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Note d’intention
Chambre des représentants
de Belgique
Séance du
jeudi 14 mars 1839
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre (notamment pétitions relative au morcellement du territoire (Desmet, Vergauwen, de Theux, Liedts, Vandenbossche, Gendebien)
2) Intervention pour un fait personnel sur un discours relatif au projet de loi sur le traité des 24 articles (de Foere, Lebeau, de Theux, Dubus (aîné), Gendebien, de Theux, Pirmez, Desmet, Andries, de Foere, Nothomb)
3) Projets de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
4) Décès de M. Bekaert
(Moniteur du vendredi 15 mars 1839, n° 72)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 10 heures ½.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M.
Lejeune fait connaître l’objet des pièces adressées à la
chambre :
« Des habitants de Courtray demandent que la chambre rejette le projet de loi relatif au traité de paix. »
« Même demande de 50 habitants de Philippeville. »
« Même demande des officiers de la garde civique du canton d’Oosterzeele (Flandre orientale). »
« Des habitants de Chimay demandent que la chambre adopte le projet de loi relatif au traité de paix. »
- Ces pétitions seront insérées au Moniteur.
M. Desmet – J’aurai l’honneur de dépose sur le bureau trois pétitions qui protestent contre l’adoption de l’inique traité qui nous est soumis ; la première émane de la commune de Zeele (arrondissement de Termonde) ; elle est signée par le curé, trois vicaires, les membres de la régence, le colonel de la garde civique et des principaux négociants et fabricants de ce bourg.
La seconde m’est adressée par la commune de Ruddervoerde (Flandre occidentale) ; elle est également signée par le curé, les vicaires, les membres de la régence et par 3 ou 400 notables de la commune.
La troisième pétition vient de la commune de Vive-St-Eloy (Flandre occidentale) ; elle est encore signée par les membres du clergé, par les membres de la régence et par un grand nombre des principaux habitants de cette commune.
Par ces trois pétitions on adjure la chambre de ne pas souscrire au morcellement et à l’abandon du Limbourg et du Luxembourg, de ne pas détruire l’œuvre du congrès et de ne sacrifier aucun homme ni aucun principe de la révolution.
Je prie le bureau de vouloir faire insérer ces pétitions au Moniteur, conformément à la décision de la chambre.
M. Vergauwen – J’aurai l’honneur de déposer sur le bureau de la chambre six pétitions signées par plusieurs centaines d’habitants de la ville de Gand, contre l’acceptation de l’odieux traité qui nous est proposé.
Je suis heureux et fier, messieurs, de voir la ville que j’ai l’honneur de représenter dans cette chambre, venir par un acte spontané protester contre une assertion téméraire émise, il y a quelques jours, par M. le ministre des affaires étrangères. Rappelez-vous, messieurs, que toutes les intrigues du gouvernement n’ont pu faire arriver des Flandres qu’une seule pétition en faveur de son projet.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je proteste contre l’expression anti-parlementaire que l’honorable orateur vient de se permettre. Il s’est servi du mot « intrigue », et je dois le repousser. Le gouvernement n’a point fait pétitionner, il n’a point employé l’intrigue, et je désire que d’autres pétitions qui sont parvenues à la chambre soient également à l’abri de tout reproche d’intrigue.
Maintenant je demande à messieurs les questeurs comment il se fait que dans une discussion aussi solennelle, le Moniteur ne donne pas ce matin les discours prononcés dans la séance d’hier, comme cela s’est fait jusqu’à ce jour. Il est important que chaque membre de la chambre puisse consulter dans le Moniteur les discours prononcés, car il est impossible, lorsque certains discours sont si longs, de prendre continuellement les notes nécessaires pour pouvoir répondre aux divers orateurs.
M. Liedts – lorsqu’il se rencontre quelqu’irrégularité dans le compte-rendu de nos séances, je n’ai rien tant à cœur que d’en rechercher la cause pour en prévenir le renouvellement. Je dois rendre à M. le ministre de la justice de dire que, dans le reproche qu’il vient d’adresser à la questure, il n’a pas, du moins, soupçonné nos intentions. Ce reproche ne peut se rapporter, je pense, qu’à un seul discours, celui de l’honorable M. Dumortier ; si ce discours ne figure pas dans le Moniteur de ce matin, la raison en est facile à saisir. Ce discours est très long ; messieurs les sténographes ont mis beaucoup de zèle à le reproduire ; et il aurait pu être imprimé ; mais l’orateur a désiré le revoir chez lui, et c’est pour cela qu’il n’a pu être inséré dans le Moniteur de ce matin. Vous voyez, messieurs, que ni la questure ni le Moniteur ne sont pour rien dans l’omission dont s’est plaint M. le ministre.
M. Vandenbossche – Je viens de recevoir de la ville de Grammont une pétition qui proteste contre le traité qu’on veut nous faire accepter ; elle est couverte d’une cinquantaine de signatures ; dans la lettre qui l’accompagne, on m’annonce qu’il y a à Grammont deux cents volontaires prêts à voler à la frontière pour la défense de l’intégrité du territoire. Je demande que cette pétition soit insérée au Moniteur.
M. Gendebien – J’ai remis aujourd’hui sur le bureau une pétition de la commune de Vive-St-Eloy, qui proteste contre le morcellement du territoire ; jusqu’ici je n’ai pas parlé des pétitions que j’ai été chargé de remettre à la chambre, croyant qu’il suffisait de la déposer sur le bureau. Je signale aujourd’hui celle de Vive-St-Eloy, parce que plusieurs des pétitionnaires qui m’ont adressé des pétitions m’ont exprimé le regret que je me suis borné à les déposer sur le bureau. Je prie le bureau de la faire insérer au Moniteur, avec les signatures.
M. de Foere (pour un fait personnel) – Dans la séance du 4 mars, l’honorable M Nothomb…
Plusieurs voix – Ce n’est pas là un fait personnel.
D’autres voix – Laissez parler.
M. Liedts – Messieurs, vous avez fait un règlement qui est votre loi ; il faut l’exécuter ; d’après ce règlement, il n’est pas permis à un orateur de prendre la parole pour un fait personnel, à moins qu’il ne se soit passé dans la séance même ou dans la séance précédents si l’orateur n’était pas présent ; maintenant l’honorable M. de Foere veut répondre à un fait personnel qui se serait passé dans la séance du 4 mars ; c’est là un système que la chambre ne peut pas admettre, car on pourrait en abuser pour prendre un tour de parole alors qu’on ne se serait pas fait inscrire.
M. de Foere – Il m’est impossible de répondre au fait personnel sans établir l’état de la question ; je ne demande que cela, je n’entrerai dans aucune autre discussion.
« « Il y a des personnes, a dit M. Nothomb, qui trouvent que le parti
proposé par le gouvernement est le plus avantageux, mais il leur paraît
immoral. Les populations luxembourgeoises et limbourgeoises seules pourraient
délier
Plusieurs membres – Il n’y a rien de personnel en cela !
M. Lebeau – S’il y avait eu quelque chose de blessant pur l’honorable membre dans les paroles qu’il attaque, si ses paroles ou ses intentions avaient été dénaturées, je comprendrai qu’il pût avoir en cela un fait personnel, mais il s’agit tout simplement d’un système qui a été qualifié, et je crois qu’en cela il n’y a rien de personnel. L’opinion que nous défendons a été qualifiée de lâche, d’égoïste, d’infâme ; nous n’avons pas pour cela demandé la parole pour un fait personnel. Si l’on montrait une semblable susceptibilité, ce serait à n’en pas finir, car il n’y aurait pas de raison pour ne pas prendre la parole pour un fait personnel après chaque discours qui se prononce. S’il y a un fait personnel, qu’on le pose d’une manière précise, mais qu’on ne rende pas nos débats interminables en voyant des faits personnels dans tous les arguments que les divers orateurs font valoir.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ferai remarquer en outre, messieurs, que M. le ministre des travaux publics n’est pas ici ; or, si j’ai bien compris les expressions de l’honorable préopinant, il en est quelques-unes dans lesquelles M. le ministre des travaux publics pourrait peut-être voir aussi un fait personnel.
M. Dubus (aîné) – Je crois, messieurs, que plusieurs honorables membres de l’assemblée ont complètement pris le change ; si j’ai bien compris M. de Foere, ce n’est pas dans le discours prononcé par M. le ministre des travaux publics dans la séance du 4 de ce mois, mais dans celui qui a été prononcé dans la séance d’hier par un autre abbé qui reprochait à l’abbé de Foere, en appuyant sur ce mot « abbé » de prêcher la doctrine du suicide.
M. le président – Je vais mettre l’ordre du jour aux voix.
M. Gendebien – Ce n’est pas ainsi qu’il faut poser la question ; voici comment il faut la poser : « Un orateur, se trouvant accusé par un membre de la chambre d’avoir prêcher le suicide, a-t-il le droit oui ou non de se justifier de ce reproche et de le considérer comme un fait personnel ? »
M. le président – La question posée par M. Lebeau est à l’ordre du jour.
M. Gendebien – Il n’y a rien de commode comme l’ordre du jour, mais cela n’est ni franc ni exempt de blâme. Il faut avoir le courage de poser nettement la question. Il s’agit de savoir si M. de Foere a le droit de repousser l’accusation dont il a été l’objet, c’est-à-dire de prêcher le suicide ; c’est le droit incontestable de chacun des membres de cette chambre, et le caractère particulier de M. de Foere ne lui permet pas de tolérer une semblable accusation. Posez donc la question logiquement et franchement ; vous avez la majorité, je le sais ; je vous ai prédit dès le 1er février que le ministère l’attendait pour changer de langage et que vous l’auriez ; au moins n’en abusez pas.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Toute l’assemblée a parfaitement compris les paroles de M. Andries ; il n’a parlé que de suicide politique ; son discours est imprimé dans le Moniteur, et chacun peut s’y adresser pour s’en convaincre. Si chacun se montrait si susceptible, je dis qu’il y aurait par centaines de faits personnels dans cette discussion.
M. Pirmez – Le suicide qu’on a reproché à M. de Foere de vouloir favoriser n’est pas le suicide ordinaire, le fait de se tuer soi-même, c’est le suicide politique ; eh bien, c’est là une doctrine comme tant d’autres qui se défendent dans une assemblée délibérante ; chaque membre a le droit de soutenir de semblables opinions, et chaque membre a aussi le droit de critiquer les opinions émises par les autres. On ne peut pas voir en cela un fait personnel. Car ce serait là un moyen d’éterniser nos discussions.
M. Desmet – Messieurs, il est de fait que tous ceux qui ont le discours de M. Andries et qui n’ont pas entendu le discours de M. de Foere, sont restés convaincus que M. l’abbé de Foere prêchait la doctrine du suicide. Il est donc juste d’accorder la parole à M. de Foere pour qu’il puisse répondre.
M. de Foere – Messieurs, l’honorable M. Lebeau vient de dire qu’il serait contre les usages parlementaires de m’accorder la parole pour me disculper de l’imputation odieuse qui a été lancée contre moi, en termes formels et dans mon absence ; je crois au contraire que ce serait agir contrairement à tous les usages, à toutes les convenances, que de m’interdire la parole, alors que j’ai à me défendre contre un orateur qui a dit que ma doctrine était une doctrine de suicide, et qu’elle encouragerait même au suicide.
M. Andries – Messieurs, j’ai usé de mon droit ; j’ai fait la critique d’une opinion, je me suis attendu à une réplique ; qu’elle ait lieu maintenant ou plus tard, cela m’est indifférent. J’attendrai le député de Thielt sur le terrain où je me suis placé. Il peut me répondre, l’inexorable Moniteur est là, je répliquerai. Je me rapporterai entièrement à la décision que la chambre croira devoir prendre, quant à l’ordre du jour.
- Personne ne demandant plus la parole, M. le président met aux voix la reprise de l’ordre du jour.
Une double épreuve est douteuse ; on procède à l’appel nominal.
En voici le résultat :
83 membres prennent part au vote.
40 membres répondent oui.
43 membres répondent non.
Un membre (M. Andries) s’est abstenu, pour les motifs qu’il a expliqués.
En conséquence, la reprise de l’ordre du jour n’est pas adoptée.
Ont répondu oui : MM. Bekaert, Coghen, de Behr,
de Florisone, de Jaegher, F. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Perceval, de
Terbecq, de Theux, Devaux, Dolez, Dubois, Fallon, Keppenne, Lardinois, Lebeau,
Liedts, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Nothomb, Pirmez, Polfvliet, Rogier,
Smits, Thienpont, Troye, Ullens, Vandenhove, Van Volxem, Verdussen, Verhaegen,
Vilain XIIII, Wallaert, Willmar et Raikem.
Ont répondu non : MM. Angillis, Beerenbroeck,
Berger, Brabant, Coppieters, Corneli, Dechamps, de Foere, de Man d’Attenrode,
de Meer de Moorsel, Demonceau, de Puydt, de Renesse, de Roo, Desmaisières,
Desmet, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne,
Ernst, Gendebien, Heptia, Hye-Hoys, Jadot, Kervyn, Lecreps, Lejeune, Manilius,
Metz, Morel-Danheel, Pirson, Pollénus, A Rodenbach, Scheyven, Simons, Stas de
Volder, Vandenbossche, Van Hoobrouck, Vergauwen, Zoude.
M. le président – En conséquence de la décision de la chambre, la parole est à
M. de Foere pour un fait personnel.
M.
de Foere – Messieurs, dans la séance
du 4 mars, M. Nothomb soulève la question morale qui se complique avec celle de
notre population luxembourgeoise et limbourgeoise, dont, contre son gré, on
nous demande le sacrifice. Je dois rendre justice à l’orateur
ministériel : cette fois-ci, il est franc et loyal ; il pose la
question sur son véritable terrain. Voici l’analyse fidèle de son
argumentation, résumée par ses propres paroles : « Il y a des
personnes, dit-il, qui trouvent que le parti proposé par le gouvernement est le plus
avantageux, mais il leur paraît immoral. Les populations luxembourgeoises et
limbourgeoises seules pourraient délier
Vous l’avez entendu, messieurs, le sacrifice de nos
frères, consommé contre leur gré, serait injuste, immoral, si
Je dois le dire, messieurs, à l’honneur de M. Nothomb,
il ne s’est pas emparé de l’arme de la duplicité ; il n’est pas entré dans
une discussion tortueuse pour obscurcir un principe de haute moralité ; il
n’a pas cherché à tergiverser ; il s’est posé loyalement devant le
principe ; il l’a accepté en termes clairs et positifs ; seulement il
a subordonné le principe à la nécessité.
C’était un pas immense fait dans nos débats. Dans la
séance du 11 mars, je n’avais plus à m’occuper du principe ; l’injustice,
l’immoralité était dans les aveux parlementaires de l’homme qui se met à la
tête de nos imposantes délibérations. Je me trouvais donc seulement devant la
question de savoir si la nécessité d’un acte peut effacer l’injustice,
l’immoralité du même acte. C’est sur ce terrain que j’accepte la discussion. Ce
terrain était d’autant plus inébranlable que la section centrale et tous les orateurs
ministériels ont posé l’acceptation du traité, sur la base de la nécessité et
sur les avantages que le sacrifice de nos frères devait procurer au pays. Ils
sont venus nous dire : Acceptez le traité ; cédez nos frères, au prix
de cette cession vous acquerrez votre indépendance, votre nationalité, la
reconnaissance du roi Guillaume et des puissances européennes ; votre pays
ne sera ni partagé, ni ravagé par la guerre ; la crise industrielle
cessera ; il est vrai, le sacrifice est douloureux, mais c'est une
nécessité. Telle est l’analyse de tous les orateurs ministériels. Je m’empare
des aveux de M. Nothomb qui admet le principe qu’il y a injustice, immoralité
quand on veut acheter son propre bien-être au prix du malheur de son prochain,
et en sacrifiant ses droits contre son gré. J’établis le principe (qui n’a pas
besoin de l’être, il est dans toutes les consciences), que nul ne peut disposer
du bien d’autrui pour acheter son propre bien-être. Je dis que la probité du
pays et que son honneur seraient saufs, si les populations luxembourgeoises et
limbourgeoises nous disaient elles-mêmes : Nous ne voulons pas que vous
subissiez des malheurs, nous faisons nous-mêmes le sacrifice de nos
droits ; nous nous retirons de la communauté. Tout cela est dans les aveux
mortels de M. Nothomb.
Je démontre en outre (démonstration d’ailleurs
inutile ; le principe est dans la nature, dans l’âme, dans l’histoire
toute entière de l’espèce humaine), je démontre en outre, dis-je, que la
conscience humaine en présence d’une injustice est inflexible ; que la
doctrine qui justifie un acte d’immoralité par la nécessité, est la destruction
de toute morale ; que c’est cette doctrine qui a été invoquée pour
justifier tous les crimes politiques ; que, dans l’inflexibilité de la
justice devant un crime, il ne serait plus possible de reconnaître les limites
que la doctrine des nécessités prescrirait à la justice, que, sans cette
inflexibilité, le monde tout entier serait livré à l’empire des nécessités
arbitraires ; qu’il ne serait plus possible de discerner le juste et
l’injuste ; que toujours la faiblesse serait à la merci de la force ;
que l’immuabilité de la justice est la seule protection du faible contre l’abus
de la force. Basé sur l’immuabilité de la justice et sur les aveux positifs de
M. Nothomb, qui a confessé publiquement l’immoralité de l’acte, j’en viens à la
conclusion que
Messieurs, je vous le demande, je le demande à nos
adversaires même, je le demande à la chambre tout entière, si j’ai exposé avec
fidélité l’état de la question ? Eh bien, le principe que j’ai établi est
connu par chaque enfant qui apprend son catéchisme pour faire sa première
communion, et, chose étrange, il s’est trouvé dans la séance d’hier un orateur
qui a dit que ce principe est « la doctrine du suicide » !
Je me renfermerai ici dans un silence respectueux
envers la chambre. Toute discussion ultérieure serait une insulte faite à ses
convictions et à sa conscience. J’ai dit.
(erratum,
Moniteur du 13 mars 1839 : ) M. Andries – Je n’ai rien à répondre, M. de Foere a laissé la question
intacte.
M.
le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, mon intention
n’est pas de répondre au fond du discours de l’honorable M de Foere. Cependant,
je dois relever quelques expressions dont il s’est servi au commencement de son
discours ; ces expressions sont au moins fort désobligeantes envers moi,
et l’orateur aurait pu s’en abstenir. M. de Foere a dit que cette fois j’avais
été franc et loyal. J’avoue que je n’ai pas reconnu dans ces expressions
l’urbanité ordinaire de l’orateur, qui est trop au fait des usages
parlementaires, et surtout des usages parlementaires d’un pays étranger qu’il
cite très souvent. C’est tout ce que j’ai à dire.
Discussion générale
M. Donny – Messieurs, quatorze orateurs ont parlé pour le projet, et
les ministres ont de leur côté repris fréquemment la parole pour le défendre.
Toutes les observations que je me proposais de discuter ont été, à l’exception
d’une seule, traitées par ces orateurs. Je me bornerai donc à la seule
observation que la marche de la discussion m’ait laissée.
Plusieurs orateurs, adversaires du projet, vous ont
demandé avec quelque amertume ce que serait
Voilà ce qu’on vous a dit le plus sérieusement du
monde. Et quand on pénètre au fond des choses, quand on les dépouille de ce
prestige dont le talent des orateurs les a entourées, on ne trouve dans tout
cela qu’erreur évidente ou exagération extrême.
Il est vrai, messieurs, que
Si quelque jour
Quant au vasselage dont on vous a parlé, j’attends
encore qu’on me montre où il peut se trouver, car il faut à mon avis plus que
de la bonne volonté pour en voir les moindres traces dans tout ce qu’on vous a
dit à ce sujet.
Vous le voyez donc, cette ceinture orange dont on vous
parle sans cesse, ce vasselage dont on veut vous faire rougir, cet ennemi cruel
qu’on vous montre l’arme au bras sur presque toutes nos frontières, cette
restauration qu’on vous fait voir en perspective, tout cela n’est autre chose
que de l’illusion, de la fantasmagorie.
J’en viens à la question des entraves sur l’Escaut.
Je ne veux pas soutenir que jamais, dans aucune
circonstance, il n’y aura d’entraves sur l’Escaut, mais ce que je soutiens,
c’est que
Si quelque jour le commerce maritime de
Je vous ai dit que les entraves dont on nous a menacés
ne pourront dans aucun cas être considérées comme les résultats du traité ;
rien n’est plus facile à démontrer. Je suppose un instant que la conférence de
Londres ait fait droit à toutes les réclamations de la diplomatie belge, je
suppose que le traité vous eût accordé le Limbourg et le Luxembourg tout
entiers, qu’il eût réduit la dette belge au taux le plus équitable ; et
qu’enfin il eût supprimé tout péage sur l’Escaut ; eh bien, malgré toutes
ces concessions favorables, votre position en ce qui concerne la sûreté
permanente de la navigation de l’Escaut ne serait pas changée le moins du
monde ; vous auriez encore toujours les mêmes entraves à redouter aussitôt
que votre commerce maritime pourrait porter un ombrage sérieux aux autres
puissances maritimes.
L’Angleterre ne permettra jamais que l’Escaut soit le
rival de
C’est là pour l’une et
pour l’autre de ces puissances un point vital, un point sur lequel il
leur est impossible de transiger, sur lequel elles ne transigeront jamais, quel
que puisse être le traité qu’il vous arrive de conclure. C’est là, j’en
conviens, un état de choses fâcheux pour
Il me reste à vous démontrer que malgré les entraves
sur l’Escaut,
Je terminerai en vous exposant en peu de mots les
motifs de mon vote.
J’accepte le traité, parce que j’ai la conviction
profonde que
J’accepte le traité, parce que si on le rejette, on
fait revivre
J’accepte le traité, parce que la guerre ou la
résistance non seulement ne peuvent nous rendre les territoires cédés, mais
doivent encore aggraver la position malheureuse de leurs habitants.
J’accepte le traité, parce que la guerre ou la
résistance non seulement ne peuvent affranchir l’Escaut d’un péage, mais
doivent au contraire amener immédiatement la fermeture tout au moins temporaire
de ce fleuve.
En un mot, j’accepte le traité, parce que je ne veux
pas exposer mon pays au danger d’une ruine complète, sans aucun espoir tant
soit peu fondé d’atteindre le but de tant de sacrifices.
M. le président – La parole est à M. Pollénus « sur » le projet.
M. Pollénus – Messieurs, à la séance du 12 de ce mois, il vous a été
présenté un amendement pour le cas éventuel où le projet de traité obtiendrait
l’assentiment de la majorité.
L’honorable M. Peeters a proposé de n’autoriser dans
aucun cas la conclusion du traité, que sous la condition expresse que les
libertés civiles et religieuses conquises par la révolution seront conservées
aux populations que les propositions de la conférence de Londres prétendent
arracher à leur patrie.
L’expérience m’a mis à même de reconnaître, pour ce
qui concerne le Limbourg, des besoins auxquels la disposition toute
bienveillante de cet amendement paraît ne point satisfaire.
Pendant le régime hollandais, les communautés
réformées s’étaient mises en possession de plusieurs églises servant au culte
catholique. Cette double destination d’un même temps a jeté le trouble dans
plusieurs communes qui, plus d’une fois, ont été le théâtre de sanglants
conflits.
Le gouvernement du roi Guillaume s’est obstiné à
maintenir cet état de choses en opposition directe avec l’article 46 des
dispositions organiques de la loi du 18 germinal an X
Depuis la révolution, il est vrai, le gouvernement
belge a fait construire plusieurs temples pour le culte protestant ; mais
les dissidents, alors surtout qu’ils peuvent compter sur l’appui de
l’administration, se sont toujours montrés tracassiers envers les catholiques
dans le Limbourg. La même cause peut ramener les mêmes effets.
C’est cette considération qui m’a porté à vous
proposer une disposition additionnelle à l’amendement de M. Peeters, et tendant
à garantir aux catholiques des territoires menacés la paisible possession de
leurs églises.
Il me reste à justifier la deuxième disposition de mon
amendement.
L’évêché de Liège possède, entre autres propriétés sur
la rive droite de
La disposition que j’ai l’honneur de vous proposer
pour atteindre ce double but, n’est pas nouvelle, elle est textuellement
transcrite de l’article 16 du traité de Vienne, du 18 mai 1815, entre
L’honorable député de Turnhout, en déposant son
amendement, m’a averti qu’il y aurait danger peut-être à différer davantage de
vous soumettre ces propositions additionnelles.
Messieurs, sous le gouvernement déchu, j’ai vécu
pendant huit ans parmi les populations que le projet de traité menace
d’arracher à leur patrie. Ce sont elles qui m’ont donné le premier mandat pour
venir siéger dans cette assemblée.
Je leur dois, dans ce moment suprême, tout mon
dévouement.
En déposant cette proposition, je remplis un
douloureux devoir, mais je ne désespère pas encore de la plus juste des
causes !
Une indisposition m’empêche pour le moment d’entrer
dans d’autres développements.
Avant de terminer, je crois m’acquitter d’un devoir
rigoureux que m’impose le serment que j’ai prêté en entrant dans cette
enceinte :
Je proteste, que je ne reconnais ni à la législature
ordinaire ni au gouvernement, le pouvoir de consentir l’exclusion de nos
concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, de l’association nationale.
Vous ne pouvez dissoudre l’association sans frapper du
même coup la charte qui l’a constituée.
M. le président – Voici l’amendement déposé par M. Pollénus :
« Dispositions additionnelles à l’amendement de
M. Peeters.
« Art. 1er. Les communautés,
corporations et établissements religieux et d’instruction publique dans les
provinces cédées ou dans celles qui restent à
« Art. 2. Dans les territoires cédés, les temples
consacrés au culte catholique ne pourront être destinés en même temps à
d’autres cultes. »
M. le président – La parole est à M. Jadot « contre » le projet.
M. Jadot – Une indisposition me met
dans l’impossibilité de prendre la parole. M. Zoude me remplacera si la chambre
le permet. (Adhésion.)
M. Jadot – Messieurs, dans la question
si grave qui nous occupe, il est deux faits qui, selon moi, sont
incontestables.
L’un, c'est l’injustice qui a présidé aux décisions
que la conférence a lancées sur nous ;
L’autre, c’est la négligence coupable que notre
diplomatie a apportée dans la défense de nos intérêts les plus chers.
Il en est un troisième sur lequel on ne peut que
former des conjectures, c’est l’étrange conduite du gouvernement depuis
l’ouverture de la session actuelle.
Lorsqu’au commencement de novembre 1830 le roi
Guillaume se mit sous la protection de la conférence de Londres, la conférence
animée, disait-elle, du vif désir d’arrêter l’effusion du sang, intervint comme
médiatrice et proposa un armistice, sans préjuger en rien les questions don les
cinq cours auraient à faciliter la solution.
Après la défaite des Hollandais et leur expulsion de
Le prince à qui la conférence offrait la couronne de
Belgique, et qui, suivant lord Ponsomby, était suffisamment autorisé à attendre
avec confiance l’exécution équitable et prompte des mesures par lesquelles la
conférence aiderait à l’arrangement satisfaisant des affaires du Luxembourg,
l’accepta, après toutefois que nous eûmes, accepté les 18 articles, et il prit
sur lui, comme souverain, le complément de cette affaire ; le prince fut
trompé comme nous.
La conférence vit avec plaisir notre défaite à
Louvain, dont sans doute elle était complice, et s’en autorisa pour déchirer
les 18 articles et l’engagement qu’elle avait pris envers nous, par l’un de ces
articles, ainsi conçu : «
Cette garantie de l’inviolabilité de notre territoire
était un piège !
Si le traité de 18 articles n’était pas obligatoire
pour
Les événements de Louvain sont venus changer la face
des choses, cela est vrai ; on doit convenir toutefois que si ces
événements étaient de nature à autoriser des modifications aux 18 articles,
c’est en notre faveur et non à notre détriment que ces modifications devaient
être faites ; mais la conférence, qui regrettait d’avoir dû souffrir
l’établissement d’un royaume de Belgique, saisit avec empressement cette
occasion de le reconstituer de manière à en abréger la durée ; le
Luxembourg nous fut ravi, une dette accablante nous fut imposée.
Les conditions du traité du 15 novembre sont ce
qu’elles devaient être sortant d’un conseil où la majorité des voix était
acquise au despotisme, qui ne connaît de souveraineté que celle que donne la
naissance ; un peuple qui proclame que tout pouvoir émane de lui et ne
peut être exercé que dans ses intérêts, devait s’attendre à ne trouver que des
ennemis dans un semblable conseil.
Toutefois, ces conditions n’étant pas trouvées
suffisantes pour entraver, d’une manière satisfaisante pour
Je ne tiens pas compte de 3,400,000 florins, dont la
part de la dette hollandaise que l’on nous avait si injustement infligée, a été
diminuée ; cette diminution nous était acquise de droit et devait être
beaucoup plus forte.
Je laisse à d’autres le soin d’éclairer la chambre sur
la question du péage, et ne dirai qu’un mot sur le syndicat d’amortissement.
Il me semble que le gouvernement n’y attache pas
l’importance qu’il mérite ; il doit s’attendre, si le traité est accepté,
à voir le roi Guillaume élever d’étranges prétentions du chef de cet
établissement.
La question du morcellement du Limbourg et du
Luxembourg domine toutes les autres questions.
Je veux bien que, sans vous arrêter à
l’inconstitutionnalité de la marche que suit le gouvernement dans cette
affaire, vous puissiez déjà déclarer aujourd’hui que pour rendre la paix au
pays, vous supporterez une partie de la dette de
Si la conférence, dans la toute puissance qu’elle
s’arroge, et pour satisfaire à de nouvelles exigences de
Eh bien, la majorité qui s’indignerait dans ce cas,
elle est ici. Ne s’indignera-t-elle pas parce que la proposition n’atteint que
la minorité ? Songez-y bien, messieurs, le sort réservé à vos concitoyens
du Limbourg et du Luxembourg, qui ne vous touche pas aujourd’hui, parce que
vous n’êtes pas destinés à le partager, sera peut-être demain le vôtre.
Ce traité, plein de réticences, rédigé en termes ambigus,
élastiques, multipliera les prétentions de
La conférence en permanence attend que, par votre
acceptation, vous ayez ratifié le pouvoir qu’elle s’est attribué, et s’apprête
déjà à vous commander de nouveaux sacrifices.
Prenez-y garde, car votre acceptation consacrerait le
principe que c’est au despotisme qu’il appartient d’être juge des querelles
entre les rois et ce qu’ils appellent leurs sujets, et vous gâterez ainsi votre
propre cause et l’avenir des peuples.
Si vous n’êtes pas disposés à rejeter le traité par
ces considérations qui me paraissent décisives, vous ne devez pas moins vous
abstenir de l’accepter, parce qu’en acceptant vous empiétez sur les
prérogatives du Roi.
On trouvera sans doute cette proposition hardie,
présomptueuse peut-être, après qu’un membre de cette assemble a traité
savamment la question de compétence et l’a décidée affirmativement ; mais
je suis d’autant moins disposé à renoncer à mon opinion que je trouve dans les
observations de cet honorable membre tout ce qu’il me faut pour la faire
triompher.
L’absurdité qu’il trouve dans l’obligation de
dissoudre les chambres et de convoquer les collèges électoraux pour en former
de nouvelles, et ce à cause de la perte d’un temps précieux qui doit en
résulter, je la trouve également dans l’obligation de soumettre le traité aux
chambres existantes, car la discussion sur son acceptation ou son rejet
exigerait aussi une perte de temps assez longue pour amener tous les fâcheux
résultats que cet honorable membre fait valoir.
Le premier paragraphe de l’article 68 est ainsi
conçu : « Le Roi commande les forces de terre et de mer, déclare la
guerre, fait les traités de paix, d’alliance et de commerce, et en donne
connaissance aux chambres aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’état le
permettent, en y joignant les communications convenables. »
Il est peut-être sans exemple qu’un traité de paix ait
été conclu sans qu’il contînt une clause d’augmentation ou de diminution de
territoire ; si donc vous voulez que les cessions et adjonctions dont
parle le dernier paragraphe, et qui ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une
loi, s’appliquent à celles contenues dans les traités de paix, vous ôtez par le
dernier paragraphe la prérogative que le premier accorde au Roi.
L’article 3 et le troisième paragraphe de l’article 68
ne s’appliquent qu’aux conventions volontaires faites dans l’intérêt de toutes
les parties ; quant aux conditions imposées un jour de triomphe et
acceptées sous le glaive comme une nécessité à laquelle il est impossible de se
soustraire, et c’est le cas dans quel nous nous trouvons, de l’avis même de
l’honorable M. Liedts, leur place est dans un traité que dicte le vainqueur, et
non dans une loi : corps législatif, nous ne sommes ici que pour recevoir
des propositions que nous puissions discuter et modifier librement, et sans
contrainte, pour les convertir en loi si nous les trouvons justes, et non pour
légaliser des actes d’une iniquité révoltante.
On invoquera sans doute la marche suivie en 1831, pour
justifier celle que l’on suit aujourd’hui ; mais s’il existait en 1831 des
circonstances que les convenances d’alors voulaient que l’on prît en
considération et que je m’abstiens d’indiquer, il n’en est pas de même aujourd’hui.
Croyez bien, messieurs, que si je demande que le Roi
exerce les prérogatives que lui assigne la constitution, ce n’est pas que je
sois disposé à trouver bon le traité ainsi conclu, c’est parce que j’ai
l’intime conviction que si vous laissez à S.M. l’initiative qui lui appartient,
la devise « persévérance et courage », ne sera pas un mensonge.
Mais, messieurs, est-il donc bien vrai qu’il ne nous
reste qu’un parti à prendre, celui d’une entière soumission aux volontés de la
conférence et du roi Guillaume ?
Que notre refus d’obéir armerait l’Europe toute
entière contre nous ?
Que le commerce en souffrance, l’industrie aux abois,
la consomption qui nous mine, rendent urgente l’acceptation du traité qui
d’ailleurs, est provoquée par des pétitions venues de tous les points du
royaume ?
C’est là du moins le langage que le gouvernement nous
tient aujourd’hui.
Je dirai d’abord que j’ai peine à me rendre compte du
changement si subit qui s’est opéré dans sa manière de voir.
Il y a à peine deux mois qu’après avoir excité
l’enthousiasme de la nation, demandé et obtenu de nouveaux subsides, rappelé et
armé la réserve, prodigué l’avancement, multiplié les grades, il envoyait à la
frontière une armée pleine de patriotisme et de courage, aux applaudissements
de la nation disposée à ne reculer devant aucun sacrifice pour assurer son
triomphe, et voilà que tout à coup il répand lui-même la consternation et
cherche à nous inspirer la crainte, feinte ou réelle, que lui inspire cette
guerre de l’Europe contre nous, afin d’obtenir de nous l’acceptation du traité
du 23 janvier.
Mais, messieurs, il n’est personne qui y croie à cette
guerre, pas même les ministres.
Elle n’aura jamais lieu, parce que le système de
non-intervention par les armes existe toujours entre les cinq puissances.
Pour nous y faire croire, on cite l’exemple de la
citadelle d’Anvers prise par l’armée française ; mais on sait qu’elle n’a
été retirée des mains des Hollandais que comme un instrument dangereux dont ils
avaient fait un si criminel usage.
Elle n’aura pas lieu, parce qu’elle se changerait en
une conflagration générale dont aucune puissance ne veut.
J’en veux d’autre preuve que la frayeur que l’on
cherche à nous inspirer, afin d’obtenir de notre consentement ce que l’on
n’oserait exiger par la force, si nous nous mettions en mesure de résister.
Mais quand nous parlons de résistance, on nous demande
quels sont nos moyens ?
L’honorable député de Gand aurait désiré que M.
Doignon lui en indiquât.
Il ne veut pas de la résistance de l’honorable député
de Soignies, qui ne consiste que dans le refus d’accepter.
Il ne veut pas de la résistance du député de Virton,
parce qu’elle pourrait nous mener trop loin.
Il ne veut pas de la résistance du député de Thielt,
invoqué au nom des sentiments les plus généreux, les plus religieux.
Et cependant ses sympathies sont pour la
résistance ; il croit donc qu’il y a une résistance possible car jusqu’à
présent on n’a vu aucun être raisonnable avoir des sympathies pour
l’impossible.
L’honorable député de Gand , qui garde le secret sur
ses moyens de résistance, laisse à ceux qui la veulent les plus beaux
sentiments ; quant à lui il se range du côté de la raison.
De la raison du plus fort, cela va sans dire.
Supposons toutefois que les craintes que le
gouvernement cherche à nous inspirer, aient quelque fondement.
Je ne prétends certainement pas que nous pouvons
lutter seuls contre l’Europe ; mais est-ce à dire pour cela que nous
devons mettre bas les armes, parce que la conférence nous menace ? et de
quoi nous menace-t-elle ? D’aviser !
La nation suisse, qui a moins de deux millions de
population, savait aussi qu’elle ne pouvait résister à
Comparez cette conduite à la nôtre : on veut
l’obliger à éloigner de son sol un seul de ses concitoyens, elle s’arme ;
on nous demande d’expulser de la patrie commune 400,000 de nos frères, nous
désarmons.
Il est des moments dans la vie d’une nation où elle
n’a pas le choix des moyens à employer pour éviter le sort qu’on lui
prépare ; il n’y en a qu’un seul, et celui-là, c’est l’honneur et non la
diplomatie qui l’indique ; c’est l’honneur qui reste sauf, alors même que
les efforts qu’il tente sont vaincs.
Dans la lutte inégale où
Si nous n’avons pas le courage de suivre un si bel
exemple ; si nous ne pouvons obtenir notre nationalité que par un crime,
renonçons-y, car qu’aurions-nous à offrir plus tard pour les conserver ?
des crimes nouveaux.
La première condition pour une nation n’est pas
seulement d’exister ; il faut qu’elle existe honorablement, afin qu’on
puisse la réclamer sans rougir.
La guerre et ses conséquences les plus fâcheuses sont
préférables au traité humiliant que l’on nous propose : soyons conquis
s’il le faut, mais ne soyons pas déshonorés.
Après la guerre de l’Europe entière contre nous,
parlerai-je des autres moyens d’intimidation ?
Parlerai-je du commerce en souffrance, de l’industrie
aux abois, de la consomption qui nous mine, des passions qui s’aigrissent, et
des vœux manifestés dans des pétitions venues de tous les points du pays ?
Mais tous ces moyens se réfutent par leur exagération,
leur origine et les motifs qui en ont déterminé l’emploi.
Notre situation si déplorable aujourd’hui, s’il faut
en croire les partisans de la paix à tout prix n’est pas plus vraie que ne
l’était la prospérité tant vantée dans les dernières années ; dans ces
deux cas, l’exagération a le même but : alors on voulait alimenter
l’agiotage ; aujourd’hui on veut le relever : tout est bon pour ceux
qui sont dévorés de la soif de l’or. Au Japon, les Hollandais renient leur Dieu
pour être admis à y faire le commerce, c’est le nec plus ultra de l’esprit
mercantile.
Quant aux pétitions, que peut-on en dire, sinon
qu’elles nous ont offert le dégoûtant spectacle d’une partie de la nation
assistant au supplice de 400,000 de leurs concitoyens, et se plaignant de ce
que le retard que leur exécution éprouve, nuit aux opérations commerciales et
donne des inquiétudes.
Si nous avons la paix au prix des sacrifices que l’on
exige de nous, je la considérais comme le plus grand malheur qui pût nous
arriver, car nous nous serions flétris nous-mêmes, et la postérité ne nous
absoudra pas.
M.
Bekaert-Baeeckelandt – Après les orateurs
distingués qui ont été entendus dans cette discussion si solennelle si
lumineuse, je n’ai point la prétention de produire de nouveaux arguments. Si je
prends la parole, c’est uniquement parce qu’une responsabilité immense se
rattachant au vote que nous allons émettre, j’éprouve le besoin de motiver le
mien. Je vous l’avouerai, messieurs, j’ai été partisan de la résistance.
L’asservissement de l’Escaut, l’injuste répartition de la dette, et l’exigence
du sacrifice plus pénible encore de nous séparer de nos frères du Limbourg et
du Luxembourg ; toutes ces humiliantes conditions que la force nous
impose, avaient soulevé mon indignation. La résistance était nécessaire, elle
était indispensable à mes yeux. Il fallait venger l’honneur national
indignement outragé. Il fallait obtenir des traités dont
Ces puissances, vous le savez, messieurs, nous
n’avions cessé de les regarder comme favorables à notre cause. L’identité
d’origine et de destinée, la communauté d’intérêts politiques, tout devait les
unir étroitement avec nous. Or, nous comptions sur leur protection ; nous
avions mis toute notre confiance en elles. Cette défection, dans un moment si
critique, en présence des dangers qui nous entourent, est pour nous un
événement dont la portée ne vous aura point échappé. Déplorable dans ses
effets, cet abandon détruit à la fois nos espérance et notre sécurité, et,
changeant ainsi notre position politique, il imprime une face nouvelle à la
question que nous sommes appelés à résoudre. Je n’étalerai point ici une série
de longues et acerbes récriminations contre le ministère ; je ne développerai
point, pour le préconiser, un système tout autre que celui que le gouvernement
a suivi. Inutile parce qu’elle ne saurait opérer sur le passé, cette digression
n’aurait pas même, dans la discussion actuelle, le mérite de la nouveauté.
D’ailleurs, s’il est vrai que le traité du 15 novembre, en ce qui concerne la
question territoriale, ne fût qu’une concession exigée dans l’intérêt de la
paix européenne, s’il est vrai que les puissances représentées à la conférence
soient unanimes pour le maintien de cette combinaison qu’elles regardent comme
le gage de leur repos et de leur commune sécurité, je doute qu’avec une
politique différente, quelle qu’elle eût été, nous fussions arrivés à un autre
résultat.
Quoi qu’il en soit, ne voyant devant moi que le fait
accompli, je prends
Les sinistres qui éclatent de toutes parts sont là
pour constater leur état de souffrance. Leur imposer de fortes charges, ce
serait mettre le comble à leur détresse, ce serait susciter au milieu de nous
des perturbations dont on ne saurait prévoir les suites. Et ce qui m’afflige
profondément, je le dirai, c’est la conviction que tous ces efforts, tous ces
sacrifices qui épuiseraient rapidement nos moyens et nos forces, seraient sans
utilité aucune pour le pays.
Il est vrai, nous avons d’énormes griefs à imputer à
la conférence : l’injustice et la violence, le scandaleux abus de la force
dont nous sommes les victimes. Certes il serait doux pour nous tous de pouvoir,
dans ce moment, écouter le cri de l’orgueil national offensé, il serait doux de
pouvoir nous rendre aux sentiments de nos affections personnelles ; mais
la résistance telle qu’elle se présente devant nous, accompagnée de tous les
dangers, de tous les maux qu’elle traîne à sa suite, et n’offrant aucune
éventualité possible de succès, je le demande, cette résistance doit-elle
prévaloir ? est-elle dans les intérêts de
Mais le triomphe de l’oppression n’a point de durée.
Il est au-dessus de nous une justice souveraine dont l’iniquité ne saurait
éviter les arrêts. Le jour apparaîtra, et il n’est pas éloigné peut-être, où
les députés du Limbourg et du Luxembourg reviendront solennellement occuper
leur siège à la représentation nationale. Nous serons heureux de nous retrouver
avec des collègues que nous n’avons cessé d’estimer et de chérir. En attendant
ce jour de jubilation que nous appelons de tous nos vœux, ils resteront Belges
comme nous, ils jouiront avec nous de tous les bénéfices de notre pacte
fondamental, et, assurés de nos sympathies, ils seront assez généreux, assez
justes pour ne voir dans nos votes qu’un acte arraché par la force, qu’un
douloureux sacrifice impérieusement imposé par la politique étrangère. Ils
apprécieront surtout l’impuissance où nous sommes de nous soustraire à cette
triste nécessité.
- Après avoir prononcé ce discours, M. Bekaert est
tombé frappé d’apoplexie. On l’emporte hors de la salle des séances.
Il est une heure et demie. La séance est levée.