout le premier, mais les principes qui ont présidés à l’organisation de ces écoles sont-ils en tout point incontestables ? Pour mon compte je ne le pense pas.

D’abord, il est admis par la chambre, ainsi que par M. le ministre des travaux publics (ses dernières explications en font foi), que les élèves qui sortent des école spéciales, après avoir rempli toutes les conditions d’examen qui leur sont imposées par l’arrêté organique, n’ont réellement pas un droit acquis à être immédiatement placés. Ils ont tout au plus acquis, dans cette hypothèse, un droit honoraire, tel que celui qu’acquiert l’élève qui s’adonne aux études du droit où à celles de la médecine, c’est-à-dire qu’ils ont un grande de conducteur ou de sous-ingénieur, comme l’élève qui se destine à la magistrature, obtient le grade de licencié, puis celui de docteur en droit, sans qu’il possède par là un titre à être placé immédiatement.

Si la création des écoles spéciales dont je parle ne devait pas être comprise de cette manière, loin de lui donner des éloges, loin de la regarder comme une pépinière de jeunes gens appelés à rendre des services au pays, je la regarderais comme une calamité.

En effet, si une interprétation contraire à celle sur laquelle la chambre et le gouvernement sont tombés d’accord était consacrée, vous verriez alors ce qui se présente déjà aujourd’hui, c’est-à-dire que toute la jeunesse se ruerait sur ces écoles, et que vous créeriez une source de dépenses inutiles, attendu que, selon moi, l’Etat ne doit employer dans les ponts et chaussées et dans les mines que le nombre de personnes rigoureuses nécessaire pour les besoins du trésor.

Ainsi, que les élèves des écoles de Gand et de Liége le sachent bien : ils ne seront pas appelés à exercer des fonctions dans les ponts et chaussées ou dans les mines, après qu’ils auront satisfait aux conditions d’examen, qu’autant que leurs services soient nécessaires dans ces branches d’administration.

Il existe dans l’arrêté organique de ces écoles un autre principe que je considère comme contraire à la liberté d’enseignement ; ce principe est contraire à la liberté d’instruction, en ce qu’il accorde un monopole, un privilège à une école fondée par l’Etat.

Pour vous prouver ce que j’avance, je vais vous donner lecture, messieurs, de l’arrêté organique relatif à l’école des mines. (L’arrêté organique relatif à l’école des points et chaussées qui est de la même date repose sur les mêmes principes). L’article 13 est ainsi conçu :

« Seront exclusivement admis à se présenter devant le jury spécial pour la place de sous-ingénieur des mines :

« 1° Les élèves ingénieurs ayant terminé leur temps d’études ;

« 2° Les conducteurs des mines qui, ayant au moins trois ans de service dans le corps, et les candidats étrangers au corps qui, pouvant justifier d’une pratique régulière et honorable de cinq années dans la conduite ou dans la direction des travaux d’exploitation de mines, auraient satisfait préalablement aux conditions de l’examen exigé par l’article 6 pour l’admission en qualité d’élève ingénieur et à celle des examens partiels prescrits par l’article 11 du présent arrêté ;

« 3° Les conducteurs des mines ayant au moins sept ans de service dans le corps et ayant satisfait aux conditions des examens partiels prescrits par l’article 11 précité. »

C’est-à-dire qu’un élève qui n’aurait pas terminé son temps d’étude dans une école libre ne serait pas admis à passer l’examen prescrit par l’article précédent (l’article 12), et ne pourrait pas par conséquent recevoir le grade de conducteur ou de sous-ingénieur.

Je prévois l’objection qu’on me fera ; on ne répondra sans doute que cet élève pourra se présenter, pourvu qu’il ait rempli certaines conditions d’apprentissage, si je puis m’exprimer ainsi. En effet, c’est ce que nous voyons dans le paragraphe 3 de l’article subséquent, qui est ainsi conçu :

« Seront exclusivement admis à se présenter devant le jury spécial pour le grade de conducteur :

« 1° Les élèves etc.

« 2° …..

« 3° Les candidats étranger au corps qui, pouvant justifier d’une pratique régulière et honorable de trois années dans la conduite ou la direction des travaux d’exploitation des mines, auraient satisfait préalablement aux conditions de l’examen exigé par l’article 6 pour l’admission en qualité d’élève conducteur, et à celles de l’examen prescrits par le premier paragraphe de l’article 11. »

Vous voyez que tous les élèves qui sont étrangers aux écoles spéciales, ne peuvent se présenter aux examens pour obtenir le grade de conducteur ou celui de sous-ingénieur, qu’autant qu’ils justifient d’avoir fait un apprentissage dans l’exercice de l’une ou de l’autre des carrières des mines ou des ponts et chaussées.

Messieurs, j’avoue que cette disposition me semble constituer un véritable privilège au profit des deux écoles créées par le gouvernement. Je crois même qu’elle est contraire aux principes de la constitution. Je ne puis donc sous ce point de vue, lui donner mon approbation. Je crois que quand un élève est capable de subir les examens qu’on impose à celui qui veut obtenir le grade de conducteur ou celui de sous-ingénieur, on ne peut pas se refuser à l’admettre à l’examen, quelle que soit l’école dont il sorte. Et nous avons de très bonnes écoles dans le pays. Je citerai, entre autres l’école des mines de Mons, celle de Namur. Ces deux écoles ont fourni des sujets des plus distingués dans la partie des mines. Je ne veux pas énoncer des noms propres, je n’ai pas l’habitude de le faire, mais le gouvernement connaît aussi bien que moi les hommes capables qui sont sortis des deux écoles dont je viens de parler.

Je pense donc que l’arrêté organique dont il s’agit, contient une véritable inconstitutionnalité au point de vue où je l’ai envisagé.

Mais au point de vue pratique, cet arrêté me suggère une autre observation.

Auprès des écoles spéciales des mines et des ponts et chaussées existent des écoles préparatoires. Pour entrer dans les écoles spéciales des ponts et chaussées et des mines, on doit préalablement subir un examen devant un jury nommé par le gouvernement. Sans doute, le gouvernement peut nommer qui bon lui semble : ce droit lui est conféré par l’arrêté organique. Mais dans la pratique, je trouve qu’il y a en quelque sorte injustice à choisir les membres du jury parmi les professeurs des écoles spéciales. Ces professeurs prescrivent en quelque façon les études qui se font dans les écoles préparatoires qui sont annexées aux écoles spéciales.

Il est donc naturel que ces professeurs, sans être guidés pour cela par un esprit de préférence et de partialité, conforment leurs interrogatoires à la manière dont l’instruction se donne dans les écoles préparatoires. Cependant les autres écoles de mines peuvent avoir des sujets aussi distingués que les écoles spéciales, mais la méthode d’enseignement y est différente. La faculté de répondre n’est donc pas la même pour les uns comme pour les autres. J’ai entendu des gens très éclairés faire à cet égard une observation très judicieuse ; c’est que les membres du jury, tels qu’ils sont nommés, doivent , par la seule force des choses et malgré tout leur impartialité, placer les élèves des écoles préparatoires dans une situation plus favorable que les élèves des écoles étrangères, des écoles qui existent à Namur et à Mons, même à Bruxelles, car vous avez à Bruxelles une école d’industrie et de commerce qui s’occupe des sciences spéciales dont nous parlons. C’est un simple conseil que je donne au gouvernement.

Selon moi, le gouvernement devrait s’attacher à nommer des jurés qui n’appartinssent pas aux écoles spéciales. Il y a, dans le pays, à part les professeurs des écoles spéciales, des gens très capables, dont on pourrait composer les jurys d’examen.

Sous ces trois rapports, les observations que j’ai présentées doivent déterminer la chambre à engager le gouvernement à changer la disposition qui me paraît heurter les principes constitutionnels, en ce qu’elle accorde un privilège aux élèves sortant des écoles spéciales établies par le gouvernement.

Je crois que la chambre, ainsi que M. le ministre des travaux publics, doivent reconnaître que les élèves qui ont subi les conditions d’examen, n’ont pas par cela même droit à obtenir un emploi, soit dans l’administration des ponts et chaussées, soit dans l’administration des mines.

Quant à la composition du jury, j’espère que M. le ministre aura égard aux observations que j’ai eu l’honneur de présenter.

M. Peeters – La section centrale a pensé qu’il n’y avait pas plus de motifs pour accorder des indemnités aux conseillers honoraires des mines qu’aux juges suppléants.

M. le président – Il n’est plus question de cela, le ministre s’est rallié à la proposition.

M. Peeters – Si les 1,200 francs proposés par la section centrale pour frais de route ne suffisaient pas, M. le ministre trouverait facilement à y suppléer par le littera B, car d’après l’état qui se trouve page 87 du rapport, on n’a dépensé que 1,400 francs, tandis que, pour cet objet, on avait demandé 2,400 francs. Il est donc resté 1,000 francs disponible ; Il en sera probablement de même cette année.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je répondrait aux observations fort judicieuses que vient de présenter l’honorable M. de Garcia. La discussion d’une des dernières séances a besoin d’un complément. Il paraît qu’on ne s’est pas, de part et d’autre, parfaitement compris. J’ajouterai donc, pour ce qui me concerne, quelques explications qui sont rendues nécessaires par le doute dans lequel quelques membres paraissent être restées sur l’opinion que je professe à l’égard des deux écoles spéciales de Gand et de Liége.

Voici, sans vouloir le juger au fond, ce qui résulte des deux arrêtés qu’on a cités. L’école du génie civil à Gand et l’école des mines à Liége, renferment deux divisions : l’école préparatoire et l’école spéciale.

Pour acquérir le titre d’élève du corps des mines ou du corps des ponts et chaussées, un examen est nécessaire ; mais pour passer cet examen, il n’est pas indispensable d’avoir fait ses études à l’école préparatoire. Peu importe où les études ont été faites. Les jeunes gens qui passent de l’école préparatoire à l’école spéciale acquièrent par là le titre d’élèves et entrent dans le corps des ponts et chaussées.

Pour passer du grade d’élève au grade de conducteur ou d’ingénieur, il y a des examens à subir.

En principe pour être admis conducteur ou ingénieur des ponts et chaussées, il faut avoir fréquenté les cours des écoles spéciales à Gand ou à Liége. Mais il y a des exceptions en faveur d’anciens conducteurs ou de candidats étrangers justifiant d’un certain apprentissage.

Voilà le point extrême où on a cru devoir s’arrêter pour ne pas compromettre le principe de la liberté d’instruction.

Une fois l’élève devenu conducteur ou ingénieur, il a droit acquis aux fonctions du gouvernement, non pas un droit absolu d’être placé s’il n’y a pas de place vacante, mais à être placé dans les emplois disponibles. C’est ce qui résulte des articles 16 et 17 de l’arrêté relatif aux mines, et des articles 14 et 15 de l’arrêté relatif aux ponts et chaussées. Voilà dans quel sens j’ai dit qu’il y avait obligation au gouvernement de donner des fonctions à ceux qui avaient subi, après certaines études, les examens voulus par les arrêtés ; si des places sont disponibles, il y ont droit, de préférence aux autres. S’il n’y a pas de places, on leur doit le titre de conducteur honoraire et d’ingénieur honoraire. Si donc, par un refus d’allocation alors qu’il y a des emplois disponibles, vous mettiez le gouvernement dans l’impossibilité d’accorder des emplois, vous le forceriez à manquer à ses engagements.

Mais lorsqu’il n’y a pas d’emploi disponible, ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas lieu de créer de nouveaux emplois. C’est ainsi que mon prédécesseur a dû étendre le cadre des ingénieurs des mines par un arrêté du mois de juin 1839. La section centrale a attribué cet arrêté au ministère nouveau, en donnant la date de 1840 à un arrêté bien justifié et très justifiable de 1839.

D’après cet arrêté, le corps des ingénieurs doit se recruter d’un certain nombre de titulaires. J’ai cru devoir attendre le vote du budget avant de procéder à la nomination de quelques membres.

Je dois dire que depuis l’époque où les examens ont été passés, ceux qui les ont subi attendent qu’on leur confère les fonctions auxquelles je pense qu’ils ont droit en présence de l’arrêté qui a élargi les cadres. Jamais nous ne ferons de nominations inutiles ; toujours nous nous attacherons à concilier les intérêts du trésor avec les intérêts du service. Je ne puis me lasser de répéter ce principe ; il est à remarquer que le nombre des élèves qui sortent de ces écoles est très restreint. Les examens, pour beaucoup, sont réputés inabordables, tant les conditions sont des plus sévères. Le gouvernement n’a pas à craindre d’être entraîné à donner des places en trop grand nombre. Le nombre des titulaires qui sortent chaque année est tout au plus de trois ou quatre. Il serait décourageant pour les jeunes gens qui consacrent leurs plus belles années à des travaux sérieux, assidus et fatigants, de ne pas leur laisser chaque année la perspective d’obtenir des fonctions de l’Etat. Soit qu’on élargisse le cadre, soit que des titulaires meurent ou soient mis à la retraite, il est important que le gouvernement ne leur ferme pas la perspective d’entrer dans la carrière à laquelle ils se sont destinés.

Je crois que ces explications étaient nécessaires et que maintenant tout le monde doit être d’accord sur la portée des deux arrêtés.

M. de Theux – J’ai demandé la parole pour répondre à quelques observations de l’honorable M. de Garcia. Je ne m’occuperai que de l’arrêté concernant les mines, parce que c’est à celui-là qu’on s’est plus particulièrement attaché. L’honorable membre a cru voir un privilège dans l’article 13 de l’arrêté du 1er octobre 1838 sur l’admission dans le corps des mines. Cet article 13 est ainsi conçu :

« Seront exclusivement admis à se présenter devant le jury spécial pour la place de sous-ingénieur des mines :

« 1° Les élèves ingénieurs ayant terminé leur temps d’études ;

« 2° Les conducteurs des mines qui, ayant au moins trois ans de service dans le corps, et les candidats étrangers au corps qui, pouvant justifier d’une pratique régulière et honorable de cinq années dans la conduite ou dans la direction des travaux d’exploitation de mines, auraient satisfait préalablement aux conditions de l’examen exigé par l’article 6 pour l’admission en qualité d’élève ingénieur et à celle des examens partiels prescrits par l’article 11 du présent arrêté ;

« 3° Les conducteurs des mines ayant au moins sept ans de service dans le corps et ayant satisfait aux conditions des examens partiels prescrits par l’article 11 précité. »

Il faut remarquer que ce numéro 1° relatif aux élèves ingénieurs ayant terminé leur temps d’études, maintient la concurrence la plus illimitée, parce qu’il n’y a pas d’obligation pour les élèves ingénieurs des mines de suivre l’école spéciale attachée à l’université de Liége.

Il est vrai que cette obligation existe pour les ponts et chaussées en vertu de l’article 8 de l’arrêté de la même date, relatif à l’école spéciale de Gand. Il n’en est pas de même de l’école des mines. Cette assertion, je la justifie par l’article 8, qui porte :

« Chaque année, à partir du 15 octobre jusqu’à l’époque où commencent les opérations sur le terrain, les élèves, chacun dans sa catégorie, suivent les cours et les exercices divers de l’école spéciale des mines de Liége ou de toute autre institution analogue, établie par des particuliers, des communes ou des provinces. »

Vous voyez dont que la concurrence la plus illimitée existe, quant à l’instruction des élèves des mines.

Pendant l’été, ils sont admis à suivre les travaux des mines, avec jouissance de certaines indemnités. Pendant l’hiver, ils sont obligés de suivre une école, pas spécialement celle de Liége ; ce peut être tout école fondée par les particuliers, les communes, les provinces. Il n’y a donc pas de privilège.

J’ajouterai que, pour obtenir la qualité d’élève des mines, il suffit également d’avoir satisfait à un examen, quel que soit le lieu des études. Cela résulte des articles 4 et 6 du même arrêté.

L’honorable député de Namur a exprimé des regrets sur la composition du jury d’examen. A cet égard, il n’y a pas de disposition précise dans l’arrêté.

Il y est dit seulement que les examens seront subis devant un jury. Maintenant, c’est au gouvernement à le composer de manière qu’il offre des garanties complètes d’impartialité. Mais l’arrêté ne renferme aucune disposition qui dût faire présumer de la part des examinateurs de la partialité en faveur des élèves de l’école des mines de Liége.

M. le ministre des travaux publics a reconnu que, pour les élèves de l’école des mines, non plus que pour ceux des ponts et chaussées, il n’y avait pas de droits à des fonctions lorsqu’il n’y en a pas de disponibles.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je n’ai jamais dit autre chose.

M. de Theux – Dans la première discussion, plusieurs fois il m’a paru que vous étiez d’une opinion contraire. Mais à la fin nous sommes tombés d’accord. Je tiens à donner lecture à la chambre de plusieurs dispositions de l’arrêté, parce que je serais fâché que l’on crût que l’arrêté donnait des espérances que la chambre n’aurait pas voulu réaliser. Je désire que l’on sache que les élèves ont été parfaitement avertis qu’ils n’avaient de titres à un emploi que pour le cas où il y aurait des places vacantes.

Voici ce que portent les articles 15, 16 et 17 :

« Art. 15. A la suite de cet examen, il est établi deux listes, par ordre de mérite, des candidats admissibles comme sous-ingénieurs d’une part, et comme conducteurs d’autre part.

« Le classement est déterminé, tant par l’appréciation des résultats des concours, que par celle des travaux et des antécédents du candidat pendant son temps de surnumérariat ou de pratique.

« Le jury spécial et le ministre sont juges de la validité des pièces fournies par les candidats pour justifier de l’accomplissement des conditions d’habilité pratique et de moralité imposées par les deux articles précédents.

« Art. 16. Les premiers de liste des concurrents pour les places de sous-ingénieur, jusqu’à épuisement du nombre des places immédiatement disponibles, seront promus au grade de sous-ingénieur.

« Les premiers de liste des concurrents pour les places de conducteur, jusqu’à épuisement du nombre des places immédiatement disponibles, seront promus au grade de conducteur de troisième classe.

« Art. 17. Les candidats déclarés admissibles comme sous-ingénieurs, et qui n’auraient pu, en raison de leur rang de classement, obtenir le grade de sous-ingénieur, recevront le titre de sous-ingénieur honoraire des mines.

« Les candidats déclarés admissibles comme conducteurs, et qui n’auraient pu obtenir d’emploi, recevront le titre de conducteur honoraire des mines.

« Les uns et les autres seront toujours admissibles aux concours des années suivantes, en subissant derechef les examens avec les nouveaux élèves. »

On voit donc que l’arrêté ne contient aucune espèce d’obstacle à la libre concurrence entre les établissements d’instruction.

Reste au gouvernement à composer le jury d’une manière réellement impartiale.

M. de Garcia – Je remercie M. le ministre de la déclaration bien formelle qu’il a faite, de ses intentions dans l’application du principe aux élèves conducteurs et sous-ingénieurs qui sortent de l’école spéciale. Je n’avais pas besoin de cette déclaration après l’assurance qu’il avait donnée dans une autre séance, que son intention était telle.

J’arrive maintenant à ce que vient de dire l’honorable M. de Theux, sur l’interprétation de l’article 12, article que j’avais interprété autrement que lui. J’ai interprété cet article par un arrêté de la même date, porté par l’école des ponts et chaussées. J’ai signalé une inconstitutionnalité dans ces deux arrêtés, dans la persuasion que les principes qui dominaient dans l’un, dominaient dans l’autre. De la réponse de l’honorable M. de Theux, il résulte que mon reproche d’inconstitutionnalité n’est pas fondé pour l’arrêté organique de l’école des mines, mais il reste complètement debout pour l’arrêté qui a organisé l’école des ponts et chaussées.

Quant à moi, il me paraît difficile d’adopter l’interprétation de l’honorable M. de Theux. Je crois que, dans la pratique, cette interprétation n’est pas adoptée. Si je suis bien informé, on a refusé d’admettre aux examens des élèves étrangers à l’école spéciale des mines qui se sont présentés pour obtenir le grade de conducteur ou de sous-ingénieur. J’insiste donc sur mon observation. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics, si tous les élèves qui se présentent pour obtenir le grade de conducteur ou de sous-ingénieur sont admis aux examens, qu’ils sortent des écoles des mines de Mons et de Namur, ou de l’école de commerce et d’industrie de Bruxelles. S’il en est ainsi, je reconnaîtrai que l’arrêté ne donne lieu à aucune illégalité.

Quant à la question d’admissibilité à l’école spéciale, je n’ai jamais mis en doute que tous les élèves ne pussent s’y présenter ; mais, messieurs, cela ne suffit pas. Il y a des personnes peu aisées ; l’école spéciale n’est pas accessible à tous. Je connais des fonctionnaires distingués, des fonctionnaires qui sont placés dans le corps des mines qui seraient restés ignorés si elles avaient dû faire les frais que réclament les études à l’école spéciale. En tout ceci, messieurs, je ne veux qu’une chose, la liberté d’instruction sans privilège. A cet égard je ne demande que l’exécution de la constitution. Au surplus, si le gouvernement admet l’interprétation donnée par l’honorable M. de Theux, je me déclare satisfait.

J’avais fait une autre observation relative à la formation des jurys d’examen ; je parle ici des jurys d’examen pour être admis aux écoles spéciales, et non de ceux établis pour obtenir les grades de conducteur et de sous-ingénieur. Je n’ai pas dit que ce jury d’examen fût formé illégalement ou dans un esprit de partialité ; mais j’ai dit que, par la force des choses, ce jury étant pris parmi les professeurs de l’école spéciale, à côté de laquelle se trouve l’école préparatoire, école dirigée sous les auspices de la première, il n’y avait pas égalité pour les examens entre les élèves des écoles libres et les élèves des écoles du gouvernement. En effet, nul de nous ne peut ignorer l’influence de la méthode de l’enseignement sur la faculté de répondre aux examens : dans un pareil état de choses, la partie n’est pas égale pour tous les aspirants.

Un élève moins instruit, interrogé par son professeur, peut l’emporter sur un élève plus instruit, qui a suivi la méthode d’un autre professeur. Je voudrais donc que les membres du jury d’examen fussent pris en dehors de tous les établissements d’instruction où l’on forme des élèves pour le corps des mines. Je suis fâché que M. le ministre n’ait pas répondu à cette partie de mes observations et n’ait pas calmé les craintes que j’éprouve sur la parfaite égalité à observer à l’égard de l’examen des élèves de toutes les écoles.

M. Nothomb – Je dois supposer que la première fois que l’honorable M. de Garcia a pris la parole, il n’avait pas pris connaissance de l’article 12 de l’arrêté organique de l’école spéciale des mines. Evidemment d’après ce qu’a dit l’honorable membre, on devait supposer que le jury spécial serait nécessairement de droit, composé de membres choisis parmi les professeurs de l’école spéciale, que cette restriction serait dans l’arrêté même. Il n’en est rien. On a dû le supposer ; et du moment que l’arrêté ne pose pas cette limite, le grief allégué par l’honorable membre n’existe pas. Déjà l’honorable M. de Theux et M. le ministre des travaux publics avaient répondu à cette objection. Mais je veux vous donner lecture du premier paragraphe de l’article même ; il porte :

« Art. 12. Chaque année se réunira à Bruxelles, dans le courant du mois d’octobre, un jury spécial, composé de trois membres, désignés par le ministre des travaux publics, à l’effet de procéder à l’examen pour l’admission aux grades de sous-ingénieur et de conducteur des mines. »

Il n’est pas dit que ces trois membres du jury seront pris parmi les professeurs de l’école spéciale.

M. de Garcia – Je n’ai pas dit cela.

M. Nothomb – Du moment que vous ne l’avez pas dit, votre grief vient à tomber. Il se réduit à une crainte que le ministre des travaux publics, par une prédilection exagérée pour l’école spéciale du gouvernement, ne choisisse les membres du jury que parmi les professeurs de l’école spéciale. Dès lors l’observation ne porte plus sur l’arrêté, mais sur l’usage que tel ou tel ministre pourrait faire de l’arrêté organique. Ainsi la question se déplace. Il ne s’agit plus de l’arrêté organique en lui-même. Il s’agit de la mise à exécution.

C’est tout autre chose. En fait, jamais le jury spécial pour les mines n’a été exclusivement choisi parmi les professeurs de l’école spéciale de Liége. L’ingénieur des mines, qui est le chef de l’école libre de Namur y a siégé. Il y a plus. On a même choisi des membres étrangers non seulement à l’école spéciale du gouvernement, mais même étrangers au corps même des mines. On y a mis un ingénieur des ponts et chaussées, pour avoir une garantie de plus d’impartialité. Si j’ai bonne mémoire, le jury a été quelquefois ainsi composé :

1 professeur de l’école spéciale de Liége ;

1 professeurs de l’école libre de Namur ;

1 ingénieur des ponts et chaussées, étranger à ces deux écoles.

Evidemment on ne pouvait pousser plus loin l’impartialité.

Passons à l’autre grief.

Maintenant est-il porté atteinte aux principes de la liberté d’enseignement et de l’admissibilité de tous les citoyens aux fonctions publiques ?

Il y a, je dois le reconnaître, une différence entre l’arrêté organique de l’école des mines et l’arrêté organique du génie civil.

En ce moment le seul arrêté en cause est celui qui concerne les mines, et je ne m’attacherai qu’à celui-là ; néanmoins je n’abandonne pas l’autre ; il faut bien restreindre la discussion.

Je regrette que l’on n’ai pas insisté davantage sur l’article 8 relatif à l’école des mines. Cet article 8 a élargi l’exception en faveur des établissements libres au point d’absorber le principe même, et je vais vous le démontrer.

Il y a, comme on vous l’a dit, deux divisions, école préparatoire et école spéciale. Les élèves de l’école spéciale sont ceux qui ont satisfait à ce qu’exige l’école préparatoire ; ils deviennent élèves, ingénieurs ou conducteurs. L’élève conducteur ou ingénieur, a encore des études à faire. Eh bien ! pour les mines il peut faire ses études partout ; c’est-à-dire qu’il peut les continuer dans l’établissement libre où il a fait ses premières études, son éducation préparatoire.

L’honorable M. de Garcia vous a dit : L’élève qui aura fait ses études préparatoires à Namur, pourra-t-il, reçu élève, continuer ses études à l’école préparatoire de Namur. Oui, il pourra, l’article 8 de l’arrêté organique le dit formellement.

« Chaque année, à partir du 15 octobre, dit cet article 8, jusqu’à l’époque où commencent les opérations sur le terrain, les élèves, chacun dans sa catégorie, suivent les cours et les exercices divers de l’école spéciale des mines de Liége ou de toute autre institution analogue, établie par des particuliers, des communes ou des provinces. »

Evidemment on ne pouvait aller plus loin. Le jeune homme reçu élève, n’est pas forcé pour cela de quitter Namur, par exemple, et d’achever ses études à Liége. Non, il peut rester à Namur. Il est de plus admis, par l’article 9, comme les élèves de l’école du gouvernement, à toutes les opérations qui se font sur le terrain.

Je crois donc que les deux griefs élevés par l’honorable M. de Garcia contre l’arrêté organique du 1er octobre 1838, sont sans fondement, surtout en ce qui concerne l’école des mines.

Ici l’arrêté organique a établi une exception telle, une exception si large en faveur des établissements libres, qu’on peut dire, je le répète, que l’exception a absorbé la règle.

M. de Garcia – Je demande la parole.

M. le président – Vous l’avez déjà eue deux fois.

M. de Garcia – La question est très grave.

M. le président – Le règlement ne distingue pas. Je ne puis vous accorder la parole sans la permission de la chambre.

M. de Garcia – J’ai dit, messieurs, que la question est très grave ; et c’est un motif que je faisais valoir pour que la parole me soit continuée.

M. le président – Puisque personne ne paraît s’y opposer, vous avez la parole.

M. de Garcia – Pour me combattre, l’honorable M. Nothomb a dénaturé complètement mes paroles, et m’a fait dire des choses qui ne sont nullement entrées dans ma pensée. Je n’ai jamais pu prétendre qu’il y avait grief dans la nomination du jury d’examen par le ministre, puisque l’arrêté confère ce droit à M. le ministre, et ici je parle du jury d’examen qui est appelé à prononcer sur l’admission à l’école spéciale ; mais j’ai convié M. le ministre de rendre ce jury d’examen de manière à ce que les professeurs de l’école spéciale n’y prédominent pas. J’en ai dit les motifs ; je n’entends nullement accuser ces professeurs de partialité ; mais je veux aussi prévenir les inconvénients qui peuvent résulter de la différence de méthode dans l’enseignement.

M. de Theux – Il est bien entendu qu’en combinant les dispositions des articles 8 et 15, les principes de la libre concurrence dans l’enseignement se trouvent établis de la manière la plus illimitée.

Il me reste un mot à dire en ce qui concerne l’école des ponts et chaussées. La disposition qui se trouve dans l’arrêté relatif à l’école des mines n’a pas été reproduite en ce qui concerne l’école spéciale des ponts et chaussées, parce qu’à l’époque où l’arrêté organique de cette école a été pris, il n’existait aucune institution semblable à celles qui existaient pour les mines, et l’arrêté n’a non plus soulevé aucune espèce de réclamation.

J’avoue cependant que s’il formait pour les ponts et chaussées des institutions libres analogues à celles qui existent à Namur et à Mons pour les mines, ou si l’on se proposait d’en former, je ne verrais aucun inconvénient à ce que la disposition finale du premier paragraphe de l’article 8 relatif aux mines fût admise aussi pour les ponts et chaussées. Je crois qu’on a pu reconnaître par l’expérience que cette disposition ne présente pas de difficultés, parce que les examinateurs désignés par le gouvernement sont juges du mérite des élèves. C’est la chose essentielle.

La disposition, telle qu’elle est formulée pour les ponts et chaussées, avaient été réclamée par l’université de Gand au moins comme mesure temporaire. Et jusqu’à présent il n’est pas arrivé à ma connaissance qu’il y ait eu aucune réclamation.

S’il se présente des réclamations de ce chef, si on était dans l’intention de former des institutions libres destinées à préparer les élèves pour les ponts et chaussées, comme on les prépare pour les mines à Namur et à Mons, je ne verrais aucun inconvénient à ce que les élèves fussent admis aux examens.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je puis donner à l’honorable M. de Garcia l’assurance que, dans la composition du jury d’examen, nous tâcherons toujours de concilier les intérêts de la science, les intérêts du service public avec la liberté d’enseignement. Cette liberté, nous aurons peut-être l’occasion de nous en expliquer tout à l’heure. Cette liberté, nous la voulons sincèrement pour tous et nous continuerons de la défendre, au besoin, contre ses adversaires, s’il s’en présentait.

Ainsi, de ce chef, l’honorable membre peut être certain que tous nos actes seront marqués au coin de la plus parfaite impartialité.

Cependant on ne peut se dissimuler, lorsqu’il s’agit de procéder au choix des examinateurs, soit pour les mines, soit pour les ponts et chaussées, qu’il est naturel de faire ce choix parmi les professeurs, parmi ceux qui ont l’habitude d’interroger les élèves, eux qui continuent à suivre les progrès des sciences et qui sont en mesure aussi de faire subir les examens les plus avancés.

Sans doute, messieurs, on peut pour les ponts et chaussées trouver l’arrêté restrictif ; mais à l’époque où il a été pris, il n’existait pas d’autres écoles où on s’occupât des études des ponts et chaussées que celle de Gand. C’est en l’absence d’autres écoles qu’on a été amené à la création de celle-ci, et cette création est, je le répète, une chose extrêmement utile.

Avant la formation de cette école, le gouvernement n’avait aucun moyen assuré de recruter des hommes des science, des hommes capables pour la partie si importante des ponts et chaussées. Nous n’avions pas en un mot d’école polytechnique en Belgique. La création de l’école du génie civil à Gand a été en quelque sorte une école polytechnique ou une branche de l’école polytechnique annexée à une université de l’Etat ; et cette branche, nous y tenons d’autant plus que c’est ce qu’il y a de plus vivace aujourd’hui dans l’enseignement universitaire.

L’honorable M. de Garcia vous a cité un candidat auquel on avait refusé l’examen d’ingénieur ou de conducteur. Eh bien ! ce candidat ne remplissait pas les conditions voulues par les arrêtes organiques.

- L’article est adopté.

Article 2

« Art. 2. Ingénieurs et conducteurs.

« Traitement des ingénieurs : fr. 57,500.

« Traitement des conducteurs : fr. 46,000.

« Frais de bureau, déplacement : fr. 40,000.

« Ensemble : fr. 143,500. »

- Cet article est adopté.

Article 3

« Art. 3. Subsides aux caisses de prévoyance : fr. 45,000. »

M. Dubus (aîné) – La section centrale a été d’avis d’allouer le crédit demandé mais en n’entendant nullement se lier pour l’avenir, tandis que M. le ministre des travaux publics, d’après ses explications, paraît le réclamer comme un crédit permanent, qui devra se produire chaque année.

Je dois dire que, lorsque cette somme a été votée l’an dernier, j’avais compris qu’elle ne se reproduirait pas chaque année.

Car en indiquant précisément les caisses auxquelles on voulait accorder un subside, M. le ministre d’alors ajoutait : « Voilà donc 4 caisses qui seront en exercice dès les premiers mois de 1840. Plus tard, il sera indispensable que le gouvernement leur accorde des fonds qui constituent un premier noyau et qui assurent ainsi la durée de ces établissements. » Assurément, messieurs, un subside qui est destiné à constituer un premier noyau ne doit pas former un crédit périodique et permanent. Cependant M. le ministre suppose que non seulement cette année, mais encore l’année prochaine et les années suivantes, nous devrons toujours voter le même crédit jusqu’à ce qu’on trouve le moyen d’imputer ce subside sur le produit de la redevance des mines qui est un impôt de l’Etat. C’est nous dire que ce sont là de nouvelles caisses de pensions dont les frais seront faits par le trésor public. Je ne pense pas que ce soit là ce que la chambre a voulu. Je crois que la chambre a bien voulu accorder un premier subside pour la formation de ces caisses, mais une fois le fonds créé, les charges ordinaires doivent ce me semble, être supportées par ces caisses ; si on avait voulu faire de cela une dépense à ajouter au chapitre des rémunérations du budget de la dette publique, il aurait fallu s’exprimer autrement qu’on ne l’a fait.

Sur ce points, messieurs, je ferai une autre observation. Une section avait désiré connaître dans quelle proportion l’Etat fait des sacrifices pour les caisses de prévoyance ; elle avait demandé un état de l’emploi du crédit, ou en regard de chaque subside accordé par le trésor, on indiquât les autres ressources de chaque caisse de prévoyance et les sacrifices faits par les sociétés qu’elles intéressent.

Ce renseignement, messieurs, n’a pas été fourni ; M. le ministre dit que le subside accordé par l’Etat doit être proportionné aux sacrifices que font les diverses sociétés ; eh bien, ces sacrifices nous sont complètement inconnus.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, l’utilité des caisses de prévoyance ne peut être contestée par personne ; je crois que l’honorable membre lui-même trouvera que l’institution de ces caisses a été une mesure parfaitement convenable. Il s'agit de savoir si le gouvernement aurait pu borner son concours à une pure influence morale, s’il serait parvenu à organiser les caisses de prévoyance sans un concours pécuniaire. Le gouvernement a reconnu que, sans un semblable concours, il ne parviendrait pas à établir ces caisses. Mon honorable prédécesseur a pris l’initiative de cette institution, qui lui fait honneur ; il est parvenu à l’organiser dans plusieurs provinces ; le Hainaut seul était encore en arrière ; après de grands efforts, j’ai réussi à compléter son ouvrage, j’ai pu organiser aussi les caisses de prévoyance dans la province de Hainaut.

Les fonds des caisses de prévoyance se composent, messieurs, d’abord des subsides accordés par l’Etat, puis des subsides accordés par les sociétés particulières, enfin d’une retenue sur les salaires des ouvriers. Le montant des subsides accordés par les sociétés doit toujours être égal au montant des retenues opérées sur les salaires des ouvriers. On a demandé, messieurs, si les sommes allouées par le gouvernement sont destinées à se reproduire annuellement. Je crois, messieurs, que pendant quelques années encore il sera nécessaire que le gouvernement subsidie les caisses de prévoyance à peu près dans la même proportion qu’aujourd’hui. C’est ce que mon honorable prédécesseur a dit dans les développement au budget de 1840 :

« Si l’on veut, dit-il, que les caisses de prévoyance aient quelque fixité, qu’elles acquièrent un caractère général, il est essentiel que le gouvernement leur assure son patronage, qu’il en approuve les statuts, et qu’il leur accorde annuellement des subsides proportionnés aux sacrifices que fera chacune de ces sociétés. »

Ainsi, messieurs, le principe d’un subside annuel a été posé dans les développements du budget qui a été voté pour 1840.

Les sociétés particulières, messieurs, ne se sont engagées à contribuer pour les caisses de prévoyance qu’avec la perspective d’un subside accordé par l’Etat ; il est à craindre que si le concours de l’Etat venait à manquer aux sociétés particulières, les ouvriers ne fussent de nouveau abandonnés à eux-mêmes. C’est là un état de choses que la chambre ne voudra pas amener. On sait les dangers de tous moments que courent les malheureux ouvriers occupés aux travaux des mines, on sait aussi comment dans les accidents graves qui ne sont malheureusement que trop fréquents, la charité publique est impuissante, malgré tous les appels, malgré toutes les souscriptions, à venir au secours des veuves, des orphelins et des ouvriers eux-mêmes. Je suis persuadé que la chambre aidera le gouvernement à maintenir une institution véritablement philanthropique à laquelle, pour ma part, je me suis associé de bien bon cœur.

M. Demonceau – Je n’ai pas l’intention, messieurs, de contester les avantages qui peuvent résulter de l’établissement des caisses de prévoyance, mais je pense que les fonds à accorder à ces caisses devraient être pris sur les redevances des mines.

Rappelez-vous, messieurs, que, l’année dernière, nous avons eu à soutenir une assez longue discussion sur les droits réclamés du chef des redevances des mines ; si le gouvernement avait alors fait valoir ses droits, ces redevances auraient, selon moi, fourni amplement de quoi subsidier les caisses de prévoyance. Je pense, messieurs, que la redevance des mines doit être employée en faveur de l’exploitation des mines ; c’est ainsi, ce me semble, qu’il faut interpréter le décret organique qui a établi la redevance des mines.

Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics si la redevance des mines ne pourrait pas être portée à un taux tel qu’elle soit suffisante non seulement pour payer le personnel des mines, mais aussi pour fournir les subsides accordés aux caisses de prévoyance.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je n’ai pas présent à la mémoire le chiffre porté au budget des voies et moyens, mais je crois qu’il est à peu près le même que celui qui figure au budget des dépenses ; d’ailleurs, messieurs, le chiffre de la redevance des mines est, de sa nature, variable, et il faut espérer qu’il s’élèvera d’année en année, vu l’extension considérable que prend l’exploitation des mines ; ensuite s’il fallait y ajouter quelques centimes additionnels, pour mettre en harmonie les recettes et les dépenses, je crois que la chambre ne s’y refuserait pas non plus que les exploitants, qui se montrent cependant très difficiles sous ce rapport. Quoi qu’il en soit, messieurs, c’est là une question de voies et moyens, et non pas une question de dépenses.

M. Nothomb – Messieurs, l’honorable M. Demonceau a très bien posé la question ; il faut mettre le chiffre de la dépense en regard du chiffre de la recette. La redevance des mines n’est pas un impôt ordinaire de l’Etat. L’honorable M. Dubus s’est trompé en l’envisageant de cette manière ; c’est un impôt ayant un caractère particulier, une distinction particulière, d’après l’arrêté organique de 1810.

On a porté au budget des recettes, du chef de la redevance des mines, une somme de 215,000 francs ; et que demande-t-on pour le personnel et pour le subside à accorder aux caisses de prévoyance ? 208,500 francs ; c’est-à-dire un chiffre inférieur aux prévisions du budget des recettes. On demande environ 50,000 francs pour subventions aux caisses de prévoyance ; si vous n’accordez pas ces subventions et que la redevance continue à s’élever à plus de 200,000 francs, aux termes de la loi de 1810, les exploitants auront le droit de venir dire qu’il faut diminuer la redevance ; ils auront ce droit jusqu’à ce que vous ayez modifié la loi de 1810, jusqu’à ce que vous ayez déclaré que la redevance des mines et un impôt ordinaire. Aujourd’hui la redevance des mines nous permet de donner le subside de 50,000 francs qui nous est demandé ; si vous refusez ce subside la redevance présentera un excédant, et les exploitants auront le droit de demander que cette redevance, qui est aujourd’hui fixée à 2 ½ p.c., soit réduire à 2 p.., ou à moins de 2 p.c.

Je me bornerai à ces observations qui replacent la question sur le véritable terrain. Je n’ai du reste rien à ajouter aux autres considérations générales qui ont été présentées par M. le ministre des travaux publics.

M. Dubus (aîné) – Quant à l’observation qui vient d’être faite, que la somme demandée est couverte par la redevance des mines, je ferai remarquer, messieurs, que, sous ce rapport l’honorable préopinant n’est pas d’accord avec M. le ministre des travaux publics. Voici en effet ce que dit M. le ministre dans les explications qu’il a données à la section centrale :

« L’on peut espérer que, dans peu d’années, le produit des redevances sur les mines permettra de prendre le subside sur les sommes fournies par cet impôt. »

Ainsi donc, dans l’opinion de M. le ministre des travaux publics, la redevance des mines ne suffit point, en ce moment, à couvrir la dépense dont il s’agit ; en effet, je trouve que l’article du budget qui concerne la dépense des mines porte, non pas le chiffre de 208,500 fracs, mais celui de 246,100 francs, ce qui excède le produit et la redevance sur les mines.

Du reste, messieurs, je n’avais pas demandé la parole pour déclarer que je m’opposais pour cette année à l’adoption du subside proposé. J’ai seulement voulu faire remarquer qu’on ne nous a pas avertis, lorsque ce subside a été porté au budget, qu’on voulait en faire une dépense perpétuelle.

On ne nous avait prévenus de cela, car lorsqu’on a ce dessein, on ne dit pas que c’est pour former un noyau, mais on dit que c’est une dépense qui se répétera chaque année. J’avais donc besoin d’une explication, pour avoir si c’était une dépense permanente ; jusque-là on ne nous l’avait pas dit.

M. Demonceau – L’honorable M. Nothomb vient de prouver que les redevances des mines ont pendant une année seulement produit de quoi payer le service des mines. Je sais bien que nous avons porté au budget des recettes une somme fictive qui monte à 200,000 francs environ, mais la recette effective n’atteindra pas ce chiffre. Aux termes de la loi de 1810, combinée avec le décret qui s’en est suivi, le gouvernement est autorisé à faire des abonnements. Il y a eu une résistance très prononcée, surtout dans un district houiller de la Belgique, pour se conformer à cette loi et à l’arrêté organique. Eh bien, messieurs, le gouvernement a cédé sous bien des rapports, il a fait une transaction qu’il a eu peut-être raison de faire, eu égard aux circonstances, mais qui cependant n’a pas mis la caisse des mines à même de faire face à toutes les dépenses occasionnées par la surveillance des mines. C’est pour ce motif probablement que le ministre des travaux publics actuel a reconnu lui-même que le chiffre n’était pas suffisant, pour fournir la somme qu’on veut allouer aux caisses de prévoyance. Je dis encore une fois que je considère comme un acte digne de fixer l’attention de la chambre et du pays la création des caisses de prévoyance, mais je voudrais qu’on fît face à cette dépense au moyen de la redevance des mines.

M. Desmet – Messieurs, mon intention n’est certes pas de m’opposer à l’allocation, puisqu’elle a pour objet de porter secours à des gens qui sont dans le malheur ; mais je ferai observer qu’il y a d’autres industries qui sont dans le même cas. Vous avez d’abord l’industrie de la pêche. Si l’on accorde un subside, pour réparer les malheurs qui peuvent arriver dans les mines, vous devez faire la même chose pour la pêche dont l’exercice expose à des dangers tout aussi graves et au moins aussi fréquents que la profession de mineur.

Anciennement le gouvernement venait aussi en aide aux établissements houillers quand des accidents graves arrivaient dans la houillère, mais il donnait ses secours pour des cas spéciaux et connus, aujourd’hui vous donnez ces secours sans savoir quel est l’usage qu’on en fait.

Je le répète, je ne m’opposerai pas à l’allocation, mais je désire qu’on étende cette faveur à la pêche ; il ne faut pas qu’il y ait privilège.

M. Nothomb – Messieurs, je tiens beaucoup à ce que la chambre soit convaincue que, lorsque cette question a été soulevée pour la première fois, l’année dernière, je n’ai pas parlé du subside à accorder comme d’une dépense temporaire, comme d’une dépense d’une année. Il suffit de prendre connaissance des développements du budget de 1840. Il y est dit formellement : « Il est essentiel que le gouvernement accorde aux caisses de prévoyance son patronage, en approuvant leurs statuts, et en leur allouant annuellement des subsides proportionnés aux sacrifices que fera chacune de ces sociétés. »

Ce passage se trouve reproduit dans le rapport de la section centrale pour cette année, page 58. La chambre était donc bien prévenue qu’il s’agissait d’une dépense destinée à se renouveler d’année en année. Il y a plus : ce n’est pas dans un passage fugitif qu’on aurait pu perdre de vue que cette intention a été annoncée ; il y eu une grande discussion entre l’honorable M. Dolez et moi ; M. Dolez a déclaré qu’il voulait accepter l’institution des caisses de prévoyance, mais à la conditions que les subsides seraient prélevés sur les revenus généraux de l’Etat. Partant de là, il prouvait que le montant annuel des redevances était trop élevé de 50,000 francs environ, et il annonçait l’intention de demander un dégrèvement. Moi, au contraire, j’ai soutenu, au nom du gouvernement, qu’il fallait considérer le système des caisses de prévoyance comme entrant dans les frais généraux de l’administration générale des mines, et qu’il fallait dès lors porter la redevance à 2 ½ p.c. à l’effet d’obtenir un montant suffisant, pour qu’on pût prélever les 5,000 francs sur ce montant ; système que la chambre a sanctionné, en montant la redevance à 2 ½ p.c.

M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Messieurs, un honorable député d’Alost a demandé s’il entre dans les intentions du gouvernement d’organiser aussi une caisse de prévoyance pour les pêcheurs et les gens de mer. Je puis dire à l’honorable membre que l’année ne s’écoulera pas sans qu’il soit satisfait à ce vœu. Il a été même question de cet objet dans les développements de mon budget. Je m’occupe en ce moment à réunir tous les matériaux. J’espère que sous peu je pourrai mettre la dernière main à cette organisation.

(Moniteur belge n° ?? du ?? février 1840) M. Desmet – Je dois être satisfait de l’assurance que M. le ministre vient de me donner, qu’un subside analogie à celui qu’on accorde pour l’exploitation des mines et houillères, sera aussi donné pour subsidier une caisse de secours dans la pêche sur mer. Je parle uniquement de la pêche sur mer, parce que dans ce moment il n’y a point d’autre exploitation qui me vienne dans la mémoire, mais si d’autres se trouvaient dans le même cas, on devrait aussi les favoriser du même avantage, car nous ne devons jamais voter des privilèges.

Messieurs, nous avons cependant une industrie, qui, si elle n’est pas exactement en analogie avec celle que je viens de citer, si elle ne doit pas craindre les malheurs et les accidents, elle doit cependant craindre un grand malheur, c’est la détresse, je veux parler de l’importante industrie linière, qui n’est pas loin de la détresse, et qui n’a besoin que de secours, de protection, pour ne pas devoir craindre celle dont elle est menacée, elle n’a pas besoin même d’un secours pécuniaire, elle n’a besoin que de la protection contre la concurrence étrangère et contre l’accaparement de matières premières qu’elle travaille. Cette année, je dois le dire, on a distribué des secours pécuniaires à cette industrie, mais on doit reconnaître que ces secours ne pourront jamais suffire ni porter un remède réel à la détresse dont cette industrie est menacée.

Le gouvernement s’est montré fort satisfait des modifications qui ont été adoptée dernièrement en France, dans le tarif français, pour ce qui concerne les toiles de lin ; on s’est trompé, il y a eu un amendement qui a passé et qui a augmenté beaucoup le droit. Il y a encore moyen de prévenir l’adoption définitive de cette mesure. La chambre des pairs de France n’a pas encore voté la loi. Je fais cette observation, pour que le gouvernement invite notre ambassadeur à Paris à faire des réclamations. Voici la portée de cet amendement : dans le tarif actuel on compte dans le quarré du compte-fils, employé à la douane, tous les fils pleins et demi-pleins ; mais l’amendement porte qu’il ne sera compté que le contre-fils que les fils qui s’y trouvent entièrement, que les fils pleins ; cette modification, qui n’est qu’en apparence très légère, en porte une très forte au tarif, et atteindra principalement la grande masse de toiles que la Belgique exporte en France.

(Moniteur belge n°58 du 27 février 1840) – Personne ne demandant plus la parole, le chiffre est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Impression, achats de livres : fr. 10,000.

- Adopté.

Chapitre V. Instruction publique

Article premier

« Art. 1er. Universités

« A. Traitements des fonctionnaires : fr. 470,000

« B. Bourses et médailles : fr. 36,800.

« C. Subside pour le matériel : fr. 100,000.

« Ensemble : fr. 606,800. »

La section centrale propose sur ce chiffre une réduction de 8,902 francs, ce qui réduit le crédit à 597,898 francs.

M. Doignon – Messieurs, M. le ministre des travaux publics nous a fait distribuer un rapport sur l’état de l’enseignement supérieur, qui mérite de fixer toute votre attention. Bien que les deux universités du gouvernement ne nous coûtent pas mois de 600,000 francs annuellement, M. le ministre reconnait lui-même que l’état de l’enseignement dans ces établissements n’est pas dans une situation très florissante (ce sont les expressions mêmes de son rapport.) M. le ministre se plaint du petit nombre des élèves qui fréquentent les cours, de la faiblesse des études antérieures ; on trouve, dit-il, que les examens préparatoires au droit et à la médecine, la candidature en lettres, l’épreuve préliminaire et la candidature en sciences ont donné lieu à 440 rejets ou ajournements sur 1153 examens.

M. le ministre reproche aussi aux élèves de délaisser les cours qui n’ont pas une influence immédiate sur les examens ; tels sont les cours des antiquités romaines, de géographie physique, d’ethnographie, de droit commercial, de droit coutumier, des questions transitoires, de l’encyclopédie et de l’histoire de la médecine.

M. le ministre cherche ensuite la cause de ce mal ; et, selon nous, il croit la trouver là où elle n’est pas.

Elle provient, me paraît-il, de ce que la loi a trop étendu la liste des matières à enseigner : en multipliant trop les cours, en exigeant trop des élèves, l’on veut ce qui est moralement impossible, et l’on n’obtient ainsi que des études médiocres, incomplètes.

Le vice de l’enseignement supérieur est donc, messieurs, dans la loi même qui a créé les universités, et qui a donné trop d’extension aux branches d’enseignement. Il semble que l’on a ainsi créé un trop grand nombre de chaires, plutôt pour donner des emplois que pour fonder une instruction solide.

Le rapport dit encore :

« Ce mal est encore aggravé par la faible population de nos universités, qui exerce nécessairement une fâcheuse une influence sur les études. »

L’on sait qu’il existe encore une autre cause de la décadence de ces établissements : c’est le défaut de confiance des pères de famille. Je ne prétends pas que cette raison existe ici mais c’est au gouvernement à rechercher les véritables causes.

M. le ministre, perdant ainsi de vue le vice essentiel de la loi, croit trouver ailleurs la source du mal, et il signale comme une cause des plus graves, la faiblesse des études moyennes, faiblesse qui, selon lui, se révèle partout.

Si je comprends bien M. le ministre, en d’autres termes, ce sont nos établissements libres d’instruction moyenne qu’il semble vouloir indiquer ici. S’il en est ainsi, je ne crains pas de dire que M. le ministre est dans l’erreur. Depuis 1830, et à l’aide de la liberté de l’enseignement, l’instruction moyenne a fait de grands progrès dans le pays. Ces progrès ont même été constatés par le gouvernement lui-même, et à plusieurs reprises, dans plusieurs discours du trône.

M. le ministre ne connaît pas sans doute ou ne connaît pas suffisamment les nombreux établissements d’instruction moyenne qui se sont élevés partout depuis 1830. Comparativement à ce qu’il était naguère, cet enseignement, on peut le dire, est aujourd’hui dans un état prospère ; l’émulation, la liberté, le temps, ont favorisé ce développement ; et s’il reste quelque chose à désirer, ces trois éléments sauront achever leur œuvre.

M. le ministre ne doit pas ignorer que la véritable solidité des études dépend beaucoup de la moralité des établissements. Or, c’est cette moralité qui fait la base de nos établissements libres. Je dois le dire, chaque fois que le ministre nous parle de l’enseignement, il y a dans son langage un vide qui me fait peine. Il nous parle sans cesse d’instruction, et jamais d’éducation. Et cependant, messieurs, n’est-ce pas l’éducation qui fait l’homme, n’est-ce pas elle qui fait le bon, le vertueux citoyen, l’homme social en un mot ? L’éducation n’est-elle pas essentiellement inséparable de l’instruction ? Toutefois, il ne faut pas s’y tromper, sous votre régime de liberté sous l’empire d’une constitution qui n’a aucune morale, ni doctrine officielles, je ne puis reconnaître à aucun ministre le droit de diriger ou d’organiser, ou surveiller des maisons d’éducation et d’instruction ; et effectivement, messieurs, il ne pourrait le faire que d’après ses doctrines et ses opinions personnelles : ce qui est impossible. Au moins, dans ce cas et pour la gouverne des pères de famille, il devrait bien déclarer avant tout quels sont ses principes, ses doctrines, quel est le système d’éducation qu’il prétend suivre. Serait-ce le système d’éducation de Diderot, de J.-J. Rousseau, de Tailleraod ou de tels autres philosophes qui se sont donné la mission de régénérer ou façonner la jeunesse ? Il devrait en premier s’en expliquer, et l’on saurait à quoi s’en tenir. Mais nos libertés politiques s’opposent évidemment à ce qu’un ministre puisse jamais diriger, régler l’éducation suivant ses systèmes et ses opinions personnelles.

Dans son rapport, M. le ministre ajoute que la faiblesse des études moyennes s’est révélée dernièrement encore lors du concours établi entre les athénées et les collègues qui reçoivent un subside du trésor.

Ici je dois faire une remarque importante, qui se reproduit depuis longues années ; c’est que dans nos provinces, ce sont assez souvent les établissements protégés, soutenus par le gouvernement qui sont le moins suivis, qui inspirent le moins de confiance aux pères de famille.

J’appelle, sur ce point, l’attention du gouvernement. D’où cela vient-il ? Ce fait devrait frapper l’attention du ministère et lui ouvrir les yeux.

M. le ministre, dans son rapport, continuant la critique de l’enseignement moyen, nous dit : « Plusieurs collègues ont singulièrement étendu la liste des matières enseignées, tout en raccourcissant le temps des études ; » et plus haut : « On aborde les collèges trop jeune et trop faible, et bien que, dans la plupart des établissements, la durée des cours ait été singulièrement restreinte, on les quitte même avant la fin des études. »

Je ne sais de quels établissements le ministre entend ici parler. Veut-il parler des établissements subsidiés par l’Etat ? Je n’en sais rien. Quant à moi, je puis dire que généralement il n’en est pas ainsi.

M. le ministre ajoute encore, page 6 : « La constitution a imposé à l’enseignement de l’Etat une tâche noble et belle. Placé comme moyen de concurrence, il doit, s’il ne veut pas manquer à sa mission, stimuler l’enseignement privé, le devancer, etc. »

Je crois que ceci manque de justesse et de vérité. Il n’est pas vrai que la loi ait placé l’enseignement supérieur entre les mains du gouvernement comme un moyen de concurrence. On a créé l’enseignement supérieur parce qu’on était dans la nécessité de le faire, parce qu’il fallait conserver une pépinière afin de procurer à la société des avocats et des médecins. Il est essentiel de rappeler ici, dans quel esprit la loi sur l’enseignement supérieur a été votée.

Nous lisons ce qui suit dans le rapport de la section centrale, qui accompagnait le projet de loi sur l’enseignement supérieur :

« Ce n’est pas en vertu d’un droit inaliénable que l’Etat peut enseigner dans l’ordre social actuel.

« Cette doctrine impliquerait la création d’un enseignement national, destiné non seulement à établir une concurrence avec les institutions libres, mais à présenter seul les caractères de stabilité, d’unité et d’harmonie.

« Or, la section centrale a pensé que l’article 17 de la constitution était inconciliable avec cette doctrine.

« Et, en effet, la liberté est illimitée pour l’enseignement privé, tandis que l’enseignement aux frais de l’Etat est restreint.

« L’enseignement de l’Etat n’est pas une obligation nécessaire.

« Le principe qu’a admis le congrès, que l’enseignement aux frais de l’Etat ne peut avoir lieu que lorsque son utilité et sa nécessité sont reconnues, à cause de l’insuffisance des institutions libres.

« Si la liberté ne fonde pas un enseignement supérieur, le gouvernement devra-t-il laisser ce vide effrayant dans le pays ?

« Si la liberté fait défaut, si elle ne fonde pas, il faut admettre que l’Etat puisse et doive combler cette lacune. »

Or, messieurs, en 1834, il y avait, quant à l’enseignement supérieur, une lacune indispensable à remplir. La liberté n’avait pas encore produit ses établissements universitaires.

Le système de concurrence gouvernemental, est-il dit dans le rapport, anéantirait de fait la liberté constitutionnelle. L’Etat n’est pas un être à part, une personnalité distincte de la nation. Ce serait donc une concurrence de la nation contre la nation.

Cette section centrale rappelle encore que la constitution a aboli l’article 226 de l’ancienne loi fondamentale qui déclarait que l’instruction publique devait être un objet constant des soins du gouvernement.

On ne peut trop se rappeler que sous l’empire de notre constitution, il faut mettre à l’écart cet article de notre ancienne constitution, qui faisait de l’instruction publique un objet constant des soins du gouvernement. Nous le répétons, cette disposition n’existe plus.

Qu’on ne s’y trompe pas, dans notre état constitutionnel, le pouvoir exécutif est souvent la personne d’un ministre. Ne serait-il pas étrange que le ministre pût alors puiser dans le trésor public pour faire avec l’argent des contribuables concurrence à la nation et contre ses propres concitoyens ? Ce n’est donc pas en vertu du principe de concurrence que la loi a créé des universités, mais parce que, comme je l’ai dit en commençant, la liberté de l’enseignement laissait à cet égard une lacune à remplir.

Dans son rapport du gouvernement, le langage doit toujours être grave et sérieux. Cependant, j’ai vu avec quelque étonnement que l’on y comparaît ,nos pédagogies de Louvain à des espèces de serres chaudes.

Je rappellerai à M. le ministre ce qu’il ne doit pas ignorer, que c’est de ces espèces de serres chaudes que sont sortis une foule d’hommes des plus distingués de la Belgique ; et nous espérons bien qu’elles en produiront d’autres.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je n’en ai parlé que d’une manière dubitative.

M. Doignon – M. le ministre dit, que pour lui, la question des pédagogies est encore un problème, car il s’exprime en termes dubitatifs ; mais il paraît même incliner plutôt contre ces institutions. « Ne vaut-il pas mieux, dit-il, si l’on peut s’exprimer ainsi, adopter la culture en pleine terre. Dire aux élèves : voilà des bibliothèques, des collections, tous les moyens d’apprendre, suivez la marche qui vous est indiquée par vos goûts, vos dispositions premières, creusez à travers la science le sillon vers lequel la nature vous appelle. »

Pour nous et pour le pays, messieurs, la question des pédagogies est résolue depuis longues années. Ces institutions ont toujours été considérées en Belgique comme éminemment utiles et convenables.

A l’égard de la majoration demandée pour subsides en faveur de l’instruction primaire, la section centrale a déclaré qu’il convenait d’ajourner cette majoration jusqu’à ce que les règles à prescrire au gouvernement pour l’emploi de ce crédit fussent connues. Mais ces règles, le ministre nous les a annoncées dans son programme, et il paraît qu’on les oublie aujourd’hui. Il nous a annoncé dans son programme qu’il voulait donner aux pères de famille la garantie la plus complète de l’éducation morale et religieuse de leurs enfants. Où sont ces garanties ? En quoi consistent-elles ? Nous n’en savons rien, on n’en fait aucune mention.

Dans l’état des choses, le ministère actuel, plutôt que tout autre, aurait dû s’occuper de ces garanties qui semblent une lettre morte aujourd’hui.

Pour moi, je le déclare avec franchise, ce ministère, tel qu’il existe au milieu des influences qui l’enveloppent, des tendances qui paraissent l’entraîner, et auxquelles il ne paraît pas pouvoir résister ; ce ministère ne pourrait, je le crains bien, nous donner les garanties promises ; et par conséquent, il est impossible qu’il ait ma confiance.

Messieurs, dans le courant de 1840, le ministère a institué de sa seule autorité des concours entre les établissements d’instruction subsidiés par l’Etat. Sans vouloir ici examiner si l’institution des concours est ou n’est pas nuisible aux études dans chaque établissement, sous le régime de liberté où nous vivons, selon moi, c’est là une question délicate. Alors surtout que le principe de liberté d’enseignement, de libre concurrence fait au gouvernement un devoir d’observer la neutralité et l’impartialité au milieu de toutes les opinions, il lui est bien difficile, en pareille circonstance, de ne pas donner lieu à des reproches, de ne pas faire ombrage, soit aux uns ou aux autres.

M. le ministre n’a pas seulement agi de sa seule autorité ; de son chef, et sans loi, il s’est constitué seul juge ; de sa seule autorité, il a institué un jury d’examen, comme si dans son opinion se renfermait l’opinion du pays.

Je pense qu’il a, dans cette circonstance, excédé ses pouvoirs, en supposant même que l’institution des concours ne sont pas incompatible avec nos libertés constitutionnelles ; dans tous les cas, le ministre aurait fait ce qu’il n’avait pas le droit de faire. Ce point est établi par les antécédents de la législature même ; dans la loi sur l’enseignement supérieur il est aussi question de concours ; cette loi contient un titre dont le libellé porte : « moyens d’encouragement. »

La législateur n’a donc pas voulu que les moyens d’encouragement fusent abandonnés à la discrétion d’un ministre, mais qu’ils fussent réglés par la loi.

L’article 32 est ainsi conçu :

« Huit médailles en or et de la valeur de 100 francs pourront être décernées, chaque année, par le gouvernement, aux élèves belges, quel que soit le lieu où ils font leurs études, auteurs des meilleurs mémoires en réponse aux questions mises au concours.

« La forme et l’objet de ces concours sont déterminés par des règlements. »

Or, par qui les règlements doivent-ils être faits ? L’article 29 le dit :

« Le gouvernement fait les règlements, nomme aux emplois et fixe les traitements. »

C’est donc par des actes du gouvernement, par des arrêtés émanés du pouvoir royal, et non du ministre seul, qu’il doit être statué dans des cas semblables.

L’article 33 est ainsi conçu :

« Soixante bourses de 400 francs peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à de jeunes Belges peu favorisés de la fortune, et qui, se destinant aux études supérieures, font preuve d’un aptitude extraordinaire à l’étude.

« Elles sont décernées et maintenues sur l’avis du jury d’examen. »

« Art. 34. Ces bourses sont conférées par arrêté royal. »

Ainsi, quand il y a lieu de décerner des récompenses, des distinctions, vous voyez qu’il n’est pas permis, en pareil cas, au ministre d’agir par dispositions purement ministérielles ; il doit procéder par arrêté royal, et c’est un jury, organisé par la loi, qui est chargé de prononcer.

Il me paraît donc clair que M. le ministre a outrepassé ses attributions.

Quant à la collation des bourses, je crois que M. le ministre s’est tracé une règle trop absolue. Il n’accorde jamais de bourse pour un terme supérieur à cinq années. Cette règle est bonne en général, mais toute règle doit avoir ses exceptions, et, dans ce cas, l’exception confirme même la règle. Eh bien, lorsqu’il s’agit d’élèves d’un mérite extraordinaire, qui ont passé leurs examens avec une grande distinction ou avec la plus grande distinction, ne doit-on pas leur accorder des bourses pendant tout le temps qui leur est nécessaire pour achever leurs études ? Il est alors du devoir du gouvernement de ne point entraver une carrière si bien commencée, et si l’élève en a besoin, la bourse doit être continuée jusqu’à la fin des cours.

A l’occasion du rapport de M. le ministre sur l’enseignement supérieur, un honorable membre vous a parlé, messieurs, de certaine division qui existerait dans le pays ; je désire lui répondre quelques mots, et je serai bref. Je ne pus laisser se propager de pareilles idées, alors qu’elles arrivent à l’exagération. Il importe ici de se rendre exactement compte de notre situation.

La constitution, en proclamant d’une manière large nos libertés politiques et religieuses est elle-même libérale, or cette charte n’est-elle pas pour nous tous notre point de ralliement ? Les représentants de la nation qui jurent fidélité à la constitution n’en professent-ils pas tous unanimement les principes comme le chef de l’Etat lui-même. Ces principes, ces sentiments ne sont-ils point partagés dans tout le pays par les masses ? cet attachement a nos institutions et au Roi n’est-il pas universel ? Il y a donc chez nous incontestablement union, union nationale ; c’est un fait notoire.

A-t-on voulu parler de ce mauvais libéralisme, qui dans tous les pays inquiète plus ou moins les esprits sages et modérés, et cherche parfois à semer la division ? Mais je soutiens que sous ce rapport encore, la Belgique est dans un état plus favorable que tout autre.

Je ne crains point, messieurs, que l’on conteste mes assertions ; notre royaume de Belgique est peut-être le pays de monde le plus moral, offrant à l’Europe le plus de garanties d’ordre et de stabilité ; mais, messieurs, prenons-y garde ; de malheureux doutes pourraient s’élever sur ce point, et c’est à nous qu’il appartient de les dissiper.

Il n’est que trop vrai qu’à l’époque actuelle, dans presque tous les Etats, et notamment dans un pays voisin, il existe un mauvais libéralisme, un libéralisme des plus dangereux et antisocial, un libéralisme dont tout le principe n’est au vrai que l’amour de soi, qui, sous toutes les couleurs et sous toutes les formes, ne recherche au fond que lui-même et voudrait ainsi de tous côtés ébranler la société jusque dans ses fondements.

Vous le connaissez tous, messieurs, ce mauvais libéralisme. Je le démontrerai dans une autre occasion : ce libéralisme ne saurait gouverner ; il est incapable de créer, de consolider aucun ordre social. Avec lui, l’autorité est sans base aux yeux des peuples ; avec lui plus de véritables liens sociaux, avec lui plus de véritable liberté ; et comme il ne porte dans son sein que des germes de dissolution, avec lui la société est impossible.

Mais grâce à l’antique moralité belge, grâce à cette moralité qui a jeté de profondes racines dans le pays, nous sommes heureux de le proclamer ici : non, messieurs, ce libéralisme ne règne point en Belgique, non, il ne règne ni dans cette chambre, ni au dehors, et si parfois il fait quelque bruit, c’est parce qu’il rencontre dans nos populations, dans nos mœurs belges, une résistance invincible contre laquelle tous ses efforts sont et seront toujours impuissants. J’en ai l’intime conviction ; ce libéralisme n’aura jamais d’écho que dans la plus petite fraction de la nation.

Je crois superflu de déclarer que je n’entends ici accuser les intentions d’aucun de mes collègues, ni confondre avec ce mauvais libéralisme, le libéralisme de bonne foi, dont le caractère loyal et désintéressé est digne de respect.

Voudra-t-on bien, à présent, me permettre de poser une question, une grave question ? Le ministère actuel a-t-il pris l’attitude qui convient vis-à-vis de ce libéralisme ? est-il bien exempt de tous reproches ? S’est-il bien préservé de ses atteintes ? je crois qu’il m’est permis d’en douter. Sous notre régime constitutionnel, tout ministère est tenu d’observer la neutralité vis-à-vis de toutes les opinions. Mais cette même neutralité lui impose le devoir de se prémunir contre toute tendance vers les excès des unes et des autres.

Je dois le dire avec la même franchise, si je considère l’ensemble de l’administration actuelle, j’ai lieu de craindre que cette tendance existe. Et, je m’empresse de le dire, je ne fais point ici allusion à des actes isolés, tels que la mission diplomatique de M. de Stassart, ou certaine décoration donnée par le ministère actuel. Vis-à-vis de nos grands intérêts moraux et politiques, qu’est-ce qu’une décoration ou un peu d’argent ? Non, messieurs, avant d’exprimer ici cette crainte, je suis allé au fond des choses, et je crois avoir mûrement réfléchi.

Je plains sincèrement le ministère s’il est dans cette situation. Si cette tendance existe, notre devoir est de protester, notre devoir est de la dénoncer au pays, aux amis de l’ordre, aux amis intérieurs et extérieurs de notre nationalité et de notre indépendance. Nous devons, pour sortir de cette situation, en appeler à tous, au libéralisme de bonne foi lui-même.

Peut-être le ministère protestera-t-il contre cette tendance et les craintes que je viens d’exprimer ; et je le suppose sincère dans ses protestations. Mais vous le savez, messieurs, les hommes sont ainsi faits, quelquefois ils subissent des influences même à leur insu, sans s’en apercevoir et sans les sentir eux-mêmes. Au surplus, tous les ministres sont solidaires dans des questions semblables.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je commence par remercier l’honorable préopinant de la franchise qu’il a mise dans l’exposé de ses griefs contre le ministre des travaux publics et contre le cabinet tout entier. Il y a longtemps que nous attendions l’occasion de nous expliquer nettement devant cette chambre sur des griefs, qui jusqu’ici ne s’étaient formulés que dans les journaux. Trop longtemps l’opposition qui nous est faite à vécu sur des articles de journaux ; il était temps qu’elle s’adressât, dans le sein même de la chambre, aux actes et à ce qu’on a appelé les tendances du ministère.

L’honorable préopinant a déclaré qu’il y avait par le monde un « mauvais libéralisme » antipathique à la nation, et que (il le craignait fortement) le ministère actuel se laissait entraîner, à son insu même, vers ce mauvais libéralisme. S’il y a dans le pays un mauvais libéralisme, cette couleur n’est pas celle des ministres. S’il y a dans le pays un libéralisme outré, ou toute autre passion politique exagérée, le gouvernement ne s’associe ni à ce libéralisme, ni à ces passions. Le ministère restera ce qu’il a déclaré vouloir être en entrant au pouvoir, et ce que chacun des membres en particulier du cabinet a toujours été. Pour moi, particulièrement, on peut interroger toute ma vie politique. J’appartiens depuis longtemps à cette nuance d’opinion qu’on appelle l’opinion libérale modérée. C’est avec cette nuance que je suis entré dans l’union, sous l’ancien gouvernement. Cette nuance, je l’ai conservée jusqu’à ce jour ; et je m’honore d’y appartenir encore ; car c’est sous la bannière de l’opinion libérale modérée que se sont accomplis les actes les plus importants pour le pays. C’est cette nuance qui dominait au gouvernement provisoire ; elle qui dominait dans la commission de constitution. C’est son esprit qui présida aux institutions libérales, constitutionnelles, qui font la sécurité du pays, et sa gloire à l’étranger. C’est à ce libéralisme que je me fais gloire d’appartenir. Je resterai fidèle à sa bannière. S’il y a un libéralisme mauvais et exagéré, jamais je ne m’y associerai.

Depuis un certain temps, beaucoup de choses se sont éclaircies ; beaucoup d’opinions en effet se sont rapprochées. Mais on aurait grand tort de supposer qu’il y a eu de la part du cabinet des concessions faites, soit à des exagérations, soit à des passions mauvaises. La devise du nouveau cabinet a été : impartialité pour toute opinion franche, modérée et gouvernementale ; cette devise, il continuera d’y rester fidèle. Mais, dit-on, le ministère n’inspire point de confiance, parce qu’il n’entend point la loi sur l’instruction publique conformément à la constitution, conformément à la moralité du peuple belge. On a critiqué la marche du ministère, et dans ce qu’il a fait pour l’enseignement universitaire, et dans ce qu’il a fait pour l’enseignement moyen. On n’a pas parlé, je pense, de l’enseignement primaire.

Pour l’enseignement moyen, messieurs, l’on a reproché au ministère d’avoir voulu exercer une prépondérance inconstitutionnelle, en appelant à un concours public, à Bruxelles, les élèves de tous les établissements d’enseignement moyen.

Messieurs, il faut d’abord remarquer que le établissements d’enseignement moyen, où un concours a été organisé, sont les établissements qui reçoivent un subside de l’Etat, qui, aux termes de la loi du budget, sont soumis à une inspection. En effet, l’article 3 du budget de l’instruction publique porte ; « Frais d’inspection des athénées et collèges. » le gouvernement puise donc dans la loi du budget le droit et le devoir de faire inspecter les établissements d’enseignement moyen qui reçoivent un subside du trésor.

De quelle manière maintenant peut être exercé ce droit, pour mieux atteindre le but ? Messieurs, cela devient une question de pure administration. Faut-il que le gouvernement nomme un inspecteur qui aille faire la tournée de tous les établissements, qui interroge les élèves et professeurs ? C’est le mode, messieurs, ordinairement usité.

Cependant je dois dire que ce mode avait probablement été trouvé mauvais par mes prédécesseurs, puisqu’il était tombé hors d’usage depuis un certain nombre d’années, et qu’il ne fut mis qu’une seule fois, je pense, en pratique pour un petit nombre d’établissement.

Ce mode nous l’avons considéré comme impuissant. Nous avons cru qu’interroger les élèves par voie de concours, par voie de questions écrites auxquelles ils auraient à répondre, serait faire cette inspection d’une manière beaucoup plus utile, beaucoup plus efficace. Nous avons cru, même, qu’il y avait intervention moins directe de l’Etat à envoyer aux élèves des questions écrites que de leur envoyer des inspecteurs, des interrogateurs qui pouvaient de leur personne exercer une influence contre laquelle auraient pu s’élever des personnes fort scrupuleuse en cette matière.

Ainsi, le gouvernement, voulant connaître la force des études dans les établissements auxquelles sont consacrés les subsides du trésor, a fait interroger tous les élèves en leur adressant des questions écrites. A ces questions les élèves ont répondu. Leurs réponses ont été examinées, à Bruxelles, par un jury nommé par le ministre ; puis, à la suite du travail du jury, une distribution solennelle des prix a eu lieu. Evénement, messieurs, qui, on peut le dire, a produit la meilleure impression dans le pays ; événement auquel ont applaudi tous les vrais amis de l’instruction, auquel élèves et professeurs ont répondu par des acclamations. La ville même à laquelle appartient l’honorable préopinant, Tournay, a remporté les plus belles palmes dans cette occasion, et tous les habitants de Tournay se sont associés à la joie des jeunes vainqueurs venus de Bruxelles.

Je m’étonne que l’honorable membre, qui mieux que personne a pu apprécier les heureux effets de cette institution nouvelle, ait cru devoir en faire l’objet de son blâme, et comprendre même dans ce blâme l’établissement de la ville à laquelle il appartient. Car l’honorable M. Doignon a attaqué tous les établissements salariés par l’Etat.

M. Doignon – Pas du tout.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – L’honorable M. Doignon a positivement établi en principe qu’il n’y avait pas de sécurité pour les familles dans les établissements subsidiés par l’Etat.

M. Doignon – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Voilà le principe que vous avez posé : les établissements subsidiés par l’Etat étaient déserts, parce que les parents ne leur donnaient pas leur confiance. Voilà ce que vous avez dit.

M. Doignon – Pas du tout, j’ai dit qu’assez souvent ils étaient les moins fréquentés, je maintiens le fait.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne pense pas que vous ayez mis cette restriction.

Mais je dirai que l’établissement de Tournay inspire de la confiance aux parents. J’en dirai autant de celui de Bruxelles, de celui de Liége, de celui de Bruges ; j’en pourrais citer un grand nombre. Car tous les parents ne professent pas les opinions exclusives de certains représentants de fort bonne foi, je le sais. Les parents voient les choses d’un peu plus haut, avec un peu plus d’impartialité.

Messieurs, je dois dire encore un mot sur la nomination du jury.

On a reproché au gouvernement d’avoir pris sur lui de faire les nominations de jurés chargés d’examiner les compositions des élèves. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’autre autorité à même de nommer ces jurés.

Je sais qu’il est certaines opinions qui professent l’incompétence complète de l’autorité civile à nommer aucun fonctionnaire pour l’instruction publique. Mais, grâce à Dieu, ces doctrines ne sont pas encore transformées en loi dans notre pays.

La nomination des inspecteurs appartient incontestablement au gouvernement ; et, messieurs, les jurés ont précisément rempli les fonctions qu’un inspecteur, que trois inspecteurs auraient pu remplir. Or, je ne pense pas qu’on puisse contester au ministère la nomination des inspecteurs à envoyer dans les collèges. On le peut d’autant moins qu’une allocation figure au budget pour inspection dans les établissements d’enseignement moyen.

Messieurs, si nous remontons à l’enseignement universitaire, nous ne serons pas plus embarrassés pour nous défendre que nous ne l’avons été pour l’enseignement moyen.

L’honorable préopinant s’attaquant d’abord au style du rapport présenté sur les universités, a trouvé mauvais que je comparasse les pédagogies à des espèces de serres chaudes. Messieurs, cette expression a défrayé la presse d’opposition pendant un certain temps, et elle continue encore de donner lieu à beaucoup de reproches.

Je ne tiens pas infiniment à l’expression ; je la sacrifierai même volontiers, si cela peut faire plaisir aux personnes méticuleuses en fait de style ; mais ce à quoi je tiens, c’est au fond de mes principes, au fond de ma pensée ; or, ces principes, cette pensée ont été complètement défigurés par la presse, et je ne crois pas que l’honorable membre les ait parfaitement compris.

Qu’ai-je fait dans mon rapport sur les universités ? J’ai dit que la question de pédagogie n’était pas encore jugée, qu’il y avait beaucoup de bon dans le système qui consistait à forcer les élèves à un certain travail assidu, à un travail qui se rapproche de celui de la pension ; mais qu’il y avait aussi une opinion qui pensait que les élèves parvenus à un certain âge pouvaient aussi avec utilité jouir de plus de liberté. Je me suis expliqué, messieurs, avec la plus grande circonspection sur ce point. Je dirai même que, loin d’incliner contre les pédagogies, j’incline au contraire en leur faveur.

Je crois avoir eu occasion de m’expliquer à cet égard dans d’autres circonstances. Mais c’est une question que je n’ai pas entendu dès maintenant résoudre. Je l’ai livrée à l’examen, je l’ai livrée à la discussion. Déjà la discussion a fait naître d’utiles lumières que je mettrai à profit. Mais, je le déclare, mon opinion n’a pas été de faire la guerre aux pédagogies, et surtout aux pédagogies attachées à l’université de Louvain.

Je dirai, messieurs, mon opinion sur l’université de Louvain. Je considère cet établissement comme de la plus grande utilité pour le pays, tant qu’il marche à côté des établissements de l’Etat, non pas par-dessus, mais à côté. A côté de l’université de Louvain, ayons des établissements supérieurs soutenus par l’Etat, bien dotés, donnant des garanties de bonne et solide instruction, et je crois que les libéraux sans distinction s’associeront à ma pensée.

Voici ce que j’ai dit sur les pédagogies :

« Frappées des inconvénients qu’on rencontre à abandonner les jeunes gens à eux-mêmes, au sortir du collège, quelques personnes ont pensé qu’il ne serait pas sans utilité d’annexer à nos universités des pédagogies qui permettraient de mieux surveiller et diriger les élèves. L’on ne peut se dissimuler que cette proposition soit susceptible de plus d’une objection.

« Le problème de l’instruction universitaire est complexe et délicat ; il y a tout à la fois à développer et à contenir, à diriger et à laisser faire, à exciter et à retenir ; et déjà là, comme dans la monde, la liberté et la règle doivent se trouver en présence ; par là seulement on peut donner à toutes les facultés de l’intelligence un développement harmonique. Une discipline trop minutieuse étouffe les dispositions natives, une discipline trop relâchée affaiblit les ressorts intellectuels.

« L’on se demandera avec raison si le régime reconnu bon pour l’instruction moyenne peut s’appliquer également bien aux jeunes gens qui entrent aux universités, s’il convient de les renfermer dans des pédagogies, de distribuer leur besogne, de fixer des temps d’études, de développer enfin leur esprit dans des espèces de serres chaudes scientifiques.

« Ne vaut-il pas mieux, si l’on peut s’exprimer ainsi, adopter la culture en pleine terre, dire aux élèves : Voilà des bibliothèques, des collections, tous les moyens d’apprendre, suivez la marche qui vous est indiquée par vos goûts, vos dispositions premières. Creusez, à travers la science, le sillon vers lequel la nature vous appelle.

« Ce dernier système est celui qui est adopté par les universités allemandes, et il est certain que les fruits de ce système doivent être plus vigoureux. Mais est-il également sûr ? Présente-t-il toutes garanties ? Le désir de se créer un avenir est-il suffisant ? Ce sont là de graves questions qu’il serait difficile de trancher d’une manière absolue. Leur solution dépend beaucoup de l’âge auquel les élèves seront admis, de la nature de leurs études premières, des circonstances dans lesquelles un pays se trouve sous le rapport de ses goûts scientifiques. »

Vous voyez donc que je posais la question sans la résoudre dans un sens ou dans l’autre, et surtout sans la résoudre dans un sens contraire à l’université de Louvain, le seul établissement d’enseignement supérieur qui jusqu’ici, je pense, à des pédagogies.

Le gouvernement, d’ailleurs, n’est nullement contraire en principe au système des pédagogies. Il l’a même introduit en partie dans les écoles du génie civil et des mines, annexées aux universités de Gand et de Liége. Les élèves y sont assujettis à un régime beaucoup plus sévère que les élèves des autres facultés.

L’honorable préopinant me reproche aussi d’avoir constaté dans le rapport sur les universités, l’état de faiblesse des études moyennes. Il me reproche d’avoir attaqué les établissements d’enseignement moyen, qu’il a appelés établissements libres. Je déclare, messieurs, que je ne connais pas officiellement la force des études dans les établissements libres d’instruction moyenne ; que je n’ai pas, comme ministre, à m’en occuper, et qu’on pourrait trouver mauvais, peut-être, qu’à ce titre je m’en occupasse. Je veux croire que l’instruction donnée dans les établissements libres est bonne ; mais je n’ai pas d’opinion à exprimer sur ce point.

L’opinion que j’ai exprimée ne pouvait se rapporter qu’aux établissements que j’ai le droit et le devoir de surveiller, les établissements d’enseignement moyen de nos villes, subsidiés par l’Etat. Voilà les établissements auxquels j’ai fait allusion, et la preuve qu’il ne s’agissait que de ces établissements, c’est que j’ai dit que le dernier concours avait encore révélé la faiblesse de l’enseignement moyen ; or le concours n’a eu lieu qu’entre les établissements subsidiés par l’Etat. Du reste, messieurs, ce n’est pas que je veuille mettre les établissements subsidiés par l’Etat au-dessous des établissements libres ; je crois que les établissements de beaucoup de nos villes peuvent parfaitement supporter le parallèle avec plusieurs autres établissements.

Du reste, messieurs, cette observation sur la faiblesse de l’enseignement moyen ne m’appartient pas en propre ; c’est une sorte de lieu commun qui résulte même des rapports faits par les jurys d’examen chargés de pourvoir aux grades de candidat et de docteur ; les rapports de ces jurys portent que l’on remarque une grande faiblesse dans les élèves qui se présentent, une grande faiblesse dans l’enseignement moyen.

En résumé, messieurs, les griefs articulés par l’honorable M. Doignon, je crois y avoir répondu d’une manière satisfaisante. Il a dit (et en cela je ne puis que partager son opinion), il a dit qu’il ne ferait point la guerre au ministère pour quelques actes isolés, purement personnels et de peu d’importance ; qu’une décoration, une mission ne constituent pas pour lui un grief suffisant pour donner lieu à un acte d’accusation contre le ministère. Je vous avoue, messieurs, qu’après cette déclaration j’attendais de l’honorable préopinant un exposé de griefs plus sérieux, plus considérable. Or, messieurs, cette accusation je l’attends encore.

Du reste, d’autres orateurs ont demandé la parole, et il est probable que le terrain sur lequel l’honorable préopinant ne s’est pas avancé sera parcouru par eux. Nous nous réservons, messieurs, de les y suivre. Je finirai en remerciant de nouveau l’honorable M. Doignon de la franchise qu’il a mise dans ses attaques.

M. Dechamps – Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, mon intention était de n’entretenir la chambre que de questions relatives à l’enseignement public, questions assez graves pour attirer toute notre attention. L’honorable M. Doignon et, après lui, l’honorable ministre des travaux publics, ont agrandi le cercle de cette discussion et, pour moi, je les en remercie franchement ; je pense que nous ne sommes pas restés plus longtemps ainsi mal à l’aise, les uns à l’égard des autres, que la chambre et le ministère ne peuvent pas conserver une position telle que le pays ne puisse pas savoir s’il y a une majorité parlementaire ou s’il n’y en a pas. Je remercie M. le ministre des travaux publics de sa franchise, je l’en remercie particulièrement pour moi, car il m’a enfin fourni l’occasion de me tirer de l’espèce d’hésitation pénible dans laquelle j’étais placé depuis longtemps, comme beaucoup de mes honorables collègues.

Messieurs, je commence par reconnaître que les membres du cabinet, individuellement, ont fait partie de cette majorité parlementaire, de ce parti conservateur qui a sauvé la Belgique par l’esprit d’ordre et de modération dont il a toujours fait preuve ; mais, messieurs, je l’ai dit, il y a longtemps, j’ai saisi l’occasion de la discussion du budget de la justice pour exprimer sans détour ma pensée à cet égard, je pense que les ministres, dont j’estime le caractère personnel et les antécédents, sont placés dans une fausse position vis-à-vis du pays.

Le vice originel du ministère, c’est sa formation même. Il faut bien, messieurs, prendre le pays et les chambres avec leur signification politique, et admettre les faits tels que nous les voyons. Des divisions parlementaires existent ici comme dans les assemblées politiques des autres peuples constitutionnels ; ces fractions ont pris telle et telle désignation que vous connaissez.

Eh bien, messieurs, je considère comme une faute très grave d’avoir formé un ministère d’une seule couleur. Je n’attaque ici les intentions d’aucun des ministres, j’aime à leur rendre justice sous ce rapport, mais j’affirme que ces intention droites ne peuvent changer en rien la position que le ministère s’est faite vis-à-vis des chambres, à dater du jour où il a été formé d’éléments exclusivement libéraux.

Il en est résulté, messieurs, que le ministère dont les membres avaient appartenu aux fractions modérées de la législature, est devenu peu à peu, et malgré lui, un ministère d’irritation.

Ce qui se passe dans la chambre belge ressemble beaucoup à ce qui s’est passé, depuis un an, dans la chambre française ; là aussi, messieurs, une défection déplorable a eu lieu ; M. Thiers, qui avait toujours fait partie de la fraction des conservateurs, M. Thiers l’a abandonnée pour s’allier à la gauche. Dans cette défection, lequel a le plus perdu, M. Thiers ou les 221 ? Evidement, c’est M. Thiers, qui, en renonçant à tous ses antécédents, en s’alliant avec un parti dont les doctrines n’étaient pas les siennes, a véritablement abdiqué et s’est rendu impossible pour longtemps.

Oui, messieurs, j’ai déploré la formation de ce ministère, je l’ai déplorée d’abord parce que l’ancienne majorité se disloquait, parce que je craignais voir en Belgique ce qui se passe en France, ces majorités incertaines et flottantes sur lesquelles le cabinet n’a aucun appui assuré et qui affaiblissent en même temps le gouvernement et les chambres ; mais je l’ai déplorée aussi pour les ministres eux-mêmes, parce qu’il est fâcheux de voir des hommes à antécédents modérés manquer à leur conduite antérieure et faire défait au jour où leur coopération eût été si désirable.

Messieurs, ne nous faisons pas illusion ; évidemment nous en sommes arrivés là ; nous n’avons plus que de majorités indécises et insaisissables. Le cabinet est appuyé par la fraction d’un parti avec laquelle chacun des ministres n’a jamais sympathisé depuis la révolution, ; comme M. Thiers est appuyé dans la chambre française par le parti dont les doctrines ne sont pas celles des conservateurs.

Telle est, messieurs, quelle qu’en soit la cause, telle est la position du cabinet actuel : le ministère dont les membres avaient pour but d’amener la conciliation, je veux bien le reconnaître, ce ministère est devenu, par sa constitution même et ses alliances, un ministère de division pour le pays.

Le cabinet précédent (et ici, messieurs, j’ai tout mon franc parler), le ministère précédent, qui était composé d’hommes que j’honore, était devenu aussi dans les derniers temps, et par suite de certaines circonstances, une cause ou plutôt un motif d’irritation à l’égard de ce qu’on nomme le parti libéral. Cette position que les circonstances avaient faite au ministère de M. de Theux, m’a déterminé à ne pas aider, par mes votes, à retarder sa chute que je considérais comme inévitable.

Eh bien, messieurs, le cabinet actuel, quelle que soit l’intention de ses membres, se trouve dans une situation bien autrement tranchée que celle du cabinet précédent. La défiance qu’il excite a sa justification mieux établie, on l’avouera, que ne l’avait la défiance dont une partie de la chambre s’était armée à l’égard du ministère précédent.

Messieurs, j’ai l’habitude d’être franc, et je veux ne pas m’en départir aujourd’hui.

La position embarrassée du ministère l’entraînera bientôt peut-être à adopter les principes les plus extrêmes qu’il a jusqu’ici repoussés. Ce ministère de conciliation en est arrivé là, par ce seul fait qu’il n’est pas assez parlementaire de confier son avenir à la lutte électorale qui doit avoir lieu dans quelques mois. Lui qui devait apaiser les contentions des partis, en est réduit à en appeler aux partis, à en appeler à un triomphe électoral, pour conquérir une majorité qui lui échappe et dont il a besoin pour se maintenir.

Et s’il succombait dans la lutte électorale ; le cabinet ne se verrait-il pas forcé d’adhérer au principe inscrit sur le drapeau du parti extrême, c’est-à-dire la réforme électorale ? Oui, messieurs, vous en viendrez là, malgré vous ; vous êtes sur la pente qui mène à ce résultat ; vous abdiquerez vos antécédents, parce que votre maintien au pouvoir auquel vous pouvez vous attacher, je le conçois, le bien-être de la nation vous le prescrira impérieusement. Au lieu d’attirer à vous les adversaires de l’ancienne majorité, ce sont eux qui vous auront entraînés dans leurs rangs.

Messieurs, je désire que le ministère puisse prendre une attitude telle que l’ancienne majorité se reforme, car de là dépend et le sort du gouvernement, et le sort des chambres, et l’avenir du pays. Je voudrais, messieurs, qu’un cabinet pût être accepté, et par les uns et par les autres ; que sa formation fût telle qu’il fasse cesser les défiances, qu’il réconcilie non dans les mots mais dans les faits, et qu’on ne puisse plus lui donner un de ces noms de parti, tels qu’on est habitué à les prononcer en Belgique depuis quelques années. Je voudrais un de ces ministères de vraie conciliation à l’ombre duquel les chambres pussent s’occuper des grands intérêts du pays, intérêts qu’il est impossible de ne pas oublier au milieu des préoccupations dans lesquelles nous nous trouvons depuis quelques temps.

Messieurs, j’aborderai maintenant des questions fort importantes relatives à l’instruction publique. Et d’abord, mon intention, en appelant l’attention sérieuse de la chambre sur une question si grave, n’est pas du tout de soulever des débats irritants. Je ne comprends vraiment pas qu’on ait pu choisir des questions d’instruction publique pour en faire des questions de parti. L’instruction publique, messieurs, est une question de famille, une question d’honnêtes gens, ce n’est pas une question de parti, c’est bien la dernière des questions sur le terrain desquelles les partis devraient s’appeler pour se combattre.

Une chose m’étonne souvent, c’est de voir que nous paraissons être en dissidence sur les notions même élémentaires de l’instruction publique, notions qui sont regardées comme des axiomes par tous les publicistes, par tous les hommes d’Etat, dans tous les pays où l’on s’est sérieusement préoccupé de l’instruction publique.

Avant de porter les débats sur ces questions générales, je veux, messieurs, vous parler un moment des concours dont M. le ministre des travaux publics nous a entretenus tout à l’heure.

Pour mon compte, j’incline à croire que ce concours est une chose fort utile, cependant vous savez que les opinions sont très divergentes à cet égard. En France, le système des concours a des partisans et des adversaires. Ce n’est pas cette question d’utilité que je veux maintenant envisager, c’est la question de légalité, légalité beaucoup plus sérieuse qu’elle n’en a l’air au premier coup d’œil, question de légalité qui est importante à mes yeux, mais à cause de cette censure prise isolément, mais à cause du système dans lequel, à l’aide de cette censure, le gouvernement voulait entrer.

Je me suis demandé, messieurs, si par cela seul que nous accordons au gouvernement des subsides à distribuer aux collèges et aux écoles, nous lui accordons le droit d’attacher à la distribution de ces subsides telle condition organique qui tend à réglementer l’enseignement lui-même, c’est-à-dire si le gouvernement a le droit de faire par des arrêtés ce que la loi doit faire elle-même.

Quel sera l’objet des lois sur l’enseignement primaire et moyen que nous allons discuter ? Mais évidemment l’objet de ces lois sera de régler nécessairement les conditions attachées aux subsides que le trésor pourra accorder aux établissements d’instruction ; conditions d’admission pour les instituteurs, matières d’enseignement, inspection.

Eh, messieurs, c’est là toute la question. Or, par le concours qui a été établi pour l’enseignement moyen par M. le ministre des travaux publics, on a réglé d’avance et le mode d’admission aux subsides, et les matières d’enseignement réglées par le programme des concours, et le mode d’inspection. Véritablement, c’est là une des bases de la loi organique que la chambre sera appelée à voter.

Ainsi, messieurs, en présence de l’article 17 de la constitution qui a voulu que l’enseignement donné aux frais de l’Etat fût réglé par la loi, je ne comprends pas qu’on puisse soutenir la légalité des mesures ministérielles tendant à poser sans l’intervention de la législature les bases organiques de l’enseignement moyen.

Mais, messieurs, pour vous faire toucher au doigt l’impossibilité qu’il y a pour le gouvernement de régler ainsi une partie de l’enseignement moyen ou primaire par des mesures exceptionnelle, par des arrêtés ministériels, il me suffira d’appeler l’attention de la chambre sur une question grave que la mesure arrêtée par le gouvernement a tranchée de la manière la plus fâcheuse, selon moi.

Vous le savez tous, messieurs, la question fondamentale qui a été agitée de tout temps, dans tous les pays, par tous les hommes qui se sont occupés le plus sérieusement de cette matière, c’est la question religieuse. Dans tous les pays civilisés, en Allemagne, en Angleterre, en Ecosse, aux Etats-Unis, dans les cantons suisses, l’enseignement moral et religieux forme la base invariable de toute espèce d’instruction donnée aux frais de l’Etat. C’est même là le but principal que les législations ont voulu atteindre en Angleterre, par la liberté, en Allemagne par l’organisation.

Je ne m’étendrai pas pour le moment sur ces questions, vous les connaissez ; vous savez que c’est sur ces questions que les débats devront surtout porter. Eh bien, le gouvernement a tranché ces questions, en ne comprenant pas dans ses concours l’enseignement moral et religieux ; par là, le gouvernement a implicitement décidé, pour l’enseignement moyen que ces matières n’étant pas obligatoires dans les collèges subsidiés, pouvaient par conséquent être négligées.

Je prévois la réponse de M. le ministre ; il me dira : « Pouvais-je, moi ministre, introduire dans les matières d’enseignement l’instruction religieuse, alors que l’Etat est placé en dehors des cultes ? » Mais c’est précisément pour cela que le ministre ne pouvait pas prendre un arrêté appuyé sur une base aussi fausse. Or, le principe, la séparation de l’éducation et de l’instruction, principe sur lequel repose la mesure relative aux concours, a été regardé partout et toujours comme un principe pernicieux, antisocial. Le gouvernement n’a pas le droit de poser des principes pernicieux, n’a pas le droit de faire des arrêtés radicalement mauvais. Partout cette question a été regardée comme se liant aux droits de la conscience. L’honorable M. Lebeau, lorsqu’il était gouverneur de la province de Namur, a dit avec grande raison qu’on ne pouvait toucher à cette question que d’une manière modérée et délicate, parce que toute question d’instruction publique était intimement liée aux droits mêmes de la conscience.

C’est ainsi que sir Robert Peel et tous les hommes d’Etat en Angleterre se sont exprimés quand cette matière était soumise à leur délibération.

Les établissements subventionnés par l’Etat et dont serait exclue l’instruction religieuse, seraient à mon avis radicalement inconstitutionnels. La mesure prise par le gouvernement, en consacrant le principe de la séparation de l’instruction et de l’éducation est entachée d’illégalité et renferme un germe funeste.

Messieurs, si je combine cette mesure ministérielle avec les mesures prises depuis quelques années par la plupart des provinces, on est frappé d’une chose, c’est que l’enseignement primaire et moyen est pour ainsi dire tout organisé en Belgique, sans l’intervention de la législature.

Vous savez, messieurs, que la plupart des provinces ont établi des commissions d’examen, ont exigé des certificats de capacité, c’est-à-dire ont formulé une loi d’enseignement primaire à peu près complète.

C’est ainsi qu’on a procédé sous l’ancien gouvernement : en 1817, des jurys d’examen ont été nommés par le gouvernement dans quelques provinces. Ces jurys ont été transformés peu à peu en commission d’examen avec des attributions plus étendues, jusqu’au moment où le gouvernement précédent a pris les arrêtés de 1825 qui ont complété l’organisation. Eh bien vous vous en souvenez, messieurs, l’opposition des états-généraux s’est élevée précisément contre ce principe de réglementer l’enseignement par des arrêtés ministériels sans l’intervention du parlement et contre cet autre principe qui mettait dans un entier oubli l’instruction religieuse.

A l’heure qu’il est, dans la plupart des provinces belges, les arrêtés de 1825 sont presque complètement mis en exécution. Or, je vous le demande, peut-on se faire une position plus extra-légale que celle-là ?

En 1839, la même question que je soulève aujourd’hui a été agitée dans le parlement d’Angleterre. Voici quelle décision est intervenue. Jusqu’en 1839, le gouvernement central en Angleterre n’avait que le droit de distribuer des subsides aux écoles, mais il ne pouvait pas répartir ces sommes à son gré ; il était obligé d’opérer cette distribution par l’intermédiaire de deux grandes sociétés d’écoles qui comprenaient sous leur patronage les différents cultes existant en Angleterre.

Or, lord Russel avait proposé au parlement d’accorder au gouvernement l’autorisation de distribuer une partie de ces subsides aux établissements qui jugerait utile de secourir, sans recourir à l’intermédiaire des deux sociétés que je viens de nommer. Eh bien, ce que lord Russel demandait au parlement, nous l’avons accordé au gouvernement belge depuis dix ans de la manière la plus étendue ; le gouvernement, en Belgique, peut distribuer les subsides à sa guise, jusqu’au moment où la loi réglera l’instruction.

Voici, messieurs, l’accueil fait à la proposition de lord Russel, non par des anarchistes, mais par des hommes d’Etat, des hommes habitués, en Angleterre, à défendre les prérogatives du pouvoir central. Voici ce que disait lord Stanley :

« D’après le plan du ministre, disait lord Stanley, le comité du conseil privé peut distribuer, sans règle ni contrôle, les 30,000 livres sterl. votés annuellement.

« Imposer à un tel corps les devoirs les plus pesants, l’investir des pouvoirs les plus extrêmes (most extreme), c’est élever contre soi les plus fortes objections. C’est conférer à ce comité non seulement les attributions du pouvoir exécutif, mais celles de la puissance législative ; c’est donner aux fonctions qu’il exercerait le caractère d’une véritable délégation du parlement. C’est une idée folle, dangereuse, impossible, de proposer que l’instruction du peuple dépende en quoi que ce soit des fluctuations ministérielles, et soit mêlée aux contentions des partis. Je m’oppose à ce que l’exercice d’un pouvoir aussi exorbitant soit confié à un ministère quel qu’il soit. »

Sir. R. Peel allait beaucoup plus loin que son ami Stanley. Voici ce que disait sir R. Peel : « Il ne convient pas de juger par un simple vote de subside une question de cette importance, auquel il faut ajouter quelques institutions précédemment adoptées. Le plan est le fondement d’une organisation de l’éducation nationale, et si on laisse faire le gouvernement, il soutiendra, armé de ces antécédents que, puisqu’on lui a permis de poser les bases par un simple vote, personne n’a le droit de s’opposer à ce qu’il élève de la même manière tout l’édifice.

« Les ministres, dans des intentions pures, et dans la conviction que leur maintien au pouvoir est nécessaire au bien-être public, peuvent employer la puissance qu’on leur laisserait sur l’instruction publique, dans le seul but d’offrir des concessions au parti qui les maintient au pouvoir. L’éducation devient donc dès lors une chose accessoire et subordonnée aux vues des partis et aux considérations politiques. »

En bien , ce pouvoir si exorbitant aux yeux des conservateurs anglais, nous l’avons accordé au gouvernement. Mais il veut aller plus loin, il veut distribuer des subsides en y attachant des règles organiques, il veut poser les bases d’une organisation complète de l’instruction primaire et moyenne. Quand je dis le gouvernement, je devrais comprendre aussi les provinces.

Messieurs, il est une idée qui paraît avoir cours en Belgique et en France. C’est cette idée que l’argent des contribuables doit être employé à faire concurrence aux établissements fondés en dehors de l’action de l’’Etat. Ce principe serait considéré comme une absurdité en Angleterre et en Allemagne, partout où l’enseignement primaire et moyen est développé.

Cette idée est toute française. Elle ne date que de 1789. Sans doute il faut que l’Etat vienne en aide aux institutions particulières, aux associations. Si c’est là ce qu’on veut dire par concurrence, je l’admets ; mais si vous voulez parler d’une concurrence qui paralyse les efforts individuels, les efforts des associations particulières, je dirai avec lord Brougham lorsqu’il était chancelier, je dirai… « que cette intervention de l’Etat est ruineuse pour l’instruction, qu’elle ne peut qu’en arrêter le progrès. »

Je suis loin de me refuser à l’intervention rationnelle du pouvoir civil. Son action doit être supplétoire, et je reconnais qu’il y a des choses à faire, des lacunes à combler, des améliorations à apporter ; mais ces améliorations, c’est à la loi et non au ministère à les introduire.

Maintenant on dira : « Ce n’est pas au gouvernement qu’il faut adresser ce reproche, mais à la législature, à la section centrale qui était chargée de présenter un rapport sur l’enseignement primaire et moyen. » Messieurs, si ce reproche était fondé, la faute de la section centrale ne laverait pas celle du gouvernement ; mais mon observation ne resterait pas moins intacte, l’illégalité de la mesure du gouvernement ne serait pas moins flagrante.

Messieurs ; doit-on s’étonner qu’en Belgique on soit resté pendant plusieurs années à méditer sur un sujet de cette importance, quand on a vu en Angleterre le parlement ordonné pendant dix ans vingt-et-une enquêtes pour trouver enfin les base sur lesquelles asseoir un bon système d’enseignement primaire et moyen et ne pas savoir les trouver, quand on a vu je ne sais combien de bill présentés depuis dix ans par le gouvernement et la législature, sans que le parlement ait osé se prononcer ; lorsqu’en France, avant l’adoption de la loi de 1833, cinq projets ont été successivement présentés et retirés. Le projet adopté par la chambre des députés a été rejeté par la chambre des pairs et a dû être remanié par la chambre des députés. Les auteurs de la loi française, MM. Guizot et Cousin, n’ont-ils pas déploré que les circonstances dans lesquelles la France s’est trouvée n’avait pas permis de proposer une loi définitive ?

Les auteurs de la loi française considèrent leur loi comme provisoire, comme présentant des lacunes immenses sous le rapport religieux surtout. Quand je vois le ministère actuel annoncer l’intention de présenter un projet complètement remanié ; quand je vois qu’en France, depuis dix ans, on n’a fait que des essais et que rien de formel et de stable n’a été établi, peut-on s’étonner que la Belgique ait hésité ?

En Hollande, dont on vante l’organisation de l’enseignement primaire et moyen, le gouvernement a nommé une commission pour examiner de nouveau la législation de 1806 regardée maintenant comme tout à fait incomplète.

Pour moi, j’avoue que je me réjouis presque des retards apportés au vote de la loi sur l’enseignement primaire et moyen, parce que je suis convaincu que si on l’avait votée il y a quelques années, lorsque la question était peu comprise, était peu mûrie, au milieu des préoccupations politiques dans lesquelles nous nous sommes trouvés, cette loi eût été mauvaise, j’en ai l’intime conviction ; maintenant, nous pourrons nous servir des essais plus ou moins fâcheux tentés par les nations voisines, et je pense que cette question, qui était considérée comme une question de parti, sera désormais considérée comme ayant pour but d’apporter des améliorations dans l’instruction primaire et moyenne en Belgique. Comme je le disais en commençant, je suis convaincu que cette question deviendra uniquement une question d’honnêtes gens, une question de famille et non une question de parti.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, à en juger depuis quelque temps par la violence de certains organes extra-parlementaires de l’opposition, nous devions nous attendre à voir, par une réaction naturelle du dehors de cette chambre, à voir bientôt dresser ici contre nous une longue liste de griefs sérieux. Je dois, d’après cela, être surpris, messieurs, que les honorables préopinants habitués, cependant, à dire toute leur pensée, aient restreint singulièrement ce cercle. L’un de ces orateurs, avec une franchise et une élévation d’esprit auxquelles je dois rentre hommage, a fait bonne et prompte justice de quelques griefs misérables qui, depuis plusieurs mois, défraient une partie de la presse opposante. Il les a jugées indignes, sous peine de compromettre la dignité parlementaire, d’être l’objet d’une discussion grave dans cette enceinte. Nous remercions l’honorable préopinant de s’être élevé à cette hauteur et de n’avoir pas été ici l’organe de puériles accusations.

S’adressant au ministère des travaux publics dans les attributions duquel se trouve une des missions les plus délicates, les plus difficiles à exercer, il s’est attaché particulièrement à un acte qui, je le crois, honore l’administration, à un acte posé avec la plus entière conviction qu’il n’impliquait pas le plus léger manque de respect à une liberté précieuse, écrite dans notre constitution, celle de l’enseignement, à un acte que toutes les opinions modérées dans le pays ont accueilli avec sympathie et reconnaissance.

Mon honorable collège et ami le ministre des travaux publics sera probablement ramené sur ce terrain, qu’il connaît mieux que moi, par les observations qui viennent d’être présentées sur cette matière délicate par le dernier orateur.

Cet honorable membre a été aussi sobre d’accusations contre le ministère ; il a même, avec une honorable loyauté, rendu justice à ses intentions. Mais à défaut d’actes de quelque valeur, il s’est attaché à signaler les vices de sa composition et les tendances auxquelles il est, selon lui, invinciblement condamné.

Eh bien, messieurs, je crois qu’il n’est pas difficile de donner sur ce point des explications complètement satisfaisantes. Certes, messieurs, si ceux qui ont été appelés par la confiance royale à la difficile mission de composer un cabinet avaient eu sur la formation du nouveau ministère les idées de l’honorable préopinant, s’ils avaient pu parvenir à les mettre en pratique, oh, assurément, ils se seraient épargné des soucis personnels, ils se seraient donné pour quelques temps une certain apparence de force, une certaine liberté d’action.

Mais, messieurs, des considérations d’un ordre plus élevé doivent diriger ceux qui sont appelés à remplir une pareille mission. Ce qu’il leur faut, c’est que tout le monde puisse entrer et rester honorablement dans un cabinet ; ce qu’il leur faut, c’est une des alliances qui n’auraient pas été suffisamment expliquées ne passent pas pour un pacte dans lequel chacun cède une partie de ses principes ; ce qu’il leur faut, c’est que chacun reste digne en entrant au pouvoir et reste digne en le quittant. (Très bien ! très bien !)

Aussi, tout en rendant hommage à certaines opinions, à certains caractères, à certains talents qui honorent les chambres et le pays, il est, cependant, parmi les hommes les plus honorables et les plus capables, de ces positions prises depuis longtemps, tellement excentriques, qu’elles excluent, jusqu’à la solution des grandes questions sur lesquelles il y a divergence, toute alliance honorable, parce que ces alliances, ces rapprochements, s’ils ne s’opèrent au grand jour de la tribune parlementaire, ne seraient pas compris par le pays. La chambre sentira que les convenances ne permettent pas que je m’étende davantage sur ce sujet. J’en ait dit assez, je crois, pour faire comprendre les considérations qui nous ont déterminé à renoncer à former ce que l’honorable membre appelle un cabinet mixte, tout en reconnaissant les avantages que, dans un ordre secondaire, cette composition aurait pu offrir à des hommes qui n’auraient été déterminés que par le désir de s’épargner quelque embarras, quelques dangers personnels.

Nous avons pensé que ce qu’il fallait au pays, c’était un cabinet homogène, un cabinet dans lequel chacun professât les mêmes principes généraux de gouvernement, un cabinet qui fût d’accord sur toutes les grandes questions de gouvernement et d’administration. Nous n’avons pas senti le besoin de donner des cautions contre certaines défiances, parce qu’aucun de nous n’a éprouvé en lui-même la moindre antipathie, la moindre hostilité contre aucune opinion modérée et vraiment constitutionnelle.

S’il s’était trouvé parmi nous des hommes auxquels se rattachât le souvenir d’opinions extrêmes, quoique modifiées, quelques antécédents équivoques, alors peut-être le besoin d’inspirer de la confiance contre le retour de tels antécédents, à de pareilles opinions, aurait pu nous conduire à la composition de ce que le préopinant appelle un cabinet mixte. Mais, quand chez aucun membre du cabinet, à quelque époque qu’on pût se reporter, on ne trouvait ni langage, ni actes hostiles, rien, enfin, qui pût éveiller avec raison les susceptibilités de toute opinion consciencieuse, nous avons pensé qu’un cabinet homogène était, dans les circonstances d’alors surtout, ce qui convenait le mieux au pays.

De là, dit-on, de ce vice originel est née la disparition de la majorité dans cette chambre. Ah ! messieurs, des majorités parlementaires fixes, comme la vieille Angleterre seule, l’Angleterre d’avant la réforme, et non l’Angleterre moderne, les offre, ces majorités vous ne les voyez nulle part ; vous ne les voyez plus même sur cette terre classique du gouvernement représentatif.

Vous ne les voyez pas en Angleterre, où presque chaque année l’existence du ministère est remise en question. Vous ne les voyez pas en France, où, presque chaque semestre, s’élève une nouvelle administration. Pourquoi en est-il ainsi ? parce que les opinions divergentes ne s’unissent guère que pour accomplir un grand acte, en Angleterre, la réforme, en France la révolution de juillet. Mais quand les opinions divergentes sont arrivées à ce grand but, par la fatalité des choses, par une infirmité de la nature humaine, les opinions se fractionnent, se divisent. Ce qui peut faire penser qu’en Belgique nous n’avons pas à craindre autant ce fractionnement des opinions, c’est qu’en Belgique, du moins, nous avons encore des dangers à surmonter, un grand but à poursuivre.

Mais où donc était cette majorité, avant la formation du ministère ? On parle de défections. Mais l’honorable préopinant lui-même avait fat défection à cette majorité dont il déplore la disparition. Je cherche où était cette majorité sur les grandes questions politiques avant la formation du ministère. Je ne la vois que par l’accession à l’ancien ministère de l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. Elle n’a jamais été que là (adhésion) ; elle ne peut être encore ferme, durable, que dans l’union des deux opinions modérées.

Vous parlez d’alliances, d’appuis non réclamés, mais honteusement subis. Messieurs, dans l’appui qu’on nous prête, de quelque part qu’il vienne, j’estime qu’il n’y a rien que d’honorable pour tous ; pour ceux qui le reçoivent comme pour ceux qui le donnent : pour ceux qui le reçoivent ; car il faut qu’amis et adversaires le sachent, ils ne le reçoivent à aucune condition. Ils n’ont abandonné pour l’obtenir (je tiens à le dire hautement pour moi, hautement au nom de mes collègues), aucune conviction, aucune opinion antérieure ; jamais, qu’on le sache bien, ils n’accepteront de personne l’amnistie de leur passé parlementaire et politique.

Les partis ! mais les partis sont-ils donc soudés à une date, à une époque ? Le temps, la réflexion, les jours de calme, l’expérience du gouvernement représentatif, ne sont-ils donc rien pour les partis ? Croyez-vous que nous devions être éternellement parqués en deux grandes fractions ? N’est-il pas, au contraire, inévitable que, dans un pays où la moralité est si générale, quelle que soit l’opinion à laquelle on appartienne, l’expérience, le temps n’amènent tous les jours des réconciliations, des rapprochements au profit de l’opinion véritablement gouvernementale.

Oublie-t-on que ceux qui se posent aujourd’hui en conservateurs ont, à l’aurore de la révolution, glorifié ouvertement la république fédérative ? Oublie-t-on que ceux qu’on dit aujourd’hui ne pas appartenir à l’opinion conservatrice, sont ceux-là même qui, dans mon opinion, ont aidé le gouvernement à sauver la nationalité belge, en amenant le traite du 19 avril 1839 ? Ne sont-ce pas eux qui ont prêté leur appui au ministère, quand il est venu courageusement (je le dirai à son honneur) clore en quelque sorte la révolution belge par notre réconciliation générale avec l’Europe… J’ai tort peut-être de parler de notre réconciliation générale avec l’Europe, car cette réconciliation n’est pas complète et je ne sais si ce n’est pas dans le parti qui se pose en conservateur, qu’on trouverait ces hommes qui ont fait surgir les derniers obstacles à cette réconciliation. (Sensation).

Le ministère est indépendant de toute opinion extrême. Lorsqu’il s’est agi, dans la discussion des budgets, de la légation de Rome, du traitement du cardinal-archevêque, du subside du séminaire de Rolduc, il a prouvé qu’il n’appartenait qu’à lui-même. Il n’a pas craint de se montrer dans ces circonstances en désaccord avec d’honorables membres qui l’appuyaient, sûr qu’ils rendraient justice à la sincérité de ses opinions comme lui-même rendait justice à la sincérité, à l’indépendance de toutes celles qui se produisaient dans cette chambre.

Tels nous fûmes, telles nous serons. Tels nous fûmes avant 1830, tels nous fûmes pendant la révolution, au congrès, aux chambres, au ministère, dans l’administration de provinces ; tels nous serons ; éloignés de tous les extrêmes, plantant notre drapeau, comme nous l’avons dit dans un autre temps, au milieu de toutes les opinions modérées et nationales. Certes, nous ne sommes pas les héritiers d’une philosophie surannée, passé à l’état de friperie ; mais nous ne reculerons pas non plus vers une autre sphère d’idées qui nous ramèneraient à 1790, c’est-à-dire jusqu’à Vandernoot.

Un grand nombre de voix – Bien, très bien !

M. de Mérode – Je voudrais avoir l’explication d’un mot que vient de prononcer M. le ministre des affaires étrangères. Il a déclaré que notre réconciliation n’était pas complète avec l’Europe et que l’ajournement de cette réconciliation ne dépendait pas du parti conservateur. Je voudrais savoir en quoi notre réconciliation n’est pas complète et ce qu’il a entendu par là.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je crois avoir été compris par tout le monde et par l’honorable préopinant lui-même L’honorable préopinant croit me placer dans une position difficile et me provoquer à prononcer des noms propres. Je n’en ferai rien. Je respecterai toutes le convenances. Je respecte trop aussi l’intelligence de l’honorable membre pour douter qu’il ne m’ait compris et j’estime trop celle de la chambre pour croire qu’elle ait besoin que j’explique davantage ma pensée.

M. de Mérode – Demain je donnerai l’explication.

M. Dechamps – Si des paroles sonores et éloquentes peuvent donner raison, certes M. le ministre des affaires étrangères peut se féliciter d’avoir obtenu ce résultat ; mais si je dépouille ce qu’il vient de dire de ces dehors brillants, vous trouverez, messieurs, que bien loin de contredire mes assertions, il les a presque toutes confirmées.

D’abord, j’avais dit que le vice originel du ministère avait été sa composition exclusive ; j’avais soutenu qu’en présence du pays et des chambres tels qu’ils sont divisés, un cabinet formé de tels éléments pouvait être difficilement national et parlementaire. Eh bien, qu’a répondu M. le ministre des affaires étrangères ? Il a dit : Oui, notre ministère est exclusif ; oui, notre ministère est d’une seule couleur. Il s’est borné à vous expliqué par quel motif, par quelles circonstances, on était arrivé à former un ministère avec de pareils éléments. Il vous a dit qu’un ministère mixte n’aurait pu s’organiser que par un échange de concessions incompatibles avec la dignité de chacun, que par le sacrifice qu’on aurait fait, des deux côtés, de principes essentiels.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – En apparence.

M. Dechamps – En apparence, si vous le voulez, mais de telle manière que l’opinion publique n’eût pu apprécier de pareilles alliances et un pareil concours.

Vos principes présumés étaient donc un obstacle à la conclusion d’une alliance avec les hommes modérés de l’autre partie de la chambre ; vous êtes donc un ministère d’exclusion.

N’est-ce pas la pleine confirmation de ce que je disais tout à l’heure de la formation du cabinet !

M. le ministre des affaires étrangères a avoué aussi que la majorité était indécise. Mais il vous a dit : « Où sont donc les majorités parlementaires dans les pays constitutionnels ? Vous ne la trouvez pas en Angleterre, vous ne la trouvez pas en France.

Et voilà votre aveu ! nous en sommes donc aussi en Belgique à nous trouver dans la position embarrassante et fâcheuse des chambres françaises, cherchant en vain leur majorité perdue, et rendant le gouvernement impossible !

Messieurs, un tel aveu, je vous l’avoue, je ne croyais pas l’entendre de la bouche de l’honorable ministre des affaires étrangères ; c’est précisément ce malheur auquel je ne croyais pas encore mon pays condamné, que nous devons tacher de détourner, et malheureusement la formation exclusive du cabinet n’est propre qu’à le provoquer inévitablement.

Mais, a ajouté l’honorable ministre, cette majorité était-elle acquise au ministère précédent ?

Messieurs, à la vérité dans les derniers temps, dans les derniers jours du ministère précédent, cette majorité a paru lui échapper. Mais, il faut bien le dire, il était connu de tous les hommes qui s’occupent des affaires publiques, il était connu depuis bien des années que le ministère qui aurait présenté à la chambre le traité des 24 articles, était destiné à ne pas survivre cette épreuve. Tout le monde savait que le ministère qui aurait présenté le traité se serait usé rapidement après avoir demandé au pays de consommer ce grand sacrifice.

Oui, je pense aussi que le cabinet précédent, comme il était constitué à la veille de sa chute, et je n’ai pas caché ma pensée alors, était un cabinet usé. Maintes fois dans cette assemblée, j’ai averti le cabinet précédent que si un remaniement n’avait pas lieu qui le fortifiât et offrît des gages aux divers partis, sa durée ne serait pas longue. Ce que j’ai dit au cabinet précédent, je le dis au cabinet actuel.

Je soutiens que le cabinet actuel est dans une position bien plus embarrassée, bien plus fâcheuse à l’égard de la chambre, que ne l’était cette prise par l’ancien ministère.

Eh bien ! messieurs, cet affaiblissement de l’ancienne majorité, à laquelle les membres du ministère actuel ont appartenu, c’est ce qu’il faut éviter. Le cabinet, en proclamant son but de conciliation, devait, pour se maintenir, recomposer cette majorité ; mais le vice de sa composition a rendu cette tâche impossible pour lui.

Mais ce sont là des allégations ; où sont les actes ?

On demande des actes, mais les 221 ont-ils appuyé sur des actes formels leur première opposition contre M. Thiers ?

Eh non ! Mais il y avait une position comprise d’instinct par tout le monde, comme tout le monde comprend ici le vôtre.

Messieurs, je ne sais si c’est à moi que M. le ministre des affaires étrangères a voulu faire allusion, lorsqu’il vous a dit que des membres qui voulaient se poser comme faisant partie de la fraction des conservateurs dans la chambre belge, avaient professé dans d’autres temps des opinions fédératives.

Si c’est à moi que M. le ministre a voulu faire allusion, je lui dirais qu’il met peu de générosité et de convenance dans cette attaque.

D’abord les opinions que j’ai soutenues alors, et je ne faisais pas partie de la chambre à cette époque, étaient les mêmes au fond que celle qu’il défendait.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Pas du tout, jamais.

M. Dechamps – C’étaient celles que défendait du moins un de vos honorables collègues au ministère. Je ne professais pas les opinions que l’on me prête, mais les principes libéraux qui ont été adoptés dans la constitution.

En supposant même qu’il y a quelques dix ans j’ai professé des opinions que je n’adopte plus maintenant, où serait le mal ? Je me trouverais dans la position de tous ceux qui se sont occupés de matières politiques.

L’honorable ministre des affaires étrangères vous a dit : « Mais est-ce bien la fraction de la chambre que l’on désigne aujourd’hui par parti conservateur, est-ce bien cette fraction qui a sauvé le pays lors de la discussion du traité de paix ? »

Messieurs, je ne veux pas renouveler cette mémorable discussion ; mais je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s’il oserait bien désigner, sans hésitation, laquelle des deux fractions de la chambre, celle qui voulait l’approbation du traité ou celle qui en voulait le rejet, était dirigée par les intentions les plus conservatrices.

Messieurs, je rends justice à l’intelligence de l’honorable ministre ; je respecte son opinion individuelle comme il doit respecter la mienne. Mais, après l’expérience que l’on a faite, je ne sais s’il est un homme d’Etat qui oserait affirmer que le parti conservateur est exclusivement celui qui a adopté le traité.

Les intentions étaient droites, et en supposant que les adversaires du traité eussent commis une exagération politique, vous conviendrez, messieurs, que cette exagération était bien noble, puisqu’elle provenait d’un sentiment profond de nationalité.

(Moniteur belge n°62 du 3 mars 1841) (Ce discours a été repris dans cette édition postérieure parce que « de nombreuses inexactitudes et fautes de sens » faussaient le discours inséré dans le Moniteur n°58 du 27 février 1841) M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, je ne chercherai pas à expliquer les paroles de M. le ministre des affaires étrangères ; ces paroles s’expliquent assez d’elles-mêmes. Mais ce que vient de dire l’honorable préopinant me prouve qu’il ne les a pas parfaitement comprises.

Je ne dirai pas de lui que ses paroles sont des paroles sonores, des phrases éloquentes ; je dirai seulement qu’il y a beaucoup d’assertions dans ce qu’il vous a dit ; mais que des preuves, il n’y en a aucune.

Je ne m’arrêterai pas à vous parler de la formation du ministère ; ce que vous en a dit l’honorable ministre des affaires étrangères suffit.

Mais l’honorable préopinant, portant sur le ministère un jugement qu’il était loin d’en porter au moment où il a paru, l’a déclaré un ministère d’irritation, un ministère qui tôt ou tard serait forcé de s’appuyer sur des hommes dont les doctrines anarchiques l’entraîneraient lui et le pays vers une ruine certaine, si on ne l’arrêtait pas à temps.

Voilà l’analyse de son discours : Ministère d’irritation, ministère dont les appuis doivent abîmer le pays.

Ministère d’irritation ! Et pourquoi s’il vous plaît ? En quoi ministère d’irritation ? Quels sont les faits ? Quels sont les doctrines que vous avez à reprocher à ce ministère ? Car pour proclamer qu’un gouvernement et un gouvernement d’irritation, il faut au moins des faits, il faut au moins des doctrines. Cela est grave, messieurs, qu’un gouvernement d’irritation ; un pareil gouvernement perd le pays à la tête duquel il a eu la témérité de se placer.

Des faits, messieurs, il n’en est aucun qu’on puisse nous reprocher, du moins, tel et en tel nombre qu’on puisse y voir un système. Des doctrines, il n’en est aucune, que nous ne soyons prêt à justifier, quand on aura indiqué quelles sont les doctrines qu’on nous reproche.

On a cru, il est vrai, pourvoir critiquer quelques actes isolés ; mais ces actes, nous les avons expliqués. Ces actes d’ailleurs ne forment pas un système pour lequel on puisse condamner un gouvernement, méritassent-ils même la critique qu’on en a faite.

Nous avons, messieurs, depuis que nous sommes à la tête du gouvernement, nous avons dirigé le pays dans la voie où nous était possible de le diriger au milieu des circonstances où nous avons pris le timon des affaires. Nous avons fait exécuter les lois ; nous avons apportée, autant qu’il était en nous toutes les améliorations possibles dans l’administration. Si législativement surtout nous n’avons pas fait davantage, c’est qu’il faut accorder quelque chose au temps, c’est que depuis quatre mois que les chambres sont assemblées, les jours se sont passé uniquement en discussion de budget et, à l’heure qu’il est, ils sont loin encore d’être votés.

Ces discussions, nous les avons accélérées autant qu’il a été en nous, mais pas plus qu’il n’a été en nous, et au-delà aucun reproche ne peut nous être adressé.

Voilà pour les faits. Pour les doctrines, quelles sont celles qu’on ait le droit de nous imputer, dont on ait le droit de nous faire un tort ? Il n’en est encore aucune. Chaque fois qu’on a cru devoir attaquer le ministère sur ce point, chaque fois que nous avons expliqué quel était l’esprit qui nous anime, quels étaient les principes qui nous servaient de guide et de règle ?

Je ne répéterai pas ce qu’à plusieurs reprises j’ai dit dans cette enceinte, je me résumerai en peu de mots : fermeté et impartialité pour toutes les opinions ; et je crois que c’est là la position que doit prendre un gouvernement.

Nous imputerait-on peut-être les doctrines émises dans une publication qui nous est tout à fait étrangère, nous en ferait-on un tort ? A un pareil reproche, il n’y a d’autre réponse qu’une dénégation formelle : Le ministère est tout à fait étranger à ces écrits. Les doctrines qui y sont émises, nul n’a le droit de les lui attribuer ; elles n’ont rien de commun avec celle qu’il a proclamée ici, et dont il n’a dévié ni ne déviera. Ces doctrines, je le dis à regret, divisent le pays en deux camps, les catholiques et les libéraux ; et cette division, je la répudie pour mon compte ; je vois avec peine que des hommes sensés et de bonne foi puissent y voir l’état réel de la Belgique et entretiennent ainsi des opinions erronées, dont l’effet doit être tôt ou tard de désunir et d’affaiblir le pays.

Pour le gouvernement, messieurs, il n’y a ni catholiques ni libéraux ; il n’y a que des citoyens belges, tous égaux devant la loi. Et pour moi, si je dois m’expliquer davantage sur ce point, je ne sais pas, et je crois que ceux qui se disent catholiques, comme ceux qui se disent libéraux, seraient fort embarrassés d’expliquer ce que c’est qu’un catholique, ce que c’est qu’un libéral sous la loi constitutionnelle qui nous régit.

Je sais qu’il y a certaines personnes qu’on désigne sous le nom de libéraux et qui sont ennemies de toute religion et de toute institution religieuse. Je sais bien aussi qu’il y a certaines personnes qu’on désigne sous le nom de catholiques et qui ont pour doctrine que le gouvernement et l’administration publique doivent être indirectement sous le contrôle de l’Eglise. Mais ces personnes sont en très petit nombre en Belgique ; elles ne peuvent former parti ; pour la masse, rien de pareil ne peut lui être imputé.

Demande à celui qui se qualifie aujourd’hui de libéral modéré, demandez-lui ce qu’il entend pas libéral politiquement et religieusement parlant, et je crois que son embarras sera grand . Je crois que, par libéral, il ne pourra entendre autre chose, sinon qu’il entend que tous les principes de liberté consacrés par la constitution soient observés franchement et sans arrière-pensée.

Et bien, adressez la même question à celui qui se qualifie de catholique modéré ; il vous donnera la même réponse et avec autant de bonne foi que celui qui se dit libéral modéré.

Voilà ce qui me porte à dire qu’il y a dans tout ceci un véritable malentendu, quand on considère la population du pays en général. Je le répète, messieurs, celui qui se dit catholique modéré, celui qui se dit libéral modéré, ont la même opinion.

Et si je dois expliquer toute ma pensée, et aller encore plus avant, je dirai qu’à mes yeux la Belgique est foncièrement catholique ; que c’est le catholicisme qui la distingue nationalement, et que ce caractère, il est heureux qu’elle l’ait, parce qu’à l’intérieur de la société, un modérateur, qui prévient ce que pourraient avoir de dangereux nos principes de liberté et nos institutions politiques, si un esprit de religion et un profond sentiment du devoir n’animaient toute la nation, et ne retenaient la société dans les limites, hors desquelles elle cesse s’être, parce que, pour l’extérieur, il est un gage d’ordre et de stabilité, qui étouffera peu à peu les préventions que notre révolution a pu inspirer. Ce caractère, nous devons le conserve précieusement, nous ne pouvons le perdre sans nous perdre avec lui.

Mais quant à la division du pays en libéraux et en catholiques, elle est essentiellement fausse à mes yeux, c’est dans ce sens que j’ai cru pouvoir entrer dans le ministère, et c’est dans ce sens que mes collègues ont consenti à en faire partie avec moi.

Avec ces doctrines, messieurs, qu’aucun acte n’a contredites, je ne sais s’il est possible d’accuser un ministère d’être un ministère d’irritation ; mais je ne vois en une pareille accusation qu’une assertion sans preuve, une assertion pure et simple.

On dit que le ministère est appuyé par des hommes qui le domineront, qui le conduiront à la ruine, lui et le pays, parce qu’il sera obligé de leur obéir.

Messieurs, ce que je viens de dire répond déjà à cette assertion. Certes, si ce qu’on a imprudemment avancé était vrai, si le ministère était un ministère exclusif, un ministère dont les doctrines tendissent à diviser le pays, ce ministère serait forcé de s’appuyer sur les partis, serait dominé par eux, et entrainerait le pays à sa perte. Mais nous croyons pourvoir affirmer que telle ne sera jamais notre position. Si nous ne sommes pas cru quand nous affirmons quelles sont nos doctrines, si nous ne sommes pas crus, nous ne pouvons qu’y faire, mais certes jamais nous ne chercherons à nous appuyer sur des hommes à opinions exagérées, s’il en est dans cette chambre ; nous perdrions et nous aurions mérité de perdre l’appui des hommes sages qu’elle renferme.

Voilà, messieurs, ce que j’avais à répondre à l’honorable préopinant. J’ajouterai deux mots sur ce qu’il a dit relativement à la formation des majorités. C’est encore là un préjugé, une ancienne doctrine, qui était vraie dans un temps, mais qui ne l’est plus aujourd’hui ; je conçois qu’il y ait une majorité toute formée d’avance, là où l’on marche à la conquête de certains droits dont on a été privé, à la destruction de certains abus que le gouvernement ou une aristocratie cherchent à maintenir. Je conçois qu’alors il y ait une majorité toute décidée d’avance à voter dans tel ou tel sens. Dans de semblables circonstances, les majorités formées d’avance sont possibles et nécessaires. C’est ce qui est arrivé en France avant la révolution de 1830. Avant cette époque, on voyait toujours percer dans les actes du gouvernement qui était alors à la tête de la France, un esprit de retour vers les anciennes institutions, sinon quant aux formes, du moins pour le fond ; eh bien, il y avait une lutte à soutenir, des droits à conquérir, et la majorité devait nécessairement être formée et décidée d’avance sur toutes les questions. Ce que je dis de la France avant 1830, je le dirai de l’Angleterre avant la réforme, je le dirai de la Belgique sous le royaume des Pays-Bas. Il y avait alors des libertés à conquérir ; ces libertés, il fallait lutter pour les obtenir, et la majorité était alors formée d’avance ; mais dans un pays où toutes les libertés sont conquises, où il n’en est aucune pour l’acquisition de laquelle il puisse y avoir une lutte à soutenir, là je ne conçois pas une pareille majorité, parce qu’elle n’aurait aucun motif, aucun but ; là je ne vois plus dans une assemblée représentative que le grand conseil de la nation appelé à délibérer sur les affaires, une assemblée dont les membres examinent consciencieusement chaque affaire et émettent consciencieusement aussi leur vote. Là les majorités se forment, en quelque sorte, sur chaque question qui se présente.

Voilà, messieurs, dans quel sens j’entends les majorités sou le régime actuel ; je crois que c’est le seul sens dans lequel on puisse les entendre, et qu’en se plaçant dans une autre hypothèse, on se placerait dans le faux. Je crois qu’en cherchant à former une majorité d’une autre manière, on compromettrait les plus chers intérêts du pays.

M. Milcamps – Messieurs, je ne m’occuperai pas de questions de portefeuille, je n’aspire pas à devenir ministre, et dès lors je n’ai pas l’intérêt à la conciliation envisagée sous ce point de vue. La conciliation du pays, je la veux bien et je la désire. Je n’interviendrai pas dans les questions de doctrines et de majorités, ce sont là des sujets sur lesquels on peut s’étendre longuement sans qu’on en voie plus claire et que les convictions changent. Je me renfermerai dans l’objet en discussion, l’instruction publique.

Dans la discussion générale du budget, après avoir rappelé l’état déplorable de l’enseignement en Belgique, j’ai provoqué la discussion du projet de loi sur l’enseignement moyen et primaire, j’énonçais que quoique nous fissions, nous parviendrions difficilement, en présence de la division des esprits, à relever promptement l’instruction publique.

A cette occasion, un des honorables préopinants a taxé mes paroles d’exagération en prétendant que l’instruction était bonne ; qu’il n’y avait pas de division dans le pays, qu’il ne fallait pas tenir compte de ce mauvais libéralisme restreint à quelques individus.

Mais quand j’ai parlé de l’instruction comme étant dans un état déplorable, j’ai fourni des preuves, le nombre des élèves qui fréquentent les universités de l’Etat, la nécessité où s’est trouvé le gouvernement pour augmenter la population de ces établissements d’y affilier des écoles spéciales, celles des mines et des ponts et chaussées ; soustrayez le nombre des élèves de ces école spéciales, que reste-t-il ? et ce rapport de M. le ministre, qui n’a pu faire que d’après les renseignement qui lui ont été donnés par les corps universitaires et par les jurys d’examen.

Quand j’ai parlé de la division des esprits, je n’ai pas entendu faire allusion à ce libéralisme exagéré, à cette opinion extrême, qui n’est que le passage de quelques-uns, mais à cette lutte qui existe et qu’on ne peut nier entre les électeurs, lutte dans laquelle chaque parti fait tant d’efforts pour faire triompher le candidat qui représente son opinion soit libérale, soit catholique, lutte de défiance entre les divers intérêts politiques et les divers intérêts religieux.

En désaccord sur les premiers avec l’honorable préopinant, j’ai dû et je dois l’être sur les conséquences.

Je soutiens qu’il y a au dehors division et division flagrante, que les esprits s’aigrissent, et que les dissensions doivent inspirer, pour l’avenir, de justes alarmes.

Je dis que ces alarmes, vous ne parviendrez pas à les calmer, ni par des changements de ministères, ni par des ministères de conciliation, que vous n’y parviendrez que par des actes, par de bonnes institutions qui donnent à chacun des garantis, et je mets au premier rang de ces garanties une bonne loi sur l’instruction publique.

Que la constitution soit notre règle, suivant l’article 17 l’enseignement est libre, donc il appartient à tous, à l’Etat comme aux corporations, comme à chaque particulier. Et pour lever tout doute, en ce qui concerne l’Etat, l’article ajoute que l’instruction publique est réglée par la loi aux frais de l’Etat.

Mais il est évident que cette instruction, dont parle l’article 17, embrasse non seulement l’enseignement supérieur, mais aussi l’enseignement moyen et primaire.

En vérité, messieurs, je ne devrais pas rappeler ces dispositions, tant cela est trivial.

Si je les rappelle, c’est parce que je m’étonne qu’après avoir organisé l’enseignement supérieur, on ne se soit pas encore occupé d’organiser l’enseignement moyen, n’est-ce pas une vérité sentie, reconnue, que l’enseignement supérieur doit être mis en harmonie avec l’enseignement moyen ?

Je dis que la législature a fait une faute en organisant l’un sans organiser immédiatement l’autre, et que cette faute il est temps de la réparer.

Et quand je parle de l’enseignement moyen, je n’entends pas parler de ces subsides accordés à certains athénées, à certains collèges, mais d’une bonne organisation, soit d’athénées, soit de collèges aux frais de l’Etat.

Dans mon opinion, c’est un devoir pour le gouvernement de veiller sur les mœurs publiques, sur l’esprit général. Sans doute dans ses institutions, la morale religieuse en doit être la base. Mais c’est là un principe que tous les ministères ont posé ; et certes, si un ministère venait proclamer qu’il ne doit pas y avoir dans les écoles un enseignement de la morale religieuse, je le combattrais.

Mais prenons-y garde, ici on élude la question, on s’attache, on se jette sur une mesure de concours prise par le gouvernement. Je ne m’explique pas là-dessus… Je reste dans la question de l’enseignement.

J’ai entendu avec surprise un honorable membre de la section centrale exprimer qu’il se réjouissait de ce qu’on ne se fût pas occupé de l’organisation de l’enseignement moyen et primaire. Eh bien ! moi, je m’en attriste. Une bonne loi d’organisation de ces deux branches d’instruction aurait pu faire cesser bien des défiances. Donner ces garanties aux uns et aux autres, elle aurait eu d’ailleurs un résultat d’intérêt général, nous saurions aujourd’hui si les deux universités de l’Etat sont destinées à remplir le but qu’on s’est proposé en les créant, ou si elles ne sont pas destinées à périr de misère. Oui, messieurs, je m’attriste de cet état de choses et comme nouvelle expérience, j’appelle de tous mes vœux la discussion du projet de loi destiné à compléter l’organisation de l’enseignement public.

M. Doignon – Messieurs, la discussion qui s’est élevée à l’occasion de ce que j’ai eu l’honneur de vous dire est devenue grave et très vive. Au banc ministériel, on m’a demandé des explications, des faits. Il est, messieurs, des discussions dans lesquelles on doit s’imposer des limites, et pour mon compte je pense que celle dont il s’agit en ce moment est de cette nature. Je crois avoir été compris par le ministère lui-même ; l’intérêt qu’il a attaché à mes observations, me le prouve suffisamment. Je pense que la chambre a également saisi ma pensée, et je suis persuadé que je serai de même très bien compris par le pays. Je n’entrerai donc dans aucun autre détail, et je me bornerai à dire un mot des concours.

M. le ministre a ici déplacé la question. Je n’ai contesté que la légalité du concours ; mais je n’ai aucunement critiqué les résultats, comme l’a supposé à tort M. le ministre. Je dois au contraire me glorifier de ses résultats, et j’ai lieu d’en être fier, puisque c’est ma ville natale qui a remporté les premières palmes. Dans cette circonstance, Tournay a soutenu dignement son ancienne réputation.

Je n’ai point dit non plus que tous les établissements subsidiés par l’Etat, n’inspiraient point de confiance aux parents ; je n’ai point avancé une pareille assertion et je n’ai pu parler dans un sens aussi général, alors certainement qu’il est des collèges subsidiés par l’Etat qui sont très suivis, et que notamment celui de Tournay est lui-même en ce moment dans un état prospère. (Aux voix ! aux voix !)

M. Dubus (aîné) – Je demanderai la division.

M. le président – Il serait assez difficile de diviser, la section centrale proposant une réduction sur le chiffre total des trois littera.

Je demanderai d’abord à M. le ministre s’il se rallie à cette réduction ?

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, la section centrale propose sur le chiffre destiné à l’enseignement universitaire une réduction de 8,902 francs ; je considère cette réduction comme inadmissible, il s’agit, pour l’exercice 1841, de faire face aux besoins d’un enseignement pour lequel on a alloué au-delà de 600,000 francs. Ici encore la section centrale s’est renfermé rigoureusement dans les limites des dépenses de l’année dernière ; elle a bien voulu consacrer les dépenses faites mais elle n’a pas voulu accorder un centime pour des dépenses à faire, pour les besoins éventuels de l’enseignement supérieur. Ces besoins, si je voulais y pourvoir d’une manière satisfaisante, ce ne serait pas une augmentation de 9 mille francs que j’auras demandée, mais j’aurais demander au moins quatre fois autant. Il n’est pas possible, messieurs, de réduire à une somme plus minime le crédit nécessaire pour pourvoir aux besoins de tout l’enseignement universitaire pendant l’année 1841. Depuis mon entrée au ministère (et ce fait ne doit pas avoir été nouveau) la plupart des professeurs des universités ont réclamer une amélioration dans leur position. Sur 65 professeurs dont se compose le corps enseignent, il n’en est que 26 qui soient professeurs ordinaires ; 39 sont encore professeurs extraordinaires, et si j’en crois leurs discours plusieurs d’entre eux ont obtenu de l’administration précédente la promesse d’être promis à un grade supérieur aussitôt que les ressources du budget le permettraient. Je dois donc supposer que l’intention de mon honorable prédécesseur était de proposer au budget de 1841 une augmentation d’allocation pour faire face aux dépenses à résulter de l’exécution de ces promesses que l’on assure avoir été faites ; Du reste je ne fais ici que répéter des assertions, et pour ma part, à moins que les promesses dont il s'agit aient été données par écrit, je ne me croirai pas obligé d’y satisfaire.

Mais remarquez, messieurs, que le nombre de professeurs n’est pas même encore complet ; il manque encore sept professeurs pour qu’il soit satisfait aux prescriptions de la loi sur l’enseignement supérieur, alors même que ces sept professeurs ne seraient tous nommés qu’avec le titre de professeurs extraordinaires, ce seraient 28,000 francs qu’il faudrait de ce chef ; cependant je ne demande que 9,000 francs.

Messieurs, la section centrale appuie son refus d’allocation sur la circonstance qu’une nouvelle loi sur l’instruction universitaire est en ce moment soumise à la chambre et qu’avant le vote de cette loi, il ne serait pas prudent d’accorder des crédits nouveaux pour l’enseignement supérieur. Messieurs, la loi nouvelle qu’il s’agit de voter ne changera absolument rien à l’état actuel de l’enseignement universitaire, le nombre des professeurs restera le même, le matériel restera le même.

On a dit aussi que l’on pourrait peut-être imputer une partie de la dépense du personnel sur le chiffre du matériel pour lequel il est demandé 100,000 francs. Mais, messieurs, ce crédit demandé pour le matériel est lui-même à peine suffisant ; les deux arrêtés organiques des écoles spéciales du génie civil de Gand et des mines de Liége, ont consacré en principe l’établissement de 4 collections nouvelles ; eh bien, jusqu’ici, faute de fonds, on n’a pas procéder à l’établissement de ces 4 collections. Dans le rapport qui vous a été soumis sur l’enseignement universitaire, vous aurez pu remarquer d’ailleurs, messieurs, que la plupart des autres collections de l’Etat sont tout à fait incomplètes.

M. Peeters, rapporteur – Messieurs, la section centrale, vu l’état de nos finances, et en se conformant à ce qu’elle a eu l’honneur de vous dire au commencement de son rapport, a adopté le chiffre accordé l’année passée pour les universités, de plus 7,550 francs pour satisfaire aux engagements déjà contractés ; la section centrale se croyait d’autant plus fondée dans cette manière d’agir, que le maximum du nombre des professeurs établi par la loi du 27 septembre 1835 est pour ainsi dire atteint, et qu’il n’y avait aucune urgence actuellement d’augmenter le nombre des professeurs, d’autant moins que la loi du 27 mais 1837, renouvelée depuis, a beaucoup diminué les matières sur lesquelles les élèves devront être examinés pour le doctorat dans les quatre facultés, et que, par suite de ces dispositions, plusieurs cours étant devenus facultatifs, ne sont plus fréquentés aujourd’hui, ce qui prouve bien qu’ils ne sont pas indispensables ; d’ailleurs, les professeurs, s’ils sont vraiment dévoués à l’instruction peuvent bien s’assister un peu mutuellement et suppléer au vide qui pourrait exister.

Dans cet état de chose, la section centrale a cru qu’il était convenable d’attendre jusqu’à la révision de la loi sur les universités, avant d’augmenter le nombre des professeurs.

D’ailleurs, il faut remarquer, messieurs, que d’après l’article 10 de ladite loi, le nombre des professeurs était porté à 32 pour chaque université.

Le paragraphe ajoute, il est vrai, qu’en cas de nécessité un ou deux professeurs de plus pourront être nommés dans chacune de ses facultés ; vous voyez par là, messieurs, que le nombre de 32 professeurs pour chaque université était la règle générale, et que l’un ou deux professeurs de plus à nommer faisait l’exception.

Eh bien, messieurs, on a déjà nommé un professeur de plus que la règle générale n’indiquait pour chaque faculté de nos universités.

Trente-six professeurs déjà à l’université de Gand, et 37 professeurs à l’université de Liége ; vous voyez par là qu’il n’y a plus beaucoup à augmenter pour atteindre le maximum établi par la loi.

La section centrale a donc pensé qu’il n’y avait rien de très urgent d’augmenter le nombre des professeurs dans l’état actuel de nos finances, et surtout avant d’avoir révisé la loi sur les universités.

Quant à moi, je pense que la section centrale a été très généreuse pour les universités en accordant le crédit de l’année passée, ainsi que tout ce qui était nécessaire pour satisfaire aux engagements contractés ; elle a été d’autant plus généreuse selon moi que, ainsi que l’a très bien fait observer la cinquième section, dont j’avais l’honneur de faire partie, d’après l’article 7 de ladite loi sur les universités, l’Etat ne doit accorder que les subsides pour les bibliothèques, jardins botaniques, cabinets et collections, tandis que jusqu’ici l’Etat s’est exclusivement chargé de cet objet, ce qui est entièrement contraire à la loi. Lorsque la loi parle des subsides, il me paraît si clair que le jour que les villes où sont établies les universités doivent aussi contribuer, ce qui jusqu’’ici je pense, n’a pas eu lieu ; je recommande cet objet à l’attention sérieuse de M. le ministre, la somme de cent mille francs, employée annuellement au matériel des universités me paraît exorbitante ; j’insiste d’autant plus sur ce objet, que les répartitions des subsides pour l’instruction publique sont faites avec une partialité révoltante. Oui, messieurs, des 1,150 mille francs employés annuellement à l’instruction publique, la province d’Anvers ne retire que la faible somme de 18,000 francs, est-ce la de la justice distributive ?

M. de Theux – Messieurs, M. le ministre des travaux publics m’a fait un appel. Je dois déclarer que je n’avais rien résolu quant à une augmentation qui aurait pu être proposée relativement au chiffre des universités. Il y a eu une augmentation de chiffre en 1839 ; mais alors il s’est élevé dans cette chambre et dans le sénat une discussion assez animée sur la hauteur de la dépense des universités. Je n’ai pas proposé de majoration au budget de 1840.

Je dirai en peu de mots quels ont été les motifs de la section centrale. L’on a dit que dans l’état actuel des choses il y avait déjà dans les deux universités réunies 9 professeurs de plus que le nombre normal fixé par la loi. Ce nombre normal est de 64, et le nombre actuel des professeurs est de 73. Il est vrai que la loi permet encore d’augmenter ce nombre de 7, pour atteindre la dernière limite. Voici les termes de la loi :

« En cas de nécessité, un ou deux professeurs de plus peuvent être nommés dans chacune de ces facultés. »

La section centrale a cru que, comme le gouvernement avait déjà nommé neuf professeurs de plus que le chiffre normal, il n’y avait pas urgence à nommer de nouveaux professeurs, avant la révision de la loi sur l’instruction supérieure, révision qui ne pourra être que prochaine, puisqu’il paraît que le rapport ne tardera pas à être présenté.

Nous avons donc cru que nous pouvions nous dispenser de préjuger cette question, en attendant la révision de la loi, d’autant plus que, dans l’état actuel des choses, les examens ne sont pas obligatoires à l’égard de plusieurs matières du doctorat désignées dans la loi du 25 septembre 1835. L’on est resté, quant au doctorat, dans l’état provisoire existant avant cette loi. Il en est résulté que non seulement dans les universités de l’Etat, mais même dans les universités particulières, les cours dont il s’agit ont été négligés, surtout quelques-uns d’entre eux. C’est ainsi qu’il n’y avait aucune nécessité à pourvoir à la chaire de littérature orientale à Gand, car il m’avait été assuré que ce cours ne serait pas fréquenté.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, je n’ai plus à dire que quelques mots. Il s’agit d’une somme de 9,000 francs, d’une somme destinée peut-être, si nous avions cette bonne fortune, à salarier une capacité, soit indigène, soit étrangère, qui pourrait, par son concours, exercer la plus heureuse influence sur l’enseignement universitaire donné aux frais de l’Etat. Mais en supposant qu’on ne fît pas de nouvelles nominations, il resterait encore des positions actuelles à améliorer. Si vous laissez constamment les professeurs extraordinaires dans la même position, le découragement s’emparera d’eux ; ou ils donneront un enseignement moins bon, ou s’ils offrent beaucoup de garanties de science et de capacité, ils seront accaparés par d’autres établissements qui savent les attirer à eux.

Qu’on dise franchement ce qu’on veut ! Veut-on un enseignement universitaire donné aux frais de l’Etat ? veut-on que cet enseignement soit solide, florissant , national ? Eh bien, qu’on accorde au gouvernement le moyen de soutenir ces établissements sur de telles bases.

M. Peeters, rapporteur – Messieurs, la section centrale a voulu, tout aussi bien que M. le ministre, un bon enseignement universitaire ; mais elle a cru que puisque l’année dernière on avait fait beaucoup de nouvelles nominations, et qu’on avait presque atteint le maximum du nombre des professeurs établis par la loi du 37 septembre 1835, il n’était pas urgent d’accorder de nouvelles augmentations pour cette année. Je doute que lorsqu’il s’agira d’établir des contributions, plusieurs membres qui paraissent disposés à voter de nouvelles dépenses, seront aussi disposés à voter de nouveaux impôts.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Il ne s’agit que d’une somme de 9,000 francs.

M. Peeters – 9,000 francs par ci et 9,000 francs par là finissent par former des sommes importantes. Si l’on devait suivre le conseil de M. le ministre, il n’y aurait pas lieu de discuter les budgets, on devrait tous les laisser au gouvernement qui serait entraîné d’une augmentation à l’autre et finirait par charger le pays de contributions insupportables. La section centrale, d’accord avec toutes les sections, a eu pour but, en proposant cette réduction, de restreindre le nombre des nouvelles nominations auxquelles le gouvernement est toujours plus ou moins entraîné. Mais, je le répète, la section centrale désire autant que qui que ce soit que l’enseignement supérieur soit bien organisé ; mais il lui a paru que lorsque nous payons près de 600,000 francs pour cet enseignement, cette subvention était largement suffisante. J’ajouterai que si les deux autres universités devaient donner lieu à une dépense aussi forte, elles ne pourraient pas se soutenir, d’ailleurs ce n’est pas toujours l’enseignement qui coûte le plus qui est le meilleur.

M. de Theux – Messieurs, l’on aurait tort de croire que la section centrale a voulu laisser les universités de l’Etat dans une position inférieure aux universités libres. Il n’en est rien. Je pense qu’en fait aucune des deux universités libres n’approche, quant à la dépense, du chiffre auquel s’élève le crédit affecté aux universités de l’Etat. Si nous avions cru que la nomination immédiate d’un ou de plusieurs professeurs pour certains cours qui ne sont pas fréquentés aujourd’hui, à cause que les examens ne portent pas sur ces cours ; que cette nomination, dis-je, eût pu exercer une influence favorable sur les universités de l’Etat, nous n’eussions pas hésité à voter la majoration dans le sein de la section centrale, et à l’appuyer dans la discussion publique.

Le rapport que j’ai déposé dans la séance du 7 décembre 1838, à l’appui du projet de loi de révision, prouve assez que mon opinion est que sous tous les rapports les universités de l’Etat doivent être mises à même de soutenir une concurrence franche et sincère avec les établissements libres ; nous avons dans ce rapport fait connaître les lacunes que suivant nous, l’expérience avait signalées dans la loi du 27 septembre 1835.

Pour combler cette lacune, nous avons proposé des moyens que notre propre expérience nous avait fait considérer comme les plus efficaces. Si l’on jette un coup d’œil sur l’exposé de motifs du projet de loi dont je viens de parler, l’on aura la conviction que les inconvénients signalés dans le dernier rapport de M. le ministre des travaux publics avaient été signalés antérieurement par moi, en même temps que j’avais indiqué les remèdes à y apporter.

M. Delehaye – Autant que qui que ce soit, je suis partisan des économies, mais je pense que, dans le cas actuel, nous devons accorder au gouvernement la somme qu’il nous demande. Il est indispensable, messieurs , d’améliorer la position de quelques professeurs extraordinaires des universités. En ce qui concerne l’université de Gand, je vous ai entretenu, messieurs, l’année dernière, d’une nomination qui n’était nullement justifiée par la nécessité. Cette nomination a donné lieu à une dépense de 6,000 francs et a empêché dès lors que le sort de cinq ou six professeurs extraordinaires de cette université, dont les cours sont bien plus utiles, bien plus nécessaires que celui du professeur auquel je fais allusion, ne fût amélioré. Ces professeurs sont, pour la plupart, des hommes qui, avant d’entrer dans l’enseignement, avaient une position dans le monde ; ils y exerçaient un état lucratif auquel ils ont renoncé, pour se livrer exclusivement à leurs fonctions professorales. Le moment est venu d’améliorer leur position.

Je crois même que dans le temps l’honorable M. de Theux a senti la justice de leurs réclamations et leur a promis des améliorations de position. Ce sont des hommes de mérite reconnu ; si vous voulez les conserver, il est indispensable d’améliorer leur position. Ils sont professeurs extraordinaires, faites-en des professeurs ordinaires, vous augmenterez leur traitement de 2 mille francs par an, vous le porterez de quatre à six mille francs.

M. Devaux – Il faut se rendre compte de ce qu’on demande à la chambre. La loi a fixé le traitement et le nombre des professeurs. Elle a fait en un mot à l’égard des universités, ce qui a été fait à l’égard de l’ordre judiciaire. D’après la loi, on pourrait dépenser 80 mille francs de plus qu’on ne dépense. On est resté en dehors de la limite de la loi. Maintenant le gouvernement propose-t-il d’atteindre cette limite ? Non ; mais seulement d’augmenter quelques traitements, de faire des nominations aux places vacantes et prévues par la loi, jusqu’à concurrence de 9 mille francs. Cette somme est extrêmement faible. Quant à moi, je n’ai qu’un reproche à faire à cet égard au gouvernement, c’est d’avoir demandé une somme insuffisante. Je la trouve insuffisante pour les besoins de l’enseignement. Dans tous les cas, remarquez que refusez cette somme qui est dans les limites de la loi, c’est comme si vous refusiez les traitements de l’ordre judiciaire qui sont fixés par la loi.

On vous demande les moyens de nommer à quelques places vacantes peu nombreuses au universités. S’il se présente un homme capable, s’il se présente une de ces choses qu’on ne peut pas prévoir, une de ces bonnes fortunes que le hasard amène ; s’il se présente un professeur des plus capables, un naturaliste comme Cuvier, ou Laplace, un Newton, vous ne pourrez pas vous l’attacher faute de fonds !

Il y a dans les universités 34 professeurs extraordinaires à 4 mille francs de traitement. La discussion de la loi sur l’enseignement prouve qu’on a voulu assurer aux professeurs onze mille francs. Ces professeurs sont dans l’état de découragement le plus complet. La loi qu’on propose n’augmente pas leur traitement. On est généralement d’accord cependant que les traitements sont trop peu élevés. Si quelques-uns sont jugés devoir passer du traitement de quatre mille à six mille francs, le gouvernement ne pourra pas le faire. Cependant quand M. de Theux a nommé 34 professeurs extraordinaires, ce n’était pas pour les conserver éternellement dans cette position ; des promotions étaient prévues, les hommes zélés doivent être récompensés. Vous ne voulez cependant pas accorder au gouvernement la faculté d’en récompenser quatre. Si une des universités libres vient à faire à un de ces professeurs qui ont le plus de mérite, la proposition d’un traitement supérieur, le gouvernement n’aura pas le moyen de balancer les offres faites. Ce fait s’est produit sous l’administration de M. de Theux. L’université de Louvain avait fait des propositions à un professeur de l’université de Liége. M. de Theux n’a pu le conserver qu’en portant son traitement de 6 à 8 mille francs. Actuellement, il n’aurait pas pu conserver ce professeur. Vous concevrez qu’avec cette augmentation de 9 mille francs, alors que des promotions sont nécessaires, la limite n’est pas définitive. Alors que les professeurs vieillissent, il faut leur donner de l’avancement et un avancement donné à deux ou trois ne serait pas excessif.

M. Peeters, rapporteur – La section centrale n’a pas contesté la légalité de la demande. Mais ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, on est presque arrivé au maximum fixé par la loi. Il n’y a plus tant de professeurs à nommer que vient de le dire l’honorable préopinant. Le plus qu’on pourrait nommer, c’est trois.

M. Devaux – Sept.

M. Peeters – Sept pour les deux université, trois à Liége et 4 à Gand. La loi n’a fixé que le nombre de 32 professeurs, mais elle a voulu laisser une latitude au gouvernement pour les cas exceptionnels qui pourraient se présenter, elle a voulu fixer un maximum dont le gouvernement pourrait faire usage lorsque la nécessité s’en ferait vivement sentir. Je vous le demande, messieurs, ce cas exceptionnel se présente-t-il bien aujourd’hui qu’on a déjà restreint considérablement les matières sur lesquelles on doit être examiné ? est-ce bien le moment aujourd’hui dans l’état de nos finances d’arriver à ce maximum établi par la loi, je ne le pense pas ; je crois que la section centrale a très bien fait de ne pas accorder toute la majoration.

On vient de parler de cas exceptionnels, de professeurs d’un grand mérite, qu’on pourrait avoir occasion d’attacher aux universités, et qu’on ne pourrait nommer faute d’argent pour les payer ; mais, messieurs, j’espère que les 100 mille francs alloués pour matériel ne seront pas dépensés et qu’on pourra trouver là les fonds nécessaires pour ces cas exceptionnels qu’on a cités. Je le répète, le subside de 100,000 francs pour le matériel, me paraît beaucoup trop élevé ; si l’on pouvait juger de la bonté des universités, par les grandes sommes qu’y dépense le gouvernement, je dirais que nos universités ne seraient pas inférieures à d’autres.

M. de Mérode – Je crois qu’on ne va pas prononcer la clôture de la discussion générale, car je désire m’y opposer dans le cas où on voudrait la prononcer.

Messieurs, avant cette séance, on ne pouvait prévoir ce qui serait allégué de part et d’autre dans une discussion aussi importante que celle qui a eu lieu ; j’ai des observations très sérieuses à présenter à la chambre, tant sur la question de l’enseignement que sur tout ce qui a été dit à son occasion. Si on clôt subitement la discussion générale, je me réserve d’exprimer demain mon opinion sur ces divers objets, en discutant un chiffre quelconque concernant l’instruction donnée aux frais de l’Etat. Mais il serait préférable, pour procéder avec plus d’ordre, de remettre ainsi la clôture de la discussion générale, dans laquelle on a abordé des sujets si graves et si divers, et sur lesquels on n’a point eu le temps de se reconnaître. J’ai dû écouter les discours qui ont été prononcés, parce qu’il méritaient toute mon attention ; en d’autres circonstances, je puis m’occuper de mes propres idées pendant qu’on parle dans cette enceinte et en préparer au moins un développement abrégé, mais cette fois cela m’était impossible parce que je devais écouter exclusivement.

M. le président – Je vais mettre aux voix le renvoi de la discussion à demain.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Il est bien entendu que M. de Mérode pourra présenter ses observations à propos d’un autre article.

- Le renvoi à demain n’est pas adopté.

Le chiffre proposé par le gouvernement est de 606,800 francs.

La section centrale propose une réduction de 8,902 francs.

Plusieurs membres demandant l’appel nominal, il est procédé à cette opération, dont voici le résultat :

65 membres ont répondu à l’appel.

41 ont répondu oui ;

24 ont répondu non.

En conséquence le chiffre du gouvernement est adopté.

Ont répondu oui : MM. Angillis, Berger, Buzen, Coghen, Cools, David, Delehaye, Delfosse, de Puydt, de Renesse, Desmaisières, Devaux, de Villegas, Dolez, Donny, Dubois, Fleussu, Hye-Hoys, Lange, Lebeau, Leclercq, Lejeune, Liedts, Lys, Milcamps, Nothomb, Pirmez, Puissant, Raikem, Raymaeckers, Rogier, de Baillet, Sigart, Troye, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Van Volxem, Verhaegen, Zoude et Fallon.

Ont répondu non : MM. Brabant, Coppieters, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Langhe, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Sécus, de Theux, Doignon, Dubus (aîné), B. Dubus, Morel-Danheel, Peeters, Rodenbach, Scheyven, Simons, Ullens, Vanderbelen, Vandensteen, Vilain XIIII et Wallaert.

La séance est levée à 5 heures.