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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 26 novembre 1838

(Moniteur belge du 27 novembre 1838, n°332)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. B. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Jean Koecken, né à Berg-op-Zoom, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


M. Beerenbroeck demande un congé de trois jours.

- Accordé.

Projet de loi accordant des crédits extraordinaires au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) donne lecture de l’exposé des motifs et du projet de loi.

- La chambre décide que ce projet, qui sera imprimé et distribué, sera renvoyé à la section centrale du budget de la guerre, constituée en commission spéciale.

Rapport sur l'exploitation du chemin de fer

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) dépose ce rapport et en demande l’impression.

- La chambre décide que le rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi modifiant le tarif général du timbre

Discussion des articles

Article 2

M. le président – La discussion continue sur l’article 2 et les divers amendements qui s’y rapportent.

M. Gendebien – Messieurs, dans votre séance de samedi, j’ai rédigé un amendement fort à la hâte, et au milieu même de la discussion, je suis obligé de venir rectifier aujourd’hui une erreur qui s’est glissée dans ma proposition. L’on m’avait dit que les journaux du plus grand format n’atteignaient pas actuellement 25 décimètres complets. C’était là une erreur de fait, que dans le moment je n’ai pas pu vérifier, puisque j’ai rédigé mon amendement séance tenante. Il en est donc résulté une erreur qu’il faut rectifier, et pour la rectifier complètement, voici l’amendement tel que je le propose :

« Le droit de timbre fixe ou de dimension, sur les journaux périodiques, sera de 3 centimes pour chaque feuille de 30 décimètres et au-dessus et de 1 centime en sus pour chaque 5 décimètres carrés complets. »

- L’amendement de M. Gendebien est appuyé.

M. Lebeau – Messieurs, je crois qu’en différant, depuis plusieurs années, de faire droit aux réclamations de la presse, nous n’aurons pas beaucoup amélioré sa position sous le rapport de la faveur que sa cause peut exciter. Bien, messieurs, que je me pose, sans arrière-pensée, défenseur des intérêts de la presse périodique, la même franchise me force à reconnaître que sa cause ne se présente pas aujourd’hui sous des auspices aussi défavorables que ceux sous lesquels elle se fût présentée avant la révolution.

Sans méconnaître d’honorables exceptions, la presse, messieurs, je l’hésite pas à le dire, a déchu, depuis la révolution, de la haute position qu’elle occupait dans l’opinion publique.

Mais là n’est pas la question. La chambre doit la voir d’un peu plus haut. La constitution belge a consacré la liberté de la presse ; elle l’a consacrée sans arrière-pensée, je dirai même qu’elle a presque posé le principe de la liberté illimitée par les dispositions qu’elle renferme, et notamment par la dispense de cautionnement. Du reste, messieurs, en fondant le gouvernement représentatif dans ce qu’il a de plus sincère et de plus vrai, on a dû accepter pour conséquence une très large liberté de presse ; or, une large liberté de presse est impossible sans quelques abus ; il est aussi impossible d’avoir la liberté de la presse sans quelques abus, que d’avoir la liberté du langage sans la possibilité de la voir parfois dégénérer en calomnie et en diffamation.

Mais ce sont là des inconvénients qui ont été pesé par le congrès national, inconvénients qu’il pouvait du moins pressentir, inconvénients qui ne l’ont pas arrêté ; et puisqu’il a voulu la liberté de la presse, nous, messieurs, nous devons la vouloir aussi, en protestant de notre ferme désir que cette franchise soit délivrée des entraves fiscales qui en gênent, qui en arrêtent le développement. Peut-être est-ce là le moyen de l’améliorer. C’est au moins ainsi que j’envisage l’effet probable du système que je défends.

Quoi qu’il en soit, tout le monde est d’accord qu’il faut faire subir à l’impôt spécial qui frappe la presse, un dégrèvement et un dégrèvement notable : tous les membres de la chambre qui ont pris part à cette discussion sont unanimes sur ce point : l’honorable M. Rodenbach comme l’honorable M. Rogier, l’honorable M. Gendebien comme M. le rapporteur de la section centrale lui-même.

Le dégrèvement qui est proposé par la section centrale n’est pas en harmonie, je n’hésite pas à le dire, avec les droits que la presse a justement revendiqués devant vous ; ce dégrèvement est tellement insuffisant que l’honorable M. Demonceau lui-même a déclaré, dans la dernière séance, qu’il était prêt à se rallier à un amendement qui ferait subir à l’impôt du timbre un dégrèvement plus considérable que celui que propose la section centrale.

Tout le monde est donc d’accord sur le but ; la divergence, comme d’ordinaire, ne commence que sur les moyens.

Les défenseurs du timbre uniforme sont qualifiés ici de défenseurs exclusifs de l’intérêt des grands journaux ; on les représente comme n’ayant aucune sollicitude pour les petits ; Eh bien, messieurs, je ne crois pas que, quant à moi, cette conséquence résulte des observations que j’ai soumises à la chambre. Mon intention n’est pas précisément de favoriser les grands journaux ; et si l’on me l’a attribuée, l’on m’a mal compris, ou ce qui est plus probable, je me serai mal expliqué. Mon intention, et elle ressort assez des observations que j’ai présentées, est de favoriser l’extension du format des journaux et de faciliter cette extension, non pas pour telle ou telle catégorie, mais dans l’intérêt de tous ceux qui se vouent à la profession d’écrivain politique.

Voilà quel est le sens, quel est au moins le but des observations que j’ai soumises à la chambre.

Mais, messieurs, j’ai l’avantage de me rencontrer jusqu’à certain point, dans le but que je viens d’exposer à la chambre, avec d’honorables contradicteurs de mon système. M. Gendebien lui-même a évidemment, sinon pour but, du moins pour résultat, dans son amendement, de pousser à l’extension du format. Et, en effet, tout journal qui arrivera, comme en France, au format de 30 décimètres, si les matières dont il entretient ses lecteurs le poussent à aller au-delà de ce format, ne rencontrera plus le fisc devant lui. Et, à cet égard, le système de M. Gendebien est exactement le système de la loi française.

M. Gendebien, pour être conséquent, non seulement avec la loi française (ce qui pourrait peu l’inquiéter), mais aussi avec la logique, avec lui-même, doit aller plus loin en faveur des journaux de grand format ; il doit leur permettre de publier sans timbre un supplément, faculté nécessairement déniée à tout journal de moins de 30 décimètres carrés. Ainsi, l’honorable membre, d’accord avec la loi française sur tous les points, est d’accord avec moi dans cette partie de mon opinion qui a pour but de pousser les journaux à se développer, à donner plus d’intérêt, plus d’étendue à leur rédaction, et à briser les entraves qui s’opposent à ces améliorations.

Vous voyez, messieurs, qu’il y a déjà quelques pas de faits de part et d’autre vers un rapprochement, et je ne désespère pas de voir un rapprochement moins incomplet s’opérer dans la suite de la discussion actuelle.

La chambre est en présence de deux systèmes, la taxe fixe et la taxe proportionnelle. Ce que la chambre veut, ce n’est pas tel système pour lui-même, mais tel système, comme meilleur moyen d’arriver à ce qui est juste, car c’est toujours au nom de la justice qu’on a invoqué le principe de l’impôt proportionnel. Mais qu’entend-t-on pas impôt proportionnel ? Voilà précisément ce dont on ne n’est pas assez enquis, ce qu’on ne s’est pas très occupé de définir.

On veut le droit proportionnel comme le plus juste. L’honorable M. de Brouckere a dit : « Je veux que tout le monde soit traité d’une manière égale, proportionnellement à l’industrie qu’il exploite. » Et poursuivant le développement de son opinion dans une autre partie de son discours, voici ce qu’il dit :

« Quel est notre but dans cette nouvelle loi sur le timbre des journaux ? Nous reconnaissons que la presse périodique est frappée d’un droit hors de proportion avec celui qui attend les professions sujettes à la patente et toutes les professions en général, hors de proportion surtout avec le bénéfice que l’on peut en recueillir. En général, chaque industrie rapporte au trésor public une partie des bénéfices qu’elle fait ou des bénéfices qu’elle est censée pouvoir réaliser, etc.»

Ainsi, que veut l’honorable M. de Brouckere ? C’est une taxe proportionnée au bénéfice de l’industrie ; c’est tout au moins, attendu l’impossibilité de fixer exactement le chiffre des bénéfices que font respectivement les divers journaux, une taxe basée sur ce qui représente approximativement les bénéfices. En cela, l’honorable M. de Brouckere est d’accord avec les notions les plus vulgaires en matière d’impôt.

En matière d’impôt, le but de législateur est de rechercher aussi approximativement que possible le bénéfice d’une industrie, et de proportionner le taux de l’impôt au montant du gain. Et vous croyez arriver à ce but, en prenant pour base de la répartition, non pas le produit réel de l’industrie, que, j’en conviens, vous ne connaissez pas, non pas même l’abonnement, qui serait un signe assez rationnel du bénéfice, mais la dimension du papier sur lequel sont imprimés les journaux.

Je crois avoir déjà prouvé, à l’avant-dernière séance, qu’il n’y a pas de base plus mensongère, plus propre à amener des conséquences absurdes et directement contraires aux intentions dont on se dit animé envers les journaux.

L’impôt, dit-on, doit être basé sur le produit ou sur ce qui en est le signe le moins incertain, et c’est le format qu’on regarde comme indiquant le plus exactement cette base de répartition. Mais, messieurs, il suffit d’ouvrir les yeux pour se convaincre, comme je l’ai dit tout-à-l’heure, qu’il n’y a pas de base plus fausse, plus féconde en erreur, en injustice, que celle du format. Passé un instant dans la salle des conférences, faites-vous représenter l’Observateur et le Journal de la Belgique, et mesurez-les. Qu’en résultera-t-il ? C’est que l’Observateur est d’un format double de celui du Journal de la Belgique.

Si le format est le signe du bénéfice que vous voulez prendre pour base, si le format est la représentation du prix de la chose, l’Observateur coûtant 60 francs, le Journal de la Belgique devra coûter 30 francs. Si le format est un signe dont vous puissiez vous saisir pour asseoir l’impôt, il doit amener une différence conforme à la différence du format.

Or, il n’en est pas ainsi, l’Observateur coûte 60 fr. et le Journal de la Belgique 48. Vous voyez où vous arrivez avec ce format. Si le format pouvait donner la moindre idée du bénéfice, vous auriez dans la vente une différence de prix égale à la différence du format, et comme il n’en est pas ainsi, j’en conclus que le système de la dimension pour base du droit sur les journaux est absurde. Et le ministre des finances, je le dis à son éloge, a très bien fait de le répudier.

Le système de la dimension, appliqué au timbre des journaux, frappe en aveugle, amène des résultats absurdes et iniques. Je ne sais pas s’il peut rester un mot à dire pour la démonstration de cette proposition, quand on a sous les yeux les chiffres que nous trouvons dans un journal qui a paru ce matin. On nous y présenter, comme conséquence du système qu’on veut maintenir, que tel journal paie 51 p.c. du produit brut, que tel autre en paie 47, d’autres 44, 43, 43, 38, 35, 30, 28, 26 et 21, et jusqu’à 17 .c.

Voilà, messieurs, les heureux résultats de la loi actuelle sur le timbre des journaux. Voilà pourtant ce que la section centrale propose de maintenir, à moins que ce ne soit au nom de la section centrale que M. Demonceau ait déclaré être disposé à se réunir à une autre proposition. Je dois convenir qu’il a défendu assez mollement le système dont il était l’organe.

La base réelle de l’impôt, tout le monde en convient, devrait être le bénéfice net ; mais cela est impossible à déterminer. Après le bénéfice net, qu’est-ce qui s’en rapproche le plus ? C’est le prix de l’abonnement. On sait, en général, qu’on calcule un tantième pour bénéfice dans le prix de vente des divers produits.

Mais, messieurs, en prenant l’abonnement ou plutôt le prix de ce que coûte chaque numéro pour base de l’impôt, on entrerait dans un nouveau système assez difficile à organiser, et devant lequel, pour mon compte, je recule jusqu’à présent.

Dans l’impossibilité de saisir le bénéfice net, dans l’impossibilité où nous sommes jusqu’ici de saisir le bénéfice présumé des journaux, que nous reste-t-il ? Un seul système rationnel, la taxe fixe, le système du timbre fixe, qui est autant dans nos lois que le système de dimension, que le système du timbre proportionnel.

Et pourquoi, s’il vous plaît, le timbre des journaux n’obtiendrait-il pas la même faveur que le timbre sur lequel vous permettez qu’on écrive les actes publics les plus importants ? Si vous faites un acte dans lequel on stipule des centaines de mille francs ou des centaines de francs, le droit de timbre est le même, parce que le timbre est fixe. Quand vous établissez le timbre proportionnel, pourquoi le faites-vous ? parce que vous avez une base. Quand vous créez un timbre proportionnel sur les billets à ordre et sur les obligations, la dimension reste immuable ; vous graduez le droit, parce que vous avez, dans le chiffre de ces billets, une échelle de gradation. Mais, pour les journaux, vous n’avez rien de semblable. Remarquez d’ailleurs combien l’impôt du timbre sur les journaux diffère de l’impôt du timbre sur les actes publics et les obligations commerciales. Le droit du timbre est insignifiant dans ces grandes transactions civiles ou commerciales.

En effet, que signifie un timbre de 1 fr. 50 pour celui qui souscrit une obligation de plusieurs milliers de francs ? Qu’importe un timbre de 40 ou de 80 centimes à celui qui achète une propriété de 2 ou 300 mille francs ? mais quand il s’agit des journaux qui se publient chaque jour par centaines de numéros, c’est bien différent ; il faut y regarder à deux fois avant de prendre pour base d’un pareil impôt un système qui conduit aux conséquences les plus inégales, les plus absurdes, les plus onéreuses.

On s’est beaucoup appesanti, dans la dernière séance, sur le sort des journaux de province. Il semble que, reniant notre origine, enfants ingrats, mon honorable ami et moi, nous fassions la guerre aux journaux de province. Je crois être plus dans le vrai que mes contradicteurs, quand je dis que notre système défend les véritables intérêts de ces journaux.

D’abord il y a beaucoup de journaux de province qui sont arrivés au format des journaux de Bruxelles ; il y en a un assez grand nombre dans notre salle de conférences ; comparez-les aux journaux de Bruxelles, vous verrez qu’ils ont la même dimension. Pour ceux-là (on voudra bien en convenir), c’est nous plutôt que nos adversaires qui défendons leur cause. Ils sont aussi intéressés que les journaux de Bruxelles à l’adoption de la proposition du ministre des finances ou de celle de mon honorable ami, à laquelle, quant à moi, je n’hésiterais pas à me rallier.

Quant aux journaux de province de petit format qui sont plutôt des journaux d’arrondissement, journaux dont on se préoccupe avec raison, on s’exagère, je crois, le danger résultant pour eux de la loi en discussion. Quelles que soient les dispositions de la loi du timbre, je pense que ces journaux existeront ; ils vivent de l’intérêt que comporte leur qualité de journaux de localité. Ils ont, on ne peut le méconnaître, l’avantage d’avoir une grande quantité d’annonces, avantage que n’ont pas la plupart des grands journaux politiques. Cela est tellement vrai que je connais, dans différentes localités, un bon nombre de lecteurs de journaux dont les opinions sont entièrement opposées au journal de leur localité, et qui, bien qu’abonnés à des journaux de la capitale, ne croient pas pouvoir se dispenser de s’abonner au journal local, pare qu’ils y trouvent les nouvelles du lieu, les adjudications, les annonces de vente et de location, et une foule d’objets qui chacun aime à connaître. Quoi que vous fassiez, vous ne diminuerez pas le nombre de lecteurs qu’ont ces journaux comme journaux de localité. Quant à faire concurrence avec les journaux de la capitale, je ne sache pas qu’aucun de ces petits journaux en ait la prétention.

D’ailleurs on veut être juste, on veut frapper en raison des produits ou en raison du signe des produits. L’abonnement est, pour beaucoup de membres, le signe des produits. Mais puisqu’on veut être juste, et arriver à frapper aussi directement que possible en proportion des bénéfices, il faut jeter un coup d’œil sur la manière dont sont fait les journaux de province, et sur ce qu’ils peuvent coûter.

Ils ont déjà un grand avantage dans la quantité des annonces, avantage qui sera plus grand encore si la chambre adopte l’amendement de l’honorable M. Doignon, que j’appuierai bien volontiers ; car je regarde le droit de timbre sur les annonces comme tout à fait vexatoire, non pas par la manière dont le fisc le perçoit, mais par les difficultés inhérentes à la nature même de cette formalité, et pare que cet impôt est vraiment exorbitant, surtout quand il porte sur un ouvrier, sur un domestique qui cherche une place ou qui s’adresse aux journaux dans un intérêt quelconque.

Voilà déjà, pour les journaux de province, un assez grand avantage.

Voyons maintenant pour la rédaction.

Je ne veux pas dire que le rédacteur en chef de chaque journal de province soit une paire de ciseaux ; je ne tombera pas dans cette exagération ; mais je ferais remarquer que la plupart d’entre eux puisent leurs matières dans les journaux de la capitale ; ils y copient les séances des chambres législatives et les documents officiels. J’ajoute que la plupart de ces journaux puisent les nouvelles de France et d’Angleterre, non pas dans les journaux de Paris et de Londres que font venir de grands journaux de la capitale, mais dans des journaux mêmes de Bruxelles. Ensuite, quelques-uns de ces journaux ne paraissent que de deux jours l’un, avantage considérable eu égard au prix comparé à celui des grands journaux. Enfin beaucoup de ces journaux ne paraissent pas le dimanche.

Du reste, l’expérience l’atteste, la tendance naturelle des journaux de province est d’arriver au grand format, et, en maintenant un système qui comprime cette tendance, l’on sacrifie pour eux l’avenir au présent.

C’est à la suite de la loi du 15 décembre 1830, en France , que la presse départementale s’est affranchie jusqu’à un certain point du monopole de la presse centrale, de la presse parisienne. C’est ainsi que dans presque toutes les grandes villes de France, comme Lyon, le Havre, Rouen, Bordeaux, Marseille, etc., les journaux de département sont venus en prime-saut au grand format à la suite de cette loi, et ont fait aux journaux de la capitale une redoutable concurrence.

Il y a donc lieu, je le répète, de considérer sérieusement si, par ce qu’on veut faire pour les journaux qui n’ont pas atteint le grand format, on ne sacrifie pas l’avenir au présent.

L’honorable M. Demonceau, en répondant aux chiffres que j’avais présentés dans l’avant-dernière séance, et à l’observation que j’avais faite, que, sous l’empire du système actuel, dont la section centrale propose le maintien, les journaux de grand format sont par privilège frappés d’un droit qui excède d’un tiers celui dont sont frappés les petits journaux, a dit que cela provenait de ce que les grands journaux sont à trop bon marché, et qu’ils n’avaient qu’à élever leur prix ; qu’alors la disproportion cesserait. N’est-ce pas, je vous le demande, une dérision ? Comment ! C’est à peine si au prix de 60 fr. (prix à peu près égal à celui des journaux de Paris, qui est de 80 fr.) quelques journaux très bien rédigés, écrits dans des vues patriotiques, rédigés avec talent, indemnisent les actionnaires et les rédacteurs des frais et de sacrifices qu’ils font, et on parle d’augmenter le prix pour faire cesser la disproportion qui ressort des chiffres que j’ai cités et qu’a produits ce matin un journal de Bruxelles ! Mais lorsqu’à 60 fr., les journaux de grand format couvrent à peine leurs frais, n’est-il pas évident que l’élévation de leur prix serait le signe de leur ruine ?

L’honorable M. Gendebien a cru embarrasser quelque peu mon honorable ami M. Rogier et moi, et jusqu’à un certain point mon honorable ami M. de Mérode, lorsque, faisant le parallèle des petits et des grands journaux, il a dit : « Voyez combien est peu vraie l’influence qu’on veut attribuer au format. Avant 1830, le Politique, qui paraissait à Liége, et le National, qui paraissait à Bruxelles, avait une taille bien inégale. Le Politique était un petit journal, et le National un grand journal. »

Que conclure de là ? que le Politique, ne pouvant devenir grand, a cherché, tout petit qu’il était, à se battre le mieux qu’il pouvait. C’était assurément un grand désavantage pour le Politique que cette impossibilité de grandir à cause de l’énormité du timbre, tandis que le journal soudoyé pouvait se développer tant qu’il voulait. Si donc le Politique a combattu et a vaincu avec ses confrères, ce n’est pas que son armure fût plus forte, c’est parce que sa cause était meilleure.

Mais c’était, je le répète, un grand désavantage pour les journaux de l’opposition, dans la lutte qu’ils soutenaient contre les journaux du gouvernement, d’être toujours arrêtés dans leur essor, par l’inexorable barrière du fisc placée entre eux et qu’ils n’avaient pas le moyen d’abaisser.

Je déclarais tout à l’heure que j’appuie le projet de mon honorable ami M. Rogier. J’appuie ce projet d’abord parce qu’il profite à tous, et que, s’il ne profite pas à tous dans des proportions semblables, cela tient à l’inégalité, à l’injustice qui existent aujourd’hui.

Une seconde raison, la voici : C’est que, si l’amendement de mon honorable ami est adopté, on peut espérer une réduction dans le prix de l’abonnement ; et on peut d’autant mieux l’espérer qu’il y a des engagements formels et publics, pris par les éditeurs de quelques-uns de ces journaux de faire jouir le public d’une réduction, si l’abaissement du timbre est assez considérable pour permettre ce résultat.

Si on diminue le prix de l’abonnement en conséquence de l’amendement de mon honorable ami, m’adressant à M. le ministre des finances qui, malgré sa sollicitude pour la presse, doit aussi veiller aux intérêts du trésor, je lui demanderai si l’on ne peut pas supposer qu’il résultera de la diminution du prix d’abonnement quelque chose d’analogue à ce qui s’est vu en Angleterre ? La réduction se trouvera être de moitié. Si M. le ministre des finances a quelque raison de dire que la réduction de 4 centimes ne peut se comparer à la réduction de 30 à 10 centimes, opérée en Angleterre, je crois qu’en homme sincère et bon logicien, il reconnaîtra qu’en adoptant le système de l’honorable M. Rogier, on se rapprochera des conséquences du système anglais.

D’ailleurs, messieurs, de bonne foi faisons-nous une loi fiscale ? est-ce le but du gouvernement ? Que voulait le gouvernement, quelle avait été son intention première en présentant le projet de loi sur le timbre ? Il voulait faire droit aux réclamations des journaux ; mais, défendant aussi les intérêts du trésor public, il a dit : En même temps que je veux faire une large part, une large concession aux journaux, je veux que le trésor récupère la perte qu’i l fera sur les écrits périodiques par des majorations sur les autres papiers ; c’est dans ce sens qu’il y a révision de la loi générale du timbre. Mais je me place dans la situation même que nous fassions ici, non pas une loi politique, mais une loi purement fiscale, et je dis que, dans ce système, plus la réduction sera forte, plus il y aura de chance de compensation pour le trésor par la création de nouveaux journaux et par l’augmentation du tirage des feuilles existantes.

Maintenant, si le système de mon honorable ami était adopté, quelles en seraient les conséquences pour la proportion de l’impôt au produit brut ? Je crois qu’on sera bien aise de les connaître d’une manière précise. J’en ai fait le calcul.

Vous savez que, par l’effet de la loi de septembre 1836, les éditeurs des grands journaux anglais ont réduit le prix du numéro (car on s’abonne peu en Angleterre) à 50 centimes ; ce qui, pour 360 jours, donne 180,000 fr., en calculant pour 1,000 numéros. Dix centimes de droit par numéro donne 100 fr. pour 1,000 numéros par jour, et par an 360 fois 100 fr. ou 36,000 fr. ; ainsi, sur 180,000 fr. de produit brut, le fisc prélève 36,000 fr., c’est-à-dire que le droit est de 20 p.c., en Angleterre, sur le produit brut.

A la vérité, le fisc a une compensation. Il existe en Angleterre un droit énorme sur les annonces. Je crois, sans pouvoir l’assurer, que le droit sur les annonces et d’un schelling pour chacune, sans distinction du nombre des lignes. Mais il est vrai aussi, et ceci mérite une attention sérieuse, que le transport des journaux est gratuit.

En France, les journaux de 30 décimètres carrés, dont l’abonnement est de 80 fr. paient par jour pour 1,000 numéros, à raison de 6 centimes par numéro, 60 fr.

Multipliés par 360 jours, les 60 fr. donnent par an 21,600 fr. Le prix de 1,000 abonnements étant annuellement de 80,000 fr., la proportion du droit au produit brut est de 25 p.c.

Mais là il n’y a pas de timbre sur les annonces ; et vous concevez, dès-lors, que l’absence de timbre permet à ces journaux de recueillir un nombre plus considérable d’annonces. C’est un avantage qu’ils ont sur les journaux belges, avantage qu’on ne doit pas méconnaître dans la comparaison que je vais faire maintenant.

En Belgique, l’abonnement annuel des journaux de grande dimension est de 60 fr. Mille numéros, imposés chacun à 3 centimes, donneront par jour un droit de 30 fr. et par an, un droit de 10,800 fr. Ce chiffre étant comparé à 60,000 fr., produit brut, on voit que la proportion serait, d’après le système présenté par M. Rogier, de 18 p.c.

On voit donc que, le système étant admis, les journaux de la Belgique paieraient 2 p.c. de moins que les journaux anglais. Mais, à la différence de ceux-ci, ils ont à supporter les relais de poste, tandis que les feuilles anglaises sont transportées gratuitement. Les journaux belges paient le timbre des annonces en plus que les journaux français ; je ne sais si le transport n’est pas plus élevé chez nous qu’en France…

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Non ; le prix du transport est le même.

M. Lebeau – Reste dont la différence du timbre des annonces. Remarquez que, dans les calculs dont je présente les résultats, dans l’hypothèse de l’application du système de mon honorable ami, je suppose que le prix d’abonnement des grands journaux restera à 60 fr. ; mais si, comme tout le porte à le croire, d’après les promesses bien formelles faites par quelques éditeurs, d’accord avec l’entente de leurs véritables intérêts, ce prix d’abonnement se réduit à 50 fr., la proportion du droit se rapprocherait bien plus de celui qui existe en France, et surpasserait celui qui existe en Angleterre ; car alors ils paieraient 22 p.c. du produit brut.

Si le système de M. Rogier est bon quant à la justice dont il est empreint ; s’il est bon sous le rapport politique, je puis dire qu’il se légitime encore sous le rapport fiscal, puisqu’il se rapproche du régime de l’Angleterre et de la France.

Je bornerai là mes observations ; et je déclare que je persiste à voter pour le timbre uniforme.

M. Dubus (aîné) – J’ai demandé la parole pour motiver mon vote. Je m’y suis déterminé quand j’ai entendu l’honorable préopinant reprocher à la chambre d’être moins favorable à la liberté de presse que le congrès, qui a fait la constitution et dans laquelle il a consacré la liberté illimitée de la presse.

M. Lebeau – Je n’ai pas dit un mot de cela !

M. Dubus (aîné) – Il me semble que tel était le sens des paroles par lesquelles l’honorable préopinant a débuté. Quoi qu’il en soit, je crois que si une proposition est conforme à l’esprit de la constitution, c’est celle de maintenir un droit de timbre proportionnel ; c’est celle de ne pas le remplacer par un droit de timbre unique.

Il est vrai, messieurs, que l’on a consacré, par la constitution, la liberté illimitée de la presse ; il est vrai que cet article de la constitution est un article qui annonce, en matière de liberté, non pas seulement une défiance du pouvoir exécutif, mais encore une défiance de la législature. On n’a pas voulu que par aucun moyen on pût gêner cette liberté. On a été jusqu’à proscrire toute mesure préventive ; on a été jusqu’à prévoir l’usage que l’on pourrait faire des cautionnements qui seraient exigés des éditeurs de journaux ; et l’on a défendu de demander des cautionnements, parce que, par ce moyen détourné, qui devient un moyen préventif, on pourrait avoir de l’influence sur la presse. On a voulu abandonner cette liberté à la concurrence des éditeurs. Voyons quelles sont aujourd’hui les propositions qui sont le plus en harmonie avec cet esprit de la constitution.

Je partirai de la base que prenait le ministre des finances ; je supposerai qu’il n’y a pas de timbre. Cette suppression si elle était possible, serait à coup sûr le meilleur moyen d’établir la libre concurrence.

Eh bien, s’il n’y avait pas de timbre, le papier qui forme une matière première pour les impressions coûterait, à quotité égale, à proportion de la quantité qu’on en emploierait et de ses dimensions. Celui qui emploierait une rame de papier paierait le double de celui qui n’en emploierait que la moitié. Qu’est-ce que l’impôt du timbre ? C’est un impôt proportionnel à la matière employée par l’imprimeur ; il faut donc qu’il soit proportionnel à la grandeur du papier. Il ne faut pas que cet impôt coûte plus pour une rame de papier que pour l’autre ; il faut qu’il conserve la proportion qui existe dans la valeur des choses. De cette manière, vous satisfaites aux condition de la libre concurrence. Mais c’est là précisément ce que vous ne voulez pas : vous êtes en aveu de vouloir changer les conditions de cette libre concurrence entre les éditeurs de différents formats.

Vous trouvez que la libre concurrence est désavantageuse aux journaux de grand format, et votre intention est de changer cette situation. N’est-il pas manifeste que vous voulez attenter à la liberté illimitée de la presse que vous vouliez tout-à-l’heure.

M. Lebeau – Je demande la parole pour un fait personnel !

M. Dubus (aîné) – N’est-il pas manifeste que vous voulez changer la perception du droit pour restreindre cette liberté, c’est-à-dire, pour restreindre les journaux d’un certain format afin de favoriser les journaux d’un autre format ?

Or, tout cela, messieurs, est contrainte à la liberté illimitée de la presse, que vous proclamez.

Vous voulez favoriser les journaux de grand format parce que, selon vous, ils forment la presse civilisatrice ; mais la constitution ne vous autorise pas à favoriser une presse, parce qu’elle est civilisatrice, pas plus qu’elle ne vous autorise à favoriser une presse, parce qu’elle ne serait pas civilisatrice ; vous devez respecter l’une comme l’autre ; sinon vous attentez à la liberté de la presse. C’est du moins dans ce sens que j’entends la liberté de la presse ; c’est dans ce sens aussi que je l’ai entendu défendre au congrès.

Remarquez, messieurs (et ici j’invoquerai la constitution sous un autre rapport), remarquez qu’il ne s’agit pas ici d’un droit de patente, mais d’un impôt sur la matière première employée par les éditeurs de journaux. Eh bien, messieurs, vous ne pouvez pas, dans la répartition de cet impôt, accorder à certains éditeurs une faveur que vous refusez aux autres ; or, c’est bien accorder aux uns une faveur que vous refusez aux autres que de faire payer aux uns le double de ce que paieront les autres ; et c’est bien ce qu’on veut faire en établissant un droit fixe, car si celui qui emploie une demi-feuille paie autant que celui qui emploie une feuille entière, il est évident que le premier paie deux fois autant que l’autre. L’article 112 de la constitution a proclamé le principe qu’il ne peut pas y avoir de privilège en matière d’impôt ; eh bien, messieurs, en adoptant un droit uniforme, vous établissez un véritable privilège en matière d’impôt.

La question ainsi posée, messieurs, me paraît des plus simples, et je suis d’autant moins disposé à rencontrer les divers développements que nos adversaires nous ont fait entendre, qu’ils ont été rencontrés d’avance dans les séances précédentes, par les divers honorables membres dont je partage l’opinion sur ce point. Cependant je ferai une remarque relativement à la comparaison qui a été faite entre deux journaux que l’on a nommés, l’un petit et très répandu et l’autre grand et moins répandu ; le premier coûterait, dit-on, 48 fr., tandis que l’autre se donnerait pour 60 fr. ; mais, messieurs, qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce une raison pour que vous fassiez une loi afin de répandre davantage celui qui se donne pour 60 fr. ? Vous trouvez que celui de 48 fr. est trop cher pour son format ; mais si le public en veut bien au prix de 48 fr., irez-vous faire une loi pour changer le goût du public ? Il y a des livres de même format et du même nombre de pages, dont les uns se vendent très cher, ce qui n’empêche pas qu’on se les arrache, tandis que les autres, qui sont à vil prix, ne sont cependant voulus par personne. Ferez-vous une loi pour que tous les livres se vendent également bien ? prétendrez-vous accorder des avantages à ceux qui font des livres que personne ne lit, afin qu’on puisse les donner à plus bas prix encore que celui auquel on les offre ? (Hilarité) C’est cependant là, messieurs, le système dans lequel on veut entrer, et l’on prétend qu’on respecte en cela la liberté de la presse. Je vous avoue, messieurs, que je ne comprends pas la liberté de la presse de cette manière.

D’une part, messieurs, l’on prétend que ce seront les grands journaux qui éclairent le mieux (ce qui est très contestable), et, d’autre part, on prétend que ce sont les petits journaux qui représentent le mieux le pays, qui ont le plus de patriotisme. Vous voyez, messieurs, que vous vous trouvez entre des assertions diamétralement opposées. Ce que vous avez de plus sage à faire dans cette position, c’est de maintenir la législation actuelle, en accordant un dégrèvement, mais un dégrèvement proportionnel. Vous ne devez pas perdre de vue que tous les journaux existants ont été établis sous l’empire de la loi actuelle, et que ce serait commettre une véritable injustice que de changer les conditions de concurrence qui existent entre eux, de manière à favoriser les uns et à préjudicier les autres ; il ne vous est pas permis de disposer ainsi de la fortune d’autrui, et cela, parce que vous seriez mécontents du goût du public.

Je voudrais, messieurs, que, quant au format, on maintînt la classification actuellement existe. La section centrale propose, pour dégrèvement, de supprimer les centimes additionnels ; ce dégrèvement est faible à la vérité, mais on peut, tout en maintenant la classification actuelle des formats, opérer un dégrèvement plus considérable ; au lieu que maintenant que les 3 classes sont imposées à 3, 4 et 5 centimes, vous pouvez, comme le disait, dans une séance précédente, l’honorable rapporteur de la section centrale, appliquer à ces classes les chiffres de 2, 3 et 4 centimes ; vous auriez alors un système préférable à celui de l’amendement de l’honorable M. Rodenbach, parce que vous maintiendriez la classification actuelle, à laquelle, comme je crois l’avoir démontré, il ne serait pas juste de toucher.

On vous a fait voir, messieurs, que la proposition du gouvernement accorde aux grands journaux, au préjudice des petits, une véritable prime de 9,500 fr. pour 1,000 exemplaires ; la proposition de l’honorable M. Rogier aurait absolument le même objet, puisque, quoique la réduction soit plus forte, la différence entre le dégrèvement qu’elle accorde aux grands journaux et celle qu’elle accorde aux petits est toujours la même.

La proposition de la section centrale accorderait aussi aux grands journaux un dégrèvement plus considérable qu’à ceux de petit format, car la diminution serait pour les premiers d’environ 6,000 francs, tandis qu’elle ne serait que de 3,500 fr. pour les autres ; mais cela provient précisément de ce que la réduction serait proportionnelle ; le dégrèvement qu’obtiendraient les grands journaux serait, quant au chiffre, plus élevé que celui qui serait accordé aux journaux de petit format ; mais elle serait égale, sous le rapport de la proportion, et c’est en cela qu’elle sera juste. Je le répète donc, c’est là le système qu’il convient d’adopter, sauf, si l’on ne trouve pas le dégrèvement suffisant, à prendre les chiffres de 2 , 3 et 4 centimes au lieu de 3, 4 et 5 centimes ; de cette manière vous auriez, messieurs, la disposition la plus équitable que, dans les circonstances où nous nous trouvons, il soit possible de voter. Si une semblable proposition était faite, je l’appuierais de tous mes moyens.

M. Lebeau – Je dois répondre à l’honorable préopinant que je ne me suis pas déclaré partisan de la liberté « illimitée » de la presse ; je n’ai pas dit non plus que le congrès a voulu expressément cette liberté illimitée ; j’ai dit que de l’économie de nos dispositions constitutionnelles, et surtout de l’absence de cautionnements, il résulte en fait, pour la presse, une liberté à peu près illimitée, et telle est encore mon opinion. Je n’ai pas à m’expliquer maintenant sur la question de savoir si je suis partisan ou non de la liberté illimitée de la presse ; je crois que personne ne me fera l’injure de me supposer partisan des abus de la presse ; cela me suffit.

M. Verdussen – Je m’étais proposé, messieurs, de combattre les chiffres qui vous ont été fournis par l’honorable M. Lebeau, dans la séance de vendredi ; mais je me sais gré de ne pas l’avoir fait, parce que déjà une partie des observations que j’avais à produire, ont été produites avec plus de talent par d’autres orateurs.

L’honorable membre qui a parlé avant moi, a mis la question sur son véritable terrain, en partant de la supposition qu’il n’y ait aucun droit de timbre sur les journaux, comme l’avait déjà fait M. le ministre des finances. On s’est demandé, à plusieurs reprises, si c’est une loi fiscale ou une loi politique que nous faisons ; je n’hésite pas à dire, messieurs, que c’est une loi fiscale, car, dans la position actuelle du pays, c’est bien l’intérêt du trésor que nous devons prendre en considération.

Eh bien messieurs, dès-lors se présente la question de savoir si les journaux sont une matière imposable, et tout le monde est unanime pour l’affirmative. Or, quand il s’agit de frapper une matière imposable, il faut bien avoir une base pour la fixation de l’impôt ; il faut établir le droit sur la valeur, sur la dimension ou par pièce. Il paraît que ceux qui défendent le système de l’honorable M. Lebeau, veulent établir le droit par pièce, c’est-à-dire, pour parler le langage de la librairie, assimiler l’in-folio à l’in-18 ; c’est principalement pour combattre le chiffre que l’honorable M. Lebeau a fait valoir en faveur de ce système, que j’ai pris la parole. L’honorable membre vous a dit, messieurs, que d’après la législation actuelle les grands journaux sont frappés de 40 p.c., les journaux de format moyen de 35 p.c., et les petits journaux de 30 p.c. Eh bien, messieurs, moi aussi j’ai fait des calculs sur les chiffres que j’ai trouvés, soit dans le rapport de la section centrale, soit dans les indications de l’honorable M. Lebeau, soit dans celles que m’a fournies M. le ministre des finances. Loin d’avoir trouvé que le grand format est frappé de 40 p.c. à la valeur, le moyen format de 35 p.c. et le petit format de 30 p.c., je suis arrivé à un résultat précisément contraire ; j’ai trouvé que les journaux grand format sont frappés d’un droit plus énorme encore que celui dont a parlé l’honorable M. Lebeau, puisque ce droit va jusqu’à 56 p.c. de la valeur ; le droit sur le format moyen va jusqu’à 75 p.c., et celui sur le petit format jusqu’à 81.

D’où vient donc cette immense différence dans notre manière de voir ? C’est que l’honorable M. Lebeau, pour établir la valeur du journal, s’attache au prix de vente, tandis que moi, je considère le prix de revient.

Mais quel est ce prix ? M. le ministre des finances vous a dit que les mille exemplaires d’un journal grand format coûtent 63,300 fr. D’après les chiffres fournis par la section centrale, le droit de timbre sur ces 1,000 exemplaires est de 23,900 fr. ; de manière que s’il n’y avait pas de timbre sur les journaux grand format, les mille exemplaires d’un tel journal coûteraient 39,400 fr.

Je fais la même opération pour le format moyen, que M. le ministre des finances nous a dit coûter, timbre compris, 44,500 fr. les 1,000 exemplaires ; le prix du timbre est de 19,000 fr. ; donc s’il n’y avait pas timbre, les mille exemplaires coûteraient 25,400 fr.

Enfin, le petit format est évalué par M. le ministre des finances à la valeur totale (pour 1,000 exemplaires) de 31,900 fr. ; le prix du timbre est de 14,200 fr. ; ainsi le prix de 1,000 exemplaires d’un journal du petit format, sans le timbre, serait de 17,700 fr.

En prenant donc pour base ces trois chiffres de revient, et en voyant de quel timbre ils sont frappés, je trouve que le grand format est imposé, dans le prix de revient, à 56 p.c. ; le format moyen, à 75 p.c., et le petit format à 81 p.c.

Vous voyez donc d’où dépend le prix relatif de vente. Mais on ne s’aperçoit pas que ce serait ridicule d’établir un impôt sur le prix de vente d’un objet qu’on vend quelquefois avec perte, parce qu’on se plaît à le vendre avec perte, pour qu’il circule davantage ? Dans toute espèce d’impôt ; on dit quelle est la valeur de la marchandise que je puis vendre, et un journal est, sous ce rapport, une marchandise comme une autre. Quand, en fait d’impôt, on ne choisit pas la seule manière qui existe d’établir convenablement l’impôt, soit à la valeur, soit à la dimension, on tombe dans l’arbitraire le plus extrême.

J’ai étendu mes calculs aux propositions qui vous ont été faites par d’autres membres de cette chambre, et notamment par l’honorable M. A Rodenbach. S’il avait suivi, quant à sa grandeur du papier le système établi aujourd’hui, son système serait parfait, parce qu’alors nous aurions trouvé qu’il taxait le grand format, suivant le prix de revient, à raison de (erratum, Moniteur du 28 novembre 1838) 34 p.c. de sa valeur ; le moyen format, à raison de 42 p.c., et le petit format, à raison de 40 p.c. ; il y aurait donc eu presque uniformité, et la différence aurait été peu notable.

Mais une erreur qui a été commise par l’honorable M. Rodenbach, c’est d’avoir changé les bases du système qui existe aujourd’hui quant à la dimension du papier ; et le discours que vient de prononcer aujourd’hui l’honorable M. Dubus aîné, tend à nous faire sentir qu’il conviendrait d’appliquer les chiffres qui ont été posés par M. Rodenbach au système de dimension qui est établi aujourd’hui, que la section centrale a préconisé et qui a été défendu par M. Demonceau.

C’est à ce système que je me rallierai et que je donnerai la préférence.

- La discussion est interrompue. M. le secrétaire de Renesse donne lecture de la pétition ci-après qui vient d’être adressée à la chambre par des éditeurs de petits journaux :

« A messieurs les présidents et membres de la chambre des représentants ;

« Bruxelles, 25 novembre 1838,

« Messieurs,

« Les soussignés ont l’honneur de vous exposer de nouveau leurs réclamations contre le projet du timbre uniforme des journaux, se référant à la pétition qui vous a été adressée par les journaux de tous les formats indistinctement, et dont nous supplions la chambre de vouloir bien ordonner la lecture. (Elle a été mentionnée dans la séance du 30 avril dernier.)

« Permettez-nous de vous faire remarquer, messieurs, au milieu des nombreux amendements dont vous êtes occupés, que notre grief porte bien plus sur l’uniformité que sur l’élévation du timbre, et que le statu quo serait moins ruineux qu’un abaissement qui serait à peu-près nul pour nous et considérable pour nos concurrents du grand format.

« Sous ce rapport, la proposition de la section centrale nous était la plus avantageuse en ce qu’elle conservait à chacun sa position, et, par conséquent, son droit acquis. Aussi n’est-ce que par esprit de conciliation que nous avons adhéré à la pétition d’après laquelle le plus grand des formats actuellement adopté n’est imposable qu’à raison de 3 centimes, tandis que le plus petit l’est à 2. Nous espérons que vous n’exigerez pas de nous de nouveaux sacrifices.

« Recevez, messieurs, l’hommage de notre profond respect.

« (Suivent les signataires.) »

- La chambre reprend la discussion de l’article 2.

M. le président – Voici un amendement de M. Dubus aîné :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre, par sous-amendement à l’amendement de la section centrale, les chiffres de 2, 3 et 4 centimes au lieu de 3, 4 et 5 centimes. »

- L’amendement est appuyé.

M. Gendebien – Messieurs, je ne veux pas prolonger la discussion. Cependant je dois me justifier du reproche d’inconséquence que le premier orateur qui s’est fait entendre m’a adressé.

Cet orateur vous a dit que j’étais inconséquent avec la loi française. Je ne puis pas admettre ce reproche qui n’est pas fondé, quoiqu’il m’importe fort d’être ou de n’être pas d’accord avec une loi étrangère. Mais le même honorable membre a ajouté que j’étais inconséquent avec moi-même, et cela pourquoi ? Le voici : C’est qu’en adoptant les bases de la loi française, je ne propose pas de libérer de tout timbre les suppléments. Or, messieurs, je n’ai pas dit un mot, pendant toute la discussion du projet de loi, qui prouve le moins du moins que je repousse l’exemption du timbre en faveur des suppléments. Je n’en ai même pas fait mention. Je me réserve tout à fait mon opinion, pour le cas où la discussion s’établirait sur ce point.

Il n’y a donc aucune espèce d’inconséquence de ma part à adopter une disposition d’une loi française, qui fixe des proportions pour le timbre des journaux, et à ne pas faire en même temps mention d’une autre disposition de cette même loi qui exempte les suppléments des droits du timbre, d’autant plus que les deux parties de la loi sont tout à fait indépendantes l’une de l’autre.

Mais puisqu’on m’a adressé un reproche d’inconséquence, je me permettrai, à mon tour, d’user de la même faculté, et je crois que je serai plus dans le vrai que l’honorable membre auquel je réponds. En effet, cet honorable membre vous a vanté samedi dernier le système de la loi française ; il l’a présenté comme le plus libéral et le plus favorable aux journaux…

M. Lebeau – Je n’ai pas dit cela.

M. Gendebien – Vous avez fait l’éloge de ce système ; si vous contestez, je recourrai au Moniteur. Eh bien , tout en faisant l’éloge d’un système qui a établi un droit de timbre proportionnel, l’honorable membre a appuyé le projet du gouvernement, qui propose un droit de timbre fixe.

Or, d’après cela, qui, de M. Lebeau ou moi, mérite le reproche d’inconséquence ? Je ne l’adresse pourtant pas à M. Lebeau ; mais je crois qu’il me l’a injustement adressé dans cette circonstance.

Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion parce qu’elle me paraît épuisée. Tout ce que l’honorable M. Lebeau a dit prouve logiquement une seule chose ; c’est que le droit du timbre est trop élevé, et sur ce point je suis parfaitement d’accord avec lui. Toutes les démonstrations qu’il a faites tendent à ce but ; tous, nous sommes unanimes à cet égard, et je suis persuadé que le vote de la chambre sera en harmonie avec ce qu’a voulu prouver M. Lebeau et avec ce que j’ai moi-même eu l’honneur de dire dans la séance de samedi dernier.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, il résulte évidemment de la discussion et des démonstrations de chiffres qui vous ont été faites, que le droit le plus rationnel et le plus équitable est le droit uniforme. Les orateurs qui viennent de répondre à M. Lebeau n’ont pas contesté l’exactitude des chiffres cités par cet honorable membre, et il est resté prouvé que le droit proportionnel que les adversaires du projet voudraient maintenir, frapperait tel journal à raison de 40 p.c. tandis qu’il atteindrait tel autre seulement de 26, et même de 17 p.c.

Nous avons établi, messieurs, que si ce sont, comme la justice le commande, les bénéfices que vous voulez imposer proportionnellement, vous devrez nécessairement adopter le système du projet du gouvernement. Je ne répéterai pas les raisons et les calculs par lesquels j’ai prouvé, dans une séance précédente, que ce système est le seul soutenable, le seul conforme à la justice distributive. Ceux d’entre vous, messieurs, qui se seront donné la peine de lire le journal du matin, dont M. Lebeau vous a parlé tout à l’heure, auront reconnu de plus, par un résumé clair de la position de 10 grands journaux d’une part, et de 18 petits de l’autre, que la loi proposée ferait disparaître complètement une inégalité de 43 à 26 p.c. ce qui existe sous l’empire du droit par catégories de dimensions du papier.

On vient de lire une pétition tendant à établir le maintien du droit proportionnel actuel plutôt qu’une réduction quelconque avec le système de droit fixe. Cette démarche, messieurs, est fort naturelle ; les pétitionnaires sollicitent la conservation du privilège dont ils jouissent ; ils réclamant la continuation de l’avantage que la législation actuelle consacre en faveur des petits journaux au détriment des grands. Nous, messieurs, nous voulons faire cesser ce privilège, nous voulons l’égalité devant la loi, en plaçant les grands et les petits journaux dans une égale position d’existence au moyen du droit uniforme.

A cette occasion, je reproduirai dans toute sa force l’argument que j’ai fait valoir sur la suppression totale du droit de timbre des journaux, qui amènerait, par rapport aux petits journaux, un résultat analogue à celui qui dériverait de l’adoption du droit fixe. N’est-il pas évident que la suppression du timbre froisserait les droits acquis, détruirait l’espèce de protection fiscale énorme dont jouissent les petits journaux par rapport aux grands ? Eh bien, messieurs, prétendre que le droit fixe, qui atteint tout le monde dans une même et équitable proportion, serait contraire au respect dû aux droits acquis, c’est prétendre qu’il y aurait injustice à supprimer tout droit, ce qui est inadmissible.

M. Verdussen vous a dit que la question qui nous occupe était purement fiscale et que c’était sous ce rapport seulement qu’il voulait l’examiner, et à ce sujet il nous a fourni des calculs que je me dispenserai de réfuter. Sans doute, messieurs, la loi en discussion a un but fiscal, mais elle soulève aussi des questions d’un ordre différent. Toutes nos lois fiscales doivent être coordonnées avec les besoins sociaux, avec les besoins moraux du pays. Il importe de les considérer non seulement sous le rapport des produits qu’elles sont destinées à fournir au trésor, mais encore sous le rapport de l’effet politique qu’elles doivent avoir. Or il est impossible de ne pas reconnaître dans le cas présent que plus la disposition que vous adopterez tendra à agrandit le format des journaux et à propager ceux-ci, plus vous assurerez les moyens de publicité, c’est-à-dire les principes de la constitution, l’instruction du peuple.

L’amendement de M. Rogier ne change rien à la base du projet du gouvernement ; aussi, messieurs, si je ne craignais que les ressources du trésor ne fussent trop diminuées en fixant le droit à 3 centimes au lieu de 4, je n’hésiterais pas à me rallier à cet amendement. Dans tous les cas, je lui donnerai la préférence sur toutes les autres propositions de la section centrale et des honorables membres qui vous en ont présenté.

On m’a objecté que l’abaissement du droit au taux proposé par M. Rogier n’amènerait pas de réduction dans le produit de l’impôt, attendu que le nombre des journaux et des abonnements s’accroîtrait. Je désire que tel soit le résultat de la proposition quelconque que nous adopterons, mais il m’est permis d’en douter.

La proposition de M. Rogier réduirait le droit de 2 fr. 70 c. par abonnement trimestriel ; en supposant que les journalistes diminueraient d’autant le prix du journal, l’abonnement trimestriel baisserait de 16 fr. à 14-50 : eh bien, cette diminution est absolument trop faible pour que le nombre des abonnés s’en ressente fortement. J’admets cependant qu’une augmentation de numéros aura lieu, mais elle sera trop insignifiante, je le répète, pour qu’on puisse sérieusement en tenir compte dans la supputation des revenus du trésor.

D’après les calculs que j’ai faits, la proposition de M. Rogier entrainerait une réduction dans les recettes, de 128,000 francs sur 316, c’est-à-dire, à peu près deux cinquièmes. Vous jugerez, messieurs, si une perte de 128,000 francs n’est pas telle que vous ne puissiez y consentir.

Quant à moi, je le déclare de nouveau, je préférerais, à raison du côté intellectuel de la mesure, m’y soumettre plutôt que d’admettre un droit proportionnel, même élevé, inévitablement injuste et surtout contraire aux vues politiques dont il importe de tenir compte dans une semblable occurrence.

Je demanderai à la chambre qu’avant de discuter les différents chiffres des amendements présentés par MM. Doignon, Dubus et Rogier, il soit d’abord décidé si l’on établira un droit fixe ou un droit proportionnel.

Je pourrais aborder maintenant ces différents amendements, mais je craindrais de compliquer la discussion (Aux voix ! aux voix !)

M. Verhaegen – Messieurs, deux mots seulement. M. Lebeau s’est appuyé sur des chiffres pour soutenir son système. Et M. le ministre des finances vient de dire que personne n’avait répondu à ces chiffres.

Eh bien, il y a dans ces chiffres une erreur capitale. On ne vous a présenté que des chiffres simples, et on aurait dû vous présenter des chiffres composés. L’honorable membre n’a calculé que le produit des abonnements : en supposant mille abonnés, il aurait dû prendre le prix de l’abonnement combiné avec le nombre d’abonnés. En calculant de cette manière, toute la base du système de M. Lebeau s’écroule (Aux voix ! aux voix ! L’appel nominal ! l’appel nominal !)

M. le président – Je vais mettre aux voix par appel nominal la question de savoir si le droit sera uniforme.

- 72 membres répondent à l’appel.

23 répondent oui.

49 répondent non.

En conséquence, la chambre n’admet pas le droit uniforme.

Ont répondu oui : MM. Bekaert, Corneli, Deschamps, de Longrée, F. de Mérode, de Nef, Dequesne, de Terbecq, de Theux, Devaux, d’Huart, B. Dubus, Fallon, Lebeau, Mercier, Milcamps, Nothomb, Pollénus, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Willmar.

Ont répondu non : MM. Berger, de Brouckere, de Florisone, de Foere, de Langhe, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Muelenaere, de Renesse, Desmaisières, Desmet, d’Hoffschmidt, Doignon, Dolez, Donny, Dubus aîné, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Frison, Gendebien, Heptia, Kervyn, Lecreps, Liedts, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Metz, Morel-Danheel, Pirmez, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Seron, Stas de Volder, Thienpont, Trentesaux, Troye, Ullens, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, van Hoobrouck, Van Volxem, Verdussen, Verhaegen, Zoude.

- La suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.