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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 27 février 1841

(Moniteur belge n°60 du 1er mars 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procède à l’appel nominal à midi et quart.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune donne lecture des pièces de la correspondance.

« L’administration communale de Montigny-le-Tilleul demande la construction du chemin de fer de la Sambre à la Meuse. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les bourgmestres de dix communes des provinces du Hainaut et de Namur demandent que la chambre s’occupe de la proposition de MM. Seron et collègues, relative à la garantie d’un taux d’intérêt de 3 p.c. pour constructions de routes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur M. Decock, à Tubise, adresse pour renseignements des modifications à introduire dans la loi sur la milice. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les greffiers des justices de paix de l’arrondissement de Courtray demandent que la chambre s’occupe de la proposition relative à l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de la proposition de M. Verhaegen.


Le sénat informe la chambre qu’il a adopté, dans sa séance du 26 février, les projets de loi contenant les budgets du département des finances, des non-valeurs, des remboursements et du péage, et des dépenses pour ordre de l’exercice 1841.

- Pris pour information.


M. le ministre de l'intérieur (M. Liedts) transmet à la chambre des explications sur la pétition du sieur Rosset, d’Arlon, exploitant d’une ardoisière à Martelange (territoire grand-ducal), qui s’est adressé à la chambre, afin d’obtenir la faculté d’importer ses produits en franchise de droits ou au moins contre payement d’un droit d’entrée moins élevé que celui fixé par la loi du 7 avril 1838.

- Dépôt sur le bureau des renseignements

Projet de loi portant interprétation de la loi du 24 mars 1838 relative aux ventes à l'encan

Rapport de la commission

M. Delehaye monte à la tribune et dépose le rapport de la commission qui a été chargée de l’examen du projet de loi interprétatif de la loi sur les ventes à l’encan.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; le jour de la discussion en sera ultérieurement fixé.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président – En attendant que M. le ministre des travaux publics soit présent, la chambre pourrait fixer son ordre du jour.

Nous avons des rapports sur les projets suivants :

Le projet de loi relatif à la nomination d’un troisième juge d’instruction auprès du tribunal de l’arrondissement de Bruxelles ;

Le projet de loi sur la libre entrée des mécaniques et machines ;

Le projet de loi interprétatif de la loi sur les ventes à l’encan.

La proposition de M. Lejeune relative au canal de Zelzaete.

M. de Theux – Et des naturalisations.

M. Demonceau – Il me semble que ce qu’il y a de plus urgent, c’est le budget des voies et moyens.

M. le président – Le budget des voies et moyens est à l’ordre du jour après le budget des travaux publics.

M. Smits – Le projet relatif à la libre entrée des mécaniques est très urgent, car la loi qui réglait cet objet est déjà expirée.

M. de Theux – Un objet qui mérite d’être mis à l’ordre du jour, c’est la proposition de M. Lejeune ; cependant il est évident que cette proposition ne peut pas être discutée maintenant.

M. le président – La chambre a déjà mis à l’ordre du jour, entre les deux votes du budget des travaux publics, la discussion de la prise en considération de la proposition de M. de Puydt relative à la garantie à accorder par l’Etat aux sociétés particulières qui se chargeraient de l’exécution de travaux d’utilité publique. S’il n’y a pas d’opposition, je mettrai à l’ordre du jour, après cet objet, le projet de loi relatif à la nomination d’un troisième juge d’instruction près le tribunal de l’arrondissement de Bruxelles, projet qui ne paraît pas devoir occuper la chambre pendant longtemps et le projet de loi sur la libre entrée des mécaniques et machines.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1841

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Instruction publique

Article 2

M. le président – L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des articles du budget des travaux publics. Nous en sommes arrivés au chapitre V, relatif à l’instruction publique. L’article 1er de ce chapitre a été adopté. L’article 2 est ainsi conçu :

« Art. 2. Frais des jurys d’examens : fr. 80,000. »

La section centrale adopte le chiffre, mais par suite d’un transfert qui a été voté, ce chiffre doit être réduit à 79,100 francs.

M. de Mérode – La partie du budget que nous discutons est sans contredit, messieurs, la plus importante, sous le rapport moral, qui soit soumise à notre examen ; à elle se rattache véritablement l’avenir heureux ou malheureux du pays. La ruine des fortunes se répare dans une contrée fertile après quelques années abondantes et calmes, la ruine des mœurs, fruit de l’éducation mauvaise, est quelquefois sans remède ; toujours, à coup sûr, les plaies dont elle frappe la société sont lentes et difficiles à guérir. Comment donc pourrait-on blâmer ceux qui portent toute leur sollicitude sur la direction donnée à la jeunesse dans les établissements destinés à la former pour l’âge mûr. Trop de personnes occupées seulement des études oublient, comme le disait hier l’honorable M. Doignon à M. le ministre des travaux publics, que l’instruction sans l’éducation est dépourvue de sa plus réelle utilité.

Cependant, messieurs, quel principe règle dans l’Etat de notre organisation politique actuelle l’instruction donnée aux frais du gouvernement ? Je n’en vois aucun de déterminé. A l’égard de toutes les autres branches d’administration, la liberté des cultes suffit pour que personne ne soit blessé dans sa foi religieuse. En est-il de même quand il s'agit de collèges et d’athénées placés sous la tutelle gouvernementale ? Jusqu’ici nous ne nous sommes pas suffisamment rendu compte de la portée du système qui prévaut en fait d’instruction publique. La majorité des citoyens belges paye d’abord un tribut considérable à cette instruction, et pourtant ce tribut soldé, ladite majorité s’aperçoit avec regret que l’instruction si chèrement établie n’offre pas son complément indispensable d’éducation fondée sur des bases certaines et connues.

Les employés de l’enregistrement, des douanes, travaux publics, des affaires étrangères, des bureaux administratifs de toute nature sont des agents de l’Etat ; ils lui appartiennent, il exerce donc sur eux une influence légitime, en tant qu’elle est équitablement restreinte dans ses bornes ; mais les enfants, objet de l’instruction et de l’éducation, ne sont pas les enfants de l’Etat, ils sont les enfants de leurs parents. Or, ceux-ci ont généralement une religion, et l’Etat, chargé de la direction de l’instruction publique, est dans notre régime nouveau dépourvu de religion positive ; il n’en affirme aucune. Il n’est pas athée pourtant comme le prétendait M. de Lamennais à l’époque de sa ferveur catholique ultra-légitimiste. Il n’est pas athée, car dans l’intention du législateur si l’Etat n’a point de culte, c’est pour qu’il ne se mêle pas de régenter l’Eglise et que l’œuvre de Dieu puisse s’accomplir en toute liberté de conscience ; mais l’œuvre de Dieu n’est-ce pas dans l’éducation qu’elle s’accomplit d’abord ? Et néanmoins l’Etat est incompétent en vertu de la constitution même pour diriger l’œuvre divine. J’en dirai autant de l’autorité provinciale ou communale sans vouloir toutefois pousser mes conclusions à l’extrême, parce que l’extrême théorie mène à la pratique impossible. De la situation que je viens de signaler dérive le traitement pénible qui se fait sentir en tout ce qui concerne l’instruction publique. De là l’abandon presque complet de certains collèges subsidiés par le gouvernement ou par les villes, tandis que les établissements privés dirigés sous l’approbation de l’autorité religieuse sont peuplés par la confiance des parents.

Il en était ainsi sous l’administration de M. de Theux, comme sous celle de M. Rogier. Je dois vous dire cependant que si les universités de l’Etat offrent encore des garanties suffisantes aux yeux d’un assez grand nombre de parents, c’est parce que M. de Theux a pris soin de nommer au professorat des sciences morales des hommes sages attachés aux principes adoptés par la généralité des Belges ; les amis de l’université de l’Etat doivent lui savoir gré de sa prudence, d’autres sans mauvaise intention eussent peut-être agi avec moins de tact dans l’intérêt réel de ces établissements.

Messieurs, personne parmi nous ne désire la dégradation de la jeunesse, l’affaiblissement des mœurs, tâchons donc de nous entendre pour l’éviter. Discutons de bonne foi les moyens de faire le mieux possible, d’assurer à nos enfants les bienfaits d’une éducation solide, accompagnée d’une instruction qui les mette au niveau des développements de la science en tout pays. On ne m’accusera pas de haïr les lumières, il est chez nous des hommes profondément instruits et négligés, malgré leur savoir, qui pourraient au besoin témoigner de ma considération, de mon attachement pour eux, de mon zèle pour les progrès des connaissances qu’ils cultivent, bien qu’elles me soient étrangères. Le clergé de notre pays, messieurs, aime aussi les lumières, malgré les accusations d’obscurantisme que fait peser sur lui la malveillance qui se plaît au dénigrement ; mais comment le blâmer, de ce qu’il cherche à porter aussi partout le flambeau du christianisme, conformément à la doctrine qu’il est chargé de transmettre d’âge en âge ? Si nos évêques, nos prêtres, ne cherchaient plus à la maintenir, ne manqueraient-ils pas à leur mission ? Ils veulent, dit-on accaparer tout l’enseignement, toute l’éducation.

La vérité, messieurs, est qu’ils veulent conquérir, autant que possible, les jeunes âmes, et pourquoi borneraient-ils leur dévouement à quelques-unes seulement ? Entre-t-il cependant dans leurs prétentions des idées de violence ? Ah ! certes non. Un évêque placé sur un siège illustre en Belgique et dans l’Europe entière, a publié, sur l’enseignement donné aux frais de l’Etat, un livre qui mérite assurément l’attention la plus sérieuse. Je ne parlerai pas d’approbation, messieurs, parce que chacun dispose de la sienne, mais au moins le prélat qui a publié ce livre obtiendra sans doute, même de ses adversaires justes, l’aveu qu’il s’est livré à de longues recherches et qu’il n’a épargné ni son temps ni ses peines pour éclaircir une question que nous devons résoudre et qu’il faut incessamment aborder avec franchise et loyauté.

On a parlé hier, messieurs, des craintes qu’inspire à une partie des chambres et du pays les tendances du ministère actuel. Selon M. le ministre des affaires étrangères, on ne trouve dans la formation du cabinet, tel qu’il est composé, rien qui puisse éveiller la susceptibilité d’une opinion consciencieuse. Je ne reviendrai pas, messieurs, sur les causes de l’impression pénible que cette formation m’a fait éprouver, impression dont j’ai franchement rendu compte il y a un an et qui pèse encore lourdement sur moi ; mais je dirai simplement que je n’ai point confiance au ministère, parce que certains membres du cabinet avec lesquels j’ai ci-devant siégé au banc ministériel ont tout à coup changé d’amis et qu’un si prompt revirement d’amitié politique est toujours inexplicable quand personne n’avoue qu’il s’est précédemment trompé.

Non seulement la réconciliation s‘est opérée avec les adversaires de la veille, mais à ceux-ci on a sans délai donné une victime prise dans les rangs des amis délaissés, et d’autres eussent été sacrifiés ultérieurement s’il eût été possible de brandir entre l’arme de la destitution dont un haut pouvoir peut heureusement restreindre les coups. Récemment encore, si nous devons en croire des bruits que rien n’infirme, sans l’intervention de ce haut pouvoir, la nomination d’un sénateur en qualité de bourgmestre d’un chef-lieu de province eût été révoquée. Les dénégations ne manqueront pas peut-être, mais je connais assez les théories de certaines membres du cabinet pour ne pas me tromper à l’égard de leurs vues en pareille occurrence. Avec ces théories qu’on s’est emparé du bâton de commandement, on le lève roide et ferme contre l’agent qui ne se livre pas sans réserve. Et comme le libéralisme, peu tolérant partout où il règne, même lestement ses contradicteurs, l’accointance avec lui ne peut qu’augmenter une disposition qui ne manque pas d’énergie propre et spontanée.

Il est une autre réconciliation complète que regrette M. le ministre des affaires étrangères dont il a parlé hier d’une manière obscure et sur laquelle je m’expliquerai plus clairement. Vous savez, messieurs, que nous n’avons point à Bruxelles de représentant de l’empereur Nicolas, et pourquoi ? Parce que dans notre armée se trouvent quelques braves officiers polonais et l’ancien chef de leurs légions écrasées par le nombre et le défaut d’armes et de munitions. Convient-il maintenant d’éloigner de nos rangs des hommes généreux échappés aux hasards d’une lutte terrible dont nous avons tant profité et pour obtenir chez nous la distribution de décorations venues de Saint-Pétersbourg, priverons-nous les Polonais Belges de l’honorable signe de bravoure patriotique qu’ils portent à leur boutonnière ? Messieurs, si tel devait être le résultat de l’intérêt profond que témoigne toujours pour l’infortunée Pologne notre congrès national, je m’abstiendrais alors de porter la croix de fer que me donna le même congrès ; car elle est pour moi l’emblème d’une idée et non pas un vain hochet de parade. S’il faut imposer le sacrifice d’un souvenir identique, à ceux qui subirent malgré leur courage un triste sort, dont nous fûmes préservés, après avoir ensemble soutenu la même cause, il faut supprimer également le signe représentatif de la pensée généreuse, mettre à sa place l’image d’un rail de chemin de fer conduisant des marchandises à Moscou et reconnaître que sur lui seulement roule aujourd’hui l’honneur national.

Messieurs, les politiques habiles de la France ont voulu la réconcilier complètement avec la diplomatie de l’Europe en s’associant au morcellement de deux provinces belges. Ils ont laissé déchirer le Luxembourg sous le canon même de leurs forteresses au lieu de défendre à la face du monde, comme ils le pouvaient, non pas un intérêt français, mais un intérêt humain parlant au cœur de tous les peuples. Eh bien, qu’est-il advenu de l’abandon d’une noble idée, est-ce une paix plus sûre ? Non : c’est le traite du 15 juillet, l’isolement de la France qui a perdu non pas la force de 33 millions d’hommes (elle existe toujours), mais cette puissance morale qui la doublait. L’orateur du Palais-Bourbon qui disait un jour : « La Belgique est notre sœur, la moindre atteinte portée à l’un des deux peuples frapperait l’autre au cœur », l’orateur-poète a vu s’accomplir l’oracle prononcé par lui-même, qu’il oublia en 1839, et maintenant il dispute les millions que va dévorer l’embastillement de Paris. Un des motifs de ma scission avec M. le ministre des affaires étrangères, c’est le positivisme sec qui le domine. Il n’est pas, comme Caton, l’ami du vaincu : celui-ci ne foule point les tapis de l’hôtel qu’occupe M. Lebeau, puissance surgie pourtant d’une révolution qui fut plus d’une fois prête à périr.

Pour moi, messieurs, je n’oublierai jamais que ma position politique date de 1830. J’ai combattu les hommes de désordre, despotes plus dangereux dès qu’ils sont les maîtres, que les dépositaires uniques et sans contrôle du suprême pouvoir. J’ai maintenu de toute ma force l’arrêté d’expulsion applicable aux étrangers fauteurs de troubles à l’époque des pillages de 1834. Mais les défenseurs d’une nationalité légitime illustrée par les siècles et d’immenses services rendus à la civilisation européenne sont, à mes yeux, d’autant plus dignes d’égards bienveillants et d’accueil hospitalier, qu’ils sont malheureux, proscrits et martyrs du bon droit. Du reste nous pouvons cultiver avec la Russie des relations de commerce en laissant aux Polonais ce qu’ils possédaient chez nous à l’époque de l’exécution du traité. Je suis loin de vouloir que la Belgique se montre directement ou indirectement hostile à une grande puissance qui la reconnaît. Je pense toutefois que le respect envers les positions acquises ne peut être de sa part un grief motivé contre nous, et si la vue de ceux qui en jouissent doit offusquer un ministre russe, demeurons sans ministre russe comme nous restons sans ministre ottoman, contentons-nous réciproquement de consuls, nous éviterons ainsi des difficultés et une dépense qui grossirait encore le budget des affaires étrangères déjà suffisamment chargé.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, l’honorable préopinant a rouvert la discussion qui a commencé hier sur la position du ministère vis-à-vis du pays et des chambres. Il est inutile que nous répétions ici ce que nous avions dit dans la séance précédente et ce que j’ai dit dans d’autres séances encore sur l’esprit qui anime le gouvernement. Jusqu’à ce qu’on ait précisé davantage les griefs qu’on lui reproche, jusqu’à ce qu’on ait développé les imputations, conçues en termes vagues, qui lui sont adressées, jusqu’à ce qu’on se soit expliqué d’une manière plus positive, nous ne pouvons rien ajouter à ce que nous avons déjà répondu à plusieurs reprises.

Je dois pourtant quelques mots sur certains faits dont s’est occupé l’honorable préopinant.

Il vous a dit, en parlant de ce qu’il appelle une destitution, et que nous appelons, nous, un déplacement auquel on n’a pas voulu se soumettre, il a dit, en parlant de cet acte qui a déjà été expliqué plusieurs fois dans cette enceinte, il vous a dit que l’arme des destitutions était tirée, qu’elle était levée sur la tête d’un grand nombre d’autres fonctionnaires publics, et que c’est la crainte seule qui l’a fait rentrer dans le fourreau. A ce fait nous ne pouvons répondre encore que par une dénégation formelle ; ce sont là des assertions et rien que des assertions.

Je déclare ici qu’aucune espèce de crainte n’agira jamais sur nous, quand il s’agira, dans l’intérêt du pays, d’accomplir nos devoirs à l’égard des fonctionnaires publics. Nous répéterons ce que nous avons déjà dit plus d’une fois : aussi longtemps qu’un fonctionnaire public se maintiendra dans le ligne de ses devoirs, il conservera ses fonctions, mais du moment qu’il s’en écartera le moins du monde, il en sera privé, et aucune crainte ne pourra, à cet égard, nous détourner de remplir ce qui serait pour nous devoir.

L’honorable préopinant vous a dit, en parlant du bourgmestre d’une de nos grandes villes, que la nomination de ce fonctionnaire est due à l’intervention d’un haut personnage. Je regrette, profondément, messieurs, qu’une semblable allusion ait été faite ; on sait de qui a voulu parler l’honorable préopinant lorsqu’il a cité un haut personnage ; le nom de ce personnage auguste ne devrait jamais être mêlé à nos débats. Je nie, du reste, de la manière la plus formelle que la nomination du bourgmestre dont il s’agit soit due à une intervention quelconque ; elle n’est due qu’à une résolution librement prise par le ministère.

L’honorable membre, en parlant d’une allusion qui avait été faite par M. le ministre des affaires étrangères, a dit qu’il ne s’associerait jamais au projet d’expulser les braves Polonais.

M. de Mérode – Je n’ai pas parlé d’expulsions, je n’ai parlé que de renvois.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Il n’a jamais été question d’expulsions, et il n’a jamais, du moins que je sache, été question non plus de renvois. C’est là la seule réponse qui doive être faite à ce qui a été dit sur ce point, car cette question, messieurs, n’est pas seulement une question d’intérieur ; elle a quelques rapports avec nos relations extérieures, et ces relations doivent être traitées avec plus de délicatesse que l’honorable membre n’en a mis dans ses expressions. Il faut plus de circonspection quand on parle des relations d’un pays comme la Belgique avec un pays comme la Russie.

M. de Mérode – Je ne suis pas ministre.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Vous n’êtes pas ministre, mais vous êtes membre de la chambre des représentants, et je crois que la chambre des représentants a aussi des convenances à observer à l’égard des puissances amies.

Je ne terminerai pas, messieurs, sans me féliciter de ce qu’enfin la question ministérielle a été mise sur le terrain où elle devait être placée, c’est-à-dire dans la discussion du budget. Je désire vivement qu’enfin cette question soit vidée, car le pays y a le plus grand intérêt. Je sais bien qu’au Roi seul appartient la nomination des ministres ; je sais que cette nomination n’appartient nullement aux chambres, mais je sais aussi qu’il leur appartient de refuser leur concours au gouvernement quand le gouvernement ne leur inspire pas de confiance. Est-ce à dire pourtant que ce refus de concours doit être exprimé d’une manière indirecte, par des oppositions de détail que rien ne justifie, et qui vont même contre leur but, puisqu’elles nuisent à la bonne gestion des affaires du pays ? Je ne le pense pas, messieurs ; ce n’est point parce que le ministère, parce que tel ou tel de ses membres déplaît à telle ou telle partie d’une assemblée législative qu’on doit faire de l’opposition ; on ne doit en faire que lorsqu’on est convaincu, et lorsqu’on a une conviction raisonnée, appuyée sur des faits, sur des doctrines, que le ministère ne peut continuer à être à la tête du pays sans le compromettre. Voilà, messieurs, pour quel motif les chambres peuvent refuser leur concours à un ministère. Mais ce motif, il faut l’énoncer formellement, il faut en faire l’objet d’une discussion déterminée, afin que la résolution qu’on prendra ne soit prise qu’après un examen approfondi, et qu’en pleine connaissance de cause. Si l’on agit autrement, si, au lieu d’exposer des griefs, de les développer, on prend à tâche d’entraver le ministère en combattant toutes les mesures qu’il propose, par des raisons plus ou moins spécieuses, par des raisons quelles qu’elles soient, pourvu qu’elles soient de nature à faire rejeter la proposition faite ; si l’on agit de cette manière, je dis qu’au lieu d’agir dans l’intérêt du pays, on agit contre cet intérêt, on entrave la marche de toutes les administrations ; et c’est, messieurs, ce qui semble arriver ici depuis quatre mois ; depuis quatre mois toutes les propositions sont discutées de telle sorte qu’il semble qu’on n’ait d’autre but que d’entraver, d’arrêter constamment la marche des affaires, et de montrer ainsi, mais indirectement, sans aucune discussion sur les reproches qu’on adresse au ministère, qu’on ne veut pas lui prêter concours. Dans l’intérêt du pays il faut que la question se vide d’une autre manière ; c’est à l’occasion des budgets qu’on doit la vider. A cette occasion il faut que l’opposition, que ceux qui croient que le ministère ne peut pas rester à la tête du pays sans le compromettre il faut que ceux qui croient que les chambres ne peuvent pas lui accorder leur concours, il faut qu’à l’occasion des budgets, ceux-là prouvent la réalité des griefs qu’ils croient devoir alléguer contre lui.

Il faut enfin que la chambre, si elle trouve ces griefs fondés, refuse le budget ; alors le ministère saura ce qu’il a à faire ; alors il connaîtra, sans qu’aucun doute soit possible, la position qu’elle entend prendre vis-à-vis du gouvernement ; alors il sera évident qu’elle lui refuse son concours, et de ce moment notre marche sera tracée, nous devrons nous retirer soit immédiatement, soit après avoir fait un appel au pays.

Voilà, messieurs, la seule voie qu’il convient de suivre, quand on consulte les intérêts de la nation, voilà la voie dans laquelle nous nous félicitons d’être entrés et que nous suivrons jusqu’au bout. Si après la discussion, telle qu’elle vient de s’ouvrir, la chambre décide au contraire que le ministère a sa confiance, et qu’elle lui accordera son concours, au moins alors les affaires du pays cesseront d’être constamment entravées ; alors au moins, à chaque discussion qui surgira, nous ne verrons plus considérer le vote de la chambre comme une question de cabinet ; vos délibérations, messieurs, revêtiront un caractère de franchise, qu’elles ont toujours au fond, quoique jusqu’aujourd’hui l’on cherche à les dénaturer dans la forme, alors elles seront nettes, dégagées de toute entrave, marchant avec la rapidité nécessaire au bien public, puisées dans le cœur même de l’objet en discussion, on rejettera chaque loi, chaque proposition parce qu’elle sera mauvaise, on l’adoptera parce qu’elle sera bonne, l’on ne se préoccupera plus dans ces votes de l’opinion que l’on se forme du ministère, de l’opinion qu’on voudrait en donner en dehors de cette enceinte.

Telle est, messieurs, la direction qu’il faut enfin donner à vos débats et qui seule peut convenir à la nature du gouvernement représentatif ; nous espérons que ce sera celle que désormais la chambre leur donnera et qu’elle en manifestera formellement la volonté en votant ou en refusant le budget des travaux publics, selon qu’elle voudra ou non accorder son concours au ministère.

M. Delfosse – Messieurs, il n’y a pas très longtemps que je disais dans cette enceinte à ceux qui voulaient des pensions pour les ministres : « Ne craignez pas que le pays manque jamais de ministres, ce n’est pas cette crainte, c’est bien plutôt la guerre des portefeuilles qui doit nous préoccuper. »

Je ne croyais pas, messieurs, que cette prédiction qu’on attribuait alors à mon inexpérience, se réaliserait de sitôt.

Le débat qui s’est ouvert hier, et qui continue aujourd’hui, qu’est-ce en effet, messieurs, si ce n’est une guerre de portefeuilles ?

Une voix qui s’est élevée du milieu de cette chambre vous dit : « J’ai renversé le ministère précédent, parce que c’était un ministère d’irritation, je renverserai le ministère actuel, parce qu’il est aussi un ministère d’irritation. »

Quelle conclusion faut-il, messieurs, tirer de ces paroles ? Il n’y en a pas d’autre que celle-ci : pas de ministère possible, pas de ministère stable, à moins que moi et mes amis nous n’en fassions partie.

L’honorable M. de Theux a accepté avec une résignation que j’admire la qualification donnée à son ministère. Cette même qualification, appliquée au ministère actuel, a excité de vives réclamations de la part de M. le ministre de la justice.

« Mais en quoi donc, vous a dit cet honorable ministre, sommes-nous un ministère d’irritation ? Quels sont les faits, quelles sont les doctrines que vous nous reprochez ? Citez-les. »

Personne, messieurs, n’a répondu convenablement à l’appel de l’honorable ministre de la justice, et personne ne pouvait y répondre. Le procès que l’on intente au ministère n’est pas un de ces procès ordinaires, où l’on articule et où l’on précise des faits, c’est un procès de tendance. Son crime est d’avoir notre appui, ce n’est pas pour son passé, c’est pour son avenir qu’on le condamne.

Si ce que je vais dire pouvait, messieurs, compromettre le ministère, je garderais le silence. Mais j’ai la conviction que mes paroles ne lui enlèveront pas une des voix qui lui sont acquises, comme mon silence ne lui ramènerait aucune de celles qui lui sont hostiles.

Aujourd’hui, messieurs, il n’est plus permis de se faire illusion, le ministère a cru, à sa naissance, qu’en se montrant animé d’un esprit de justice et de conciliation, il parviendrait à conserver l’appui des deux grandes fractions qui, on a beau le nier, partagent cette chambre. Il n’y a pas encore un an qu’il existe, et déjà une de ces fractions lui déclare, par ses organes dans la presse et dans la chambre, et par ses votes, qu’elle n’a plus confiance en lui, qu’elle veut sa chute.

Et il est probable, messieurs, que si cette fraction avait encore confiance dans le ministère, il n’aurait plus la nôtre.

C’est, messieurs, qu’il y a quelques grandes questions qui divisent le pays, et sur lesquelles chacun doit nécessairement se prononcer. Là, il n’y a pas de place pour ce qu’on est convenu d’appeler l’opinion modérée, dénomination que je trouve aussi fausse, que celle de parti catholique et de parti libéral le paraît à M. le ministre de la justice. Là, il faut être pour ou contre ; « qui n’est pas pour nous, est contre nous. » Tel est le dernier mot de nos adversaires, tel doit être le nôtre sur ces grandes questions.

Il y a, messieurs, dans le pays un parti qui veut la domination, sous le masque de la religion et de la liberté, et qui, pour y parvenir, demande le monopole légale de l’enseignement…

M. Brabant – Je demande la parole.

M. Delfosse – Et le retour des institutions que l’on croyais à jamais perdues. Il y a un parti qui se dit conservateur et qui finirait par tout détruire. Ce parti, nous l’avons combattu, parce que ses prétentions sont incompatibles avec le repos du pays ; ce parti, nous le combattrons toujours. Ce parti, par une fatalité à laquelle nul homme n’échappe, les ministres doivent le combattre ; on le sait, là est la cause des hostilité, là est le secret de l’alliance.

Alliance honorable, comme vous l’a fort bien dit M. le ministre des affaires étrangères, alliance qui s’est effectuée d’elle-même, et pour laquelle aucune conviction n’a été sacrifiée. Ce que je vous dis là, messieurs, nous l’avons prouvé par nos votes, et nous le prouverons encore. Nous appuyons le ministère pour atteindre un grand but commun, un de ces buts qui, comme on le disait hier, forment les coalitions et les majorités. Mais en l’appuyant, nous n’avons renoncé à aucune de nos convictions, pas même à la réforme électorale que l’honorable M. Dechamps croyait avoir clouée dans son tombeau, et qui lui apparaissait hier comme un épouvantail.

Et lorsque je parle de réforme électorale, je l’ai déjà dit et je ne cesserait de le répéter, puisqu’on cherche à dénaturer ma pensée et à calomnier mes intentions, c’est n’est pas un élément d’anarchie que je veux introduire dans le pays. Notre réforme électorale à nous, messieurs, n’est pas un principe extrême, car elle a été demandée par une foule d’hommes modérés qui siègent dans les conseils communaux, et même dans cette enceinte. C’est l’un de ces principes de justice que l’on ne méconnaît jamais sans danger.

M. Dechamps – Messieurs, dans le débat qui s’est ouvert hier incidemment et sur lequel personne n’avait pu se préparer, vous avez tous dû être frappés, comme moi, d’un fait : c’est la divergence profonde radicale qui existe entre les principes gouvernementaux professés par M. le ministre des affaires étrangères et les principes professés par M. le ministre de la justice. Les deux discours que nous avons entendus hier m’ont paru une véritable antithèse politique.

Si nous dépouillons de tous ses brillants dehors le discours de M. le ministre des affaires étrangères, quelle est la pensée que nous y trouvons ? Cette pensée, elle est claire, la voici :

Notre ministère est formé d’éléments exclusifs, en acceptant la qualification ordinaire qu’on est habitué à donner aux partis dans la chambre et dans le pays. Pour entrer digne dans le ministère, pour en sortir digne, a dit M. le ministre, il fallait que ce ministère fût formé de pareils éléments ; il fallait que l’opinion publique ne pût pas soupçonner que des alliances incompatibles se fussent formées, que de lâches concessions de principe eussent été faites de part et d’autre ; l’homogénéité, a ajouté M. le ministre, devait être achetée à ce prix.

Mais, messieurs, ce système politique, s’il était vrai, mènerait droit à proclamer qu’en Belgique tout ministère, pour être homogène, devrait être un ministère d’exclusion. Je trouve étrange que M. le ministre ait pu professer de pareils principes, lorsque lui-même a siégé deux fois, je crois, dans le cabinet à côté de collègues qui n’étaient pas pris dans les mêmes rangs que les siens.

M. le ministre a-t-il cru alors manquer à sa dignité, renoncer à ses principes ? A-t-il craint qu’on eût pu se méprendre dans le public sur l’alliance qu’il avait contractée à cette époque ?

M. le ministre des affaires étrangères a professé exactement les mêmes idées politiques sur la formation du ministère que celles que j’ai lues dans les écrits dont M. le ministre de la justice a répudiés hier vivement la solidarité. J’ignore si la même déclaration sera faite par l’honorable ministre des affaires étrangères.

Maintenant quels ont été les principes professés par M. le ministre de la justice ? Il nous a dit qu’il n’acceptait pas ces qualifications de partis, qu’il ne comprenait pas le sens qu’on y attachait aux mots de parti catholique et de parti libéral ; que chacun serait fort embarrassé de les définir exactement.

Tout homme modéré pouvait donc entrer digne dans le cabinet ; l’homogénéité ne rencontrait aucun obstacle, on ne pouvait soupçonner des sacrifices d’opinion entre des hommes qu’aucune incompatibilité ne devait séparer.

Ces principes, je les accepte, mais si ces principes sont vrais, un ministère mixte était donc possible. Tout ce que vous a dit M. le ministre des affaires étrangères est manifestement inconciliable avec cette déclaration nette et franche de son honorable collègue ; entre la théorie de M. le ministre de la justice et celle de M. le ministre des affaires étrangères il y a une distance infranchissable.

Mais, ajoute M. le ministre de la justice, vous produisez des allégations vagues, vous ne citez aucun acte, aucune doctrine sur laquelle nous ne serions pas d’accord.

L’honorable député de Liége vient de le dire avec franchise ; lui et ses amis politiques appuient le ministère. Or, chacun sait qu’entre vous et lui, il y a une dissidence de principe profonde. L’honorable M. Delfosse, qui a écrit sur sa bannière : Réforme électorale, appuie le ministère systématiquement ; il aurait gardé le silence, si ses paroles avaient pu le compromettre. Et vous voulez que ce ministère soit appuyé par nous ! Mais, messieurs, dans cette transaction il y aurait manifestement quelqu’un de dupe. Dans les autres parlements, en Angleterre, quand le ministère est appuyé par le parti whig, n’est-il pas par cela même et par la force des choses repoussé par le parti tory ? Faut-il que l’on articule des actes minutieusement, comme si l’on déposait devant les tribunaux ? Evidemment non. Comme je vous le disais hier, ces questions sont comprises d’instinct ; le sens et la portée ne sont mis en doute par personne.

Quand M. Thiers s’est vu appuyé par la gauche, par M. Odilon-Barrot, a-t-on demandé pourquoi les centres l’avaient abandonné ? La raison en était saisie par tout le monde ; c’était à cause de ses alliances. Appuyé par les uns, il devait être rejeté par ceux que d’autres principes dirigeaient.

Messieurs, le ministère nous a demandé : Mais sur quelles doctrines sommes-nous en divergence ? Je remercie l’honorable ministre de la justice de me fournir l’occasion de m’expliquer. Oui, c’est à l’endroit des doctrines que la question est engagée. Ce n’est pas une question de personne, une question de portefeuille, comme on tend à l’insinuer ; ne rapetissons pas ainsi une pareille discussion.

Il ne s’agit que de doctrines au fond, et pour que nous soyons tous à l’aise dans ce débat, j’adresserai au ministère une interpellation formelle, selon qu’il est d’usage de le faire quand l’avenir d’un ministère est engagé dans une de ces grandes controverses politiques. Je demanderai d’abord qu’elle est la doctrine du ministère à l’égard de la réforme électorale. Je prie le ministère qui a fait preuve de la franchise de ne pas nous payer de mots vagues, mais de nous dire, puisque deux drapeaux sont levés sont lesquels des deux il s’est définitivement rangé.

Je l’interpellerai encore sur une autre question vitale qui semble devoir former l’un des points sur lesquels ne division peut éclater ; je veux parler de l’instruction publique.

Le ministère dans son programme, nous a dit que la loi à intervenir, reposerait sur la liberté la plus entière de l’enseignement, qu’il voulait en même temps que cette loi donnât aux pères de famille les garanties les plus complètes sous le rapport de l’instruction morale et religieuse.

Messieurs, ces paroles nous les avons acceptées ; Mais je vous l’avoue, les explications données par le ministre des travaux publics m’ont jeté dans l’inquiétude sur le sens que le cabinet y attachait. Le ministre des travaux publics nous a fait hier l’éloge sans restriction des établissements d’instruction moyenne subsidiées par l’Etat ; il en approuve donc l’organisation générale. En répondant à l’honorable M. Doignon, j’ai cru lui entendre dire qu’à l’égard de l’enseignement religieux, tous les pères de famille n’avaient pas les mêmes exigences que les siennes.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – J’ai dit que tous les pères de famille ne partageaient pas l’opinion exclusive de l’honorable membre à l’égard des établissements salariés par l’Etat.

M. Dechamps – Vous savez que dans plusieurs de ces établissements l’instruction religieuse a été exclue formellement. (Réclamations.)

Messieurs, j’affirme que dans plusieurs collèges établis par des régences, l’instruction positivement religieuse n’est pas comprise dans les matières d’enseignement ; c’est le principe de la loi hollandaise, la séparation de l’instruction et de l’éducation qui été admis dans ces établissements.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Ce n’est pas de mon temps.

M. Dechamps – Veuillez ne pas m’interrompre ; la question vaut bien la peine qu’on l’examine avec calme et sans préoccupations. Je ne veux que poser des faits. Il s’agit de principes fondamentaux en matière d’instruction publique. L’instruction religieuse positive peut-elle être exilée de l’école fondée aux frais des familles ? Quelques-uns, en petit nombre, inclinent à le penser.

Cette opinion est répudiée par nous, est répudiée par tous les hommes sérieux qui se sont occupés de cette matière. Ce n’est pas de l’irritation que je veux produire, c’est une controverse sérieuse que je veux soulever ; j’ai donc le droit d’être écouté avec calme. Je dis qu’en acceptant comme bonne l’organisation des établissements dont j’ai parlé, le ministère est en désaccord avec son programme, car dans plusieurs de ces établissements la séparation de l’instruction et de l’éducation a été formellement réalisée.

J’interpelle formellement le ministère sous ce rapport, je désire connaître si par les garanties complètes qu’il a promis de donner aux croyance religieuses des familles, il entend donner les mêmes garanties qui ont été exigées par toutes les nations au nom des droits de la conscience, ou bien s’il veut se borner à cet espèce d’éclectisme en fait d’instruction, comme celui qui a été introduit dans la loi française. Or, messieurs, la loi française a été condamnée d’avance sous ce rapport par les auteurs mêmes de cette loi. Vous savez que MM. Guizot et Cousin ont regretté de ne pouvoir pas admettre dans la législation les conditions essentielles pour que l’éducation religieuse soit sérieusement donnée ; des considérations politiques concernant la position prise par le clergé français, les ont seules déterminés à laisser subsister cette lacune importante.

J’attends du ministère des explications catégoriques et franches, pour savoir s’il entend que dans l’instruction donnée aux frais de l’Etat, il y aura union intime entre l’instruction publique et l’enseignement religieux et morale ; s’il croit que l’intervention du clergé dans l’école devrai être consacrée sans réticences, mais avec pleine efficacité, s’il entend qu’en Belgique comme dans presque tous les pays du monde la séparation des écoles aura lieu selon les confessions particulières professées par les habitants ; ou bien s’il se prononce pour la séparation de l’enseignement religieux et de l’instruction littéraire.

J’attendrai sur ces deux questions la réponse du ministère.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, l’honorable préopinant a cru devoir prendre le soin de déclarer qu’il en s’agissait pas en cette circonstance d’une guerre de portefeuilles. Je n’ai nulle envie de contester la sincérité de la déclaration faite par l’honorable préopinant, mais il voudra bien, nous rendant la même justice, comprendre que si nous venons répondre aux nouvelles accusations dirigées contre le cabinet, que si le cabinet continue à soutenir cette lutte, elle n’a pas plus pour lui un intérêt de cabinet qu’elle ne l’a pour ses adversaires.

En ce qui me concerne personnellement (la chambre me permettra d’user des privilèges de la défense), je crois avoir prouvé que si dans toutes les circonstances, et surtout quand elles étaient difficiles, j’ai cru devoir répondre à l’appel du chef de l’Etat, lorsqu’il a bien voulu penser avoir besoin de mes services, j’ai aussi, dans des circonstances diverses, prouvé que je tenais peu aux portefeuilles. Deux fois, la chambre se le rappellera, deux fois j’ai quitté le pouvoir, et deux fois je l’ai quitté spontanément, volontairement, lorsque des majorités parlementaires non équivoques me permettaient, me faisaient presqu’une loi de continuer à siéger au banc des ministres.

C’est assez dire que l’insistance que nous pouvons mettre dans cette discussion ne puise pas sa source dans un amour aveugle et désordonné des portefeuilles, de ces portefeuilles qui sont pour nous la source de tant d’accusations injustes, de si profondes et si cruelles méprises sur nos caractères et nos intentions, d’un si ingrat oubli, oserai-je le dire ? de nos antécédents, purs de tout reproche, et de quelques services que, peut-être, nous avons été assez heureux de rendre au pays.

Si donc, messieurs, nous prenons de nouveau la parole, ce n’est pas, je le répète, pour nous maintenir dans une position contre laquelle nous avons échangé, nous tous qui siégeons au banc des ministres, des positions bien plus douces plus agréables que celle que nous occupons sur ce banc, si justement qualifié de banc de douleur. Ces positions antérieures, chacun de nous, sans doute, devrait le regretter profondément s’il ne s’agissait que de lui, que de ses convenances personnelles.

C’est donc pour réhabiliter notre passé, notre caractère, nos intentions méconnues, dénaturées, que nous prenons de nouveau la parole dans cette discussion.

L’honorable préopinant, dont les franches attaques, et je l’en remercie, ont amené ces explications qui seront de notre part loyales, franches et complètes, l’honorable préopinant, je ne veux pas rechercher dans quelle intention, a cru devoir faire remarquer que, selon lui, il existait une grande divergence de principes entre le discours que mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, a prononcé à la séance d’hier, et les opinions que j’ai exprimées dans cette même séance.

Eh bien, l’honorable préopinant s’est trompé ; qu’on veuille bien y réfléchir un instant. Ne serait-il pas vraiment étrange, qu’après nous être assurés, mon collègue et moi, dans les explications qui ont précédé la formation du cabinet, de la conformité de nos principes sur les grandes questions de gouvernement, seule condition dans laquelle, d’après mes idées, nous pouvions entrer ensemble dans le ministère ; ne serait-il pas étrange qu’après avoirs siégé pendant dix mois dans les mêmes conseils, et nous y être trouvés d’accord sur ces grandes questions, tout à coup, devant cette chambre, en présence de ceux qui viendraient s’emparer de cette apparente division, nous nous soyons en effet divisés sur des questions fondamentales ? Il n’en est rien. L’honorable préopinant s’est étrangement abusé sur ce point. Il a pu y avoir quelque différence dans la manière d’exprimer nos idées, dans la forme sous laquelle nous les avons présentées ; mais, au fond, nous sommes d’accord. M. le ministre de la justice et moi sur les principes que nous avons exposés dans la séance d’hier et qui sont restés conformes à notre programme.

L’honorable préopinant prétend qu’en parlant hier d’alliances incompatibles, j’ai formulé contre une opinion une espèce de proscription, et que j’ai ainsi renié mon passé, puisque je me suis trouvé assis à côté d’un collègue qui est aujourd’hui notre adversaire. Je répondrai à l’honorable préopinant qu’avec ce même collègue j’étais alors d’accord sur toutes les questions que nous avions à traiter. Mais l’avenir soulève des questions qui ne sont pas prévues lors de la formation d’un cabinet. Il s’en est révélé une de la plus haute importance qui, résolue, comme elle l’est, par exemple (l’honorable préopinant me permettra de le citer), par lui et par nous, rend toute conciliation politique impossible tant que cette question est pendante, alors que chacun de nous peut professer pour l’autre la plus sincère estime.

Je vais en citer un exemple frappant pour tout le monde.

L’honorable préopinant (ceci n’est pas un reproche ; et il s’est trompé en prenant hier pour un reproche ce que j’ai rapporté comme simple exemple des modifications que le temps apporte aux opinions individuelles, la transformation des partis), professe sur une des questions les plus graves (car elle se rattache à l’esprit même de la constitution) des opinions tellement absolues, tellement excentriques, je répète à dessein cette expression, que je n’hésite pas à dire qu’il ne rencontrerait dans cette chambre pour les soutenir qu’une assez faible minorité. L’honorable préopinant, en un mot, va jusqu’à nier la compétence du gouvernement en matière d’enseignement public. Eh bien, je dis que parmi les honorables membres qui se rapprochent le plus de l’honorable préopinant, il y a dissentiment, et dissentiment radical sur cette question. Ce dissentiment est encore plus grand peut-être avec l’opinion représentée au cabinet. Si l’on peut très consciencieusement, très honorablement soutenir ces deux opinions, lorsque le cours de nos travaux viendra les mettre en présence, ne rendent-elles pas jusqu’à la solution du différend, toute alliance honorable absolument impossible ?

Voilà en quel sens j’ai dit qu’il fallait, sur toutes les questions à l’ordre du jour, une homogénéité que ne comportait pas la formation d’un ministère mixte auquel l’honorable préopinant a fait allusion.

Nous pensions avoir assez clairement déclaré hier que le ministère ne relevait que de lui-même et de ses principes, pour croire qu’on ne reviendrait plus aujourd’hui lui reprocher l’appui qui lui est prêté sur certains bancs. J’ai dit que le ministère n’avait pas recherché cet appui (que le ministère est heureux d’obtenir, comme il serait de l’obtenir de toute autre fraction de l’assemblée) ; j’ai dit que cet appui était honorable pour lui, parce qu’il n’était le prix du sacrifice d’aucune de ses opinions, honorable pour ceux qui l’accordent, parce qu’ils l’accordent eux aussi dans la mesure de leurs convictions.

Ne craignez pas que je reste dans ce que l’honorable préopinant pourrait appeler des généralités, et que j’élude ses interpellations. Il nous a demandé si nous voulions, comme l’honorable M. Delfosse, la réforme électorale. Notre réponse est positivement négative, et nous n’avons jamais hésité à nous en expliquer ; Nous considérons toute réforme électorale comme inopportune, comme inutile, comme dangereuse en ce moment. Mais nous n’avons pas la prétention d’enchaîner l’avenir.

La sagesse de ceux qui ont faite la constitution a été jusqu’à prévoir que cette constitution, loi des lois, pouvait, elle-même, recevoir du temps et de l’expérience des modifications. La législateur constituant lui-même les a entrevues ; lui-même a pris soin d’organiser les moyens d’introduire les modifications ; Nous ne serons pas plus sages, nous n’avons pas la prétention d’être plus prévoyants que la constitution. La réforme électorale est pour nous, comme beaucoup d’autres questions, livrée à l’avenir, aux réflexions de tous les hommes, de quelque nuance d’opinion qu’ils soient. J’irai plus loin ; je serai plus précis. S’il était fait une proposition de réforme électorale, l’appuierions-nous ? Non, nous ne l’appuierions pas. Nous le déclarons, nous viendrions la combattre. Je pense que ceci est parfaitement clair. (Adhésion générale.)

Divisés avec l’honorable membre, dont on nous reproche en quelque sorte l’appui, et divisés très franchement sur la question de la réforme électorale, pourquoi donc recevons-nous l’appui de cet honorable membre ? Mais c’est par une loi de la nature humaine toute simple, dont je m’étonne que les conséquences échappent à l’honorable préopinant ; c’est parce que cette question, qui peut être considérée comme secondaire, n’empêche pas cet honorable membre d’être d’accord avec nous sur d’autres questions bien plus importantes. Ainsi, si nous sommes en désaccord avec certains membres sur la question de la réforme électorale, nous sommes d’accord avec eux contre l’honorable préopinant sur l’importante question à laquelle il a fait tout à l’heure allusion. Eux et nous soutenons que l’Etat n’est pas incompétent en matière d’instruction ; que l’Etat peut intervenir dans l’enseignement public. Voilà un point sur lequel nous sommes d’accord avec les honorables membres. Cela seul suffit pour que leur appui soit donné et reçu honorablement.

L’honorable préopinant, qui connaît si bien l’histoire parlementaire de l’Angleterre, n’est-il pas frappé de l’exemple que lui fournit l’histoire contemporaine de ce pays ? Un homme politique, un orateur illustre, qui doit avoir les sympathies de l’honorable préopinant, M. O’Connell, n’est-il pas un appui presque systématique du ministère whig ? Et cependant M. O’Connell est plus que radical ; M. O’Connell veut détruire l’unité de l’empire britannique ; M. O’Connell veut formellement le rappel de l’union.

Et bien que le ministère de lord Palmerston ou de lord Russell accepte l’appui de M. O’Connell, dans presque toutes les questions, dans presque toutes ses luttes avec le parti tory, s’ensuit-il que le ministère whig soit prêt à sacrifier à M. O’Connell l’unité de l’empire britannique ? Il n’en est rien. D’accord avec lui sur quelques questions, les ministres restent divisés sur d’autres. Voilà un exemple de l’histoire parlementaire de l’Angleterre, qui n’est pas sans analogie avec ce qui se passe chez nous. Je regrette que l’honorable préopinant ait oublié de parler de cet épisode important.

Je ne sais pourquoi et dans quelle vue l’honorable préopinant nous parle toujours du ministère français du 1er mars, du ministère de M. Thiers. Je ne sais si l’honorable préopinant, qui devrait laisser ce tort aux esprits superficiels, est bien réellement frappé de quelques points de ressemblance toute apparente, et s’il méconnaît toute la différence réelle, profonde, qui nous sépare du ministère du 1er mars. Je ne sais pourquoi il revient constamment sur cette comparaison.

Mais si je ne m’abuse, l’opinion qu’a constamment suivie l’honorable préopinant se rapproche beaucoup plus du système proclamé par le ministère du 1er mars, par le ministère de M. Thiers, que l’opinion des membres du ministère actuel pris individuellement ou collectivement. M. Thiers (je n’ai pas à le juger, je raconte) n’est-il pas, depuis plusieurs années, l’homme, la personnification du système belliqueux, du système de l’extension territoriale, l’homme du système aventureux, et je ne prends pas ce mot en mauvaise part, car je blesserais toutes les convenances si, à cette tribune, j’attaquais cet homme distingué d’Etat ?

Et nous, de quoi nous a-t-on si souvent accusés ! d’être des conservateurs quand même ; d’être les hommes de la paix à tout prix, les hommes de la diplomatie ; des hommes sans énergie, que la moindre apparence de guerre avait toujours épouvantés. Nous, nous avons été constamment les défenseurs de la diplomatie, du système de la paix, les adversaires de tout système de propagande ; peut-on en dire autant soit du ministère du 1er mars soit des hommes qui prétendent ici que nous en sommes en quelque sorte la contrefaçon ? Je laisse à la chambre à juger de quel côté il y a de l’analogie avec l’esprit qui présidait au ministère du 1er mars.

Messieurs, devant un certain philosophe on niait le mouvement. Que fit ce philosophe pour réfuter ses adversaires ? Il marcha.

On a commencé aussi par nier l’indépendance, la liberté d’action du ministère ; le ministère, à son berceau, devait naturellement, disait-on, marcher avec circonspection, il devait y mettre de la diplomatie, de la dissimulation ; mais aussitôt que la chambre se serait éloignée, aussitôt que la session serait close, vous verriez le nouveau ministère mettre le feu aux quatre coins du pays et faire de tous les fonctionnaires nommés par l’ancien cabinet une véritable Saint-Barthélemy. (On rit.)

La chambre est partie, le ministère a été libre pendant six mois ; comptez les victimes, où sont-elles ? (On rit.)

On nous y a conviés cependant à un système d’épuration ; et pendant que l’honorable comte de Mérode voir en nous des espèces de massacreurs de fonctionnaires publics, alors qu’une victime a été, non pas tuée, mais légèrement blessée (hilarité), d’autres aujourd’hui, d’autres organes d’une opinion toute différente de celle de l’honorable comte de Mérode nous accusent au contraire de faiblesse, de duperie, presque de trahison, en nous voyant conserver en quelque sorte toutes les créatures (ce ne sont pas mes expressions, ce sont celles dont s’est servie la presse), toutes les créatures de l’ancien cabinet.

Vous voyez, messieurs, à quelles accusations contraires, à quelles accusations diverses, et qui s’entre-détruisent par cela même qu’elles sont diamétralement contraires, est exposé un ministère qui fait profession de marcher dans sa ligne, de n’écouter que la voix de la modération et de l'impartialité.

De l’impartialité ! mais on l’a tellement reconnu, que pour échapper à la démonstration de cette impartialité qui ressort de tous les actes du ministère, on a été obligé de la qualifier de « bascule. » Voilà comment on a prétendu réfuter le ministère dans ses déclarations et dans sa pratique de modération et d’impartialité, par un jeu de mots.

Eh bien, je le répète, tels nous avons été, tels nous serons, nous occupant fort peu des opinions intimes des fonctionnaires publics, mais beaucoup, comme nous en avons le droit, de leur adhésion à la marche du cabinet ; ne voulant pas souffrir qu’on trouve un privilège d’impartialité dans ces mêmes opinions que nous respectons, disposés aussi à faire prompte justice de toute résistance aux ordres hiérarchiques, sans tenir aucun compte de certaines qualifications de parti.

A quelque parti qu’il appartienne, tout fonctionnaire qui remplira fidèlement ses devoirs, tout agent politique qui ne se déclarera pas en dissidence complète avec le principe et la marche du cabinet, sera respecté par nous. Nous ne dévierons pas, devant les accusation dont nous sommes ici l’objet, de la ligne de modération et d’impartialité que nous nous sommes tracée en entrant au ministère.

M. Brabant – Messieurs, depuis dix ans bientôt que je siège dans cette enceinte, c’est la première fois que je prends part à un débat politique.

J’y prends part à cause des accusations qui ont été lancées contre l’opinion à laquelle j’appartiens tant par le ministère que par l’honorable député de Liége qui a parlé avant M. le ministre des affaires étrangères.

J’ai dit que l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir a été attaquée par le ministère. On nous a reproché de faire une opposition mesquine et tracassière, de n’oser arriver à une déclaration de principes, et de nous arrêter à des mots dans les articles des différents budgets.

Messieurs, trois discussions solennelles et d’une haute importance se sont engagées depuis le commencement de la session. La première de ces discussions a porté sur le budget du ministère de la justice ; la seconde, sur la loi des pensions ; la troisième est celle qui nous occupe en ce moment.

Un seul article du budget de M. le ministre de la justice a donné lieu à un débat animé, à un débat que j’oserai qualifier d’injuste. Qui se trouveraient le soutien du ministère dans ce débat ? C’étaient nous, messieurs, et les attaques venaient d’un autre côté.

Cependant, lorsque mes honorables amis se trouvèrent provoqués, attaqués dans ce qu’ils avaient de plus cher, lorsque la nécessité de la défense les amena à soutenir ici leur opinion, à qui les reproches d’exagération, à qui les reproches de vivacité plutôt, furent-ils adressés par M. le ministre de la justice ? Eh bien ! messieurs, c’était encore à nous.

La loi des pensions, je ne crois pas que nous ayons à nous en occuper. Le ministère a déclaré pendant la discussion, il a fait déclaré après la discussion que ce n’était pas son ouvrage, et que ce n’était qu’en acquit de son devoir qu’il avait pris part à la discussion.

Du reste le résultat de l’appel nominal suffit pour prouver que les amis actuels du ministère et ses ennemis, si l’on veut, partageaient la même opinion sur le mérite de cette loi.

Maintenant s’est présenté le budget des travaux publics. L’on a discuté certaines propositions du gouvernement ; mais, messieurs, dans quel but l’a-t-on fait ? est-ce dans un but mesquin ? est-ce dans un but de tracasserie ? Non, messieurs, mais plusieurs membres de cette chambre, je dirai même la majorité de cette chambre, tremblent devant notre avenir financier. On l’a présenté à l’entrée du ministère actuel sous des couleurs très sombres, et il est réellement sombre, messieurs.

Nous sommes en présence de lois d’impôts qui doivent tuer des industries importantes, qui doivent peser d’une manière très forte sur le peuple, sur le malheureux peuple qui sera particulièrement atteint par cette disposition, si elles viennent à passer en loi. Je crois qu’il était de notre devoir de discuter alors le mérité des propositions nouvelles qui étaient faites par le gouvernement.

Messieurs, un de mes honorables amis a (je le crois du moins, le ministère l’en a accusé) traité le ministère actuel de ministère d’irritation.

Mais, en vérité, messieurs, il suffisait de la séance d’hier pour justifier cette qualification ? Que dit M. le ministre des affaires étrangères dans le discours qu’il prononça à la fin de la séance d’hier ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je répondais à M. Dechamps.

M. Brabant – Il nous a attribué la qualification de parti conservateur, qualification que personne d’entre nous, je crois, n’avait prise lui-même, et il nous a reproché d’avoir fait partie de cette opposition qui ne voulait pas du traité. Le reproche à l’honorable comte de Mérode, et cela sous des termes enveloppés, d’avoir été l’une des causes du défaut de sympathies d’une des grandes puissances de l’Europe à l’égard de la Belgique.

La Belgique n’a pas encore fait sa paix avec toute l’Europe, nous disait-il. Je ne sais, messieurs, jusqu’à quel point il convenait d’introduire un épisode dans la discussion.

M. le ministre de la justice reprochait tout à l’heure à l’honorable comte de Mérode de parler d’un sujet qui était très délicate. Il est délicat, j’en conviens ; mais par cela même qu’il est délicat, qu’il est de nature à compromettre nos relations ultérieures avec une grande puissance, je crois que M. le ministre des affaires étrangères aurait bien fait de s’abstenir de traiter cette question.

M. le ministre des affaires étrangères avait-il donc oublié qu’au congrès, dans la discussion des 18 articles, il implorait d’une fraction de l’assemblée l’adoption du traité, qu’il nous représentait alors comme nécessaire en faveur de cette malheureuse Pologne, dont il répudie aujourd’hui les enfants.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Cela n’est pas, je demande la parole.

M. Brabant – M. le ministre des affaires étrangères vient de provoquer à nouveau la discussion sur une question qui nous fait encore saigner le cœur à tous, sur l’adoption du traité de 1839. Il devait représenter l’opinion de cœur, l’opinion humaine au moins qui était partagée, et j’en conviens, M. le ministre, qui était partagée par tout le monde. Oui je crois que ceux qui ont voté ce traité, cédaient aux exigences politiques.

Je n’en fais de reproche à personne. Moi-même, dans un temps où je me croyais placé sous la même nécessité, j’avais aussi voté le traité du 1er novembre 1831.

Mais était-ce de la conciliation que de venir dire à un parti aujourd’hui en opposition avec le gouvernement, de venir lui dire : c’était vous qui étiez un obstacle à la consolidation de la nationalité belge ; c’est vous qui avez été un obstacle à la réconciliation avec l’Europe.

Messieurs, l’honorable M. Delfosse nous a dit que nous ne pouvions articuler des actes contre le gouvernement, et que c’était un procès de tendance que nous lui faisions. Je dirai franchement ma façon de penser sur cette question ; et ici je parle en mon nom ; je n’ai pas l’habitude de parler pour mes amis.

Il y a dans le ministère des hommes en qui j’ai une haute considération, et j’en ai donné des preuves. Mais aussi il y a des hommes au caractère de qui je ne veux porter la moindre atteinte, pour qui même je professe de l’estime et de l’amitié ; il y a dans le ministère des hommes qui, à mon avis, ont une tendance qui ne me convient pas, et je n’ai pas besoin d’en dire le motif ; et c’est pourquoi je vote contre le budget qui est aujourd’hui en discussion.

Messieurs, je viens maintenant à l’accusation qui a été dirigée contre mon opinion par l’honorable M. Delfosse.

On nous a accusés de vouloir le monopole de l’enseignement ; et ici, l’accusation vient à propos, puisqu’elle a du rapport avec un article qui est véritablement en discussion.

Messieurs, cette liberté d’enseignement qui est consacrée par la constitution, liberté qui nous est la plus chère, parce qu’avant nos droits de citoyens nous considérons nos devoirs de père de famille ; cette liberté, nous en avons usé ; et voilà tout ce que nous avons fait pour arriver au monopole.

Considérez l’état de l’enseignement en Belgique. Il y a quatre universités ; deux autres subsistent de souscriptions volontaires. Il est une de ces universités dont je ne m’occuperai pas. Il en est une autre, celle de Louvain, dont je dirai que l’existence était nécessaire. Le fait l’a prouvé.

Je crois, messieurs, que les universités de l’Etat méritent la confiance ; je crois que l’enseignement que l’on y donne est irréprochable. Une seule chose qui, à mon avis, y manque, et ce qui détourne un grand nombre de parents d’y envoyer leurs enfants, c’est le manque d’un enseignement religieux, c’est le manque d’une surveillance suffisante pour les jeunes gens qui y sont envoyés.

Messieurs, en présence des sommes considérables dépensées par les universités de l’Etat, nous avons une université qui, d’après les chiffres officiels fournis par le gouvernement, emporte le tiers des jeunes gens qui se livrent à la culture des hautes sciences. Cependant nous n’avons jamais rien demandé au trésor pour elle et nous ne demanderons encore rien.

Dans l’enseignement moyen nous avons des collègues ; et ceux-là sont brillants, messieurs, ils sont nombreux ; nous pouvons dire qu’ils sont suivis par la majorité des jeunes gens qui suivent l’enseignement moyen. Nous n’avons rien demandé pour eux, nous ne demandons rien encore ; la plupart des familles dont les enfants reçoivent une éducation libérale sont assez fortunées pour pouvoir faire les frais de ces établissements.

Dans l’enseignement primaire, voyez, messieurs, comment les subsides, subsides du gouvernement, subsides des provinces, subsides des communes, sont employés. Je pourrais citer deux villes au moins, où la majorité, l’unanimité des enfants pauvres reçoivent l’instruction primaire de nos mains ; cependant là, à l’exception d’un subside de mille francs, alloué aux établissements rivaux, à l’exception de ce faible subside, il n’y a absolument que les contributions volontaires pour couvrir les frais de cet enseignement que nous donnons. Je pourrais citer une autre localité où notre école est suivie par un très grand nombre d’enfants, où la commune fait des dépenses énormes sans contribuer le moins du monde aux frais de cette école, que M. Delfosse connaît bien et que je n’ai pas besoin de nommer.

Sont-ce là des preuves, messieurs, de notre désir d’envahissement ? Sont-ce là des preuves de notre tendance au monopole ? Non, messieurs, nous ne voulons pas de monopole ; nous respectons la constitution, qui laisse à chacun la liberté de suivre telle ou telle doctrine, de pratiquer telle ou telle croyance ; mais nous serions en droit de réclamer notre part et une part proportionnelle dans ces subsides qui sont aujourd’hui prodigués à certains établissements. Ce que nous voulons, messieurs, ce n’est pas le monopole ; nous voulons l’accomplissement de nos devoirs de pères de famille, nous voulons conserver nos enfants les maximes que nous professons ; nous souhaitons de pouvoir étendre à la majorité du peuple belge cet enseignement qui lui conservera ce caractère catholique, dont a parlé hier M. le ministre de la justice, ce caractère catholique qui a fait la gloire de notre pays et qui fait aujourd’hui sa sûreté.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, je me félicite de nouveau du caractère qu’ont revêtu les débats depuis la séance d’hier. Il était temps, en effet, que les griefs qui, jusqu’ici avaient circulé sourdement et qui n’avaient pris naissance qu’au dehors de cette enceinte, fussent enfin ici formulés avec toute la netteté, toute la franchise que nous sommes en droit d’attendre de la part de nos adversaires. A plusieurs reprises, messieurs, nous avons déclaré que nous étions prêts à défendre nos principes et nos actes, nous avons appelé la discussion sur ce terrain ; la discussion y est arrivée, et je ne puis que me féliciter de ce changement dans le système suivi par l’opposition à l’égard du ministère.

Quant à nos principes, messieurs, jusqu’ici je cherche en vain ce qu’on a pu leur reprocher. Jusqu’ici aucune membre n’a pu trouver dans la manifestation de nos principes le moindre mot à reprendre. On ne l’a pas fait, et l’on aurait eu grande peine à le faire. Quant à nos actes, nous vous avons provoqués à articuler contre eux une accusation sérieuse, et au moment où vous annoncez que vous allez articuler cette accusation, vous vous êtes de nouveau renfermés dans les prétendues tendances du ministère. C’est donc avec une parfaite raison qu’un honorable membre a dit que c’était un procès de tendance que vous organisez contre nous.

L’honorable M. Brabant vient de rendre hommage au caractère d’un des membres du cabinet pour qui il professe de l’estime et de l’amitié. Messieurs, sans flatterie, je crois que cette allusion m’était personnelle.

M. Brabant – Oui.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Ces sentiments que l’honorable membre professe pour moi, je les lui porte depuis longtemps et je continuerai à les lui porter, parce qu’avant tout, je suis fidèle à mes anciens souvenirs d’amitié et d’estime. Eh bien, messieurs, si l’honorable M. Brabant m’a connu depuis longues années, si l’honorable comte de Mérode, qui a vécu intimement avec moi pendant 8 ans, me connaît également, ceux-là devraient se porter garants de mes principes auprès des membres de cette chambre qui partagent leur opinion politique ; ceux-là devraient savoir que j’ai toujours été mu tout autant qu’eux par les intérêts du pays, par le désir de lui procurer toute la liberté et toute la sécurité possible, de fonder le gouvernement sur des bases nationales.

Nous fait-on un reproche, messieurs, d’avoir dit, dans la séance d’hier, que les établissement d’instruction publique salariés par l’Etat inspirent confiance à un grand nombre de parents ? Nous nous sommes bornés, messieurs, à constater un fait, et nous ne pourrions jamais, ni comme citoyens, ni comme ministres, répudier les établissements d’instruction placés sous la direction de l’Etat, subsidiés par le trésor, non point par un vain caprice des ministres, mais sous sa responsabilité, sous votre contrôle, mais au moyen des fonds que vous-mêmes mettez, chaque année, à la disposition du gouvernement. Il n’y a point ici de milieu : ou il faut rayer les allocations portées au budget pour les universités, pour les établissements d’enseignement moyen et les établissements d’enseignement primaire restent dans un état florissant ; il faut vouloir cela, sinon vos votes sont une hypocrisie, sinon vos votes ne sont point des actes législatifs.

L’instruction donnée aux frais de l’Etat, je l’ai prise, quant à moi, au sérieux. Je veux que cette instruction, offrant toute espèce de garantie aux pères de faille, soi florissante. Je n’entends point qu’elle fasse une concurrence mortelle aux établissements d’enseignement privé ; loin de là ; j’ai fait hier ma profession de foi à cet égard, je crois qu’il est de l'intérêt du pays, qu’il est même dans ses mœurs que les établissements d’enseignement libres qui existent, et qui existent florissants, soient maintenus ; quant à moi, je leur répéterai toujours le concours de mes vœux et de mes actes au besoin ; mais à côté de ces établissements, il faut aussi faire la part de l’Etat, la part du pays entier. Il ne faut pas déverser le blâme sur les établissements que le pays subsidie ; il ne faut pas dire que les établissement privés brillent d’un plus grand éclat.

L’honorable M. Brabant a dit, il est vrai, qu’il ne parlait qu’en son nom ; mais il s’est constamment servi des termes : « Notre université, nos établissements d’enseignement moyen, nos établissements d’enseignement primaire, notre université, a-t-il dit, est florissante, nos établissements d’instruction primaire sont florissants. » Mais de quels établissements parlez-vous donc ? N’êtes-vous pas représentants du pays ? « Nos » établissements d’enseignement ne sont-ils pas ceux que le pays subsidie ? Ce sont ceux-là, messieurs, que j’appelle « nos » établissements, ce sont ceux-là que je veux d’abord voir florissants ; ce sont ceux-là que je tâcherai de maintenir, tant que je serai ministre, dans un état tel qu’ils puissent faire honneur au pays, tout en donnant aux familles une sûreté complète. Si c’est là un grief, messieurs, je l’accepte de la manière la plus formelle, car je continuerai à donner tous mes soins aux établissements d’enseignement confiés à l’Etat et subsidiés par lui.

Et en professant cette opinion, messieurs, sommes-nous exclusifs, sommes-nous isolés ? Cette opinion qu’il faut un enseignement florissant, donné aux frais de l’Etat, cette opinion a été consacrée par vous-mêmes. Une loi n’a-t-elle pas déjà créé deux universités ? Un projet de loi nous a été soumis dans le but d’organiser l’enseignement moyen et primaire.

Ce projet de loi, messieurs, qui a été présenté à la chambre alors que j’occupais la première fois le ministère, ce projet de loi doit offrir à tous les hommes modérés, raisonnables, des garanties suffisantes, ou s’il ne présentait pas des garanties suffisantes, il faudrait ne plus avoir confiance en personne, il faudrait que ceux-là même que l’on désigne comme les chefs de l’opinion, à laquelle l’honorable préopinant appartient, eussent eux-mêmes perdu la confiance, car enfin, ce projet de loi est l’ouvrage d’hommes impartiaux, d’hommes connus surtout pour la couleur religieuse de leurs opinions.

L’honorable préopinant suspecterait-il, par exemple, l’opinion religieuse de l’honorable et respectable M. de Gerlache, qui faisait partie de la commission dont émane ce projet de loi ? Je pourrais citer d’autres noms, mais je ne le ferai point, parce que je devrais nommer des membres qui siègent dans cette enceinte. Ils pourront parler au besoin. Eh bien, messieurs, ce projet de loi qui forme la base de la politique du gouvernement en matière d’instruction publique, ce projet a été adopté dans toutes ses dispositions par l’unanimité des membres de la commission dont je viens de parler.

Quand ce projet de loi viendra enfin à être discuté, nous aurons l’occasion de nous expliquer ; c’est alors que nous verrons dans quelle mesure il faut faire la part du gouvernement et la part de la liberté de l’instruction. Si ce projet donne lieu à des modifications raisonnables, nous accepterons ces modifications. Si l’on nous démontre qu’il renferme des dispositions contraires à la constitution, contraires aux mœurs du peuple belge, nous nous empresserons de consentir à la suppression de ces dispositions. En un mot, nous ne ferons aucune difficulté de nous rallier à toutes les modifications raisonnables qui pourront être proposées.

Voilà donc le principe du dissentiment entre une partie de cette chambre et nous, une fraction de cette chambre, une fraction de l’opposition diffère complètement de principe avec nous en matière d’enseignement.

L’honorable M. Dechamps a professé de la manière la plus formelle la doctrine de l'incompétence de l'autorité civile en matière d’enseignement ; son rapport sur les universités est là, et au besoin, il parlera contre lui.

Eh bien, je ne sais quelle destinée est réservée à l’honorable préopinant, mais je déclare à l’avance qu’un représentant visant à un poste plus haut, en continuant de professer de cette crudité de pareilles maximes, ne resterait pas vingt-quatre heures dans cette position plus élevée.

Vous nous avez demandé quels étaient nos principes, à notre tour, nous pourrions vous demander quels sont les vôtres. Si vous n’avez pas ceux que nous venons de rappeler, dites-nous alors ceux que vous avez : nous pourrons les discuter.

On a cru voir une tendance, car en définitive, on s’est arrêté à ce genre d’accusation, on cru voir une tendance à tenir pour rien l’éducation religieuse des enfants, dans la mesure du concours. L’on a dit que parmi les objets qui avaient fait partie du concours organisé par les soins de l’Etat, au mois de septembre dernier, les matières religieuses avaient été négligées.

Eh bien, c’est là qu’il faut voir une preuve de la conduite impartiale de prudente de l’administration. Serait-il tombé dans la tête d’un ministère, à quelque nuance d’opinion qu’il appartînt, de provoquer, sous sa direction, l’examen de l’instruction religieuse, sans le secours de ceux à qui cette instruction est particulièrement remise ?

Le gouvernement, en interrogeant les collègues subsidiés par l’Etat, les a pris tels qu’ils sont. La chambre n’a pas donné au ministère la mission de scruter l’enseignement religieux des collèges, et jamais les inspecteurs envoyés dans ces établissements par le gouvernement n’ont été chargés d’exercer à cet égard un contrôle quelconque. C’est bien alors qu’on eût excipé de leur incompétence, c’est bien alors qu’on eût accusé l’administration civile de vouloir pénétrer sur un terrain d’où elle doit rester éloignée.

L’honorable M. Dechamps, s’attachant à cet acte du ministère, au concours, l’a considéré comme illégal. Dans une autre circonstance, l’honorable membre avait été plus loin : il l’avait considéré comme inconstitutionnel. Mais comme il a sans doute remarqué que la loi sur l’enseignement universitaire consacrait le principe des concours, il a renoncé à cette première base d’accusation, pour se retrancher derrière la prétendue illégalité de la mesure.

Cette mesure des concours entre les collèges subsidiés par l’Etat est illégale ! Et pourquoi donc ? Par quelle loi est-il interdit au gouvernement de s’assurer de l’emploi que reçoivent les subsides donnés par lui ? Il y aurait au contraire illégalité, si l’on s’abstenait de cette inspection. Car enfin il y a différentes manières de violer la loi : on peut violer la loi en posant des actes, comme on peut la violer en ne les posant pas. Que veut la loi du budget ? La loi du budget veut que le gouvernement fasse inspecter les établissements d’enseignement moyen subsidiés par lui ; donc, ne pas faire cette inspection (et le mode d’inspection est une mesure purement administrative), ce serait violer la loi, ce serait commettre une illégalité.

Mais, dit-on, il fallait attendre que la loi sur l’enseignement moyen vînt organiser les concours, le mode d’action du gouvernement ?

Mais, messieurs, faut-il laisser indéfiniment l’enseignement subsidié par l’Etat entièrement livré à lui-même ? Faut-il que tous les collèges communaux abandonnés par l’Etat, abandonnés par les chambres, laissent le chemin libre à d’autres établissements ? est-ce là ce qu’on veut ? Qu’on le dise nettement, mais alors qu’on ne conserve plus dans le budget des allocations menteuses, inefficaces, hypocrites.

L’on dit que l’instruction publique n’est pas une question de parti, mais une question d’honnêtes gens.

Eh bien, c’est ainsi que nous l’entendons, que nous l’acceptons. Ce n’est pas nous qui faisons de l’instruction publique une question de parti. Ralliez-vous à nos vues conciliatrices, faites une part convenable à l’autorité civile dans l’enseignement ; alors vous ne verrez pas l’instruction publique dégénérer en une question de parti ; elle restera alors ce qu’elle doit être, une question constitutionnelle, une question nationale.

Quant à nous, quand nous nous sommes rangés sous la bannière de la liberté de l’instruction, nous l’avons fait de bonne foi. Nous continuerons de marcher sous cette bannière. Nous serons les premiers à défendre cette liberté, si elle était attaquée, mais en même temps nous déclarons que jamais nous n’avons voulu considérer le gouvernement civil, l’autorité royale, comme complètement incompétente en matière d’instruction. Nous ferons la plus large part possible dans les établissements de l’Etat à l’éducation religieuse, qui est surtout du ressort de la famille, du ressort de l’église ; mais nous disons, et la grande majorité du pays qu’on invoque si souvent ici, dira avec nous, qu’il faut dans un Etat, non seulement un enseignement libre, mais aussi l’enseignement donné aux frais de tous et sous la direction de tous.

Voilà quels sont nos principes, voilà les règles que nous continuerons de suivre dans l’application de la loi du budget. C’est armé de ces principes que nous défendrons le projet de loi qui vous a été soumis, il y aura bientôt sept ans, projet de loi qui a été conçu dans les vues les plus conciliatrices, les plus modérées, projet de loi qui, après un examen approfondi, obtiendra, je n’en doute pas, l’assentiment de la grande majorité des chambres.

M. Dolez – Messieurs, l’honorable M. Brabant vous disait au début de son discours, que c’était pour la première fois qu’il abordait dans cette enceinte une question politique. Moi non plus, messieurs, je n’ai pas l’habitude de m’engager dans de semblables questions. Aussi, si je n’avais consulter que mes désirs, je garderai le silence ; mais après les discours que vous avez entendus dans cette séance et dans celle d’hier, ce silence ne nous était plus permis, à peine de manquer au sentiment de notre propre dignité.

En effet, pour quiconque apprécie sainement les différents discours de l’honorable M. Dechamps, il devient bientôt évident que c’est bien moins le ministère qu’il attaque que les opinions qui siègent sur ces bancs, opinions auxquelles je me fais honneur d’appartenir.

Sans cesse, on vous a dit que, quant au ministère, l’on n’avait rien à reprocher à son passé, qu’il était composé d’hommes honorables et dont on estimait le caractère et les antécédents ; mais qu’on redoutait ses alliances et les votes qui l’appuyaient dans cette chambre.

Et pour rendre cette pensée plus évidente encore, l’orateur a eu soin de vous dire qu’en Angleterre, toutes les fois qu’un ministère était appuyé par les whigs, les tories se hâtaient de lui faire la guerre.

Etrange langage, pour le dire en passant, dans la bouche d’un homme qui voudrait voir fonder un ministère de conciliation ; étrange langage qui, tout en préconisant la concorde, dit à une partie de cette chambre : pour cela même que vous appuyez le gouvernement, nous devons le combattre !

Comment l’honorable membre n’a-t-il pont senti que son langage avait pour conséquence inévitable que si un ministère surgissait des bancs de cette chambre qui possèdent sa sympathie, nous serions à notre tour en droit de le combattre ! En présence d’un tel langage, que penser, messieurs, de ces protestations, du désir de voir la conciliation régner parmi nous… Notre honorable collègue, M. Delfosse, vous l’a dit tout à l’heure d’une manière un peu âpre peut-être, mais empreinte d’une noble franchise ! En vain protesterait-on contre ce jugement, l’honorable M. Dechamps, à son insu sans doute, l’a porté lui-même sur cette opposition, dans laquelle il vous a dit qu’il voulait entrer, pour sortir d’une position qui le tenait à la gêne. Vous l’avez en effet entendu déplorer hautement de voir la chambre belge présenter aujourd’hui l’image qu’offre depuis 1839 la chambre française.

Je comprends tout ce qu’il y a de délicat et de grave dans ces jugements portés par le parlement belge sur le parlement d’un autre pays ; aussi hésiterais-je à émettre mon avis sur cette position de la chambre française, si depuis longtemps cet avis n’était proclamé en France par l’opinion publique et par une foule de ses organes. Depuis longtemps on l’a dit, messieurs, c’est dans de déplorables luttes d’ambitions personnelles, qu’il faut chercher la cause du malaise qui tourmente la chambre française et qui réagit sur la France elle-même. On attaque un ministère, non point parce qu’on a le noble sentiment de pouvoir mieux faire dans l’intérêt du pays, mais parce qu’il occupe des place que regrettent quelques-uns, qu’ambitionnent quelques-autres ! Ah ! convenez-en, messieurs, c’est un jugement sévère qu’a porté sur l’opposition l’honorable M. Dechamps, quand il a assimilé ce qui se passe dans cette chambre à ce qui se passe chez nos voisins !

Quant à nous, qui sommes, s’il faut en croire l’honorable M. Dechamps, la cause principale de ces attaques, nous vous dirons franchement à quels titres il possède nos sympathies. C’est d’abord parce que nous avons pensé que les questions d’honneur étaient peu de choses en présence d’aussi graves intérêts que ceux du pays entier, c’est parce que nous avons pensé qu’un ministère, dont tous les membres avaient toujours professé des principes de modération, qui dans son programme a annoncé que c’était ces principes qui devaient lui servir de guide, c’est parce que nous avons pensé, dis-je, qu’un tel ministère était plus propre que tout autre, à amener notre pays à cette conciliation que nous désirons avec sincérité.

C’est donc, messieurs, avant tout comme hommes de modération et non pas comme hommes de parti exagéré, c’est à titre de sa modération même que nous appuyons le ministère. Nous l’appuyons parce que nous comptons qu’il saura, tant qu’il restera au timon des affaires, appliquer avec impartialité envers tous et pour tous les principes de liberté que notre constitution nous a départis. Nous l’appuyons encore parce que nous avons la conviction qu’il saura toujours maintenir avec fermeté entre les mains du pouvoir royal les droits que votre constitution lui a attribués et que jamais il ne consentirait à ce qu’un autre pouvoir les usurpât. Voilà quelles sont les causes qui nous ont portés à appuyer le ministère. Y a-t-il dans de semblables causes rien qui doive épouvanter M. Dechamps, rien qui doive faire dire à l’honorable membre : nous n’avons aucun reproche à faire au ministère, mais ses alliances nous effraient, c’est à cause d’elles que nous devons le combattre !

Mais depuis 10 mois que ce ministère existe, quelle est donc l’exigence qui soit partie de ces bancs, quelle demande avons-nous adressée au ministère, quelle exigence lui avons-nous imposée ? Citez donc, vous qui nous accusez, dites donc quel est ce principe nouveau, dangereux pour le pays, que nous avons convié le ministère d’exposer ? La réforme électorale, dites-vous ? Un seul des honorables membres qui siègent de ce côté vous en a parlé. Et à quelle époque, et dans quels termes l’a-t-il fait ? A une époque voisine de la formation du ministère, et tout en vous déclarant que l’appui qu’il était provisoirement disposé à porter au ministère n’était pas définitif ; que, fidèle à la bannière sous laquelle il s’était rangé avant d’entrer dans cette enceinte, il continuerait à réclamer la réforme électorale. Mais a-t-il pensé à l’imposer au ministère comme conditions de sa confiance ? l’a-t-il réclamée depuis ? Nullement. Il ne vous a parlé qu’en termes de réserve qu’il faisait pour l’avenir, et si parfois l’honorable membre a pu vous en parler encore, toujours il l’a fait dans les mêmes termes d’expectative et de prudence.

Quel est donc le grand mal que quelques membres de cette chambre aient des idées formées sur les questions que l’avenir doit seul résoudre ? Où est le danger que des membres ayant de telles opinions appuient le ministère, et que celui-ci ne repousse pas leur sympathie, parce qu’ils ont des idées qui, dans l’avenir seulement, peuvent devenir le motif d’une dissidence quelconque ?

Je disais tout à l’heure que c’était bien plus à nous qu’au cabinet que l’honorable M. Dechamps avait fait la guerre, et cela est parfaitement exact. Je dois cependant reconnaître qu’il a adressé au ministère même un reproche fort grave. Ce reproche, c’est celui d’être un ministère d’irritation. L’irritation peut se comprendre de deux manières : L’irritation qu’on fait naître, que l’on provoque par sa conduite, et l’irritation qui vient vous atteindre sans que, par aucun acte, vous l’ayez suscitée.

L’irritation que l’on fait naître est grave et toujours dangereuse, mais celle-là on peut en indiquer les causes, on peut citer les faits qui la motivent. Est-ce cette irritation que vous reprochez au ministère ? Il vous a défiés de citer des faits, et votre silence seul a répondu.

Quand l’irritation que l’on n’a point fait naître, que nulle cause ne motive, l’honnête homme de droit à lui-même de se résigner à la subir ; ce n’est point sa considération qu’elle affecte.

Vous désirez, dites-vous, un ministère de conciliation ; vous pensez qu’il pourrait se former des membres sortis des côtés opposés de cette chambre, vous l’avez hautement proclamé dans la séance d’hier et dans celle d’aujourd’hui. A mon sens, vous versez dans une profonde erreur. J’ai la conviction pour mon compte que si le cabinet qui siège en ce moment au banc ministériel venait à disparaître, que si un autre cabinet sorti de l’opposition à laquelle appartient M. Dechamps venait à se former, ce cabinet n’aurait absolument rien concilié.

Et la raison, c’est qu’il arriverait aux affaires porté par une opposition, qu’à mon tour je ne crains pas de qualifier de tracassière ; et j’ai le droit de la qualifier ainsi en la rapprochant d’une autre opposition à laquelle j’ai pendant quelque temps appartenu. Cependant, longtemps c’est sur ces bancs devenus ministériels aujourd’hui qu’a siégé l’opposition. Mais comment cette opposition s’y manifestée-t-elle ? En s’attaquant franchement et uniquement aux actes du pouvoir, mais jamais en rejetant des lois utiles impatiemment attendues par une classe nombreuse de citoyens, mais jamais en cherchant à entraver la marche du gouvernement, en proposant des réductions mesquines sur les budgets, et en contestant aux fonctionnaires le strict nécessaire par le refus de voter une partie de leurs appointements. Sur tous ces points l’opposition prêtait son concours au gouvernement, parce que cette opposition était digne, parce que cette opposition concevait que, bien que n’accordant pas toute sa confiance aux hommes qui tenaient le pouvoir, elle devait respecter avant tout l’intérêt général du pays et ne pas entraver l’action nécessaire du gouvernement. Est-ce la l’opposition à laquelle appartient l’honorable M. Dechamps ?

Dès la formation du cabinet, alors même qu’aucun acte n’avait été posé par lui dans la dernière session, n’avons-nous pas vu, à propos de la loi d’emprunt, cette opposition chercher par tous les moyens imaginables, à entraver l’action du gouvernement ? ne n’avons-nous pas vu dès le début de la discussion du budget, chercher à entraver, par des lenteurs, cette discussion par l’introduction de mesquines économies ; n’avons-nous pas vu un de ses chefs, un ancien ministre des affaires étrangères lui-même, s’opposant à une allocation demandée pour les consulats, venir prétendre que la Hollande n’avait pas de consuls rétribués, alors que ce fait est essentiellement faux ! Cet honorable membre n’a pas pu ignorer comme député ce qu’il savait comme ministre, qu’un pays voisin avait des consuls rétribués. Ne voyons-nous point enfin cette opposition, avouant son impuissance d’articuler ses griefs sur des faits, s’en prendre à toute une fraction nombreuse de cette chambre et faire un crime au ministère de l’appui franc et désintéressé que nous lui prêtons.

Oh ! croyez-moi, messieurs, ce n’est point d’une telle opposition que puisse sortir une conciliation que nul de vous ne désire plus que moi ; ce n’est point dans les noms de ceux qui pourraient occuper le pouvoir que nous devons la chercher désormais, c’est à nous seuls, à notre prudence, à notre amour du bien public, qu’il peut appartenir encore de la faire naître. Accordons-nous sur le terrain de l’impartialité, de cette modération que M. le ministre de la justice vous signalait hier, comme la devise du cabinet et que nous acceptons pour la nôtre ; notre conciliation est à ce prix.

Pour moi, messieurs, je serai fidèle à cette devise, et, si quelque jour, le ministère, mentant à ses antécédents, venait à la méconnaître, vous pouvez comptez à l’avance qu’il n’aurait point d’adversaire plus déclaré que moi, et j’ai la conviction que les amis qui m’entourent cesseraient dès lors de lui continuer leur appui.

Un mot encore, avant de terminer, sur ce qui a été dit par M. Dechamps, relativement au système suivi par le gouvernement, en matière d’enseignement public. Le reproche a été formulé à peu près dans ces termes par l’honorable membre. Le tort du gouvernement, c’est de ne pas songer dans les établissements qu’il subventionne à l’enseignement religieux. Il est une première réponse à faire à ce reporte. C’est qu’il me paraît peu juste, de la part de l’honorable M. Dechamps, de l’adresser au ministère actuel. Car qu’a-t-il fait qui n’ait pas existe sous l’administration de M. de Theux ? Je ne sache pas pourtant, si ce n’est dans une occasion où l’honorable M. Doignon fait à M. de Theux le reproche de n’être pas assez catholique, je ne sache pas, dis-je, qu’il ait jamais été élevé des doutes sur les doctrines religieuses de M. de Theux, où l’on n’a rien changé sous le rapport de l’enseignement religieux à ce qui existait sous la longue administration de M. de Theux.

Mais, est-il vrai que les établissements subventionnés par l’Etat ou par les communes ne fassent pas tout ce que nous serions désireux devoir faire en faveur de l’enseignement religieux ? Ici encore, je n’ai entendu citer aucun fait et jusqu’à ce qu’on m’en cite, je repousse le reproche comme immérité. Mais si l’honorable M. Dechamps est dans l’impuissance de citer un seul fait qui atteste que l’on ne fasse point dans les établissements séculiers tout ce que réclame l’importance sentie par tous d’un enseignement religieux, je puis, moi, vous en citer qui prouve qu’on ne les seconde point toujours dans ce qu’ils voudraient faire.

Il existe dans une ville à laquelle j’appartiens par toutes les sympathies du monde, par ma naissance, par mon éducation et par le mandat qui m’appelle à siéger parmi vous, dans la ville de Mons en un mot, il existe un collège très bien organisé, dirigé par des professeurs non moins distingués par le caractère que par la science ; les administrateurs de cette ville, sentant comme nous, combien il importe aux pères de famille et à leurs enfants que l’enseignement religieux ne soit pas négligé, avaient exprimé le désir de voir un ecclésiastique attaché à leur établissement pour se livrer exclusivement à cet enseignement.

Eh bien, messieurs, tous les efforts des magistrats de la ville de Mons, leurs démarches multipliées près de l'évêque du diocèse et par du cardinal archevêque, tout a échoué ; l’ecclésiastique qu’ils demandaient dans l’intérêt de l’enseignement religieux, on le leur a refusé, et savez-vous pourquoi ? Parce qu’ils n’ont point voulu accepter la condition d’accorder à l’autorité ecclésiastique le droit de participer à la nomination des autres professeurs, parce qu’en un mot ils n’ont point voulu aliéner le caractère d’établissement communal sous lequel prospère le collège de Mons. Ah ! convenez-en, messieurs, si dans cette occurrence, il a été peu fait pour l’enseignement religieux, ce n’a point été par l’autorité séculière.

J’entends à mes côtés d’honorable collègues dire qu’on a éprouvé les mêmes refus pour Liége, Audenaerde et d’autres villes encore.

Ainsi on reproche dans cette enceinte à des établissements dirigés soit par l’Etat, soit par la commune, de ne pas faire assez pour l’instruction religieuse, et quand ils demandent pour donner cet enseignement des ecclésiastiques du choix de l’évêque, on les leur refuse. Il faut cesser de semblables plaintes, qui ne reposent sur aucune fait, qui, sous quelqu’aspect qu’on les envisage, ne peuvent qu’être éminemment injustes.

Je termine, messieurs, les observations que j’ai éprouvé le besoin de vous soumettre en vous répétant que j’ai cru devoir rompre le silence dans lequel j’aurais désiré me renfermer, parce que j’ai senti que les attaques dirigées contre le ministère allaient directement à notre adresse.

M. de Theux – Un honorable député de Liége s’est étonné que j’aie accepté avec résignation la qualification de ministère d’irritation pour le ministère dont j’ai eu l’honneur de faire partie. Je répondrait à cet honorable membre que ses souvenirs ne sont pas exacts. Ce ministère n’a pas été qualifié de ministère d’irritation. Il a été dit par l’honorable député d’Ath que dans les derniers temps il y avait irritation conte le ministère et que cette irritation, dans l’opinion de l’orateur, provenait de ce qu’aux yeux d’une fraction de la chambre, elle n’était pas suffisamment représentée au ministère. Je n’avais donc pas à m’expliquer sur les actes de mon administration ni sur ceux de mes collègues. Je l’ai fait en différentes occasions lorsque j’étais ministre et depuis que je suis sorti du ministère. Je crois inutile de rien ajouter à ce que j’ai dit dans les discussions solennelles qui ont eu lieu sur cet objet.

Il est une vérité généralement reconnue, c’est que dans un gouvernement constitutionnel plus un ministère a duré, plus sa chute prochain est probable, cela se comprend très facilement ; c’est que dans un gouvernement représentatif, les difficultés nouvelles qu’un ministère rencontre dans sa marche, forment par degrés contre lui une majorité par la réunion de diverses minorités. C’est l’histoire de tous les pays parlementaires. Mais un seul fait suffit pour répondre à toutes les accusation de ministère d’irritation : c’est sa longue durée. Lorsqu’on a été ministre pendant près de sept années, dans les circonstances les plus difficiles où un pays puisse se trouver, il faut que ce ministre n’ait pas été un ministre d’irritation. Je crois que c’est là une vérité incontestable. Je dis que nous avons été ministre dans les circonstances les plus difficiles. Ces circonstances sont de deux natures : les unes étrangères à l’administration, et celles relatives à l’administration elle-même. En dehors de l’administration, c’était le développement, la lutte des opinions dont la liberté a été largement consacrée par la constitution. De cette liberté d’opinions, de cette lutte continuelle toute légale, résultent des défiances qui remontent nécessairement jusqu’à l’administration, parce qu’on craint qu’elle ne protège une opinion au détriment d’une autre. Les faits relatifs à notre administration sont nombreux. Dans le premier ministère auquel j’ai appartenu, nous avons eu des difficultés diplomatiques, des difficultés de l’organisation judiciaire ; le pays a été dans une des situations les plus critiques.

Dans le second ministère, nous avons eu : l’organisation communale, l’organisation provinciale, celle de l’enseignement supérieure, les diverses lois sur l’armée, des lois financières nombreuses, entre autres la péréquation cadastrale, la révision des principaux articles du tarif des douanes, la question des associations, des questions diplomatiques graves et une question qui a dominé toutes les autres, celle de l'acceptation finale du traité.

A ces difficultés sont venues se joindre encore des questions non résolues relatives à l’enseignement et au commerce qu’il n’avait pas dépendu de nous de faire résoudre plus tôt.

Est-il étonnant qu’à la suite de tant de difficultés il se soit élevé un certain nombre d’opposants et que par suite d’un dissentiment grave, provoqué par un acte que nous avons cru devoir poser dans l’intérêt des populations que le traité avait séparées de la Belgique et dans la véritable interprétation d’un traité et de la constitution, nous ayons succombé alors qu’à d’autres adversaires, à des opinions dissidentes sur cette question même, se joignaient des susceptibilités patriotiques. Je ne viens pas ici récriminer contre le vote qui a amené la chute de l’ancien ministère, j’en explique seulement les circonstances.

Le même orateur, député de Liége, disait : « On n’a pas attaqué le passé du ministère actuel, on n’a attaqué que son avenir. » C’est là, messieurs, une erreur. Il suffit de rappeler les discours qui ont été prononcés, et l’on verra que ces discours portent sur le passé du ministère, aussi bien que sur son avenir. On a parlé de faits antérieurs à la formation du ministère, de faits qui l’ont accompagné et de faits isolés qui l’ont suivie plus ou moins en harmonie avec les premiers.

L’honorable député de Liége appuie le ministère, nous a-t-il dit, dans un grand but. Déjà dans une discussion solennelle il nous l’avait fait entrevoir en disant que s’il prenait patience, c’est parce qu’il espérait dans un avenir meilleur qui pourrait se réaliser plus facilement avec le ministère actuel. Cela seul expliquerait les défiances qu’a excitées l’arrivée du ministère, défiance que n’ont pas dissipées les actes qu’il a posés depuis.

M. le ministre des affaires étrangères vous a dit : « De ce qu’en Angleterre le ministère est appuyé par M. O’Connell, s’ensuit-il qu’il cède à toutes ses exigences ? » Non certes. Personne ne croira notamment que le ministère veuille admettre la séparation de l’Irlande et de l’Angleterre. Mais le parti conservateur n’a pas hésité à s’opposer au ministère dès le moment de sa formation ; pourquoi ? parce qu’il a craint les conséquences de la durée de l’administration actuelle. Vous voyez que ce qui s’est passé dans notre pays est en tout point conforme à ce qui s’est passé dans le pays le plus parlementaire. En effet, le simple bon sens dictait une semblable conduite. Fallait-il attendre, pour exprimer cette défiance que les faits fussent accomplis, que le remède fût impossible ? Ah, non, une telle conduite serait à juste titre qualifié d’insensée.

L’opposition, a dit l’honorable M. Dolez, a été mesquine ; l’honorable M. Brabant avait fait à l’avance justice de cette assertion. Deux faits ont notamment été cités par l’honorable député de Mons : celui qui s’est passé dans la discussion de l'emprunt, celui qui s’est passé dans la discussion du budget des affaires étrangères. Eh bien, je dis que si le ministère avait accepté la proposition de la section centrale en ce qui concerne l’emprunt, cet emprunt aurait été conclu à un taux bien plus avantageux ; pourquoi ? parce que la proposition de la section centrale ne permettait pas de délais pour des négociations qui, en définitive, n’ont abouti à rien. La publicité et la concurrence auraient amené la conclusion immédiate de l'emprunt ainsi qu’il en a été pour l’emprunt de 4 p.c. contracté par l’honorable M. d’Huart. L’emprunt aurait été fait avant qu’il fût question du traité du 15 juillet. Mais la clause qui a été admise dans la loi avait été acceptée par le ministère lui-même, on aurait donc tort de s’en plaindre.

En ce qui concerne les consulats, je suis véritablement étonné d’entendre renouveler l’assertion émise par l’honorable député de Mons. Je croyais avoir prouvé de la manière la plus évidente que, dans cette discussion, j’avais été entièrement d’accord avec mes précédents. Il suffit, messieurs, de relire ce qui est consigné au Moniteur pour en avoir la conviction. J’ai dit et je maintiens encore que la Hollande n’admet pas le système des consulats rétribués. Si la Hollande rétribue quelques consuls isolés, eh bien, la Belgique en rétribue aussi, et un nombre plus grand que la Hollande.

Il n’ya donc aucune espèce de reproche à faire de ce chef. L’opinion que j’ai soutenue dans ces circonstances a été également soutenue par l’honorable M. de Muelenaere, mon devancier au ministère des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères a, dans la séance d’hier, parlé d’alliances difficiles à expliquer dans la formation de certains ministères. Je désirerais savoir de M. le ministre s’il a entendu faire allusion à des faits qui se sont passés en Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je répondrai tout à l’heure. Je demande la parole.

M. de Theux – S’il en était ainsi, je croirais devoir m’expliquer non pas que ce reproche pourrait m’atteindre ; car si un reproche m’a été fait, c’était celui de n’avoir pas abandonné mes convictions, d’avoir au contraire exercé une influence trop grande dans le gouvernement.

Ce n’est donc pas pour un fait personnel que je parle, mais c’est pour justifier les honorables membres qui ont été mes collègues dans le ministère.

Déjà dans différentes occasions ils se sont expliqués sur leur indépendance ministérielle, et j’ai confirmé leurs assertions en toutes circonstances.

Dans le ministère formé en 1834, il y avait un de nos honorables collègues qui jouit encore de toute l’estime du cabinet actuel, qui a reçu de ce cabinet des marques de haute confiance, et dont le caractère est aussi estimé de ceux qui se posent nos contradicteurs.

Si cependant l’espèce de reproche qui a été articulé hier devait frapper les membres du précédent cabinet, qui ont formé l’alliance avec nous, ce membre en eût été atteint tout aussi bien que les autres.

Je ne conçois pas comment l’alliance que nous avons forme est difficile à expliquer.

Pour moi, messieurs, l’explication est toute naturelle. La première condition qu’il faut dans le personnel d’un ministère, c’est la bonne foi, c’est la loyauté, c’est le sentiment d’honneur ; la seconde condition qu’il faut, c’est de vouloir sérieusement la constitution et rien que la constitution. D’accord sur ce terrain, on ne trouve aucune difficulté dans l’application du gouvernement.

Et c’est heureusement ce qui nous est arrivé. A tel point que jamais un dissentiment sérieux ne s’est élevé dans le sein du conseil, sauf à l’occasion du traité.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Messieurs, l’honorable préopinant a fait la guerre à un fantôme. Je n’ai jamais entendu faire la moindre allusion au passé, lorsque j’ai exposé mes idées sur la formation d’un ministère.

Je n’ai pas tout à fait les mêmes principes que l’honorable M. de Theux sur la composition d’un cabinet. Je crois qu’on peut être partisan de la constitution, sans qu’il en résulte nécessairement qu’on puisse honorablement s’assoir sur le même banc ministériel ; car dans les termes de la constitution, que tout le monde respecte ici, il est telle opinion qui veut la liberté d’enseignement ; il en est telle autre peut-être qui, à son insu, en veut le monopole. Je ne pense pas que ces opinions, qui paraissent sans doute très constitutionnelles à ceux qui les professent, puissent vivre ensemble, vivre en fraternité honorablement.

M. le ministre de la justice (M. Leclercq) – Messieurs, un honorable préopinant vous a dit que je n’étais pas dans le vrai, lorsque j’avais accusé un certain nombre de membres de cette chambre de faire au ministère une opposition en quelque sorte de taquinerie au lieu de faire une opposition de principes, de principes qu’on opposerait à principes et dont on chercherait à démontrer la vérité. Et pour prouver ce qu’il avançait, il a cité différentes lois votées par la chambre et par ceux-là mêmes que nous accusons de faire de l’opposition. Il vous a dit que lorsqu’on avait combattu ou lorsqu’on avait voté ces lois, on l’avait fait par des raisons qu’on avait mises au jour et qu’on avait discutées.

Messieurs, je ne disconviens pas que l’on ait eu des raisons à opposer aux propositions du gouvernement. Mais ce que je prétends, c’est qu’à travers ces raisons a percé une défiance extrême ; ce qui est vrai, ce que tout le monde sent intimement sans que j’aie besoin de le prouver autrement qu’en l’énonçant, c’est que sans cette défiance, ces raisons ne l’eussent peut-être pas emporté. C’est que sans cette défiance nous n’eussions point passé un mois à discuter le projet d’emprunt ; nous n’eussions pas laissé écouler un temps qui était si précieux, comme les événements l’ont démontré.

On vous a dit que si cet emprunt n’avait pas réussi, c’est parce que le gouvernement n’avait pas accepté les propositions de la section centrale.

Messieurs, l’emprunt n’a pas réussi, parce que l’emprunt a été voté trop tard. L’emprunt n’a pas réussi, parce qu’on a prétendu mettre à cet emprunt des conditions de concurrence et de publicité, et que le gouvernement a été forcé de déclarer que son intention était de recourir à la concurrence, si c’était possible.

L’on a induit de là qu’il avait accepté ces conditions. Non, messieurs, il ne les avait pas acceptées, car on voulait les insérer dans la loi et il s’y est refusé ; mais par cela même qu’on l’avait réduit à faire la déclaration qu’il a faite, force lui a été de se procurer les moyens de montrer qu’il ne lui avait pas été possible d’obtenir la concurrence ; et pour se procurer ces moyens, il a fallu laisser écoulé quelque temps ; ce temps a été court, il est vrai. Mais si nous avions pu prévoir ce qu’il n’était donné à personne de prévoir, que des événements surviendraient qui amèneraient les résultats que vous savez, nous aurions pris sur nous d’abréger davantage encore ce délai.

Mais quelque court qu’il ait été, il n’en a pas moins été nuisible et c’est par suite de longues discussions qui ont eu lieu dans cette chambre, que nous avons dû le subir. C’est pendant ce délai que sont survenus les événements qui nous ont forcés de recevoir des conditions d’emprunt plus onéreuses qu’elles n’eussent été avant ces événements.

Voilà un exemple de cette opposition de taquinerie qui, je le répète, entrave les affaires du pays, c’est cette opposition qui me justifie, lorsque je dis que sans la défiance extrême qui perce, à travers toutes les discussions, de la part d’un certain nombre de membres de cette assemblée et que rien ne motive, les raisons qu’ils font valoir ne l’emporteraient pas au point de pouvoir sans cesse entraver, retarder le mouvement des affaires.

C’est encore à cause de cette défiance extrême que depuis quatre mois nous sommes assemblés, sans que même les budgets soient votés. C’est à cause de cette défiance que je suis autorisé à dire que sans elle, depuis deux mois, les budgets seraient votés, qui sans elle depuis deux mois nous nous occuperions des affaires du pays, que sans elle depuis deux mois nous aurions examiné plusieurs des lois d’une grande urgence, d’une grande importance, qui attendent de voir une résolution.

Messieurs, il est temps que nous sortions de cet état ; il est funeste à la nation ; la nation doit enfin savoir si elle a un gouvernement stable, si elle a un gouvernement que tous doivent respecter, si elle a un gouvernement fort et sûr d’un avenir, sans lequel il ne peut rien ; enfin les affaires seront faites ; je ne puis trop le répéter, l’occasion s’en présente ; le budget des travaux publics va être voté, l’assemblée doit se prononcer, et j’espère qu’elle se prononcera. Si elle rejette le budget, alors le ministère saura s’il doit en appeler de nouveau au pays, ou s’il doit se retirer. Si elle l’adopte, alors aussi l’on devra bien reconnaître qu’il existe ici une majorité pour le ministère et nous espérons que l’on s’occupera des intérêts du pays, et que l’on s’en occupera plus activement qu’on ne l’a fait jusqu’aujourd’hui, qu’on ne cédera plus à ces sentiments d’antipathie auxquels des mandataires de la nation ne doivent plus s’abandonner quand une fois la majorité de la représentation nationale aura prononcé.

Messieurs, je dois maintenant ajouter quelques mots à la réponse que M. le ministre des travaux publics a fait à une interpellation de l’honorable M. Dechamps sur l’instruction publique.

Une réponse catégorique a déjà été faite, sur un autre point de la politique générale par M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des travaux publics a déjà répondu également à l’interpellation sur l’instruction publique. Je crois pourtant devoir encore quelque explication sur ce sujet.

L’honorable M. Dechamps nous a demandé si nous reconnaissions ou si nous rejetions ce principe que l’instruction religieuse doit être séparée de l’instruction scientifique et littéraire. Messieurs, ma réponse sera moins précise que la question, et après cela je crois que plus rien ne pourra être demandé.

Je pense, et mes collègues pensent avec moi, que quand il s'agit de la jeunesse, l’instruction ne doit pas être séparée de l’éducation ; nous pensons qu’il n’y a pas d’éducation sans que l’on donne une direction religieuse, sans que l’on inspire des habitudes religieuses à la jeunesse, sans qu’on lui donne une instruction religieuse. Nous pensons que pour tout ce qui regarde la religion dans l’éducation, il faut faire par la loi, au ministres du culte, une part d’intervention proportionnée à l’importance de la religion.

Mais aussi, messieurs, nous pensons que les établissements de la nation doivent être en dernière analyse sous la surveillance et la direction de la nation, c’est-à-dire de ceux qui représentent la nation et qui seuls peuvent la représenter, et j’entends pas là le Roi et les chambres, chacun dans les limites des pouvoirs que la constitution lui confère.

Voilà la réponse que j’ai à faire à l’interpellation de l’honorable M. Dechamps. Cette réponse ne peut, je pense, donner lieu à aucun doute, à aucune difficulté. Nous la faisons sans aucune arrière-pensée et nous déclarons que personne n’a le droit de soupçonner la bonne foi avec laquelle nous mettrions ces principes à exécution. (Très bien ! Très bien !)

Je finirai, messieurs, comme j’ai commencé hier en demandant que si l’on veut refuser son concours au gouvernement, l’on énonce enfin clairement les griefs que l’on élève contre lui. C’est ce que nous avons demandé hier, c’est ce que nous demandons encore aujourd’hui. Voilà dix jours que cette discussion dure, et jusqu’à présent, je ne crains pas de le déclarer, aucun fait n’a été articulé contre le ministère, aucune doctrine dangereuse n’a pu lui être imputée, il n’y a rien eu que des phrases, rien que des généralités.

On s’est rejeté en définitive sur les alliances du ministère. Eh bien, ces alliances, fait-il encore le répéter ? ces alliances n’existent que dans l’imagination de ceux qui nous les reprochent. Nous sommes indépendants pour notre conduite comme pour nos principes. S’il pouvait y avoir des alliances dangereuses, si nous pouvions être poussés à des extrémités funestes, c’est la conduite que l’on tient ici depuis 4 mois qui pourrait y pousser un ministère dont les convictions seraient moins profondes, un ministère moins attaché aux principes que nous avons pris pour règle de notre conduite, moins ferme dans sa résolution de ne jamais s’en départir en aucune circonstance ; mais ne craignez rien, messieurs ; quelle que soit la décision qui interviendra dans ce débat, nous ne dévierons pas de ces principes ; ils sont à nous ; ils ne nous viennent de personne, nous en avons la conscience et nul ne pourra nous les faire abandonner. (Très bien ! très bien !)

M. Dolez – Messieurs, tout à l’heure j’ai cité les paroles prononcées par l’honorable M. de Theux dans la discussion relative aux consulats. L’honorable membre vient de nier l’exactitude de cette citation. Je tiens à prouver à la chambre que je ne l’avais point tronquée. Il est vrai qu’il y a une différence entre ce qui a été dit par M. de Theux, lorsqu’il était ministre, et ce qui a été dit par lui, lorsqu’il était simplement député, mais cette circonstance ne fait qu’ajouter au mérite de ma citation. Voici comment s’exprimait l’honorable membre, lorsqu’il était à la tête du département des affaires étrangères :

« On prétend que la Hollande ne paie pas les consuls, cette assertion est complètement inexacte ; la Hollande a plusieurs agents commerciaux rétribués. »

L’honorable M. de Theux savait donc qu’il y a en Hollande des consuls rétribués ; il le savait comme ministre, il le savait probablement encore comme député. Cependant voici ce qu’il disait en cette qualité, comme membre de l’opposition que nous qualifions de tracassière :

« Vous savez que la Hollande n’a pas de consuls rétribués. »

Vous aurez peine à croire, messieurs, que dans l’un et l’autre cas, c’était M. de Theux qui parlait ; cependant ces paroles sont extraites textuellement du Moniteur.

J’étais donc exact et rien qu’exact dans l’allégation que j’ai produite tout à l’hure. Vous pouvez croire, messieurs, que je serait toujours exact quand je citerai des faits ; il paraît que tout le monde n’ a pas la même habitude.

M. de Theux – L’honorable M. Dolez n’a pas voulu dire, sans doute, que j’aurais cherché à induire la chambre en erreur ; quoi qu’il en soit, je pense que mon caractère et mes antécédents repoussent suffisamment une semblable supposition.

Lorsque j’ai dit que la Hollande n’a pas de consuls rétribués, j’ai entendu faire allusion à un système de consuls rétribués, comme celui qui existe en France et en Angleterre. Il est certain qu’en Hollande il n’y a que peu de consuls rétribués, que la Hollande ne rétribue ses consuls que par exception et dans des circonstances tout à fait extraordinaires. Eh bien, messieurs, j’ai admis également pour la Belgique l’existence de quelques consuls rétribués, et j’ai admis cette existence dans un cercle plus étendu qu’on ne l’admet en Hollande.

Voilà, messieurs, l’explication toute simple de mes paroles.

M. de Mérode – M. le ministre des affaires étrangères vous a dit tout à l’heure que l’honorable fonctionnaire privé de son emploi à l’entrée du ministère au pouvoir, avait été légèrement blessé ; mais pourquoi ne pas avouer les faits dans leur réalité et reconnaître qu’on destitue un homme qui possédait une place de 6,000 fr., lorsqu’on le réduit à une place qui ne vaut que le tiers de l’autre. L’honorable M. Rogier a dit que je dois me porter garant de ses principes puisque j’ai, pendant huit ans, vécu avec lui dans l’intimité. Oui, messieurs, à défaut de religion religieuse identique avec la mienne, je partageais la religion politique de M. Rogier. Pour moi cette religion politique, c’est l’absence d’ambition personnelle, c’est l’éloignement de toute intrigue.

Or, messieurs, quelquefois les honneurs corrompent les mœurs. M. Rogier brûlait de parvenir à l’administration des chemins de fer. L’affaire Vandersmissen s’est présentée. Il l’a saisie avec un triumvirat bien connu dont il fait partie. Selon les principes que nous professions en commun, les chambres ne devaient jamais usurper les prérogatives de l'autorité royale ; la constitution faite en l’absence de ce pouvoir exigeait qu’on maintînt dans les bornes l’autorité parlementaire. Le triumvirat, dont je parle, était plus strict à cet égard, plus rigide que je ne l’étais moi-même. Placé sous le coup d’une défection, un militaire aurait été réintégré dans son grade ; je voyais dans cet acte une lésion porte à la moralité de l’armée, je le dis nettement, fortement même, dans l’intérêt de cette moralité que le ministère compromettait, à mes yeux, surtout par des raisons de pue et froide légalité, apportée d’abord à l’appui de l’arrêté soumis à la signature du Roi.

Mais je le dis non moins ouvertement, j’entendais respecter cette signature, je ne voulais point porter atteinte à l’effet légal accompli. Eh bien, messieurs, ma franchise servit de pont à ceux qui vouaient parvenir. Je fus trop confiant, j’en conviens, car ma surprise fut grande quand je vis MM. Rogier et Lebeau s’écarter subitement de nos principes trop souvent reconnus en commun pour que je pusse conserver du doute sur leur portée.

Ce n’est pas à ces messieurs seulement que j’ai toujours déclaré que je refuserais mon appui à l’ambition des portefeuilles. Je l’ai déclaré à M. de Theux, à d’autres encore ; car rien ne me paraît plus à craindre dans l’intérêt public. Telle est, messieurs, la cause de mon défaut de confiance envers une fraction du ministère, et les rapports bienveillants qu’il peut avoir avec un côté de la chambre, à moins que ces rapports ne tendent à l’exclusif, ne sont point le motif de mon opposition.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, l’honorable préopinant vient de finir par une déclaration que, comme ministre, j’accepte avec gratitude ; mais en même temps il vient de renfermer la question dans un cercle très personnel que comme ancien ami de l’honorable préopinant, je repousse avec indignation.

Suivant l’honorable préopinant, nous ne serions arrivés au ministère que poussés par une ambition impatiente de ressaisir l’administration du chemin de fer. L’honorable préopinant a-t-il donc oublié que, lorsque ses collègues de 1833 et 1834 ont abandonné leurs portefeuilles au mois d’août de cette dernière année, lui-même n’a pas fait de difficulté de conserver sa position ministérielle dans un nouveau ministère, dont faisaient partie des hommes pour lesquels sa sympathie n’avait pas toujours éclaté ? A cette époque les honorables membres appelés à fonder la nouvelle administration, me firent l’honneur d’insister et d’insister longtemps pour que je voulusse bien continuer à occuper avec eux le banc ministériel. Deux ou trois ans plus tard, alors que l’honorable comte continuait à occuper ses fonctions, à la suite de la retraite d’autres collègues, celui que l’on considérait comme le chef du cabinet et ses collègues voulurent encore bien insister pour que je prisse à côté d’eux une place dans le cabinet ; en 1837 (comme en 1834), je ne crus pas pouvoir, aux conditions qui m’étaient faites, m’associer à l’administration, quoiqu’aucun des membres du cabinet ne m’inspirât de répugnance personnelle ; quoique j’eusse pour tous de l’estime, et pour plusieurs d’entre eux de l’amitié.

Voilà, messieurs, comment l’ambition nous a poussé vers les affaires. Pendant six ans, nous sommes restés en dehors du ministère,, et je défie qu’on cite un seul acte, un seul discours qui puisse faire supposer que nous fussions poussés par une ambition hâtive à reprendre les affaires.

Quelle a été notre conduite ? N’avons-nous pas toujours continué à défendre, au risque de compromettre notre popularité, tous les actes importants du ministère qui nous avait remplacé ? Et lorsque, dans la discussion du traité d’avril, nous fîmes violence à nos sympathies, à nos entraînements patriotiques dans le but de conserver le pays et de sauver son indépendance, alors, messieurs, commença entre l’honorable préopinant et moi un dissentiment qui depuis n’a pas cessé d’exister. Dès lors l’honorable préopinant marcha dans une voie d’exagération, dans une carrière d’irritation où je ne crus pas devoir le suivre, et bien nous prit de rester fidèle à nos principes de conservation.

A ce propos je dirai que je suis étonné de voir ici certains membres se poser comme les organes de l’ancien parti conservateur, alors qu’ils ont tout fait pour compromettre l’indépendance nationale. Nous sommes, messieurs, du parti conservateur, nous avons été de ce parti depuis les premiers jours de la révolution.

Quand il a fallu déployer de l’énergie pour renverser un mauvais régime, cette énergie ne nous a pas manqué, mais le jour même où le mauvais régime a été renversé dans les principes conservateurs, dans les principes fondateurs, et les honorables membres ont beau faire, ils ont beau nous exciter par tous les moyens ouverts ou cachés, ils ne nous feront pas sortir de cette ligne de modération.

Ah ! messieurs, songez à ce que vous faites, ménagez les hommes modérés, vous en avez eu besoin, vous en avez besoin, vous en aurez besoin.

L’honorable préopinant m’a reproché d’avoir abandonné mes anciens amis. Non, messieurs, dans ma vie privée comme dans ma vie politique, je suis resté fidèle à toutes mes amitiés, si quelqu’un a abandonné d’anciens amis, c’est l’honorable préopinant ; c’est lui qui, dès le jour où nous sommes entrée aux affaires sans lui, n’a pas hésité à nous déclarer la guerre la plus déloyale que jamais homme politique ait faite à un ancien ami. Et quand, messieurs, l’honorable membre nous a-t-il déclaré cette guerre ? A la suite d’un vote que lui-même avait été le premier à provoquer, avec une violence à laquelle nous ne nous étions pas associés. Quoi ! messieurs, le renversement de l’ancien ministère, renversement que nous avions prédit, que nous avions conseillé d’éviter, ce renversement a été provoqué par le discours de l’honorable préopinant, et lorsque la chambre, sous l’impression de ce discours qu’elle croyait légal, eut émis un vote conséquent avec le discours de l’honorable membre, il est venu nous reprocher ce vote, il est venu reprocher son propre ouvrage. Voilà, messieurs, voilà sa justice, sa loyauté !

L’honorable préopinant a parlé de nos principes politiques et de nos principes religieux. Je vous avoue, messieurs, que pendant les années que j’ai passées dans l’intimité avec lui, jamais les questions religieuses n’ont été soulevées par nous ; je suis désolé et surpris que l’honorable préopinant vienne signaler des opinions extrêmes, vienne produire en pleine séance des choses qui doivent reste dans le domaine intime. Au reste, mes principes moraux, je les place hardiment à côté de ceux de l’honorable membre ; sous ce rapport, je n’ai de leçons à recevoir de personne. Je ne suis point un fanatique de religion pas plus que je ne suis un fanatique de philosophie.

Du reste, messieurs, j’espère n’avoir rien dit ici qui porte atteinte au nom que porte l’honorable comte de Mérode. Je n’ai point oublié qu’à ce nom se rattache un des souvenirs héroïques de notre révolution. En beaucoup de circonstances, j’ai témoigné mes sympathies pour ce nom. Au congrès, l’honorable comte de Mérode recevait ma voix pour la régence. Au gouvernement provisoire, il n’avait pas de plus zélé, de plus énergique défenseur que moi. Dans toutes les circonstances, je me suis porté garant de sa modération. L’honorable comte a souvent eu besoin de cette garantie. A son tour, s’il ne me donne point une garantie pareille, qu’il n’aille pas jusqu’à l’exagération, jusqu’à être injuste à mon égard ; qu’il reste neutre ; c’est le moins que je puisse lui demander, c’est le moins qu’il puisse faire dans l’intérêt de sa propre dignité.

M. de Mérode – M. le ministre des travaux publics a fait appel à mon opinion sur son compte. Je me suis expliqué, j’ai signalé les circonstances qui me sont connues ; sur de telles choses, je le sais, on discuterait dans terme, aucune preuve mathématique ne pouvant être apportée de part ni d’autre. Mais la violence du langage de M. Rogier n’est pas un argument valable et ne modifiera pas mes convictions que je maintiens fondées.

M. Desmet – Messieurs, quand j’ai demandé la parole, c’est quand un des ministres disait que quelques organes du pays avaient fait le reproche au cabinet actuel d’agir avec trop de faiblesse, je voulais faire quelques remarques sur cette allégation, mais avant je désire vous faire remarquer qu’un autre ministre, celui qui a parlé avant l’honorable comte de Mérode, avait fait des menaces à la chambre. Les menaces auxquelles je fais allusion mettraient le pays en présence de deux partis ; je ne sais si cette mesure extrême serait bien conciliable en ce moment ; quoi qu’il en soit, la responsabilité n’en rejaillirait point sur la législature, et il me semble que quand on doit faire usage de tels expédients, on doit bien croire que le bon usage et la justice ne sont pas de son côté. Et d’ailleurs, la cause qui est actuellement pendante en cette enceinte est bien connue et déjà jugée dans le pays, il ne faut pas le trouble des élections pour la faire juger.

Je reviens à présent à ce qu’a dit l’honorable ministre des affaires étrangères, que certains journaux avaient taxé le cabinet actuel de faiblesse, c’était probablement qu’il avait fait trop peu de destitutions et qu’il n’avait pas entièrement répondu aux vœux d’un certain parti ; messieurs, nous savons qu’il existe, malheureusement pour le pays et sa tranquillité et la paix intérieure, un parti intolérant et en même temps envahisseur ; si on devait satisfaire à tout ce qu’il exige, je crois qu’il bouleverserait tout ce qui existe et ne devrait remplir les places publiques que par ses adeptes. Je crois donc que ce ministre n’a pas entièrement satisfait aux désirs de ce parti, mais s’il n’y a pas donné satisfaction, à ce parti, je ne pourrais le croire. Et c’est précisément parce que je m’aperçois que je dois avoir des inquiétudes et que je commence sérieusement à avoir de la défiance, car tout cabinet qui serait plus ou moins dominé par le parti auquel je fais allusion, ne pourra jamais gouverner la Belgique comme elle doit l’être et y faire conserver la paix et l’union.

Messieurs, depuis que cette discussion est placée sur le terrain sur lequel elle se trouve, les ministres donnent continuellement le défi d’articuler aucun fait qui pourrait faire l’objet de la défiance dont est inspirée l’opposition. Je suis fâché que l’honorable M. Doignon n’ait pas encore pris la parole pour répondre que quelques ministres ont insinué que cet honorable membre ne connaissait aucun fait assez important pour en faire un grief au cabinet actuel, et que sa défiance portait principalement sur la mauvaise et dangereuse tendance qui, selon lui, existait dans son sein. Je crois cependant que l’honorable M. Doignon connaît plus d’un fait positif, qui pourrait servir de motif pour justifier sa défiance et qu’il y a la mission en Sardaigne.

Messieurs, pour ce qui me concerne, ma défiance a pris naissance dès le jour que j’ai vu paraître le programme du ministère, qui certainement devait donner de l'inquiétude non seulement aux catholiques du pays, mais au pays tout entier. Il est vrai, ce programme a été repoussé dans la séance d’hier par un des ministres, mais c’est dommage que la réfutation soit venue un peu tardivement. Le cabinet a parfaitement connu que tout le pays disait que ce programme était l’œuvre du ministère, ou du moins de quelques-uns des ministres. Eh bien ! il y avait un bon moyen de désabuser le pays, tout ce qu’il y avait à faire, c’était de contredire la feuille périodique, dans le Moniteur, mais on ne l’a pas fait, c’est seulement aujourd’hui et pour la toute première fois qu’un seul des six ministres vient de démentir le fameux programme, et, remarquez-le bien, messieurs, il est resté seul, aucun autre de ses collègues ne l’a appuyé.

C’était la même chose pour l’affaire de la nomination d’un bourgmestre, à laquelle on est resté fort longtemps à donner suite, aujourd’hui il n’y a encore une fois rien de vrai de ce qui a été dit et connu, on nie tout, on notera peut-être aussi certaine collation de pension, que la cour des comptes, pour de justes motifs, a refusé d’enregistrer ou reconnaître comme légalement accordée.

Un des principaux faits pour moi c’est la destitution, comme je l’ai déjà fait remarquer au sujet du vote du budget de l’intérieur, de plusieurs hauts fonctionnaires, qui jouissaient d’une grande considération, aussi bien sous le rapport des connaissances que de leur excellente manière de penser, et qui indubitablement n’ont reçu leur brusque destitution ou déplacement que pour leur opinion privée.

Un déplacement et remplacement qui m’a particulièrement inquiété et qui a augmenté ma défiance pour l’administration actuelle, c’est précisément celui du directeur de l’important objet que nous traitons dans ce moment.

On connaissait l’opinion du déplacé et celle de celui qui le remplace ! Je ne parle pas ici de quelque chose inconnue ou cachée, mais je parle des opinions qui ont été émises ici à notre tribune, que la chambre et tout le pays ont entendues, et j’ose dire, sans craindre un démenti, que les vues sur l’instruction telles qu’elles ont été émises dans cette chambre par le fonctionnaire auquel je fais allusion ne sont pas celles que la majorité du pays approuve, et qui difficilement pourront se concilier avec les libertés que la constitution nous garantit.

Messieurs, je ne m’attache pas beaucoup aux protestations et dénégations, comme nous en avons entendu en bonne quantité depuis quelques jours, mais je m’attache aux faits, et dans cette circonstance il me semble que ces faits parlent assez haut et assez explicitement. Je m’attache du moins aux déclarations de principe. Nous en avons quelques-uns qui sont sortie de la bouche du ministre qui se trouve à la tête de la partie de l’administration où se traitent les sciences et l’enseignement.

D’abord la première déclaration avait pour objet le droit d’inspecter les établissements subsidiés. D’après M. le ministre, c’est dans la loi du budget que le pouvoir trouve le droit d’inspection, ceci est nouveau, je n’ai jamais pu croire qu’une loi de budget aurait pu régler l’important enseignement de l’enseignement et qu’une loi de budget aurait eu le pouvoir d’accorder une si importante mission, que celle d’inspecter l’enseignement. On doit cependant savoir que la constitution veut impérativement que tout ce qui concerne l’instruction publique soit réglé par une loi spéciale. C’est vraiment trop absurde que de vouloir mettre en avant que c’est le budget qui ait délégué ce pouvoir à l’autorité civile !

Mais, dit le ministre, l’inspection ne s’attache nullement à la partie spirituelle ; nous avons bien que l’honorable M. Rogier n’inspectera pas ou ne fera pas inspecter la partie religieuse, nous savons bien qu’il en fera pas le catéchisme dans les collèges et les écoles, ce serait par trop fort, et je crois que ce sera très souvent difficile pour les inspecter. Mais en alléguant cette exception, on voit bien que le ministre étend ses prétentions sur tout le reste que comprend l’enseignement et même sur l’éducation. Si on ne veut pas diriger l’âme on veut du moins diriger l’intelligence et l’éducation de la jeunesse du pays.

Vraiment, messieurs, quand j’entends de tels raisonnements, j’ai la profonde, mais la triste conviction qu’on ne comprend pas toute la portée de l’enseignement. Je vais, messieurs, vous en communiquer une définition, telle qu’on la trouve dans un ouvrage qu’on ne pourra pas taxer d’intolérance ou d’ultramontanisme ; c’est dans la préface du livre qui traite de l’ « état de l’instruction primaire en Belgique » que je la trouve. « La législation sur l’instruction, dit l’auteur, ne s’adresse pas aux intérêts extérieurs, matériels et passagers du moment, elle atteint l’essence et la vie même d’une nation, ; aujourd’hui, demain tout pour elle. Elle n’intéresse pas seulement les générations futures, elle tend à s’en emparer pour les former et les façonner ; idées, opinions, sentiments, affections, volontés, passions, expériences, craintes, vie publique, vie privée, enfance, jeunesse, virilité, vieillesse, elle aspire à dominer sur toutes ces choses ; domination profonde, intime ; domination d’autant plus puissance qu’elle l’établit peu à peu par des habitudes, et s’insinue dans les âmes secrètement et à leur insu. »

Quand on voit cette définition et qu’on la médite tant soit peu, ne doit-on pas être étonné des prétentions de l’honorable M. Rogier et pourrait-on jamais croire que votre constitution ait donné ce pouvoir à l’autorité civile ? Comme je vous le demande aussi, y a-t-il un catholique qui voudrait souscrire à ces étranges prétentions ? C’est pourquoi cette inspection qu’on veut avoir à tous prix sur les établissements salariés, est la cause que les établissements catholiques ne peuvent profiter des subsides que nous votons tous les ans dans le budget pour l’enseignement ; cependant, messieurs, qui payait les contributions dans votre pays, ceux qui ne sont pas catholiques forment le très petit nombre, aussi on fait payer les catholiques pour des objets dont ils ne peuvent pas profiter ; c’est assez étrange !

Un membre du cabinet précédent, le député qui siège à la droite du ministre auquel je réponds, entendait autrement la constitution pour ce qui concerne l’enseignement public. Voici comment cet honorable membre s’est prononcé sur cet important objet dans une des séances de février 1836 : « Quelle est donc aujourd’hui la mission du gouvernement, a-t-il encore la direction intellectuelle, religieuse, morale de la société ? Non, il est chargé de la conserver matériellement. L’ordre public est son domaine, hors de là, vous le frappez d’incompétence ; la direction intellectuelle, religieuse et morale est en dehors de l’Etat politique. Vous l’avez ainsi voulu à tort ou avec raison ; » car je cite un fait, ceci est clair et très compréhensible et n’a pas besoin de commentaire ; il est donc évident que la prétention d’inspecter les collèges et les écoles est contre la constitution et une absurdité qui ne s’explique pas avec notre ordre actuel de choses !

Le ministre a parlé d’une loi sur l’enseignement, je ne vois qu’une seule loi à faire et à pouvoir être faite, c’est celle qui règlera le partage des subsides, toute autre loi de principe est impossible avec notre constitution, mais celle qui règlera l’emploi de subsides est nécessaire pour prévenir la partialité des distributions et pour ôter toute prétention de la part du gouvernement pour ce qui regarde l’inspection.

Messieurs, quand l’honorable M. Doignon a fait remarquer que le concours que le gouvernement s’est permis cette année d’instituer entre les établissements d’instruction du pays, était un acte contraire à la constitution, sa remarque était fondée, et on ne l’a pas repoussée ; car dire qu’elle a été bien accueillie dans différentes villes, et particulièrement dans celle de Tournay, n’a en rien répondu à l’observation de l’honorable ministre.

Mais, messieurs, ce concours a eu autre chose en vue, et a servi pour pouvoir exercer un privilège dans la distribution des bourses pour l’enseignement. Dans son rapport, le Roi, le ministre dit ; à propos des dix-neuf boursiers nouveaux que « parmi eux on compte sept jeunes gens ayant obtenu des succès au concours, qui a eu lieu entre les athénées et collèges subventionnés par l’Etat. »

Faire un titre de préférence de ces succès, n’est-ce pas accorder aux frais du trésor une prime à l’enseignement subventionné par l’Etat, au détriment de l'enseignement libre ? Je me crois autorisé à dire que la préférence est accordée aux premiers au détriment des seconds, puisque pour leur accorder cette préférence, on n’a pas hésité à écarter des demandes beaucoup mieux justifiées, on a même accordé cette préférence quoiqu’il manquât à un des pétitionnaires l’avis du jury voulu par la loi et qu’un autre n’eût qu’un avis négatif. Quand on voit le résultat de ce concours, son but parle assez haut ; M. Doignon a bien fait de le blâmer, car il démontre de plus en plus la déplorable tendance de s’emparer de l’enseignement public.

Nous avons été témoins cette année-ci d’une autre nouveauté en fait d’instruction ; la publicité donnée aux collations de bourses est un fait tout nouveau, sa convenance est très contestable, et il me semble que la délicatesse ordonne de tenir les collations plus secrètes ; à présent plus d’une honnête famille, quoi que dans le besoin, ne fera plus de demande.

Il y a encore bien d’autres remarques à faire sur la manière dont la distribution des bourses a été faite cette année-ci. Il serait facile de prouver qu’il y a eu partialité, et que certaine université, pédagogies. Ce serait des motifs de s’en plaindre, comme on a été très étonné que deux élèves de la plus grande distinction de cette même université ont été privés de leurs bourses, quoi que leurs études n’étaient pas terminés.

L’honorable M. Doignon a blâmé, et d’après moi très à propos et de toute justice, l’espèce de critique que, dans un rapport aux chambres, on avait faite des pédagogies. On a répondu aux observations de l'honorable membre, mais on n’a rien dit sur l’inconvenance de placer dans un rapport solennel et adressé à la représentation nationale des phrases de l’espèce de celle de « serres chaudes » ! Quoique la comparaison fût aussi ridicule que mal appliquée encore, je le répète, on n’a jamais vu qu’on ait ainsi abusé de l’emploi des mots, et on pourrait croire qu’on a voulu ridiculiser cette institution si morale et si bien conçue des « pédagogies » ; si on connaissait et appréciait toute l’importance, l’utilité des pédagogies, dont en Belgique le clergé et les familles catholiques font tant de cas, je crois qu’on se serait abstenu de les comparer à des serres chaudes.

Tout à l’heure, un membre qui siège de l’autre côté de la chambre, a blâmé un chef de diocèse, parce que, disait-il, ce chef avait refusé de placer, dans un certain collège du Hainaut, un ecclésiastique. Il me semble que, pour juger la chose en connaissance de cause, on devrait dire les motifs qu’avait eus cet évêque, et si en demandant l’ecclésiastique dont il s’agit, on avait pu donner à l’autorité ecclésiastique toutes les garanties qu’elle a droit d’exiger, quand elle prête son ministère. Car je suppose qu’une certaine université du pays demandait à l’autorité ecclésiastique un prêtre, pour y venir remplir une chaire, ne serait-il pas possible qu’un motif existerait pour ne pas obtempérer à la demande ?

M. Dechamps – Messieurs, je regrette que ce débat si grave qui, comme l’a fort bien dit M. le ministre de la justice, ne doit pas se circonscrire dans une question de personnes, je regrette, dis-je, que ce débat vienne de descendre à des proportions toutes personnelles. Il est déplorable de voir des hommes faits pour s’estimer, rompre ainsi une vieille amitié à cause de dissentiments politiques.

Ne pouvons-nous donc défendre dans cette assemblée nos opinions contradictoires, en conservant les uns pour les autres, ce respect que commande la bonne foi ?

Si les luttes politiques devaient se continuer jusque dans nos affections personnelles, on renoncerait plutôt à la carrière politique semée de si pénibles difficultés.

Nous pouvons nous faire une guerre loyale, une guerre franche, un guerre de principe ; nous pouvons nous combattre lorsque nous croyons que l’intérêt du pays s’attache à de telles luttes ; mais ne pouvons-nous laisser nos dissentiments sur le seuil de cette enceinte ?

Messieurs, pour répondre au discours que j’ai prononcé, on a donné à mon opinion une couleur d’exagération qu’il n’avait pas, afin de pouvoir sans doute la combattre avec un succès plus facile.

L’honorable M. Dolez a prétendu que je refusais mon appui au ministère, par le seul motif qu’il est appuyé par la fraction de la chambre à laquelle cet honorable membre appartient. Eh bien, telle n’a jamais été mon opinion. Je n’appuie pas le ministère, parce que sa constitution est telle qu’il n’a pu donner toute satisfaction qu’à une seule partie de l’opinion ; ce n’est pas parce qu’il est soutenu par vous, mais parce qu’il ne peut être soutenu qu’exclusivement par vous. Bien loin donc d’avoir manifesté des prétentions exclusives, c’est contre de telles prétentions que je me suis élevé. Ce que j’ai soutenu, c’est qu’un ministère parlementaire devait être pris dans les éléments modérés des deux fractions qui nous divisent sous certains rapports.

C’est précisément à cause de cette doctrine modérée que je défends, que j’ai attaqué le ministère dans sa formation et ses alliances. Le principe mise en avant par le ministre des affaires étrangères a été celui-là, qu’un ministère, pour être homogène, pour que chacun pût y entrer et en sortir avec dignité, qu’un tel ministère devait être composé nécessairement d’éléments exclusifs.

L’honorable ministre des affaires étrangères a contesté l’exactitude de cette interprétation ; mais ce qu’il vous a soutenu hier, messieurs, doit être encore présent à votre esprit. Il vous a dit qu’un ministère mixte eût été impossible, parce que les alliances qu’on aurait dû contracter, n’auraient pas été comprises par l’opinion publique, parce que ces alliances eussent été sensées être conclues aux dépens des convictions et des principes des uns et des autres.

Eh bien, messieurs, n’est-ce pas là de l’exclusion érigée en système ? Mais si ce système est bon pour vous, il le serait donc aussi pour vos adversaires, et où en serions-nous si ce principe était adopté ? Ce serait perpétuer nos divisions au lieu de tâcher de les éteindre. C’est de ce principe que moi je ne veux en aucune manière.

Vous le savez, messieurs, les fractions qui existent dans cette chambre renferment des éléments modérés et des éléments extrêmes, comme il arrive dans toute assemblée parlementaire. Au congrès, il y avait une fraction du libéralisme qui ne voulait ni de la liberté religieuse, ni de la liberté de l’enseignement, ni de la liberté d’association. Un grand nombre de libéraux ont toujours refusé de s’associer à ces opinions excentriques.

C’est ce libéralisme tolérant qui a tendu toujours la main à l’autre fraction de la chambre et qui a formé avec celle-ci l’ancienne majorité. Le parti de l'opinion libérale qu’on nomme avancé, avait, dans ces derniers temps, inscrit sur sa bannière réforme électorale.

Le reproche que j’ai fait au ministère, c’est d’être appuyé par ce parti extrême, avec lequel il ne peut marcher sans renier sa conduite antérieure. Ma pensée n’a donc jamais été d’attaquer, dans le ministère, la fraction de la chambre à laquelle appartient M. Dolez.

M. Delfosse – Je demande la parole.

M. Dechamps – Je ne crois rien dire de désobligeant pour qui que ce soit. Quand on a pris position dans une assemblée délibérante, il faut avoir le courage de cette position. Les idées que je considère comme extrêmes peuvent être défendues avec conviction, et sous ce rapport je respecte ces convictions. Ce n’est pas une accusation que je formule, c’est un fait que je constate.

Messieurs, une chose à dû vous étonner, c’est de voir l’honorable M. Delfosse qui, il l’avouera lui-même, est l’un des représentants de ce libéralisme avancé, de cette fraction extrême dont j’ai parlé, ne se trouver en désaccord que pour la forme avec M. le ministre des affaires étrangères, sur les deux grandes questions de la loi électorale et de l’instruction publique. (Réclamation.)

Permettez-moi dem’expliquer : M. Dolez a dit tout à l’heure, interprétant l’opinion de M. Delfosse, sur la réforme électorale, que son honorable collègue pouvait avoir une opinion théorique à cet égard, mais que jamais il n’avait sommé le cabinet de réaliser ce vœu, que c’était une question inopportune, une question d’avenir.

Si cette interprétation de la pensée de M. Delfosse est vraie, ne coïncide-t-elle pas avec celle exprimée par M. le ministre des affaires étrangères ? Que m’a répondu M. le ministre ? La réforme électorale, a-t-il dit, je la combattrais actuellement, mais il s’est hâté d’ajouter que c’était une question d’avenir.

Je vous le demande, messieurs, en quoi d’essentiel les opinions de ces honorables membres diffèrent-elles ?

Relativement à l’instruction publique, le rapprochement est plus nettement avoué. M. le ministre des affaires étrangères a déclaré que, sous ce rapport, une alliance avec la fraction à laquelle appartient M. Delfosse était conclue.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Je n’ai pas dit cela !

M. Dechamps – Vous l’avez dit positivement. M. le ministre, en expliquant l’appui qu’il recevait de cette fraction de la chambre, a dit que s’il était en désaccord avec cette fraction sur certains points, il était d’accord sur certains autres.

Il a affirmé que cet accord existait spécialement à l’égard du fond même de la controverse sur l’instruction publique.

Sur cette question, on m’a prêté aussi, pour me combattre plus aisément, des opinions que je n’ai jamais professées. Le système que je défends, en fait d’instruction publique, est celui qui est adopté dans presque tous les pays civilisés du monde. Si vous voulez adopter les bases du système prussien, de la législation anglaise, de la législation écossaise, ou américaine, je le veux bien, je les accepte d’avance. Ainsi, vous voyez qu’on s’est hasardé légèrement en me prêtant des idées excentriques sous le rapport de l’intervention de l'Etat dans l’enseignement public. J’ai toujours soutenu que je ne reconnais pas à l’Etat ce droit absolu qu’on a voulu créer pour lui en France, à diverses époques depuis 1789. Non ; à mes yeux l’éducation publique n’appartient pas en propre à l’Etat.

C’est la propriété des familles avant d’être celle de l’Etat. Cette opinion est adoptée aujourd’hui par tous les hommes raisonnables. Je vous ai cité lord Stanley et sir R. Peel, qui certes ne sont pas des hommes excentriques. Ils vous ont dit que cette idée de l’intervention de l'Etat dans l’instruction publique, dans le sens des idées françaises, était une « idée folle, dangereuse, impossible. »

Mais, messieurs, soit qu’on adopte un système analogue à celui de l'Angleterre, ou une organisation complète comme celle qui existe en Allemagne, ce que j’ai voulu, c’est que les garanties données chez ces grandes nations, aux croyances religieuses, aux pères de famille, soient complètes, comme vous l’avez proclamé dans votre programme.

Vous me permettrez de m’étendre un peu sur cette question ; elle est à l’ordre du jour, et c’est à cette occasion, paraît-il, que notre division avec le ministère doit le plus éclater.

D’après ce qu’ont dit MM. les ministres des travaux publics et de la justice, je reste convaincu que ces honorables membres ne se comprennent pas, qu’ils n’ont pas les mêmes principes.

M. le ministre de la justice a dit que ses principes en matière d’instruction étaient tels qu’il voulait que l’éducation religieuse fût intimement liée à l’instruction littéraire ; qu’il voulait l’intervention des ministres du culte dans l’instruction sous le rapport moral et religieux, accordant à cette intervention l’importance que l’instruction religieuse occupe elle-même dans l’école, c’est-à-dire une grande importance.

Le ministre des travaux publics, de son côté, a répondu à mon interpellation formelle que « la base de la conduite du ministère serait la loi sur l’instruction présentée par lui en 1834. » Il a ajouté, il est vrai, qu’il était prêt à modifier cette profession de foi, si la discussion venait à l’éclairer davantage, mais ceci est une pure éventualité. Vous allez juger, messieurs, si cette loi, base de la conduite future du gouvernement sous le rapport des garanties religieuses, contient les principes énoncés avec tant de netteté par M. le ministre de la justice.

Vous savez que la loi française sur l’instruction primaire a été copiée sur la loi prussienne, et que c’est cette organisation que MM. Guizot et Cousin auraient voulu introduire en France. Eh bien, vous n’ignorez pas qu’en Allemagne sous le rapport des garanties religieuses les prescriptions les plus minutieuses sont portées pour que l’intervention des ministres des divers cultes dans l’école soit, non pas nominale, mais réelle et efficace.

Cette intervention s’exerce, sous le rapport religieux, dans la nomination des instituteurs et dans leur révocation, dans le choix des livres et l’inspection des écoles.

La loi française est loin d’avoir conservé ces garanties. Les auteurs de la loi l’ont reconnu franchement à la tribune. Ils ont déclaré que cette loi était incomplète, qu’elle était insuffisante et provisoire. M. Guizot a dit, dans la discussion de 1833 et M. Cousin a appuyé ses assertions, que si la part du clergé était trop restreinte, c’était à cause des circonstances exceptionnelles et politiques dans lesquelles on se trouvait, parce qu’en un mot le clergé ne s’était pas rallié encore à l’ordre de choses créé par la révolution de juillet. MM. Guizot et Cousin ont regretté profondément de ne pouvoir pas aller plus loin. Ils ont remis à des temps meilleurs l’organisation plus complète de l’instruction sous le rapport des garanties religieuses.

Si donc ces hommes d’Etat se trouvaient dans cette assemblée, en présence de cette population belge chez laquelle une seule croyance s’est conservée, où le reproche adressé au clergé français ne peut être allégué, ces hommes d’Etat n’hésiteraient pas à nous proposer les bases de la législation prussienne.

Eh bien, messieurs, chose étonnante et qui ne sera compris par personne, c’est en Belgique, pays de liberté de conscience et de liberté d’enseignement, c’est là que la loi, si nous l’adoptions, serait plus vide de garanties religieuses que chez aucun autre peuple. La loi française serait elle-même plus généreuse et plus complète que la nôtre. (Sensation.)

Je vais vous le prouver. Dans la loi française, on a admis le ministre du culte professé par les habitants, dans le comité local de surveillance.

On a admis de plus l’ecclésiastique du rang le plus élevé dans le comité de surveillance d’arrondissement.

Une autre disposition de la loi française autorise la commune d’adopter des écoles libres affectées à l’un des cultes reconnus par l’Etat.

Dans le projet de loi qui nous est soumis, il est bien dit que l’instruction religieuse sera donnée sous la direction du ministre du culte, mais cette disposition est une phrase sans sanction. On n’a pas osé aller aussi loin même qu’en France, où, selon M. Cousin, on a fait trop peu. Le projet n’admet pas de ministre de culte dans le comité départemental. On s’est borné à le placer dans le comité local. Ce comité, en France, n’est le plus souvent composé que de trois membres, tandis qu’il serait de cinq membres en Belgique.

L’influence du ministre du culte serait donc plus neutralisée encore, d’après notre projet, qu’elle ne l’est dans la loi de M. Guizot. Il en résulte que, sous le rapport de l'instruction religieuse et morale, c’est-à-dire de la base d’un bon enseignement primaire et moyen, la Belgique serait placée, par la loi, au dernier échelon occupé par les nations civilisées. Il n’y a pas d’autres pays, sauf la Hollande peut-être, où si peu de garanties seraient données par la loi aux pères de famille. Voyez l’Angleterre, la Suisse, les Etats-Unis, tous les pays de la confédération germanique ! Chez ces diverses nations, la séparation des écoles par communion religieuse est partout adoptée, et les moyens propres à assurer l’instruction religieuse sont pris sérieusement et sans réticence.

Ainsi, vous voyez que j’admets l’intervention du pouvoir civil. Pour ce qui concerne l’extérieur de l’école et l’instruction purement intellectuelle qu’on y donne, son action est légitime et rationnelle. Mais je veux que, sous le rapport moral et religieux, c’est-à-dire l’atmosphère même de l’école, selon l’expression de M. Guizot, on admette franchement l’intervention des ministères des divers cultes, et qu’on n’en biaise pas quand il s’agit de l’établir. C’est dans ce sens que j’ai dit que la question d’enseignement n’était pas un question de parti, mais une question de famille, une question d’honnêtes gens.

Ainsi, si le programme du gouvernement qui avait annoncé que la loi devait renfermer les garanties les plus complètes pour la liberté d’enseignement et à l’égard de l’instruction religieuse doit se traduire uniquement par la loi présentée à la législature, je dis que c’est un programme menteur et qui n’a aucun sens appréciable. Je dis que cette loi est telle qu’elle placerait la Belgique parmi les autres peuples dans une exception inqualifiable.

J’aborde maintenant un autre point.

L’honorable ministre des affaires étrangères nous a dit : « Je ne comprends pas le motif qui a engagé le préopinant à appuyer, ainsi qu’il ne fait, sur cette espèce de parallèle qu’il a établi entre la position de M. Thiers devant les chambres françaises et la position qu’il nous attribue devant les chambres belges. Les opinions que nous avons toujours professées, a-t-il ajouté, sont peut-être plus éloignées de celles de M. Thiers que celles du préopinant. » Ce n’est pas sous le rapport de doctrines politiques que j’ai fait cette comparaison, je m’étonne que l’honorable ministre des affaires étrangères n’ait pas mieux saisi ma portée, ce n’est pas sous le rapport des doctrines, mais sous le rapport des positions.

J’ai dit que M. Thiers, en se rattachant à la gauche extrême, avait fait défection, comme j’ai dit que le ministère actuel composé d’hommes à antécédents modérés en s’alliant à la gauche extrême, et j’ai prouvé que cette alliance existe, a fait défection, défection que j’ai déplorée et pour la chambre qui, de cette manière, a vu la majorité s’amoindrir, et pour les membres même du ministère, placés désormais dans une position où selon moi, ils pourront rendre difficilement des services sur lesquels le pays devait compter.

L’honorable ministre des affaires étrangères a ajouté que M. Thiers était un homme d’Etat aventureux ; mais qu’eux étaient des hommes d’ordre, les hommes de la diplomatie, que c’était même le reproche qu’on leur avait souvent adressé. Oh ! je désire vivement que le ministère soit bien le ministère de la diplomatie, je le désire vivement, parce que son influence à l’étranger doit servir à consolider notre nationalité. Oui, je désire que les membres du cabinet soient et restent les hommes de la diplomatie ; sans cette condition ils compromettraient sérieusement le pays.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – J’éprouve le besoin de dire quelques mots en réponse à l’honorable M. Dechamps. Je ne veux pas que cette discussion qui a été, je le reconnais, très franche et très explicite, comporte des équivoques, des malentendus et à l’insu de l’honorable préopinant, je crois qu’il s’en est glissé plusieurs dans les observations qu’il a présentées à la chambre.

L’honorable préopinant n’a pas compris parfaitement les réflexions que j’ai émises sur la composition de ce que j’appelle un ministère homogène. Un ministère homogène n’est pas un ministère exclusif. Il existe là une différence très grande, et s’il m’était permis de descendre, dans une si grave discussion, à des faits d’un ordre, si je puis ainsi dire, un peu plus familier, je ferais peut-être mieux ressortir la pensée que j’ai voulu exprimer.

Ainsi, j’entendais naguère quelqu’un qui est étranger à nos débats, à ces dénominations de partis et de catégories sur lesquelles on vit malheureusement aujourd’hui, je lui entendais dire : « Comment M. un tel est du parti catholique ! mais en cinquante occasions ce monsieur a professé devant moi les doctrines du déisme le plus prononcé. Comment, M. untel est du parti libéral ! mais je le vois tous les dimanches à l’église paroissiale, et il observe avec la plus grand régularité toutes les règles du culte catholique ; cependant, c’est un libéral ! » C’est ce qu’on disait de plusieurs membres de cette chambre, et même de certains membres du ministère actuel. Je parle bien entendu de ce dernier exemple, de cette dernière catégorie. Eh bien, les choses étant ainsi, l’honorable ministre de la justice n’avait-il pas raison de dire qu’à certain point de vue philosophie abstrait, la définition d’un libéral et d’un catholique était absolument impossible ? Voilà en quel sens j’ai dit que le ministère était homogène ; mais je n’ai pas dit qu’il fût exclusif ; et ce que j’ai dit est sans aucun rapport avec les opinions religieuses, puisqu’à cet égard, il peut y avoir, dans le ministère même, des nuances d’opinions différentes. J’entends donc par un ministère homogène un ministère dont les membres sont généralement d’accord sur toutes les questions de gouvernement et d’administration, abstraction faite de tout ce qui n’appartient pas nécessairement au domaine de la politique. J’espère maintenant être parfaitement compris.

J’ai malheureusement été mal compris tout à l’heure, lorsque j’ai dit que j’étais en complète dissidence avec M. Delfosse sur la question de la réforme électorale. Avec une sagacité toute particulière, l’honorable préopinant a trouvé là une preuve évidence de notre entière conformité d’opinion avec l’honorable membre sur la question de la réforme électorale. Cependant si la question se présentait, l’honorable M. Delfosse appuierait certainement la réforme électorale, et nous la combattrions ; et vous prétendez que nous sommes d’accord ! Mais, poursuit l’honorable M. Dechamps, le ministre des affaires étrangères a dit que c’était une question d’avenir ! Eh, ! mon Dieu, tout n’est-il pas dans le domaine de l’avenir ? mais les fondateurs de la constitution, n’ont-ils pas laissé à l’avenir une foule de questions plus importantes ? Dans vingt ans, dans dix ans, qui sait ? l’honorable membre, s’il siège encore dans cette enceinte, viendra peut-être demander lui-même la réforme électorale. Il n’oserait pas affirmer qu’il ne le fera pas ; Ainsi soyons de bonne foi ; n’équivoquons pas ; quand nous disons que nous repoussons la réforme électorale, nous parlons en ministres, en hommes politiques, de ce que nous voulons positivement, actuellement, et non de ce que nous ferons ou penserons dans dix ou vingt ans.

Quant à l’accord sur la question d’enseignement entre l’honorable M. Delfosse et nous, l’honorable préopinant est encore tombé dans une erreur complète. J’ai dit qu’il était un point sur lequel je me réunissais à M. Delfosse, à savoir que contre certaines opinions, qu’on peut plus ou moins répudier aujourd’hui mais qui sont notoires, et qui prétendent que l’Etat est complètement incompétent dans l’enseignement public, j’étais, dis-je, d’accord avec l’honorable député de Liége, que l’Etat peut intervenir dans cet enseignement ; mais à quelles conditions ? C’est à ce point qu’entre l’honorable membre et nous commencera peut-être le dissentiment. Je déclare que jusqu’à discussion ultérieure, je suis, à cet égard, de l’avis du projet de loi que mon honorable collègue, M. Rogier, a présenté à la chambre, c’est-à-dire de l’avis d’honorables membres de cette chambre, de l’avis d’honorables membres du congrès dont je croyais les opinions religieuses à l’abri des défiances de l’honorable préopinant.

Maintenant si, par les débats il nous était démontré que, dans le projet de 1833, les principes de la liberté religieuse ne sont pas suffisamment garantis ; s’il nous était prouvé que l’intervention de l’autorité civile va trop loin, mon honorable collègue vous l’a déjà dit, la conciliation ne serait sans doute pas impossible. On vous en a déjà parlé, de conciliation, et bien vous nous en avez fait un crime, vous avez déclaré que vous n’en vouliez pas. Nous déclarons, nous, être moins absolus ; nous déclarons être disposés à faire tout ce qui est possible dans la mesure de nos principes et de nos devoirs pour arriver à cette conciliation.

M. Dechamps – On ne vous en fait pas un crime.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – Si, on nous a fait un crime d’avoir parlé de l’esprit de conciliation, qu’il était désirable de voir présider aux débats de la loi sur l’enseignement. J’en appelle aux souvenirs de la chambre. (Oui ! oui !)

Je demanderai à mon tour, puisque l’honorable préopinant me fait subir un interrogatoire, quels sont ses principes en fait d’enseignement ? Je lui demanderai s’il adopte purement et simplement les principes déposés dans une brochure à laquelle un honorable préopinant vient de faire allusion ! Il faut s’en expliquer. J’ai le droit de vous renvoyer votre interpellation.

Quant à moi, je dis que nous sommes de l’avis du projet que nous vous avons présenté, et auquel , il faut bien le dire, ont adhéré l’honorable M. de Gerlache et d’honorables membres de cette partie de la chambre à laquelle vous appartenez.

Eh ! messieurs, si vous trouvez qu’ils n’ont pas été assez catholiques, que la loi approuvée par eux ne garantit pas assez les principes de liberté religieuse, nous vous l’avons déjà dit, nous vous entendrons, nous écouterons vos raisons, nous les pèserons avec la plus entière impartialité.

Puisque j’ai la parole, je ne terminerai pas sans répondre quelques mots au discours de l'honorable comte de Mérode, discours que je n’ai pas entendu, mais qu’il a eu la bonté de me communiquer. J’y ai trouvé deux points qu’il est impossible de laisser passer sous silence.

L’honorable comte de Mérode a fait allusion à certain projet de nomination d’un fonctionnaire de l’ordre administratif. Je ne reconnais à personne le droit de parler d’un acte qui n’est pas dans le domaine de la publicité.

Plusieurs membres – On a répondu.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Lebeau) – On me fait observer que mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, a répondu sur ce point à l’honorable comte de Mérode. Je l’ignorais, je suis arrivé après l’ouverture de la séance, ; je m’en rapporte avec confiance aux explications qui ont été données par cet honorable ministre.

Tout ce que je puis dire, c’est que l’opinion religieuse d’un fonctionnaire ne sera jamais prise en considération par nous. La question pour les fonctionnaires, après bien entendu les garanties de moralité et de capacité, est de savoir s’ils sympathisent avec la marche de l’administration, ou s’il lui sont hostiles. C’est, je pense, le droit de tout ministère.

On a mal saisi, messieurs, la pensée qui a dicté hier les courtes observations que j’ai faites sur un obstacle à la réconciliation générale de la Belgique avec l’Europe.

Il a été bien loin de ma pensée de vouloir altérer la considération qui doit environner les victimes d’un grand désastre, de manquer au respect dû à de nobles infortunes. Loin de moi aussi la pensée de répudier mes anciennes opinions, mes anciennes sympathies. Quant à certaines craintes manifestées par le même orateur, je puis lui donner l’assurance qu’aussi longtemps que nous aurons l’honneur de siéger sur le banc des ministres, nous ne consentirons jamais à ce qu’il soit portée atteinte aux lois sacrées de l’hospitalité belge : nous pouvons garantie leur inviolabilité.

Mais accusés d’être les adversaires du parti conservateur, accusés de renier tous les principes d’ordre et de modération qui avaient constamment présidé à nos actes, nous avons été entrainés par un sentiment, trop vif peut-être, de l’injustice qui nous était faite, à répondre à l’accusation lancée contre nous, ces quelques mots que j’ai été désolé de voir mal interprétés, mais dont il ne sera plus possible, je l’espère, de dénaturer le sens après les explications dans lesquelles nous sommes entrés.

M. Cogels – Je regrette de me voir en quelque sorte forcé de prendre part à ce débat. Je ne veux me ranger sous les drapeaux d’aucun parti. Je désire conserver cette position de complète indépendance, pour ne pas dire d’isolement dans laquelle je me suis trouvé placé dès mon entrée dans cette chambre.

Lorsque mes concitoyens m’ont fait l’honneur de m’appeler à siéger sur ces bancs, ils sont venus me chercher dans une opinion qui ne pouvait guère être représentée ici. Je n’ai pas fait abjuration de cette opinion, mais j’en ai fait abnégation, et j’ai cru que l’on pouvait bien différer d’opinion sur le passé et être parfaitement d’accord pour le présent et pour l’avenir avec tous les amis sincères de leur pays.

Si j’ai demandé la parole, c’est pour me justifier d’un reproche qui a été fait à une fraction très nombreuse de cette chambre par l’honorable M. Dolez.

Il nous a reproché d’avoir, dès l’avènement du ministère actuel, voulu lui faire une opposition tracassière, notamment d’avoir voulu lui susciter des embarras dans la conclusion de l'emprunt.

Comme je suis un de eux qui ont le plus vivement soutenu le principe de la concurrence et de la publicité, je crois pouvoir prendre ma part de ce reproche.

Messieurs, ici c’est une question de principes que j’ai soutenue et que je soutiendrais encore si nous nous trouvions dans les mêmes circonstances, quels que fussent les hommes qui siégeassent sur ces bancs.

C’était chez moi le résultat d’une conviction sincère. Cette conviction a même été partagée en quelque sorte par le ministère, ou au moins sa conviction, à lui, était fort douteuse.

Ce qui le prouve, c’est qu’après avoir combattu l’amendement que j’avais présenté et qui a été repoussé à une très faible majorité, il a cru cependant devoir s’y rallier après.

Eh bien ! si sa conviction avait été bien sincère, il y aurait eu chez lui inconséquence ; car, si le principe que je soutenais était bon, il ne devait pas le combattre, s’il était mauvais, il ne devait pas s’y rallier après l’avoir combattu.

Je ne lui ferai pas un reproche sur la manière dont il a interprété le vœu de la chambre, sur la manière dont il a fait appel à la concurrence, mais aussitôt que l’avis du ministère a paru, je l’ai condamné ; j’ai dit immédiatement qu’elles devaient en être les conséquence ; j’ai dit, voilà un mois perdu.

Je ne pouvais prévoir alors, pas plus que personne, les événements qui devaient venir frapper ce crédit dans l’intervalle que l’on avait laissé entre la publication et le jour fatal fixé pour l’adjudication de l’emprunt. Ce sont des événements qui ont été hors des prévisions de tout le monde. Ce qui le prouve, c’est le taux extrêmement élevé auquel étaient les fonds publics dans ce même intervalle.

Ainsi, messieurs, si l’emprunt n’a pas eu tout le succès qu’on s’en était promis, qu’on n’en fasse le reproche à aucune fraction de cette chambre, qu’on en fasse le reproche à aucune opposition tracassière. Ce sont les événement seuls qui ont amené ce résultat.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je dois d’abord constater qu’aucune récrimination n’est venue de la part du ministère relativement à ce qui s’est passé lors de la discussion de l’emprunt. Mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, a cru devoir répondre à quelques observations de l’honorable M. de Theux.

J’éprouve le besoin moi-même de dire que je rends hommage à la loyauté des observations qui ont été produites par l’honorable M. Cogels. Je ne puis pas être d’accord avec lui sur tous les points mais j’ai toujours eu la conviction profonde que son opinion est consciencieuse. Je me bornerai, quant à présent, à faire cette seule observation, que mon opinion personnelle n’a pas varié en ce qui concerne la publicité et la concurrence. Telle elle était au commencement des débats, telle est fut lorsque la loi fut votée. Toujours j’ai dit que la publicité et la concurrence étaient désirables, mais ne devaient pas être imposées au gouvernement.

Je crois ne pas devoir m’appesantir sur cet incident qui n’a rien de commun avec la discussion actuelle.

M. le président – La parole est à M. Demonceau.

M. Delfosse – Je l’ai demandée pour un fait personnel. (A lundi ! à lundi !)

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.