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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 décembre 1835

(Moniteur belge n°349, du 16 décembre 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen fait l’appel nominal à une heure.

M. Schaetzen donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« La régence et plusieurs habitants notables de la commune de Virton signalent comme inconstitutionnel un arrêté de M. le ministre de l’intérieur du 27 août 1835, qui reconnaît le sieur Nicolas Chambeau gouverneur de la fondation d’Henry Dumont à Virton. »

« Des habitants du hameau de Hauthem (section de Vilvorde) demandent que cette section soit érigée en commune séparée. »

« Les fabricants de draps et autres industriels de Verviers demandent qu’il soit ouvert des négociations pour faire entrer la Belgique dans l’association commerciale formée sous les auspices du gouvernement prussien. »

« Le sieur N. Filaine, notaire, demande que les chevaux des notaires d’arrondissement soient compris dans la réduction proposée dans le budget des voies et moyens. »

« Les sieurs van Hillez frères, distillateurs, adressent des observations contre la disposition concernant les distilleries proposée dans le budget des voies et moyens. »

« Les habitants de la commune demandent la construction d’une route de Bastogne à Diekirck. »


« Des habitants d’Ostende et des Flandres demandent l’ouverture des travaux de la route en fer de cette ville vers Malines. »

M. Donny. - M. le secrétaire vient de faire l’analyse d’une pétition qui est couverte des signatures de plus de 400 respectables habitants de la ville d’Ostende. Elle est importante par son objet. Elle contient des considérations d’intérêt général qui méritent l’attention de la chambre. Je demande donc que la commission des pétitions soit invitée à vouloir nous faire un rapport sur cette requête dans son prochain feuilleton.

La pétition dont il s’agit demande que la chambre veuille bien intervenir pour que le gouvernement s’occupe de faire travailler à l’embranchement de la route de fer vers Ostende. Rien été fait jusqu’à ce jour. Le tracé même de la route n’a pas été levé. Cette pétition contient des considérations qui démontrent l’utilité des travaux de ce côté. Je demande qu’il nous soit fait un rapport sur cet objet dans la première séance que la chambre pourra consacrer à l’examen des pétitions.

M. Pirson. - Déjà plusieurs pétitions relatives à des travaux publics ont été présentées à la chambre. D’après vos antécédents vous avez renvoyé ces pétitions à l’examen de la commission chargée de faire un rapport sur les travaux publics. Je ne vois pas d’inconvénient à renvoyer la requête des habitants d’Ostende à cette commission, puisqu’il y est également question de travaux publics.

M. Donny. - Je me rallie à la proposition de M. Pirson.

- La pétition des habitants d’Ostende est renvoyée à la commission des travaux publics.


M. Demonceau. - Au nombre des pétitions dont vous venez d’entendre l’analyse, il y a en a une datée de Verviers 12 décembre, qui demande que le gouvernement prenne des mesures pour tâcher de s’entendre avec la Prusse. Cette pétition renferme la solution d’une question de la plus haute importance. Je la recommande non seulement à l’attention de la chambre, mais à celle du gouvernement. Je pense qu’il serait utile d’examiner cette question le plus tôt possible avec la plus scrupuleuse attention. Je désirerais que la chambre voulût bien charger la commission des pétitions de nous présenter un rapport spécial.

Je ne vous dirai pas que la conclusion de la question doit être telle que les industriels d la ville de Verviers la présentent : mais dès que vous en aurez pris connaissance, vous penserez tous comme moi qu’il y a lieu d’examiner cette question mûrement et qu’elle touche aux intérêts de toute la Belgique.

Je demanderai également, pour que la Belgique sache la position des industriels de Verviers, que leur pétition soit insérée au Moniteur. Il est important que le pays sache que la pétition émane d’esprits sincèrement attachés à l’ordre de choses actuel. Je désire que leur requête soit examinée avec cette impartialité que la chambre apporte dans les questions d’une aussi haute importance.

M. Jullien. - Je demanderai à l’honorable préopinant ce qu’il entend par un rapport spécial. La pétition dont il vient de donner l’analyse touche à de très graves intérêts, surtout à la politique extérieure. Le rapport spécial que pourrait faire la commission des pétitions tendrait incontestablement à demander le renvoi de cette requête au gouvernement qui doit, suivant moi, être consulté sur son objet. Je ne sais pas trop à quoi servirait un rapport spécial. Si l’honorable membre désiré une prompte conclusion, il vaut mieux qu’il demande le renvoi direct de la pétition au gouvernement.

M. Demonceau. - En demandant un rapport spécial sur la pétition des industriels de Verviers, j’ai voulu que la chambre fût mise le plus tôt possible à même d’examiner la question qu’elle soulève. L’on vous a distribué un feuilleton de pétitions du mois de septembre. Il est à craindre que celle qui nous occupe ne puisse être examinée que dans quelques mois. C’est pourquoi j’ai demandé un prompt rapport.

M. A. Rodenbach. - Je partage l’opinion de l’honorable député de Bruges. Le rapport de la commission des pétitions devra être présenté sans conclusions. Je ne pense pas que la commission des pétitions puisse dans une question aussi grave, qui est plutôt gouvernementale, présenter des conclusions autres qu’un renvoi à un examen ultérieur. Je crois que plusieurs provinces s’opposeront fortement à la réunion de la Belgique aux douanes allemandes.

Il y a des provinces qui seraient terriblement froissées dans leurs intérêts, qui seraient pour ainsi dire ruinées. Et en effet quelles sont les marchandises que l’on expédie en Allemagne ?

- Plusieurs membres. - C’est le fond.

M. A. Rodenbach. - Cette pétition doit être renvoyée au gouvernement. C’est en conseil des ministres que l’on doit mûrement examiner la question soulevée par les industriels de Verviers. Ce n’est pas seulement une question d’intérêt général, c’est une question politique. Je m’oppose à ce que la commission des pétitions prenne des conclusions dans son rapport. (Bruit.)

M. Pirson. - J’ai demandé la parole pour dire également que la commission des pétitions ne pouvait faire un rapport qui eût une conclusion définitive. Naturellement la commission ne pouvait demander que le renvoi de l’enquête à un ministre, attendu qu’il faut examiner la question sous le double aspect des intérêts politiques et des intérêts intérieurs. Je demande que la pétition soit renvoyée à M. le ministre des affaires étrangères et à M. le ministre de l’intérieur, sauf l’impression au Moniteur, comme l’a demandé l’honorable M. Demonceau.

M. Gendebien. - J’ai demandé la parole pour faire remarquer que nous anticipons sur la discussion. Il faut laisser à la commission des pétitions le soin de présenter les conclusions qu’elle jugera convenable de prendre. Il faut pour le moment, sans aborder le fond de la question, se borner à demander le renvoi a la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. (Approbation.)

M. Demonceau. - J’appuie la motion de l’honorable M. Gendebien. Nécessairement la commission des pétitions, en faisant son rapport, devra présenter une conclusion quelconque que la chambre discutera.

- Le renvoi de la pétition des industriels de Verviers à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport, est mis aux voix et adopté.

L’impression au Moniteur de la pétition et des noms des signataires est ordonnée.

(Remarque du webmaster : Ce texte, inséré ici dans le Moniteur, n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

Projet de loi fixant le contingent de l'armée

Rapport de la commission

M. de Puydt, rapporteur. - La commission chargée de l’examen du projet de loi tendant à fixer le contingent de l’armée pour 1836 m’a chargé de proposer en son nom à la chambre l’adoption de ce projet tel qu’il est présenté par le gouvernement.

Les circonstances politiques qui ont nécessité de la part du pays l’armement maintenu jusqu’à présent, pour la défense de ses droits et de son indépendance n’étant pas changées depuis 1834, les mêmes motifs qui ont fait approuver il y a un an le contingent proposé pour 1835, nous font une loi de l’approuver également pour l’année prochaine.

Cependant, en donnant son assentiment au projet de loi, la commission a pensé ne devoir entrer en rien dans l’examen des questions soulevées dans l’exposé des motifs et qui concernent plus spécialement la réserve organisée en vertu de la loi du 4 juillet 1832.

- L’impression et la distribution de ce rapport sont ordonnées.

Projet de loi sur les concessions de péages

Rapport de la commission

M. de Puydt, rapporteur. - L’utilité de la loi de concession de péages ne peut être contestée : grand nombre de communications s’exécutent en vertu de concessions accordées depuis la publication de cette loi. Beaucoup de demandes pour concessions nouvelles s’instruisent en ce moment devant les commissions et l’on peut dire que la loi n’a pas peu contribué au développement de l’esprit d’association dont la Belgique donne un si grand exemple au continent, du moins en ce qui concerne l’association pour création de travaux publics.

Cependant la commission, sans faire d’objection contre la prolongation proposée, croit devoir exprimer un vœu : c’est que la commission des travaux publics s’occupe sans tarder des différentes questions qui lui ont été soumises, entre autres de l’examen de la législation des travaux publics et de celui d’un projet général de communications proposé en 1834. Ces questions éclairées et résolues, la loi définitive de concession de péages pourra être plus complètement discutée et renfermer toutes les garanties désirables pour les particuliers, les communes et l’Etat.

La commission est d’avis d’adopter le projet de loi tel qu’il est proposé par le ministre, à l’effet de proroger au 1er janvier 1839 le terme fatal de la loi de concession de péages.

- L’impression et la distribution de ce rapport sont ordonnées.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1836

Rapport de la section centrale

M. de Behr, rapporteur, présente le rapport de la section centrale chargée d’examiner le budget de la justice.

- L’impression et la distribution en sont ordonnées.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président consulte l’assemblée sur le renvoi de plusieurs projets relatifs à la délimitation de quelques communes,

M. Pollénus. - Les projets dont il est question sont relatifs aux limites de quelques communes intéressées à obtenir promptement une solution.

Par la nature des projets, il vaudrait mieux en renvoyer l’examen à une commission.

- Le renvoi des projets aux sections est ordonné.


M. Van Hoobrouck de Terbecq demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi relatif à la péréquation cadastrale

Discussion générale

M. Eloy de Burdinne. - (pour une motion d"ordre) Messieurs, vous aurez pu remarquer comme moi l’inexactitude avec laquelle est rendu dans le Moniteur le discours que j’ai prononcé dans les séances des 8, 9 et 10 décembre. Il y règne une multitude d’omissions. Quantité de documents n’y sont pas reproduits. Une multitude de fautes de typographie y existent à l’infini. En un mot, si j’avais voulu parodier mon discours et me donner un ridicule, je n’aurais pas agi autrement.

Quoiqu’habitué à voir rendre ce que je dis pour la plupart du temps d’une manière ridicule, à voir souvent que l’on me fait dire le contraire de ce que je dis, je dois avouer que dans le compte-rendu du 9 décembre l’on a comblé la mesure.

A Dieu ne plaise que je prête aucune mauvaise intention à qui que ce puisse être sur cet acte ridicule ! Je n’ai fait aucune démarche pour en connaître les auteurs, sinon que le jour de la distribution du numéro du Moniteur qui reproduit mon discours, je cherchai à savoir pour quel motif l’on n’avait pas imprimé plusieurs des pièces que j’avais communiquées moi-même à l’un des sténographes, et que je n’avais relâchées qu’à condition qu’elles me seraient rendues dans leur état primitif et non en lambeaux, comme je puis dire qu’elles se trouvent, comme je pourrai le faire vérifier à la chambre. C’est une manière facile d’anéantir des documents précieux, tels que le mémoire d’un employé du cadastre dont on a fait connaître l’auteur contre mon intention formelle.

Lorsque je vis que la plupart des documents manquaient dans mon discours, j’écrivis au directeur du il la lettre que vous avez pu lire tous dans le numéro de ce matin. (Oui ! oui !)

(Note du webmaster : le Moniteur n°248, du 14 décembre 1835 contenait ce qui suit : Bruxelles, le 12 décembre 1835, onze heures du soir.

« A M. le directeur du Moniteur belge.

« Monsieur,

« Je viens de lire dans le Moniteur de ce jour le discours que j’ai prononcé dans les séances des 8, 9 et 10 de ce mois. A l’exception de la première partie, où on a omis une quantité d’observations improvisées et que sûrement les sténographes auront négligé de recueillir, mon discours n’est autre chose qu’un amas de phrases et d’arguments sans ordre ni suite, un discours inintelligible que je ne comprends pas moi-même sans peine, telle il est en désordre provenant du placement de mes improvisations dans ce corps du discours, d’une immense quantité de fautes que j’attribue au compositeur, à ce qu’on ne m’a pas communiqué une épreuve comme on me l’avait promis, et à la perte d’une partie des pièces.

« Si on avait voulu me mystifier et détruire mes arguments, on n’aurait pas agi autrement en rendant mon discours. Le public, en lisant ce discours travesti, doit juger que c’est un acte d’une tête malade ; il faut le rassurer : ma tête n’est pas malade. A la première séance, je me plaindrai à la chambre, et j’espère en obtenir satisfaction.

« Devant répondre à plusieurs orateurs dans une séance très rapprochée, je ne puis m’occuper actuellement de rétablir le désordre de mon discours, désordre qui est le fait de je ne sais qui, et dont je ne connais pas la cause, s’il y en a d’autre que celle que j’ai signalée. Comme vous m’avez promis de me remettre ce que vous appelez la copie de mon discours, je viens vous la redemander pour rétablir l’ordre de mon discours le plus tôt possible.

« En attendant, je vous invite à insérer dans votre prochain numéro du Moniteur la présente réclamation, pour détruire autant que possible l’impression fâcheuse que votre n°346 du 12 novembre a pu produire.

« Agréer, etc.

« Eloy de Burdinne, membre de la chambre des représentants.

« P. S. Je conserve la copie de la présente pour en donner lecture lundi à la séance, le cas échéant. »

En note de bas de page du même Moniteur, est repris le commentaire suivant : « Pour ce qui nous concerne dans cette lettre, nous nous en référons à la note que nous avons placée au commencement du discours de M. Eloy de Burdinne dans notre numéro 346, note qui faisait connaître au lecteur que les indications des diverses parties de ce discours d’après le manuscrit fourni par l’honorable représentant laissaient beaucoup à désirer pour la précision du classement. Quant à l’épreuve que l’on avait promis de communiquer à l’honorable rapporteur, il nous a été impossible de la lui remettre vu la rapidité obligée du travail qui, commencé le 11 à 4 heures de relevée, a terminé le 12 à 6 heures du matin. »

Dans le Moniteur n°346, le discours d’Eloy de Burdinne était en effet précédé de la note suivante : « Nous reproduisons le discours prononcé par M. Eloy de Burdinne dans les séances des 8, 9 et 10 décembre, tel que la copie nous en a été remise par l’honorable membre et MM. les sténographes. Nous avons suivi pour le classement des différentes parties de ce discours les indications du manuscrit fourni par l’honorable orateur. Cependant, comme elles n’offraient pas toute la précision désirable, il est possible qu’il se trouve des transpositions dans l’impression de ce discours. Nous donnerons ultérieurement un erratum, s’il y a lieu. »)

Je vous ferai connaître la réponse qui me fut faite. (M. Eloy de Burdinne donne lecture de la réponse du directeur du Moniteur.)


Je ferai remarquer que ma lettre fut adressée au directeur du Moniteur le soir même du jour où mon discours a paru. Sa réponse ne me fut remise que hier, vers 9 heures, en mains propres. Si je suis bien informé, avant de me répondre, le directeur du Moniteur s’est adressé à la questure. J’aime à croire que l’un de MM. les questeurs pourra donner des explications sur les plaintes que je forme.

Je ferai remarquer que le directeur du Moniteur, dans la journée du 12, jour où je me suis rendu chez lui pour lui dire que mes pensées avaient été tronquées, avait voulu me promettre que mon discours serait réimprimé de nouveau.

La réimpression de mon discours ne me suffit pas, il faut que la pièce première disparaisse, c’est-à-dire le Moniteur du 12 décembre. Vous concevez que je ne veux pas laisser un discours aussi ridicule dans les archives de la chambre et également dans d’autres archives. Je ne veux pas que l’on dise dans quelques années : Tel discours a été prononcé. Je demande donc que le numéro du Moniteur qui le contient soit annulé. (Hilarité.)

Je ne comprends pas qu’il y ait matière à rire. Si vous vous trouviez dans ma position, vous ne trouveriez pas convenable qu’un ridicule semblable soit dans le cas de se perpétuer. Si l’on a fait une erreur, il faut réparer cette erreur. Je ne vois qu’un moyen, c’est de déclarer que le numéro qui contient mon discours est inexact et qu’il sera anéanti. Ce numéro ne contenant que mon discours, il est peu important qu’on le déclare nul et qu’il soit remplacé par un nouveau. S’il y avait une partie officielle, il y aurait de l’inconvénient. Mais il a été consacré à rendre mon discours, à l’exception que l’on y parle du Te Deum, d’une mort à Liége et de quelques nouvelles de Bruxelles.

En conséquence, j’ai l’honneur de proposer que la chambre veuille déclarer que la chambre ayant reconnu les nombreuses erreurs du il du 12 décembre, en ce qui concerne le compte-rendu des séances des 8, 9 et 10 du mois courant, a décidé que le n°347 du Moniteur doit être considéré comme non avenu, par le motif qu’il est inexact et qu’il sera remplacé après que le discours de cet honorable membre aura été rétabli dans son état primitif.

M. Liedts, questeur. - Messieurs, une simple expression fera comprendre la cause de la réclamation de l’honorable membre.

Il n’est entré dans l’intention de personne de parodier le discours de l’honorable M. Eloy de Burdinne. Plus que tout autre, j’aurais intérêt à empêcher un pareil abus dont le blâme retomberait indirectement sur la questure. L’honorable membre a prononcé son discours dans trois séances successives. Le premier jour, il n’en a pas remis la copie aux sténographies ; le second jour, il se plaignit de ne pas avoir vu figurer son discours dans le compte de la séance précédente. Mais on lui fit observer qu’il aurait dû communiquer les pièces dont il avait donné lecture. Ce n’est que le troisième jour qu’il a remis toute la copie à l’un de MM. les sténographes, Mais dans quel ordre ? Le discours était écrit sur des morceaux de papier de toute grandeur. Il y avait des indications telles que celle-ci : « Au milieu de mon discours j’ai dit cette chose. »

MM. les sténographes, reconnaissant l’impossibilité de classer convenablement ce discours, prièrent l’honorable M. Eloy de passer lui-même aux bureaux du Moniteur. L’honorable membre répondit qu’ayant à réfuter les arguments de ses adversaires, il n’en avait pas le temps. Mais comme en même temps il s’était plaint de la lacune qu’il y avait dans le compte-rendu des séances, il fallut bien imprimer le discours tant bien que mal. L’impression commencée à 5 heures du soir ne fut terminée qu’à 6 heures du matin. Ce fut un véritable tour de force de typographie.

Si l’honorable M. Eloy de Burdinne avait été moins pressé, on aurait pu lui envoyer son discours en épreuve. Le travail avait été si précipité et le classement des pièces si incomplet que des transpositions étaient inévitables. On s’empressera de les corriger lorsque l’honorable membre aura indiqué l’ordre dans lequel les différentes parties de ses pièces devaient être imprimées. Si quelques documents n’ont pas été imprimés, c’est que les compositeurs n’ont su où les intercaler dans le corps du discours.

Quant aux fautes de typographie, l’honorable membre conviendra avec moi que le correcteur est plus à même que lui de les faire disparaître.

M. Eloy de Burdinne. - Merci.

M. Liedts, questeur. - Je ne fais aucune application personnelle. J’en dirais autant de moi : je crois qu’un correcteur d’épreuves est, par état, plus propre que tout autre à découvrir les erreurs typographiques. L’envoi d’une épreuve à M. Eloy de Burdinne n’aurait donc eu aucun effet sur la plus ou moins de correction dans l’impression de son discours.

Il résulte, ce me semble, de cette explication que la direction du Moniteur et MM. les sténographes sont excusables du fait qu’a signalé M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - L’honorable préopinant n’a pas rendu compte des choses comme elles se sont passées. Il a été induit en erreur.

Le 9, ayant prononcé la première partie de mon discours, personne ne me demanda ce que j’avais dit. Croyez-vous que ce soit à moi à aller porter mon discours, quand j’en ai improvisé la moitié ? Au surplus j’ai lu avec calme et modération, de manière à pouvoir recueillir ce que je disais. Le 10 au soir, on est venu me demander mes pièces ; mais j’avais parlé pendant toute la séance, je n’étais pas à même de les disposer de manière à pouvoir les rendre. Le lendemain je les avais rangées, préparées de manière à pouvoir être imprimées. Ces messieurs ne se sont pas donné la peine de me demander si elles étaient prêtes.

Voyant qu’on ne me les demandait pas, j’ai été les porter. J’ai ouvert le paquet, j’ai détaillé tout, j’ai dit : « Voilà comme cela doit se placer. » Quand telle chose était finie, je renvoyais à A ; quand A était fini, je renvoyais à B. C’était distingué de telle manière que le moindre enfant l’aurait reconnu.

Il est bien vrai que j’ai mis une note que telle pièce pouvait être insérée vers le milieu de mon discours qui avait été recueilli par le sténographe.

Ensuite, un de MM. les sténographes m’avait promis que la première épreuve de mon discours me serait remise. On n’en a rien fait. Il n’a donc pas dépendu de ma faute de voir des erreurs et un ridicule semblable dans le Moniteur. Je ne tiendrai pas à ce que la chambre prenne une détermination, il me suffira qu’on reconnût qu’il est plein d’erreurs, ce qui d’ailleurs arrive assez souvent, comme beaucoup de membres ont pu le remarquer.

Je ne persiste donc pas dans ma proposition.


M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, je ne reviendrai pas sur la question de légalité des opérations cadastrales.

Dans mon opinion à cet égard, il y a chose jugée. Selon nous les opérations cadastrales sont légales, elles ont été faites conformément aux principes, aux bases institutives du cadastre. Au reste, messieurs, s’il pouvait rester des doutes dans vos esprits sur ce point, si vous étiez convaincus que dans quelques parties les opérations cadastrales auraient été faites d’une manière illégale, que des formalités eussent été omises ou amplifiées, vous devriez donner actuellement à ces opérations le caractère qu’on leur reproche de ne pas avoir ; en un mot vous devriez les légaliser ; vous ne pourriez, en effet, vous y refuser sans déclarer que tous les millions dépensés pour le cadastre l’ont été en pure perte.

Je pense donc que la question de légalité n’est pas celle qui doit occuper principalement l’assemblée. La chambre me paraît devoir examiner si les opérations sont assez bonnes pour être accueillies par la législature, et voilà tout.

Messieurs, c’est par des faits qu’on a voulu démontrer que les opérations cadastrales étaient irrégulières et vicieuses ; qu’il me soit permis de rencontrer quelques-uns de ces faits avancés dans la dernière séance, et vous verrez quel fondement des allégations qu’on donnait comme positives ont en réalité.

L’honorable M. Desmanet de Biesme, et après lui, M. Fallon, se sont élevés avec force contre la surélévation qu’ils prétendent existe, dans les évaluations des bois de la province de Namur.

A cette occasion ils vous ont cité diverses pétitions adressées au sénat contre les résultats du cadastre, en ce qui concerne les propriétés boisées de cette province. Vous allez voir, messieurs, quelle foi méritent les allégations contenues dans ces pétitions ; voici quelques résultats comparatifs qui démontreront jusqu’où ont été les préventions de la part de ceux qui se sont élevés contre les opérations du cadastre dans la province de Namur, et combien ces préventions sont mal fondées.

En consultant la contribution foncière que payaient les principaux pétitionnaires en question avant l’application du cadastre actuel, on voit que presque tous ont obtenu des réductions considérables ; on voit dans cette comparaison que les opérations cadastrales qu’ils repoussent, leur sont infiniment favorables, qu’elles ont apporté des réductions notables à la contribution existant depuis longtemps sur cette nature de propriété.

Les chiffres que je vais citer se trouvent dans un tableau comparatif que j’ai entre les mains, et dont la chambre pourra ordonner l’impression si elle le juge a propos. Chaque membre pourra ainsi juger mieux encore du fondement des réclamations, dont nos adversaires se sont si vivement appuyés dans cette discussion.

Je trouve en ce qui concerne le canton de Namur-Nord, dont on a parlé, et sur lequel je reviendrai spécialement tout à l’heure, je trouve, dis-je, dans les communes de Flavinne et Florifou, que M. Mohimont-Bivort, qui possède un bois dans chacune de ces communes, payait pour le bois de Flavinne 174-95 avant l’application du cadastre, et qu’aujourd’hui il ne paie plus que 144 fr. 92 c., 30 fr. de moins sur une somme de 174-95.

Pour celui de Florifou, il payait 227-14 et paie 133-06 d’après le cadastre actuel, c’est-à-dire 94-08 de moins sur une somme de 227 fr.

Dans le canton de Gembloux, commune de Boisière, M. Desmanet de Golsinne payait 211-25 pour un bois qu’il y possède, et le cadastre a réduit la contribution sur ce bois à 152-62, c’est-à-dire à 58-63 de moins. Dans la commune d’Isne, le même propriétaire payait pour un bois 122-78 : ici il y a une légère augmentation, il paiera 2-27 de plus, c’est-à-dire 125-05. Dans la commune de St-Denis, le même M. Desmanet de Golsinne payait pour une propriété boisée 464-49, il ne paie actuellement d’après le cadastre que 295-75, c’est-à-dire 168-74 de moins. Le même propriétaire encore, dans la commune de Daves, payait pour un bois 168-97 et ne paie plus que 102-79, 52-18 de moins. Tous les autres propriétaires réclamants portés sur ce tableau ont eu des réductions à peu près dans les mêmes proportions.

Si la chambre fait imprimer le tableau, elle verra en définitive que sur 5,528 bonniers (hectares) de bois dans la province de Namur, les propriétaires de cette superficie qui payaient 19,159 50 c. en 1835 et antérieurement, ne paient actuellement que 7,162 80 c. d’après le cadastre.

Je dois vous dire qu’il y a dans ce nombre de 5,528 bonniers 24 bonniers 90 perches 50 aunes de plus qu’avant le cadastre ; mais cette légère différence ne modifie presque pas le résultat qui apporte une réduction de plus de moitié.

A la vérité les propriétaires de bois ont basé leurs réclamations sur la dépréciation des bois, car il faut se reporter à la date de leurs pétitions. Vous avez déjà vu que cette dépréciation momentanée avait pu induire d’autres personnes en erreur, car moi-même, en 1832, j’avais partagé l’opinion des réclamants, et en considérant les choses dans l’état où elles étaient alors, j’avais crié que la dépréciation se maintiendrait.

Je vais vous montrer combien les propriétaires de bois et moi, nous étions dans l’erreur, et combien ce que j’ai eu l’honneur d’annoncer à la dernière séance était positif. Vous vous rappellerez ce que vous disait à la fin de cette séance l’honorable député de Namur. Voici un petit passage de sa réplique à une observation que j’avais faite :

« Le ministre vous a dit que le bois était tombé à 3 francs la corde. La chose existe encore pour certaines localités. Je conviens que dans certaines localités, dans les parties de bois du Luxembourg situées sur la frontière de France, où les forgeries françaises se sont approvisionnées, la corde de bois s’est élevée jusqu’à 4 et 5 francs. Mais cela n’est pas vrai pour les districts de la province de Namur ; je nie que le prix des dernières coupes se soit élevé. »

Vous le voyez, l’honorable membre niait formellement que le prix des dernières coupes de bois dans sa province fût augmenté.

Eh bien, messieurs, je vais avoir l’honneur de communiquer à la chambre les résultats des ventes de bois qui viennent d’être faites dans les provinces de Liége, du Luxembourg et de Namur, mais uniquement en ce qui concerne les deux dernières dans les parties limitrophes de la France, et je vous ferai connaître les ventes faites dans toutes les parties de ces provinces.

Voyons dans l’arrondissement de Namur et dans le district même de Namur ce qui s’est passé à ces ventes. Nous y trouverons que les évaluations des coupes faites d’après le produit des ventes des années précédentes, était dans cette inspection de 7,844 francs, et nous y voyons que le prix de vente s’est élevé à 10,380 francs, c’est-à-dire 2,500 francs de plus que les années précédentes, un tiers en sus des évaluations. Dans l’arrondissement de Dinant la différence est beaucoup plus sensible encore. Les coupes étant plus considérables, les sommes sont plus fortes. Les coupes avaient été évaluées à 38,493 fr., et elles ont été vendues 58,492 fr., 2/5 en sus, ce qui fait une augmentation de 205 fr. pour la corde de bois, proportion que j’avais indiquée à la dernière séance.

Je passe à la province de Liége, arrondissement de Verviers, lequel est, comme on sait, assez éloigné de la frontière de France ; eh bien, dans cet arrondissement, des coupes estimées 29,414 fr. 60 c. ont été vendues 49,917 fr. 93 c/ ; 17,503 fr. 33 c. au-delà de l’estimation.

Dans le Luxembourg, arrondissement de Neufchâteau, plusieurs bois dans cet arrondissement sont limitrophes de la France, mais les principales parties de forêts que nous possédons encore sont à une assez grande distance de la frontière française, les autres parties ayant été vendues. Il ne s’agit donc ici que des bois du domaine qui sont vers le centre de la province. Eh bien, les coupes de ces bois, estimées à 87,541 fr. 50 c. ont été vendues 113,326 fr., c’est-à-dire 25,784 fr. 50 c. en plus que l’on ne devait s’y attendre d’après les produits de l’année précédente.

Dans l’arrondissement de Marche, qui tient à la province de Namur, et qui se trouve beaucoup plus au centre du pays, des coupes évaluées à 97,016 fr. ont été vendues 125,353 fr., c’est-à-dire 28,337 fr. plus. Il résulte de tout cela que ce que j’ai avancé dans la dernière séance est de la dernière exactitude, que la dépréciation des bois n’a été que momentanée, que les bois ont repris presque leur valeur ancienne, et que nous pouvons concevoir l’espérance de voir cette augmentation de valeur se maintenir, et même s’élever encore.

Messieurs, l’honorable M. Fallon en vous parlant du despotisme de l’administration du cadastre, vous a dit qu’elle avait méprisé l’avis des assemblées cantonales et provinciales, et pour le prouver il vous a cité une réclamation du canton de Namur-Nord, sur laquelle, a-t-il ajouté, le ministre a ordonné de passer outre si l’assemblée cantonale dont s’agit ne se soumettait pas à la volonté souveraine de l’inspecteur du cadastre. Enfin, a-t-il prétendu, l’avis de la députation des états a été entièrement méconnu.

Je vais vous lire, sans commentaire, l’arrêté du gouverneur de cette province sur la réclamation du canton de Namur-Nord. Vous verrez s’il n’a tenu aucun compte de l’avis de l’administration provinciale.

L’arrêté est du 9 février 1834.

« Le gouverneur de la province de Namur, vu le procès-verbal de l’assemblée des délégués du canton de Namur-Nord, convoqués une seconde fois en exécution de l’arrêté du ministre des finances en date du 19 janvier dernier (n°7684) ;

« Vu le rapport du sieur Bruno, membre de la députation des états et président de ladite assemblée ;

« Vu les rapports de M. l’inspecteur provincial du cadastre, en dates respectives du 13 décembre 1833 et du 6 février courant, sur les résultats de l’assemblée. Après avoir pris avis de la députation des états, qui est d’opinion qu’il y a lieu de suivre les propositions de l’inspecteur ;

« Considérant que la réclamation formée par les délégués, tendante à ce que le nombre des classes de certaines natures de propriétés soit porté à cinq, n’est nullement fondée, attendu que l’article 743 du Recueil Méthodique des lois et des instructions sur le cadastre porte en termes formels que le classement des propriétés est invariablement fixé après le jugement des réclamations y relatives, et que ce jugement était porté longtemps avant la première convocation de l’assemblée.

« Considérant en conséquence que le refus par les déléguées de s’expliquer sur les évaluations avant qu’il ait été décidé sur leur réclamation, ne peut suspendre la fixation de ces évaluations, sur lesquelles l’assemblée cantonale est appelée seulement à donner ses conclusions, en conformité de l’article 32 de la loi du 15 septembre 1807

« Considérant que par les lettres de convocation pour la seconde assemblée, les délégués ont été informés que dans le cas où ils persisteraient de nouveau dans leur refus d’examiner et d’émettre leur avis sur les taux des évaluations, ce refus serait considéré comme une adhésion au travail des expertises et qu’il serait passé outre à l’admission définitive.

« Considérant que cependant ces délégués ont persisté dans leur refus, par les motifs déjà énoncés dans le procès-verbal de la première convocation, et par la circonstance encore que la chambre des représentants, en renvoyant au rapport de la commission du cadastre la réclamation qu’ils lui avaient présentée leur paraissait s’être saisie de la question soumise par l’assemblée cantonale, et que l’on doit attendre à ce sujet la décision de la législature ;

« Considérant qu’en supposant même exact le fait qui précède, une réclamation adressée à la chambre sur l’exécution des dispositions claires et précises d’une loi, ne peut en retarder l’exécution et qu’au cas présent, le classement ayant été fixé invariablement avant la réclamation, on ne peut en aucune manière, et sans méconnaître les lois existantes, revenir sur ce classement, contre lequel on aurait dû réclamer dans le mois de la communication des pièces des expertises ;

« Arrête

« Art. 1er. Les expertises des communes du canton de Namur-Nord, sont approuvées définitivement.

« Art. 2. Les évaluations de toutes les propriétés tant bâties que non bâties, sont fixées définitivement telles que le propose M. l’inspecteur provincial du cadastre dans l’état ci-joint, lequel restera annexé au présent arrêté.

« Art. 3. Expédition dudit arrêté et de l’état y joint, sera adressé au ministre des finances, pour être soumis a son approbation.

« Namur, le 7 février 1834.

« Baron de Stassart.

« Par le gouverneur :

« Le secrétaire-général,

« de Coppin. »

Vous voyez donc d’après cet arrêté, en premier lieu, que la députation des états a été d’avis de maintenir les évaluations conformément à la proposition de l’inspecteur ; vous y voyez en second lieu une obstination récidive de la part de l’assemblée cantonale à ne pas se prononcer sur l’évaluation du canton, ce qu’elle était appelée à faire en vertu de la loi. Loin de blâmer le ministre qui a voulu forcer une semblable assemblée à se prononcer pour ne pas retarder la conclusion des opérations cadastrales, vous devez le louer d’avoir fait exécuter la loi en dépit d’une assemblée qui s’y refusait obstinément.

Il faut bien le reconnaître, la réclamation n’est justifiée par rien, puisque la députation elle-même a conclu au maintien des évaluations primitives.

Vous ne pouvez pas vous dissimuler que les opérations cadastrales ont éprouvé une grande opposition dans la province de Namur ; et quand on voit des propriétaires dégrevés du tiers ou de la moitié de leurs contributions par suite des opérations cadastrales, protester contre les résultats du cadastre, combien n’a-t-on pas dû rencontrer de difficultés dans les localités qui n’ont pas été aussi avantagées que les propriétés boisées ; car dans la province de Namur, si les propriétaires de bois ont été dégrevés, les propriétaires de terres cultivées et de prés ont dû subir une augmentation d’autant plus forte. Ceci explique suffisamment que les obstacles incessants qu’on a rencontrés sont dus aux préventions dont les opérations cadastrales étaient l’objet.

Quoi qu’il en soit, dans la province de Namur et à l’exception d’un seul canton, celui de Gembloux, les députations des états se sont trouvées d’accord avec les gouverneurs. Le canton de Gembloux, dont M. Fallon vous a lu la réclamation, demandait une diminution d’un dixième ; mais cette diminution n’a pas pu être admise, n’étant pas fondée. Dans le canton limitrophe, dans une autre province, dont les évaluations avaient été faites sur les mêmes bases que celles de Gembloux, elles avaient été admises par l’administration provinciale, et comme les évaluations de ces deux cantons se trouvaient en parfait rapport, on ne pouvait pas diminuer dans l’un quand l’autre les avaient trouvées justes.

Messieurs, il me reste encore un mot à dire sur une partie du discours de l’honorable M. Seron. Voici comment s’exprimait l’honorable député de Philippeville :

« Dans l’arrondissement de Philippeville, les évaluations des biens fonciers d’un même propriétaire ne sont point proportionnelles entre elles. Chaque jour, dans les déclarations de succession, on est forcé de s’en écarter pour être exact, de mettre même entièrement de côté la matrice cadastrale.

« Les mêmes inégalités existent de contribuable à contribuable, dans la comparaison des propriétés non bâties avec des propriétés de même nature ; elles sont plus frappantes dans la comparaison des propriétés non bâties avec les propriétés bâties. Celles-ci sont en général démesurément imposées. A Philippeville, par exemple, dont les habitants, de même que ceux des communes rurales, vivent principalement de l’agriculture, la contribution des maisons, portée au triple de ce qu’elle était avant la mise à exécution du cadastre, écrase tout le monde sans que personne puisse deviner la cause d’une pareille surcharge, car cette petite ville est loin de prospérer.

« La disproportion ne s’arrête pas là ; elle devait être, elle est réellement plus grande de commune à commune, elle augmente de canton à canton ; j’en ai acquis par moi-même la certitude en assistant comme délégué aux délibérations des assemblées cantonales.

« Considérées en elles-mêmes les estimations sont exagérées. Voici à cet égard, et pour ne pas abuser de vos moments, un fait entre mille que je pourrais citer ; je le crois concluant et décisif parce qu’il n’est pas relatif à telle parcelle de telle nature prise isolément ; il concerne une exploitation renfermant un grand nombre de pièces d’héritages de toute nature, des prés, des terres labourables de toutes les classes, des jardins et des vergers.

« La ferme du Traignaux, commune Ville en Deux-Eglises, était il y a vingt ans louée au prix de 1,600 francs par année ; le fermier ne pouvait y vivre quoique laborieux, économe et bon cultivateur ; le bail fut diminué de 100 francs et se trouvant encore trop élevé ; maintenant le montant en est réduit à 1,400 fr., déduction faite de l’entretien des bâtiments de la ferme, et c’est, je crois, tout ce qu’on peut raisonnablement en obtenir. Eh bien, messieurs, le revenu de cette propriété est porté dans les matrices cadastrales à plus de 2,100 francs, c’est-à-dire au revenu effectif augmenté d’une moitié en sus. »

Voilà littéralement les choses telles que l’honorable membre les a présentées.

Je rappellerai d’abord sur ce qui concerne les prétendues inégalités qui existent de contribuable à contribuable, que dans toutes les communes, non seulement les bulletins de classement ont été communiqués aux parties intéressées, mais le tableau du classement de toutes les parcelles a été déposé pendant un certain laps de temps au secrétariat de la commune, et les réclamations auxquelles ces classements ont donné lieu ont été instruites et jugées, en suivant toutes les formalités voulues par la loi.

Si on n’adopte pas dans les déclarations de succession les résultats cadastraux, ce n’est pas parce qu’ils sont trop élevés, c’est parce que dans ces déclarations on a égard à la situation particulière des propriétés et à leur valeur vénale, laquelle varie à l’infini sur la même nature de propriétés.

C’est ainsi, par exemple, que des champs situes près de Bruxelles, qui doivent être évalués de la même manière par le cadastre si elles donnent des produits semblables, ont cependant des valeurs vénales différentes ; une de ces propriétés peut être située au milieu des campagnes et l’autre, sur la grande route et plus à proximité de la capitale. Si on les vendait, l’une pourrait aller à un prix double, triple, du prix de l’autre ; dans les opérations cadastrales on n’a pas dû néanmoins s’occuper de la valeur vénale, il n’a fallu s’occuper que des produits de la terre, du revenu réel sans égard à toute autre considération.

La ferme de Traignaux citée par M. Seron est probablement celle qu’occupe le sieur Jeanson et qui appartient à madame veuve Decoux...

M. Seron. - Non ; ce n’est pas celle-là. La ferme de Traignaux est une propriété différente, qu’occupe aujourd’hui la veuve Higuet, née Delpire.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - J’ai pu me tromper !

M. Seron. - Au milieu de tant de documents on peut se méprendre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ayant recherché dans les archives, j’ai trouvé le même chiffre de 1,400 fr., cité par M. Seron pour une ferme dans la même commune, et j’ai cru que c’était le bail auquel l’honorable M. Seron avait fait allusion.

M. Seron. - C’est la ferme dite des Moines : le bail est de 1,200 francs.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le bail dont je voulais parler est du 8 mai 1819 ; le prix de fermage est de 1,400 fr., et il est passé pour neuf années. Ce rapprochement des dates, de chiffres et de la localité a pu m’induire en erreur. Je vérifierai.

Quoi qu’il en soit, l’honorable M. Seron vous a dit ensuite, dans son discours, que l’exagération dans les estimations avait plusieurs causes, dont l’une était assurément l’obstination des agents du cadastre à ne vouloir admettre que trois classes de terres labourables, dans un pays dont le sol est varié jusqu’à l’infini. Je dirai qu’en règle générale les agents du cadastre ont établi autant de classes que la variété du sol le réclamait. Si, pour répondre encore un mot en passant à M. Fallon, dans le canton de Namur-Nord, on n’a pas admis les cinq classes de terrain qu’on aurait désirées, c’est que dans ces localités il ne se présente pas toutes les variétés de terrains que l’on trouve ailleurs, où ce nombre de classes a été établi ; il est bon de remarquer que souvent la première classe des terres de la province de Namur ne revient, dans la plupart des communes, au plus qu’au taux de la deuxième ou de la troisième classe d’autres provinces.

Revenant à la remarque de l’honorable M. Seron, je dirai que dans le canton de Philippeville, qui comprend vingt-et-une communes, les agents du cadastre ont adopté quatre classes de terrains dans vingt communes ; une seule a été divisée en trois.

M. Seron. - C’est en comprenant les pâturages.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Les pâturages ont été l’objet d’une division à part, et dans le même canton de Philippeville, les pâtures-sart ont été divisées généralement en deux et même trois classes.

Des employés supérieurs du cadastre auraient, dit-on, avoué ingénument que de la manière dont l’administration opérait, plus un pays serait pauvre et plus il serait imposé. Si un semblable propos a été tenu, il n’est qu’une absurdité en le comparant au résultat du cadastre.

Voulez-vous être persuadé, jetez un coup d’œil sur ce qui se passe dans la province d’Anvers, par exemple, où il y a des terres de mauvaise et de bonne qualité. Avant le cadastre le canton d’Arendonck payait 17,15 de son revenu imposable : celui de Baecht payait 14,66 ; celui de Hoogstraeten 14,54 ; celui de Westerloo 14,21 ; celui d’Herenthals 13,66 ; celui de Moll 13,45 de son revenu imposable. Tous ces cantons sont dans le pays à bruyères de la Campine.

Voilà ce qui existait dans ces cantons avant les opérations cadastrales, et c’est par suite de ces opérations qu’ils ne paieront plus que 9,87, comme dans tous les autres cantons du pays. Sur quoi peut donc être fondée cette allégation que les cantons paieront en raison directe de leur pauvreté ? Les faits prouvent que les cantons qui contiennent les bruyères seront considérablement réduits, tandis que les cantons d’Anvers et de Malines, où il y a de bonnes terres, et qui avaient été ménagés, seront imposés comme ils doivent l’être, c’est-à-dire plus qu’il ne le sont maintenant.

L’honorable M. Seron, auquel je tiens spécialement à répondre, parce qu’il présente toujours ses observations avec clarté, avec précision, et qu’elles font impression sur les esprits dans cette assemblée, vous a dit :

« Si mes calculs sont exacts, si les tableaux ministériels ne m’ont pas induit en erreur, je vois que dans la province de Namur on va payer 6 fr. 01 c. par hectare de propriété cultivée de toute nature, et que dans la Flandre orientale, les propriétés cultivées ne paieront que 10 francs 48 centimes par hectare aussi de toute nature. »

Assurément, les calculs de M. Seron ne sont pas exacts, car la proportion qu’il établit de 6 à 10 est de beaucoup exagérée ; le tableau qui a été distribué dans la dernière séance et qui indique les prix moyens des différentes provinces, ne laisse aucun doute à cet égard.

D’après ce tableau, les terres labourables de la Flandre orientale sont évaluées à fr. 6319 par hectare. A Namur elles le sont à fr. 2924, le rapport est de 28 1.

Pour les prairies le rapport est différent : le taux moyen des évaluations dans la Flandre orientale est de fr. 103 81 ; dans la province de Namur, il est de fr. 42 51.

Pour les bois, dans la Flandre orientale ils sont évalués à fr. 33 84 l’hectare ; dans la province de Namur, ils sont portés à fr. 15 04.

Il y a donc nécessairement erreur dans les éléments qui ont servi de base aux calculs de l’honorable M. Seron.

M. Seron. - M. le ministre prétend que quatre classes ont été établies dans le canton de Philippeville ; j’ai la certitude que si cela a eu lieu, c’est dans des cas très rares, dans quelques communes peu importantes, comme, par exemple, celle de Sart-en-Fagne, et ce qu’il a dit ne détruit pas ce que j’ai allégué.

Quant à mes calculs, voici comment je les ai faits ; j’ai demandé au ministre si les tableaux qu’il nous avait présentés indiquaient bien la contenance des provinces.

Il m’a répondu : oui ; mais qu’il fallait en défalquer les pâturages, les bois communaux, les broussailles. D’après cela, j’ai fait une règle de proportion, j’ai dit : si dans la province de Namur 163,000 hectares paient neuf cents et des mille francs, combien paie un hectare ? J’ai trouvé 6 francs 1 centime.

J’ai fait ensuite la même opération pour la Flandre orientale, province que je considère comme la plus riche, et j’ai trouvé que l’hectare paierait dans la Flandre orientale 10 francs 58 c., et de là j’ai conclu que la proportionnalité n’était pas gardée ; car, dans la province de Namur, il n’y a que de fort mauvaises terres, excepté dans le canton de Gembloux et dans l’ancien canton d’Egezée, que l’on nomme maintenant, je crois, canton de Huy.

M. Desmanet de Biesme. - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, il est impossible que je laisse passer les paroles du ministre sans y répondre. Mon nom ayant été prononcé plusieurs fois, c’est un devoir pour moi de rompre le silence ; cependant la chose ne me touche pas personnellement, car il s’agit de mon père.

D’après ce qu’a dit le ministre, il semblerait que j’aurais tort d’élever aucune réclamation, parce que mon intérêt personnel serait loin d’être lésé. Messieurs, il ne s’agit pas ici d’intérêts privés : je comprends autrement ma mission, et il y a longtemps que j’aurais renoncé à mon mandat, si j’avais cru ne pas pouvoir penser à autre chose qu’à des intérêts privés.

Le fait dont nous a entretenus le ministre est facile à expliquer. Il est possible que mon père ait été dégrevé dans certaines localités ; mais depuis longtemps, tout en sentant que la péréquation cadastrale ne serait pas juste, on savait que certains cantons gagneraient par la péréquation, tandis que d’autres perdraient.

Quant aux bois, c’est un fait connu que leur dépréciation depuis plusieurs années. Les bois sont une marchandise, et n’ont de valeur que quand on les convertit en charbons, La forgerie au charbon de bois était tombée ; elle a repris activité momentanément, il est vrai, parce que les forgeries au coak ont eu trop d’occupation, mais cela ne durera pas constamment. Quoique les bois aient repris un peu de valeur, je dirai que ceux que je vendais 200 francs, je n’ai pu les vendre que 100 francs l’année dernière. J’en donnerai la preuve.

J’aurais beaucoup de choses à ajouter à ce qu’on a dit sur le canton de Gembloux ; mais comme les propriétés de mon père y sont situées, vous apprécierez mon silence à cet égard.

Quant au canton de Namur-Nord, j’appuierai les observations présentées par M. Fallon ; elles sont très justes. Dans une commune montagneuse où les terrains sont très variés, on aurait pu établir cinq classes. L’administration cadastrale ne l’a pas fait, et a prouvé sa mauvaise volonté, puisqu’elle a établi cinq classes dans une commune dont le terrain est uni et présente moins de variétés que dans la première.

Le ministre des finances, en rapportant les arrêtés du gouverneur, a cru renverser les observations de M. Fallon, parce qu’il est dit dans ces arrêtés que c’est à la législature à statuer sur le nombre des classes. Que le ministre des finances nous vante son impartialité, libre à lui ; cependant je trouve que dans toute cette affaire le gouvernement n’a pas été impartial. Il devait, en nous proposant de partager la surtaxe en trois années, ne pas nous présenter l’œuvre cadastrale comme une œuvre achevée ; y a t-il impartialité sur ce point ?...

M. le président. - Il n’y a rien de personnel là-dedans.

M. Duvivier. - J’étais en mesure de répondre à l’honorable M. Fallon en ce qui touche la sortie peu mesurée qu’il a faite dans notre dernière séance, contre une décision que j’ai prise en janvier 1834, au sujet des difficultés qui s’étaient élevées entre l’administration du cadastre et les opérations de l’assemblée cantonale de Namur-Nord : d’après les renseignements que vient de donner à cet égard M. le ministre des finances, j’ai une tâche plus facile et plus agréable à remplir, c’est de lui adresser mes remerciements sur la manière dont il vient de justifier ladite décision.

J’étais attaqué sur ce que les états de la province n’avaient pas été consultés, et vous avez vu, messieurs, par la lecture de l’arrêté de M. le gouverneur, que ce corps administratif de ladite province avait été entendu et que c’est de son avis que le travail de l’inspecteur a prévalu.

Vos moments sont trop précieux, messieurs, pour que je présente à l’assemblée d’autres observations. J’y reviendrai si je juge que cela soit nécessaire.

M. Fallon. - Ce que vient de dire M. le ministre des finances ne prouve qu’une chose, c’est qu’il n’a pas écouté la partie de mon discours relative au point dont il s’agit. Je n’ai pas fait de reproche au gouvernement de n’avoir pas consulté les administrations provinciales ; j’ai dit que ce n’était pas assez de les consulter, qu’il fallait encore leur laisser la décision des questions contentieuses, parce que cette décision ne pouvait appartenir à l’administration du cadastre.

L’arrêté qu’on a lu prouve qu’on a consulté l’administration provinciale pour Namur-Nord ; mais l’a-t-on consulté régulièrement ? La loi de 1817 dit positivement que quand un membre a assisté à une assemblée cantonale, il ne peut plus prendre part à l’administration provinciale ; or, dans l’administration provinciale il était nécessaire que plus d’une personne examinât les questions ; cependant une seule personne s’est trouvée composer toute la députation provinciale pour Namur ; et ce qui est arrivé dans cette contrée peut avoir lieu dans d’autres ; et voilà ce que j’appelle de grandes irrégularités.

Le ministre vient de présenter un tableau ; j’en demanderai l’impression.

M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, le tableau sera imprimé et distribué.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je suis surpris que l’on fasse tant de demandes pour parler sur des faits personnels, quand il n’y a rien de personnel dans le débat. Je crois que la chambre me rendra cette justice de croire que j’ai discuté, en ne faisant attention qu’aux choses, et non aux personnes. Je me suis efforcé, en effet, d’y mettre toute la modération possible, et je ne pense pas avoir été au-delà des bornes que les convenances et la raison posent en pareil cas.

Si, à mon insu, je m’étais écarté des voies de la modération, j’en aurais le plus grand regret, mon but est d’éclairer la discussion, en entrant dans des détails que, par ma position, je suis chargé de présenter à la chambre. Je prie tous les membres de l’assemblée de croire que je n’ai jamais eu la pensée d’incriminer les intentions de personne ; je présente les faits comme ils se sont passés, je réponds à des objections, et j’en soumets d’autres aux honorables membres dont je combats les opinions. Voilà tout.

Je suis étonné surtout que M. Desmanet de Biesme ait trouvé quelque chose de personnel dans la citation d’un nom que j’ai prononcé ; ce nom est, dit-il, celui de son père. Messieurs, en faisant cette citation, je ne vois pas que j’ai mis l’honorable membre, ainsi qu’il le prétend, dans une fausse position ; j’ai indiqué forcément à l’appui de mes assertions, le nom de celui qui possède une des plus grandes quantités de bonniers de bois dans la contrée dont j’ai parlé ; mais je n’ai pas voulu en faire un argument ad hominem ; ce qui le prouverait d’ailleurs, c’est que le tableau que je viens de déposer sur le bureau n’a pas été fait comme on pourrait le croire pour la discussion d’aujourd’hui, il a été dressé en avril 1834, c’est une pièce qui m’est tombée sous la main en faisant des recherches dans les archives cadastrales.

L’honorable M. Desmanet de Biesme se plaint encore de ce que le gouvernement n’a pas suivi, selon lui, une marche impartiale dans cette discussion, en voulant une loi définitive. Messieurs, le gouvernement a pu suivre en cette occasion une fausse voie, mais il n’a pu suivre une voie impartiale, il ne saurait être que dans l’erreur et rien de plus, car il est trop désintéressé dans la question pour qu’il en puisse être autrement.

Au surplus tout ce qu’on allègue ne saurait prouver qu’en recommençant les opérations cadastrales, on obtiendra des résultats différents de ceux que nous discutons en ce moment, et voilà pourquoi nous restons convaincus que la péréquation cadastrale doit être définitive ; en vous proposant de lui donner ce caractère, restez libre toutefois sur ce point de faire ce que votre sagesse vous suggérera.

Je dois aussi répondre à ce qu’a dit M. Fallon, relativement aux députations des états ; je le ferai très brièvement. L’honorable membre a prétendu que les députations des états devaient être juges de la question, et non être consultées seulement ; mais où aurait mené ce principe ? A ne jamais terminer les opérations cadastrales, car quelques-unes de ces administrations, sans sortir de leur mission, si elle avait été telle, auraient perpétuellement prétendu que les évaluations cadastrales étaient trop élevées, afin d’échapper par des délais à la péréquation générale ; en se renfermant dans leur mission purement provinciale, les administrations provinciales auraient pu, sans déloyauté, en agir ainsi.

Ces considérations vous démontrent qu’il a fallu l’intervention d’un centre d’action pour amener les opérations à leur fin.

Par suite de cette intervention, elles ont été amenées en effet à leur fin et d’une manière satisfaisante, car il n’y a qu’une seule divergence entre les administrations provinciales et les commissaires du gouvernement, celle que je vous ai citée.

Pour le canton de Gembloux, il n’y aurait eu, à en croire M. Fallon, qu’un seul individu qui aurait délibéré la députation des états. Je ne vois pas ce que prouverait ce fait contre l’exactitude des évaluations ; il prouverait seulement que, conformément à la loi, les autres membres qui avaient assisté à des assemblées cantonales, n’ont pas pris part à la délibération de l’administration provinciale, parce que, conformément à la loi, ils ont dû se récuser.

M. Jullien. - Messieurs, cette discussion doit vous prouver ce que probablement vous saviez déjà, savoir que rien n’est plus difficile à réparer qu’une longue injustice ; et la raison en est simple : c’est que ceux qui en profitent finissent par considérer comme un droit acquis les avantages qu’ils en retirent, et sont toujours disposés à considérer comme importunes, comme tracassières, et même souvent comme injustes, les plaintes de ceux qui en souffrent.

Je n’examinerai pas si la surtaxe, dont se plaignent les provinces qu’il s’agit de dégrever, remonte au temps des Espagnols, ou si elle appartient à des temps moins reculés. Quant à moi, il m’est démontré, par ce que je connais personnellement, que pour la Flandre occidentale, la plus grande partie de la surtaxe est due à des erreurs matérielles, commises dans les bureaux, où des administrateurs étrangers ont fait confusion de l’impôt à payer au souverain, avec l’impôt que la province se payait à elle-même. Cette cause de surtaxe, je l’ai déjà signalée en 1833, lorsqu’il s’est agi du dégrèvement partiel ; et l’honorable député d’Audenarde l’a reproduite dans un discours qu’il a prononcé à une des dernières séances.

Mais peu importe la cause de la surtaxe, si la surtaxe existe, si elle est légalement et depuis longtemps reconnue ; or, la surtaxe, dont se plaignent les provinces grevées, a été reconnue sous le gouvernement français, presqu’aussitôt que l’erreur a été commise. Vous avez vu par une loi de l’an X que le gouvernement a essayé de réparer cette injustice (imparfaitement sans doute, mais autant qu’il était en son pouvoir), au profit du département de la Lys seulement, par un faible dégrèvement sur sa contribution. Depuis, le gouvernement des Pays-Bas a reconnu cette surtaxe ; la question a été agitée devant les états généraux, et l’on n’attendait plus que la fin de l’opération cadastrale pour rendre justice aux provinces qui la réclamaient. S’il faut suivre cette série de reconnaissances je dirai que vous-mêmes avez reconnu la surtaxe, lorsqu’en 1833 vous avez accordé un dégrèvement de 5 p. c. aux provinces dont il s’agit.

Ainsi qu’on ne vienne pas dire, comme l’ont fait trois orateurs, que nous faisons une pétition de principe, que nous posons en fait ce qui est en question. Nous posons en fait la chose jugée, l’évidence de la chose jugée, et jugée par vous-mêmes ; car si vous avez accordé une réduction de 5 p. c. à ces provinces, c’est parce que vous avez reconnu la surtaxe qu’elles éprouvaient depuis si longtemps.

Mais puisque, pour réparer une injustice reconnue, on n’attendait que la fin de l’opération cadastrale, comment, puisque l’opération est maintenant terminée, tout autant du moins que cela est possible dans notre position politique, comment ce grand acte de justice, si longtemps promis, si longtemps attendu, souffre-t-il dans cette enceinte d’aussi grandes difficultés ? La raison qu’on en donne est celle-ci : il y a des erreurs, il y a beaucoup d’erreurs dans l’opération cadastrale.

Cependant, si l’on doit s’étonner, ce n’est pas de ce qu’il y a d’erreurs, et beaucoup d’erreurs, mais de ce qu’il n’y en a pas davantage. Car, lorsque vous voulez bien considérer que, depuis 40 ans, cette opération immense a été différentes fois commencée, abandonnée, reprise sous trois gouvernements successifs, dont chacun a essayé peut-être son système sur le mode d’exécution ; quand vous songez que les employés, l’administration, le gouvernement, se trouvaient en présence de l’apathie des uns, de l’intérêt personnel des autres, de la dissimulation des baux, parce que l’on craignait toujours qu’il n’y eût un piège tendu par le gouvernement ; lorsque vous faites attention qu’il y avait 5 millions de parcelles environ à cadastrer dans le royaume, vous devez être plutôt étonnés qu’il n’y ait pas plus d’erreurs qu’on en a signalé. Et après tout, ces erreurs ne sont pas à mes yeux suffisamment justifiées.

Un des orateurs qui s’est posé le plus ardent adversaire de l’administration cadastrale (matériel et personnel), c’est incontestablement l’honorable député de Waremme. Il nous a expliqué ses griefs, et nous a raconté notamment une conversation très intéressante entre lui, son fermier et le contrôleur du cadastre. (On commence à rire.)

Mais il s’est plaint avec amertume de l’espèce de perfidie des employés, en soutenant que ce contrôleur, au lieu de ventiler ses baux, avait ventilé la conversation du député de Waremme. (Les rires continuent et augmentent.)

Je ne sais si ce même contrôleur entend ventiler le discours de l’honorable orateur, mais je déclare que, s’il le fait, je le tiens d’avance pour un rude ventilateur. (Explosion d’hilarité. Interruption.)

Je ne me sers que des expressions employées par l’honorable membre ; il ne pourra pas m’en vouloir.

M. Eloy de Burdinne. - Bien au contraire ; je vous remercie.

M. Jullien. - La critique de l’honorable député de Waremme a porté principalement sur des opérations de 1826 à 1827. Mais on lui a fait l’observation de la part du gouvernement que ces opérations avaient été rectifiées en 1832 et 1833, de sorte que la plus grande partie de ses griefs se trouve détruite.

M. Eloy de Burdinne. - Je répondrai !

M. Jullien. - Oh ! je m’y attends bien. (On rit.)

L’orateur avait essayé de prouver à l’assemblée que bien loin que la province de Liége pût réclamer quelque chose à celle de la Flandre orientale, c’était au contraire la Flandre orientale qui devait réclamer à la province de Liége.

Là-dessus M. le ministre des affaites étrangères lui a fait observer qu’il ne se trompait que de 22 millions quant aux évaluations, et de 50 mille hectares quant à la superficie (hilarité). Et je crois que l’honorable M. Eloy de Burdinne a reconnu de suite son erreur (hilarité générale), de sorte que, sous ce rapport encore, les griefs allégués par l’honorable membre n’existent pas.

Il s’est plaint de l’exagération des baux, de l’exagération des évaluations. Je dois déclarer qu’à cet égard je partage entièrement l’opinion de l’honorable membre. Je pense que par un calcul, dont il est possible de se rendre compte, l’ancien gouvernement a voulu exagérer l’évaluation des revenus. Mais lorsqu’un est convaincu (et on doit l’être) que toutes les évaluations ont été faites d’après la même base, je demande quelle influence l’exagération des évaluations peut avoir exercée sur l’opération de la péréquation.

Adoptez une base haute, ou une base inférieure : dès que cette base est générale, dès qu’elle a été fixée, vous êtes certains d’arriver au même résultat. Vous obtenez, si vous voulez, des évaluations plus élevées quand la base est élevée ; mais, quant à la péréquation, le résultat est le même que la base soit 10 ou 20. C’est là une vérité élémentaire en mathématiques.

Je partage l’opinion que cette exagération des évaluations a eu lieu dans un but fiscal, c’est-à-dire pour favoriser une surcharge de l’impôt foncier, ou pour présenter l’impôt actuel comme dans un rapport extrêmement favorable avec le revenu.

Il est sensible que si on évalue mon revenu à 100 francs, tandis qu’en réalité il ne sera que de 60 francs, ma contribution, étant, je suppose, de 10 francs, sera, d’après cette évaluation forcée, en apparence du dixième du revenu ; tandis que, d’après le revenu réel, elle sera vraiment du sixième du revenu. C’est encore là une chose évidente pour tout le monde.

Je rappellerai à l’honorable orateur, avant les principaux griefs allégués contre la loi, qu’à une dernière séance il a déclaré ne pas avoir encore dit le fin mot. (On rit.) J’avoue que, quant à moi, je serais très curieux de connaître ce fin mot, parce qu’il est possible que dans ce mot repose la force de tous les arguments contre la loi. J’attendrai donc avec patience. (On rit de nouveau.)

On ne vous a montré que le mauvais côté du cadastre. Il était facile, sous ce rapport, de faire illusion sur beaucoup de points, qui appartiennent à cette législation ; mais on ne vous a pas fait voir les avantages que le cadastre a dès à présent produits et dont tout le pays est appelé à profiter. Ces avantages sont considérables. D’abord vous devez à l’opération cadastrale la découverte d’une multitude de parcelles de terrains, notamment dans le Brabant, qui jusqu’ici n’avaient pas payé d’impôt et qui par les soins et les recherches de l’administration du cadastre sont devenus matière imposable.

Vous devez à l’opération cadastrale la cessation d’inégalités plus que choquantes ; car il a été démontré qu’avant cette opération certaines communes payaient 25 p. c. du revenu, tandis que d’autres payaient de 3 à 6 ou 7 p. c.

Le cadastre a démontré que dans la ligne de séparation des différentes provinces, notamment le Hainaut et la Flandre occidentale, il y avait telle propriété composée de terrains de la même nature et de la même valeur, exploitée par le même fermier et située en partie dans une province, en partie dans une autre ; que la partie située dans le Hainaut payait d’impôt 5 p. c. du revenu, tandis que la partie située dans la province voisine payait 10 p. c.

Ce sont là des faits qui parlent, et qui démontrent combien était urgente l’opération cadastrale si longtemps sollicitée et contre laquelle on s’élève, parce qu’elle tend à égaliser la contribution, et à retirer à ceux qui en jouissent depuis 40 ans, un avantage qu’ils ont au préjudice de ceux qui paient ce qu’ils ne devraient pas payer.

On vous a parlé de provisoire et de provision ; on vous a engagés à ne faire qu’une loi provisoire, à accorder une provision à ceux qui réclament. Mais je le demande, ne sommes-nous pas déjà assez enfoncés dans le provisoire, sans introduire encore ce provisoire dans nos lois ; et dans quelle loi encore ? Dans celle qui tient le plus à la fortune publique et privée. Tout est provisoire chez nous, au-dehors comme au-dedans. Etat politique provisoire ! Traités provisoires ! Mais songez que rien n’est plus malheureux que cet état. C’est là ce qui introduit le malaise dans tout.

Les meilleures choses, quand elles sont provisoires, ne valent rien. C’est précisément parce que ce sont de bonnes choses, qu’à chaque instant on craint de les perdre. Dans le provisoire il n’y a pas d’avenir, il n’y a pas de lendemain.

Vous connaissez l’histoire de Damoclès ; il était sur un trône, assis à une table splendide ; mais l’inquiétude rongeait son cœur. Pourquoi ?... parce que le malheureux était dans le provisoire. (Hilarité générale et prolongée.)

On a demandé la révision de l’opération cadastrale. Comment, en effet, tiendrait-on pour définitives des opérations contre lesquelles on pourrait réclamer et discourir pendant huit jours, et plus si l’on voulait ? Les adversaires de la loi demandent cette révision. Mais nous aussi nous la demandons. Toute la différence qui existe entre les adversaires du projet et nous, c’est que nous voulons une révision sérieuse, efficace, tandis que les adversaires du projet demandent la révision par des moyens qui ne peuvent la procurer.

Les adversaires du projet demande la révision, soit par les nouveaux conseils provinciaux, soit par une commission de la chambre, appelée à juger les opérations.

Quant au premier moyen, celui du renvoi aux conseils provinciaux, j’aurai l’honneur de faire observer que ces conseils sont dans les cartons du sénat depuis deux ans ; et Dieu sait quand ils en sortiront ! Ainsi, demander la révision par ce mode, c’est la renvoyer à un temps que nous ne pouvons calculer.

Mais en supposant que ces conseils fussent actuellement institués et investis, chacun dans sa province, des droits et des attributions conférés par la nouvelle loi aux nouveaux conseils provinciaux, je le dis avec plusieurs honorables membres et notamment avec M. le ministre des finances, toutes les fois que vous renverrez de telles manières à l’examen des conseils provinciaux, vous vous trouverez en présence d’intérêts de localité et, même d’intérêts personnels. Ceux qui ont joui du dégrèvement voudront le conserver, et ceux que la nouvelle loi accorde un dégrèvement voudront l’obtenir. Ainsi, au lieu de l’union que vous voulez, vous n’aurez que des divisions.

On a parlé d’une commission de la chambre. La chambre est assurément bien moins impropre à faire cette révision, que ne le seraient les conseils provinciaux, parce que là au moins tous les intérêts du pays sont représentés ; on peut se parler, s’éclairer, fondre l’une avec l’autre des opinions auparavant contraire. Mais n’attendez rien non plus d’une commission de la chambre, parce que de quelque manière qu’elle soit composée, vous y trouverez encore l’intérêt provincial.

Je vais vous citer un exemple qui vous prouvera ce qu’en matière d’une telle importance, on peut attendre d’une commission. En 1833, la chambre a nommé une commission chargée de l’examen des opérations cadastrales ; j’avais l’honneur d’en faire partie, et ce que j’en dis, ce n’est pas pour m’en vanter. (On rit.) Car il est de fait que depuis 1835 cette commission n’a rien fait, absolument rien.

Les commissions, dans les assemblées délibérantes, peuvent très bien discuter sur des projets si simples qui ne demandent pas un grand travail. Mais n’attendez jamais d’une commission un travail de longue haleine, et surtout un travail tel que celui à faire sur les opérations cadastrales.

Quant à moi, mon opinion est faite sur ceux qui sont le plus à même de réviser ces opérations ; ce sont ceux qui n’y sont pas intéressés. Une administration, un gouvernement désintéressés dans la question jugent infiniment mieux les opérations cadastrales que ceux qui y ont un intérêt direct.

Je crois donc avoir démontré assez clairement que les moyens présentés par les adversaires de la loi pour la révision des opérations cadastrales ne peuvent être employés.

Quel mode de révision employer ? Mais la révision est dans la loi ; l’opération cadastrale est, de sa nature, essentiellement temporaire. La variation des revenus d’une année à l’autre nécessite une révision des opérations. Ainsi, voilà que la Belgique semble devoir se couvrir de chemins de fer. Le résultat immédiat de ces communications nouvelles sera de doubler, de tripler, de quadrupler la valeur des terrains qui les avoisinent. Il faudra bien changer l’évaluation donnée à ces terrains. La révision est donc dans la nature de l’opération cadastrale. Cette révision, la section centrale en a fixé le terme dans les 10 ans, c’est-à-dire que la révision devra avoir lieu, non pas au bout de 10 ans, mais dans le terme de 10 ans, aussitôt qu’il y aura les éléments nécessaires pour une révision, ou que le besoin d’une révision se fera sentir, soit dans 4 ou 5 ans, mais au moins au bout d’un terme tel que la révision puisse être efficace.

On redoute la mise à exécution de la loi et l’espèce de secousse qui va, dit-on, en résulter. Mais vous avez déjà remarqué que pour quelques provinces la différence sera presque imperceptible, notamment dans le Brabant, où on a découvert beaucoup de parcelles non imposées qui absorberont la presque totalité de la surtaxe.

Dans les autres provinces, il y a telles communes qui, malgré la charge imposée à la province, se trouveront payer moins, parce que tel est le résultat du cadastre.

Si l’on ne veut pas que cette secousse ait lieu, il faut renoncer à la péréquation cadastrale. Pourquoi le cadastre a-t-il été mis à exécution ? c’était pour faire un appel à l’égalité proportionnelle. Il faudra toujours, en définitive, que vous ôtiez à l’un pour donner à l’autre. Sinon, n’appliquez pas le résultat des opérations du cadastre ; car il n’y a pas moyen d’atteindre un autre but que celui-là.

D’ailleurs, je ferai une observation à M. le ministre des finances, qui avait présenté la considération de la secousse que produirait la péréquation cadastrale, comme militant en faveur de la disposition par laquelle le dégrèvement est réparti en trois années.

L’on n’a pas craint la mesure lorsque l’on a mis à exécution la péréquation par canton, lorsque la contribution foncière de Bruges a été augmentée de 81 p. c., et celle du canton d’au-delà de 100 p. c., comme il résulte du discours de l’honorable député de cette ville. Pour faire supporter aux habitants cette surcharge énorme, on leur a fait espérer que tout au moins ils trouveraient un adoucissement à leur position dans la péréquation cadastrale définitive.

Voici que l’on met aujourd’hui en question la péréquation générale. Ainsi, les localités qui ont subi une augmentation de 80 pour cent dans l’impôt foncier seraient exposées à payer la surcharge qu’elles supportent depuis plus de 40 ans.

J’avais pris note de beaucoup de réfutations relatives à ce qui a été dit par l’honorable M. Fallon. Mais j’ai remarqué que M. le ministre des finances y a déjà répondu d’une manière, suivant moi, très satisfaisante.

En résumé, dans tout ce qu’a dit l’honorable député, en attaquant les opérations cadastrales, il ne les a combattues que sous le rapport de la compétence. Il a prétendu, par exemple, que le gouverneur n’avait pas remplacé le préfet ; que ne l’ayant pas remplacé ses jugements en matière de cadastre étaient illégaux. L’on a fait observer que sous le royaume des Pays-Bas, le gouverneur était investi du pouvoir de juger ces sortes de contestations. Quant à la question de savoir si le gouverneur actuellement pourrait être assimilé au préfet, la solution négative en pourrait être dangereuse.

Elle ne tiendrait à rien moins qu’à annuler toutes les décisions des gouverneurs et à créer autant de procès dans les provinces qu’il y a eu de jugements rendus, pour décider si ces fonctionnaires étaient absolument compétents. Voilà où vous conduiraient toutes ces récriminations. Le canton de Namur-Nord a éprouvé, vous dit-on, les suites de cette illégalité. Quand quelques cantons auraient eu à se plaindre des décisions des gouverneurs, ils ont fait des oppositions, et les jugements n’ont pas été rendus sans que l’on ait entendu les parties. Que signifient donc ces grands griefs dont on vient se plaindre, quand on vient vous dire que les actes des gouverneurs étant illégaux, ceux de l’administration générale elle-même se trouvent entachés de nullité !

L’on a fait un appel à l’union. Personne mieux que moi n’est en état de répondre à cet appel. Si je croyais qu’en votant la loi soumise à vos délibérations, je pourrais faire à l’une ou l’autre des quatre provinces sur lesquelles tombera une partie de la surcharge, le dixième du mal que les provinces grevées ont essuyé depuis quarante ans, je vous déclare que je voterais contre la loi, si j’en avais, je ne dis pas la conviction, mais même la persuasion. Mais je suis dans une position contraire ; je ne crois pas à tout ce que l’on a argumenté contre le cadastre. Je ne reconnais pas la multitude d’erreurs que l’on signale dans les opérations de cette administration pour combattre la loi.

Dans cette position, je voterai soit pour l’amendement de la section centrale, soit pour la loi telle qu’elle a été présentée par le gouvernement.

M. Dubus. - Messieurs, député de la province dont les intérêts sont le plus gravement compromis par la loi en discussion, je devrais peut-être m’abstenir de prendre la parole, si je devais attacher quelque importance à des insinuations consignées soit dans le rapport de la section centrale, soit dans plusieurs discours prononcés en faveur de la loi : à en croire une partie de l’assemblée, un député ne peut être impartial dans la question qui nous occupe. S’il en est ainsi, pourquoi la loi nous est-elle présentée ? Si nous ne sommes pas les hommes convenables pour juger en conscience, que le gouvernement prenne sur lui de trancher la question, de la trancher seul sous sa responsabilité. Si c’est nous qui devons juger, l’on doit reconnaître que nous avons le courage de juger en conscience et conformément au droit, l’on doit croire que nous ferons notre devoir en bons et loyaux députés.

Mais il y a déjà chose jugée, vous dit-on. Si cela est, comme M. le ministre des finances le prétend, le gouvernement est d’autant plus à l’aise. Je ne sais pas ce qu’il vient encore demander. Il peut prononcer sans même engager sa responsabilité, puisqu’il y déjà jugement. Il veut cependant que vous prononciez, et c’est pour que vous le fassiez sans aucun examen qu’il vous dit que la cause est déjà jugée.

Il y a chose jugée, dit l’honorable membre qui a parlé immédiatement avant moi, puisque vous avez reconnu que trois provinces étaient surtaxées. Vous l’avez reconnu en leur accordant un dégrèvement partiel. Or, Voilà à quoi revient le raisonnement de l’honorable membre. Vous leur avez accordé un dégrèvement de 5 p. c. ; vous avez implicitement jugé par là que telle province doit encore obtenir un dégrèvement de 18 p. c., telle autre de 24 à 25 p. c. en sus des 5 p. c. déjà accordés. Il suffit de présenter dans sa plus simple expression cet argument échappé à l’honorable préopinant pour que vous en fassiez justice.

On a reconnu qu’il y avait surtaxe pour trois provinces, vous dit-on. Sans doute, et on le reconnaît encore. Pas un seul des membres qui ont pris la parole contre la loi n’a méconnu ce fait. Mais, parce que l’on reconnaît qu’il y a eu surtaxe pour trois provinces, est-il permis d’en conclure que l’on reconnaît également qu’il y a lieu à voter la loi telle qu’elle nous a été présentée ?

Vous le voyez, on déplace continuellement la question, et il est très vrai que le système des défenseurs de la loi repose sur une pétition de principes continuelle. Il s’arrête à la question de savoir s’il y a surcharge et ils n’examinent pas de combien est cette surcharge. Ils argumentent comme s’il était démontré que cette surcharge s’élève au chiffre qui serait le résultat du travail présenté en conséquence des opérations cadastrales.

Sur ce point, il m’est impossible de me trouver d’accord avec le gouvernement ni avec les honorables membres qui défendent le projet ; je ne veux pas dire pour cela que mon opinion est formée sur tous les points que présente cette immense question. Mais j’ai la conviction morale que le résultat du projet ne sera pas de consacrer une légère erreur, mais de consacrer une énorme injustice. Le résultat, messieurs, sera d’élever, et je le dis par comparaison de province à province, le revenu imposable de telle province du royaume, du Hainaut, par exemple, à quelques millions au-delà de ce qu’il devrait être, et non pas à quelques cent mille francs comme on vous dit. Je vous ferai en quelque sorte toucher du doigt l’erreur.

Les assertions du député qui se trouve, en défendant son opinion personnelle et consciencieuse, défendre en même temps les intérêts de sa province, sont, paraît-il, suspectes de partialité aux yeux de plusieurs.

Je m’attacherai à appuyer mes calculs, non sur des assertions qui me seraient personnelles ou qui viendraient de personnes frappées de cette sorte de suspicion, mais sur les assertions de mes honorables adversaires. Lorsque j’opposerai aux députés des Flandres les assertions des députés des Flandres, ils voudront bien ajouter foi aux autorités dont j’appuierai mes raisonnements. Leurs propres assertions ne leur seront pas suspectes dans une question qui touche l’intérêt de leurs provinces, où je leur opposerai les arguments mis en avant par eux- mêmes,

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les débats s’élèvent sur les opérations cadastrales, et il est fort étonnant que ceux qui les trouvent aujourd’hui si admirables dans toutes leurs parties soient précisément ceux qui les trouvaient naguère mauvaises à peu près dans toutes leurs parties. Qu’est-il donc arrivé depuis lors ? Ces honorables membres ont-ils vérifié de nouveau les opérations ? Non, ils ont connu le résultat final qu’ils ne connaissaient pas alors et ce résultat final présente un avantage qui double, triple pour telle province, ce à quoi elles avaient lieu de s’attendre d’après les travaux antérieurs. Voilà ce qui tout à coup de détestable qu’on le trouvait a rendu ce travail admirable, inattaquable aux yeux de ces honorables membres.

On nous a reproché, à nous représentants du Hainaut, d’être dominés par un esprit de localité. Je demanderai à quel esprit on doit attribuer ce subit changement de conviction de la part des honorables députés des Flandres.

Des l’année 1823, dans la session extraordinaire dans la session d’été, on s’est occupé dans la chambre des opérations cadastrales. La discussion a été en quelque sorte provoquée par une pétition qui venait, je crois, d’une des provinces des Flandres. Un propriétaire s’est plaint à la chambre de ce que les opérations cadastrales se faisaient sans que les propriétaires fussent a même de faire leurs réclamations. Le pétitionnaire disait que la loi prescrivait à l’administration du cadastre d’opérer contradictoirement avec les propriétaires, et que pour exécuter cette disposition les règlements avaient prescrit de donner connaissance aux propriétaires, non seulement du résultat de l’arpentage de sa propriété, mais encore de son classement et du classement de toutes les propriétés de la commune et ensuite de l’évaluation de toutes les classes.

Sans cela il était impossible à un propriétaire d’apprécier une opération cadastrale. Car il ne faut pas seulement que l’arpentage soit exact, mais il faut encore que l’évaluation soit en rapport avec celle des autres propriétés. Comme le cadastre a pour but de déterminer l’assiette de l’impôt proportionnellement à la valeur de la propriété, il faut considérer l’évaluation de la propriété et son rapport avec les évaluations données aux autres propriétés. C’est donc une mesure sage que d’avoir prescrit de donner toutes ces indications aux propriétaires.

Cette pétition portait que depuis dix ans que l’administrateur Gueric avait tout bouleversé et substitué son système arbitraire au système de la loi, cette disposition ne s’exécutait plus ; qu’on se bornait à envoyer au propriétaire le travail de l’arpentage ; mais que quant à l’évaluation et au tarif de classement, on ne lui en disait rien.

Il est vrai qu’on déposait à l’administration communale un volumineux paquet de pièces et de tableaux de toutes espèces où il est loisible à chacun de rechercher les renseignements qu’il peut désirer. Mais on faisait remarquer d’une part que beaucoup de propriétaires sont étrangers aux communes où ils ont leurs propriétés ; et qu’ils ne feront pas 10, 20, 30, ou quelquefois 50 lieues pour s’assurer si l’évaluation donnée à leurs propriétés est en rapport avec celles données aux autres propriétés des mêmes communes. Souvent même ces propriétaires ne reçoivent le bulletin annonçant l’exposition de ce travail, que quand le délai pour en prendre communication est expiré. Il y a plus, c’est que peu de propriétaires sont propres à faire des recherches semblables. C’est si vrai, que si on demandait combien de propriétaires sont venus prendre connaissance du travail déposé, il se trouverait qu’il n’en est pas venu un sur cent.

C’était donc sagement qu’on avait ordonné de fournir ces indications aux propriétaires. Eh bien, c’est sur cette réclamation, dont la chambre ordonna le renvoi au ministre des finances, que le gouvernement ordonna la remise en vigueur de cette disposition, qui mal à propos et par une espèce d’abus avait cessé d’être exécutée depuis dix ans.

C’est dans une séance du commencement du mois d’octobre 1833, je pense, qu’un député de la Flandre orientale a rappelé l’attention de la chambre sur cette pétition, comme existant encore. L’administrateur du cadastre a répondu : La mesure a été remise en vigueur pour satisfaire tout le monde.

Cela a pu satisfaire, en effet, ceux à l’égard desquels les opérations cadastrales n’étaient pas consommées, mais ceux à l’égard desquels ces opérations avaient été consommées pendant les dix années durant lesquelles la mesure n’était pas exécutée, ceux-là n’ont pas été mis à même de réclamer. Cependant, par une des inconséquences les plus admirables, l’administrateur disait : les opérations sont bonnes parce qu’il n’y a que peu de réclamations de la part des propriétaires.

Ce n’est pas étonnant, on ne leur donnait aucun renseignement qui les mît à même de réclamer, on ne leur faisait pas connaître les évaluations données à leurs propriétés, et on argumentait en faveur des opérations de ce qu’il n’y avait pas de réclamations.

Dans cette même session de 1833, où déjà un honorable député des Flandres avait rappelé le grief dont je viens de parler, on a adopté la mesure proposée par la section centrale du budget, de nommer une commission pour constater la situation des opérations cadastrales. Le but principal de la nomination de cette commission était d’examiner s’il y avait lieu de payer aux fonctionnaires et employés du cadastre l’énorme indemnité à laquelle ils prétendaient avoir droit, en vertu du changement apporté par l’administrateur Gueric aux règlements antérieurs à son administration. Les députés des Flandres ont particulièrement insisté pour que cette commission fût créée. Ils ont même dit que si on ne nommait pas cette commission, ils auraient beaucoup à dire sur le cadastre et que la discussion serait longue.

La commission fut nommée et elle fit son rapport à la session suivante. Avant de vous parler de ce rapport, je dois dire que dans cette même session de 1833, une discussion a été aussi soulevée au sénat sur le cadastre. Et ce sont précisément des honorables sénateurs de la Flandre orientale qui ont attaqué les opérations du cadastre ; ce sont eux qui ont dit que les évaluations étaient exagérées au-delà de toute mesure, tantôt de 30, tantôt de 50 et quelquefois jusqu’à 100 p. c. ; que les évaluations étaient exagérées au point de provoquer un cri général d’improbation et de juste mécontentement, et qu’il y avait nécessité de les réviser : « Car il est connu, disait un honorable sénateur des Flandres, que les travaux du cadastre, soit par impéritie, soit par négligence, fourmillent d’inexactitudes. »

Un autre sénateur, appartenant aussi à la Flandre orientale, se plaignait de ce que les employés du cadastre travaillaient toujours à la hausse et de ce que tous les moyens prescrits par la loi pour faire redresser les erreurs et notamment les assemblées cantonales étaient rendus illusoires et n’amenaient aucun résultat.

L’administration du cadastre s’est bornée à répondre que l’on opérait sur de nouvelles bases, mais que comme on se servait de ces mêmes bases nouvelles pour tout le pays, cela n’influerait pas sur le résultat. Nous verrons tout à l’heure si le résultat n’en a pas été faussé.

Un troisième sénateur, appartenant à la province du Limbourg, a déclaré que toutes les évaluations qui lui étalent connues dans différentes provinces, excédaient le produit net d’un tiers à la moitié.

Nous pourrions donc juger l’opération cadastrale en invoquant l’opinion des honorables sénateurs envoyés au sénat par la Flandre orientale. Je ne crois pas qu’on récuserait leur témoignage comme suspects dans la question actuelle.

Mais poursuivons et voyons ce qui s’est fait à la session de 1834. A l’ouverture, la commission présenta son rapport. Elle s’était bornée à examiner la question de savoir si les indemnités réclamées par les fonctionnaires et employés du cadastre leur étaient dues.

Ce rapport a donné lieu à des discussions pendant plusieurs séances de la chambre ; dans ces débats, ce sont précisément les honorables députés appartenant à la Flandre orientale, des députés de Gand, d’Alost, qui ont articulé formellement une série de griefs contre les opérations cadastrales ; c’est un député de Gand qui a demandé un rapport spécial de la commission sur la légalité des opérations cadastrales. A cette époque parvint à la chambre une pétition relative au cadastre, c’était celle des délégués à l’assemblée cantonale de Namur-Nord ; elle avait été renvoyée, pour avoir un avis, à la commission du cadastre, déjà chargée ainsi d’examiner la légalité des opérations de ce même cadastre, au moins en ce qui concerne la question soulevée par cette pétition.

Indépendamment de ce grief que l’honorable M. Fallon vous a développé, les Flandres en ont articulé cinq autres : elles disaient qu’on avait bouleversé tout le système établi par le gouvernement français et qui avait été suivi jusque vers 1820 ou 1825 ; que l’on avait substitué arbitrairement de nouvelles bases aux anciennes ; que l’on avait ainsi enlevé aux propriétaires dont les biens avaient été antérieurement arpentés et estimés le droit qu’ils avaient acquis de ne subir aucune augmentation de contributions pour les améliorations qu’ils pourraient faire à leurs propriétés, améliorations que la loi les conviait, en quelque sorte, à faire car, d’après cette loi, il ne pouvait y avoir d’augmentation de contributions que par suite d’une révision, dans un temps fort éloigné.

Ils disaient encore que les évaluations étaient, en général, beaucoup trop élevées, et ne répondaient pas au vœu de la législation sur la matière. Ils faisaient remarquer qu’il y avait des plaintes multipliées sur l’exécution des opérations, et que notamment on s’était abstenu pendant dix ans de mettre les propriétaires à même de juger les résultats concernant leurs propriétés, et de former des réclamations, s’ils avaient à en former, puisqu’on ne leur communiquaient pas le tarif, c’est-à-dire les évaluations et les classifications établies dans la commune.

Ils disaient en outre que le système de classement était vicieux, irrégulier, injuste ; qu’arbitrairement on établissait cinq classes dans une commune et trois classes dans une autre, quoique celle-ci présentât autant de degrés de fertilité que la première.

Ils disaient enfin que depuis le changement de système par M. Guericke, on avait fait exécuter les opérations cadastrales par des employés dont un bon nombre étaient incapables ; qu’en effet, obligé d’en augmenter le nombre outre mesure, M. Guericke s’était servi d’apprentis, qui, pour me servir des expressions mêmes du député de Gand, avaient fait leur apprentissage aux dépens de la partie la plus importante de l’opération.

Après une discussion assez longue, ces griefs furent renvoyés à l’examen de la commission à laquelle on avait soumis la question soulevée par la pétition de Namur ; et à cet effet, il fut décidé que la commission serait augmentée de six membres. Toutes ces questions furent ainsi jointes à celles dont cette commission était déjà saisie, relativement aux indemnités des employés.

La chambre n’a pas voulu que l’on pût payer, pour les parties cadastrées, les indemnités réclamées par les employés du cadastre, avant que le rapport de la commission ne nous eût éclairés sur la légalité des opérations cadastrales. Il s’agissait de deux ou trois cent mille francs, et la chambre n’a pas consenti à ce que le trésor fût mis à découvert de cette somme tant que la légalité des opérations serait l’objet d’un débat.

Un député avait fait observer cependant que s’il y avait une question de légalité à décider, il y avait aussi à examiner une question de bonne foi, et que nonobstant l’irrégularité qui pourrait être reconnue, il pouvait y avoir lieu à faite payer aux employés qui avaient dû obéir aux ordres de leurs supérieurs, des frais faits en conséquence de ces ordres ; toutefois, à l’instant de la demande des députés des Flandres, on suspendit le paiement.

Ainsi, en présence de la question de bonne foi qui pouvait être résolue en faveur des employés, le doute sur la solution de la question de légalité suffit pour déterminer les députés des Flandres à suspendre le paiement ; et quand il s’agit de faire payer à la province du Hainaut 800,000 fr, la régularité des opérations n’a plus d’importance ; et pourquoi la question de légalité n’a-t-elle plus d’importance ? C’est que ces 800,000 fr. doivent profiter aux Flandres ! Voilà ce qui paraît effacer la question de légalité, et faire que, aux yeux de plusieurs, il n’y ait plus de question.

Si je devais prendre à la lettre les assertions des honorables députés des Flandres, je dirais aussi : la question est jugée ; ils ont déclaré eux-mêmes les opérations illégales et nulles. Mais je suis loin d’aller jusque-là. Je dis seulement qu’il y a lieu à examen ; que la question est à juger ; et c’est parce que la question est à juger qu’il ne faut pas prononcer une condamnation définitive. Toutefois, je suis prêt à consentir à une provision : comme je crois, d’après tous les documents dont je suis entouré, à l’existence d’une surcharge égale au tiers de la somme portée dans le projet de loi, je crois pouvoir accorder cette provision pour l’exercice 1836 sans attendre le jugement de la question de légalité, ainsi que cela a été proposé par plusieurs honorables membres.

Il est étonnant qu’une proposition aussi conciliante faite par les députés des provinces qui seront accablées, ait été repoussée, et l’ait été toujours avec le même argument, c’est-à-dire toujours avec la même assertion : Nos provinces sont surtaxées depuis 36 ans, depuis 40 ans. On a été même jusqu’à dire depuis le règne de Louis XIV. (On rit.)

Le cadastre a excité des débats autant de fois qu’il en a été question : l’année dernière de nouvelles discussions se sont élevées sur la péréquation cadastrale ; elles avaient été provoquées par les résultats de la péréquation partielle exécutée dans plusieurs provinces.

Dans la province de la Flandre orientale on avait fait, je crois, la péréquation entre les communes et point entre les cantons : eh bien ! cette simple mesure a fait éclater une tempête de réclamations et de cris d’indignation : j’emploie ces expressions à dessein et pour répondre à l’honorable orateur que vous venez d’entendre. D’après lui cette péréquation partielle n’aurait occasionné que peu de réclamations, tandis qu’elle a excité les plaintes les plus vives et les débats les plus orageux ; un député d’Anvers parlait même de mettre le ministère en accusation ; un député de Roulers disait que cette péréquation occasionnait un mécontentement général, qu’il fallait faire cesser ce murmure de réprobation et ordonner le redressement de cette mesure. Il est évident, disait-il encore, que l’administration a commis de déplorables erreurs.

Un député d’Anvers dit que depuis la révolution il n’y a pas eu d’événement qui ait suscité autant de mécontentements, qui ait fait autant jeter les hauts cris.

Vous entendîtes un honorable député d’Audenaerde dire qu’au lieu de faire disparaître les inégalités de répartition, dans la province, on n’avait fait que les augmenter.

Je vous prie de faire attention à ces paroles de l’honorable député d’Audenaerde, qui d’ordinaire réfléchit bien avant de parler.

On avait établi la péréquation entre les communes d’un même canton. J’admets si l’on veut que ce travail ait laissé subsister les inégalités de canton à canton. Mais il est évident que la surcharge qui pesait sur un canton devait, si le cadastre était bien fait, devenir moins sensible, puisqu’elle était partagée proportionnellement entre toutes les communes et tous les propriétaires de ce canton. Tel a dû être le résultat de la péréquation cantonale, si les opérations cadastrales, sous le rapport de l’évaluation, ont été bien faites : il fait qu’elles aient été bien mal faites puisque la péréquation a rendu les inégalités plus choquantes. Mas si elles ont été mal faites, comment ceux qui s’en plaignaient veulent-ils à présent les faire servir de base à une péréquation définitive ?

Malgré tout cela, je ne veux pas dire que l’opération cadastrale est jugée ; mais nous voulons au moins qu’elle soit examinée, que l’on vérifie si elle a été légale ou illégale, si les griefs articulés sont ou non fondés, afin que s’il y a eu par le passé dans la répartition de graves et déplorables erreurs, on n’y substitue pas à l’avenir des erreurs encore plus graves, encore plus déplorables.

On a dit que les travaux du cadastre avaient été exécutés selon plusieurs modes. En effet, de 1818 à 1826, on a changé les bases qui avaient servi pour le commencement des opérations ; mais on a refait en même temps tout le travail sous le prétexte d’appliquer les mêmes bases d’évaluation à toutes les propriétés : d’où on tire la conséquence qu’il n’y a pas eu de changement dans les résultats.

Examinons s’il y a lieu de croire en effet que l’évaluation a été faite partout dans les mêmes proportions.

Nous avons sous les yeux un travail sur le résultat des opérations cadastrales jusqu’à l’année 1818. Il avait été nommé alors une commission d’Etat, dans laquelle deux habitants de la Flandre, si je ne me trompe, et un du Brabant, représentaient la Belgique, et trois Hollandais représentaient la Hollande. Cette commission a établi d’après les travaux faits jusqu’alors (en procédant du connu à l’inconnu, mais naturellement sur les bases existant alors), a établi, dis-je, les revenus imposables des différentes provinces et la somme dont les unes devaient être grevées, les autres dégrevées, pour rétablir l’égalité proportionnelle. Comparons donc les évaluations d’alors avec celles d’aujourd’hui. Voici les chiffres.

La province d’Anvers avait, selon le travail de 1818, un revenu imposable de fr. 10,820,798

Elle a, d’après le travail de 1835, un revenu de fr. 13,345,286

Augmentation, fr. 2,524,488, c’est-à-dire augmentation de 23 et un tiers p. c.

Le Brabant avait, d’après le travail de 1818, un revenu imposable de fr. 17,640,354

Cette province a, d’après le travail de 1835, un revenu imposable de fr. 28,033,635

Augmentation, fr. 10,443,279, c’est-à-dire augmentation de 59 et un cinquième p. c.

On me dira que pour la province de Brabant il y a des causes connues d’augmentation ; que Bruxelles avait pendant longtemps cessé d’être la capitale d’un Etat ; cette ville végétait sous l’empire français, elle a pris depuis un accroissement étonnant ; les valeurs locatives ont considérablement augmenté. Des villes nouvelles se sont élevées à l’entour de la capitale. On a dit en outre que l’on avait découvert dans cette province un grand nombre de parcelles non imposées.

Il faut qu’il y en ait beaucoup en effet pour qu’on arrive à une dizaine de millions et demi, et il y aurait peut-être lieu de rechercher si les causes signalées peuvent justifier un accroissement aussi énorme du revenu imposable : mais comment expliquera-t-on tout à l’heure pour la province du Hainaut !

La Flandre occidentale avait, d’après le travail de 1818, un revenu imposable de fr. 19,764,493

Il est porté maintenant à fr. 23,749,702

Augmentation, fr. 3,985,209, c’est-à-dire environ 20 p. c.

La Flandre orientale avait, d’après le travail de 1818, un revenu imposable de fr. 26,936,477.

Son revenu imposable, d’après les nouvelles opérations cadastrales, n’est plus que de fr. 26,100,501

Diminution, fr. 835,975

Ainsi la prétendue exagération des évaluations de cette province se réduit à une diminution de plus de huit cent mille fr. dans son revenu imposable !

Le Hainaut avait, d’après le travail de 1818, un revenu imposable de fr 19,492,134.

On l’élève maintenant à fr. 26,509,014.

Augmentation de fr. 7.015,880, c’est-à-dire augmentation de 36 p. c. !

Et cependant dans cette province, il n’y a pas que je sache de ville principale qui soit devenue capitale ; on n’y a pas découvert non plus une grande quantité de parcelles non imposées. Car M. le ministre, auprès duquel je m’en suis informé, m’a déclare que la quantité de ces parcelles découvertes n’était pas considérables pour cette province. Comment donc justifie-t-on cette énorme augmentation de revenu imposable ?

Est-ce la création du chemin de fer qui doit lui être favorable, de ce chemin qui, tel qu’on l’avait proposé avec le tarif qui était joint à la loi, menaçait de mort la plupart de ses industries ?

Dans la province de Liège le revenu imposable était, selon le travail de 1818, de fr. 13,377,622.

Il a été porté dans le nouveau travail à fr. 15,071,500.

Augmentation, fr. 1,693,877.

Dans la province de Namur le travail de 1818 le portait à fr. 8,841,095.

Le nouveau travail le porte à fr. 9,771,782.

Augmentation, fr. 930,687

En résumé, messieurs, le revenu imposable de la Flandre orientale se trouve diminué de 3 1/4 p. c. ; le revenu imposable des 6 autres provinces se trouve augmenté en moyenne de 30 p. c.

Mais, en faisant abstraction du Brabant, pour lequel on a indiqué des causes spéciales d’augmentation, la moyenne des 5 provinces serait une augmentation serait de 22 1/3 p. c. Celle particulière au Hainaut est de 36 pc. En faisant abstraction du Hainaut, la moyenne pour les 4 autres provinces serait de 17 1/3 p. c., de sorte que le Hainaut voit son revenu imposable augmenté au-delà du double de l’augmentation que les 4 autres provinces offrent en moyenne.

Il résulte de là que le Hainaut est réellement sacrifié par le projet de loi qui vous est soumis. Cette province qui ne devait payer que 10 à 15 p. c. d’augmentation, d’après les calculs antérieurs, se trouvera payer une surcharge de 30 à 40 p. c.

Le travail sur lequel je viens de m’appuyer proposait aussi des dégrèvements, et voulait les faire supporter par portions par les provinces avantagées afin d’arriver à une péréquation. Ces dégrèvements étaient, comme cela résulte déjà de la comparaison que je viens de faire, bien moins considérables qu’ils ne le sont maintenant.

Cependant l’on trouvait qu’il eût été impolitique et injuste d’opérer tout d’un coup ces dégrèvements. L’on reconnaissait la nécessité de les répartir sur plusieurs années. L’on trouvait que même, dans cette proportion, une surcharge inopinée aurait amené une véritable perturbation, la dépréciation de propriétés et aurait même influé sur un grand nombre de conventions.

Dans ces circonstances, la commission où se trouvaient de ces membres des Flandres, proposa de répartir ces dégrèvements sur 6 années. Aujourd’hui ce dégrèvement serait plus fort, il serait du double, et l’on trouve qu’il y a nécessité absolue de l’exiger en une seule année.

Voici, messieurs, une comparaison du résultat du travail d’alors et de celui d’aujourd’hui, sous le rapport du dégrèvement.

La province d’Anvers devait obtenir un dégrèvement qui revient à 16 1/3 p. c.

Cette province a obtenu déjà un dégrèvement de 5 p. c. La loi qui vous est soumise lui en accorderait encore un de 10 p. c. C’est à peu près le même résultat que par le travail d’alors.

Le travail de 1818 accordait à la province du Brabant un dégrèvement de 11 3/4 pour cent. Au contraire, il faut aujourd’hui qu’elle paie 14 1/2 pour cent. Cette différence est si énorme qu’il y aurait lieu d’examiner si elle est suffisamment justifiée par les causes d’augmentation du revenu imposable,

La Flandre occidentale devait avoir un dégrèvement de 22 1/2 pour cent, Elle a déjà obtenu 5 p. c. L’exécution de la loi qui vous est soumise lui donnerait encore 18 p. c. Le résultat, à quelque différence près, est le même que dans le travail de 1818.

Mais la province de la Flandre orientale devait obtenir, suivant le travail de 1818, 11 1/6 p. c. de dégrèvement. Elle en a déjà obtenu 5, il ne devrait plus lui en revenir que 6. Et cependant le projet propose un nouveau dégrèvement de 24 1/3 p. c. ! Cette province, qui avait droit à un dégrèvement de 11 p. c. et qui en a reçu presque la moitié, recevrait encore un dégrèvement d’au-delà de 24 p. c., ensemble 29 p.c. ! Est-il possible qu’un changement aussi énorme ne soit pas erroné, et ne devez-vous pas croire surtout à l’erreur alors que les députés intéressés à la question vous ont signalé les opérations du cadastre comme fourmillant de fautes.

Quant au Hainaut, le travail de 1818 proposait une surcharge de 19 p. c. C’est ici que j’appelle votre attention sur ce à quoi doivent s’attendre les habitants du Hainaut. Ils ont naturellement attaché de l’importance à ce travail quand il a paru. Ils s’attendent donc à ce que la surcharge de 19 p. c, qui était proposée en 1818, fut diminuée par suite de deux causes : la première par l’augmentation du revenu imposable que l’on a signalée dans la province du Brabant, la seconde par suite du dégrèvement de 5 p. c. accordé aux Flandres et à la province d’Anvers il y a trois ans. Cependant, au lieu de voir diminuer le chiffre de 19 1/2 p. c., il se trouve porté par la loi en discussion au chiffre énorme de 33 1/3 p. c. !

M. Gendebien. - C’est 37 p. c.

M. Dubus. - Il est possible que je fasse quelques erreurs, mais on les redressera.

La province de Liége devait subir une surcharge de 20 1/4 p. c., le cadastre la porte à 28 1/2 p. c.

D’après cela, peut-on admettre l’assertion que si les évaluations sont forcées, elles le sont partout dans la même proportion, que la position n’est pas changée ? Il suffit de comparer le travail de 1818 avec le résultat du cadastre pour voir combien la position respective des provinces est changée. Je le répète, en insistant avec tant de force pour empêcher tout examen, on arriverait à consacrer des erreurs plus graves que celles qui ont eu lieu. Je vais revenir sur ce point, car j’ai à me prévaloir d’autres assertions des députés des Flandres.

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on parle des dégrèvements auxquels ont droit les provinces des Flandres. Elles vous disent que depuis 36 ans elles réclament. Mais à diverses époques depuis 36 ans on a apprécié leurs réclamations et on a fixé à un chiffre quelconque le dégrèvement auquel elles avaient droit.

Elles vous signalent les causes de la surcharge dont elles se plaignent. Parmi ces causes, il y en a une qui est commune aux deux Flandres, et une qui est particulière à la Flandre occidentale ; c’est pourquoi cette partie de la Flandre a toujours passé pour avoir le plus à se plaindre. Cette cause spéciale, qu’elle avait continué à être possédée par Louis XIV postérieurement au traité de Nimègue, et qu’on avait joint à l’impôt territorial, un autre impôt de la province qui n’avait pas ce caractère. Or il se trouve maintenant que c’est cette Flandre qui est moins grevée, et que ce serait la Flandre orientale qui le serait davantage. On a crié sur les toits que la Flandre orientale était aussi fort grevée, mais qu’elle beaucoup moins encore que la Flandre occidentale. Détrompez-vous, la Flandre occidentale est un peu grevée, mais c’est la Flandre orientale qui l’est davantage.

Sous le gouvernement français, on a jugé à propos d’accorder un dégrèvement à l’une des deux Flandres ; c’est à la Flandre occidentale exclusivement qu’on l’a accordé. Ce dégrèvement était de 157 mille francs. C’est un député d’Audenaerde qui nous a rappelé ce fait, et qui a indiqué que ce dégrèvement avait eu lieu par une loi de l’an XII de la république française. Assurément, la Flandre occidentale était considérée alors comme plus grevée de beaucoup que la Flandre orientale. Postérieurement, selon le récit de ce même député, les préfets de ces provinces et du Hainaut se sont réunis à Lille et ont apprécié quelles étaient les surcharges de ces deux provinces relativement au Hainaut.

Il fut reconnu par cette assemblée que la surcharge du département de la Lys, de la Flandre occidentale, relativement au département de Jemmapes était de 3 1/4 quatorzièmes et pour celui de l’Escaut, de 2 1/2 quatorzièmes. Vous voyez que la surcharge de la province de la Flandre occidentale était encore reconnue plus forte que celle de la Flandre orientale, malgré les dégrèvements accordés. Mais on bornait la proportion entre le Hainaut et elle a une différence de 3 1/4 quatorzièmes ; ce qui fait une proportion de 14 à 17 entre le Hainaut de la Flandre occidentale et de 14 à 16 ou de 7 à 8 entre le Hainaut et la Flandre orientale.

Comparez cela avec les résultats actuels. Le travail de 1818 présente encore la Flandre occidentale comme plus surchargée que la Flandre orientale. C’est dans ce sens qu’on a toujours parlé jusqu’au moment où le résultat du cadastre nous a été révélé.

Croyez-vous que tout le monde se soit ainsi trompé et nécessairement trompé ? Croyez-vous que les intéressés eux-mêmes aient ainsi versé dans une erreur constante sur ce point jusqu’aujourd’hui ? Car c’est relativement à la Flandre orientale que l’on trouve une disproportion énorme entre le résultat du cadastre et le travail de 1818. Là il y a une diminution du revenu imposable, tandis que dans les autres provinces, il est augmenté.

On vous dit, messieurs, qu’en supposant qu’il y ait une erreur, qu’il y ait un léger avantage par suite de cette erreur pour les provinces qui ont été grevées jusqu’ici, il faut considérer qu’elles ont été grevées longtemps, et on paraît tout disposé à consacrer sciemment une injustice dans l’avenir sous le prétexte qu’il y a eu injustice dans le passé, de sorte que ceux qui seront propriétaires dans l’avenir paieront la dette de ceux qui ont été propriétaires autrefois.

Ensuite vous appelez cela un léger avantage. Je demande si pour la Flandre orientale c’est un léger avantage de recevoir un dégrèvement de 30 p. c., au lieu d’un dégrèvement de 11 p. c. de recevoir 600,000 fr. au lieu de 200,000 fr. et si c’est une légère surcharge pour la province du Hainaut de payer y compris les centimes additionnels, au-delà de 750,000 fr. au lieu de 300,000 fr.

- Plusieurs membres. - Il est 5 heures, remettez la suite à demain.

M. le président. - Le rapport sur le budget de la guerre a été distribué : conformément à une décision prise par la chambre, il sera mis à l’ordre du jour.

- La séance est levée à cinq heures.