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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mardi 15 décembre 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative à l’indemnisation des
victimes des événements de la révolution (A. Rodenbach)
2) Projet
de loi relatif aux budgets provinciaux de 1836
3) Projet
de loi relatif à la péréquation cadastrale (essentiellement correction de la
répartition de la contribution foncière, au profit des provinces de Flandre
orientale et de Flandre occidentale) ((+évaluation des forêts) d’Huart, Dubus, d’Huart,
Seron, Liedts, Pirson,
Gendebien, A. Rodenbach, Liedts, Gendebien, Eloy de Burdinne, Jullien, d’Huart, Pirson, Liedts,
Eloy de Burdinne, Dubus, d’Huart, Gendebien, d’Huart, Fallon, Liedts,
Vandenbossche, Liedts)
4)
Fixation de l’ordre des travaux de la chambre
(Moniteur
belge n°350, du 16 décembre 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Verdussen
fait l’appel nominal à une heure.
M. Schaetzen donne
lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Verdussen
fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Joseph de Zantis,
né à Dusseldorff, substitut du procureur du Roi
depuis 9 ans, demande la grande naturalisation. »
________________
« Le sieur F. de Pouhon
demande que les propriétaires des marchandises brûlées à l’entrepôt soient
indemnisés du chef de ces pertes. »
________________
« Plusieurs distillateurs d’Anvers
réclament contre la disposition concernant les distilleries proposée dans le
budget des voies et moyens. »
________________
M. A. Rodenbach.
- Je viens d’entendre l’analyse d’une pétition de M. F. de Pouhon,
qui réclame des indemnités en faveur des propriétaires des marchandises brûlées
à Anvers. Je demande que celte pétition soit renvoyée, non pas à la commission
des pétitions, mais à la commission métamorphosée en commission chargée de
l’examen du projet de loi relatif aux indemnités à accorder par suite de
l’agression hollandaise.
________________
- La proposition de M. A. Rodenbach est accueillie.
La pétition de M. de Pouhon est renvoyée à la
commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux indemnités.
Les autres pétitions sont renvoyées à la commission
chargée d’en faire le rapport.
PROJET DE LOI RELATIF AUX
BUDGETS PROVINCIAUX DE 1836
M. Lejeune dépose
le rapport de la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux
budgets provinciaux. (Ce rapport paraîtra
dans le Moniteur.)
- La chambre ordonne l’impression et la
distribution du rapport aux membres de l’assemblée.
PROJET DE LOI RELATIF A
Discussion générale
M. le président. -
La parole est à M. le ministre des finances.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Ce n’est pas pour empêcher l’honorable M. Dubus
de continuer son discours que j’ai demandé la parole ; c’est pour faire une
simple observation que je crois utile à la discussion.
J’ai remarqué dans le Moniteur 3 ou 4 fautes d’impression qu’il est bon de rectifier,
parce qu’elles pourraient induire en erreur d’honorables membres qui voudraient
se donner la peine de les réfuter. Je vais au-devant de ces objections, plutôt
que d’avoir à y répliquer.
Lorsque j’ai indiqué le résultat du tableau déposé
sur le bureau hier, j’ai dit qu’il présentait une réduction de 7,162 fr. sur
les évaluations actuelles des bois indiqués, relativement aux évaluations
antérieures, lesquelles étaient de 19 mille et quelques fr. On a indiqué dans
le Moniteur le montant de la
réduction au lieu du chiffre de l’évaluation actuelle. Cette évaluation est de
12 mille et quelques francs. En un mot, on a pris la différence entre les deux
évaluations, au lieu de l’évaluation actuelle. Voilà une première rectification
conforme d’ailleurs au tableau que j’ai remis sur le bureau.
Un peu plus loin, j’avais cité à la chambre les
résultats des ventes de bois dans plusieurs de nos provinces, notamment dans
celles de Luxembourg et de Namur, « non uniquement en ce qui concerne ces
provinces dans les parties limitrophes de
J’avais annoncé au
contraire que je vous ferai connaître les ventes faites dans toutes les parties
de ces provinces.
Ensuite on dit un peu plus bas que l’augmentation
que j’ai indiquée sur les bois vendus est de 207 fr. par corde de bois ; c’est
2 fr. qu’il faut lire. J’avais dit que l’augmentation était de 3 à 2 fr. : Ici
à la vérité la différence est si forte qu’on n’aurait pu s’y méprendre.
Il est une quatrième rectification qu’il importe de
faire. En répondant à l’honorable M. Desmanet de Biesme, j’avais dit :
« Le gouvernement a pu suivre en cette occasion une fausse voie, mais il
n’a pu suivre une voie partiale. » On me fait dire : « mais il n’a pu
suivre une voie impartiale. » La suite du raisonnement et le bon sens, d’ailleurs,
trouvent assez que c’est « partiale » qu’il faut lire, puisque j’ai
ajouté : « Il (le gouvernement) ne saurait être que dans l’erreur et
rien de plus, car il est trop désintéressé dans la question pour qu’il en
puisse être autrement. »
Ce sont de petites choses mais qui cependant
présentent les idées au rebours.
M. le président. -
La parole est continuée à M. Dubus.
M. Dubus. -
Dans les aperçus que j’ai eu l’honneur de présenter hier, et que j’ai puisés
dans un travail de 1818, je n‘ai rien dit de, deux provinces du Limbourg et du
Luxembourg. Là il n’y avait pas de comparaison à faire, puisque nous ne
connaissons pas le résultat des opérations cadastrales faites dans ces deux
provinces, d’après les nouveaux règlements de l’administrateur Goericke. Cependant les provinces de Limbourg et du
Luxembourg doivent s’attendre également à une augmentation considérable ; elle
était déjà calculée comme telle en 1818, puisque, selon le travail de 1818, elle
présentait une proportion de 41 et 3/4 p. c. pour le Limbourg et de 34 2/3 p.
c, pour le Luxembourg.
Si vous réfléchissez en outre que la position de
Toutefois, quant à présent, le gouvernement ne
propose rien relativement an Limbourg et au Luxembourg. Mais en même temps il
propose d’accorder le dégrèvement entier aux provinces surchargées, et cela aux
dépens des provinces dans lesquelles les opérations cadastrales sont terminées.
Il résulte de là que c’est la province du Hainaut,
en supposant même les opérations bien faites, qui va payer pour le Limbourg et
le Luxembourg.
Les résultats du travail de la commission de 1818
vous ont été déjà indiqués par un honorable député de
En vous présentant les griefs que j’ai opposés à
l’opération cadastrale, je n’ai été ici qu’historien car j’ai pris mes paroles
en quelque sorte dans la bouche des défenseurs de la loi actuelle. Quant à mon
opinion personnelle, je répète qu’il m’est impossible de juger définitivement
et en connaissance de cause, mais que, si je ne dois juger que moralement, je
crois qu’il y a des erreurs et de graves erreurs, notamment au préjudice de la
province de Hainaut,
J’ai d’ailleurs la connaissance, personnelle aussi,
d’erreurs particulières commises dans l’arrondissement que je puis le mieux
connaître ; je suis convaincu qu’il y a eu exagération du revenu imposable,
pour Tournay et pour les environs de cette ville.
Ce ne sont pas les renseignements fournis par le
gouvernement qui peuvent me mettre à même de dire cela ; car ces renseignements
ne portent que sur des moyennes par canton. Il est absolument impossible de se
faire une idée des bases sur lesquelles ces moyennes ont été établies. Quant à
moi, je ne puis me faire une opinion sur de pareilles bases. Il aurait fallu
tout au moins des moyennes par commune pour qu’on pût arriver à se former une
opinion.
Mais j’ai trouvé des renseignements plus précis
dans un mémoire de l’administration de la ville de Tournay, mémoire qui doit
avoir été adressé à M. le ministre des finances et dont j’ai entre les mains un
exemplaire. Je n’en donnerai pas lecture à la chambre, car cette lecture
prendrait trop de temps. Mais je dirai que toutes les exagérations signalées
dans ce mémoire me paraissent réelles, à moi qui connais les localités. Je n’en
rapporterai que quelques-unes pour en donner une idée.
Toutes les valeurs locatives des maisons sont
exagérées au-delà de toute mesure ; et on n’en sera peut-être pas étonné si on
réfléchit que le travail est l’œuvre de personnes qui ne connaissent absolument
rien aux valeurs locatives de Tournay.
Un honorable député a dit qu’on a employé dans les
opérations cadastrales d’une province des personnes étrangères à cette province
; on a cru voir là une garantie d’impartialité ; moi je crois y trouver la
garantie d’un défaut de connaissances suffisantes dans les personnes chargées
de l’opération. On a dit aussi que, dans les provinces flamandes, où il fallait
employer des personnes connaissant la langue du pays, on n’avait pas procédé de
cette manière.
La ville de Tournay comprend intra muros une
étendue aussi grande, par exemple, que la ville de Lille. La différence entre
ces deux villes c’est que la population de Tournay est de quelque 25 mille
âmes, tandis que celle de Lille excède 70 mille âmes. Aussi les grandes maisons
sont-elles extrêmement communes, mais elles sont à bas prix, et en général
toutes les locations sont dans cette ville à des prix très peu élevés ; c’est
ce dont ne peuvent se faire une idée ceux qui arrivent de villes où, par suite
d’une population respectivement plus grande, on est logé plus à l’étroit.
Je vois par le mémoire de l’administration de
Tournay que les maisons y ont été divisées en 36 classes ; que la première
classe est calculée sur un revenu de 1,700 fr. et en déduisant un quart en
considération du dépérissement et des frais d’entretien, conformément à la loi,
ce revenu se trouve réduit à 1,257 fr. La deuxième classe et les autres sont
dans cette proportion.
Le mémoire dit qu’il n’y a pas de maison à Tournay
qui ait une pareille valeur locative. Je crois que cela est de toute vérité.
Mais que penserons-nous du travail, si nous réfléchissons que selon un
renseignement de M. le ministre des finances, on aurait déjà dégrevé de 18 et
1/2 p. c. les valeurs locatives du Hainaut ? Les évaluations mêmes des
experts présentaient donc une exagération d’autant plus grande. Vous allez donc
vous en faire une idée.
Au nombre des maisons mises dans la première
classe, se trouve la maison occupée par le bourgmestre d’alors. Cette maison
qui était richement meublée était louée toute meublée, … combien ? 1,200 fr.
Otez la valeur locative du mobilier qui était riche, ôtez encore les 18 p. c.
dont parle le ministre, et je demande ce qui restera pour le loyer de la
maison.
Quelle est cette maison ? Je puis le dire. Elle
appartenait à M. le marquis d’Ennetières, et était
occupée par M. le comte de Béthune, bourgmestre de Tournay. Voilà un exemple de
l’exagération des valeurs locatives.
Une exagération plus évidente encore s’il est
possible, c’est celle que l’on trouve dans l’évaluation des usines de Tournay.
Elle est d’autant plus poignante, si je puis le dire, pour ceux qui vont être
victimes de cette erreur, que les industries qui prospéraient autrefois à
Tournay souffrent considérablement aujourd’hui. Nos principales industries
prospéraient grâce aux débouchés que nous avions à l’étranger. Lorsque cette
province faisait partie de
Assurément, plus une industrie souffre, plus il y a
lieu d’estimer à un taux modéré les manufactures ou usines où elle s’exploite.
Car quel industriel voudra louer à haut prix une usine, une manufacture où il
ne peut se procurer par son travail que le bénéfice le plus exigu ? Tout au
contraire, si cette industrie prospère, il y a concurrence pour prendre l’usine
à bail et en donner un prix plus élevé. On a donc commis l’erreur la plus grave
en exagérant, alors qu’il y avait plutôt lieu à procéder dans un sens inverse.
Mais l’opération a été faite par des gens dénués de la connaissance des
localités, qui leur était indispensable pour bien opérer.
Voici un autre exemple d’erreur, et d’erreur des
plus manifestes, résultant toujours du défaut de connaissance des localités :
il y a des brasseries à Tournay et à Antoing, petite ville à une lieue de
Tournay. Tournay est une ville de 25 mille âmes, Antoing de 2 à 3 mille âmes.
Croiriez-vous que les employés ont estimé les valeurs locatives de ces 2 villes
à peu près dans la proportion de la population ? Cependant les brasseries de la
petite ville d’Antoing prospèrent, tandis que celles de la grande ville de
Tournay sont en souffrance. A Antoing on fabrique une espère de bière estimée
dans le pays, où l’opinion est répandue que cette bière ne se fabrique bien que
là. Que cette opinion soit fondée sur la vérité ou sur un préjugé, elle existe
; et il en résulte qu’à Antoing cette branche de fabrication prospère et livre
non seulement dans le plat-pays, mais encore à beaucoup d’habitants de Tournay,
tellement que les brasseurs d’Antoing ont adressé des réclamations, dans le
temps, contre la hauteur des taxes municipales de Tournay, prétendant qu’elles
étaient calculées de manière à favoriser la consommation de la bière fabriquée
à Tournay, au préjudice de celle qui serait importée d’Antoing.
Ils livrent jusqu’à Bruxelles ; eh bien, malgré
cela, les valeurs locatives des brasseurs de Tournay sont évaluées au triple
des valeurs locatives des brasseurs d’Antoing. Cependant lorsqu’on examine les
choses (j’en ai parlé avec des personnes qui les connaissent), on doit
reconnaître qu’à Antoing les valeurs locatives sont déjà portées à une hauteur
suffisante. Il faut conclure de là qu’il y a une exagération énorme dans
l’estimation des valeurs locatives des brasseurs de Tournay.
La ville de Tournay est propriétaire de moulins à
eau, dont elle tire un produit par bail. Eh bien, ces moulins, d’après le
travail des experts (les bâtiments étant considérables, et les experts
établissant la valeur locative d’après la quantité de briques mises en œuvre
pour la construction d’un édifice), ces moulins ont été estimés à une valeur
locative de 2,032 francs. Déduisez un tiers pour dépérissement et frais
d’entretien, conformément à la loi, (car c’est un tiers que l’on déduit pour
les usines), restera 1.524 fr. Eh bien, je lis dans le mémoire de
l’administration de Tournay que pendant 20 ans ces moulins, balance faite des
dépenses et des produits, ont rapporté à peine 40 fr. par année. On a cherché ensuite
un autre moyen d’en tirer parti. On y a fait des dépenses qui en ont absorbé le
revenu futur pour plusieurs années ; on a exposé ces moulins en location
publique, y compris un nouveau moulin qu’on a fait construire ; le tout a été
loué 475 fl., environ mille francs. Ainsi avant que ces dépenses ne fussent
faites, je vous demande ce que cela pouvait valoir ?
La valeur locative des terres labourables est aussi
exagérée. Le mémoire de Tournay rapporte que des terres sont évaluées à 114 fr.
l’hectare ; ce qui revient 134 fr. l’ancien bonnier du pays ; car on loue
encore par bonnier. Le mémoire dit que « une pareille location serait presque
sans exemple. » Il est vrai qu’une pareille location serait même tout à
fait sans exemple, si on ne voulait se restreindre dans les locations en petite
tenue ; et il paraît que les experts ne cherchent que de pareils exemples, du
moins je dois le croire.
J’ai eu occasion de connaître les évaluations
cadastrales des terres dans deux autres communes qui avoisinent Tournay à la
distance d’une lieue. J’ai trouvé que le revenu imposable des terres de
première classe était porte au-delà de 100 fr. l’hectare, à environ 106 fr., ce
qui reviendrait à 123 fR ; l’ancien bonnier.
Je dois dire qu’un pareil prix de location est
presque sans exemple. Il est connu de tout le monde chez nous que le prix
ordinaire de location des meilleures terres louées ainsi par hectare en petite
tenue est de 100 fr. le bonnier, ce qui revient à 85 fr. l’hectare. Mais
lorsqu’on loue en grande tenue (et il y a encore beaucoup de fermes ainsi
louées dans notre pays), le prix de location diminue dans une proportion très
forte. Je citerai à cet égard un exemple qui est à ma connaissance. Je connais
une ferme dans un rayon de deux lieues de Tournay. Au dire des cultivateurs qui
apprécient le mieux la valeur des terres, c’est la meilleure ferme du pays sous
le rapport de la fertilité. Eh bien, cette ferme, pour
Laissez la valeur locative de la brasserie et du
moulin pour l’impôt et répartissez les 5,000 francs de location sur
Où arrivera-t-on avec un pareil système ? A tuer la
grande culture dans notre pays. Il ne se trouvera plus de fermier pour
reprendre les grandes fermes. Force sera aux propriétaires de les vendre ou de
les louer en détail. Je ne sais pas, messieurs, si l’on doit rendre la grande
culture impossible, si l’on doit encourager pour ainsi dire le propriétaire à
diviser les exploitations.
Il me semble que les experts ne devraient pas
prendre pour base la location en petite tenue, mais au contraire la location en
grande tenue. Car si le propriétaire divise plus tard sa propriété pour en
tirer un plus grand parti, c’est une sorte d’industrie qu’il exerce. La terre
ne devient pas pour cela meilleure. Il me paraît que l’impôt ne doit pas de ce
chef subir une augmentation.
Il y a des exemples auxquels il serait extrêmement
dangereux d’attacher de l’importance en pareille matière. Vous le savez, la
plupart du temps c’est le propriétaire qui fait la loi au fermier. Le fermier
n’est pas toujours maître de renoncer à l’exigence du propriétaire. Il s’agit
pour lui de renoncer à son établissement, sans savoir même où en trouver un
autre. Lorsqu’il a à faire à un homme dont l’exigence est trop grande, il subit
les conséquences de cette exigence jusqu’à ce qu’il succombe. Il est vrai de le
dire, il y a des baux qui présentent un fermage évidemment exagéré.
Je suis donc convaincu, messieurs, qu’il y a des
erreurs graves dans les évaluations du cadastre, et je dois le dire, les
évaluations que je connais sont évidemment exagérées. J’en connais peu, il est
vrai, car je n’ai pas fait de recherches à cet égard.
A ces observations de détails, qui ont été faites
beaucoup plus par d’autres membres de cette assemblée que par moi, que
répond-on ? Que les évaluations cadastrales représentent d’une manière
authentique le revenu imposable des propriétés ; ainsi chaque fois que l’on met
en question l’exactitude des évaluations du cadastre, on prouve cette exactitude
par le cadastre même. De même, lorsqu’il y a eu des réclamations, on a répondu
à ces réclamations par le cadastre. Les estimations sont exagérées, dit-on au
gouvernement. Les experts ont trouvé qu’elles n’étaient pas exagérées. Voilà la
réponse que l’on fait à toutes les objections. Si cette réponse est
satisfaisante, il n’est rien de si aisé à faire qu’un cadastre.
L’on a prétendu que les opérations en étaient très
difficiles. Puisque dans le fait elles échappent à toute critique, rien n’est
plus facile, et je ne sais pourquoi l’on se récrie contre les difficultés de
l’opération de quelque manière que vous l’attaquiez, votre objection tombera
devant celle-ci : le travail des experts forme une preuve authentique.
L’on a été plus loin ; l’on s’est prévalu de ce
qu’il n’y a eu des réclamations qu’en petit nombre, que ces réclamations
n’avaient amené de changements que dans la proportion de 4 sur 1,000. Cela
n’est pas étonnant d’après la disposition où l’on était de les repousser
toutes, sauf celles qui renfermaient une erreur dans l’opération matérielle,
une erreur d’arpentage. Comme un réarpentage
viendrait mettre à découvert l’erreur matérielle, dans ce cas l’on ne peut dire
que le cadastre se justifie par lui-même. Avec un pareil système peu de réclamations
ont amené un changement. Répondre à toutes les critiques que l’opération est
bonne, c’est décider la question par la question. Au reste, s’il y a eu peu de
réclamations, ce que j’ignore, cela peut tenir sans doute à la manière dont on
a exécuté les dispositions relatives aux communications à faire aux
propriétaires et aux assemblées cantonales. Ceux qui manquaient de
renseignements n’ont pas pu se former une opinion et par suite réclamer. Quant
aux propriétaires, ce sont d’honorables députés, dont j’ai répété les paroles,
qui ont rappelé à la chambre une pétition à elle adressée il y a déjà deux ans.
Suivant cette pétition, on ne communiquait pas au propriétaire l’évaluation de
sa propriété, ni le tarif adopté pour la commune ; et par suite il ne pouvait
examiner l’évaluation cadastrale en ce qui le concernait.
Quant aux assemblées cantonales, si je dois en
croire le récit que je trouve dans une pétition distribuée à tous les membres
de la chambre et adressée par un délégué à l’assemblée cantonale de Jodoigne,
il serait vrai de dire, comme un honorable sénateur l’avait dit au sénat dans
la session de 1833, que les travaux de ces assemblées ont été rendus tout à
fait illusoires et que le gouvernement en définitive fait ce qu’il veut.
Le pétitionnaire rappelle à la chambre dans sa
requête que d’après les lois, règlements et instructions sur la matière, l’on
devait remettre au président de l’assemblée : « 1° les plans et atlas
portatifs ; 2° les tableaux indicatifs ; 3° toutes les pièces des expertises
depuis le numéro 1 jusqu’au numéro 10 inclusivement ; 4° toutes les matrices
minutes, le tableau des résultats des tarifs définitifs de toutes les communes.
Et l’assemblée, dit l’article 782 du Recueil méthodique, ayant ainsi tous les
éléments et tous les résultats du travail, les examine en détail, et peut, si
elle est trop nombreuse, nommer une commission de membres pris dans son sein ;
le président et le secrétaire sont nécessairement membres de cette
commission. »
Un autre article du Recueil dit que huit jours
pourront être consacrés à cet examen. .
Ces instructions supposent donc un examen détaillé,
un véritable travail de révision. Le pétitionnaire pense qu’un pareil travail a
été rendu impossible par le refus fait par les agents de l’administration de
communiquer les pièces indiquées par les règlements.
« En conformité de l’article
Le règlement dit que l’on mettra l’assemblée
cantonale en état de juger en connaissance de cause, et cependant on lui refuse
les communications nécessaires.
Savez-vous ce que fit cette assemblée cantonale
dans l’impossibilité où elle était d’examiner et de juger ? Elle chercha à se
faire une opinion en gros, sans aucun examen des détails de l’opération. Elle
demanda des réductions globales d’un tiers sur certaines évaluations, d’un
quart sur d’autres. Ces réductions furent accordées sans difficulté par les
agents du cadastre présents à l’assemblée, de manière que les choses se sont
passées le mieux du monde. Mais qu’est-il arrivé ensuite ? Si j’en dois croire
ce qui a été dit en cette enceinte par M. l’administrateur du cadastre, les
dégrèvements accordés sans examen par les agents du cadastre ont été refusés
par l’administration supérieure, attendu qu’ils auraient changé la proportion
entre ce canton et les autres cantons ou les autres provinces
Voilà en vérité un beau résultat de l’examen de
l’opération cadastrale de Jodoigne ! L’on empêche l’assemblée d’examiner les
détails. Elle demande une diminution globale. Les employés la trouvent très
juste. Puis le gouvernement dit non, et en définitive l’assemblée n’a rien vu
et n’obtient rien.
Si tous nous avions d’autres renseignements sur ce
qui s’est passé dans les autres assemblées cantonales, nous rencontrerions
vraisemblablement plus d’un fait analogue à celui-là. Car ce n’est pas sans des
instructions quelconques que des employés du cadastre ont refusé de communiquer
à une de ces assemblées les pièces que les règlements prescrivent de
communiquer. Ce n’est pas sans des instructions non plus que l’on cherche à
influencer une assemblée et à la déterminer à ne pas réclamer, en lui disant
que, dans tous les cas, le gouvernement ne ferait que ce qu’il voudra.
La même pétition signale un vice dans la
classification adoptée pour les terres labourables d’une commune. Elle indique
deux petites communes limitrophes qui ensemble contiennent onze cents hectares
; l’on a divisé les terres de l’une et l’autre commune en 4 classes, mais avec des
estimations différentes. Ainsi dans l’une d’elles les estimations pour chaque
classe sont de 76, 68, 48 et 23 ; dans l’autre, pour les classes
correspondantes, de 72, 61, 46 et 19. De sorte que pour les onze cents hectares
que forment les deux communes, il y a réellement 8 classes. A côté peut se
trouver une commune plus considérable à elle seul que les deux communes
réunies, où il y a peut-être plus de diversité encore dans la nature des terres
; vous croyez qu’il y aura 8 ou 10 classes : il y en aura 4 ou 5 tout au plus.
Il paraît, messieurs, que l’on a procédé ainsi
partout, de sorte que le mode même de classification doit amener nécessairement
une irrégularité de commune à commune dans l’évaluation.
C’est là, messieurs, un vice radical. Il me semble
qu’il aurait fallu adopter une seule classification pour tout le pays, quelque
étendue qu’on eut dû donner à l’échelle. Alors au moins l’on aurait pu mettre
dans la même classe toutes les propriétés qu’il convenait d’y mettre. Par le
système adopté, cela est devenu impossible : alors que l’on établissait des
classifications dans des communes limitrophes, elles ne se correspondaient
souvent dans aucun degré. Non seulement la première classe de l’une n’était pas
la première classe de l’autre. Mais la première de l’une ne représentait pas
non plus la seconde de l’autre.
Je dois répondre à une observation qu’a faite M. le
ministre des finances. Il a présenté un moyen assez commode de repousser toute rectification
d’erreurs. Selon lui, si on ne consacre pas d’une manière définitive les
travaux du cadastre quels qu’ils soient, ce sont des millions perdus. Mais
assurément vous n’admettrez pas un pareil prétexte de consacrer une injustice.
S’il y a erreur, il faut revenir sur l’erreur, Cela ne peut pas faire la
matière d’un doute, quand il devrait en effet en coûter des millions. Au reste,
je crois qu’en ceci M. le ministre a singulièrement exagéré l’inconvénient. Les
plaintes ne portent pas sur la partie véritablement longue et coûteuse de
l’opération. On ne dit pas que l’arpentage a été mal fait. Il est difficile
qu’un arpentage soit mal fait. On ne manque pas de bons arpenteurs. Mais c’est
l’évaluation, c’est la proportion des évaluations qui a donné lieu à des
critiques. Il n’est donc pas exact de dire que tout serait à recommencer. Je
m’étonnerais d’ailleurs que la chambre s’avisât aussi tard de reculer devant
cet examen, tandis qu’en 1834, alors que l’importance de la question était
réduite, sous le rapport avantageux de l’examen, à une somme de 2 à 300.000
francs à payer aux agent du cadastre, la chambre a donné mission spéciale à une
commission d’examiner les griefs allégués. Que cette commission ou toute autre
procède donc à cet examen, et qu’elle nous présente ensuite les moyens
convenables pour satisfaire, s’il y a lieu, aux plaintes qui ont surgi de tant
de côtes. Si en dernière analyse l’on devait reculer devant le travail, il sera
toujours temps de dire que le travail serait trop coûteux ; mais au moins que
l’on ne refuse pas l’examen.
La chambre a déjà nommé une commission. Mais si je
dois en croire ce qu’a dit en 1834, dans l’un des discours relatifs au
cadastre, un député de
« Et ce qui se passe en Hollande ne donne pas
une opinion favorable du résultat ; dans une des dernières séances des états
généraux, on a vivement réclamé le redressement des abus du cadastre ; l’on y a
prouvé derechef que toutes les opérations reposent sur des bases erronées, et
que dans plusieurs endroits, les expertises des biens étaient mal faites. Le
nombre infini des réclamations qui s’élèvent de toutes parts contre les travaux
et les estimations disproportionnées du cadastre, a contraint le gouvernement à
nommer une commission d’Etat pour les vérifier, en apprécier les motifs, et
pour aviser au parti à prendre, afin de faire droit à ces plaintes
nombreuses. »
Si l’on ne veut pas ordonner tout de suite qu’une
révision sera faite, tout au moins doit-on s’attendre à ce que la commission,
déjà nommée par la chambre, examine les sujets des plaintes, en apprécie les
motifs, avise au parti à prendre, s’il y a lieu à en prendre, pour y faire droit.
Vous ne pouvez donc pas, messieurs, prendre de
mesure définitive. Vous devez attendre le rapport de votre commission, à moins
que vous n’aimiez mieux en nommer une autre à laquelle vous donnerez un mandat
spécial.
Prendre un autre parti ce serait proclamer que vous
consacrez définitivement les résultats du cadastre, en refusant d’examiner les
griefs qui ont été exprimés de tant de côtes et avec tant de force contre le
cadastre.
Mais, a dit encore M. le ministre des finances, si
l’on ne se prononce pas d’une manière définitive, il y aura de l’agitation dans
les provinces.
J’avoue, messieurs, qu’il m’a fait peine d’entendre
une pareille raison. Il s’agit ici des griefs les plus légitimes ; il s’agit
ici de savoir s’il est vrai, comme on s’en plaint de tant de côtes, qu’il y a
exagération dans les évaluations, qu’il y a inégalité, et inégalité criante.
Vous refuseriez d’examiner si les griefs sont
fondés, dans la crainte qu’il n’y ait de l’agitation ! Mais je le demande, avec
une pareille doctrine, où irions-nous ?
Nous sortons d’une révolution qui a eu pour cause
le mépris des griefs du peuple ; et c’est alors que le gouvernement et la
chambre refuseraient même l’examen et la vérification de griefs énoncés
publiquement !
Mais ce serait provoquer l’agitation, messieurs, le
moyen de prévenir toute agitation, c’est de faire droit aux griefs ; ce n’est
que par un jugement rendu en connaissance de cause que vous atteindrez ce but.
Je le dis avec conviction, si vous refusez l’examen, si vous consacrez
irrévocablement les énormes injustices qui, selon l’opinion commune,
résulteraient des opérations cadastrales, vous exciterez l’agitation.
Un honorable membre, pour détourner l’assemblée de
tout examen, vous a dit : « La chambre a déjà nommé une commission, et
cette commission n’a rien fait. (Je crois que j’en faisais partie.) » Elle n’a
rien fait ; donc il faut condamner sans examen ceux qui se plaignent. Est-ce là
la conséquence que l’honorable membre a voulu tirer de la négligence de la
commission ? Elle avait un mandat, elle devait le remplir ou y renoncer.
J’espère que des provinces entières ne seront pas rendues victimes de la
circonstance que la commission n’a fait ni l’un ni l’autre, Si elle ne peut ou
ne veut rien faire, la chambre peut en nommer une autre ou lui donner un mandat
nouveau et plus précis.
Le même honorable membre, toujours pour provoquer
l’exécution immédiate et pour la totalité de la péréquation cadastrale, vous a
dit que c’est par l’application du cadastre que l’on en connaîtra les
inconvénients, que ce serait là la véritable épreuve de l’exactitude du
travail. Mais, messieurs, la proposition qui vous a été faite d’un autre côté,
vous donne également l’assurance que le travail du cadastre sera soumis à cette
épreuve.
Seulement il le serait en évitant l’inconvénient
que M. le ministre des finances craint, c’est-à-dire en évitant l’agitation. En
même temps que l’on mettrait à exécution le cadastre pour un tiers des
dégrèvements et des grèvements, l’année prochaine, ce
qui avertirait suffisamment chaque intéressé des résultats futurs de
l’opération, vous lui apprendriez que les plaintes seront examinées ; que s’il
y a injustice, on y fera droit ; l’épreuve aurait lieu, et l’agitation serait
de moins.
Cet honorable membre a dit enfin que l’on réviserait
l’opération dans quatre ou cinq années ; je crois que c’est là le terme qu’il a
indiqué. Je lis dans le rapport de la section centrale que l’on révisera
l’opération dans dix ans, et je ne sache pas que personne jusqu’ici propose un
amendement pour réduire le terme à cinq ans. Toutefois, supposons que l’on
admette le terme de quatre ou cinq ans ; alors je ne vois pas pourquoi vous ne
préféreriez pas charger la commission de vous faire promptement un rapport.
Cette commission, entre autres points qu’elle aurait
à examiner, s’attacherait à celui de savoir à quelle époque il convient de
faire la révision ; de cette manière vous ne préjugerez rien.
M. le ministre des finances a fait une invocation à
l’union des provinces ; je crois que le gouvernement prend un très mauvais
moyen de cimenter cette union en insistant pour l’adoption de la loi proposée.
Ce n’est pas en refusant l’examen des griefs que vous cimenterez l’union ; ce
n’est pas en refusant l’examen des griefs des Belges contre les Hollandais que
l’on a cimenté l’union des Belges avec les Hollandais. Cette union deviendra
véritablement un problème, si vous entrez dans cette voie de refuser l’examen
des griefs qui sont articulés contre les évaluations cadastrales ; si vous
entrez dans cette voie de prononcer des condamnations sans entendre les parties
intéressées, le peuple verra toutes les provinces flamandes d’un côté, et
toutes les provinces wallonnes de l’autre ; on fera des comparaisons que je ne
veux pas faire dans cette enceinte.
Quant à moi, je désire vivement, par amour pour
l’union, que vous examiniez avant de prononcer.
Un moyen terme avait été proposé ; il paraissait
concilier véritablement les intérêts, puisqu’il assurait pour l’exercice
prochain aux provinces grevées le soulagement qu’elles auraient par l’adoption
du projet du gouvernement. Ce moyen terme assurait en même temps à ceux qui ont
des griefs à proposer contre le cadastre la certitude que ces griefs seraient
examinés avec maturité, qu’on y ferait droit s’ils étaient reconnus fondés : n’est-il
pas évident que si nous voulons l’union, c’est dans cette voie de conciliation
qu’il faut entrer ?
Je vous prie de considérer,
messieurs, et la dernière considération que je présenterai, combien le mode de
dégrèvement proposé par le gouvernement est dur pour les provinces sur
lesquelles il va peser. Dans un autre pays où l’on a fait aussi de ces
péréquations partielles (car il ne s’agit ici que d’une opération partielle),
on les a faites d’une tout autre manière.
On a fait la péréquation par dégrèvement seulement
; on n’a pas grevé, avant le résultat définitif de l’opération, les provinces
qui avaient été ménagées depuis longtemps ; on a trouvé dans cet autre pays
qu’il était juste et politique de diminuer le contingent général, et de
procéder au nivellement, en dégrevant les provinces surchargées, sans augmenter
les autres. De cette manière, on a fait droit aux plaintes de ceux qui étaient
surchargés et on a évité de froisser d’une manière trop blessante les intérêts
de ceux qui avaient été ménagés depuis des siècles à ce qu’on dit ; on a évité
surtout cet immense inconvénient de faire payer à ces provinces non seulement
l’impôt qu’elles doivent payer, plus l’impôt dont on décharge d’autres
provinces, mais encore le surcroît d’impôt que devront payer plus tard les
provinces qui n’ont pas été cadastrées jusqu’ici : remarquez bien que tel sera
le résultat de la loi ; il est évidemment injuste et extrêmement impolitique.
Si donc la chambre pouvait se laisser aller au
système du gouvernement en ce qui concerne l’énorme dégrèvement proposé au
profit de trois provinces, et que d’honorables membres voudraient faire
accorder en totalité dès l’exercice prochain, je proposerais, moi, que ce soit
aux dépens du trésor public et non pas aux dépens des provinces, sur lesquelles
on veut le faire peser, que le dégrèvement ait lieu.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Lorsque M. Gendebien a fait dès le début de la discussion
une proposition tendant à accorder une mesure provisoire, je l’ai combattue,
parce que, ai-je dit, il était convenable d’entendre quelques discours, afin de
voir si par les débats on ne parviendrait pas à se former une opinion assez
consciencieuse assez fondée pour adopter définitivement les opérations
cadastrales.
Je pense que depuis huit jours que la discussion
dure, l’on a entendu toutes les objections que l’on peut faire de part et
d’autre, et que l’on peut maintenant aborder la proposition faite par M.
Gendebien, à savoir : la mesure que l’on prendra sera-t-elle définitive ou
provisoire ? Je crois que, quelque longues que pourraient être les discussions
ultérieures, elles ne changeraient pas vos convictions ; on présentera des
réflexions sur les faits généraux, ou des réflexions sur les faits
particuliers, elle répondrai aux unes et aux autres ; et de cette manière nous
emploierons encore beaucoup de séances. Cependant le temps nous presse, nous
sommes arrivés au milieu du dernier mois de l’année, et nous avons des lois
indispensables à voter avant le renouvellement de l’exercice ; à moins qu’on ne
présente des considérations très fortes, que je ne puis prévoir, contre ma
motion, je la maintiendrai dans l’intérêt de notre temps précieux.
Si la discussion devait continuer, et que
d’honorables membres attaquassent le cadastre d’après des faits spéciaux, je
demanderais qu’ils indiquent ces faits d’une manière précise, pour que dans les
recherches que je ferai aux archives cadastrales, à l’effet de vérifier
l’exactitude de ces faits, je puisse savoir d’avance à quelles pièces je dois
recourir.
C’est ainsi que je demanderai à l’honorable M.
Dubus de vouloir bien nommer la firme qu’il a indiquée, si toutefois il ne voit
pas, comme je le pense, d’inconvénient dans cette citation. Je dois pouvoir
examiner les faits pour reconnaître si véritablement il y a erreur ; si le
cadastre s’est trompe, je l’avouerai, parce que je n’ai pas de motifs pour en
agir autrement ; mais s’il n’y a pas d’erreur, je dois, en éclairant votre
religion, vous le prouver.
Dans une séance précédente, on a précisé des faits
; je les ai examinés un à un, et je les ai réfutés victorieusement. M. Seron
vous avait dit qu’autour de Philippeville on n’avait fait que trois classes des
terres labourables ; j’ai répondu qu’on avait fait quatre classes partout dans
ce canton, et que c’est par exception qu’on n’a fait que trois classes : je me
suis procuré toutes les pièces relatives à cette contrée, je les communiquerai
à M. Seron lui-même, et il y verra que sur 21 communes il y en a 20 où l’on a
fait quatre classes. Une seule commune n’a été divisée qu’en trois classes et
c’est celle de Sart-en-Fagne où M. Seron croyait qu’il y avait seulement quatre
classes.
On avait cité un autre
fait, celui qui est relatif à la surtaxe des bois de la province de Namur ;
j’ai déposé sur le bureau un tableau qui montre que la plupart de ces bois
obtiendront un dégrèvement.
On avait soutenu que les
bois étaient dépréciés, j’ai prouvé que cette dépréciation avait cessé. On
avait prétendu que le cadastre avait suivi servilement les baux, et je suis
venu vous prouver, les pièces cadastrales à la main, qu’au lieu de suivre les
baux dans un canton cité de la province de Liége, on a réduit la ventilation de
ces baux de 80, 60, 50, 30 et 18 p. c. dans différentes communes de ce canton.
Voilà comment j’ai répondu aux différents faits que
l’on a précisés, et je compte répondre encore de même à ceux qui seront
présentés d’une manière positive. Toutefois, je pense que la discussion a été
assez longue, et que chacun de vous peut se former une opinion sur la question
à juger. Ceux qui ont des doutes voteront pour une mesure provisoire ; ceux qui
croient les opérations cadastrales, mauvaises, vicieuses, voteront encore pour
une mesure provisoire. Il y a donc moyen de se prononcer maintenant, et il faut
en finir.
M.
Seron. - Je demande la parole pour un fait personnel. J’ai dit qu’il
aurait fallu faire dans l’arrondissement de Philippeville au moins cinq
classes, et je crois même qu’il en aurait fallu six. Le ministre prétend que
l’on a fait quatre classes dans 20 communes et trois dans une seule : eh bien,
c’est dans cette commune qu’on aurait dû multiplier les classes ; elle aurait
pu en comporter dix, parce que nulle part le sol ne présente autant de variétés
qu’à Sart-Campagne. Je ferai voir à M le ministre que c’est par exception que
quatre classes ont été établies, et mes raisonnements subsistent.
M.
Liedts, rapporteur. - Je parlerai sur la motion faite par M. le
ministre. Je crois que toutes les considérations que l’on a fait valoir contre
le projet de loi comprennent toutes celles que l’on peut faire, et qu’elles ne
pourront que se reproduire, si la discussion continue. Cependant je pense qu’il
convient d’entendre le rapporteur de la section centrale qui a été chargé
d’examiner le projet de loi avant de clore la discussion générale. Je
demanderai donc que la chambre veuille bien m’entendre.
M. Pirson. - Je
prévoyais que la chambre en viendrait à la proposition que vient de faire le
ministre des finances, mais le discours que j’ai à prononcer quoique écrit,
rentre tout à fait dans ce système, et si l’on veut me donner la parole je
parlerai dans ce sens-là.
Je ne cède pas mon tour de parole.
M.
Gendebien. - Je regrette que l’on ne se soit pas aperçu qu’il y avait
une grande économie de temps à faire en adoptant la proposition que j’ai
présentée avant toute discussion ; car elle aurait donné satisfaction à tous
les intéressés. Maintenant si vous voulez éviter une nouvelle perte de temps,
je crois qu’avant d’accorder la parole à aucun orateur, même à M. le
rapporteur, il faut vous prononcer sur la question de savoir si la mesure ne
sera pas définitive ; et en voici la raison.
D’une part plusieurs de mes collègues m’ont
communiqué l’intention qu’ils avaient de ne voter qu’une mesure provisoire.
D’autre part, si vous laissez cette question
indécise avant de continuer le débat, vous allez provoquer des réponses aux
objections qui seront faites, nous n’attachons pas grande importance à ce qui
sera dit, à moins que cela ne tende à prouver que nous devons prendre ou ne pas
prendre une mesure provisoire. Si l’on s’occupe du projet d’une manière plus
générale, il faudra écouter tous ceux qui désirent se faire entendre. Pour moi,
je n’ai pas encore parlé ; et je ne dirai rien si la mesure est provisoire,
parce que je considérerai l’affaire comme suffisamment instruite ; et en effet,
tous les intérêts seraient par suite de nos discussions suffisamment avertis.
Je n’ai pas la prétention de croire que ma
proposition sera adoptée ; cependant je ne l’ai présentée que dans l’espoir
qu’elle serait acceptée ; nos adversaires ont senti l’équité de cette
proposition ; ils ont compris combien il serait injuste de prononcer un
jugement quand on manque des éléments de conviction. En un mot, il s’agit de
savoir si vous adopterez l’article en y introduisant le mot
« provisoirement. »
Il est convenable que M. le rapporteur prenne la
parole ; mais pour éviter ensuite une discussion et avant de passer à la
délibération sur les articles, je demande qu’on mette aux voix la question de
principe : la mesure sera-t-elle provisoire ou définitive ?
M. A. Rodenbach. - J’ai aussi l’intention
d’abréger vos discussions, et dans ce dessein je veux proposer un amendement
ayant pour objet de déclarer que la révision des opérations cadastrales aura
lieu dans 5 années : la commission, vous le savez, propose de renvoyer cette
révision à dix années ; c’est aussi du provisoire que je propose. Vous êtes
tous convaincus qu’il y a injustice à faire payer à trois provinces des
millions qu’elles ne doivent pas payer ; ainsi il faut leur accorder un
dégrèvement ; mais tout en accordant ce dégrèvement, vous déclarerez qu’on
révisera les travaux du cadastre : or, pour faire la révision d’un système, il
faut que l’expérience ait montré, pendant quelques années, que son application
présente des inconvénients. Cinq années sont un terme très rapproché, et je
pense que la chambre votera un pareil amendement.
M. Liedts, rapporteur.
- Je pense qu’au lieu de gagner du temps, nous en perdrions en votant
actuellement la question relative à la mesure provisoire ; il faut épuiser tout
ce que l’on a à dire dans la discussion générale, sans cela on s’occupera
encore de cette discussion générale quand on en sera aux articles.
L’amendement de M, A. Rodenbach revient à la
proposition de M. Gendebien.
Vous voyez que tout va dépendre de l’amendement qui
sera présenté et des termes dans lesquels il sera conçu. Je demande donc
qu’avant tout on m’entende dans la discussion générale.
M.
Gendebien. - Vous avez déjà discuté pendant huit séances. J’avais
prédit qu’on consacrerait quatre ou cinq séances sans résultat, et mes
prévisions ont été dépassées de trois séances : si vous voulez encore continuer
la discussion, je suis tout disposé à écouter les orateurs qui voudront prendre
la parole ; mais je ne crains pas de prédire qu’il faudra en revenir à ma
proposition.
Je dois encore un mot de réponse à M. A. Rodenbach
qui vient de vous dire qu’il proposerait d’allouer la réparation en 1836 et de
fixer la révision à 5 ans, et que c’était à peu près la même chose que mon
amendement.
Je vous demande si on peut considérer comme une
provision une disposition qui allouerait définitivement et dès à présent un
bénéfice de 28 p. c. aux Flandres, et qui en même temps chargerait le Hainaut
de 37 1/2 p. c.
Ce serait une singulière provision que celle qui
accorderait provisoirement tout ce qui fait l’objet de la réclamation. Le
provisoire doit porter sur la répartition des contingents et les époques des
dégrèvements, et sans rien préjuger sur le résultat final. Si vous voulez
accorder le tout dès à présent, loin de m’opposer à ce que la discussion
continue, je suis le premier à en demander la continuation, et j’userai de mon
droit de parler ; mais croyez-moi, messieurs, évitez de nouveaux sujets
d’irritation.
M. Eloy de Burdinne. - Si, comme le
prétend M. A. Rodenbach, ce n’était plus une question que les Flandres et la
province d’Anvers sont surtaxées, la loi dont il s’agit aurait été adoptée
depuis longtemps ; nul de nous ne veut une injustice, à l’unanimité la loi eût
été adoptée telle qu’elle a été soumise à la chambre. Mais M. A. Rodenbach met
en principe ce qui n’est qu’en question. Pour mon compte, je crois qu’il y a
surtaxe, mais il faut savoir quel est le chiffre de celle surtaxe.
Je ne parlerai pas ici de ma localité, mais en
général, et je dirai que dans d’autres provinces il y a aussi des surtaxes. Par
ce motif, il est nécessaire que la chambre révise non en détail, mais en gros,
les opérations cadastrales ; je voudrais, après la péréquation achevée,
avoir la péréquation de deux ou trois communes par province, pour savoir si le
chiffre est trop ou trop peu élevé comparativement avec d’autres.
J’appuie la proposition de M. le ministre des
finances.
M.
Jullien. - Il est à regretter que M. le ministre des finances ait élevé
cet incident quand la discussion n’était pas encore close, car sa proposition
appartient à la série des amendements qui seront présentés à l’article premier.
C’est quand la discussion générale sera close, quand il s’agira d’amender, que
cette proposition pourra être examinée ; mais elle a été jetée dans la
discussion d’une manière tout à fait inopportune, par le ministre des finances,
je crois devoir le lui dire.
Dans tous les cas, le moyen de terminer cette
discussion c’est d’entendre le rapporteur qui n’a pas encore pris la parole
dans cette discussion générale ; car il est dans nos usages parlementaires que
le rapporteur termine et résume la discussion. Je ferai remarquer que si on lui
refusait la parole pour faire juger l’incident soulevé, il pourrait dire sur
cet incident tout ce qu’il a à dire dans la discussion générale, car cet
incident, c’est la question de savoir si on adoptera une mesure provisoire ou
définitive, et la discussion n’est autre que la discussion générale.
Fermez la discussion après avoir entendu le
rapporteur. Ensuite viendront tous les amendements qu’on voudra présenter.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - La motion que j’ai faite était
une demande de clôture. Mais puisqu’on demande d’entendre encore M. le
rapporteur, je ne m’y opposerai pas ; j’avoue même qu’il est dans mes usages
d’en agir ainsi.
Je prie la chambre de croire que je n’ai point fait
ma proposition dans le but d’étouffer la discussion, mais uniquement à cause
des lois d’urgence que nous avons à voter dans la quinzaine. Chacun conviendra
d’ailleurs que la question ne pourra pas être éclairée davantage qu’elle n’est
maintenant, alors qu’on discuterait encore pendant quatre jours.
Après avoir entendu le rapporteur, on pourrait donc
clore la discussion et examiner purement et simplement s’il y a lieu d’adopter
une mesure provisoire ou une mesure définitive. Cette question résolue, on
verra si c’est en deux comme le propose la section centrale, ou en trois ans
comme le propose le gouvernement, que le contingent foncier devra être réparti
selon le cadastre.
M. le président. -
Persiste-t-on à demander la clôture ? (Non
! non !)
Dans ce cas la parole est à M. Pirson.
M. Pirson. -
Messieurs, un fait incontestable c’est que de toutes parts se sont élevées des
plaintes sur les opérations cadastrales, c’est que toutes les fois qu’il a été
question du cadastre dans cette chambre, des députés de toutes les provinces,
notamment des Flandres, ont élevé la voix bien haut pour en signaler les
irrégularités.
Voyons un peu de quel côté toutes les probabilités
doivent faire supposer qu’il existe le plus d’erreurs : à coup sûr ce ne peut
être dans les Flandres dont le territoire a bien ses variétés, mais toujours
groupées en grandes portions. Il n’en est pas de même dans les pays entrecoupés
de montagnes, de rochers, de bois et de schiste plus ou moins à découvert. Tel
est le sol des deux tiers de la province de Namur, de la moitié de la province
de Liége et du tiers de la province de Hainaut.
J’ajouterais les deux grands tiers de la province
de Luxembourg, si celle-ci n’était hors de cause : la cessation des opérations
du cadastre dans cette province lui donnera le temps de respirer.
Dans cette circonstance elle profitera du statu
quo. A quelque chose malheur est bon ; mais gare à elle lorsqu’elle viendra
figurer dans la péréquation, si les évaluations de tous nos points de contact
avec elle restent les mêmes, car tous ces points sont menacés à leur tour d’une
cruelle surtaxe.
Je pourrais aussi vous signaler la conduite des
agents du cadastre ; j’ai eu occasion de les bien observer dans quatre
assemblées cantonales auxquelles j’ai assisté. Vous m’accorderez, je crois
volontiers, grâce des détails. Vous devez en être rassasiés ; mais, ce que
toujours j’ai remarqué, c’est cette assurance de perfection avec laquelle ces
MM. se présentaient. Jamais il n’a été possible d’obtenir la moindre réduction,
et les changements qui s’opéraient de commune à commune produisaient souvent un
total en plus. La fiscalité la plus intraitable a présidé à toutes les
opérations cadastrales dans la province de Namur. La fiscalité ? Mais, va-t-on
me dire, le gouvernement était tout à fait désintéressé en pareille matière.
Point du tout. Le gouvernement hollandais ne l’était pas. Pour pressurer de
plus en plus
Ce que je viens de dire du gouvernement hollandais
ne peut s’appliquer au gouvernement belge. Oui, celui-ci est désintéressé et tout
à fait neutre dans la question que vous traitez. Mais, ce qui m’étonne, c’est
cette assurance présomptueuse que M. le ministre des finances emprunte aux cadastriers ; comme eux il trouve leurs opérations
parfaites et complètes. D’où vient cette assurance à M. le ministre ? Quand
a-t-il trouvé le temps de faire un examen qui, au dire de la commission
centrale, exigerait plusieurs années ? Le ministre a vu, il nous offre de voir
avec lui des chiffres ; ces chiffres se balancent parfaitement bien, soit ; mais
les évaluations sur lesquelles reposent ces chiffres, se balancent-elles aussi
parfaitement ? Voilà la question.
Les directeurs du cadastre ont opéré isolément dans
chaque province ; pourrait-on croire raisonnablement qu’eux et leurs
subordonnés ne se soient pas plus ou moins écartés de leurs instructions,
lorsque tout prêtait à l’arbitraire, qu’ils pouvaient augmenter ou restreindre
les classes, consulter plus ou moins de baux, y avoir tel égard qu’ils
jugeaient à propos, etc. ? Mais ce serait un miracle s’il y avait concordance
parfaite entre toutes ces opérations, et je ne crois pas à ce miracle-là ; il
faut de toute nécessité que d’abord les cantons soient mis en rapport dans
chaque province, et qu’ensuite les provinces elles-mêmes soient mises en rapport.
Je n’indiquerai point comment il faut procéder ; il
y a difficulté réelle, j’en conviens, la commission centrale a reculé devant
cette difficulté, le ministre recule, et nous reculerons-nous aussi ? J’espère
que non. Si nous reculions, bientôt les contribuables nous pousseraient en
avant. C’est ce qu’il ne faut pas attendre. Une loi spéciale est nécessaire,
mais nous ne pouvons la discuter maintenant, nous n’en avons point le temps.
Il s’agit aujourd’hui de répartir entre les
provinces le montant de la contribution foncière ? Nous avons la conviction
morale que les deux provinces de
Je dois dire un mot sur les chiffres que M. le
ministre nous a donnés hier, concernant des parties de bois qui appartiennent à
M. Desmanet de Golsinne ; ces chiffres ne prouvent
rien, messieurs. On a fait à Namur l’application des opérations du cadastre
pour les années 1834 et 1835.
Il est très probable que les bois dont est question
étaient portés trop haut dans les anciennes matrices ; les opérations du
cadastre auront réparé cette erreur, mais cela ne prouve pas que partout dans
les provinces la cotisation des bois est descendue dans la proportion des bois
indiqués par M. le ministre.
Si mon bureau me suivait à Bruxelles, je vous
prouverais, moi, par des avertissements de contribution depuis plus de dix ans,
que pour telle partie de mes bois les cotes sont restées à peu près les mêmes,
que pour telle autre il y a augmentation. Cela dépend des cantons, cela dépend
de la composition des assemblées cantonales. Dans telle assemblée, on a discuté
impartialement, parce qu’il y avait des membres simultanément propriétaires de
bois et de terres. Dans telle autre les propriétaires de terres se coalisaient
contre les propriétaires de bois. Ici on disait ce que M. le ministre nous
répète : les bois ne resteront pas toujours à bas prix, etc. MM. les cadastriers savaient fort bien exploiter toutes ces
discussions d’intérêts opposés, cela entrait parfaitement dans leur tactique.
M. le ministre nous a donné ensuite le chiffre de
ses ventes de bois, comparé à celui des estimations ; cela ne prouve rien
encore ou du moins cela ne prouve point, comme a voulu le faire M. le ministre,
une hausse extrêmement considérable dans le prix des bois. Il faudrait comparer
le prix de la vente actuelle avec celui de la vente antérieure. Je sais comment
se faisaient et comment se font maintenant les estimations préliminaires.
Lorsque les bois étaient en hausse, les gardes forestiers ne croyaient jamais
estimer trop haut, et il arrivait souvent que les bois restaient invendus à une
première vente ; on recommençait une ou deux fois. Lorsqu’ils ont été en
baisse, les gardes forestiers ont dû suivre le mouvement, et tout dernièrement
encore, lorsqu’au moment des estimations le mouvement de baisse était plus
prononcé que jamais, tout à coup il y a eu réaction. Plusieurs circonstances
qu’il serait trop long d’expliquer ont produit de grandes commandes en fer, et
par suite les bois se sont mieux vendus ; il y avait baisse peut-être exagérée
dans les estimations, et il y a eu hausse à la vente, et voilà d’où provient la
différence que M. le ministre a fait sonner en gros bourdon,
Je ne peux me dispenser de
vous dire encore un mot sur les beaux résultats du cadastre appliqué depuis
deux ans à ma province.
La ville de Dinant, comme savent tous ceux qui
l’ont traversée, est resserrée entre deux rochers qui ne permettent pas de
donner d’extension à la bâtisse. Il ne faut que quelques fonctionnaires venus
du dehors et ayant besoin de logement pour faire augmenter considérablement le
prix de location du très petit nombre de maisons non occupées par les
propriétaires. Eh bien, d’après les baux de ces quelques maisons, on a doublé
la contribution foncière. La valeur des maisons occupées par les propriétaires,
toutes à peu près très petites et étroites, a-t-elle doublé depuis deux ans ? cela est absurde.
Si vous fermiez la porte aux réclamations de tous
ceux qui, en Belgique, se trouvent dans le même cas, elle se romprait malgré
vous.
Je voterai pour le projet du gouvernement, moins
les termes approbatifs des opérations cadastrales.
M. Liedts, rapporteur.
- Messieurs, jamais je n’ai éprouvé un plus grand embarras que pour prendre la
parole dans cette discussion : non pas que les moyens de défendre le projet ne
se présentent en foule à l’esprit, mais parce que les nombreuses attaques dont
il a été l’objet, se heurtent, se croisent, se contredisent si fort, que je ne
sais dans quel ordre les présenter, pour vous en faire mieux sentir toute
l’inanité. J’avais donc d’abord cru, messieurs, qu’il convenait de poursuivre
toutes les objections jusque dans leurs dernières conséquences ; mais je me
suis bientôt aperçu que mon discours serait si démesurément long, que je ne
pourrais espérer de soutenir jusqu’à la fin votre bienveillante attention.
Vous me saurez donc gré, messieurs, de ne
m’attacher qu’aux points les plus saillants de la discussion. Examinons d’abord
la légalité des opérations cadastrales :
En quoi consiste l’illégalité que les honorables
MM. Heptia et Eloy reprochent aux opérations cadastrales ? C’est d’avoir pris
pour base des opérations la ventilation des baux. C’est un système qui ne peut,
dit-on, conduire qu’à des erreurs et qui n’a été inventé que par
l’administrateur du cadastre, M. Guericke, dans l’intérêt du fisc.
Je dirai d’abord que si le législateur avait rejeté
la ventilation des baux, il faudrait l’accuser d’une crasse imprévoyance.
Comment, lorsqu’il s’agit de constater le revenu d’un bien, on ne consulterait
pas l’acte qui prouve ce revenu ? Lorsqu’il s’agit de savoir combien une terre
peut être affermée, vous ne voudriez pas qu’on examinât combien le propriétaire
lui-même la donne à ferme ? Mais si cette marche prudente avait été négligée,
c’est alors que vous entendriez des plaintes ; c’est alors qu’à tous les
calculs imaginables on viendrait opposer le prix des baux ! Et je n’en veux pas
d’autres preuves que la conduite de M. Eloy lui-même.
L’administration dépasse-t-elle les baux ? il vient, les baux à la main, vous dire que la valeur
locative a été portée trop haut. L administration reste-t-elle en dessous de
certains baux ? c’est encore, les baux à la main,
qu’il prétend la combattre : et au lieu d’en conclure que l’on a sagement tenu
compte des exagérations tant en plus qu’en moins, l’honorable orateur en tire
la conséquence que la ventilation des baux est une base chimérique.
Est-ce bien sérieusement qu’un honorable membre, M.
Heptia, ne considère comme seule et unique base que l’évaluation du produit des
terres, et n’est-ce pas au contraire dans ces évaluations que l’erreur serait
presque inévitable ? En effet, pour arriver à un résultat, il faut estimer et
calculer en détail : 1° les frais de culture, 2° les frais d’ensemencement, 3°
les frais de récolte, 4° les frais d’entretien ; c’est-à-dire qu’il faut
calculer l’entretien et l’achat des instruments aratoires, le salaire des
ouvriers, et l’équipement des animaux destinés à l’agriculture, les frais
d’ensemencement, les frais de récolte, le transport à la grange, l’entretien de
la propriété.
Et l’on pense sérieusement que l’on aurait trouvé
pour chaque localité des hommes assez familiers avec les connaissances
agricoles pour faire toutes ces estimations sans jamais se tromper ! Non,
messieurs, le législateur, sans négliger ce moyen de parvenir à découvrir la
vérité, a sagement pensé qu’on ne peut donner aux experts trop de points de
comparaison.
Mais le mode de fixer le revenu par l’évaluation
des récoltes est seul légal ! La ventilation des baux est réprouvée par la
loi ! Et pourquoi le serait-elle ? M. Heptia ignore sans doute que
l’instruction du 1er décembre 1790, prescrivant l’évaluation des récoltes,
qu’il nous vante tant, est précisément celle qui prescrit aussi la ventilation
des baux, et que, quant à ce dernier point, elle a été encore confirmée par une
instruction du 3 frimaire au XI, approuvée par les consuls, et ayant par
conséquent obtenu force légale.
Voici comment elle s’exprime : « Le prix des
baux, etc. » (Voir pages 4 et 5.)
Loin donc que les instructions administratives
émanées en 1826 aient violé des dispositions légales, elles n’ont eu au
contraire pour but que de donner plus de vigueur à celles qui existaient,
puisque, sans rejeter le mode de fixation par l’évaluation du produit des
terres, on recommande aux agents du cadastre de réunir le plus grand nombre
possible de baux.
Un autre reproche d’illégalité qui est adressé aux
opérations cadastrales, c’est d’avoir adopté pour la ventilation des baux la
période de 1812 à 1823 au lieu de celle de 1797 à 1809, qui avait été suivie
primitivement. Mais, messieurs, aucune loi sur la matière ne fixe la période
d’années qui servira de base, et en se bornant à prescrire la ventilation des
baux en termes généraux, il est raisonnable de prendre la série d’années la
plus rapprochée de nous.
Certes, si l’administration avait ventilé les baux
passés il y a 25 ans, on n’aurait pas manqué de crier à l’absurdité, et cette
fois du moins on aurait eu raison. Voyez la monstruosité, aurait-on dit : pour
fixer le revenu de nos biens on consulte les baux passés il y a un quart de
siècle, et l’on néglige ceux de tout le temps qui nous sépare de cette période,
comme si la valeur des biens en Belgique n’était pas changée immensément depuis
25 ans, alors surtout que deux révolutions ont changé toute la face du pays.
Aujourd’hui, messieurs, que l’administration a
suivi la période la plus rapprochée de nous, à l’époque de la reprise du
cadastre, que dit-on ? que le revenu résultant de ces
baux est trop élevé.
Mais d’abord, cette élévation ne résulte pas d’une
cause locale, et s’il y a eu exagération dans les prix de ces baux, elle s’est
nécessairement fait sentir dans toutes les provinces. L’égalité proportionnelle
n’est donc pas blessée. N’oublions pas d’ailleurs que, pour rétablir
l’équilibre, l’administration, dans une réunion de tous les fonctionnaires
supérieurs en
Enfin, un dernier reproche d’illégalité fait au
cadastre, c’est que les questions qui s’élevaient dans les assemblées
cantonales devaient, dit-on, être décidées par les états députés et non par les
gouverneurs, puisque la loi de 1807 exige que ces décisions soient portées par
les préfets, et que ces fonctionnaires sont remplacés aujourd’hui par les états
députés bien plutôt que par les gouverneurs, Y aurait-il, avant tout, de la
loyauté de la part de nos collègues à invoquer ce moyen de nullité ? Les
opérations sont illégales, dit-on : pourquoi donc, depuis 1815, les
législatures qui se sont succédé n’ont-elles pas fait arrêter les opérations ? pourquoi les a-t-on tacitement sanctionnées en allouant des
fonds, en promettant le redressement de la surcharge à la fin des opérations
commencées ? Ces crédits alloués, ces promesses faites aux provinces surtaxées
n’étaient-ce que des pièges tendus à la bonne foi ? et
ceux qui les ont bercés de ces promesses avaient-ils l’arrière-pensée de se
soustraire à la péréquation de l’impôt, en alléguant la nullité d’opérations
qu’ils avaient tant de fois validées par leur conduite ? Non, messieurs, je ne
puis le croire ; ce serait faire une injure trop grave au caractère de ces
honorables membres.
Mais nous n’avons pas même besoin d’invoquer la
loyauté de nos honorables collègues, les opérations cadastrales sont légales.
Messieurs, la thèse contraire serait soutenable,
s’il s’agissait d’un intérêt exclusivement provincial ; on pourrait soutenir
alors que les délégués de la province sont les administrateurs de ces intérêts
; c’est pourquoi, s’il ne s’agissait que de la péréquation de l’impôt dans
chaque province, je ne verrais pas d’inconvénient à ce qu’on abandonnât à la
députation de chaque province la décision de toutes les questions que font
naître les évaluations des cantons de cette province.
Mais de bonne foi, peut-on dire la même chose
lorsqu’il s’agit d’une opération qui intéresse toutes les provinces limitrophes
? Ne serait-il pas souverainement absurde de dire que les questions acquérant
un caractère d’intérêt général, les délégués de chaque province sont compétents
pour les décider ?
Prenons une province pour exemple. Si dans
Mais lorsque le cadastre dans
Ce n’est donc pas au hasard que les plus grands
hommes d’Etat de France qui ont jeté les bases des opérations cadastrales ont
différé la décision des difficultés aux agents du gouvernement ? Non,
messieurs, c’est le raisonnement qui les a conduits à cette conclusion.
Car comment pourrait-on obtenir l’unité dans les
opérations, si tout ne partait point d’un centre unique, si chaque province
pouvait exercer son influence dans la direction des travaux, si dans la
collision des intérêts on s’en rapportait à la décision des parties intéressées
plutôt qu’à celle d’un tiers qui, sans intérêt de nuire à une partie ou de
l’avantager, a suivi les opérations dans tous ses progrès, a seul embrassé leur
ensemble, est seul en possession de toutes les pièces du procès ; si, en un
mot, il était au pouvoir de la députation du Hainaut de rejeter une partie de
son impôt sur
Qu’est-ce, en effet que le cadastre, si ce n’est
une sorte de procès financier de province à province ? Et vous voudriez que les
questions qui s’y rattachent pussent être décidées par les délégués de ces
provinces ? Messieurs, s’il en était ainsi, si l’on pouvait prouver dans cette
enceinte que les évaluations dans les Flandres ont été arrêtées par les
délégués de
Maintenant que nous avons justifié la légalité des
opinions cadastrales, voyons quelles sont les autres objections qu’on a faites.
Quand la discussion générale n’aurait eu d’autre
résultat que de faire voir combien il est difficile qu’une assemblée
délibérante examine les détails du cadastre et en vérifie l’exactitude, je ne
regretterais pas le temps que nous y avons sacrifié.
En effet, le discours de l’honorable M. Eloy de
Burdinne est une preuve de ce que j’avance. Il nous a longuement entretenu des
défauts qu’il prétend avoir été commis dans l’évaluation des terres du canton
d’Avesnes.
Je le demande à tout homme de bonne foi, est-il
possible que la discussion de ces détails éclaire en rien la chambre ? Et quand
nous discuterions six mois sur le discours de l’honorable M Eloy de Burdinne,
il n’en jaillirait pas une étincelle de lumière sur la question de savoir si
dans le canton d’Avesnes un hectare de terre peut
être évalue à un taux plus ou moins élevé que ne le porte le cadastre. Eh bien,
la même chose aurait lieu dans les conseils provinciaux. Toute leur session,
dont la durée est limitée, ne suffirait pas pour donner un avis et examiner en
détail les opérations de leur province. Les députés de chaque canton
défendraient les intérêts de leurs cantons, et après de longues discussions sur
les chiffres, on n’arriverait à aucune conclusion raisonnée.
Mais supposons que, pas impossible, un corps aussi
nombreux parvienne à se mettre d’accord sur l’évaluation des biens dans chaque
canton ; voyons d’abord quel délai il faudra avant que la chambre puisse être
saisie de l’affaire.
Prenons pour exemple le Hainaut. Supposons que le
conseil soit constitué en 1836.
Vous savez que la session des conseils provinciaux
est limitée et qu’ils ne peuvent pas, comme nous, rester assemblés une grande
partie de l’année.
Supposons donc que, dans leur session de 1836, ils
veuillent réviser l’opération du cadastre dans leur province : vous sentez tous
l’impossibilité de s’en occuper instantanément ; une commission sera donc
nommée dans son sein.
Cette commission, pour examiner toutes les pièces
qui se rapportent à ces travaux, alors surtout que la session réclame tous ses
soins, aura besoin de plusieurs mois pour tout voir, entendre les délégués de
tous les cantons intéressés : il faudra aussi du temps pour examiner le
rapport. Ce ne sera donc qu’à la session de 1837 que la discussion pourra
s’établir sur cet objet dans le conseil provincial.
Admettons qu’on se hâte de nous envoyer le
procès-verbal de leurs délibérations à l’instant même de la clôture de la
session des conseils provinciaux en
Ces provinces, à leur tour, nommeront des
commissions, et le travail de ces commissions deviendra d’autant plus étendu
qu’elles auront à examiner non seulement les opérations dans leur propre
province, mais encore à vérifier les allégations du conseil provincial du
Hainaut. Impossible qu’elles prennent des conclusions sur cette matière
compliquée dans la session même où elles auront reçu la mission, c’est-à-dire
en 1838 ; ce ne sera donc que dans la session suivante, en 1839, que les
rapports des commissions seront discutés. En 1839, tous les avis des
différentes provinces nous arriveront. Une commission sera nommée ici dans le
sein de la chambre, et il faudrait ne pas avoir une idée bien nette des opérations
cadastrales et des immenses détails qui s’y rattachent pour ne pas s’apercevoir
que ce n’est pas dans la session où ce volumineux dossier nous parviendra, que
la commission pourra faire à la chambre un rapport motivé.
Nous voilà donc en 1840 occupés à discuter les
opérations cadastrales entre le Hainaut, les deux Flandres, le Brabant et
Namur. Car, encore une fois, il est impossible, en examinant une province, de
ne pas examiner avec le même soin toutes les provinces limitrophes puisqu’il
s’agit de la valeur relative de province à province.
Jusqu’ici j’ai supposé que les observations et les
plaintes dans le Hainaut aient commencé dès la première année, en 1836 ; mais
aucun terme fatal n’est prescrit aux provinces, et rien n’empêche que ce que le
Hainaut commence en 1836, une autre province ne le commence un an, deux ans
plus tard.
Mais supposons qu’en 1840 nous soyons saisi, de la
première partie de ce grand procès dont on veut recommencer l’instruction.
Votre commission fait son rapport. Ce rapport ne peut s’appliquer qu’aux
estimations faites dans chaque province. Voila donc une chambre législative
saisie de la question d’examiner si l’évaluation par hectare, qui est l’unité,
a été bien faite dans chacune des provinces dont parlera le rapport.
Or, pour juger de cette évaluation, il faut,
d’après la loi de 1790 et le bon sens, examiner et calculer le revenu net,
déduction faite, sur le produit brut, des frais de culture, semences, récoltes,
entretien et transport des denrées au marché.
Maintenant, je le demande à tout homme de bonne foi
qui a quelque expérience des travaux législatifs, n’est-il pas absurde de
supposer que de discussions parlementaires puisse jaillir la moindre lumière
sur la question de savoir si, par exemple, dans la commune d’Ellezelles (Hainaut),
limitrophe de Renaix (Flandre orientale), un hectare coûte plus ou moins pour
l’exploitation, si l’entretien et l’achat des instruments aratoires est plus
cher, si le salaire des ouvriers, l’entretien et l’équipement des animaux
destinés à l’agriculture est plus ou moins élevé, si les frais d’ensemencement,
les frais de récolte, de transport à la grange, l’entretien de la propriété
entraîne plus ou moins de frais : et cependant, quelque risibles, quelque
minutieux que semblent ces détails, je défie de se fixer sur l’évaluation d’un
hectare dans deux cantons sans recourir à ces détails. Et s’il en fallait une
preuve, je la trouverais dans le discours de l’honorable M. Eloy, qui de la
meilleure foi du monde croit nous faire partager son opinion sur l’évaluation
du canton d’Avesnes en nous entretenant longuement de
tous les détails dont je viens de parler.
C’est alors que vous verrez des discussions
interminables et oiseuses ; c’est alors qu’après des débats longs et stériles,
l’assemblée se convaincra que jamais travail administratif ne fut moins de sa
compétence que celui d’examiner si sur l’évaluation d’un bonnier à Ellezelles,
dans le Hainaut, il faut déduire 5 p. c., s’il faut
ajouter 2 p. c. à l’évaluation d’un bonnier situé à Renaix.
Mais ce n’est pas tout encore. Un membre nous a
déjà fait pressentir d’autres griefs qui pourraient être allégués par les
conseils provinciaux, savoir que dans certaines provinces on n’a pas établi
assez de classes pour les évaluations dans un terrain plus ou moins égal :
comme, en Flandre, dit-on, quatre classes peuvent suffire ; mais dans un
terrain rocailleux, inégal, il en faut davantage. Voilà donc un nouveau sujet
de discussion aussi stérile en résultat que les autres.
Je dis stérile ; car enfin quelle sera la conclusion
définitive, si toutefois de ce dédale inextricable on peut arriver à une issue
? La législature fixera-t-elle législativement qu’il faut faire une déduction
de 2 ou 3 p. c. sur tel canton, une majoration sur un canton d’une autre
province ! Décidera-t-elle que dans tel canton il y a trop peu de classes et
que le nombre des classes peut suffire dans tel autre ? Evidemment non, et la
seule conclusion possible, ce sera d’ordonner à l’administration de faire une
révision en suivant les lois établies. Et quand je tiens ce langage, je suis
loin d’être sûr de mon avis. En Hollande, où depuis la révolution l’on a
introduit le cadastre, quelqu’un a-t-il songé à provoquer la révision avec
l’intervention des conseils provinciaux et de la législature ? Non, sans doute.
Et M. Augustin Perier, en parlant à la chambre des
députés de France, depuis la révolution de 1830, de la péréquation, n’a t-il
pas dit aussi : « Le gouvernement est l’arbitre naturel entre les
départements, arbitre impartial et éclairé ; nous devons convenir avec
franchise que ce n’est pas dans cette enceinte que peut s’établir une
discussion convenable pour ramener les département à l’égalité
proportionnelle. » Vous voyez, messieurs, et je le dis ici en passant, que
l’honorable député de France ne pense pas plus que moi qu’une chambre puisse
discuter convenablement et impartialement les détails d’une péréquation de
province à province. C’est qu’en effet, outre l’impossibilité, je dirais
physique, qui s’oppose à l’examen de ces détails par un corps délibérant, une
autre cause vient encore s’y joindre.
Pourquoi, en effet, lorsqu’un député des Flandres
prend la parole, entend-on dire autour de soi qu’il va appuyer le projet de loi
? Est-ce le hasard qui amène ce résultat ?
Pourquoi, lorsqu’un députe du Hainaut ou de Liège
demande la parole, dit-on d’avance qu’il va se prononcer contre ce projet ?
Est-ce encore le hasard ?
Pourquoi, au contraire, parmi les députés du
Limbourg et du Luxembourg seuls, y a-t-il partage sur la grave question qui est
à l’ordre du jour ?
Messieurs, le hasard est aveugle et n’amènerait pas
ce résultat au bout de mille ans, si une cause indépendante de notre volonté
n’opérait quelque influence sur l’assemblée.
La vérité est donc que chaque députe croit en
conscience de son devoir de défendre les intérêts de la localité qui l’a envoyé
ici. Chacun dans son opinion est respectable, parce qu’il faut le croire
consciencieux ; mais il n’en est pas moins vrai qu’en jugeant de son devoir de
défendre avant tout les intérêts de sa province, il est soumis, même à son
insu, même malgré lui, à une plus ou moins grande influence que ne ressentirait
pas un corps entièrement désintéressé dans la cause. Il faudrait totalement
ignorer les faiblesses du cœur humain, pour méconnaître ces vérités.
Je reviens à l’impossibilité, même par voie de
commission prise dans cette assemblée, de pénétrer dans les détails des
opérations cadastrales, et je me résume en disant que la chambre, après une
longue discussion sur le rapport de sa commission, obtenu après une instruction
préalable qui aurait duré 3 ans au moins, la chambre ne pourrait qu’adopter
l’une des conclusions suivantes : 1° ou bien contrôler elle-même l’évaluation
des biens dans les cantons, ce qui, par la nature même des choses, est
impraticable ; ou bien, 2° ordonner une révision dans les formes prescrites par
les lois existantes, en y introduisant, si on le trouve bon, des modifications
que l’expérience pourrait suggérer.
Et la chambre me dira-t-on, qui, d’après les
principes constitutionnels, doit sanctionner en dernier lieu les opérations
cadastrales, faut-il qu’elle opère en aveugle ?
Non, messieurs, et autant je suis pénétré de
l’impossibilité pour la chambre d’entrer dans la discussion des détails du
cadastre, autant je sens la nécessité que dans cette révision elle veille à
l’exécution des lois sur le cadastre, en instituant, comme le propose fort
judicieusement l’honorable M. Fallon, une commission d’enquête.
Mais, en attendant cette révision dans les formes
déterminées par les lois sur le cadastre, faut-il que les provinces des
Flandres et d’Anvers restent chargées d’une partie de la surtaxe constatée par
le projet de loi ? Il serait inique de le vouloir ainsi.
Ne serait-ce pas en effet mentir à sa conscience de
nier qu’après la révision, toutes les mêmes objections pourront être faites
contre le cadastre, et qu’une révision cent fois répétée amènerait encore les
mêmes plaintes ; dans une matière comme celle qui nous occupe, qui veut trop
veut l’impossible. Vous prétendez que, dans le canton d’Avesnes,
les baux qu’on a pris pour base étaient la plupart des baux exagérés.
Mais après la révision, ne trouvera-t-on dans les
autres provinces aucun canton pour élever devant vous les mêmes prétentions ?
Et alors faudra-t-il procéder à une nouvelle révision ?
Vous prétendez que dans le pays de Namur les bois
ont perdu beaucoup de leur valeur, parce que depuis peu d’années on substitue
dans les usines l’usage du charbon au bois ; mais espérez-vous qu’après une
révision, les mêmes variations de prix, fondées sur une autre cause, ne seront
pas alléguées par une autre localité ? Et parce que la province d’Anvers
alléguera que, depuis la création du canal de Charleroy, ses bois se vendent
moins cher, la place étant mieux approvisionnée de houille ; parce que le
Brabant alléguera que depuis le chemin de fer, les évaluations du cadastre sont
devenues exagérées pour toutes les propriétés qui bordent l’ancienne chaussée
de Bruxelles à Anvers, faudra-il attendre une nouvelle révision ?
Vous prétendez que dans tel canton les experts
n’avaient pas les connaissances agricoles nécessaires pour ne pas se tromper
dans quelques expertises, et vous croyez qu’après la révision d’autres cantons
ne pourront pas faire entendre la même plainte ?
Vous prétendez que dans tel canton il faudrait pour
les terres cinq classes au lieu de quatre, et vous vous flattez qu’après une
révision d’autres cantons ne pourront pas faire la même allégation ?
On prétend que dans la ville dont a parlé
l’honorable députe de Tournay, l’évaluation des maisons est trop élevée ; mais,
après la révision, d’autres villes ne pourront-elles pas prétendre la même
chose ?
Mais vous avouez, dit-on, que le cadastre n’est pas
exempt de fautes, et vous voulez le rendre définitif, irrévocable, Où donc ces
honorables membres trouvent-ils cette assertion ? A Dieu ne plaise que je
consacre par mon vote l’irrévocabilité du cadastre ! Je n’en voudrais à aucun
prix, parce qu’il est palpable que quelques erreurs de détail doivent avoir été
commises aussi bien dans les provinces surchargées aujourd’hui que dans les
autres. D’ailleurs, il suffit d’un peu d’intelligence pour comprendre que toute
révision doit nécessairement amener un nouveau dégrèvement pour les Flandres.
En effet, chaque province doit être imposée dans la
proportion de son revenu net.
Or, ce revenu, net imposable est et sera longtemps
encore presque stationnaire dans les Flandres, tandis qu’il doit aller en
augmentant rapidement dans les provinces de Liége et de Hainaut.
Dans les Flandres, la division des propriétés ne
saurait guère être poussée plus loin ; le revenu net imposable ne peut donc
plus augmenter par la division des exploitations.
Dans les provinces de Hainaut et de Liége,
l’exploitation en grande tenue est très commune, et lorsque je considère combien
la subdivision s’introduit tous les ans dans ces provinces, il faudrait fermer
les yeux à la lumière pour ne pas voir que ces changements doivent augmenter
tous les ans leur revenu net imposable.
Une seconde cause est celle-ci : dans les Flandres,
les connaissances agricoles sont poussées jusqu’à leur dernière limites. Elles
servent de modèle à toute l’Europe. Dans les autres provinces, l’agriculture
longtemps arriérée, s’approche tous les jours davantage du point où nos
cultivateurs des Flandres sont arrivés. Le revenu net imposable de ces
provinces doit encore, de ce chef, augmenter tous les ans.
Une troisième cause, c’est que les provinces de
Hainaut et de Liége, plus riches encore par ce qu’elles trouvent dans les
entrailles de la terre que par ce qu’elles recueillent à leur surface, voient
tous les ans se multiplier les établissements industriels, bien moins
importants par la quote-part qu’ils paient dans la contribution que par
l’augmentation de valeur qu’ils donnent aux biens qui les entourent. Ce serait
donc bien à tort que nous nous opposerions à une révision. Mais ce sont les
adversaires du projet qui veulent du définitif ; l’amendement de M. Doignon ne
peut avoir d’autre résultat que de faire peser indéfiniment sur certaines
provinces la surtaxe qui les accable.
Le projet au contraire prescrit un délai rapproché,
et s’il est trop long, rien n’empêche de le diminuer.
Mais pourquoi, dit-on, ne pas nommer d’abord une
commission ? Nous vous l’avons dit...
Ce qui est désolant dans cette discussion, c’est
d’entendre à chaque instant insinuer que les Flandres veulent faire acte de
force et de violence plutôt qu’acte de justice. Messieurs, ce serait
méconnaître, calomnier notre caractère que de le supposer. La résignation est
le caractère distinctif des Flamands ; ils l’ont prouvé sons tous les
gouvernements, et lorsqu’ils se décident à faire entendre leurs plaintes, c’est
que, soyez-en sûrs, la mesure de la patience est constatée. S’agit-il d’impôts
de guerre, de subventions extraordinaires, c’est sur ces provinces que retombe
la plus large part du sacrifice, leurs habitants le supportent patiemment, et
cependant quelle part leur revient-il dans les places lucratives des budgets ?
Une statistique à ce sujet vous étonnerait peut-être. Ce n’est pas eux qui,
dans les moments de crise, venaient assaillir les souverains dispensateurs des
places et des traitements. Je n’en fais de reproche ni au gouvernement actuel,
ni au gouvernement provisoire ; mais qu’on veuille bien croire au moins que ce
n’est pas légèrement et sans de graves motifs qu’ils se décident à élever la
voix.
Examinez, je vous prie, de bonne foi, la marche
suivie depuis 36 ans.
La surtaxe des Flandres, résultat d’erreurs
matérielles, commises lors de notre réunion à
Ces provinces font entendre leurs justes doléances
et une réunion des préfets du Nord, de l’Escaut, de
Sans doute, une iniquité reconnue sera suivie d’une
réparation immédiate ? Erreur. Les guerres de l’empire ne permettaient pas le
dégrèvement de nos provinces et elles furent condamnées à se taire et à
souffrir en attendant un meilleur avenir.
Dès 1817 une commission royale est nommée parmi les
citoyens les plus distingués par leurs connaissances financières et agricoles :
elle consulte tous les états provinciaux, chaque partie fournit les pièces de
ce grand procès ; tout le monde est entendu et la surtaxe des Flandres et de la
province d’Anvers est de nouveau mise à découvert.
Cette fois du moins l’injustice sera réparée ;
erreur grossière. Attendez que le cadastre soit poussé assez loin pour offrir
des points de comparaison irrécusables. Telle fut la réponse des provinces
favorisées, et vous pauvres cultivateurs des Flandres et d’Anvers, continuez à
fatiguer la terre comme des bêtes de somme, à l’avantage des autres provinces.
Le cadastre se poursuit pendant dix ans et offre à
la fin de 1826 des cantons entièrement cadastrés sur tous les points du
royaume. Le gouvernement ne pouvant fermer les yeux à la lumière, dresse un
projet de péréquation. Les termes de comparaison étaient assez nombreux pour
établir sinon une proportion mathématiquement juste, du moins infiniment plus
équitable que la répartition précédente.
Oh ! cette fois sans doute
on ne se refusera pas à rendre justice et à l’équilibre ! Détrompez-vous... Le
cadastre doit être achevé pour opérer avec certitude.
Tel fut le prétexte sous lequel le projet de loi
fut écarté à une faible majorité. Résignez-vous donc de nouveau, habitants des
Flandres et d’Anvers. Le cadastre doit être achevé. Dix ans d’injustice de
plus, à ajouter à vingt années écoulées, n’épuiseront pas la mesure de votre
patience et pour que vous ne doutiez pas de la bonne foi de la législature,
voyez les sommes allouées tous les ans au budget pour l’achèvement du cadastre.
Cette opération laborieuse s’achève, et le
gouvernement, désintéressé dans la question, vous propose de consacrer enfin
par une loi un acte de justice si souvent promis, si souvent différé.
Croyez-vous que toutes les voix se réunissent enfin pour voter cette loi ?
Gardez-vous de le croire ! Il y a de l’entêtement à vouloir l’exécution du
cadastre. Que dis-je ! il y aurait de l’entêtement à
discuter instantanément. Tous est à refaire, dit M. Eloy de Burdinne, tout est
à recommencer, et tandis que d’une part, l’honorable M. Heptia reproche au
gouvernement d’avoir méconnu les dispositions des lois existantes, un honorable
député de Tournay lui reproche de les avoir suivies trop scrupuleusement.
Que faudrait-il conclure de cette conduite ? Je
vous en laisse juger :
A la fin de l’empire, l’injuste répartition a été
constatée par les préfets, et l’on nous a dit d’attendre.
Au commencement de règne de Guillaume, une
commission met dans un nouveau jour l’iniquité qui pesait sur quelques
provinces, et l’on a dit à ces provinces d’attendre.
En 1826, les travaux du cadastre achevés dans
plusieurs cantons vinrent ajouter un degré d’évidence de plus à la surtaxe dont
nous étions victimes et l’on nous a dit d’attendre.
Aujourd’hui, le cadastre est achevé et l’on veut
nous forcer à attendre encore. Ah, messieurs, rappelons-nous que nous avons
aussi nos juges et craignons qu’après une longanimité si grande, l’on ne
regarde tout nouvel ajournement comme un déni de justice.
Messieurs, je le dis à mon
tour que l’union qui nous a conduits à travers tant d’écueils depuis cinq ans,
ne nous abandonne pas dans cette malheureuse lutte de province à province ! Et
pour vous donner une nouvelle preuve que l’esprit de localité ne nous aveugle
pas et que nous sommes toujours prêts à faire un sacrifice sur l’autel de la
concorde, je déclare me rallier à la proposition d’un membre dont je suis
toujours heureux de pouvoir partager les opinions, de l’honorable M. Fallon, et
qui consiste : « à n’arrêter les contingents des provinces que
provisoirement, mais en concédant pour en profiter sans plus de retard, toute
la surtaxe constatée par les opérations cadastrales. »
Messieurs, comme j’en forme le vœu, si vous êtes
réellement animés de cet esprit de justice et d’impartialité que vous réclamez
et vous avez droit de réclamer de nous, vous vous rallierez tous à cette
proposition ; mais si vous rejetez cet amendement aussi bien que le projet de
loi, si vous voulez, comme le propose l’honorable M. Doignon, consacrer un
vague absolu sur l’époque du redressement d’une injustice, je le déclare tout
haut, c’est qu’on veut faire peser indéfiniment sur les provinces des Flandres
et d’Anvers une partie de la surtaxe. C’est, messieurs, la première prédiction
que je fais de ma vie dans cette enceinte, et je permets à chacun d’en prendre
acte. Puisse-t-elle devenir inutile par l’adoption de l’amendement !
Un grand
nombre de membres. - La clôture ! la
clôture !
M. Eloy de
Burdinne. - Je demande la parole contre la clôture. (Vives réclamations.)
Un grand
nombre de membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. -
Aux termes du règlement on a toujours le droit de demander la parole contre la
clôture. La parole est à M. Eloy de Burdinne.
M. Eloy de
Burdinne. - Il est difficile de pouvoir se prononcer dans le moment sur
la validité de la loi qui vous est soumise. Si toutefois on ne répond pas aux
arguments erronés employés pour combattre les orateurs qui ont traité la
question, il en résultera que les faits annoncés seront considérés comme
exacts.
C’est ainsi que j’aurais à répondre à M. le
ministre des finances et à M. le ministre des affaires étrangères. Je crois
pouvoir parvenir à démontrer qu’ils vous ont induits en erreur ; je ne me
permettrai pas de leur imputer l’intention d’avoir voulu le faire, mais ils
l’ont fait et ces faits doivent être redressés.
Quant au rapporteur de la section centrale, il a
avancé tel ou tel argument de ses adversaires pour les réfuter, mais il ne les
a pas rendus tels qu’ils avaient été employés. Dans ce moment comme il n’est
pas permis de rentrer dans la question, je me bornerai à traiter la question de
la clôture contre laquelle je me prononce. Si la clôture n’était pas prononcée
et que je puisse parler sur le fond, je démontrerais combien peu M. Liedts m’a
compris, quand j’ai traité la péréquation.
Plusieurs
membres. - Aux voix ! la clôture
!
M. Eloy de
Burdinne. - Mais, messieurs, je crois que je ne parle que contre la
clôture. Si on veut étouffer la discussion, il ne me restera qu’un moyen, ce
sera de me retirer, car je ne voterai pas sans que la discussion soit éclairée.
M. Vergauwen. -
Vous avez parlé tout seul pendant trois jours !
M. Eloy de Burdinne. - J’attendrai qu’on
fasse silence pour continuer.
Je crois, messieurs, qu’il est d’autres orateurs
qui ont traité la question auxquels plusieurs membres auront à répondre.
En conséquence, je me prononce contre la clôture.
Cependant, si on proposait un amendement tendant à
satisfaire les Flandres et la province d’Anvers, je serai le premier à me
prononcer pour que la discussion cesse immédiatement. Mais il faut qu’un
amendement soit proposé et qu’il soit ensuite discuté, et que la chambre
n’adopte pas que la discussion générale sur la loi soit close dès ce moment.
M. Dubus. -
J’ai entendu l’honorable rapporteur de la section centrale citer plusieurs des
raisonnements que j’avais fait valoir, mais presque toujours, sans doute contre
son intention, en dénaturant mes paroles pour se donner raison. Sous ce
rapport, j’aurais peut-être intérêt à m’opposer à la clôture et à rectifier les
faits de la discussion. Mais la question de clôture me paraît sans importance ;
car tout ce que j’aurai à dire dans la discussion générale, je pourrai, si je
le juge nécessaire, le dire sur l’art. 1er. En effet, après la clôture de la
discussion générale, vous ne pouvez qu’ouvrir la discussion sur l’art. 1er et
les amendements qui s’y rattachent : si M. Eloy de Burdinne a des observations
à présenter, elles trouveront leur place dans la discussion des articles.
Pour mon compte je déclare ne pas m’opposer à la
clôture de la discussion générale.
M.
le ministre des finances (M. d'Huart). - Il me paraît que l’observation
de l’honorable M. Dubus tend à dire : « Adoptez la clôture de la discussion
générale ; et cela n’avancera à rien. » Je ne pense pas que cela puisse
être ainsi ; car si l’on présente un amendement qui convienne à l’assemblée,
qui ait l’assentiment général, sans doute vous ne permettrez pas qu’on parle
encore pendant 2 ou 3 séances ; vous adopterez la proposition raisonnable qui
vous aura paru mériter votre assentiment. Je pense donc qu’il faut attendre les
amendements ; en un instant la chambre
verra quel est celui qui concilie le mieux les opinions, et peut-être
pourra-t-il être immédiatement adopté. Mais si, après la clôture de la
discussion générale, on voulait répondre par exemple à tout le discours de
l’honorable M. Liedts, je ne sais où cela vous conduirait.
M. Dubus. - Je
ne sais si M. le ministre des finances a l’intention de faire faire un
règlement exprès pour la discussion, S’il en est ainsi, qu’il veuille bien
déposer une proposition qui sera sans doute renvoyée à l’examen des sections ou
d’une commission. Mais s’il croit au contraire que la discussion actuelle doit
être régie par le règlement qui régit les autres discussions, qu’il fasse
attention que le règlement dit ce qu’il convient de faire.
M. le ministre suppose que la discussion va être
soulevée sur un amendement qui va réunir toutes les opinions. Mais d’après le
règlement la discussion va être ouverte non pas sur un amendement particulier,
mais sur l’art. 1er et les amendements qui s’y rattachent.
Maintenant il s’agit de la discussion générale.
Quant à la discussion des articles, le règlement existe et je m’y réfère avec
confiance.
M.
Gendebien. - Je ne prendrais pas la parole sur la clôture si je ne
croyais de mon devoir de protester contre les accusation lancées par le
rapporteur de la loi contre des provinces qu’il appelle privilégiées. Comme
représentant du Hainaut, je proteste contre l’accusation qu’il a portée contre
ces provinces de vouloir pousser l’injustice jusqu’à un déni de justice. Je
proteste hautement, et j’ai d’autant plus le droit de le faire que dès
l’ouverture de la discussion, et pour éviter précisément toutes les récriminations
qu’on a jetées si imprudemment dans cette enceinte, j’ai fait une proposition
des plus conciliantes ; preuve irréfragable que non seulement c’est
l’intention, mais que c’est la volonté du Hainaut que justice soit faite. Mais
si nous voulons la justice, nous ne voulons pas qu’en réparant une injustice,
on en fasse une plus grande. Ainsi moi, représentant du Hainaut, je dis que
dans ma pensée il y a des provinces surtaxées, mais je déclare sur l’honneur et
en conscience qu’il m’est impossible de dire à quel point elles le sont. Dans
cet état de choses, je demande que l’on accorde aux provinces surtaxées une
provision soit d’après le projet du gouvernement, soit d’après celui de la
section centrale, mais en laissant à ceux sur lesquels la charge doit retomber
l’espérance que justice se fera s’ils se croient en droit de se plaindre. Je
n’abuserai pas de vos moments en revenant sur cet objet. Mais j’ai cru de mon
devoir de protester des bonnes intentions de la province du Hainaut, comme de
celles de son représentant.
- La clôture de la discussion générale est
prononcée.
M. Desmanet de
Biesme. - Je demanderai si l’amendement qui doit mettre tout le monde
d’accord est imprimé.
M.
le président. - Les amendements de MM. Donny et Doignon sont imprimés.
M. le ministre des
finances (M. d'Huart). - L’amendement qui doit mettre tout le monde
d’accord sera sans doute celui suggéré par un membre de la même province que M.
Desmanet, par l’honorable M. Fallon, et qui tend à ce que la péréquation
générale se fasse complètement, non pas en trois années comme nous l’avions
demandé, et comme nous croyons encore qu’il vaudrait mieux l’admettre, mais en
une seule fois, sauf à déclarer cette péréquation générale, provisoire et
susceptible de révision.
Je ne doute pas que cette proposition faite par un
honorable représentant appartenant à des provinces sur lesquelles doit retomber
la surtaxe des autres provinces, aura l’assentiment de MM. les députés des
Flandres, puisqu’elle va beaucoup plus loin que ce qu’ils désiraient eux-mêmes.
M. Fallon. - La
chambre doit avoir été fort étonnée d’entendre l’honorable rapporteur de la
section centrale dire que j’ai fait une proposition. Je n’ai fait aucune espèce
de proposition. Je me suis borné à manifester une opinion ; et M. Liedts
divisant mon opinion y a pris ce qu’il a trouvé d’avantageux à son système.
M.
Liedts, rapporteur. Je ne puis pas m’être trompé sur les paroles de
l’honorable M. Fallon ; car je les ai copiées mot pour mot. Après avoir
développé son opinion, il finit par dire qu’il ne s’oppose pas à ce qu’on
adopte un système consistant à arrêter les contingents des provinces que
provisoirement, mais en concédant pour en profiter, sans plus de retard, toute
surtaxe constatée par les opérations cadastrales.
Cette espèce de conclusion du discours de
l’honorable M. Fallon m’a fait croire que c’était une proposition. Mais s’il ne
fait pas cette proposition, je la ferai. Quant à la révision, j’ai dit que je
consentais volontiers à ce qu’à côté d’une disposition prescrivant la
péréquation générale, on plaçât une disposition tendant à ce qu’on revînt sur
les opérations cadastrales. Je suis donc parfaitement d’accord avec l’honorable
M. Fallon ; et je tenais à ce que l’assemblée fût convaincue que je n’ai pas
dénaturé ses paroles.
M. Vandenbossche
dépose un amendement, dont il est donné lecture.
- Cet amendement sera imprimé et distribué à MM.
les membres. (Il paraîtra dans notre
numéro de demain.)
M. le président. -
La parole est à M. Vandenbossche pour développer son amendement.
M. Vandenbossche.
- Messieurs, il n’y a personne qui contestera, je pense, que la répartition
arbitraire des contingents de la contribution foncière entre les provinces, les
cantons et les communes, système suivi jusqu’à ce jour, n’ait été en grande
partie la cause des injustices dont la province d’Anvers et les deux Flandres
ont été depuis quarante ans les victimes, et que les opérations du cadastre ont
mises aujourd’hui à l’évidence.
A présent on se dispose à rejeter l’arbitraire pour
ne plus consulter que la stricte égalité proportionnelle à raison du revenu net
; on veut que tout le monde paie d’après un marc le franc uniforme, on veut
l’équivalent de l’impôt de quotité, et on propose néanmoins de conserver
l’impôt de répartition, qui, en résultat, ne pourrait différer du premier que
par plus de travail qu’il occasionnerait aux agents de la répartition et par
conséquent le plus de frais qu’il causerait à l’Etat ; l’impôt de répartition
aurait en sus pour résultat de refuser aux contribuables la satisfaction de
calculer par eux-mêmes le montant de leur foncière, et d’être assurés que tous
les habitants du royaume paient d’après une égale proportion. Travail et frais
qu’éviterait, et satisfaction que donnerait l’impôt de quotité.
L’impôt de quotité conserverait toujours la juste
égalité proportionnelle dans la contribution foncière pour tout le royaume, et
ceci est difficile, sinon impossible, d’obtenir au moyen d’un impôt de
répartition. En effet, malgré toute l’exactitude qu’on a mise dans les
opérations cadastrales, il se rencontrera encore des parties de terre omises ;
ces parties, que graduellement on découvrira, seront successivement portées sur
les matrices de rôles, et parfois même on commencera par les porter sur les
rôles fonciers, et on diminuera proportionnellement le marc le franc de la
commune.
D’autres parties de terre, incultes jusqu’à ce
jour, peuvent être portées en culture et devenir sujettes à la contribution
foncière.
De nouvelles maisons se construisent ; tous les ans
des délais d’exemptions s’écoulent, et de nouveaux accroissements de revenu
net, et par conséquent de contributions, se rencontrent.
Toutes ces contributions, si on veut conserver
l’égalité proportionnelle, doivent directement profiter à l’Etat, à la
généralité : or toutes ces contributions profiteront à la commune aussi
longtemps qu’on pourra s’abstenir de porter les revenus sur les matrices de
rôle, et qu’on pourra ne les porter que sur les rôles fonciers, même après les
avoir portés sur la matrice de rôle, qui n’arrive pas toujours au ministère, ni
même à la connaissance du gouverneur, suffisamment à temps, pour régler la
répartition en conséquence entre les cantons. La répartition de la contribution
foncière entre les divers cantons de
Voilà le résultat de l’impôt de répartition, et qui
seul devrait à jamais le proscrire, là où l’impôt de quotité est possible.
Mais nous avons encore une péréquation à faire : 1°
entre les cantons d’un même district, 2° entre les districts d’une même
province, et 3° entre les provinces du royaume ; et il y aura des cantons, des
districts, des provinces qui devront nécessairement subir un accroissement de
revenu net, ce qui nécessitera une révision de toute une province. Comment
s’arrangera-t-on si on conserve l’impôt de répartition ? on devra
nécessairement commencer par choisir des types de comparaison entre les
communes limitrophes de deux cantons, entre les communes limitrophes de deux
districts et entre les communes limitrophes de deux provinces ; ces révisions
se feront commune par commune ; les changements ou renouvellement des matrices
ne peuvent que successivement s’opérer. L’allivrement du nouveau revenu net
sera-t-il terminé et transmis au ministre ou gouverneur à temps, pour que dans
la répartition l’égalité proportionnelle soit toujours strictement observée ?
Des types de comparaison, qu’on produira dans les
assemblées provinciales ou de district, admettra-t-on l’argumentation à toute
la province ou district ? et si on l’admet,
déterminera-t-on directement le contingent de la province en proportion de ce
revenu net, nulle part réellement établi ? Si enfin on détermine directement ce
nouveau contingent, comment le gouverneur le subdivisera-t-il entre les cantons
? Nécessairement sans assiette et règle fixe.
Tous ces inconvénients s’éviteraient au moyen d’un
impôt de quotité.
Je propose donc pour amendement : « Le
principal de la contribution foncière est fixé a dix centimes par franc de
revenu net à compter du premier janvier 1836. » Cet impôt foncier sera
toujours perçu d’après les matrices de rôle existantes, et conformément à la
loi ; l’égalité proportionnelle à raison du revenu net ne sera jamais brisée ni
interrompue ; chaque fois qu’une matrice recevrait un changement ou un
renouvellement, elle opérerait directement en faveur de la généralité ; un rôle
foncier ne pourrait même plus opérer en faveur d’une commune particulière.
L’impôt de quotité est un nouveau système de
contribution foncière, qui semble effrayer quelques-uns par l’analogie qu’ils
croient y trouver avec l’impôt personnel, qui est aussi un impôt de quotité, et
qui sous le gouvernement précédent a donné lieu à tant de vexations et de
plaintes ; voilà une observation que me fit un honorable membre à qui j’avais
communiqué mon système.
Mais il n’y a pas de parité entre l’assiette de ces
deux impôts. D’ailleurs le principe fondamental de la contribution foncière,
étant la répartition par égalité proportionnelle à raison du revenu net, le
système établi de répartition doit nécessairement avoir le même résultat que le
système de quotité.
On m’a encore objecté, qu’un impôt de quotité
donnait plus facilement lieu à demander et à accorder une augmentation, que
bien un impôt de répartition ; mais cette observation me semble également ne
point mériter aucun accueil.
Ce sera toujours au pouvoir législatif à statuer
sur les augmentations qu’on pourrait y vouloir apporter, et tous ses membres
connaîtront, les opérations cadastrales achevées, le revenu net foncier du
royaume, comme ils connaissent actuellement le revenu net foncier des sept
provinces cadastrées. Or je suppose que le revenu net foncier du royaume monte
à 160 millions, tous sauront apprécier, qu’un centime par franc établirait une
augmentation ou diminution de 1,600,000.
Je rapporte ces objections, parce qu’elles m’ont
été faites par des honorables membres, et quoique je ne pense pas qu’elles
pourraient être de quelque poids pour contredire mon système, dont j’ai
d’ailleurs établi suffisamment, j’espère, la préférence sur le système de
répartition.
Cette contribution de quotité aura annuellement des
résultats plus ou moins différents, mais qui ne pourront jamais être moindres
que la prévision ne les aurait évaluées ; d’ailleurs si le ministère reçoit à
temps les changements opérés dans l’année, on pourra toujours connaître au
juste le montant.
J’ai établi le principal de
la contribution foncière à dix centimes, pour ne pas avoir de fractions.
Le revenu net des 7 provinces cadastrées montant à
142,630,421 fr. 52 c. le montant de la contribution s’élèverait pour ces
provinces à 14,203,041 fr. 15 c., tandis que le principal, que propose M. le
ministre, ne monte qu’à 14,079,522 francs. Le principal d’après mon système
dépasserait donc celui du ministre, dont le marc le franc n’est que de
0,09871332 par franc, de 183,520 fr. 15 c. Mais je n’y trouve pas une cause
pour réduire ma quotité de 10 centimes et établir des fractions. Ce surplus
entrera dans les caisses de l’Etat et il profitera à la nation, sans qu’il
puisse occasionner une augmentation sensible pour le contribuable, qui ne
paierait sur 100 francs de revenu net, que 13 centimes de plus, ce qui forme
une différence si minime, que les tracasseries de calcul qu’amèneraient les
fractions seraient presque en état de la compenser. D’ailleurs si
l’augmentation devait paraître trop forte, le gouvernement pourrait réduire le
montant des centimes additionnels ajoutés au principal pour le trésor.
Je pense, messieurs, par ces motifs, avoir
suffisamment justifié mon système et mon amendement, pour espérer que la
chambre ne lui refusera pas sa sanction.
M. Liedts, rapporteur,
présente un amendement qui sera imprimé et distribué aux membres de la chambre.
FIXATION DE L’ORDRE DES
TRAVAUX DE
M. le président. - Le
rapport sur le budget des voies et moyens étant imprimé et distribué, il est
mis à l’ordre du jour de demain.
M. Dubus. -
Messieurs, comme, outre la cérémonie de demain à laquelle la chambre a décidé
qu’elle se rendrait en corps, il y a une séance de l’académie de Bruxelles,
pour laquelle les membres de cette chambre ont reçu une invitation, je pense
qu’il serait convenable de fixer à 2 heures et demie l’ouverture de la séance,
afin que les membres venus de bonne heure ne se retirent pas de lassitude
d’attendre et que le bureau se trouve ainsi dans l’impossibilité d’ouvrir la
séance.
- La chambre n’étant pas en nombre, mais paraissant
admettre généralement la proposition de M. Dubus, le bureau décide que la
séance publique de demain s’ouvrira à deux heures et demie précises.
La séance est levée à 4 heures et demie.