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Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du vendredi 21 mars 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de
loi relatif au chemin de fer. (A : utilité du chemin de fer (notamment pour le
commerce de transit avec l’Allemagne) ; B : tracé du chemin de fer ; B+ (idem
(au détriment de la province du Hainaut et/ou de ses mines de charbon) ; C :
mode d’exécution du projet (initiative privée ou publique) ; D : coût et
rentabilité ; E : liaison avec le chemin de fer prussien) (A, D, C, D (d’Huart), B et canal d’Ostende à Bruges) (Donny),
C, D, C, commission de surveillance (H. Vilain XIIII), (Dumortier), B, produits des barrières, D, traité du 15
novembre 1831, B (Ostende), orangisme,
E, C, B+, canal de Pommerouel à Antoing, B+, orangisme (Gendebien),
B+, canal de Pommerouel à Antoing, D (Rogier, Gendebien), C et société générale (Meeus,
de Robaulx, Rogier, Meeus), B+ et canal de Charleroy (de
Laminne, Gendebien), D, C (de
Puydt), clôture de la discussion générale (Dumortier,
Devaux, Jullien, Legrelle), D, C (Dumortier, Rogier), D, C, E (Dumortier), C (A. Rodenbach))
(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M.
de Renesse fait l’appel nominal à dix heures et demi.
Le procès-verbal de la
dernière séance est lu et adopté.
Les pièces suivantes sont
adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Vernier,
ex-capitaine de cavalerie, réclame de nouveau l’intervention de la chambre pour
obtenir le paiement sa pension. »
_________________
« Le conseil de régence de la
ville de
_________________
« L’administration
communale de Novelle-les-Bois demande que cette commune devienne le chef-lieu
d’un canton judiciaire. »
_________________
« La régence et les
habitants notables des communes de Segelsein, Mariakerke et Elst, réclament le
maintien du canton judiciaire de Nederbrakel, arrondissement d’Audenaerde. »
_________________
- La première pièce est
renvoyée à la commission des pétitions. Les trois autres sont renvoyées à
commission chargée de l’examen de la loi concernant les circonscriptions
judiciaires.
Discussion générale
M. d’Huart. - Je voulais renoncer à parler dans cette
discussion, parce que je ne voulais pas la prolonger ; je suis persuadé
d’ailleurs que je ne changerai la conviction de personne ; mais comme on a
attaqué le patriotisme de ceux qui se déclarent les adversaires du projet
ministériel, j’ai cru devoir rompre le silence et motiver mon vote.
Messieurs, la discussion
générale a été si longue que votre attention doit nécessairement être fatiguée
; chacun de vous désire sans doute de passer à la discussion des articles : je
n’ai pas la prétention de faire changer vos convictions, ni même de jeter de
nouvelles lumières dans la discussion ; et pourtant je me crois obligé de prendre
la parole. Différents orateurs ayant déclaré qu’à leurs yeux les ennemis du
pays pouvaient seuls s’opposer au projet, il m’importe à moi, qui ne partage
pas leur opinion, de justifier brièvement le vote que j’émettrai en cette
circonstance.
Plusieurs honorables
préopinants ont fait de grands efforts de logique et se sont laissés aller à de
longues réflexions historiques, pour prouver l’utilité de la route de fer. Je
pense qu’il n’était pas nécessaire de remonter jusqu’à trois ou quatre siècles
pour être convaincu de cela ; nous sommes tous d’accord sur ce point, chacun
reconnaît volontiers qu’une communication quelconque, soit en fer, soit en
pavé, soit en empierrement, est toujours utile. Mais, de ce qu’elle est utile,
faut-il en conclure qu’elle est indispensable, que l’intérêt général la réclame
? voilà la seule question.
Je vous m’avouerai, messieurs,
dussé-je faire jeter les hauts cris par ceux de mes adversaires qui se donnent
ici pour maîtres en économie sociale, la route en fer d’Anvers à la frontière
de Prusse ne me paraît pas réclamée par l’intérêt général. De toutes ces belles
choses répétées à satiété, de tous ces brillants tableaux fournis par des
imaginations plus ou moins vives, il est résulté pour moi que le haut commerce
d’Anvers trouverait de grands avantages à cette construction et que les
houillères de Liège en seraient favorisées, ainsi que quelques localités
placées à proximité du tracé ; mais en même temps je suis demeuré convaincu que
l’agriculture en général y resterait étrangère, et que l’amélioration des
houillères de Liége ne serait acquise qu’au prix de la ruine de celles du
Hainaut.
Je n’insisterai pas sur ce
dernier point qui a été démontré à l’évidence. Messieurs les commissaires du
Roi en sont eux-mêmes convaincus ; le propos de l’un d’eux, rapporté dans une
précédente séance par l’honorable M. de Puydt, en fait foi.
Pour ce qui concerne
l’agriculture, cette source principale des richesses, cette branche qui
intéresse en particulier tous les citoyens belges sans exception et que l’on
perd souvent ici de vue, si ce n’est lorsqu’il s’agit de centimes additionnels
sur les contributions ; pour l’agriculture, dis-je, je me permettrai de
demander aux chauds partisans du chemin de fer ce qu’elle y gagnera. Ce n’est
pas par des généralités que je désire qu’on me réponde, c’est par des détails :
que l’on indique, par exemple, quels produits agricoles de
Il semblerait qu’au moyen de
cette voie nos produits vont lutter sur tous les marchés de la confédération
germanique ; il semblerait en un mot que la facilité des transports va lever
tous les obstacles : mais a-t-on oublié qu’il existe des douanes à la sortie de
nos frontières et que le système prohibitif de nos voisins est l’unique cause
qui comprime l’essor de notre industrie ? S’il y avait liberté illimitée de
commerce, si nos produits étaient admis à l’étranger, vous auriez raison de
nous proposer l’érection d’une communication longeant nos frontières ; mais à
quoi vous servira-t-elle pour l’écoulement de ces produits, quelque parfaite
qu’elle soit d’ailleurs, s’ils ne peuvent dépasser la frontière ?
M. le ministre de l’intérieur
nous a fait connaître que les fruits, les légumes, les œufs, les volailles, le
laitage de
Un orateur, grand partisan du
chemin de fer, parlant de la nationalité belge, à laquelle, je le déclare,
j’attache comme lui le plus haut prix, nous a dit que
Après avoir cité le passage
d’un des discours de l’honorable M. de Puydt, pour prouver combien l’alliance
commerciale des peuples leur est utile, M. le ministre de la justice lui a
reproché d’être tombé en contradiction avec lui-même, parce qu’il avait dit
ailleurs que le transit serait nul. Il n’y a aucune contradiction à cela, mais
il y a de la part du ministre confusion volontaire de deux choses
distinctes : le commerce des produits indigènes sans entraves de douanes
et le commerce de transit : le premier, qui nous serait très avantageux, selon
M. de Puydt, mais qui nous est interdit puisque nous ne faisons pas partie de
l’association commerciale allemande ; le second, qui serait conservé par
Quoique ceci ne semble pas se
rattacher d’une manière bien directe à la question, j’ai voulu en dire un mot,
afin d’avoir l’occasion de faire remarquer en passant que l’on perd quelquefois
de vue le véritable côté de nos frontières vers lequel doivent principalement
se fixer nos regards, aussi bien pour notre existence commerciale, industrielle
et agricole, que pour notre existence comme nation.
Il me sera toujours pénible
d’entendre, soit à propos de questions d’économie sociale, soit à propos de
politique, répudier
Je n’hésite donc pas à dire
que, selon moi, certaines personnes qui se montrent en cette occasion si
désireuses de tourner le dos à
Il ne faut pas vous le
dissimuler, messieurs,
Vous n’ignorez pas que
l’éducation des chevaux, par exemple, est si perfectionnée en Allemagne que
presque tous les chevaux de notre cavalerie ont été achetés dans ce pays.
Un autre objet, qui forme une
des industries les plus importantes de
C’est donc le commerce avec
Je reviens au chemin de fer et
je dis que, dans ma conviction, il ne serait pas d’une utilité générale ; je
dis de plus qu’il compromettrait des intérêts tout aussi puissants que ceux
qu’il favoriserait. D’où je conclus qu’il ne doit pas être établi aux frais de
l’Etat. Libre à ceux qui trouvent avantageux de grever le pays d’emprunts
énormes pour faire des essais dans la matière problématique du commerce de
transit, de croire qu’ils servent les vrais intérêts du pays ; mais libre aussi
à nous de croire qu’il serait dangereux, qu’il serait injuste de faire
contribuer, ou de prendre en garantie de ces essais, riants sans doute pour le
grand négoce, l’agriculture qui n’y est pas en général intéressée et
l’industrie d’une partie du royaume qui doit y trouver un préjudice
incalculable.
Au surplus, il ne faut pas
vous dissimuler, messieurs, que la dépense effrayante pour l’érection du chemin
de fer vous prépare d’autres dépenses annuelles dont on ne dit mot, mais qu’il
est facile de prévoir, d’après les arguments des défenseurs du projet
ministériel.
Au lieu d’un million Merlin,
qui a été flétri à si juste titre sous le gouvernement déchu, vous aurez un
autre million semblable à voter en faveur des armateurs et des grands commerçants
pour créer une marine. On cherchera par tous les moyens à réaliser les
illusions qu’on s’était formées sur les résultats du chemin de fer, et les
propriétaires fonciers seront là pour fournir au budget les sommes nécessaires
au complément des essais commerciaux.
Je prie les membres de cette
chambre, qui s’intéressent particulièrement au sort de l’agriculture, de ne pas
perdre de vue cette considération.
A mon avis, il eût été
beaucoup plus utile au pays de terminer à l’intérieur toutes les routes que les
classes réclament vivement. Le gouvernement eût bien mieux fait son devoir,
s’il était venu nous demander un emprunt dans le sens de la proposition dont
vous a saisis un de nos honorables collègues.
Mais, puisque l’on veut
absolument, avant tout, établir ce chemin de fer que je regarde comme très
utile à des intérêts particuliers, je me déclarerai pour le système de
concession, qui permettra à ces intérêts d’agir comme ils le voudront pour eux
et pour eux-mêmes ; ce système est conforme à l’équité, en laissant pleine
liberté à la concurrence ; il est conforme aussi à ce qui se pratique dans tous
les pays, où l’on comprend les progrès de la civilisation.
Cette opinion, qui n’a pas
varié chez moi depuis que la question a été votée, est devenue inébranlable
depuis que j’ai entendu mon honorable ami de Puydt : ses arguments basés sur
des faits, sur l’expérience d’un pays voisin, sont restés d’autant plus
victorieux que la source où ils ont été puisés est la même que celle d’où les
partisans du projet ministériel ont tiré leurs raisonnements, et que ces
arguments eux-mêmes n’ont pas été affaiblis par la réplique.
On a dit à ceux qui partagent
mon opinion ; Vous allez abandonner un domaine inaliénable, vous allez mettre
le pays à la merci des concessionnaires ; comme s’il n’était pas tout naturel
de dicter des conditions et de se réserver même le rachat de la concession.
Se mettant en contradiction
flagrante avec les brillants résultats que l’on s’est efforcé de nous
dépeindre, on affirme qu’il ne se présentera point de concessionnaire : mais
que l’on essaie au moins avant de se prononcer.
Ce que nous a dit l’honorable
M. Meeus prouve qu’il peut s’en trouver ; cela prouve de plus que le
gouvernement a une idée fixe contre les concessions, et doit nous mettre en garde
contre ses assertions sur ce point.
Un représentant appartenant à
la même province que moi, qui a commencé à vous parler de l’impartialité de sa
position dans la question du chemin de fer, et qui a fini par se déclarer pour
la construction par le gouvernement, a cherché à faire croire qu’en admettant
en principe le système de concession pour les travaux publics de
Il est facile de concevoir la
portée que cet orateur a voulu donner à ses paroles, mais il est tout aussi
facile de prouver en peu de mots qu’elles n’ont rien que de spécieux quant au
fond.
S’il n’existait pas de routes
pavées ou empierrées en Belgique, et par conséquent pas de droit de barrière ;
s’il fallait dans cet état de choses construire des routes par concession, il
n’y aurait aucun obstacle, parce que dans chaque localité où le besoin d’une
route se ferait sentir, le tarif de la concession serait calculé sur les
besoins, sur le montant de la dépense, de manière à suffire à l’intérêt des
fonds, comme à l’entretien. Mais, dans l’état actuel du pays, un droit de
barrière étant établi, droit fixé arbitrairement, sans base positive, trop
faible pour couvrir l’intérêt de constructions neuves, ce droit se trouve être
un impôt dont le montant ne peut être dépassé ; il faut donc, ou renoncer à
faire des routes au moyen de ce péage qui est insuffisant, ou accorder des
subsides aux compagnies pour couvrir la différence.
Le système de concession admis
dans toute sa pureté pour le chemin de fer, ne pourrait donc influer en rien
sur le mode de construction des routes ordinaires, puisque les choses ne sont
pas les mêmes. De là tombe la conclusion que M. Nothomb en a tirée d’une
manière subtile, que c’est servir les vrais intérêts du Luxembourg que de voter
la construction du chemin de fer par le gouvernement.
Sous le prétexte d’aller
au-devant d’une réponse qui pouvait lui être faite, le même préopinant a dit
que les partisans des concessions lui objecteraient peut-être que la route qui traverse
les Ardennes, construite par le gouvernement, est mal faite ; que le choix des
matériaux est mauvais, et que sur plusieurs points la direction pourrait être
meilleure. Non, messieurs, personne ne répondra cela à M. Nothomb ; les
partisans des concessions n’ont pas besoin d’employer de fausses allégations
pour soutenir leur opinion : or ce serait se servir de ce moyen, si l’on venait
vous présenter l’objection prévue par cet honorable membre.
Le tracé de la route qui
traverse les Ardennes fait l’admiration de tous les hommes de l’art, il honore
les ingénieurs qui l’ont adopté. Cette communication a été construite comme
elle devait l’être, eu égard au programme de la dépense, avec les matériaux du
pays qui permettent d’ailleurs de la maintenir dans un état parfait de
viabilité. Si son entretien n’est pas effectué convenablement, M. Nothomb doit
savoir aussi bien que moi, puisqu’il est de la province, que ce n’est pas aux
ingénieurs qu’il faut en adresser le reproche.
Je regrette de ne pas voir
dans cette enceinte l’honorable M. Teichmann, chef de l’administration des
ponts et chaussées ; il eût sans doute confirmé ce que je viens de dire.
Puisque j’ai la parole, je
présenterai dès maintenant quelques-unes des observations que je m’étais
proposé d’abord de vous soumettre lorsque nous en serions aux articles.
On a dit à ceux qui défendent
les intérêts du Hainaut : Vous réclamations sont injustes ; le projet sur
lequel vous délibérez ne porte-t-il pas qu’un embranchement du chemin de fer se
dirigera à travers cette province ?
Oui sans doute, le projet
contient cette disposition ; mais il en contient aussi une autre qui la
neutralise et qui prouve assez qu’elle n’y a été introduite que pour éviter des
objections insurmontables et afin d’arriver au but primitif et exclusif de
construire la route seulement à Cologne, en faveur du transit. S’il m’était
resté du doute sur la pensée du gouvernement à cet égard, il serait évanoui par
les paroles qui ont échappé par inadvertance, sans doute, au ministre de
l’intérieur, lorsqu’il vous a dit que le Hainaut avait la chance d’avoir un
embranchement de cette route.
Que les députés des Flandres,
aussi bien que ceux du Hainaut, prennent garde au correctif que l’art. 2 du
projet apporte à celui qui le précède !
Toutefois, admettant que le
gouvernement soit tenu d’exécuter réellement toutes les communications énoncées
à l’art. 1er, le taux des emprunts évalués dans le principe doit alors être
doublé, et l’Etat tombe dans le gouffre effrayant des déficits dont la
révolution tendait à le garantir, ou bien les centimes additionnels
extraordinaires imposés sur les contributions devront être augmentés, au lieu
d’être supprimés comme le peuple est en droit de l’attendre.
J’ai entendu dire par un
honorable préopinant et répéter par le ministre de l’intérieur que
Je sais bien que les partisans
quand même de la route en fer
prétendent que les emprunts destinés à l’établir n’obligeraient le pays qu’à un
simple cautionnement nominal ; que les revenus de cette route serviraient non
seulement à l’entretenir, mais encore à rembourser en peu de temps les frais de
construction. Ils citent, pour étayer cette allégation, les calculs et les
assertions énoncés dans les différons mémoires fournis à l’appui du projet.
On vous a fait connaître,
messieurs, par des exemples récents puisés en France, combien les évaluations
de travaux semblables sont incertaines : là, comme ici, des ingénieurs
consciencieux et savants sont venus dire avec conviction à la législature que
leurs estimations étaient minutieusement faites, que la dépense réelle ne les
dépasserait pas ; et pourtant, après avoir accordé 129,400,000. fr. pour
exécuter complètement des travaux bien déterminés, on est venu demander ensuite
un supplément de 90,000,000, qui devra probablement être suivi d’un troisième
crédit. Ceci doit vous donner de l’inquiétude sur l’ensemble du devis estimatif
dont il s’agit.
Je n’entrerai pas pour le
moment dans l’examen des évaluations à l’égard desquelles une contestation
s’est déjà élevée ; j’attendrai la réplique que fera l’honorable M. de Puydt
avant de me prononcer.
Il est une remarque importante
concernant le calcul des revenus du chemin de fer, qui, je crois, n’a pas été
présentée, et sur laquelle j’appelle toute l’attention de la chambre.
MM. les ingénieurs ont pris
pour base de ce calcul les documents officiels qui établissent la totalité des
transports de toute nature qui se font actuellement sur les routes et canaux
existants dans la direction de la route en fer ; ils ont donc supposé que
celle-ci accaparerait ces transports, et que par conséquent les communications
existantes seraient complètement désertes. Mais comme elles fournissent en ce
moment des revenus considérables à l’Etat, il faut bien en défalquer le
montant, à moins de faire double emploi. Je ne sais à combien s’élèvent les
revenus actuels dont je viens de parler, mais je suis persuadé qu’ils sont
assez notables pour renverser entièrement les conséquences que les auteurs du
projet ont tirées de la supputation des produits du chemin de fer. Je prie MM.
les commissaires de répondre à cette observation
Plusieurs orateurs ont déjà
fait remarquer que MM. les ingénieurs ont omis de mentionner le prix
d’acquisition de la route de
(L’orateur lit cette partie du
mémoire de MM. les ingénieurs et en conclut qu’ils ont évidemment oublié cette
dépense.)
Ainsi qu’on vous l’a dit dans
une précédente séance, le projet de MM. les ingénieurs ne saurait être
considéré que comme un travail préparatoire, très bien fait sans doute, mais
qui ne peut servir qu’à montrer la possibilité d’une route en fer, et non à en
arrêter invariablement le tracé et les pentes : j’en appelle, à cet égard, à la
loyauté des auteurs du projet eux-mêmes ; qu’ils nous disent franchement s’ils
croient que le tracé et les pentes indiqués actuellement sur leurs plans ne
subiront pas le plus petit changement. Or, si le tracé et les pentes peuvent
être modifiés, que deviennent les données qui ont servi de base aux calculs ?
car, dans le pays montagneux de la province de Liége, un changement de
direction, quelque léger qu’il soit, ne fût-ce que de quelques mètres, peut
augmenter considérablement les terrassements, surtout lorsque l’on est
astreint, quant aux pentes, comme c’est le cas pour un chemin de fer, à
s’écarter le moins possible de la ligne horizontale.
Loin de moi l’idée de jeter du
doute sur les vastes connaissances dont les auteurs du projet ont fait preuve
dans tous les mémoires et documents qu’ils ont produits ; mais il ne faut
jamais admettre l’impossible, et je dis qu’il leur a été impossible, pendant le
temps qu’ils ont eu, quelle que soit l’assistance qu’ils aient trouvée dans des
collaborateurs, d’explorer suffisamment le terrain, de procéder à toutes les
opérations graphiques de détail nécessaires et d’établir ensuite, avec
l’exactitude indispensable, les devis estimatifs d’une longueur de 35 lieues de
route coupée par de nombreux cours d’eau, et en grande partie à travers un pays
montagneux.
Sur quelle donnée a-t-on
évalué la difficulté des énormes déblais que le tracé des pentes indiqué ? Où
sont les expériences que l’on a faites à cet égard sur le terrain ? A-t-on
sondé les galeries souterraines que l’on se propose d’ouvrir ? Rien ne
l’indique, et tout porte à croire, au contraire que l’on s’est laissé diriger à
cet égard par des suppositions.
Pour ce qui, me concerne, je
reste convaincu que les évaluations sont loin de présenter les garanties
désirables, les bases sur lesquelles elles reposent n’ayant rien de positif ni
de certain.
Dans son mémoire, M.
l’inspecteur Vifquain, qui a admis comme exacts certains éléments des calculs,
et notamment les quantités de terrassements, prouve cependant d’une manière
évidente qu’au lieu de 16,500,000 fr. qu’il faudrait dépenser d’après les
ingénieurs, entre Anvers et la frontière au-delà de Verviers, la dépense
s’élèvera au moins à 20 millions de fr. L’autorité de ce savant ingénieur qui,
en même temps, est l’un des plus expérimentés de
Je bornerai là, pour le
moment, mes observations ; je me réserve de prendre de nouveau la parole,
lorsque nous en serons aux articles, pour prouver notamment que MM. les
ingénieurs n’ont pas évalué assez haut l’entretien de la route pendant les
premières années.
Tout le
monde sait combien les grands remblais comme ceux qu’on se propose d’élever
sont susceptibles de dégradations ; il s’opère des tassements et des
éboulements continuels durant cinq ou six ans. Je pourrais en citer un exemple,
que chacun de vous connaît : c’est celui de la route de Gembloux à Namur, où
les remblais construits depuis plusieurs années ont eu, cet hiver, quoiqu’il
n’y ait pas eu de fortes gelées, des éboulements tellement considérables que la
communication est devenue dangereuse.
Pour une route ordinaire, ces
dégradations sont sans doute très dispendieuses ; mais elles le seront bien
davantage sur une route en fer, où il faut que la surface des rails demeure
toujours dans un plan bien uni, et où par conséquent, il faudra constamment
maintenir rigoureusement les remblais à leur hauteur primitive ; et cela sera
d’autant plus difficile pour le chemin de fer, que sa base est beaucoup plus
étroite que celle de nos routes ordinaires.
M.
Donny. - Messieurs, j’avais l’intention de passer en revue
toutes les observations qui ont été faites contre les opinions que j’ai émises
au commencement de la discussion ; mais nos débats se sont tellement prolongés,
que je crois bien faire en m’abstenant de revenir sur les points que j’ai
traités : je me bornerai donc, pour aujourd’hui, à relever un fait entièrement
inexact, qui a été énoncé dans un discours assez curieux d’un honorable député
de Tournay, de l’honorable M. Dumortier, Voici le passage du discours relatif
au fait dont je parle. L’orateur commence par vouloir établir que
l’embranchement de Malines à Ostende ne donnera pas un produit suffisant pour
faire face aux frais de la route en fer, et il prouve ainsi son assertion :
« D’Ostende à Bruges, le
transport des marchandises s’opère en quelques heures, et se fait à raison de
un cents et demi par tonneau : que coûtera le transport par la route en fer
dans le même intervalle ? Pour la route en fer, vous serez obligés de payer
quatre centimes par tonneau et par kilomètre, et comme il y a vingt à
vingt-deux kilomètres, vous aurez quatre-vingts centimes à un franc à payer
pour la même distance qui coûte actuellement un cents et demi.
« Sans doute, c’est
quelque chose que la vitesse ; mais le prix de la vitesse a ses limites et on
ne viendra pas dire que la vitesse produira une différence telle que ce qui
coûtait un cents et demi pourra coûter un franc de transport. Quiconque aura la
pratique des affaires commerciales… (l’orateur nous a dit qu’il avait cette
pratique) vous assurera-t-il qu’il se rencontrera un commerçant assez malhabile
pour donner un franc quand il pourra ne donner que un cents et demi ?... Ce
fait seul démontre que la seconde partie du projet doit être écartée. »
Je dis, moi, que ce fait ne
démontre rien du tout, par la raison toute simple que ce fait n’est pas réel,
attendu qu’il n’est pas vrai qu’on transporte d’Ostende à Bruges un tonneau de
marchandise pour un cents et demi. Je tiens en main le tarif des anciens
bateliers d’Ostende ; le fret d’Ostende à Bruges s’y trouve coté à un florin et
demi par tonneau. Comme ce tarif est assez vieux et que le temps aurait pu le
modifier, j’ai demandé à un respectable négociant d’Ostende, qui m’a honoré
d’une visite encore ce matin, de me donner une note sur les prix actuels du
transport dont il s’agit, par le mode le plus économique. Voici celle qu’il m’a
remise.
« Le fret d’Ostende à
Bruges par bateau :
« Par petites parties de
3 à 400 kil., 20 cents par 100 kil.
« Par parties de 5 à 5
tonneaux, 1 fl. 23 cents par tonneau de 1,000 kil.
« Par partie de 50 à 100
tonneaux, 1 florin par tonneau de 1,000 kil. »
Vous voyez, messieurs, qu’il y
a loin de ces prix-là au prix de un cents et demi par tonneau !...
Je ne puis, messieurs,
m’expliquer l’erreur dans laquelle est tombé l’honorable membre qu’en
supposant, ou bien qu’il a été victime involontaire d’une mystification
complète de la part de ceux qui lui ont fourni des renseignements, ou bien
qu’emporté par la chaleur de l’improvisation, il a parlé de cents alors qu’il
voulait parler de florins, de la même manière que tout récemment encore il a
parlé de francs quand il voulait parler de thaler ; avec cette différence
néanmoins, qu’il y a progrès aujourd’hui, attendu que l’erreur est centuple. (Hilarité.)
Quelques honorables orateurs
vous ont dit que l’embranchement de Malines à Ostende ne produirait qu’un
faible résultat ; d’autres ont parlé de même de la section de Gand à Ostende.
Je prends l’engagement de
réfuter ces opinions et de prouver, lors de la discussion des articles, que
l’embranchement de Malines à Ostende sera aussi productif que les autres
sections de la route.
M. le président. - La
parole est à M. Gendebien.
Plusieurs membres. - Il est absent
M.
le président. - La parole est à M. H. Vilain XIIII.
M.
H. Vilain XIIII. - Avant d’entamer une seconde discussion sur la
question difficile qui nous occupe, je désire, messieurs, vous rappeler les
dernières paroles que j’ai prononcées dans cette enceinte ; elles dissiperont,
j’espère, quelques doutes qui auraient pu s’élever dans vos esprits sur mes
déterminations ultérieures ; elles repousseront surtout la part rétributive des
reproches adressés à ses adversaires par M. le ministre de l’intérieur, qui
nous a dit que les prôneurs de concessions étaient ceux-là qui ne voulaient pas
de route en fer. Ces paroles les voici :
« Je désiré éviter au
gouvernement des déficits et des embarras. Je veux que, pour éviter ces
embarras, il essaie au préalable de la voie des concessions. Je veux enfin de
la route en fer ; mais je ne la désire point par le mode de construction
actuelle. »
Ainsi, dorénavant, il sera
bien entendu que je souhaite voir s’exécuter une grande route en fer de l’Océan
à l’Allemagne. Je dis même plus. Si, par l’essai des concessions,
Ce premier point éclairci, il
me reste une seconde explication à donner à la chambre sur la position
particulière qu’un honorable adversaire, dont je respecte le patriotisme et les
bonnes intentions, a bien voulu m’assigner dans cette discussion. Désirant
donner quelque force à sa réplique il a dit que les reproches que j’adressais
au gouvernement sur son esprit de monopole pourraient être renvoyés à une autre
adresse ; et immédiatement, en citant mes paroles, il a énuméré les avantages
que voulait se créer la compagnie en demande de concession pour la route en fer
d’Anvers à Bruxelles. Il a semblé croire qu’en regret de n’avoir pu obtenir
cette concession, j’attaquais le projet de loi du ministère. Je veux bien lui
apprendre, ainsi qu’à cette assemblée, que je n’étais nullement intéressé dans
cette entreprise offerte au nom d’un de mes parents dans des circonstances
difficiles, et, quoi qu’on en dise, avec des chances de succès très problématiques.
Je dirai même que si je devais
consulter mon intérêt privé dans toute cette affaire, alors j’appuierais de
tout mon pouvoir la route projetée par le gouvernement puisque son tracé dans
les Flandres vient traverser et enrichir la commune que j’habite. Mais, je le
répète une fois pour toutes, je ne forme point ici ma conviction d’influences
locales intéressées. J’oublie ma position pour songer au bien-être général, à
la fortune publique, et je souhaite que tout le monde en fasse autant.
Mais c’est assez vous occuper
de ces faits personnels ; examinons plutôt le fond des choses, abstraction
faire des individus, et c’est dans ce sens que j’essaierai de renverser
quelques discours de mes adversaires, discours plutôt remarquables par le
silence observé que par les réponses faites à mes remarques.
M. le commissaire du Roi a
gardé le silence à l’égard de l’usure des railways signalée dans mon premier
discours et limitée, d’après les documents mêmes de ces messieurs, à moins de
40 années. Je désirerais connaître les combinaisons financières imaginées par
le gouvernement pour couvrir, au bout de ce laps de quarante années, la
construction d’une route nouvelle ; car les auteurs ne veulent point
l’amortissement du premier emprunt par le revenu des péages. Ils disent
explicitement à la page 7 du second mémoire, que le taux des péages ne doit
s’élever annuellement qu’à la somme nécessaire pour couvrir le capital
d’établissement de cette route, et peut en conséquence être calculé au moindre
taux d’intérêt possible ; qu’ainsi, afin de favoriser le commerce par la
modicité des péages, il n’est pas nécessaire d’établir ceux-ci pour amortir les
frais d’établissement, mais seulement pour les couvrir. « En un mot, dit
le mémoire, une annuité acquise par l’augmentation des péages, et dont l’objet
est de faire payer par la génération présente une chose dont la propriété
passerait quitte et libre de toute charge aux générations futures, doit être
regardé comme un sacrifice inutile, comme une absurdité en économie politique. »
Il est donc évident que ces
messieurs rejettent tout amortissement. Mais leur erreur consiste à regarder
une route en fer comme une propriété permanente et impérissable, tandis qu’à
l’inverse des canaux et d’autres ouvrages d’utilité publique, elle est bien
plus sujette à l’usure et aux réparations : il faut donc songer dès l’abord à
rembourser son premier coût par les revenus. Il y aurait imprévoyance à ne pas
le faire et à surcharger ainsi la postérité de frais et d’impôts indéfinis. On
peut bien soutenir que tous frais d’ouvrages exécutés au profit des générations
futures doivent peser sur elles, et non pas être amortis insensiblement, mais
d’après ce système on ne devrait jamais éteindre aucune dette publique. Car
toutes (soit pour la construction des canaux ou des forteresses, soit pour les
frais de guerre) se contractent au profit des générations futures en même temps
qu’elles s’utilisent pour la génération actuelle : sans la conservation de
celle-ci, la postérité serait un non-sens. Si on adoptait en principe de ne
couvrir par les revenus des routes que l’intérêt et non l’amortissement des
dettes, comment, en face de ces dettes accumulées chaque jour, pourrait-on
parer aux accidents imprévus, aux catastrophes nationales ou physiques d’un
royaume ? Ce serait ériger l’imprévoyance en système. Ce ne serait point là
faire œuvre d’hommes d’Etat. Il faut donc que les promoteurs du projet viennent
prouver que les revenus de ce nouvel ouvrage peuvent suffire à son entier
acquittement. Sans cette preuve tout leur projet croule par sa base.
Il est vrai que le ministère
repousse ce système de rentes perpétuelles. En se ralliant au projet de loi de
la section centrale et à l’article 8 de ce projet, il adopte virtuellement le
principe de l’amortissement par la route. Il va même plus loin, car il énonce
vouloir donner les revenus de cette route en hypothèque aux bailleurs de fonds.
Ainsi, d’une part opinion des ingénieurs qui, pour favoriser le commerce par le
bas prix des tarifs, ne veulent point charger les revenus du tantième de
l’amortissement ; opinion contraire du gouvernement ; refus enfin de celui-ci
de donner dès l’abord le tableau des tarifs, voulant, dit-il, le baser sur le
résultat des dépenses effectives. On voit, messieurs, que dans son sein même ce
projet ne manque point de contradicteurs. Tous ses auteurs seront, je crois,
fort habiles à dépenser les 20 ou les 30 millions demandés ; mais le
remboursement comme la levée de ces millions restent lettres closes pour eux
comme pour nous. Je crois inutile de vous faire apercevoir que dans un bon
système de concessions, surtout de concessions limitées, on n’aurait point à
rencontrer ces embarras, ces difficultés de finances. Là, en moins de 40
années, on peut couvrir insensiblement les frais de premier établissement par
le surplus des revenus sur l’entretien. Si ce surplus n’est point produit par
la route, le concessionnaire, à la fin du terme de son entreprise, n’en est pas
moins obligé de délivrer sa route à l’Etat, et alors il la délivre réellement
quitte et libre.
Quant à la réalité des
estimations de tous ces grands travaux, j’avoue qu’il me serait bien difficile
d’en contester le chiffre. Il en serait de même quant à l’utilité de tel ou tel
tracé par telle ou telle localité : le ministère nous apprend qu’à cet égard il
a suivi le meilleur mode d’enquête, c’est-à-dire qu’il a consulté d’autorité à
autorité. Mais ici il se trouve en opposition avec lui-même ; car, au bas de la
page 17 du deuxième mémoire, je lis cette note :
« Que l’on compare aux
enquêtes suivies dans les autres pays celles que le gouvernement anglais ouvre
pour chaque projet en matière d’établissement de péage : dans ces enquêtes,
dont les procès-verbaux sont publiés sous le titre de minutes of evidence, avant la décision à intervenir, les intéressés
pour ou contre ne sont pas simplement avertis qu’un registre recevra (si bon
leur semble) leurs remarques ou leurs oppositions. Un pouvoir discrétionnaire
les oblige à comparaître comme témoins à la barre de la commission d’enquête.
Les interrogatoires, les contre-examinations, les débats des parties éclairent
la question plus efficacement que le dépouillement d’un registre des
oppositions écrites presque toujours incomplètes. »
Les auteurs nous apprennent
que, quoique ce mode d’enquête ne soit pas un palladium suffisant pour empêcher
tous les abus, il doit cependant être suivi comme la marche la meilleure
possible, et contribuant beaucoup à éclairer le gouvernement dans la décision
qu’il doit porter (page 17). Puisque cette marche est reconnue la meilleure
possible, pourquoi alors (autant que nos lois le permettent) ne l’avoir pas
suivie ? On aurait, par ces enquêtes d’évidence, levé bien des doutes, mis à
l’épreuve bien des supputations !
J’avoue, messieurs, que les
réponses faites à ma démonstration sur la nécessité immédiate d’une double voie
m’ont très peu satisfait. Là, comme dans bien d’autres points de cette grande
question, on ne s’est pas bien rendu compte du but qu’on se proposait
d’atteindre, on ne s’est pas fait une idée bien nette du double usage auquel on
destinait cette nouvelle communication. Il s’agit ici de créer un mode de
véhicule à deux natures très différentes : une de matières transportables, à
savoir le transport des voyageurs et celui des marchandises. Le premier exige
avant tout la célérité (le bon marché n’étant qu’accessoire) ; le second, le
bas prix du transport. Comment ne voit-on pas que si l’une de ces deux
conditions est obtenue sur cette voie unique, elle doit nécessairement
annihiler ou du moins entraver l’accomplissement de l’autre ? Si le bas prix du
transport fait affluer la marchandise par cette voie unique, cette affluence
empêchera le passage rapide de voyageurs et même ôtera toute sécurité à ce
passage. Alors on préférera nécessairement les routes ordinaires. Si au
contraire on désire exploiter le service des voyageurs, on ne pourra l’exécuter
qu’en faisant céder le pas aux lents et lourds wagons des marchandises : les
gares d’évitements sur cette unité de direction ne peuvent suppléer au service
d’une double voie, et en les construisant, on rencontre l’inconvénient d’une
dépense qui plus tard sera inutile lorsqu’on établira une double voie, vu
qu’alors les fondations, tant de maçonneries que des traverses en bois établies
dans les biais de gares d’évitements, seront perdues. La construction de cette
double voie me paraît donc nécessaire. En y réfléchissant plus mûrement, on en
reconnaîtra sans doute l’urgence, et mieux vaudrait, dès ce moment, en aligner
la dépense. Dans cette prévision (à moins, je le répète, qu’on ne veuille par
le bas prix des évaluations, obtenir de nous un premier vote, sauf à revenir
plus tard nous presser de nouvelles sollicitations), c’est à nous à nous
préserver de cette trompeuse amorce.
Je crois donc qu’en général,
tant pour les besoins immédiats d’une double voie que pour ceux non indiqués au
devis par l’absence d’une enquête minutieuse et le relevé pris un peu
rapidement dans les Flandres, les estimations actuelles seront au-dessous des
besoins réels.
Il me reste à répondre à
quelques objections mises en avant par les antagonistes des concessions. Un des
arguments le plus souvent répété dans cette enceinte et qu’on a cru le plus
victorieux a employer contre les concessionnaires, sont les produits
exorbitants prélevés sur l’Etat par les particuliers dans ce genre d’affaires ;
profits, dit-on, qui ne s’opèrent qu’au détriment du commerce et de l’industrie
et que l’Etat peut ravir aux sociétés en faisant lui-même la route. Mais si
l’Etat exécute la route, ce ne pourrait être qu’au moyen d’un très grand
emprunt ; et si, d’une part les concessionnaires peuvent à la longue prélever
des bénéfices considérables sur le passage des voyageurs et des marchandises,
c’est-à-dire sur le commerce et l’industrie qui en profitent, croit-on que les
banquiers bailleurs de ce grand emprunt n’exigeront point aussi d’énormes
avantages qui pèseront immédiatement et de toute leur lourdeur sur la
généralité des contribuables qui tous n’en profitent pas ? A entendre nos
adversaires, quand ils s’offrent de faire la route par l’Etat, on dirait qui
cet Etat tient des ressources infinies disponibles pour les grands travaux,
qu’il a des caisses toutes pleines et toutes ouvertes et qu’il peut dès ce
moment y appliquer ses économies.
Mais l’erreur est grande, car
l’Etat a peu d’argent ou n’en a point. Il faut qu’il en cherche et cette
recherche ne laisse point que d’être aussi onéreuse que les profits des
concessionnaires, car elle grève l’avenir ainsi que le présent. Les
concessionnaires travaillent de leurs fonds et de leurs bras ; les
gouvernements, avec les fonds et les bras d’autrui. Qui peut donc exécuter au
meilleur marché, si ce n’est les premiers ? Qui doit finalement profiter de ce
bon marché, si ce n’est les contribuables, vu que les routes de toute manière
deviennent propriété de l’Etat, surtout si on évite d’accorder des concessions
perpétuelles ?
On a cru, messieurs, apaiser
bien des scrupules et obtenir ainsi votre assentiment, en vous annonçant que
l’intention du gouvernement était de nommer une haute commission de
surveillance des travaux, choisie dans les deux chambres, et dont le contrôle
s’exercerait sur tous les détails, sur toutes les décisions de cette grande
entreprise. Mais à cette occasion, je viens défendre le pouvoir contre le
pouvoir lui-même. Déjà celui-ci s’est accoutumé trop souvent, et toujours à son
détriment, à laisser la législature s’immiscer dans des actes purement
administratifs.
Si l’on veut que l’Etat
fonctionne dans un bon équilibre, il faut que chaque pouvoir se maintienne dans
ses limites, et exécute sa part salutaire d’influence. Il faut conséquemment
que le pouvoir exécutif, que le ministère agisse directement dans les travaux,
en accomplisse les conditions et en partage seul la responsabilité. Plus de ces
systèmes mixtes, où l’on se fie et où l’on ne se fie pas. Le gouvernement peut
sans doute nommer une commission de surveillance ; il peut y comprendre des
députés comme tous autres citoyens, mais seulement comme citoyens, et non comme
mandataires de la nation. On se rappelle que sous le gouvernement déchu, une
commission avait également été choisie parmi des députés des deux chambres,
pour surveiller les opérations du syndicat d’amortissement. Cette commission ne
voyait qu’obscurité et dédale de chiffre dans ces opérations, et cependant elle
faisait indirectement peser la responsabilité des actes sur la législature. Ne
suivons point cette marche ambiguë d’administration, et surtout ne servons
point de parapluie ministériel au pouvoir.
Je termine ces observations,
déjà très longues, après la longue discussion qui, depuis dix jours, arrête
votre attention, par cette réflexion bien simple et qui à mon étonnement n’est
point venue frapper mes honorables adversaires. Si le régime des concessions,
me suis-je dit, est si onéreux pour le commerce et l’industrie d’un pays,
pourquoi l’Angleterre, pourquoi les Etats-Unis, qui vivent par le commerce et
l’industrie n’ont-ils point succombé sous ce système si accablant des péages et
des monopoles ? Ces empires existent au contraire, et ils s’avancent chaque
jour plus prospères, plus puissants dans la grande voie de la civilisation. Ils
y avancent, car ils n’essaient point de quitter les traces que la liberté leur
indique, de cette sage liberté qui se corrige toujours par elle-même lorsqu’on
la laisse agir ; qui, à la mauvaise presse oppose immédiatement les bons livres
et les bons journaux, qui au monopole d’une société concessionnaire, ne tarde
pas à susciter par les besoins croissants de cette industrie, une société
rivale, ainsi qu’on l’a vu en mille localités de ces deux pays, ainsi qu’on l’a
vu sur la route même de Liverpool, que sans cesse on nous rappelle. Ne
craignons donc point cette liberté, non plus que nous avons
fait de toutes celles consacrées dans nos institutions nouvelles ; ne la craignons
pas puisqu’elle vient répondre par des faits authentiques et bienfaisants
toutes les allégations péniblement accumulées par ses adversaires.
M.
le président. - La parole est à M. Dumortier sur le projet.
M.
Dumortier. - Je céderai volontiers la parole et je la céderai
d’autant plus volontiers qu’on n’a pas encore répondu à mes objections.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - On ne les a pas éludées, on a répondu à
tout.
M. Dumortier. - On n’a
répondu à rien et pour réfuter la réponse qu’on prétend avoir faite, je
n’emploierai qu’un mot, on ne m’a pas compris. Je renonce à la parole en
maintenant toutefois mon droit de parler, et en priant les partisans du projet
ministériel de vouloir bien détruire ce que nous leur avons dit.
M.
le président. - La parole est à M Gendebien.
(Moniteur belge n°82, du 23 mars
1834) M. Gendebien. - Messieurs,
depuis dix jours, mes honorables collègues et moi, qui n’avons pas adopté en
aveugles les projets du gouvernement, nous sommes en butte à toutes sortes
d’accusations ; nous sommes des hommes rétrogrades, des hommes illibéraux, que
sais-je ? nous sommes des orangistes. Je vous l’avais dit dès les premiers
jours de la discussion : pour peu qu’on procède de la même façon par laquelle
on a commencé, on nous accusera d’orangisme ; et en effet, un député d’Anvers a
clairement fait entendre que nous étions orangistes. Il nous a dit que nos
arguments contre le chemin de fer étaient partis de Cologne pour arriver à
Bruxelles ; effectivement, il est arrivé, je ne sais si c’est par la voie de
Cologne, une demi-feuille d’un journal hollandais, et M. Legrelle m’a dit que
l’on faisait allusion à cette demi-feuille imprimée dans une langue que je ne
connais pas, dans la langue prétendue nationale autrefois. Je ne l’ai donc pas
lue, persuadé d’ailleurs que je n’y trouverais que des calomnies contre la
révolution et des injures pour moi. Je ne l’ai pas envoyée directement vous
savez où, mais je l’ai mise au rebut, et je fais le même cas des accusations
dirigées contre moi que de la feuille hollandaise.
On nous accuse de toutes les
façons. Il me semble qu’un vaste éteignoir soit venu absorber, éteindre toutes
nos facultés, parce que nous sommes les adversaires du plan ministériel ; mais
que font les ministres et leurs défenseurs, pour appuyer leur projet ? Pour
justifier leur plan, ils se jettent dans des généralités ; on les réfute par
des spécialités incontestables, et ils répondent encore par des généralités qui
ne répondent à rien.
Messieurs, chose étrange, on
nous accuse d’égoïsme et d’être mus par l’esprit de localité. Quels sont les
hommes qui nous accusent ainsi ? Vous allez en juger. Vous avez entendu deux
orateurs, l’un d’Anvers, l’autre d’Ostende ; le premier vous a préconisé les
avantages du chemin en fer d’Anvers à Verviers, et il s’est irrité à la moindre
objection du second ; nous avons fait voir renaître une ancienne rivalité. Le
second vous a dit qu’il ne voterait le chemin qu’autant que toutes les
localités seraient appelées à en profiter ; et puis après cette déclaration, il
a dit qu’il ne voterait qu’autant que le projet irait jusqu’à Ostende. Voilà ce
que je ne me permettrai pas d’appeler de l’égoïsme : eh ! messieurs, à leur
égard qu’arrive-t-il ? On leur donne une bonne route gratis, et une route qui
réduira pour eux les transports au tiers de ce qu’ils coûtent aujourd’hui.
De plus on leur rachètera les
actions de la route de
Les députés de Liége, qui sont
entrés en lice, sont rares. Plusieurs ont eu la prudence de ne pas nous accuser
; cependant il en est un qui nous a accusé d’égoïsme ; il a dit que nous
voyions le projet à travers le prisme de l’égoïsme et de l’exagération ; mais
pour lui il ne trouve qu’un défaut au projet, c’est qu’il ne traverse pas la
ville de Liége, et il espère qu’on lui fera faire un petit détour pour y
passer. Il ne combat pas nos objections, il dit simplement que nous voyons tout
à travers le prime de l’égoïsme et de l’exagération. Quel est donc son prisme à
lui ? Je ne prendrai pas la peine de le dire.
Si nous sommons nos
adversaires de répondre à nos objections sur le chemin proposé, ils se jettent dans des généralités
sur l’utilité des grandes communications, et ils n’abordent pas les spécialités
que nous les signalons.
Ne nous accusez pas
d’illibéralisme, messieurs ; je suis aussi libéral, je suis plus libéral que
vous. J’ai toujours dit qu’il fallait mettre les routes à la portée de tout le
monde. M. le ministre de l'intérieur a cité une opinion que j’ai émise en mars
1833. Il aurait pu citer cent exemples de cette nature.
J’ai toujours dit que c’était
un anachronisme, un non-sens, que de construire des routes seulement dans
quelques localités. J’ai toujours soutenu que dans un pays qui possédait des
matières premières pondéreuses, comme la houille, le fer, le plomb, le marbre,
il ne fallait lever aucun impôt ni sur les routes, ni sur les canaux. Supprimez
tous les péages et vous ferez quelque chose d’utile pour le commerce et pour
l’industrie en appelant toutes les industries, toutes les localités à profiter
des mêmes avantages. Vous diminuerez les embarras de l’administration et vous
serez justes envers tout le monde. Cessez donc de nous accuser d’illibéralisme,
alors que nous avons prouvé dans toutes les occasions que nous avions plus de
libéralisme que vous tous, alors que dans chaque discussion sur les impôts des
barrières j’ai montré l’injustice qu’il y avait à faire peser sur le Hainaut et
sur le Brabant les droits qu’elles donnent au fisc ; car non seulement ces
provinces fournissent à l’entretien de leurs routes, mais elles fournissent
encore aux autres provinces des sommes énormes, plus de 600 p. c. de la somme
nécessaire à leur entretien.
Avec ce bénéfice le Hainaut et
le Brabant donnent les moyens de construire d’autres routes dans d’autres
contrées. Les députés d’Anvers trouvent tout simple que les routes du Brabant
et du Hainaut soient surchargées d’impôts. Ils prennent leur bonne part dans
les bénéfices qu’elles procurent, et aujourd’hui ils voudraient qu’il n’y eût
aucun droit sur ce transit ; de sorte qu’ils voudraient que les marchandises
étrangères fussent mieux traitées que les autres. Voilà les énormes
contradictions dans lesquelles on se jette.
Messieurs, je ne reviendrai
pas sur toutes les exagérations qu’on a développées jusqu’à satiété sur les
avantages du transit ; je ferai seulement remarquer que, quand on attaque le
transit, quand on somme les amateurs du transit d’en justifier l’utilité, ils
se jettent alors dans toutes les généralités, dans de longs développements sur
les avantages du commerce pour un pays : qui donc a contesté les avantages du
commerce ? et à quoi bon tous ces fastidieux développements ? Y a-t-il un livre
qui, ayant traité d’économie sociale ne débite les mêmes généralités qu’on nous
a répétées jusqu’à satiété ?
Mais, en répétant ces
généralités, vous ne répondez pas à nos objections et notamment a celles de M.
l’abbé de Foere. Laissez là vos généralités et entrez dans les spécialités de
la question, dont on s’écarte sans cesse par impuissance de se maintenir sur ce
terrain.
Toutefois, si d’un côté, par
des généralités, on se jette dans les régions de la haute poésie, d’un autre
côté, comme si on ne voulait rien omettre dans la nomenclature des avantages du
chemin en fer, on descend jusqu’aux détails minutieux de volaille, gibier, de
beurre, d’œufs, de laitage, de légumes, que le chemin en fer transportera. Messieurs,
réduisons les choses à leur plus simple expression : le chemin de fer pourra
être utile à Ostende, à Anvers, à Verviers ; il pourra être utile à quelques
localités qu’il parcourra. Mais ne vous faites pas illusion, les avantages
seront bien peu de chose dès qu’on sera obligé de parcourir quelques lieues des
routes ordinaires, pour arriver à la route en fer ; et si les avantages de la
route en fer sont aussi grands que vous le dites, il faudra les établir dans
tout le pays ; sans cela, il est impossible, quoique vous fassiez, que nos
marchandises puissent entrer en concurrence avec les marchandises étrangères ;
et quant aux transports, il y aura beaucoup de mécomptes dans leur quantité :
les chargements et déchargements sur le chemin ne sont pas faciles, et les
transports ne produiront pas autant qu’on se l’imagine.
Mais, messieurs, j’admets que
tous vos calculs sur les avantages de la route soient exacts ; s’il est vrai,
comme les auteurs du projet l’affirment, que les bénéfices peuvent aller à 17
1/2 p. c., mais que le gouvernement veut se contenter de 7 1/2 p. c. sur les
marchandises qu’il transportera ; s’il en est ainsi, dis-je, au lieu de 35
millions, pourquoi ne dépensez-vous pas 100 millions ? En bons administrateurs,
vous devriez le faire, car vous procureriez au trésor trois fois plus de
bénéfice ; je me trompe, le bénéfice serait plus que triple ; car l’état-major
et les frais généraux étant les mêmes, le bénéfice serait plus grand sur les
sommes que vous dépenseriez en sus des 35 millions.
Vous le proposeriez
immédiatement, si vous étiez convaincus de ce que vous avancez. Mais vous ne le
faites pas parce que vous n’êtes pas sûrs du résultat. Au contraire, dans votre
conscience vous savez que vous serez loin du compte quand vous livrerez la route
au commerce, et que vous ne pourrez pas arriver à terme, sans être obligés de
demander un supplément d’emprunt.
Messieurs, il y a quelque
chose digne de remarque, c’est la contradiction qu’on trouve sans cesse, et sur
tous les points, entre les souteneurs du projet. On a dit : Le chemin de fer ne
peut être utile qu’autant qu’on sera certain du point de départ, que l’Escaut
sera libre et que
Quant à l’Escaut, dit le
député d’Anvers, l’Escaut sera libre, le roi Guillaume respectera les traités.
Le député d’Ostende arrive ensuite et vous dit : Prenez-y garde, votre chemin
de fer n’aura aucune valeur s’il ne vient pas jusqu’à Ostende, car vous ne
pouvez pas méconnaître que le roi Guillaume s’opposera autant qu’il le pourra à
la liberté de l’Escaut ; il cherchera toujours à y mettre des entraves.
Cependant, malgré cette contradiction, ces deux députés vont voter pour le
projet, quoique par des motifs tout opposés. Lequel des deux a raison ? Tâchez
de vous entendre, messieurs, afin que nous sachions à qui répondre.
Le fait est que le député
d’Anvers garantit que le roi Guillaume respectera les traités. Et le député
d’Ostende s’est évertué à vous démontrer longuement qu’il ne les respectera pas
porte. N’importe, en attendant faites le chemin de fer, vous demandent l’un et
l’autre. Pour nous quel parti prendre ? Mais nous savons que depuis des siècles
(et l’honorable M. Nothomb doit le savoir, il a dû faire en qualité de
diplomate des études spéciales sur ce point) ; eh bien, il vous a prouvé que
depuis des siècles,
Le ministre de l’intérieur,
répondant aux interpellations de nos honorables collègues, a assuré que le
chemin en fer ne changeait en rien le traité du 15 novembre ; que le
gouvernement ne s’en départirait pas, que c’était la loi du pays, et qu’elle
serait respectée.
D’une autre part, M. Nothomb,
qui, comme je l’ai déjà dit, en sa qualité de secrétaire des affaires
étrangères, doit s’y connaître, dit : Le chemin en fer est une chose
indispensable parce que, si le traité assure la liberté de l’Escaut, la
navigation des eaux intérieures, et un passage par Sittard,
Eh bien, d’un autre côté, et
immédiatement après, M. Nothomb a pris soin de prouver que ce chemin, loin d’éloigner la
guerre, serait une cause perpétuelle de guerre. En effet, ne vous a-t-il pas
dit qu’en 1627 on avait commencé un canal d’Anvers vers l’Allemagne ? N’a-t-il
pas dit qu’en 1695 on avait conçu le projet de faire un canal d’Ostende à
Anvers ? N’a-t-il pas dit : Ce sont des
menaces de guerre de
L’honorable M. Nothomb
n’a-t-il pas dit qu’alors que nous avions pour souverains les empereurs
d’Autriche, d’Allemagne, de Hongrie et de Bohême,
C’est dans cette position que
vous ne pouvez dénier que vous voulez conjurer des événements par vous-même
signalés. C’est se tromper à plaisir et vouloir tromper la chambre. Quant à
moi, je ne serai pas plus dupe que je ne l’ai été quand il a été question de
tous les traites que j’ai rappelés et qui nous ont mis dans la position où nous
sommes. Je puis donc dire que les mêmes causes amèneront les mêmes résultats.
A cet égard, je dois relever
ce qu’a dit l’honorable M. Nothomb.
Il a trouvé qu’il y avait une
inconséquence à demander qu’une allocation fût portée au budget pour la
construction d’une marine militaire destinée à protéger notre marine marchande,
et à refuser des subsides pour construction de communications intérieures. La
contradiction est dans les paroles de mon contradicteur, et rien dans les
miennes. Le chemin de fer, avec de l’activité pourra être fait en 18 mois ou
deux ans ; eh bien, quand vous aurez votre chemin, vous serez bien avancés, si
vous n’avez pas une coquille de noix pour faire respecter les droits, sans
cesse attaqués par
Voila l’inconséquence, c’est
de vouloir préparer à l’intérieur, au moyen de dépenses considérables, des
communications pour le commerce extérieur, quand vous n’avez rien fait dans nos
ports pour favoriser ce commerce extérieur, pour lui donner des garanties. Que
deviendra, je vous le demande, le transit par l’Escaut, si vous n’avez pas le
courage d’en faire respecter la libre navigation ? J’ai l’intime conviction que
quelques stipulations secrètes, amplifiant la défense qui nous est faite de
construire une marine militaire à Anvers, l’étendent jusqu’à interdire toute
espèce de construction maritime.
Mettez-vous d’accord entre
vous ; rétractez vos paroles sur les causes de guerre qui nous ont privés,
pendant des siècles, de la navigation de l’Escaut : Ou admettez les
conséquences, ou démontrez que les causes n’amèneront plus les mêmes résultats,
et justifiez des moyens qui sont en votre pouvoir pour empêcher ces résultats
de se reproduire.
De même que
Mais, messieurs, voulez-vous
le voir ? les Anversois qui discutent si chaudement en faveur du chemin en fer,
ne s’aperçoivent pas qu’ils sont dupes, comme on voudrait que nous le fussions
tous. En effet, rappelez-vous ce que vous a dit M. Nothomb, secrétaire général
des affaires étrangères : il vous a démontré que la navigation de l’Escaut
serait toujours une cause de guerre. Remarquez que le même orateur, les
ministres et la plupart de nos contradicteurs répètent sans cesse que les
puissances étrangères ne veulent pas de la guerre, et veulent l’éviter à tout
prix ; or, puisque la navigation de l’Escaut est une cause de guerre, les
puissances étrangères nous forceront à renoncer à la liberté de l’Escaut ;
elles diront : Vous avez le port d’Ostende qui vous a suffi autrefois, et c’est
pousser trop loin l’exigence que de vouloir conserver la libre navigation de
l’Escaut, maintenant que vous avez un chemin de fer qui vous rapproche de la
frontière de Prusse à tel point que Verviers est devenu un port de mer pour
l’Allemagne.
Les puissances vous diront
qu’il y a exagération à s’obstiner à demander la libre navigation de l’Escaut,
quand on a fait couler le Rhin à votre frontière, et qu’on l’a pour ainsi dire
transporté au port d’Ostende ; car vous l’avez dit, notre situation géographique
sera changée par le chemin de fer. Nous transportons, avez-vous dit, Ostende à
Verviers. Les puissances ajouteront que vous avez tort d’être plus exigeants
que vos ancêtres, qui se sont contenté du port d’Ostende, et c’est votre propre
langage qu’on vous tiendra. Que répondrez- vous à ces raisons, vous qui vous
êtes montrés si complaisants quand ces puissances ont exigé et obtenu de vous
les plus durs sacrifices, et jusqu’au déshonneur du pays ? Que leur
répondrez-vous, dis-je, quand elles invoqueront vos propres paroles ? Ma
logique et ma raison ne me fournissent pas de réponse ; j’en attends une.
Voilà pour le point de départ,
voilà pour l’Escaut.
Quant à la continuation de la
route par
On parlait aussi alors de la
touchante sympathie de l’Allemagne et du roi de Prusse ; vous savez ce que vous
en avez recueilli : honte et infamie, pas autre chose ; et vous voudriez
qu’alors que pour une simple question d’amour-propre pour le roi Guillaume
comme vous l’appeliez vous-mêmes, cette sympathie s’est trouvée impuissante,
vous voudriez, dis-je, qu’elle fût toute vivace, tout efficace quand il s’agit
de tout le commerce hollandais, de la chose la plus importante pour
Enfin nous sommes certains de
la sympathie de
Le ministre de l’intérieur dit
que
Je ne parlerai pas des
lettres reçues de Cologne ; elles doivent être mises à l’écart, et les lettres
de Ponsomby qui tantôt étaient officielles et tantôt officieuses, doivent vous
faire juger du mérite de ces lettres. La chambre doit être en garde contre de
pareils documents. Je les regarde pour rien ; je dis même qu’il est indécent de
produire, devant la représentation nationale, des lettres de simples négociants
prussiens, quand le roi de Prusse a un envoyé accrédité près de notre
gouvernement, et que nous avons un ambassadeur à Berlin.
Je n’admettrai ce qu’on
dit de
Je ne prétends pas
suivre la discussion dans toutes ses ramifications, je ne m’occuperais pas des
avantages que présente le système des concessions sur le système de régie, mais
il y a une chose qui m’a frappé relativement à ces concessions. On vous parle
sans cesse des intérêts usuraires que percevaient les concessionnaires en
Angleterre, mais on n’a pas établi que ces intérêts provenaient de la trop
grande élévation des tarifs.
C’est ce qu’il fallait
démontrer. A cet égard mon honorable collègue et ami M. de Puydt vous a
démontré une chose fort étrange, c’est que le péage du canal de Pommeroeul est
à infiniment peu de chose près au même taux que pour les canaux anglais. Il est
même relativement à un intérêt beaucoup plus élevé ; car, comme vous le savez,
tout est infiniment plus cher en Angleterre qu’en Belgique. Sans recourir à de
savants calculs, la meilleure preuve que je puisse vous en donner c’est le
nombre d’Anglais qui viennent manger leur pension à Bruxelles, parce qu’elle
s’y trouve triplée de valeur.
Il y a une autre
remarque qui paraît péremptoire c’est que si les abus étaient tels qu’on le
prétend, et si c’était par suite de tarifs trop élevés que les actions des
compagnies allassent de 100 au taux énorme de 2,200, l’abus serait tellement
criant que le gouvernement anglais s’empresserait de l’arrêter en faisant
lui-même des canaux : il ferait cesser ces abus, et ce serait pour lui un des
premiers devoirs, un de ses devoirs les plus essentiels de les entreprendre,
non pas pour exercer un monopole comme on veut le faire ici, mais pour empêcher
le cours de ce monopole et arrêter le taux de l’usure. Si le gouvernement
anglais laisse faire, s’il n’use pas du moyen qu’il n’a pas aliéné en accordant
des concessions, c’est une preuve que les bénéfices n’ont rien d’exagéré et
sont le légitime résultat ; non de la hauteur du tarif, mais de la prospérité
que les chemins de fer ont procurée au pays.
On vous a dit que si le
gouvernement voulait le monopole, c’était pour gagner moins, pour procurer la
route au commerce à moindres frais que les concessionnaires. Que le
gouvernement gagne moins, c’est possible, c’est probable, c’est certain même ;
mais la route coûtera-t-elle moins ? je n’en crois rien. On sait que le gouvernement
achète toujours au plus haut prix ; on sait qu’il ne marche qu’escorté
d’états-majors, d’inspecteurs, de contrôleurs, de receveurs qui augmentent toujours les frais de 8 à 10
p. c.
Mais j’admets que le
gouvernement ne veut pas de monopole et qu’il livrera la route au meilleur
marché possible. Ce ne sera pas moins un monopole relativement aux localités
qui ne sont pas appelées à profiter des avantages du chemin de fer, et pourquoi
? parce que si le gouvernement fait des sacrifices en puisant dans le trésor,
vous ne pourrez pas trouver de concessionnaires qui se hasardent à entrer en
concurrence avec le gouvernement pour faire des routes de Charleroy vers
Anvers, de Mons vers Anvers ou de Marimont vers Anvers.
Pensez-vous trouver des
concessionnaires pour faire ces routes ? Veuillez bien remarquer que le
transport se fera à raison d’un peu plus du tiers de ce qu’il coûte pour les
marchandises en général et, pour les charbons, à un peu plus d’un sixième que
par la voie ordinaire. Vous ne pouvez pas penser que des concessionnaires
viennent essayer une concurrence avec la certitude de se ruiner. C’est donc un
monopole que vous établissez non pas à votre profit mais au détriment de toutes
les industries établies. N’est-ce pas le même résultat, si, au lieu de vous
enrichir en les ruinant, vous les ruinez sans vous enrichir ? le sont-elles
moins que si elles l’étaient par le bénéfice que vous ou une autre entreprise
pouviez faire ?
Les localités qui
demandent des concessions, dit-on, ne veulent pas de chemin de fer parce
qu’elles sont lésées ou se croient lésées. C’est là une réponse, je ne dirai
pas offensante, mais qui n’est pas juste. Il y a des localités qui ne sont
nullement intéressées à ce que je chemin de fer n’ait pas lieu, qui sont plutôt
intéressées à ce qu’il soit exécuté, comme vous l’a dit M. Vilain XIIII, et qui
cependant demandent qu’on l’exécute par voie de concession
Il n’est donc pas exact
de dire que toutes les localités qui ne sont pas appelées à jouir du chemin de
fer, demandent qu’il soit exécuté par voie de concession. Mais ces communes
sont lésées. Pourquoi sont-elles lésées ? Parce que le gouvernement veut le
faire lui-même et qu’en le faisant il dérange la balance commerciale, parce
qu’ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de le dire, il fait peser dans un des
plateaux le trésor public de tout son poids et qu’il est impossible de lutter
contre le trésor public. Voilà ce qui fait que ces localités diront toujours
qu’elles aiment mieux que le chemin soit fait par concession, non afin qu’on ne
les fasse pas, mais afin de pouvoir en faire un en concurrence pour conserver
leur industrie.
Un orateur vous a dit :
Je sais que le chemin sera moins bien fait et exécuté plus cher s’il est
exécuté par le gouvernement que s’il l’eût été par concession ; mais comme
j’aime mieux avoir un mauvais chemin que de ne pas en avoir du tout, je voterai
pour le chemin quel que soit le mode d’exécution. Je ne suis pas de cet avis.
Car il est souvent beaucoup plus difficile et beaucoup plus frayeux de refaire
ce qui a été mal fait, que d’entreprendre une grande opération sur des bases
bien calculées, bien mûries.
On vous a dit que les
chambres de commerce, les compagnies charbonnières du Hainaut, approuvaient le
projet comme favorable au transit en général. Cela ne prouve qu’une chose,
c’est que le Hainaut, pas plus que ses représentants, ne méritent le reproche
d’égoïsme d’esprit étroit de localité. Oui, ces compagnies veulent le chemin de
fer mais puisque vous invoquez l’opinion des chambres de commerce et des sociétés
charbonnières, respectez aussi leurs scrupules ou plutôt écoutez leurs paroles
alors qu’elles sont aussi énergiques que justes et logiques.
Voici ce que disent
toutes les sociétés charbonnières et commerciales du Hainaut. Elles
représentent à elles seules trois fois la valeur des houillères de Liége :
« Jamais les
charbonnages de Charleroy et de Mons ne pourraient rendre sur le marché
d’Anvers leurs produits à des prix aussi bas que ceux auxquels y arriveraient
les charbons de Liége. Il serait inique d’exiger qu’une province vînt concourir
à une dépense qui, en définitive, aurait pour elle des résultats si
désastreux. »
Je me borne à lire ce
simple passage.
Si vous considérez comme
de quelque poids dans la discussion l’avis de toutes les sociétés charbonnières,
respectez leur opinion alors qu’elles vous disent : « Nous connaissons
l’importance des nombreuses communications ; mais nous ne voulons pas d’une
communication qui doit nous ruiner ; or, le chemin de fer nous ruinerait. Et je
démontrerai tout à l’heure que la construction du chemin de fer ruinerait la
province du Hainaut.
M. Lebeau a dit que si
la province du Hainaut doit être ruinée, il préfère pour elle qu’elle soit
ruinée par l’arbitrage du gouvernement plutôt que par une compagnie de concessionnaires.
Ceci ressemble beaucoup la facétie qu’un maître d’hôtel adressait à la volaille
d’une basse-cour ; il m’est permis de parler ici de basse-cour, alors qu’un
ministre du Roi a comparé toute cette chambre à une volière. Ce maître d’hôtel,
étant donc descendu dans sa basse-cour, dit à ses bénins habitants : « A
quelle sauce voulez-vous être mangés ? - Mais, répondaient les volailles, nous
ne voulons pas être mangées. - Ce n’est pas là la question, reprenait notre
homme, vous devez être mangées ; il s’agit seulement de savoir à quelle sauce
vous serez mises. » (On rit.)
Eh bien, messieurs,
c’est identiquement ce que dit le ministre de la justice à la province du
Hainaut. Si, dit-il, j’avais l’honneur d’être le représentant de cette
province, j’aimerais mieux qu’elle fût ruinée par l’arbitrage du gouvernement
que par celui d’une compagnie de concessionnaires.
Mais, dit M. le ministre
de l’intérieur, le Hainaut ne sera ruiné que pour un dixième tout au plus. S’il
est ruiné (sans doute pour la totalité), il aura des chances pour un
embranchement vers la route en fer ; ce sera en quelque façon une obligation
pour le gouvernement de construire cet embranchement, si le Hainaut est ruiné.
Ainsi il faut avant tout, il faut que le Hainaut commence par se ruiner ; il
faut tout au moins que le gouvernement commence par s'en apercevoir. Puis alors
il aura des chances pour avoir un embranchement, puis alors ce sera en quelque
façon une obligation pour le gouvernement de construire cet embranchement. Oh !
c’est vraiment une grande consolation pour la province du Hainaut, surtout à en
juger par ce qui se passe ici depuis dix jours et par ce qui se passe en
Hainaut depuis trois ans.
Depuis trois ans, la
province du Hainaut réclame contre un monopole, qui, je dois le dire, est
infâme. On prétend avoir fait une grande faveur au commerce, en diminuant de 50
p. c. les péages de ce canal, et on a dit qu’il en résultait que la navigation
de cette province se faisait aux dépens du budget de l’Etat. On a reproduit dix
fois cette assertion, alors que j’y avais déjà répondu, alors que j’avais
établi que le commerce de Mons, loin de jouir d’un privilège, paie 127 fr. 90 c. de plus quand il prend le
canal d’Antoing, que lorsqu’il prend le canal de Condé et qu’il descend
l’Escaut : comme il est souvent forcé de passer par Condé, on le contraint à
payer les mêmes droits de navigation que s’il passait sur le canal de Pommerœul
à Antoing ; c’est-à-dire qu’on fait payer au commerce du Hainaut un droit de
navigation pour un canal dont il n’use pas.
Voilà 3 ans, messieurs,
que le gouvernement exerce ce monopole. J’ai porté, il y a 5 ou 6 jours, au
gouvernement le défi de nier ces faits et de les justifier ; je le lui
renouvelle de la manière la plus formelle.
J’en reviens à
l’accusation portée contre la province du Hainaut. « Depuis trop longtemps, a
dit M. Devaux, le Hainaut est en possession de privilèges et du monopole ; il
est temps que le Hainaut se résigne. » Je demanderai d’abord à quoi il
doit se résigner. Est-ce à perdre les privilèges et le monopole ? Nous y sommes
tous résignés ; car nous n’avons jamais joui ni d’un monopole, ni de privilèges
; mais ce à quoi nous ne nous résignons jamais, c’est que le monopole et les
privilèges soient établies en faveur d’autres localités en ruinant la province
du Hainaut.
Messieurs, on vous a dit
que l’équilibre commercial est une chimère, et c’est une de ces propositions
que j’abandonne à son auteur. L’honorable M. Devaux a ajouté que l’équilibre
avait été rompu lorsque le gouvernement avait été forcé de faire l’acquisition
du canal de Pommeroeul à Antoing pour en diminuer les péages. Rien de cela
n’est exact.
Le gouvernement n’a pas
été forcé d’acquérir ; et lorsque le roi Guillaume a fait l’acquisition du
canal d’Antoing, c’était pour faire faire une bonne affaire au syndicat.
L’entrepreneur à qui il a été adjuge a fait, à la vente, une très bonne
affaire, mais en voici la raison. Une écluse a été ajoutée au cahier des
charges.
Pour mon compte, j’ai la
conviction que cette clause a été ajoutée au contrat après l’adjudication
publique. Je veux admettre qu’il n’en a pas été ainsi et qu’elle a été ajoutée
au montant de l’adjudication, comme le disent les sociétés charbonnières du
Hainaut dont on a invoqué l’avis. Voici cette clause qui, si elle n’a pas été
ajoutée après coup, a été ajoutée au moment de l’adjudication :
« Cependant sont
censés avoir passé le nouveau canal en entier tous les bateaux qui, partant de
l’ancien canal de Mons aux limites, auraient pris une autre route ou un détour
pour éviter le premier. »
Cette clause a été
ajoutée à la main au cahier des charges après l’article 24. Ce cahier des
charges a été imprimé ; tout le monde peut se le procurer, et chacun pourra se
convaincre de la vérité de mon assertion confirmée par les sociétés
charbonnières du Hainaut.
C’est en vertu de cette
clause qu’on a contraint le commerce de Mons à passer par le canal de Pommerœul
à Antoing ou à payer les droits établis sur ce canal, alors qu’il passait par
le canal de Condé et descendait l’Escaut. Voilà, messieurs, le mot de l’énigme
; voilà comment on a écarté la concurrence ; voilà comment le roi Guillaume se
ménageait probablement une bonne affaire ; voilà enfin comment, malgré la
diminution de 50 p. c. des péages, ce canal rapporte encore 8 1/2 ; c’est ainsi
que les sociétés charbonnières paient 127-90 fr. par bateau de plus qu’elles ne
doivent. Voilà ces privilèges, ce monopole dont jouit le Hainaut ! Est-ce pour
diminuer le péage que le roi Guillaume a acheté le canal d’Antoing ? Non ; car
le péage a été maintenu au même taux longtemps après l’acquisition. Ce n’est
que le 8 janvier 1831 que le péage a été diminué de moitié seulement ; c’est ce
qui me confirme dans mes soupçons au sujet de la clause ajoutée au cahier des
charges.
Maintenant, savez-vous
quelles dépenses les sociétés charbonnières sont obligées de faire aujourd’hui
pour exploiter le canal d’Antoing aux conditions où elles le font aujourd’hui ?
Comme le canal de Mons à Condé a été fait par le gouvernement, l’administration
des ponts et chaussées n’a rien trouvé de plus merveilleux que de faire partir
le canal du clocher de Mons pour le faire aboutir au clocher de Condé ; de
telle sorte qu’après la construction de ce canal qui a coûté trois millions,
les sociétés charbonnières sont obligées de dépenser trois autres millions pour
pouvoir l’exploiter, de faire construire des routes à rainures en fer
conduisant du canal aux fosses d’extraction qui en sont éloignées jusqu’à une
lieue ou une lieue et demie. Voilà encore un exemple des faveurs qu’on fait au
Hainaut. Après avoir payé la construction du canal et ses frais d’entretien, il
est obligé, pour arriver à l’exploiter, de dépenser un capital égal aux
premiers frais de construction. Puis on viendra dire : Il est temps que le
Hainaut se résigne à se laisser ruiner par la province de Liége ; il est temps
qu’il renonce au monopole dont il a joui si longtemps.
On a dit que le
gouvernement avait aussi diminué excessivement les péages du canal de Charleroy
à Bruxelles. Il les a diminués de 25 cents sur 170, il les a conséquemment
réduits à 145. En définitive, il a diminué le tarif de 8 à 10 p. c. C’est là
encore un monopole, un important privilège concédé à la province du Hainaut.
J’admire l’impudeur, car
c’est le mot propre alors qu’on réduit les frais de transport de Liége à Anvers
et Ostende non pas de 1/10, mais des 4/5, mais de 80 p. c., ou crie contre le
monopole du Hainaut, on gémit des privilèges dont il jouit aux dépens du
trésor.
Messieurs, voulez-vous
savoir en définitive quelle sera la situation du Hainaut après la construction
du chemin de fer de Liége à Anvers et de Liége à Ostende ? Prenez la peine, de
voir les pages 80 et 82 du mémoire de MM. Simons et de Ridder.
Ils disent que le prix
des charbons est sur un pied d’égalité à Mons, Charleroy, Marienbourg et Liége.
Ils disent aussi à la page de la réplique que les houilles de Liége et de
Charleroy ont de tout temps été en concurrence sur les marches d’Anvers. Je
pourrais contester ces faits ; mais je les admets. Or, ils disent à la page 56
de leur réplique que la construction de la route en fer diminuera de 60 p. c.,
c’est-à-dire de plus de moitié, les frais de transport de Verviers à Anvers et
de Liége à Anvers pour toutes les marchandises et que les droits pour les
houilles ne sont que de moitié ; il y aura donc une diminution de plus de 70 p.
c. sur le prix du transport des houilles. Comment voudriez-vous qu’alors les
houilles du Hainaut soutinssent la concurrence avec celles de Liège sur les
marchés d’Anvers, du Brabant et de toutes les Flandres ?
Qu’on me réponde ; c’est
sur vos chiffres que je base mes calculs.
Ce qu’on répondra ? On
dira, si on a la même franchise qu’on a eue en présence du ministre de
l’intérieur ; on dira : Le Hainaut sera ruiné ; mais il nous importe peu, et
nous aurons la route en fer. Si on n’ose le répéter, au moins on n’osera le
démentir.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - On osera ; car je le
démens.
M.
Gendebien. - Ce n’en est pas moins positif ; je le tiens d’un
homme d’honneur qui pourra l’attester.
M.
le ministre des finances (M. Duvivier) - Cela ne signifie rien.
M.
Gendebien. - M. le ministre des finances conteste le fait ; eh
bien, je défie qui que ce soit de prouver le contraire.
M.
le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne conteste pas le
fait ; mais je dis qu’il ne signifie rien en ce que l’on n’a pas pu dire
sérieusement que la ruine du Hainaut importait peu.
M.
Gendebien. - Si vous ne traitez pas cela de choses sérieuses,
c’est différent. Il me semble cependant que vous pourriez vous occuper de la
question avec un peu plus de sollicitude ; car vous appartenez aussi au
Hainaut, et je vous défie de répondre à la démonstration que j’ai donnée, que
le Hainaut serait profondément blessé dans ses intérêts si le système du
gouvernement triomphe.
Je dis qu’alors les
houilles de Liége arriveront à Anvers à un prix inférieur à celles du Hainaut,
de 3/4 ou des 4/5 : le commerce de cette province les a ruinés. Mais, dit-on,
le commerce du Hainaut ne sera ruiné que pour un dixième. Qu’il perde un
million, comme l’a dit un député de Verviers, qui en parle fort à son aise :
qu’est-ce que cela signifie en comparaison des avantages qui en résulteront....
pour Verviers sans doute ? Mais nous ne voulons pas être ruinés pour un dixième
; nous ne voyons pas qu’il soit nécessaire que nous perdions un million. Les
houilles du Hainaut rapportent-elles donc de si grands bénéfices ?
Elles ne rapportent pas
un pour cent à ceux qui les exploitent. Si on faisait le calcul de tous les
capitaux qui y ont été placés en pure perte, l’histoire de toutes les sociétés qui
s’y sont ruinées, on verrait qu’elles ne rapportent pas un pour cent. Et on
veut encore nous enlever un million ! pour qui ? Est-ce pour des hommes plus
industrieux que nous ? Est-ce pour des hommes qui ont jeté comme nous des
capitaux au hasard ? Non, c’est pour seconder une industrie qui doit nous
ruiner et à laquelle le trésor veut, avec notre aide, lui donner les moyens de
le faire. Non, messieurs, cela n’est pas possible ; personne ne peut gagner à
un pareil système, si ce n’est celui qui en est l’objet direct consommateur et
la concurrence ne peuvent qu’y perdre. Le Hainaut ne souffrira pas plus les
privilèges qu’il ne les réclamera à son profit.
Soyez tranquilles ; le
Hainaut possède des hommes aussi industrieux qu’énergiques ; et tant qu’il
n’aura en concurrence que l’industrie des autres, s’il ne l’emporte pas, au
moins fera-t-il toujours concurrence.
On a dit qu’on voulait
nous ruiner seulement pour un dixième. Je voudrais savoir de quel droit le
gouvernement prétend arrêter ainsi nos fortunes et poser des bornes à notre
industrie. Je doute fort qu’en Turquie on ait jamais entendu une proposition
semblable. Je doute fort que l’empereur, dans toute sa puissance, ait jamais eu
pareille pensée ; et vous, pygmées, vous voudriez nous interdire nos droits
civils, nos facultés, notre industrie. Ah ! Détrompez-vous !
Jamais, pour moi j’en
suis convaincu, et je le répète, jamais la province du Hainaut ne souffrira une
telle injustice. Je ne crains pas d’être démenti par mes commettants.
Cependant le chemin de fer doit avoir un résultat
miraculeux : Au-dehors il donnera une haute idée de notre révolution par les
travaux entrepris par le gouvernement ; à l’intérieur il ralliera le parti
orangiste, au-dehors il ne produira rien car le secrétaire-général des affaires
étrangères vous dit, et on le saura par son discours ; vous n’avez fait le
chemin de fer que pour éviter des difficultés, des menaces de guerre de la part
du roi Guillaume. Il attestera donc votre impuissance, votre pusillanimité ; il
prouvera que vous n’avez pas le courage de défendre le traité que vous vous
êtes laissé imposer, il vous placera au-dessous de ceux qui se sont déshonorés
en vous l’imposant. Vous n’osez pas défendre le traité que vous avez proclamé
loi de l’Etat après avoir eu la lâcheté de l’accepter, Voilà ce que dira
l’Europe !
A l’intérieur, il ralliera, dites-vous, le parti
orangiste. Croyez-vous donc que le chemin de fer d’Anvers à Verviers rendra à
l’industrie son essor et sa prospérité ? Oui, sur deux points. Mais pour
Admirable politique en vérité. Quoi ! vous voulez
satisfaire les orangistes qui ont combattu notre révolution aux dépens de la
province du Hainaut qui la première s’est jetée dans la révolution, qui a
sacrifié à
Si jamais une province a
eu intérêt à la réunion a
Les affections du
Hainaut n’ont jamais changé ; elles ont toujours été pour
Mais les intérêts matériels sont restés les mêmes. Le
Hainaut les a sacrifiés à
Le Hainaut a sacrifié à
Je le répète, le Hainaut ne souffrira pas qu’on le
sacrifie soit aux orangistes, soit à la province de Liége. Au reste, je
comprends qu’on ait voulu sacrifier le Hainaut aux orangistes ; car Il n’y a
jamais eu d’orangistes dans le Hainaut ; ou s’il y a eu quelques hommes dont
les opinions et les intérêts ont été froissés, ou ayant quelque affection pour
le gouvernement du roi Guillaume, c’étaient des hommes loyaux qui ont été
respectés dans le Hainaut ; car ce n’étaient point des hommes changeant de
couleur pour des intérêts d’argent, des hommes se laissant corrompre ou
cherchant à corrompre.
Messieurs, on vous a dit
qu’il s’agissait de priver le Hainaut d’un dixième, ou seulement d’un million
de ces produits. Mais au taux du tarif toutes les houilles de Liège peuvent
s’embarquer pour Ostende et aller fournir toutes les Flandres qui sont le
principal débouché du Hainaut. Je défie le Hainaut d’arriver à Ostende quand on
donne quatre cinquièmes de rabais de Liége à Ostende.
Les auteurs du projet
disent d’un autre côté (page 85 de leur mémoire) : Les houilles de Liège seront
transportées à raison de 5 fr. 20 c. le tonneau de Liége à Anvers,y compris 30
centimes pour le transbordement à Anvers : en ne comprenant pas le
transbordement, le transport coûtera 4 fr. 90 c. ; eh bien, au taux actuel,
depuis que le canal de Charleroy est fait, depuis qu’on a diminué le péage de 8
ou 10 pour cent les houilles du Hainaut coûtent, pour être transportées à
Anvers, 8 fr. 50 c. ; c’est donc près de 50 pour cent de plus que le transport
des houilles de Liége.
Ce prix de 8 fr. 50 c.
ne s’obtient que parce que la navigation ne trouve pas toujours des cargaisons
; mais, dans les temps ordinaires, il ne sera pas de 8 fr. 50 c., il sera 9 fr.
50 c. ou de 10 fr. de Charleroy à Anvers ; ainsi, la différence au lieu d’être
de 50 p. c., sera peut-être de 60 à 70 p. c.
D’après ces chiffres, il
devient évident que le Hainaut ne fournira plus les Flandres. Mais ne
dussiez-vous enlever au Hainaut que le dixième de ses revenus, de quel droit
lui faites-vous supporter cette perte ? En administrateurs sages et prudents,
vous deviez savoir que votre premier devoir est d’éviter de faire des
mécontents.
Ceux qu’on favorise ne
disent rien, de crainte de perdre leur faveur ; en général on est moins porté à
se vanter du bien qu’on reçoit que du mal qu’on éprouve. Votre premier devoir
était d’empêcher la plainte, et surtout la plainte légitime : elle est avouée
par vous. Vous allez donc vous faire de tout le Hainaut des ennemis ? Prenez-y
garde ; le Hainaut n’est pas disposé à faire de nouveaux sacrifices, il en a
assez fait pendant toute la révolution.
Les négociants de
Verviers ne se vanteront pas de leurs bénéfices : ils craindraient qu’on ne
leur enlevât leurs bénéfices par un changement de tarif. Liège se gardera bien
de vanter les avantages qu’elle recevra ; car si l’on connaissait ses
bénéfices, elle craindrait une diminution du tarif. Vous aurez donc peu de
louangeurs, excepté dans votre antichambre, mais ce n’est pas là que se forme
l’esprit public c’est l’opinion des masses qui forme l’esprit public ; c’est
sur la place publique que l’opinion se forme, qu’un gouvernement est jugé
aujourd’hui.
On a essayé de vous
faire considérer comme fiche de consolation un tarif qui serait régie pat les
chambres ; tout est dans le tarif, s’est-on écrié : j’ai déjà répondu à cela
indirectement, mais je vais y répondre directement.
Vous allez réguler le
tarif ? mais si je dois m’en rapporter aux chiffres du ministère et de tous
ceux qui ont soutenu le projet ; quand je vois qu’ils s’obstinent à fermer les
yeux à l’évidence, à ne pas voir une diminution des frais pour les uns de
quatre cinquièmes, au détriment des autres ; quand je vois que le Hainaut
réclame en vain depuis trois ans contre un monopole qu’on lui représente
effrontément comme une faveur, quel espoir puis-je avoir dans la justice qu’on
nous rendra tous les ans par un tarif ?
De plus rappelez-vous
les débats interminables qui ont lieu quand il s’agit du partage de cinq ou six
cent mille francs du produit des barrières : chacun arrache un lambeau de cette
somme pour sa localité ; eh bien, messieurs, quand on s’occupera des tarifs à
la première fois, on discutera six, sept séances ; puis on dira à la séance
suivante : il faut abandonner le soin de les régler au gouvernement. Et le
gouvernement agira comme agissent tous les gouvernements ; il fera la sourde
oreille ; il sera sous des influences corruptrices, ou d’affections tout aussi
dangereuses. L’égoïsme agira pour empêcher les plaintes d’arriver jusqu’à lui.
Le ministre enfin les recevra ; il les enverra dans les cantons ou à un chef de
division ; le chef de division, que je suppose un homme probe, mais comme il a
plusieurs affaires, il renvoie la plainte à un commis.
Plusieurs mois se
passent ; le moment de discuter, de diminuer le tarif arrive, et les documents
ne sont pas prêts et l’on renvoie la question l’année suivante. Voilà ce qui se
passe dans presque tous les gouvernements avec la meilleure volonté du monde.
N’avez-vous pas vu tous les ministres chaque année, depuis trois ans, venir
vous dire qu’on ne peut pas encore modifier les lois de finances qui lèsent
tout le pays : depuis trois ans ils les proclament détestables, absurdes,
iniques, et ils ne les changent pas. Pourquoi ne voulez-vous pas qu’ils disent
de même pour des intérêts de provinces ?
Les lois relatives aux
barrières, à la garde civique, le code militaire, beaucoup d’autres lois sont
reconnues détestables, monstrueuses ; cependant on ne reforme rien, et tous les
ans même chose ; et vous voudriez être plus diligents quand il s’agira d’une
partie du pays, et vous croyez rassurer le Hainaut par vos assurances de
chances de route en fer et d’équité dans le règlement du tarif ?
Quand on viendra
réclamer, on dira : Le Hainaut ne perd qu’un million, il ne perd qu’un dixième,
il faut que l’intérêt général aille avant lui. C’est d’un arbitraire inique,
insupportable de la part du gouvernement que de vouloir prétendre s’immiscer
dans l’industrie, dans le commerce.
Il
ne doit avoir d’action que pour réprimer les abus que l’on signale dans
l’exercice de la liberté de l’industrie comme de toutes les autres libertés
civiles, religieuses ou politiques. Quant à la balance commerciale, il ne peut
pas y toucher, s’il y touche, il frappe de mort, car il ne peut être aussi
éclairé que l’intérêt particulier ; trop d’intrigants sont intéressés à le
tromper, et trop souvent le ministre, malgré lui, est trompé par la corruption
ou ses affections, et il consacre l’injustice. Que s’ensuit-il ? il fait des
mécontents. Faites votre chemin de fer, faites-en dix, s’ils peuvent rapporter
7 1/2 p. c., car ce sera une bonne fortune pour le pays et pour le trésor ;
mais ne le faites pas de manière à ruiner certaines localités au profit
d’autres. Je vous le dis, il est plus que temps de rassurer le Hainaut sur sa
position. Le Hainaut ne souffrira pas qu’on le ruine au profit de la province
de Liége, tout disposé qu’il est néanmoins à applaudir à toutes les mesures
d’intérêt et de prospérité générales.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - On dit que le Hainaut
ne souffrira pas qu’on le ruine au profit de la province de Liége.
M.
Gendebien. - Ni au profit d’aucune autre province.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Le ministère ne le
souffrira pas non plus ; s’il était animé d’un tel esprit de localité, il
s’efforcerait de le comprimer en lui-même.
J’ai demandé la parole,
d’abord pour expliquer le propos d’un ingénieur qui, dit-on, aurait été tenu
devant un homme d’honneur. Je vais raconter ce qui passe.
M. Corbisier se trouvait
dans mon cabinet avec M. l’ingénieur de Ridder dans une conversation assez
animée et assez gaie, M. Corbisier dit : Vous voulez donc ruiner le Hainaut ?
Oui, répondit en riant M. de Ridder ; nous le ruinerons, pourvu que nous ayons
notre chemin en fer.
M.
Gendebien. - C’était une fort mauvaise plaisanterie.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Mauvaise plaisanterie,
soit ; mais plaisanterie dont il ne faudrait pas faire une chose sérieuse, ni
chercher à tirer un si grand parti.
On est revenu sur le
canal de Pommerœul à Antoing, et on a trouvé l’occasion d’attaquer les
mauvaises intentions dont le gouvernement serait (je vous demandé pourquoi)
animé contre le Hainaut. Le gouvernement a dit que le droit sur le canal de
Pommeroeul à Antoing avait été réduit de moitié depuis la révolution : on
prétend que ce n’est pas assez ; qu’il faudrait laisser passer les charbons par
Condé ; qu’il y a monopole infâme à faire payer fr. 1-27 de plus au charbon, en
le forçant à passer par
Longtemps le transport
du charbon du Hainaut s’est fait par Condé pour éviter le monopole qu’exerçait
En effet, aussitôt
l’achèvement du canal de Pommeroeul, la ville de Condé réduisit
considérablement les droits. C’est ce que ferait aussi
On prétend que c’est une
iniquité, de la part du gouvernement, d’intervenir dans une industrie
particulière. Mais si le gouvernement ne fût pas intervenu dans l’affaire du
canal de Pommeroeul à Antoing, le concessionnaire aurait continué à recevoir
pendant 21 ans le double de ce que l’Etat reçoit maintenant.
Nous avons déjà dit que
le gouvernement, en se réservant la route en fer, entendait que les tarifs en
seraient soumis à la législature, et qu’en réglant le tarif de Liége à Anvers
on pourrait régler en même temps le droit sur les canaux du Hainaut.
J’insiste sur cette
déclaration. Ce n’est pas sans peine que j’entends des plaintes si amères et si
injustes. Je fais un appel au patriotisme de ceux qui se donnent pour patriotes
par excellence ; je leur demanderai si une route qui sera dans l’intérêt
général, quoiqu’elle ne passera pas par le Hainaut, doit être repoussée comme
inique ; je demanderai si cette province ne consentirait pas à faire un léger
sacrifice dans l’intérêt de tous : s’ils résistaient, ils montreraient, ce me
semble, un esprit étroit et inique, ceux qui se disent plus libéraux que nous.
M.
Gendebien. - Ce n’est pas à vous à en juger ; nous en appelons à
nos commettants.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Nous en appelons aussi
à nos commettants pour cela.
Le chemin en fer n’est
encore qu’en discussion ; quand il sera construit, ce sera le moment de faire
entendre ses doléances et d’obtenir justice. Il se passera encore des années
peut-être avant que nous en soyons là, avant que nous sachions à quel prix le
charbon de Liége se vendra sur le marché d’Anvers et de Bruxelles.
Quoi qu’il en soit, il
est un intérêt qu’on ne doit pas non pas perdre de vue, c’est l’intérêt du
consommateur. Si on parvenait à procurer aux classes pauvres le charbon à
meilleur compte et à les prémunir plus aisément contre les rigueurs de l’hiver,
il n’y aurait pas iniquité ; il y aurait justice envers cette classe de consommateurs
qu’il ne faut pas oublier dans une discussion où il s’agit d’intérêts
matériels.
J’espère que ces paroles
seront entendues dans le Hainaut, et que les habitants de cette province ne
s’associeront pas aux craintes exagérées que l’on a manifestées dans cette
enceinte ; qu’ils entendront la voix de la justice et de la raison.
Il
y a injustice dans les attaques qu’on adresse au gouvernement. On perd de vue
que si le projet de la section centrale est adopté, un embranchement vers le
Hainaut est décrété. Ce n’est qu’à cause de cet embranchement nouveau que la
somme primitive a été portée à 35 millions, et c’est de l’énormité de ce
chiffre qu’on raisonne constamment contre le projet : si l’embranchement vers
le Hainaut était écarté, la dépense serait réduite à 28 millions. Si le
gouvernement était aussi injuste qu’on le prétend vis-à-vis de la province du
Hainaut, il s’opposerait à cet amendement ; son intérêt serait qu’il fût écarté
: le projet, n’offrant plus qu’une dépense de 28 millions, donnerait lieu à
moins de réclamations et de déclamations.
Comme c’est à l’art. 1er
que la question doit se présenter, alors que nous nous réservons de la traiter
plus longuement.
M.
Gendebien. - Le ministre m’a interpellé de répondre sur beaucoup
de choses en apparence, mais sur très peu en réalité. Il nous a dit, messieurs,
que l’historique de la concession du canal de Pommerœul à Antoing était un des
arguments les plus forts à faire contre les concessions, comme si nous
prétendions perpétuer, je ne dirai pas le système bâtard de concession de
Guillaume, mais le système absurde. Je n’ai pas attendu jusqu’aujourd’hui pour
stigmatiser ce système, je l’ai attaqué dans les journaux ; j’ai eu l’occasion
de le faire lors du procès de M. de Potter, alors que l’avocat général chargé
de soutenir l’accusation avait vanté les bienfaits inappréciables que le
gouvernement hollandais déversait à grands flots sur
Si on se plaint de
l’amertume de mes paroles à cet égard, ce n’est pas la première fois que
j’exprime mon opinion sur ce point ; je l’ai toujours exprimée franchement,
sans m’inquiéter de ce qui pouvait advenir. J’ai dit la vérité, et j’ai prédit
ce qui est arrivé seulement ; je ne croyais pas que ma prédiction se fût
réalisée si tôt, et surtout que les choses eussent tourné si mal pour mon pays.
Le gouvernement alors
fixait un péage, et adjugeait la concession à qui demandait un moins grand
nombre d’années de perception : c’était un mode de concession qui avait tous
les inconvénients de la régie et aucun des avantages de la concession.
Voulez-vous savoir pourquoi,
alors que le droit sur le canal d’Antoing était diminué de moitié, le revenu
était encore de 8 p. c. ? Je l’ai déjà dit, c’est à cause d’une clause insérée
après coup dans le contrat. On n’a pas répondu à cette explication, Faites-nous
produire le cahier des charges qui contient plusieurs articles, je défie d’y
trouver l’article cité, qui est transcrit dans le mémoire des sociétés
charbonnières. Il a été transcrit dans le contrat de la main du ministre de
l’intérieur ; à la suite de l’art. 24.
Vous sentez l’excessive
différence qu’il y a à entreprendre un canal en concurrence avec les anciennes
navigations, d’après le cahier des charges, et à le faire avec une stipulation
spéciale insérée après coup, qui en fait un monopole. Vous sentirez qu’il y a une
différence du tout au tout.
Sans cette clause, la
concession pouvait être ruineuse, et avec cette clause et le monopole qui en
résulterait, elle devait devenir un moyen de fortune assuré. Voilà ce qui
explique le taux élevé du péage et la fortune que le concessionnaire aurait
faite. C’est par un de ces abus qui se reproduiraient si on laissait au
gouvernement le monopole des grandes communications.
Je crois avoir répondu
d’une manière pertinente à l’objection du ministre et au parti qu’il a voulu en
tirer contre le système des concessions.
On vous a dit que si le
gouvernement n’avait pas racheté le canal, le concessionnaire aurait continué
de percevoir un droit double. D’abord ce droit devait le rembourser en 18 ans,
tandis que ce que perçoit le gouvernement sera perçu, je pense, à perpétuité.
Voilà la différence ; de manière qu’à part le monopole, le concessionnaire
devait se rembourser du tout en 18 ans, tandis que le gouvernement continuera
toujours à percevoir. Maintenant, messieurs, est-ce pour diminuer le droit de
navigation que le gouvernement a racheté le canal ? Non, car il a continué à
percevoir le même taux, par l’entremise du syndicat, et on devait continuer à
le percevoir, ce qui me donne de graves soupçons sur toute la manœuvre qui a
présidé à cette concession.
On pourrait, d’après
cela, être disposé à croire que le concessionnaire a été un homme de paille
placé par le gouvernement pour faire une bonne affaire. Veuillez remarquer
cette clause exorbitante, déterminante pour le temps de la perception, cette
clause de monopole insérée après coup au profit de celui qui s’est rendu
concessionnaire. C’est un abus résultant de l’immixtion du gouvernement et avec toute votre probité ;
vous courrez les mêmes dangers, en vous immisçant dans l’industrie particulière.
Vous n’avez donc aucun argument a tirer de cette circonstance. Elle prouve
seulement qu’il y a danger pour tout ministre à s’immiscer dans l’industrie
particulière.
Messieurs, au lieu de répondre
aux observations que j’ai faites tendant à repousser les arguments tirés du
tarif, on répond : le tarif sera réglé par les chambres. On pouvait, disait-on,
faire disparaître les inconvénients que j’ai signalés résultant de ce procédé
en diminuant les péages. Mais le canal appartient à une société particulière,
comment parviendrez-vous à diminuer ces péages.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - En nous adressant à la
chambre.
M.
Gendebien. - Vous exproprierez donc pour cause d’utilité.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Nous ferons ce qui a
déjà été fait.
M.
Gendebien. - Mais à quelles conditions le ferez-vous ? S’il est
vrai que le chemin de fer peut produire jusqu’à 17 1/2 p. c., au lieu de jeter
des capitaux pour racheter les péages, mettez le chemin en concession les
concessionnaires ne manqueront pas, vous contenterez tout le monde et vous
auriez un bénéfice pour le trésor.
Messieurs, on vous a dit
que si toutes les provinces ont un intérêt immense à l’exécution de la route en
fer, on ne peut pas écouter les doléances de la province du Hainaut, qu’on a le
droit de qualifier d’esprit étroit de localité et d’égoïsme. Je commence par
dénier les promesses, je nie que la route soit avantageuse à toutes les
provinces, cela a été prouvé jusqu’à satiété. Elle sera utile pour les
négociants d’Ostende, d’Anvers et de Verviers, mais pour les autres villes,
elle sera très peu de choses aux exagérations près, qui ont été avancées avec
hardiesse pour soutenir le contraire, mais sans être appuyées d’une seule
raison solide.
Je dis, moi, que les
provinces du Hainaut, de Namur et des Flandres, et presque toute
Je le répète, je n’ai
nulle confiance dans les promesses du gouvernement. Il suffit d’entendre sa
persistance à ne pas vouloir céder et l’insistance avec laquelle le ministre
nous dit que si la route ruine le Hainaut, il a des chances pour obtenir un
embranchement, il est dans l’obligation de se ruiner pour l’obtenir. Je demande
ensuite quelle sécurité peut offrir la fixation du tarif. Au lieu de répondre à
mes objections, on reproduit la proposition que j’ai combattue. Dites-moi
franchement, croyez-vous que pour la fixation du tarif, il en ira autrement que
pour la répartition du produit des routes : si à la première session on ne sera
pas fatigué de la discussion, et si à la seconde, on ne confiera pas cette
fixation au gouvernement ?
Dès
lors, vous ministre, chargé de ce travail, calculez la responsabilité que vous
assumez. Vous ne ferez que des mécontents, vous serez trompé, bon gré mal gré,
quelle que soit votre intelligence. Il est de la nature du gouvernement d’être toujours
trompé, alors même que l’intérêt particulier n’est pas aussi activement en jeu
qu’il le sera alors. Pourquoi ne pas laisser à l’industrie le soin de maintenir
cette concurrence ? Si vous vouliez agir autrement, c’est pour vous un devoir
d’appeler toutes les localités à jouir des mêmes bénéfices. Vous serez toujours
mauvais juge, et vous n’avez pas le droit de vous porter juge. Voilà les
opérations que j’ai développées tout à l’heure et auxquelles on n’a répondu
qu’en m’opposant les chambres, qui en définitive seront aussi toujours mauvais
juges.
M. Meeus. - Messieurs, lorsque dans une séance
précédente j’ai pris la parole, j’ai exprimé bien franchement mon opinion sur
la discussion qui s’agite en ce moment. J’ai eu le malheur de n’être pas
compris par le ministre de la justice et par plusieurs de mes honorables
collègues, si, à mon tour, j’ai bien compris leurs paroles.
J’ai débuté en
m’efforçant de prouver que le gouvernement était, en général, un très mauvais
exécuteur en fait de travaux, qu’il était même, en fait d’intérêts matériels,
purement matériels. J’ai cité pour exemple ce que les forêts, appartenant
autrefois au gouvernement, produisaient depuis qu’elles ne lui appartenaient
plus. J’ai cité ce qu’on m’avait assuré, que l’octroi de la ville de Bruxelles
pourrait rapporter 400,000 fr. de plus s’il était donné à l’entreprise ; mais
je n’ai pas dit, comme me l’a attribué M. le ministre de la justice que la
régence de Bruxelles avait donné son octroi en entreprise. De cet exemple de la
ville de Bruxelles, j’ai tiré cette conséquence, que ce qui était vrai de la
ville de Bruxelles, le serait à plus forte raison pour le gouvernement. Est-ce
à dire pour cela que je veux le rétablissement des fermiers-généraux, est-ce à dire
que je demande que le gouvernement mette en adjudication ses revenus sur les
accises ? non certainement. Dans ma pensée, l’impôt sur les eaux-de-vie
indigènes et les bières, les douanes rapporteraient au moins 25 p. c. de plus,
si la gestion était faite par des particuliers, au lieu de l’être par le
gouvernement ; mais malgré cela, je n’ai pas dit que la chose dût se faire
ainsi, et par une raison fort simple : c’est qu’entre les intérêts pécuniaires,
il y a des intérêts d’un ordre supérieur, c’est qu’on ne peut pas confier
l’exécution des lois à des particuliers : il faut que des ministres
responsables soient chargés de cette exécution, afin que les chambres puissent
leur demander compte des vexations que peuvent exercer leurs agents. C’est une
responsabilité qui ne peut pas se déférer.
Le ministre de
l’intérieur, après que j’eus parlé, m’a demandé de lui citer les travaux
exécutés par le gouvernement qui n’avaient pas été faits avec autant d’économie
que s’ils eussent été exécutés par des particuliers, A mon tour, je demanderai
au ministre de l’intérieur de me citer un seul travail exécuté par le
gouvernement qui n’ait pas coûté davantage que s’il eût été fait par des
particuliers. Remarquez bien que le ministre ne saura pas m’en citer un seul ;
et par une raison bien simple, c’est que quand le gouvernement exécute, il
estime lui-même et fait ses expertises à sa manière, comme pour le chemin de
fer, il ne se fait pas contrôler. Si le ministre de l’intérieur peut me citer
une entreprise que les particuliers ont voulu faire pour une somme de 10
millions et que le gouvernement ait exécutée pour la même somme, je l’avoue,
cette exception fera grand honneur au gouvernement et atténuera mon opinion,
que le gouvernement exécute toujours à un prix plus élevé que les particuliers.
Quittons les citations,
laissons les exemples et n’invoquons que les lois de la saine raison. Il est
certain que quand le gouvernement exécute lui-même, la lenteur indispensable
dans toutes les administrations où il faut suivre la filière administrative
donne lieu des inconvénients auxquels le particulier n’est pas astreint.
Supposons qu’un conducteur de travaux s’aperçoive que les accidents du terrain
ne permettent pas l’exécution du travail comme l’ingénieur l’a conçu dans son
cabinet, l’entrepreneur, qui a son contrat, continue toujours pendant que le
conducteur rend compte de ses observations à l’ingénieur, qui les transmet à
l’ingénieur en chef, lequel les fait passer à l’inspecteur-général ou
directeur, qui, à son tour, en réfère enfin au ministre. Il ne s’agit pas moins
que de changer tout le travail conçu dans le cabinet ; tout cela exige des
délais très longs, et on ne s’aperçoit du mal que quand le travail est en
partie exécuté, et on est obligé de le refaire.
M. Teichman est venu nous
dire : ce n’est pas en régie que le gouvernement veut exécuter le chemin en fer
; chaque travail particulier sera adjugé, les terrassements, les fournitures de
fer, les constructions de ponts, tout cela sera mis en adjudication. Eh bien !
croyez-vous que le gouvernement obtienne des entrepreneurs au même prix que des
particuliers ? La chose est encore impossible.
Quand un particulier
entreprend un ouvrage, il va lui-même, on envoie un agent qui a toute sa
confiance, s’enquérir du prix de telle fourniture, de tels matériaux dont il a
besoin, il obtient 10 ou 15 p. c. de rabais sur les marchandises que le
gouvernement ne peut se procurer qu’à un taux bien supérieur. Le gouvernement
ne peut pas obtenir ces avantages, parce qu’avant que l’entrepreneur reçoive il
faut qu’un procès-verbal constate que les matériaux ont été livrés en bon état,
il faut que la responsabilité du gouvernement soit mise à couvert, qu’il ait
tous les apaisements possibles. Un particulier n’est pas astreint à toutes ces
formalités. Ce n’est pas tout, supposons que le gouvernement puisse agir comme
un particulier, pensez-vous qu’il trouve un entrepreneur au même prix ? Non,
car jamais le gouvernement ne présentera la même confiance qu’un particulier.
L’entrepreneur met
toujours en ligne de compte les retards de paiements qui, par des accidents
imprévus, sont quelquefois portés à trois ans ou au moins à un an, par suite de
cette longue filière administrative par laquelle il faut passer. Et quand il
obtient plus tôt son paiement, il sait que ce n’est qu’à l’aide de sacrifices
faits en sous-main. Ceci se rapporte non aux administrateurs supérieurs, mais
aux employés inférieurs auxquels on est obligé de faire des cadeaux pour
obtenir de suite le prix convenu. Voilà toutes choses que nous voyons tous les
jours sous nos yeux ; voilà pourquoi il est vrai de dire que quand le
gouvernement exécute lui-même, il exécute toujours à des conditions onéreuses,
non pas seulement de 20 et 30 pour cent, mais de 50 pour cent.
Je laisse donc les
exemples et je n’invoque que les bonnes raisons.
J’ai dit que le
gouvernement avait eu l’idée fixe d’exécuter lui-même le chemin en fer. Il
croit voir dans cette opération un accroissement de pouvoir. Je dois croire que
c‘est la le motif qui l’engage si fortement à persister dans ce système tout à
fait contraire aux véritables règles de l’économie sociale. En effet, à part le
transit, j’ignore quel autre intérêt le gouvernement pourrait y avoir. Si c’est
pour le transit qu’il entreprend cette route, je prierai le ministre de
l’intérieur de nous dire ce qu’il a fait pour le transit depuis la révolution.
L’honorable M. Smits nous a dit que le transit se faisait tous les jours vers
l’Allemagne bien que cela se fasse avec beaucoup de difficulté. Eh bien,
êtes-vous venus proposer d’exempter le transit des frais énormes de droit de
barrière, avez-vous enfin demandé quelque chose pour le transit ? jamais rien,
vous ne vous en êtes jamais occupés. Il me semble que depuis longtemps vous
auriez pu prendre quelques mesures que votre génie commercial pouvait vous
suggérer en faveur de ce transit que vous voulez favoriser maintenant parce
que…
M.
Lardinois. - C’est mauvais.
M. Meeus. - S’il y a quelqu’un qui trouve que cela est
mauvais, je le prie de me répondre.
M. Smits, je pense, me
soutiendra, il doit en savoir quelque chose, il est à la tête du bureau du
commerce. Des autorités comme celles-là, je les regarde comme la loi écrite.
Je passe à d’autres
considérations. Quand j’ai eu l’honneur de vous dire que j’avais développé un
plan de société, qui me paraissait concilier tous les intérêts, on m’a mal
compris, car non seulement le ministre, mais même l’honorable M. Dumortier a
traité la question comme si la banque avait voulu entreprendre le chemin en
fer. Je n’ai rien dit qui pût faire ainsi apprécier la question.
J’ai dit que la banque,
par mon entremise, avait proposé au gouvernement de l’aider à former une
société sur laquelle il aurait eu la haute main et un droit de surveillance,
société qui aurait obtenu la concession à l’aide des capitaux que la banque
avait offerts. Cependant on cherche à faire croire que la banque voulait
entreprendre le chemin de fer. On ne connaît donc pas les statuts de la banque
; sans cela on n’aurait pas tant de peur.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - On n’a nullement peur,
on vous l’a déjà dit.
M. Meeus. - Les statuts de la banque portent
positivement que la banque ne peut se charger d’aucune opération commerciale ;
or, la construction d’une route en fer est sans doute une opération
commerciale.
Je n’ai pas été peu
surpris d’entendre l’honorable M. de Robaulx ajouter à ce qu’avait dit M. le
ministre de la justice : « La banque est déjà l’égale du
gouvernement. »
M. de Robaulx. - Je
demande la parole pour un fait personnel.
M. Meeus. - Je parle le Moniteur à la main. M. le. ministre de la justice a répondu à l’observation
de M. de Robaulx : « Oui, à peu près. » J’avoue que M. le ministre de
la justice a dit ensuite qu’il n’avait pas peur, et cela m’a un peu rassuré. (On rit.)
Il faut une bonne fois
s’expliquer sur le compte de la banque. On la craint, on ne la craint pas ;
enfin, pour me servir d’une expression un peu vulgaire, on la met à toute
sauce. (Hilarité.)
La banque par elle-même
n’a aucun pouvoir ; elle est soumise aux lois comme un particulier ; elle n’a
pas plus de pouvoir qu’un particulier ; elle en a un peu moins peut-être. Le
Roi a le droit de suspendre les opérations de cette société lorsqu’il les juge
contraires à l’intérêt du pays. Cela est écrit formellement dans les statuts.
Que peut-on craindre après cela ? Vous pouvez, le jour où cela vous conviendra,
suspendre les opérations de la banque, sauf, j’en conviens, un procès à
intervenir et les dommages et intérêts auxquels vous pourriez être condamnés
envers elles si les motifs de cette mesure étaient jugés insuffisants.
Cet article ne suffit-il
pas pour défendre le gouvernement ? Si malgré cela nos hommes d’Etat ont encore
peur de la banque, je vais l’expliquer. Tout particulier comme la banque prend
de la consistance par sa fortune et la manière dont il s’en sert. Par sa
fortune, s’il en fait un bon usage ; par ses talents, s’il en fait un bon
usage. La banque comme un particulier trouve sa force dans le grand nombre des
intérêts qu’elle satisfait : assurément les personnes qui escomptent à la
banque ne veulent pas que la banque rembourse. Les personnes qui déposent des
fonds à la caisse d’épargne (et pour le dire en passant ces dépôts s’élèvent à
7 millions versés par misérables sommes) trouvent leur compte avec la banque,
qui leur procure un intérêt qu’elles ne recevaient pas auparavant.
Le pouvoir de la banque
est comme celui d’un particulier. Mais si le gouvernement voulait mésuser de
son pouvoir, abuser de sa position envers elle pour arrêter ses opérations, la
banque trouverait une masse de défenseurs parmi ceux qui reconnaissent que la
banque est quelque chose d’utile.
Voulez-vous savoir,
messieurs, quel est le meilleur thermomètre financier de la banque, quel est le
moyen de savoir si elle est plus utile une année que les précédentes ? sachez
si l’ensemble de ses opérations a plus d’étendue. Vous apprécierez ainsi
l’utilité de la banque. Il en est de cela comme d’un chemin ; plus il est
fréquent, plus il est constant qu’il est utile. De même le plus ou moins
d’étendue des relations de la banque prouve son plus ou moins d’utilité.
Je me bornerai là mes
observations en réponse aux discours de MM. les ministres de l’intérieur et de
la justice et de plusieurs autres orateurs.
Depuis
que j’ai eu l’honneur de parler à l’assemblée d’une société dont j’avais dans
le temps proposé l’organisation, je dois, non point à un financier, mais à un
avocat, à notre honorable collègue M. Jullien, une idée sur la matière qui m’a
paru à la fois financière et patriotique. (On a dit qu’un avocat ne pouvait pas
raisonner finances ; pour moi je trouve qu’ils raisonnent souvent mieux
finances que les financiers eux-mêmes.) M. Jullien me disait (il me pardonnera
de rapporter une conversation) que si on avait fait une société d’actionnaires
en mettant les actions à un taux peu élevé, il n’était pas douteux qu’un grand
nombre de personnes ne s’y intéressât. Je pense en effet qu’en mettant les
actions, par exemple, à 500 francs, on en placerait un grand nombre.
J’ajouterai, pour
tranquilliser M. Lebeau, qu’on pourrait proposer un amendement (je ne le
proposerai pas, parce que M. le ministre s’en chargera sans doute), un
amendement qui porterait que la banque ne pourra pas faire partie de cette
société. Ce serait le moyen de satisfaire tout le monde. Ce serait en quelque
suite un système de juste-milieu par rapport au projet du ministère et au
système des concessions.
M. de Robaulx. - Dans une
précédente séance, M. le ministre de la justice, parlant de l’influence que la
banque avait dans l’Etat, paraissait craindre qu’elle ne devint dangereuse, J’ai
demandé : « La banque est déjà l’égale de l’Etat ? » M. le ministre a
répondu : « A peu près, » et j’ai ajouté : « Tant pis. » Je vois M.
le ministre faire un signe d’adhésion ; c’est ainsi en effet que les choses se
sont passées.
Le Moniteur n’a pas absolument bien rapporté le fait. Il a présenté
comme un fait positif ce qui n’était qu’une question. Je ne m’en prends pas à
MM. les sténographes, car ce n’est après tout qu’une faute typographique,
l’omission d’un point d’interrogation. Quant à moi, je n’ai pas peur de la
banque ; mais je verrais toujours comme un malheur qu’une caste, qu’un corps
quelconque devienne l’égal de l’Etat. Voilà l’explication de mon tant pis. Il n’y a là rien de personnel
ni contre la banque, ni contre le gouvernement.
A
propos d’un fait personnel, je ne me propose pas d’entrer dons le fonds de la
question, quoique j’eusse d’abord l’intention de prendre la parole dans la
discussion générale. Mais tant d’orateurs ont allongé outre mesure la
discussion, que je renonce à parler. Je m’en réfère aux observations présentées
par mes honorables amis MM.de Puydt, Gendebien et Seron ; de M. Seron surtout,
dont le discours, à mon avis, en vaut bien plusieurs à la fois. Je souscris aux
motifs par lesquels ils ont appuyé leur vote, me réservant de présenter dans la
discussion les observations que je croirai utiles.
Ainsi j’admets le
principe des concessions ; mais je ne puis pas consentir à ce que la route soit
construite par l’Etat. Au reste, je l’ai déjà dit, le ministère n’a pas ma
confiance : je ne lui ai jamais voté un sol ; je ne lui voterai pas 35
millions.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - L’honorable préopinant
M. Meeus a dit que, dans une précédente séance, le gouvernement avait défié de
citer des travaux exécutés par l’Etat avec moins d’économie que les travaux
particuliers. Ce n’est pas exact. Je n’avais pas parlé d’économie ; j’avais
invité à citer les travaux plus mal faits par l’Etat que par les particuliers.
La question de l’économie n’avait pas été soulevée. Sous ce point de vue, au
reste, il eût été facile d’établir que l’avantage pouvait être encore pour les
travaux exécutés par l’Etat.
M. Meeus reproche au
gouvernement de n’avoir rien fait pour le transit ; je le prie de vouloir bien
se rappeler que le projet en discussion, destiné à favoriser le transit, n’est
pas né d’hier, qu’il a été présenté en juin 1833, et qu’il avait été auparavant
l’objet de longues méditations. On s’en est occupé dès mon entrée au cabinet.
N’ayant point le génie commercial,
comme l’a fort bien dit M. Meeus, et comme je m’empresse d’en convenir…
M. Meeus. - Je n’ai pas dit cela ; je demande la
parole.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - … j’ai pris la liberté
d’appeler à mon aide M. Meeus, dont le génie commercial devait éclairer de ses
vives lumières la question.
J’ajouterai qu’un projet
de loi spécial relatif aux entrepôts et au transit vient d’être soumis aux
chambres de commerce, qui ont rendu justice à nos bonnes intentions et ont
reconnu qu’on en pouvait attendre de bons résultats. N’importe, nous n’avons
rien fait pour le transit. Mais il me semble que lorsque la chambre et la
banque possèdent des hommes doués du génie commercial, de si grands hommes à
côté des petits hommes qui sont aux affaires, ces grands hommes auraient bien
pu venir en aide aux petits, et présenter un projet de loi en faveur du
transit. Je m’étonne et je m’afflige de leur inaction.
Je
n’ai pas nié que la banque ne fût utile, et je n’ai pas dit que j’en avais
peur. M. Meeus se figure des frayeurs qui ne sont dans l’esprit de personne.
Mais j’ai dit que j’aurais peur pour le pays d’une société industrielle à
l’avidité de laquelle le pays se trouverait livré sans miséricorde. L’honorable
M. Meeus a confirmé cette frayeur, lorsqu’il nous a dit l’autre jour que
l’industrie particulière ne s’inquiéterait pas de la ruine du Hainaut, qu’elle
n’en prendrait aucun souci…
M. Meeus. - Je n’ai pas dit cela.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - De la part d’une
autorité telle que M. Meeus, c’est aussi la loi écrite.
Ces paroles redoublent
ma frayeur, et me font persister dans le système de l’exécution par l’Etat ;
car pour le gouvernement il ne consentira jamais à la ruine d’une localité, que
ce soit le Hainaut ou la province de Liége.
M. Meeus. - M. le ministre de l’intérieur a absolument
dénaturé ce que j’ai dit. Je n’ai pas dit qu’il eût un petit génie commercial,
j’ai dit qu’il cherchât dans son génie commercial. Je n’ai pas dit que M. les
ministres fussent des petits hommes. Je ne le pense pas au contraire. Il
m’importe qu’on ne change pas mes paroles. J’ai dit positivement que nos
ministres voyaient les choses en petits hommes, en fait de connaissances
d’économie sociale par rapport aux grands établissements ; je n’ai pas dit
qu’ils fussent de petits hommes. Je pense au contraire que M. Lebeau est un
grand diplomate, que M. Rogier est un grand ministre de l’intérieur. M.
Duvivier aune humeur financière qui me fait grand plaisir à voir. Je pense que
nos ministres ont du talent, y compris l’honorable M. de Mérode dont la naïveté
l’honore beaucoup selon moi. Qu’on veuille donc bien rectifier l’idée fausse
qu’on avait prise de ma pensée.
Je
n’ai pas dit, comme l’a prétendu M. le ministre de l’intérieur, qu’une société
particulière ne s’effraierait point de ruiner le Hainaut, et n’en prendrait pas
souci. Mais j’ai dit que le gouvernement n’avait pas intérêt à lutter avec le
commerce, qu’il valait mieux que la province de Liége fît tort à celle du
Hainaut, par la concurrence, que les provinces fissent leurs efforts pour
lutter les unes contre les autres, que si le gouvernement intervient dans ces
luttes. Je l’ai dit et je le pense encore.
M. de Laminne. - Un orateur, député du Hainaut, a cru
découvrir un esprit de localité dans une phrase où j’ai parlé d’un projet de
faire passer la route dans la ville de Liége. Eh bien, je déclare qu’au
contraire ma manière de voir est opposée à ce projet, et que je préfère celui
indiqué dans les plans du gouvernement.
Je dirai un mot sur les
effets du canal de Charleroy.
« Avant l’ouverture du canal
vers Bruxelles, les charbons gailleteux (c’est-à-dire gros et menus, tels
qu’ils sortent du puits), ne valant que 7 francs les 1,000 kil., venaient en
concurrence avec ceux de Liége pour l’est de
« Ce
nouveau débouché ayant fait monter le prix de 7 à 9 fr.,
« Mais, d’un autre
côté, le canal de Charleroy à Bruxelles donne au Hainaut un avantage nouveau
sur Liège, pour le transport des objets de fer fabriqués. En sorte que la
forgerie de Liége, loin d’être soulagée comme les houillères, souffrira un peu
de ce nouveau débouché offert au Hainaut.
« Cette considération
vient encore à l’appui de la construction de la route en fer entre Verviers,
Liége et Anvers. » (Communiqué.)
Messieurs, je sais qu’en
effet il arrive jusques à Liége des fontes de Charleroy, et moi-même j’en ai
retiré récemment pour une fabrique sous Huy.
M. Gendebien. - J’ai très
bien compris que M. de Laminne a exprimé le regret que la route en fer ne
passât point à travers la ville de Liége ; j’ai dit que c’est la seule critique
qu’il avait faite au projet du gouvernement, et je maintiens mon dire.
L’honorable M. de
Laminne s’est trompé lorsqu’il a dit que le prix des charbons de Charleroy
avait haussé par l’ouverture du canal de Charleroy à Bruxelles, et que c’est à
cause de cette augmentation des prix que Liége avait pu fournir ses houilles en
France. Liége a commencé à fournir
(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1834) M.
de Puydt. - Messieurs, une assemblée législative ne peut juger
en détail un devis estimatif, parce que l’exactitude des calculs d’un devis ne
prouve rien, si l’exactitude des données n’est pas vérifiable.
Le seul élément de
comparaison que l’on puisse avoir, c’est la dépense des travaux de même nature
établis dans des circonstances analogues. C’est là le principe que j’ai invoqué
; c’est d’un ouvrage technique sur la matière, où les différents chemins de fer
existants sont analysés que j’ai déduit le prix de 145,000 francs par
kilomètre, d’après lequel j’ai basé la conviction où je suis que le chemin de
fer coûtera 50 p. c. au-delà des estimations des auteurs du projet.
Quelques calculs de
détails à l’appui de non opinion ne sont donnés que comme exemples. Ce n’est
pas là ce qu’il faut réfuter ; c’est la comparaison principale qu’il faut
détruire. Or, ce qu’on n’a pas même tenté.
Les faits que je vais
établir vont prouver, je crois, que cela serait au moins très difficile. Ces
faits prouveront quelle valeur ont eue généralement les estimations des grands
projets et surtout les assurances si positives de leur exactitude.
En repoussant des
calculs dont je crois les données insuffisantes, je suis dans mon droit comme
député : je n’ai rien à prouver moi ; c’est à celui qui offre ces calculs à les
appuyer convenablement.
En défendant la nation
que je représente contre le danger de dépenses imprévues, je remplis un devoir
; nul n’a droit de suspecter mes intentions, je ne dois compte de ma conduite
qu’à ma conscience et à mes commettants. La position d’un commissaire du Roi et
la mienne sont ici très différentes. Je désire qu’on ne l’oublie plus.
J’ai fait valoir
précédemment, en faveur du système de concession dans son application absolue,
des considérations générales de principes ; il me reste actuellement à exposer
les raisons particulières sur lesquelles je me fonde pour repousser le mode
d’exécution au compte du gouvernement ; mode qui serait non seulement contraire
au but que l’on se propose, mais dont l’adoption consacrerait de funestes
précédents pour les travaux à venir.
Le gouvernement belge ne
serait pas le premier qui aurait tenté de faire par lui-même de grands ouvrages
d’utilité publique par voie d’emprunts, en négligeant l’emploi des compagnies
exécutantes et en se basant sur des projets dont les études sont loin d’avoir
été suffisamment mûries.
Messieurs, cet exemple
de
Remarquez bien,
messieurs, que le mode proposé n’a été employé qu’une seule fois jusqu’à
présent, et vous jugerez par les résultats qu’il a présentés si vous devez
admettre l’expérience comme suffisamment favorable pour vous offrir une
garantie de succès.
Chacun sait qu’en 1821
le gouvernement français, voulant achever les travaux, commencés depuis longues
années, de onze canaux et trois canalisations de rivières, se décida, contre
l’avis de plusieurs ingénieurs et membres des deux chambres, qui conseillaient
le mode de concession, à exécuter ces travaux au moyen de ses propres agents et
à l’aide de fonds empruntés à des capitalistes. C’est-à-dire que le
gouvernement français fit alors ce que le gouvernement belge veut faire en ce
moment.
Par les lois du 5 août
1821, 17 avril et 14 août 1822, le montant des emprunts autorisés fut porté à
129 millions, conformément aux devis présentés par l’administration des ponts
et chaussées.
Les travaux devaient
être termines en 1827 et 1828.
La loi du 14 août 1822
prescrivait au ministre l’obligation de présenter chaque année le tableau de
progrès de l’entreprise.
Je demanderai la
permission de citer quelques passages de ces rapports ; nous pourrons y puiser
d’utiles leçons.
Rapport fait en 1823 par M. Corbières,
alors ministre de l’intérieur.
« C’est au 14 août
1823, dit M. le ministre, que la dernière loi a été rendue.
« Sans doute on
n’attendra pas un long développement pour un intervalle aussi court. On
considérera que des entreprises aussi vastes n’ont pu s’organiser
instantanément ; que pour réussir à leur donner la première impulsion, on a dû
rencontrer des obstacles de plus d’un genre ; que les premiers pas ne devaient
être faits qu’avec lenteur, avec circonspection, et qu’il fallait surtout se
bien garder d’une précipitation inconsidérée qui engage dans des voies
dangereuses, d’où bientôt il est impossible de sortir à moins de sacrifices
considérables.
« Le premier soin de
l’administration a été de faire choix d’ingénieurs habiles et expérimentés pour
leur confier la direction et la surveillance des ouvrages, et de leur tracer
les règles précises qui doivent les guider désormais.
« Les ingénieurs
désignés étaient presque tous employés sur d’autres parties du royaume.
« Il n’est pas superflu
de rappeler ici les opérations qui devaient nécessairement précéder le
commencement des travaux. Aux époques où les lois ont été rendues,
l’administration possédait des projets généraux et des estimations par masses
de dépenses. Ces éléments étaient alors les seuls utiles, les seuls vraiment
indispensables. Le gouvernement venait proposer aux chambres de sanctionner les
emprunts qu’il avait contractés avec des capitalistes pour égaler le montant de
ces emprunts avec celui que pouvait exiger l’achèvement complet des ouvrages,
il avait cherché à estimer avec exactitude la somme de ces dépenses ; et pour
remplir ce devoir, aucune précaution n’avait été négligée de sa part ; aussi,
j’ai annoncé l’année dernière que nous avions la confiance que nos prévisions
ne seraient pas dépassées.
« Le voyage que M.
le directeur-général a fait sur la ligne des canaux de Bretagne, qu’il a
parcourue tout entière accompagné des préfets et des ingénieurs des localités,
a ajouté encore à sa conviction sous ce rapport ; partout il a recueilli
l’assurance que les évaluations ne seraient pas dépassées.
« Ainsi ces vastes
entreprises se poursuivront avec rapidité, et arriveront dans les délais fixés
au terme de l’achèvement. »
Messieurs, ce premier
rapport est extrêmement curieux : nous y voyons avec quelle confiance dans
l’avenir le ministre de l’intérieur se félicitait du système qu’il avait
adopté. Rien n’est dissimulé des obstacles qu’on pourrait rencontrer. Mais le
gouvernement a mûrement pesé l’importance de l’opération ; il a prévu ces
obstacles ; il a confié le travail aux plus habites ingénieurs appelés de
différentes parties de
Ne vous semble-t-il pas,
messieurs, entendre encore le langage tenu depuis plusieurs jours par nos
propres ministres ? n’est-ce pas avec la même conviction qu’ont parlé notre
inspecteur-général des ponts et chaussées, et nos ingénieurs, auteurs du projet
?
Je lis dans le discours
prononcé par l’honorable inspecteur général dans la séance du 19 mars :
« Enfin on n’a
négligé aucun des moyens pour présenter un travail complet et
consciencieux. »
« J’ai foi dans les
auteurs du projet ; ma conviction est entière.
« Puissé-je,
messieurs, porter dans vos esprits la conviction dont je suis pénétré ! »
L’événement démontrera
quel démenti peuvent recevoir de semblables paroles. Continuons l’examen des
rapports.
Rapport du même ministre en 1824 et 1825.
« L’expérience que
nous acquérons chaque jour nous démontre de plus en plus que nos prévisions ne
seront pas trompées. Des adjudications nombreuses ont été publiées depuis le
mois de mars dernier. La plupart ont fait naître des offres avantageuses et ont
procuré des rabais considérables ; mais, sur quelques points, des coalitions se
sont formées entre les entrepreneurs. Monsieur le directeur-général des ponts
et chaussées a fait commencer des travaux en régie sur des formes qu’il a
prescrites et qui consistent principalement à passer pour les fournitures une
série de marchés partiels et à mettre à la tâche toutes les mains-d’œuvre que
la nature ou l’intérêt du travail n’exige pas d’exécuter à la journée. Ce mode
a des inconvénients sans doute ; il réclame une surveillance plus attentive,
plus continue ; il multiplie le rouage d’une machine déjà compliquée, il laisse
à l’administration le soin d’une foule de détail, dont elle serait débarrassée
par l’intervention des adjudicataires : mais on ne s’est décidé à l’adopter que
dans des cas très rares.
« La valeur
croissante de la propriété impose des sacrifices à l’Etat. Cette partie des
dépenses excédera les prévisions ; mais les économies que l’on réalise sur les
ouvrages serviront à couvrir, sinon la totalité, au moins une grande partie de
la différence. »
Dans le rapport de 1826,
nous lisons :
« Les résultats que
peut offrir l’administration confirment de plus en plus les prévisions
annoncées dans les rapports précédents (que les dépenses n’excéderont pas les
estimations).
« Cependant., etc.
« Les constructions
particulières et les spéculations de toute nature, qui se multiplient dans le
royaume, ont exercé sur le prix des matériaux et sur les taux des salaires une
influence marquée. La réunion d’un grand nombre d’ouvriers sur le même chantier
devient chaque jour plus difficile et plus dispendieuse.
« L’obligation de se
procurer dans un temps assez court une masse considérable d’approvisionnements
est encore une source d’augmentation de dépenses, etc. »
Ici, messieurs, je
réclame toute votre attention pour faire le rapprochement nécessaire entre des
assertions qui me paraissent singulièrement contradictoires et qui signalent
une conviction qui s’empare du ministre, mais contre laquelle il lutte encore.
On déclare que les
évaluations sont et resteront suffisantes ; et cependant on entrevoit une
hausse dans les prix. On éprouve des retards pour l’acquisition des terrains
dont la valeur s’accroît démesurément ; mais il y aura compensation par les
économies sur les travaux. Comme il y a défaut de concurrence aux
adjudications, l’on est forcé de recourir au système toujours plus coûteux des régies,
mais on prouve par là qu’on peut se passer de l’industrie particulière. Enfin
on attribue à des coalitions d’entrepreneurs une résistance qui n’est, de leur
part, que l’effet d’une plus intelligente appréciation des valeurs, ainsi que
les faits l’ont prouvé dans les années suivantes. Et voici, en définitive en
quels termes le ministre, après beaucoup de circonvolutions commence a aborder
la question :
« … Toutes ces
circonstances qui se sont manifestées successivement, n’ont pu entrer dans les
calculs antérieurs aux lois d’emprunt ; les évaluations qui ont servi de base à
ces lois en éprouvent quelques modifications, mais d’autres économies
introduites dans toutes les parties des travaux, etc., tendent à rapprocher les
dépenses effectives des premières évaluations, et si la compensation n’est pas
entière, la différence ne sera jamais bien considérable. »
Nous verrons plus tard
ce qu’a été cette différence.
Il est clair pour cette
fois que le ministre prévoit la nécessité de dépenses supplémentaires, mais il
n’a pas encore le courage de tout dire, et c’est dans l’année suivante que le
voile se déchire enfin et que l’on s’explique en termes positifs.
« Si, pour
quelques-unes de ces entreprises, dit le rapport fait au 20 avril 1827, le
terme de l’achèvement des travaux est reculé, si les frais effectifs excèdent
les estimations premières, il faut tenir compte de toutes les circonstances
signalées ; il faut songer surtout que, dans des opérations aussi étendues et
soumises à tant de chances diverses, la prévoyance la plus éclairée ne pouvait
évaluer le temps et les dépenses avec la précision qu’il est facile d’apporter
dans des questions abstraites, indépendantes de l’inconstance des saisons et
d’une foule d’intérêts divers. »
Quelle leçon dans ces
paroles !
Je n’ai pas besoin, je
pense, de faire remarquer combien ce langage un peu plus modeste contraste avec
l’assurance si tranchante des rapports précédents dont il est évidemment la
critique.
Au ministère Corbière a
succédé le ministère Martignac. Le terme de l’achèvement des travaux était
alors dépassé sans qu’ils fussent terminés ; le montant des emprunts se
trouvait entièrement épuisé, il fallait pour compléter ces entreprises, y
pourvoir par des fonds du trésor en attendant des ressources nouvelles : le premier
soin du gouvernement fut de faire procéder à une nouvelle estimation des
dépenses, soit pour motiver une demande d’allocation au budget, soit pour
contracter un emprunt supplémentaire.
« Au point où l’adjudication
est parvenue à conduire ces grandes entreprises, dit M. de Martignac, elle peut
apprécier les besoins avec une précision qu’il ne lui a pas été possible
d’apporter dans ses premiers calculs. L’expérience du passé est devenue la
leçon de l’avenir et c’est avec une connaissance plus parfaite des localités et
d’après une plus exacte appréciation des difficultés et des ressources qu’elles
peuvent offrir, qu’ont été calculées les nouvelles estimations. »
On voit que le nouveau
ministre n’est ni moins tranchant, ni moins assuré du succès que ne l’était
d’abord son prédécesseur, car il ne se réserve pas le plus petit moyen
d’appliquer des excédants éventuels. « L’expérience du passé est la leçon
de l’avenir, les besoins ont été calcules avec précision suivant les
difficultés et les ressources locales. » Eh bien, messieurs, n’est-ce pas
aussi ce que disent nos ministres ? N’affirme-t-on pas aussi que nos ingénieurs
ont apprécié l’état des localités et leurs ressources ? Mais attendons la fin.
D’après les lois
d’emprunts, les dépenses excédant leur montant devaient être faites aux frais
du trésor ; comme ces dépenses supplémentaires paraissaient déjà en 1828 devoir
s’élever très haut, la question d’y pourvoir parût trop grave au gouvernement
pour la décider sans se faire éclairer. On nomma des commissions. Mais examen
fait des circonstances, ces commissions conclurent à l’aliénation des canaux
par une cession à des compagnies exécutantes qui se chargeraient de leur
achèvement.
C’était en revenir au
parti déjà proposé en 1821. Cependant en 1828, le gouvernement fut sourd aux
conseils de l’expérience, comme en 1821 il avait été sourd à ceux de la
prévoyance. Veut-on connaître les causes qui rendent si lente l’adoption des
concessions en France, il faut lire ce que dit à ce sujet M. le comte Molé.
rapporteur d’une commission, dans la séance de la chambre des Pairs, le 6
octobre 1828.
« Le gouvernement,
dit-il, n’a rien fait à aucune époque pour encourager les compagnies
exécutantes, au contraire, toutes nos pratiques administratives tendent à les
éloigner. Ce que demande avant tout l’industrie, c’est qu’on la laisse
maîtresse, indépendante et libre de son essor. Le gouvernement lui a toujours
imposé ses plans, ses ingénieurs, ses conditions et l’environne d’entraves,
dont elle s’effraie d’autant plus que les erreurs des devis, rédigés pour le
compte de l’administration soit presque inséparables de tout ce qu’elle
entreprend. »
L’aliénation des canaux
que l’administration même avait rendue impossible en 1821, ainsi que le dit M.
le comte Molé fut de nouveau résolue par le gouvernement ; mais en attendant
que les compagnies se présentassent, on demanda et l’on obtint des chambres un
crédit de 60,000,000, montant de l’estimation faute en dernier lieu.
L’entreprise se
continuait d’après ces dispositions, lorsque la révolution de juillet vint
ralentir le mouvement industriel et détourner l’attention publique de ces
grands travaux ; le gouvernement n’ayant précédemment pris aucune mesure pour
adjuger les travaux et pour faire cesser les obstacles qui s’opposaient à
l’intervention des compagnies, le gouvernement de juillet se trouva bientôt
avoir dépensé en entier le crédit de 60 millions sans que les travaux fussent
achevés, quoique ce crédit dût suffire, d’après les assurances données par le
ministère Martignac.
Les prévisions furent de
nouveau dépassées, le gouvernement et ses agents se trouvèrent encore une fois
en défaut ; une troisième estimation a été reconnue nécessaire ; et le ministre
s’est vu dans l’obligation, en 1833, de recourir de nouveau aux chambres.
A-t-il expliqué d’une manière tout à fait satisfaisante par quelle fatalité les
évaluations faites en second lieu sous M. de Martignac, avaient pu être
dépassées encore par les ingénieurs, malgré la connaissance plus parfaite des
localités, des difficultés qu’elles présentent, des ressources qu’elles
offrent, j’en doute. Mais les chambres, liées par ce qui était fait, par la
nécessité de ne pas laisser perdre le fruit de sacrifices déjà consommés, ont
bien voulu admettre cette troisième estimation réputée définitive comme les
deux premières, et qui s’élève à 44 millions.
Cette somme a été votée.
Ainsi donc, messieurs,
les canaux qui devaient être navigables en 1827 au plus tard, sont loin d’être
terminés aujourd’hui.
La dépense de ces canaux
qui ne devait s’élever qu’à 129 millions, indépendamment de 50 millions déjà
dépenses auparavant, se trouve avoir absorbé en ce moment une somme de 270
millions en capital, sans tenir compte des intérêts qui portent cette somme à
385 millions au moins. Cependant rien ne garantit que le crédit demandé en 1833
soit suffisant, rien ne prouve que les ingénieurs auraient mieux évalué la
troisième fois que la première ou la seconde. Car, dans la discussion de la
chambre des députés, il ne s’est pas seulement élevé des doutes à cet égard ;
mais des hommes d’expérience, ayant des connaissances spéciales ont
positivement affirmé que non seulement les dernières appréciations n’offraient
pas plus de certitude que les premières, mais qu’elles seraient au contraire
dépassés avant la fin de 1833. Mais dans cette dernière circonstance comme dans
les précédentes, le gouvernement s’est retranché dans ses mêmes formules. Il a,
comme toujours, parlé de sa conviction, et de même que nous l’avons entendu
répété ici à plusieurs reprises, il s’est déclaré sûr du succès. Le rapport de
la commission instituée pour examiner la demande des 44 millions, faite à la
chambre des pairs par M. Duplex de Mezy, est entre les mains de tout le monde.
Chacun peut juger par son contenu de l’opinion des hommes éclairés qui
composaient cette commission ; opinion qui a été partagée par la majorité de
l’assemblée.
On peut y voir, par les
conseils que donne la commission, de quelle manière on envisage dans la chambre
des pairs, et les doctrines condamnables du ministère des travaux publics, et
les procédés qu’il convient d’y substituer.
Messieurs, j’ai été un
peu long à vous citer un exemple unique, mais cet exemple est si concluant
qu’il m’a semblé indispensable d’entrer dans tous ces détails. La question qui
nous agite est renfermée tout entière dans celle des onze canaux de France.
Une récapitulation des
faits, en quelques mots, le prouve à l’évidence.
L’administration
française, en 1821, sent le besoin d’imprimer aux travaux publics une grande
activité, parce que la marche progressive de l’industrie l’exige : mais au lieu
d’obéir à un mouvement qui lui traçait sa conduite, et de laisser un libre
essor aux associations, au lieu d’encourager l’esprit d’entreprises, elle lutte
contre la conviction de l’utilité des compagnies ; elle cède à l’influence
d’habitudes faites, d’institutions existantes, créées pour un autre ordre de
choses ; elle s’engage dans une voie qui la conduit à des dépenses excessives,
à des fautes sans nombre ; elle adopte un système nouveau d’exécution qui
retarde de dix ans l’achèvement des ouvrages entrepris et qui en double la
dépense.
Le gouvernement
français, en tentant un système d’exécution qui n’était en 1821 qu’un essai
avait pour lui les avis et les conseils de quelques hommes de l’art ; il
commettait une imprudence en négligeant l’emploi des compagnies exécutantes,
puisque leur aptitude est suffisamment connue, mais au moins il avait une
chance à courir. Sa conduite était néanmoins téméraire, mais n’était que cela,
si l’on veut, après l’expérience faite, après l’essai ruineux qui semble avoir
été tenté tout exprès pour servir d’exemple. Vouloir méconnaître cet exemple,
vouloir suivre la même marche, ce serait pour
L’on viendra dire, et je
m’y attends bien, que la position n’est pas la même ; je prévois donc les
explications que l’on donnera pour soutenir cette assertion ; je m’empresse
d’aller au-devant, et j’espère prouver que le cas est absolument identique.
En premier lieu, je vois
le gouvernement belge emprunter à gros intérêts, pour se faire ensuite
entrepreneur de routes, et, qui plus est, entrepreneur de roulage ; or, on
prête à des gouvernements comme on prête à des enfants prodigues, qui donnent
des garanties sur un héritage futur et incertain.
Assez d’exemples ont
attesté l’incapacité des gouvernements, pour construire, entretenir,
administrer les canaux et les routes ; il est inutile, ce me semble, de répéter
ce que les écrivains de l’époque, les économistes et les hommes d’Etat les plus
habiles reconnaissent. C’est une question jugée sur laquelle il est superflu de
s’arrêter. Cependant le gouvernement belge à l’imitation du gouvernement
français prétend adopter, malgré l’opinion presque générale qui le repousse, un
système tant condamné, cela en dépit de l’expérience qui en démontre le danger.
En second lieu, les
causes principales qui ont contribué à entraîner l’administration française
dans la série d’erreurs résultant de projets incomplets existent dans le cas
actuel.
Le projet de chemin de
fer, pas plus que les projets des onze canaux de France, n’est suffisamment
étudié pour que la dépense en puisse être rigoureusement arrêtée pour que la
nature des ouvrages puisse être appréciée.
Les projets des canaux
français dataient de plusieurs années, ils avaient été vérifiés plusieurs fois,
les travaux d’ailleurs étaient commencés sur tous les points avant les lois
d’emprunts : ces projets étaient donc plus ou moins éprouvés.
Le projet belge a été
fait rapidement, l’étude des localités n’a pu être que superficielle. Le
terrain n’a point été sondé. Bien loin que le projet soit éprouvé, il est
depuis longtemps l’objet d’attaques raisonnées ; pourquoi serait-il plus
parfait qu’un autre ? Est-ce parce que les nivellements en ont été faits en
quelques semaines ? Mais les nivellements des projets français ont été faits,
refaits et vérifiés pendant plusieurs années, et cependant les estimations qui
en résultent ont été doublées presque partout par l’exécution.
On invoque l’expérience
des ingénieurs qui ont rédigé le projet, leurs services. Mais ceux qui l’ont
attaqué ont aussi de l’expérience et non moins de services. Les ingénieurs
français qui avaient travaillé aux projets des onze canaux n’étaient-ils pas
experts ? On avait choisi les plus distingués pour les charger de ces études.
On donne des assurances,
on garantit par des paroles l’exactitude des calculs ; l’inspecteur-général des
ponts et chaussées lui-même semble en répondre. Mais les ingénieurs français
avaient donné ces mêmes assurances ; les ministres à la tribune avaient
engagé leur parole et garanti aussi l’exactitude des devis ; le
directeur-général des ponts et chaussées en avait acquis la certitude sur les
lieux. Qu’en est-il résulté ? erreurs sur erreurs, déceptions sur déceptions.
Messieurs, une autre
question bien grave se présente.
Le gouvernement, qui veut
exécuter par lui-même, en a-t-il moralement les moyens ? Il invoque les
exemples du passé et des gouvernements précédents. Mais a-t-il fait la
différence des temps et des institutions ?
Sous le régime absolu
l’exécution par le gouvernement était de droit, elle était facile ; sous un
régime constitutionnel, il y a impuissance totale.
Pour que le gouvernement
pût construire avec quelque succès il faudrait ramener chez nous les
institutions de l’empire. L’administration alors avait une puissance d’exécution
qui n’existe plus ; le pouvoir arbitraire dans sa marche savait trancher en un
instant les difficultés aujourd’hui insurmontables. L’ingénieur même était
investi d’assez d’autorité pour décider directement les contestations dont la
moindre aujourd’hui arrête tout court les travaux, et sur lesquelles
actuellement les tribunaux sont appelés à prononcer.
C’est sous un pareil
régime qu’est née l’adjudication à forfait. Sous cette forme, une entreprise
est une loterie, celui qui en court la chance gagne si le hasard le favorise et
dans le cas contraire supporte la perte ou se ruine parce qu’il n’y a nul
recours possible contre une administration juge et partie.
Pour l’administration un
tel mode est le plus désirable, les fautes qu’elle peut commettre sont endossées
par l’entrepreneur à forfait, fautes dans les plans, fautes dans les
estimations, n’importe, tout lui appartient. La gloire seule qui résulte des
travaux est le partage de l’ingénieur. Ce régime est l’âge d’or des ponts et
chaussées ; aussi la plupart des hommes qui appartiennent à ce corps sont ceux
qui ont le mieux conservé les traditions de l’empire.
La législation
aujourd’hui n’est plus la même, le régime de l’arbitraire et passé, ce n’est
plus l’administration qui décide, ce sont les tribunaux qui jugent.
L’Etat mettra les
travaux à l’entreprise, dit-on. L’Etat ne peut adjuger les travaux sans
s’exposer aux conséquences qui résultent inévitablement de l’imperfection trop
ordinaire des projets et surtout de l’imperfection de celui qu’on nous présente.
Pour adjuger des
travaux, il faut qu’ils soient définis ; pour les définir, il faut savoir
soi-même en arrêter irrévocablement la forme et le tracé.
Adjugera-t-on, par
exemple, un percement souterrain ? mais qu’on se rappelle ce qui s’est passé au
souterrain du canal de Charleroi. Qui osera définir un pareil travail, qui
osera déterminer à l’avance et la nature du terrain et celle des obstacles
qu’on y peut rencontrer ? et si l’on est assez téméraire pour le faire, et que
le résultat trompe l’attente, par quel moyen empêcherez-vous l’entrepreneur ou
de provoquer une résiliation de contrat ou de vous forcer à des indemnités ?
Je citerai de plus un
fait récent : voyez ce qui est arrivé à la coupure de Burgth. On rédige un
devis, on détermine un ouvrage à faire : un ouvrage sous la mer, en grande
partie invisible, inappréciable ; on le décrit, on l’apprécie ; ce travail
adjugé, on croit avoir un entrepreneur à forfait.
Le travail se fait sous
la direction des ingénieurs ; la digue s’élève, un coup de mer la renverse ;
les ingénieurs disent à l’entrepreneur : votre digue est renversée,
refaites-la. Ma digue ! répond l’entrepreneur, vous vous trompez, c’est la
vôtre, vous en avez réglé le tracé à votre gré, vous en avez ordonné pas à pas
l’exécution, j’ai fourni les matériaux, la main-d’œuvre, ma surveillance sur
les hommes, ma garantie de l’activité dans le travail, le reste est votre
affaire. On plaide, et l’entrepreneur gagne son procès, parce que l’ouvrage
n’avait pu être décrit.
Je pourrais multiplier
ces exemple à l’infini, mais cela est inutile.
L’adjudication à forfait
est désormais impossible en Belgique, elle est contraire à nos institutions, il
faut y renoncer et cependant c’est le seul moyen dont le gouvernement puisse
user avec quelque chance de succès.
Mais, ce serait en vain
qu’on se refuserait à l’évidence. Pour quiconque réfléchit la révolution dans
le régime des travaux est évidente, elle résulte de la force des choses, il
faut s’y soumettre.
L’exécution des travaux
par le gouvernement n’est plus dans nos mœurs, elle échappe au pouvoir
administratif, elle passe avec la liberté dans les mains des particuliers.
La puissance de faire,
c’est l’intérêt. Au lieu de calomnier l’intérêt, au lieu de contrarier son
action, régularisez au contraire son influence, et vous disposerez d’un mobile
cent fois plus puissant que le pouvoir même, parce que ce mobile est partout,
et que partout à la fois vous pourrez le mettre en œuvre.
Faute de comprendre
cette vérité, où vous mènerait l’exécution des travaux par le gouvernement ? A
des tentatives ruineuses, au même résultat où est parvenue
Vous voterez un premier
crédit de 16 millions en demi sur la proposition qui vous est faite, par la
confiance que vous inspireront des assurances données par des ingénieurs à des
ministres, répétées par des ministres à la chambre, de même que la législature
en France a voté des crédits provoqués par les mêmes promesses arrachées à la
même confiance.
Les travaux commenceront
et ne s’achèveront pas dans le délai fixé ave les fonds accordés ; on viendra
alors vous demander de nouveaux crédits, et l’on exposera la même série de
doléances pour en démontrer la nécessité, pour expliquer l’imprévoyance, pour
faire naître une nouvelle confiance.
Messieurs je terminerai
ces observations par une citation.
Un ministre a invoqué
l’opinion des journaux français contre l’intervention des compagnies
exécutantes. J’y ai opposé l’opinion du Moniteur
Français, organe du gouvernement.
Un autre ministre a cité
le Journal de Commerce. Je vais vous
faire connaître le conseil que le même Journal
de commerce donne à
« Une administration qui
voudrait joindre à son rôle d’harmonisation des intérêts généraux l’exécution
des grands travaux publics, qui voudrait avoir ses établissements pour
construire ses machines, ses chantiers pour construire des canaux, sans
l’intervention des compagnies, ne serait plus bientôt qu’un entrepreneur isolé,
gâté par le monopole, ignorant et paresseux comme le monopole. Ce serait nier
la vertu de progrès de la masse intelligente dont l’administration peut être
l’ombre, mais dont elle n’est jamais la tête. Que les chambres belges se réservent donc la fixation des tracés et profils des
chemins de fer, et qu’elles en fixent ensuite l’exécution aux compagnies :
qu’elles garantissent à ces compagnies un intérêt minimum, et qu’outre la
garantie que leur donnera le pays, elles y ajoutent la location du chemin
ouvert aux concurrences, avec interdiction pour les compagnies de l’exploiter.
Telles nous paraissent être, quant à présent, les seules solutions
satisfaisantes que puisse amener la discussion de cette grande entreprise. »
(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1834) M. le président. - La
parole est à M. Dumortier. (La
clôture ! La clôture !)
M.
Dumortier. - Si la chambre veut la clôture, je renoncerai
volontiers à parler, cependant je ferai observer que je n’ai parlé qu’une seule
fois.
M.
Devaux. - Et moi aussi.
M. Dumortier. - Vous
pouvez parler une seconde fois, je vous y engage pour nous y donner des raisons
plus fortes que celles que vous avez produites. On vient d’entendre quatre ou
cinq orateurs contre le projet, je désirerais qu’on en entendît un pour.
M. Davignon. - Je voulais
parler en faveur du projet, j’y renonce parce que la discussion a duré assez
longtemps.
M.
Jullien. - Je demanderai à l’honorable M. Dumortier si les
observations qu’il a à présenter peuvent se rattacher soit à l’article premier,
soit à l’art. 2, parce que je crois qu’il serait utile de clore la discussion
si l’on ne veut pas fatiguer la chambre ; quant à moi, je ne prendrai la parole
que sur l’article 3.
M.
Legrelle. - Je pense que la discussion est épuisée et je prie M.
Dumortier de renvoyer les observations qu’il veut présenter à la délibération
sur les articles..
M.
Lardinois. - La clôture ! la clôture !
M. Dumortier. - Je suis
prêt à parler : mes observations ne se rattachent à aucun article ; j’aurais
désiré avant d’être entendu que quelque orateur ministériel eût essayé de
répondre aux faits exprimés dans mon premier discours.
- La clôture mise aux
voix n’est pas adoptée.
M.
Dumortier. - Puisqu’une seule personne se lève pour la clôture
je parlerai.
Messieurs, lorsque dans
une séance précédente j’eus fini de parler, un de MM. les commissaires du Roi
promit de réfuter complètement le lendemain les faits nombreux que je
présentais à la chambre ; ce n’est donc pas sans une espèce d’étonnement que
j’ai vu le lendemain M. le commissaire du Roi silencieux sur son banc : je dois
donc en conclure qu’il lui a été impossible de répondre aux faits que j’ai
allégués et que je puis les regarder comme incontestables.
A
propos du tableau dont j’avais parlé, les commissaires du Roi ont reconnu que
ce tableau était monstrueux ; s’il est monstrueux, à qui en est la faute ?
En est-ce à ceux qui
l’ont présenté deux fois sur le bureau de la chambre ou à ceux auxquels il a
été offert ? puisqu’on reconnaît qu’on nous a présenté un tableau monstrueux,
je dirai à la chambre que nous sommes sans documents pour établir les recette
du chemin en fer, et par conséquent pour savoir si les revenus couvriront les
dépenses...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier)
- L’honorable M. Dumortier perd de vue qu’il existe deux tableaux, l’un des
produits possibles, réalisables ; l’autre des simples produits destinés à
couvrir les frais de la route. Nous avons, il est vrai, présenté le tableau des
produits possibles, afin de montrer jusqu’où un concessionnaire avide pourrait
pousser ses prétentions ; mais le tableau du recouvrement présumé des
marchandises à raison de 4 centimes par tonneau ou par kilomètre et de 30
centimes pour le passage de chaque plan incliné, n’offre qu’un total de
1,475,000 fr. Ce total comprend les produits résultants du transport des
marchandises et des voyageurs. C’est ce chiffre qui doit, comme on le dit,
entretenir les routes et payer les intérêts et l’amortissement de l’emprunt, si
l’emprunt doit être amorti.
D’après le tableau cité
par M. Dumortier le gouvernement ferait des recettes usuraires comme en
voudraient faire des concessionnaires.
M.
Dumortier. - Je remercie le ministre de m’avoir interrompu, au
point où en est la discussion ; une conversation parlementaire avancera
davantage la discussion.
Nous sommes donc
d’accord, c’est que le tableau des produits réalisables, et dont le montant est
de 2,900,000 fr. est un tableau monstrueux, et que le gouvernement n’a pas
l’intention d’élever si haut ses droits. Mais il s’agit maintenant de savoir
sur quel document nous établirons les moyens de couvrir la dépense.
Maintenant, messieurs,
la réponse que m’ont faite les ingénieurs, elle est celle-ci : L’entreprise
hollandaise compte faire des bénéfices, pourquoi
J’ai examiné depuis
longtemps la question des chemins de fer ; je ne l’ai pas fait à la légère et
seulement dans des livres. J’ai vu la route de Manchester à Liverpool, et mes
études m’ont conduit à cette conviction, qu’il est de la nature des routes en
fer de ne pouvoir rapporter l’intérêt de la dépense qu’elles exigent et les
frais d’entretien, si l’on ne cumule pas tous les bénéfices d’exploitation, de
péage et de fermage, et que hors ce cas il y a nécessairement, même pour celui
qui entreprend la route. Cela est tellement vrai que dans aucune partie de
l’Europe, pas une route en fer n’a été faite par le gouvernement, même dans les
pays où le gouvernement a le monopole des routes. Aux Etats-Unis, en
Angleterre. toutes les routes en fer ont été faites par les particuliers ; il
en est de même en Autriche et en Prusse ; en France, où il n’existe pas une
seule route d’empierrement faite par concession, en France, l’administration
des ponts et chaussées a été tellement convaincue que les routes en fer ne
pouvaient couvrir les dépenses qu’elles occasionnaient, qu’elle a autorisé, par
exception, la confection des routes en fer par les particuliers : aussi toutes
les routes en fer sont faites par des concessionnaires...
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il n’y a en France que
deux routes en fer, et encore s’en plaint-on !
M.
Dumortier. - Cela prouve que ces routes ont été conduites avec
maladresse. Je suis persuadé que le travail de nos ingénieurs est bien fait ;
que les concessionnaires le suivraient ; mais parce que des routes auraient été
mal faites en France, par voie de concession, ce n’est pas une raison pour
qu’il en soit de même en Belgique. Il est donc manifeste qu’il est de l’essence
de la route en fer de ne pas pouvoir couvrir l’intérêt et l’amortissement des
capitaux employés et les frais d’entretien si l’on ne cumule pas les divers
bénéfices. Voila ce qui explique cette question si controversée, qu’une société
fera une bonne entreprise là où le gouvernement se ruinera. La raison en est
qu’une seule espèce de voitures peut circuler sur la route en fer ; qu’elle ne
peut être exploitée que par une, deux ou trois sociétés. Le public ne peut
jamais en profiter comme des routes ordinaires, que le paysan peut parcourir
avec son âne, son cheval ou sa voiture…
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’orateur vient de dire
qu’une route en fer ne pouvait couvrir ses dépenses qu’autant que le monopole
restait entre les mains de l’entrepreneur.....
M.
Dumortier. - Je n’ai pas parlé de monopole ; j’ai dit qu’on ne
pourrait couvrir les dépenses qu’autant qu’on cumulerait les bénéfices.
Voici comment les choses
se passent dans le parlement britannique.
Par l’acte de
concession, on accorde le droit de transporter les marchandises, par privilège,
et on fixe un droit de transport de tant… Comme c’est la société qui a
construit la route qui transporte les marchandises, et que le parlement ne veut
pas qu’elle fasse un monopole, il établit un droit de péage sur cette route, de
sorte que toute société qui voudrait s’établir, puisse marcher en concurrence
avec les entrepreneurs…
M. de Ridder, commissaire du Roi. - C’est comme cela que les choses
se passeront sur la route dont il s’agit.
M.
Dumortier. - J’avoue que les intentions du gouvernement sont,
pour moi, une énigme ; je désirerais qu’il me les fît connaître. C’est ici une
question de budget, il nous importe de savoir comment on entend couvrir les
dépenses ; voilà une question préalable qu’il faut vider. Je prie MM. les
commissaires du Roi de nous dire si le gouvernement entend exploiter la route
par lui-même, ou l’abandonner à la concurrence des diligences ; je ne pense pas
qu’il y ait une seule personne qui puisse me le dire…
M.
Desmet. - Ils ne le savent pas eux-mêmes !
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’en demande pardon à
M. Desmet, nous le savons et ceux qui ont lu les documents le savent comme nous
; ouvrez le mémoire à la page 101.
M.
Dumortier. - L’intention du gouvernement est donc d’exploiter
lui-même la route et de laisser venir les particuliers en concurrence avec lui.
Voilà une position nettement tracée, et nous pouvons raisonner : on aurait
singulièrement réduit la discussion, si, dès le principe on avait fait
connaître cette intention : je ferai observer que si on cite un mémoire qui
parle de cette intention, on nous a distribué d’autres mémoires qui
établissaient un système de monopole au profit du gouvernement. Les documents
que vous avez distribués sont un dédale au milieu duquel il est difficile de se
retrouver, vous avez embrouille la question de toutes les manières en
présentant successivement des mémoires renfermant des systèmes différents. Je
suis charmé que l’explication qui vient d’avoir lieu ait rendu la question plus
claire. Je vais raisonner dans cette hypothèse.
La question devient bien
simple, le gouvernement fera par lui-même les transports sur la route en fer ;
il établira un droit de péage pour toute voiture qui voudra s’établir à concurrence
avec lui ; il établira des diligences ; il fixera le prix de transport des
voyageurs, et de tous les objets dont il se chargera. Voilà la question
nettement posée. Maintenant je demande à la chambre comment il est possible que
le gouvernement puisse prétendre venir exploiter la route par lui-même. Quels
sont, messieurs les objets qui se transportent en Angleterre, sur les
communications analogues. L’expérience a démontré que sur la route de Liverpool
à Manchester, le transport des marchandises pondéreuses continue de s’effectuer
par les canaux.
D’un autre côté il y a
un des objets de transport sur lesquels on ne comptait pas. Ainsi par ce moyen
on a trouvé de l’économie dans le transport des animaux domestiques : des
bœufs, des moutons, des veaux, et aussi des poulets. On transporte un nombre
considérable de poulets par la route en fer. Je demande pardon à la chambre
d’entrer dans ces détails ; mais je cherche à éclairer la question. J’admets en
principe que le transport des poulets soit une chose avantageuse. La
consommation en est grande en Angleterre ; on pourra en transporter un nombre
considérable et les envoyer par le port d’Anvers. Mais je demanderai comment le
gouvernement établira les droits sur les poulets, si ce sera par tonneau ou par
tête de bétail. (On rit.) Enfin,
messieurs, c’est chose curieuse à savoir.
M. de Ridder, commissaire du Roi. - Comment fait-on sur la route de
Manchester ?
M.
Dumortier. - Comment font les concessionnaires de la route de
Manchester ? Ils font comme tous les entrepreneurs de diligences : ils
transportent les marchandises et les voyageurs d’après un tarif qu’ils fixent
eux-mêmes ; ils font payer plus cher dans l’intérieur que dans le troisième
corps de voiture. Est-ce l’Etat qui fera un pareil trafic ?
M.
le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’Etat le fait en
Prusse.
M.
Dumortier. - Le gouvernement le fait en Prusse. Mais
Vous ne pouvez suivre en
rien non plus l’exemple de la société concessionnaire de la route de Liverpool
à Manchester. Sur cette route, 4, 5 voitures sont attachées les unes aux
autres. Dans la première le transport des voyageurs se fait aux taux le plus
bas ; il est plus élevé dans la seconde ; puis viennent les voitures de luxe,
où on impose la vanité. Le gouvernement admettra-t-il ce système ? Est-ce nous,
élus du peuple, qui établirons des droits différents pour différentes classes
de voyageurs ? Est-ce nous qui établirons des bénéfices reposant sur la vanité
? est-ce nous qui diviserons la nation en catégories ?
Vous voyez que le mode
d’exploitation par l’Etat est impraticable. En voici une nouvelle preuve. Qui
est-ce qui fait le bénéfice des entreprises particulières ? Ce sont les
paquets. C’est là la source des gains les plus grands ; parce qu’on ne calcule
pas le prix du transport au prorata du poids. Quand vous envoyez à Liége un
paquet d’un demi-kilogramme, on n’en calcule pas le transport à tant par
quintal. Des sociétés particulières peuvent agir ainsi ; mais la loi ne peut
pas régler, ne peut pas atteindre de tels objets.
Tout démontre donc que
l’exploitation de la route en fer par le gouvernement est impraticable. Cette
proposition est un paradoxe, une chimère ; et si par hasard il se trouvait dans
les chambres une majorité qui fît admettre ce système, les chambres seraient
obligées de revenir sur ce sujet pour faire cesser une source de nombreux abus.
D’ailleurs, messieurs,
ce système d’exploitation par l’Etat consacre le monopole à son profit ; car
quand le gouvernement fera marcher les wagons sur la route en fer, il ne se
paiera pas les droits de barrière à lui-même, ou s’il les paie, il sera dans la
même position que s’il ne les payait pas ; puisqu’il donnera d’une main pour
recevoir de l’autre. Ce sera comme pour le timbre du Moniteur qu’il paie et qu’il perçoit à la fois et qui par
conséquent ne lui coûte rien.
Le gouvernement, exempt
des droits de péage, aura donc le monopole ; car il tuera les industries qui
voudront établir aussi des wagons sur la route. Il sera impossible à un particulier
de soutenir la concurrence avec le gouvernement. Il vaudrait mieux que le
gouvernement dît qu’il veut avoir le monopole, qu’il veut exclure toute
concurrence. Car c’est faire injure à cette assemblée que de prendre des biais
comme il le fait, et d’employer la dissimulation pour arriver à ce but.
La question demanderait
à être envisagée sous un point de vue important, je veux dire comme question de
budget. Si on peut démontrer que le trésor public ne sera pas grevé par la
construction de la route en fer, que les contributions, que l’impôt foncier ne
seront pas augmentés, je conviens que la discussion sera plus facile ; mais
cette démonstration, on ne l’a pas faite. On n’a pas même établi comment les
dépenses pourront être couvertes par les produits annuels.
L’honorable M. Devaux a
signalé comme le principal motif qui doit empêcher les concessions, l’absence,
l’inertie des capitaux. Je suppose que l’honorable membre n’entend pas
construire sans argent cette route qui doit coûter 35 millions, d’après l’opinion
du gouvernement, et qui dans mon opinion coûtera davantage. Je demande où il
trouvera ces capitaux ; le gouvernement, dira-t-il, lèvera un emprunt ; on
trouvera donc les capitaux en Belgique. On a donc tort de dire que l’inertie
des capitaux empêche la concession ; car dans l’un et dans l’autre cas, il
faudra que les capitaux sortent de leur inertie pour la construction de la
route en fer.
En définitive où
s’adressera-t-on ? à la banque ; on redoute son influence, et cependant, à
moins de faire un emprunt forcé, on sera contraint de s’adresser à elle. Vous
vous plaignez de l’influence de la banque et vous vous jetez vous-mêmes dans le
guêpier. Voilà où la marche au gouvernement il conduit. Il arrive au résultat
qu’il voulait éviter. On ne veut pas de concessions, en effet, parce qu’on
craint que la banque ne s’empare de la route en fer. On va jusqu’à dire qu’on
craindrait que le roi Guillaume ne s’emparât de la concession et ne fît
construire la route à son bénéfice. Je n’ai pas peur du roi Guillaume, et bien
loin que cette entreprise m’effrayât, je lui en saurais gré, et pour la
première fois de ma vie je lui en aurais de la reconnaissance. (On rit.) Je suppose que le pays ne
serait pas fâché de voir arriver une quarantaine de millions du roi Guillaume,
alors que nous avons nous, tant de cent millions à envoyer en Hollande.
L’intérêt de
Mais si vous livrez la
route à l’industrie particulière, sans l’exploiter vous-mêmes, elle
appartiendra au premier occupant. Celui-là aura les bénéfices ; celui-là
prendra tout et il sera trop tard pour lui imposer des conditions.
Si la banque veut faire
l’exploitation, elle fera chose productive : si le roi Guillaume fait la route,
il en aura les bénéfices et nous en serons pour nos 35 millions.
La première société qui
s’établira prendra tous les bénéfices et empêchera les autres de pouvoir entrer
en concurrence. Si, au contraire, c’est le gouvernement qui exploite la route
et qu’il ouvre concurrence, le roi Guillaume, par société anonyme, tuera votre
route en fer. Si nous sommes obligés de cesser la route parce qu’elle ruinerait
le trésor alors vous serez obligés d’augmenter le tarif, et le commerce
d’Anvers sera tué. Voilà dans quels abîmes le gouvernement nous conduit en
n’adoptant pas le système de concessions qui est le seul praticable.
Le gouvernement, en
prétendant établir lui-même les moyens de transport, entend, par cela même,
arriver au monopole.
Je suppose que, pour le
commerce des denrées coloniales, le gouvernement veuille les imposer au taux le
plus bas possible, ou à 2 centimes par kilomètre et par tonneau ; eh bien,
combien y a-t-il de kilomètres d’Anvers à Verviers ? 146 ou
Dans la dernière séance,
j’ai produit un document auquel on n’a pas répondu.
Nos routes pavées ont
600 lieues de développement ; elles rapportent 2,200,000 fr. Comment
pouvez-vous admettre que votre route de fer qui n’aura que 82 lieues de
développement pourra rapporter une somme de 4,800,000 fr. ou près de 5
millions, somme nécessaire pour couvrir les frais d’entretien,
d’administration, d’intérêt et d’amortissement ? Ne tombe-t-il pas sous le sens
qu’il sera impossible de payer la dépense que la route occasionnera. Il
faudrait presque décupler la circulation pour couvrir les intérêts de nos
emprunts.
J’ai
cherché combien sur les routes ordinaires d’Anvers à
Maintenant si vous
adoptez ce calcul sur les bases qui ont été présentées, je demande s’il est
possible de croire que jamais nous pourrons couvrir les dépenses de la route en
fer, en la mettant en fermage alors que sur les routes ordinaires, sur 1 fr. de
droits de transport, l’Etat perçoit 3 centimes et celui qui l’exploite 97
centimes. Je sais qu’avec les machines à vapeur il y aura une très grande
différence, mais il faut aussi qu’elle soit bien grande pour arriver au taux de
la dépense.
Il est tellement vrai
que jamais une route en fer ne peut couvrir ses frais, si l’on ne cumule tous
les bénéfices, que nonobstant qu’en Angleterre on accorde aux concessionnaires
la faculté de jouir des intérêts jusqu’à concurrence de 10 p. c., aucune route
jusqu’ici n’a présenté de bénéfice aux actionnaires malgré le cumul.
Savez-vous combien la
route de Manchester à Liverpool a produit la première année ? d’après le compte
rendu à la fin de 1830, les actionnaires ont retire un intérêt de 8 p. c. Les
bénéfices du péage et de l’exploitation cumulés n’ont produit que 8 p.c.
Quant à nous ce n’est
pas avec 8 p. c. que nous pourrons couvrir nos dépenses. Et à moins que le gouvernement
n’en fasse le monopole, nous n’aurons que les droits de péage. Vous voyez donc
qu’il sera de toute impossibilité que le trésor public ne soit pas grevé par
cette construction.
Ici, je rappellerai en
peu de mots deux points saillants du discours de mon honorable collègue M. de
Puydt, quand il a dit quel avait été alors le résultat du vote de la chambre
française dans l’affaire des canaux, qu’elle a cru aux évaluations des
ingénieurs.
Je tiens en main le
tableau des évaluations présentées à la chambre des pairs ; ces évaluations
faites par des ingénieurs français qui étaient aussi d’un grand mérite,
s’élevaient à 120 millions ; on avait assuré que ces évaluations étaient
définitives. Eh bien ! cette dépense s’est élevée à 210 millions, on a été obligé
de venir redemander 90 millions pour couvrir cette dépense, que l’on avait
affirmé sur l’honneur ne devoir s’élever qu’à 120 millions : pensez-vous que ce
qui est arrivé en France, ne puisse pas arriver pour votre route en fer ?
La route en fer de Liverpool
à Manchester a coûté 20 millions de francs ; si vous prenez la moitie, 10
millions, pour 10 lieues, la route belge coûtera 80 millions, au lieu de 35
millions, Si vous pensez qu’on puisse construire en Belgique à raison du tiers
de ce qu’a coûté la route de Manchester, votre route vous coûtera encore 60
millions. Remarquez que ceci mérite d’être pris en considération, Il n’est pas
de personne sensée qui puisse prétendre que l’on construise en Belgique au
tiers du prix auquel on a construit en Angleterre.
Vous avez entendu M.
l’inspecteur des ponts et chaussées vous dire que l’on construisait en
Angleterre à meilleur marché qu’en Belgique : cela se conçoit ; car les
matières premières, et spécialement le fer, y sont meilleur marché que chez
nous. J’admets cependant que nous puissions construire aux deux tiers moins ;
eh bien ! alors vous arriverez encore à ce résultat, que votre route vous
coûtera 60 millions au lieu de 35 ; et les produits ne pourront pas augmenter
en proportion. Il est donc incontestable que c’est une ruine pour le trésor
public.
Un honorable député
d’Ostende a cherché à répondre à ce que j’avais dit dans une précédente séance
relativement aux droits que l’on paie sur les canaux, et il a cru pouvoir
s’égayer à mes dépens. Si je me suis trompé, il a eu raison, mais si c’est lui
il en sera quitte pour une lourde drôlerie et pour ses frais d’esprit.
Heureusement ce n’est pas celui qui a l’honneur de parler devant vous qui s’est
trompé, c’est l’honorable membre qui a pris, comme on dit vulgairement ses bas
pour ses souliers. (Hilarité.)
S’il m’avait fait
l’honneur de m’écouter, il aurait pu entendre que je n’ai pas parlé d’un cents
et demi de frais de transport par
Plusieurs voix. - C’est dans le Moniteur !
M.
Dumortier. - Je sais bien que cela se trouve dans le Moniteur, mais c’est une faute de
typographie !
Il est par trop absurde
de penser que le transport de 100 kil. puisse se faire à raison d’un cents et
demi. J’ai parlé du droit de péage.
Plusieurs voix. - C’est vrai ! C’est vrai !
M.
Dumortier. - J’entends plusieurs personnes dire que c’est ainsi
que j’ai parlé ; il serait absurde de dire, je le répète, qu’on pût transporter
Dans une précédente
séance j’ai établi qu’il était impossible de commencer la construction d’une
route en fer pour le compte du gouvernement, sans savoir si en Prusse une
société entreprendrait la construction et sans que le gouvernement prussien
l’eût déclaré. Parlant de la dépense à laquelle s’élèverait cette dépense, je
parlais de millions de francs et non de millions de thalers. Je n’avais pas en
main alors le document probant ; j’étais sûr néanmoins de ne pas me tromper.
Voici maintenant, messieurs, cette lettre de Cologne sur laquelle repose cette
allégation. On verra si je me suis trompé, si j’ai pris des francs pour des
thalers. (L’orateur donne lecture de cette lettre, de laquelle il résulte que
la souscription s’élève à 1,500,000 francs.)
On voit que si en Prusse
on compte par thalers on écrit aussi par francs. Ainsi, il est incontestable
que les frais de la partie prussienne sont loin d’être couverts, et n’y
aurait-il pas imprudence de venir faire par nous-mêmes cette route, alors que
nous n’avons pas même la certitude qu’elle sera continuée sur le territoire
prussien.
Les faits que j’ai cités
restent donc tous sans réplique. Je me bornerai maintenant à une seule
considération.
Si vous pensez en votre
âme et conscience que le gouvernement peut exploiter la route par lui-même et
cumuler tous les bénéfices, votez pour le chemin de fer ; car alors les frais
seront couverts. Mais si vous pensez comme moi, qu’il est impossible que l’Etat
se fasse voiturier, entrepreneur de diligences, votez contre le projet, car il
serait la ruine du trésor public.
J’ai établi dans une
séance récente combien le budget était grevé ; il menace d’arriver a un chiffre
vraiment effrayant. De nouvelles dépenses amèneraient un déficit et la ruine de
l’Etat. Il faudrait augmenter l’impôt foncier, et le commerce et l’industrie
seraient frappés.
Un
seul motif a été mon unique mobile dans cette discussion : c’est l’intérêt du
trésor public ; je l’ai défendu en toute circonstance. J’ai toujours parlé et
voté pour les économies. J’ai défendu les intérêts du trésor contre la banque.
Dans la loi des distilleries, j’ai également pris les intérêts du trésor.
Pour moi qui ai étudié
les finances de l’Etat et de très près, je ne puis voir sans une profonde
douleur le précipice où vous vous jetez et d’où il vous sera impossible de vous
retirer plus tard.
M.
A. Rodenbach. - Messieurs, je ne prolongerai pas longtemps cette
discussion déjà si longue. Je ne répondrai que deux mots à l’honorable
préopinant.
Je dois le dire moi
aussi je hais le monopole, moi aussi j’ai toujours voté dans le sens du peuple,
j’ai toujours voté pour les économies. Je ne nierai pas mes antécédents ; je
voterais contre le projet, s’il devait être une charge pour le pays ; mais je
suis persuadé qu’il ne coûtera pas un cents aux contribuables ; c’est ce que
j’aurai occasion d’établir dans la discussion des articles.
Je n’ai pas eu le
bonheur de voir la route de Liverpool à Manchester ; je n’ai pas vu les
machines à vapeur au moyen desquelles on l’exploite, mais j’ai eu l’occasion de
voir des Anglais qui m’en ont parlé : il y a des machines locomotives qui
coûtent 30 ou 40 mille francs. On attache à ces machines 285 wagons ou même
davantage. Ces wagons n’appartiennent pas au gouvernement, ils appartiennent
aux particuliers ; ils ne coûtent pas plus de 800 francs ; les particuliers en
auront également ici ; ils transporteront sur ces chariots ce qu’ils voudront :
du coton, des denrées coloniales ou des poulets comme le veut l’honorable
préopinant. Le gouvernement n’entre en rien là dedans.
- La clôture de la
discussion générale est mise aux voix et adoptée.
La séance est levée à 4
heures et demie.