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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 mars 1834

(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi. Il donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Quelques pièces ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de la commune de Nerzeele demandent qu’un droit soit imposé à la sortie des lins. »

- Cette pétition est renvoyée à la commission d’industrie.


« Le sieur H. Sobest, commis de classe des douanes, demande un emploi dans l’intérieur du royaume. »

- Renvoyé à la commission des pétitions.


Par un message, le sénat informe la chambre que dans sa dernière séance il a adopté le budget du ministère de l’intérieur pour l’exercice 1834.

Projet de loi qui prescrit l’établissement d’un système de chemins de fer en Belgique

Discussion générale

M. de Ridder, commissaire du Roi, prend la parole. - Messieurs, en entendant les objections qui ont été faites contre le projet dans la séance précédente, nous serions bien tentés de croire que l’honorable M. Desmet avait raison quand il dit que nous aurions pu nous épargner une très grande partie de notre volumineux travail.

Nous ne pouvons en effet attribuer qu’au nombre et à l’étendue des documents, pièces et mémoires successivement publiés par nous, soit à l’appui du projet, soit comme éclaircissement nouveau, soit en réplique à des critiques soulevées pendant toute une année d’enquête publique ; nous ne pouvons, dis-je, attribuer qu’à la quantité même de ces documents, dont la collection forme à la vérité un assez gros volume, la plupart des objections de l’honorable M. Dumortier ; objections que certes, il se serait gardé de faire, s’il avait jeté les yeux sur nos propositions.

On nous accusait d’avoir conseillé au gouvernement d’accaparer un monopole odieux sur les transports de la nouvelle route ; la citation que nous avons faite du passage de notre second mémoire, où nous réclamons avec force la plus entière liberté en faveur de la concurrence publique, nous a déjà absous de ce grave reproche.

Il nous reste toutefois à faire connaître à la chambre les raisons qui portèrent le gouvernement à augmenter de un million et demi l’emprunt du capital destine à la construction de la route, pour subvenir aux dépenses de l’exploitation provisoire et éventuelle des transports. Ces motifs, messieurs, sont clairement développés à la page 101 de notre premier mémoire. Permettez-moi de vous en donner lecture :

« Qu’afin de rendre la route utile au public dès l’achèvement de chaque section, et empêcher qu’avant l’établissement d’une concurrence suffisante, des intérêts particuliers ne viennent faire peser un monopole sur les premiers transports, ce qui arrêterait l’essor du mouvement commercial et compromettrait la rentrée des recettes, il importe que la commission directrice soit autorisée à maintenir en activité des moyens de transport capables d’assurer le service et de réduire le prix du fret à un taux raisonnable.

« L’emprunt supplémentaire, qui serait autorisé à cet effet, serait spécialement couvert par les sommes payées pour le transport, et par la location ou la vente successive dudit matériel. »

Rien n’est plus rationnel, ni plus raisonnable, je pense, que la marche conseillée.

Ce qui est raisonnable est toujours possible : et quant à cette exploitation éventuelle et provisoire des transports par le gouvernement, elle ne sera pas plus difficile pour l’administration et le contrôle que celle du service de la poste aux lettres que l’Etat se réserve en tout pays ; pas plus difficile que l’exploitation générale des messageries que le gouvernement prussien dirige lui-même, avec profit, dans toute l’étendue de son royaume, sans donner lieu à la moindre plainte, ni de la part du commerce, ni de la part du public.

Tout en soutenant que la loi proposée est sans motif, parce qu’elle ne stipule pas, dès à présent, le taux définitif des péages (péages dont les députés du Hainaut ne redoutent que la modicité), l’honorable M. Dumortier a cru découvrir l’intention fiscale de prélever, sur la nouvelle communication, le revenu énorme que le tableau des produits réalisables dénonce.

Nous avons déjà répété hier, en citant la page 24 de notre second mémoire, pourquoi ce tableau fut remis à la chambre ; nous devons vous expliquer, messieurs, à quelle occasion nous l’avions rédigé.

Peu de temps après la présentation du projet actuel, nous apprîmes qu’une compagnie puissante s’apprêtait à demander la concession de la communication projetée, en offrant au commerce de transit l’avantage criant d’une économie de 1/10 sur la navigation concurrente hollandaise, à condition d’établir, comme elle l’entendrait, les péages à frapper sur le commerce intérieur.

Dans le même temps, des critiques amères s’élevaient sur le mode d’emprunt, dont nous avions parlé. On répandait des craintes sur la possibilité du recouvrement des intérêts, et l’on déclarait que si nous avions plaidé contre tout amortissement obligé de cet emprunt, ce n’était que par crainte d’insuffisance du revenu nécessaire.

Possédant des renseignements officiels sur l’importance du mouvement commercial dans la direction que la nouvelle route va parcourir, nous avons cru de notre devoir de dévoiler l’ingénieux mécanisme à l’aide duquel la compagnie dont il s’agit trouvait les moyens de favoriser ainsi le transit.

Nous rédigeâmes donc le tableau des produits réalisables qui démontre avec évidence qu’en ne comptant que sur le seul mouvement des transports appartenant au commerce intérieur de la Belgique, et en offrant toutefois, à ce commerce, une économie très notable, et de 20 à 30 pour cent au moins, sur les frais actuels des transports, on pouvait, non seulement laisser le transit à 10 p. c. de moins que le fret par la Hollande, mais aussi le délivrer de tout péage quelconque sur la nouvelle voie, quoique le produit net s’élevât encore à plus de 15 p.c. du capital engagé, ce qui rembourserait intégralement l’emprunt en moins de 10 années.

Ce tableau n’était, pas, à notre avis, le modèle à suivre pour l’assiette des péages ; nous ne l’avions mis en avant que pour signaler le gouffre dans lequel la compagnie cherchait à entraîner le pays.

Ce revenu monstrueux, la compagnie, si généreuse en apparence, l’aurait réalisé par son octroi.

Nous admettons avec M. Dumortier que la répartition des prix proposés dans ce tableau, par la voie nouvelle, apparaît çà et là dénuée de toute justice ; il est sans doute assez singulier d’y voir que le transport des houilles de Liége, par exemple, eût coûté à Tirlemont beaucoup plus qu’à Anvers ou Louvain.

Mais l’arithmétique des concessionnaires, sans être faussé pour cela, leur apprend qu’il vaut mieux recevoir quelques cent mille francs que rien ; et à cet effet elle leur eût conseillé, pour soutenir la concurrence du Hainaut sur le bas Escaut, de ne taxer qu’à raison de moins de deux centimes au plus, par tonneau et par kil., les expéditions de houille de Liége sur Louvain et Anvers, tandis que de Liége à Tirlemont on eût perçu quatorze centimes par kilomètre et par tonneau puisque les frais de roulage entre ces deux dernières villes s’élèvent à plus de vingt centimes par tonneau.

Le tarif pour les voyageurs doit paraître, à la vérité, tant soit peu élevé, si on le compare aux prix actuels des diligences, que la concurrence encore agissante de certains grands entrepreneurs a considérablement réduits.

Mais il est essentiel d’observer à cet égard que lorsque cette lutte d’opposition, pour s’accaparer un monopole, aura repoussé de la route les moins riches des concurrents, les prix des places dans les diligences remonteront bientôt au taux que nous avons indiqué.

C’est ainsi que quelques années avant l’ouverture des railways de Liverpool, pendant l’enquête même que le parlement tenait sur cette affaire, les diligences de Manchester à Liverpool faisaient le trajet avec une vitesse excessive pour un à 2 schellings ; et même, pendant quelques jours, plusieurs d’entre elles conduisirent pour rien les voyageurs, et leur offraient en outre, sur la route, des rafraîchissements gratis.

Cependant, messieurs, le prix actuel des places dans les coaches du railway sont aujourd’hui de 3 à 6 schellings, et vous n’ignorez point que le nombre des voyageurs est triple au moins de ce qu’il était pendant la concurrence des anciennes voitures.

Il n’y a donc rien d’étonnant, messieurs, lorsque nous comptions dans le tableau des produits réalisables les voyageurs de Bruxelles à Louvain, au même prix à peu près que celui d’aujourd’hui : veuillez remarquer, d’ailleurs, que nous ne comptons point sur tous les voyageurs, qui circulent aujourd’hui entre ces deux villes, au nombre de plus de 85,000 par année ; de ce nombre, nous n’avons compté que sur 10,000 seulement de ceux qui vont de Bruxelles sur Liège ou l’Allemagne, et qui préféreront naturellement prendre tout d’un coup leur place à Bruxelles, dans la diligence à vapeurs plutôt que de changer de voiture à Louvain.

Certaines marchandises, messieurs, ne paient sur le canal de Bruxelles que 1 50 à 2 fr. par tonneau, nous le savons ; mais beaucoup d’autres aussi se transportent par les beurtmans à raison de 3 à 4 francs ; par chasse-marée, 6 à 8 francs ; par le gros roulage, 8 à 10 francs ; et par diligence, de 20 à 25 francs au moins.

Il nous était donc permis d’assurer dans le tableau dont il s’agit que des transports s’effectueraient au prix de 4 francs par la nouvelle route, et en n’évaluant le tonnage annuel qu’à 20,000 tonneaux de cette espèce de marchandises précieuses, ou de celles que le commerce peut réclamer pendant les interruptions de la navigation, nous sommes restés en dessous de la réalité.

D’ailleurs, messieurs, si vous craignez que les évaluations des revenus par les ingénieurs de l’Etat soient établies sur une base trop large, et que vous n’ayez confiance à cet égard que dans la prévoyance de l’intérêt particulier, souvenez-vous qu’une compagnie particulière, en demandant, à ses risques et périls, la concession d’une route en fer d’Anvers à Bruxelles, comptait un mouvement de 19,000 tonneaux de denrées coloniales et fabricats, à 4 et 8 florins le tonneau, plus une somme de 33,000 florins pour le transport d’objets divers, à la pièce, bétail et numéraire.

Ce tableau des produits réalisables, tout monstrueux qu’il soit (nous sommes d’accord là-dessus avec l’honorable orateur), mérite sans contredit une attention particulière, car il permet d’apprécier les offres soi-disant si généreuses et si adoptables de la compagnie, qui veut si puissamment protéger le transit ; et surtout parce que le même tableau répond à l’objection de M. Dumortier, qui s’étonne que l’on s’attende à un produit de péage d’environ 3 millions, dans la seule direction d’Anvers et de Bruxelles vers Liége, tandis que toutes les routes du royaume ensemble ne rapportent à l’Etat que 2 millions et demi seulement : quoique l’honorable orateur ait soutenu hier qu’il avait démontré une proposition toute contraire, nous pensons qu’il voudra bien reprendre ses calculs, et tombera d’accord avec nous, s’il considère que les frais proprement dits des transports sur une route en fer ne s’élèvent, pour moteurs et chariots, qu’à 5 à 15 centimes seulement par tonneau et par lieue, tandis que sur les meilleures chaussées le roulage exige pour chevaux et voitures, non compris le droit de barrière, de 80 à 90 centimes par lieue, et qu’il y a en conséquence, ample marge pour recouvrer sur les routes à rainures des péages capables, non seulement de subvenir aux dépenses annuelles d’entretien, mais encore de fournir un produit net et un amortissement rapide des capitaux employés à la construction.

On a renouvelé la comparaison des dépenses du chemin projeté en Belgique avec celles que les concessionnaires de Liverpool ont déclaré avoir faites pour la route de cette ville à Manchester. Si la chambre désirait, au sujet des différences que l’on remarque à cet égard dans les deux ouvrages, de plus amples détails que ceux que nous avons donnes dans notre réplique du 1er septembre, nous nous empresserons de satisfaire à son désir.

Mais nous nous permettrons de lui faire remarquer que, tandis qu’en cette enceinte les partisans du système des concessions nous blâment pour avoir porté trop bas le montant de nos devis, une société prussienne s’engage à construire le prolongement de la route d’Eupen jusqu’à Cologne sur ses propres fonds et à un prix beaucoup moindre que celui de nos évaluations spéciales, qu’elle critique avec justice comme beaucoup trop élevées.

Pour tranquilliser le préopinant sur la concurrence hollandaise relativement au transit, il doit, ce nous semble, lui suffire d’avoir appris, d’après les communications qui vous ont été faites par l’honorable M. de Puydt, que l’entreprise du chemin de fer hollandais croit à des bénéfices réels : or, si un chemin latéral au Rhin, que des bateaux à vapeur parcourent avec rapidité et économie, si ce chemin exige des ouvrages hydrauliques très coûteux, s’il est assis en grande partie sur des localités peu productives et peut réussir, à plus forte raison une route de cette nature réussira chez nous, où la population est plus industrieuse et plus considérable.

L’honorable M. Dumortier ne voit dans la route projetée qu’un moyen offert au commerce étranger de traverser trop facilement notre territoire. La route en fer, dit-il, ne nous donnera d’autres avantages que le plaisir de voir passer le transit comme en ballon… Le but de la route est précisément tout le contraire : c’est justement pour empêcher cette transmission aérienne du transit, qu’une route en fer est indispensable chez nous.

Le transit en ballon existe aujourd’hui, malheureusement pour la Belgique : allez à Ostende, voyez ses bassins de commerce déserts ; rendez-vous sur la jetée, et voyez à l’horizon les navires qui passent au loin devant nos côtes. C’est le transit d’Amérique et des Indes, pour l’Europe centrale, qui va déposer à Rotterdam ses cargaisons et reprendre de nouveaux chargements.

Lorsque vous aurez, messieurs, décrété l’ouverture d’une voie économique et prompte et sûre entre vos ports et le Rhin supérieur, les mêmes navires aborderont chez nous.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - Est-ce pour un fait personnel ?

M. Dumortier. - C’est pour redresser des faits.

M. le président. - Je ne puis intervertir l’ordre dans lequel les orateurs sont inscrits. La parole est à M. Frison.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Je vous prierai de vous renfermer dans la question personnelle.

M. Dumortier. - Vous allez voir. Messieurs, je ne veux pas réfuter ce qu’a dit le commissaire du Roi : il n’a aucunement détruit ce que j’ai avancé hier ; mais je ne puis m’empêcher de repousser une assertion singulière ; il prétend que je n’ai pas lu les documents présentés par le gouvernement, et que si je les avais lus, je me serais gardé de parler comme j’ai fait hier.

Je viens protester contre cette assertion. Si je n’avais pas lu les documents fournis par le ministère, je n’aurais pas pu présenter les faits sur lesquels je me suis appuyé. C’est sur un tableau produit par le gouvernement, et deux fois imprimé, que j’ai fondé mes calculs. Ne venez donc pas mettre en suspicion mes intentions par des insinuations sans fondement. Mais ce que vient de dire le commissaire du Roi, éclaircit cependant une question : il vient de déclarer qu’il n’entend pas que le gouvernement ait le monopole, qu’il entend seulement que le gouvernement doit se borner au simple droit de transport.

M. le président. - Je dois faire remarquer à l’orateur qu’il s’agit d’un fait personnel.

M. Dumortier. - Je suis étonné qu’on soit si sévère à mon égard.

M. le président. - Nous avons applique la règle à tous.

M. Dumortier. - Je dirai que non ; car, hier, lorsque j’ai parlé, j’ai été obligé de faire des efforts pour couvrir le bruit des conversations particulières : on fait faire silence quand d’autres parlent.

M. le président. - J’ai été obligé de m’absenter un moment ; mais pendant tout le temps que j’ai occupé le siège, j’ai fait observer le règlement.

M. Jullien. - Il y bien assez de partialité au-dehors ; il ne faut pas qu’il y en ait au-dedans.

M. Dumortier. - C’est juste. Messieurs, il résulte un fait très important de la discussion, c’est que le tableau fourni par le gouvernement et sur lequel j’ai basé mes calculs vient d’être reconnu pour un tableau monstrueux. Cependant nous n’avons pas d’autre document... Je n’en dirai pas davantage, et j’entrerai dans de plus longs développements quand mon tour de parler sera venu. Et puisque l’on repousse le monopole, il nous sera facile de prouver que la Belgique serait ruinée par le chemin en fer.

M. Frison. - Messieurs, quelle que soit de la question qui nous occupe, je me proposais de n’y prendre part autrement que par mon vote ; l’état de ma santé m’imposait cette réserve : désirant cependant de mettre au jour toute l’importance de la province de Hainaut je fais un effort. Messieurs, je serai bref. Je n’abuserai point de votre patience, ce n’est point ma coutume ; vous me prêterez, j’en suis persuadé, une bienveillante attention.

Moi non plus, je ne recule pas devant le reproche d’esprit de localité ; beaucoup d’entre nous, messieurs, peuvent en prendre une large part. Il est ici des hommes que j’honore et que je respecte, dont je me fais gloire de partager les opinions politiques, qui se gardent d’abuser des avantages que leur donne le projet ministériel, et qui s’abstiennent de venir nous accabler ; cette loyale conduite les grandit encore dans mon estime. Mais nous, nous attaqués, nous dont on veut consommer la ruine, c’est à nous de nous défendre ; vous saurez tous apprécier cette différence de position.

La plupart des orateurs qui m’ont précédé n’ont fait, en grande partie, rouler leur argumentation que sur le transport et les prix comparatifs des houilles : c’est sans contredit la matière première la plus importante dans l’état actuel de l’industrie ; et sous ce rapport, je suis loin de les en blâmer.

(Addendum au Moniteur belge n°81, du 22 mars 1834 :) C’est, sans contredit, la matière première, la plus importante dans l’état actuel de l’industrie, et je suis convaincu que les honorables orateurs ont démontré à satiété les droits du Hainaut. Mais, messieurs, il faut remarquer que la houille pour la marche des machines à vapeur, est compagne inséparable du fer nécessaire à leur construction ; c’est sous ce point de vue que j’essaierai de faire connaître l’importance de notre province, et c’est par des données statistiques dont je garantis l’exactitude, que je m’efforcerai de porter la conviction dans vos esprits.

Dans l’espace très resserré d’une demi-lieue carré, l’arrondissement de Charleroy possède 8 hauts fourneaux au coak, établis et en activité depuis peu d’années seulement.

Ils produisent ensemble par jour :

80,000 kil. de fontes de toute espèce ;

Ils consomment aussi par jour :

360,000 kil. charbon de terre,

260,000 kil, minéral de fer,

130,000 kil, pierre calcaire.

Ces fourneaux travaillent, sans autre interruption, que celle que nécessite leur réparation ; ils exigent donc un transport annuel de 273,750,000 kil. de matières premières, dont la distance moyenne pour arriver aux établissements est d’une lieue et demie : il faut y ajouter le transport de 29,200,000 kil. de fontes, qui s’expédient, terme moyen, à 3 lieues de distance. Ces résultats sont énormes, messieurs ; ils sont conformes à la vérité.

Si l’on veut considérer de plus la fabrication de la fonte au coak, dans l’arrondissement de Charleroy, sous le rapport de l’avantage qu’elle procure à la classe ouvrière, ou verra que cette branche d’industrie verse chaque année, en journées d’ouvriers et transports, sept millions de francs. Je le démontre de la manière suivante :

Les 29,200,000 kilogrammes de fontes, que l’on fabrique, sont le produit de matières qui n’ont, pour ainsi dire, pas de valeur première ; le prix en est toujours calculé à raison de la main-d’œuvre employée pour les extraire et les préparer, ainsi que du transport qu’elles doivent subir pour arriver au point de consommation ; de sorte que la valeur de la fonte que l’on peut porter, terme moyen, à 25 francs par 100 kil., résulte toute de la main-d’œuvre et du transport, moins 10 p. c. du bénéfice que prend le maître de forges.

Il existe de plus, dans l’arrondissement de Charleroy, trois usines à étirer le fer en barres, à la méthode anglaise.

Ces trois usines produisent journellement ensemble 28,000 kil. de fer étiré de toutes qualités et dimensions.

Ce n’est pas tout, messieurs, et ici je m’étendrai quelque peu hors de l’arrondissement de Charleroy ; j’ai porté mes recherches jusque dans la province de Namur, dans cet entre Sambre et Meuse qui, sous le rapport des communications, est loin d’être favorisé.

Dans l’entre Sambre et Meuse, et l’arrondissement de Charleroy . il existe 94 affineries et 48 hauts fourneaux ; 7 affineries et 5 hauts fourneaux seulement chôment ; tout le reste est activé et s’alimente au charbon de bois. Je ne parle point encore ici des fours à puddler.

Vous pouvez vous faire une idée, messieurs, des produits de toutes ces forges, lorsque je vous dirai qu’elles peuvent suffire à fournir du fer pour 3,000 mètres de route par jour.

Vous dirai-je encore, messieurs, que l’arrondissement de Charleroy possède 34 verreries dont les immenses produits suffisent aux besoins d’une consommation considérable ?

Je ne vous parlerai point des autres productions de la province du Hainaut : les clous, les bois de construction, les écorces, les ardoises, les tuiles, les poteries, les marbres, les pierres de taille, la chaux etc. Non, cela nous mènerait trop loin.

Ne pensez cependant point, messieurs, que le tableau que je viens de vous dérouler présente l’industrie de notre province dans l’état le plus prospère ; ce n’est que par les sacrifices les plus grands que les industriels parviennent à soutenir leurs établissements ; ils attendent encore des débouchés, des encouragements, la modification des tarifs de douanes chez nos voisins.

Puissent-ils ne pas les attendre en vain, afin de pouvoir tirer des capitaux qu’ils emploient les bénéfices auxquels ils ont droit d’aspirer. Or, il résulte de tout ce que je viens de vous exposer, messieurs, que non seulement les houillères du Hainaut ne doivent pas être sacrifiées à celles de Liège, mais que nos autres produits, et surtout nos fers et nos clous, qui déjà ont à supporter des frais de transport considérables, depuis les usines jusqu’aux endroits où on les recharge sur des chariots ou des bateaux, ne pourront non plus supporter la concurrence, avec les fers et les clous de Liége, sur les marchés intérieurs et étrangers.

Car, quoi qu’en dise le mémoire cité par M. le ministre de l’intérieur, du désavantage qu’ont les clous de Liége sur ceux de Charleroy, ceci est complètement inexact. Il est incontestable que les clous de Charleroy ne peuvent soutenir la concurrence avec ceux de Liège, à cause du bas prix de ces derniers. Les Liégeois seuls sont en possession d’approvisionner l’Espagne, le Danemark, la Russie et le Brésil : c’est un fait que je ne défie pas de nier, rien n’est plus facile ; mais il est impossible de prouver le contraire. Dans le cas actuel, je suis pertinent pour faire cette déclaration.

Nous ne sommes point jaloux des éléments de prospérité que renferment les autres provinces : plus leur industrie prendra de l’essor, plus nous nous en réjouirons ; mais il ne serait ni juste ni équitable de faire contribuer notre province à la construction d’une route qui doit donner le coup de mort à notre industrie, sans lui accorder compensation. Messieurs, nous ne demandons pas de faveur, mais nous ne voulons point être méconnus ; et si le court exposé de nos richesses parvient à faire sentir au gouvernement l’importance du Hainaut, je n’aurai point perdu ma peine.

Il ne faut d’ailleurs point perdre de vue que ce ne sont pas seulement les bonnes institutions qui attachent le peuple au gouvernement, mais encore le bien-être matériel qu’il en attend. Un déni de justice (car pour nous c’en serait un que de nous sacrifier gratuitement) aurait pour résultat d’aliéner le Hainaut tout entier, et je ne crains point de m’associer aux généreuses paroles de mon honorable collègue et ami M. Gendebien. Jamais on ne parviendra à forcer la province du Hainaut à contribuer à sa propre ruine. Dans une éloquente péroraison, notre honorable collègue M. Jullien vous a déjà fait sentir combien il serait impolitique, dans un royaume comme la Belgique, de ne point tenir compte d’une ou deux provinces des plus riches par les divers productions de leur sol.

Messieurs, si le Hainaut conserve un durable souvenir du glorieux empire dont nous avons été violemment détachés, c’est que nous avons ressenti longtemps les bienfaits de son administration sous le rapport commercial. Que le ministère ne nous oblige pas au regret du passé.

Un fait qui vient se placer naturellement ici, et qu’il est difficile de contester, messieurs, mérite toute votre attention. La France, composée de 86 départements, malgré les réclamations énergiques et unanimes de presque toutes les grandes villes commerciales, repousse principalement la modification de son tarif de douanes en faveur du seul département du Nord, dont les houillères, les verreries, les forges, les clouteries et les autres manufactures recevraient par une semblable mesure le coup le plus funeste. Aussi sous ce rapport avons-nous peu d’espoir de voir cesser les entraves existantes.

Et si le ministère persiste à consommer une iniquité aussi révoltante, c’est à votre justice, à votre impartialité, messieurs, que nous en appelons ; la chambre ne prêtera pas les mains à un semblable sacrifice. Que si tout espoir était perdu pour nous dans cette enceinte, nous tournerions nos regards vers l’autre chambre, où nous trouverions d’honorables sénateurs qui prêteraient l’oreille à nos justes doléances. Ce grand corps de l’Etat se montrera à la hauteur de sa noble mission.

Je ne dirai plus qu’un mot, messieurs ; s’il est quelques hommes en Belgique qui ne craignent pas de voir passer à la postérité leur nom chargé des malédictions et de la ruine de toute une province, ainsi que le nom d’Erostrate est parvenu jusqu’à nous par l’incendie du temple d’Ephèse, c’est une gloire que je ne veux point partager.

J’aurais terminé là mes observations, messieurs, si deux ministres, tour à tour, n’étaient revenus avec complaisance sur ce qu’ils appellent l’adhésion unanime de la chambre de commerce de Charleroy, sans tenir aucun compte de la véritable opinion de cette assemblée. Je veux non seulement affaiblir, mais détruire entièrement les inductions que les ministres prétendent tirer de cette apparente contradiction. Il me suffira de vous lire de courts extraits de deux lettres écrites à ce sujet :

« Extrait d’une lettre de M. J. Frison, membre de la chambre de commerce de Charleroy, au secrétaire de cette chambre.

« Du 8 juin 1833,

« Je crois, monsieur, devoir vous prévenir, avec prière de le faire savoir à M... (je tairai le nom par retenue) qui aurait, me dit-on, signé la pièce, que notre intention était, en cas de réalité du fait, de protester de toutes nos forces et de tous nos moyens contre le mode proposé pour l’exécution par le gouvernement ; nous serons obligés d’agir d’une manière désagréable, car nous déclarons que la chambre de commerce, n’ayant pas été convoquée, n’a pu à l’unanimité émettre d’avis, et que dans cette unanimité, à coup sûr, nous ne figurons, ni ne voulons figurer. »

Du 9 juin 1833.

Extrait de réponse.

« Répondant à son contenu, voici les faits dans leur exacte vérité au sujet de la réponse du projet d’un chemin de fer d’Anvers à la Meuse et au Rhin : ce projet a été envoyé par lettre de M. le gouverneur du 22 mars dernier, qui, comme toutes les autres concernant la chambre de commerce, se remettent par le distributeur des lettres chez M... (je tais encore le nom). Une lettre urgente de rappel ayant eu lieu le 18 avril, il m’envoya quelques jours après ces deux lettres, et le volumineux projet sans aucune note. Vous étiez absent, m’aviez-vous dit, pour un mois à 6 semaines. M. Cossé, dont je recevais en même temps la nomination était à Paris ; M. Jean Pirmez, à la chambre des représentants à Bruxelles ; et l’on me disait M. Gendebien aussi absent : vous savez que les trois autres ne viennent pas ou rarement aux assemblées. Je fis part de cette circonstance à M... et lui demandai si je pouvais répondre dans un sens approbatif au projet. M’ayant répondu que oui, je fis le projet de la réponse dont je vous joins ici la minute avec la date qui est du 30 avril, dont il signa la mise au net comme vice-président, et moi comme secrétaire. C’est une faute, je puis avoir erré dans l’interprétation de l’opinion des membres de la chambre ; votre absence en est cause, puisque bien certainement je vous eusse communiqué ce projet comme je l’ai fait de toutes les pièces essentielles, et vos observations m’eussent empêché de la commettre.

« Je sens tous les désagréments qui peuvent en résulter. Votre estime et votre amitié me font espérer que vous chercherez tous les moyens de les rendre les moindres possible. »

Voilà donc cette touchante unanimité dont le ministère prétend s’appuyer ! Unanimité d’un seul individu qui n’avait sans doute lu, ni première lettre, ni lettre de rappel, ni projet ! Vous n’ignorez pas, messieurs, que le secrétaire de la chambre de commerce n’a point voix délibérative.

Tels sont les faits ; c’est sur les lettres originales que j’ai pris copie de ce que je viens de vous lire. Au besoin je pourrais vous produire ces deux lettres ; mais vous ajouterez foi à ma déclaration.

Je finis. Quant à moi, ce grand tronc, auquel le Hainaut pourra avoir des chances de se rattacher à ses dépens, ne me satisfait aucunement, et pour ma part je voterai contre le projet de loi tel qu’il nous est présenté.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, c’est pour la deuxième ou pour la troisième fois que les orateurs qui combattent le gouvernement reviennent avec complaisance sur la protestation de la chambre de commerce de Charleroy. J’ai lu le premier avis donné par cette chambre ; on a dit qu’il avait été l’objet de réclamation : nous n’avons pas contesté l’existence de ces réclamations ; avant-hier le ministre de la justice n’a pas nié la protestation. Le premier avis porte qu’il a été donné à l’unanimité....

M. Frison. - Il n’y avait qu’un seul membre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Nous n’étions pas dans le secret ; nous avons cru que tous les membres de la chambre de commerce étaient présents. Cinq membres ont ensuite donné un avis contraire.

M. de Robaulx. - La protestation vous est-elle venue ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Oui, elle nous est parvenue.

M. de Robaulx. - Eh bien, vous ne deviez pas ignorer que le premier avis ne signifiait rien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’avais perdu de vue cette réclamation au milieu d’un si grand nombre de documents venus de toutes part.

On parle de protestations ; eh bien, messieurs, moi aussi je vals protester contre le système de défense que l’on emploie : on vient déclarer au nom de la province de Hainaut qu’elle ne souffrira pas qu’on la ruine ; qu’elle ne s’associera pas à un impôt dans le but de faire une route en fer d’Anvers vers la Prusse. Je ne crois pas que cette déclaration soit parlementaire ; je ne crois même pas que M. le président puisse autoriser l’émission de pareilles opinions....

M. le président. - Puisque vous interpellez le président, je dirai qu’il n’a rien à autoriser, et que chacun a le droit d’émettre son opinion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je trouve tout cela peu parlementaire. Quoi qu’il en soit, je suis persuadé qu’il n’y a rien de sérieux ni de dangereux dans ces protestations, dans ces espèces de menaces : je sais bon gré au préopinant de sa franchise ; il ne veut pas de la route en fer.

M. Frison. - Je veux le système par concession.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il veut bien de la route par concession ; ainsi il consent à ce que le Hainaut soit ruiné par concession ! Vous voulez donc la route, mais à certaines conditions ; vous croyez que la concession donnerait plus d’avantages au Hainaut que l’entreprise par le gouvernement ; nous pensons le contraire...

M. Jullien. - C’est votre opinion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mais vous ne m’empêcherez pas d’émettre mon opinion.

M. Jullien. - L’honorable M. Frison avait aussi le droit d’émettre la sienne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Le gouvernement, en proposant la loi, a positivement demandé que le tarif des péages fut soumis annuellement à la législature, afin que la législation qui représente l’intérêt général, puisse établir les tarifs pour tout le pays sur un pied équitable. Voilà de quelle manière le gouvernement a envisagé la question. Les chambres régleront les tarifs de péage, comme elles règlent les droits de barrières sur les routes ordinaires. C’est alors qu’il appartiendra aux habitants du Hainaut d’élever des réclamations....

M. Gendebien. - Il sera bien temps !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce sera le vrai moment alors pour le Hainaut de faire entendre ses plaintes, de demander que ses charbons ne soient pas éloignés des marchés de Bruxelles et d’Anvers.

Nous entendons établir un équilibre entre toutes les communications du pays : nous avons deux moyens pour y parvenir, et ces deux moyens échapperaient au gouvernement dans le cas de concession : on peut, pour satisfaire le Hainaut, augmenter le tarif sur le chemin en fer, ou bien diminuer, comme on l’a déjà fait, le tarif sur le canal de Charleroy et sur le canal d’Antoing, de manière que les charbons du Hainaut puissent soutenir la concurrence avec les charbons de Liége. Je dis que par le système de concession un tel moyen serait impossible ; vous ne pourriez le demander ni à la chambre ni au gouvernement ; le gouvernement ne serait pas responsable des préjudices qu’éprouverait le Hainaut, par suite des tarifs établis par concession, par suite des diminutions que les concessionnaires pourraient effectuer sur certaines parties de leur route pour nuire au Hainaut.

Je prie les députés du Hainaut de méditer ces observations.

Je me proposais de les développer ; mais voilà le neuvième jour que la discussion générale dure, et je n’ai pas voulu la prolonger. Cependant je n’ai pu laisser passer, sans les repousser, des craintes et des menaces toutes aussi déplacées les unes que les autres.

M. le président. - La parole est à M. Gendebien pour un fait personnel.

M. Gendebien. - J'y renonce.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour répondre quelques mots à M. le ministre de l’intérieur, qui prétend que la construction de la route en fer sera avantageuse à l’agriculture.

Comme j’ai aussi à répondre à l’honorable M. Legrelle, qui a aussi avancé que notre agriculture serait favorisée par cette construction ; pour éviter de prolonger la discussion, je répondrai en même temps aux deux orateurs.

Je n’avais aucune intention, messieurs, de prendre la parole ni pour ni contre la construction du chemin de fer. Je m’étais décidé à écouter les arguments que l’on ferait valoir, favorables et défavorables à ce grand projet, et ensuite voter de conviction, comme je fais toujours ; mais ayant entendu de la part de divers orateurs prétendre que le chemin de fer serait avantageux à l’agriculture, et contribuerait à sa prospérité, j’ai cru de mon devoir de combattre cette chimère avec plus de raison que par la suite, si, comme je le crois, en construisant cette route, on venait faire une école, on ne vienne pas nous dire que l’agriculture, en faveur de laquelle, pour une partie, cette dépense a été faite, supporte une partie de la dépense.

D’après ma manière de voir, la route en fer ne sera d’aucun avantage à l’agriculture ; au contraire je crois qu’elle lui sera nuisible et onéreuse. Voici comment : cette construction étant destinée aux voitures à vapeur, il en résultera que les chevaux aujourd’hui employés aux diligences, au roulage, aux postes, etc., seront réformés et remplacés par de la vapeur et l’agriculture, qui procure ces chevaux, n’en fournira plus : en outre, les produits agricoles ne seront plus consommés par les chevaux employés au roulage, aux diligences etc., etc. ; et on ne doit pas se le dissimuler, l’éducation des chevaux en Belgique est d’un intérêt majeur pour l’agriculture particulièrement quand l’étranger vient approvisionner nos marchés de céréales, tandis que les nôtres ne trouvent pas de placement à des prix convenables pour couvrir les frais de culture et les contributions.

Je sais que ces considérations ne seront pas appréciées généralement.

On considère l’agriculture comme une source intarissable, comme une bête de somme qu’on ne peut trop charger.

Prenez-y garde, messieurs, ne tuez pas la poule aux œufs d’or.

J’ai entendu des orateurs avancer que le chemin de fer exercerait une influence salutaire sur l’écoulement des produits agricoles ; quant à moi, je ne crois nullement que nos céréales auront souvent l’honneur d’être transportées par la vapeur ; ce sera bon pour les céréales étrangères dont on nous encombre. Les cultivateurs conduisent eux-mêmes leurs produits sur les marchés, et quand l’étranger en tire de notre pays, les rivières et les canaux les transportent à la mer ou en France, quand les tarifs de ce royaume en permettent l’entrée. Nos cultivateurs, en retour, ramènent des engrais ou des marchandises, et à différentes époques de l’année les chevaux de l’agriculture y sont employés.

Que l’on construise des routes en empierrement dans les localités, il en manque, voilà le seul moyen de faire quelque chose à l’avantage, je ne dirai pas seulement de l’agriculture, mais bien de l’intérêt général puisque ces constructions augmentent la valeur du sol, tandis que la route en fer ne lui fera qu’enlever des terres sans améliorer celles qui s’en trouveront rapprochées, et ne profitera qu’à quelques industriels, armateurs, et à quelque commissionnaire, comme l’a fort bien dit M. de Foere ; et les agriculteurs n’auront d’autre avantage de cette construction que le plaisir de voir passer comme un trait d’arbalète le café et autres marchandises à expédier d’Anvers pour Cologne, notre port de mer, comme on nous l’a dit. Ce plaisir coûtera cher si les prévisions se réalisent.

Si j’ai bien compris les motifs donnés par les orateurs qui veulent que la route en fer soit construite aux frais de l’Etat c’est pour que l’Etat puisse baisser les péages de telle manière que la concurrence puisse être soutenue avec la Hollande.

M. Legrelle, dans son discours du 15, veut que le péage ne dépasse pas les frais d’entretien de la route.

« Pour parvenir à ce but, dit M. Legrelle, il faut :

« 1° Une navigation entièrement libre vers nos ports pour les vaisseaux de toutes les nations.

« 2° Des entrepôts spacieux, où toutes les espèces de marchandises pourront entrer, séjourner et sortir sans aucune surveillance à l’intérieur, et sans devoir payer aucun droit au gouvernement pour séjour ou passage sur le territoire.

« 3° Un chemin en fer, qui communique de l’océan au Rhin et sur lequel les droits de barrières ne dépasseront pas les frais d’entretien.

« Et 4° le transit libre et exempt de tous droits par le chemin de fer entre le Rhin et la mer. »

Et que l’intérêt du capital levé pour la construction soit à charge de l’Etat, c’est-à-dire à charge de l’agriculture et de la propriété boisée pour une forte partie. Vous savez tous, messieurs, que quand les gouvernements ont besoin d’argent (et je n’en excepte pas le nôtre), M. le ministre des finances, d’un trait de plume, propose à la législature une petite augmentation de 40 p. c. sur l’impôt foncier, et la législature, tout en grondant, accepte le petit additionnel. Voilà, messieurs, pour l’agriculture un des avantages que lui destine l’honorable M. Legrelle quand il demande le chemin en fer de l’océan au Rhin. Au moins M. Legrelle a fait preuve de franchise. Il croit que, pour soutenir la concurrence avec la Hollande, nous ne devrons établir de péage sur notre route en fer que pour son entretien.

Le péage pour l’entretien disparaîtra encore, j’en suis persuadé. Dans mon opinion, le commerce ne pourra soutenir la concurrence avec la Hollande, il demandera d’être affranchi du droit de barrière pour l’entretien de la route ; le commerce de transit, si avantageux pour la Belgique, puisqu’en 12 heures notre territoire sera franchi à l’aide de la vapeur, inspirera de l’intérêt, et on consentira à ajouter au budget des dépenses de l’Etat : 1° l’intérêt du capital, 2° l’entretien de la route, et si je ne me trompe, on reviendra de nouveau à la charge, en vous demandant des primes d’encouragement afin de pouvoir soutenir la concurrence avec la Hollande. Je désire me tromper et être un mauvais prophète, mais telles sont mes prévisions.

Prenons-y garde, messieurs, pour enrichir quelque commerçant, ne ruinons pas l’Etat ; évitons de suivre l’exemple de l’Angleterre sous le rapport de sa dette. Nous n’aurions pas les moyens de soutenir notre crédit comme le fait cette puissance : nous finirions par anéantir la principale source de notre existence et de nos moyens ; en un mot, notre agriculture qui, par trop chargée d’impôt, finira par être abandonnée comme elle le fut dans certaines localités d’un pays voisin (en Hollande), par suite de surcharge ; alors, je doute que le commerce et l’industrie manufacturière viennent à payer des contributions suffisantes aux besoins de l’Etat ; ces industries iront chercher fortune ailleurs.

Avant de décider la grande question du chemin de fer, j’aurais désiré que le gouvernement eût adopté un plan général de construction de toute espèce de communication, et de manière à ce que toutes les industries fussent traitées sur la même ligne, par rapport aux communications à leur donner.

Par exemple, je voudrais qu’une route que l’on construirait en faveur de l’agriculture, produisît : 1° l’entretien, 2° l’intérêt du capital levé, 3° un fonds d’amortissement, et que dans le cas où le péage des barrières ne suffirait pas, la propriété appelée à jouir de cette construction suppléât par des cents additionnels, en proportion de sa position sous le rapport des avantages qu’elle retire de la route, et que les routes en fer ou autres communications construites en faveur du commerce ou de manufacturière, fussent assujetties à la même règle ; en un mot, que le commerce suppléât à l’insuffisance. C’est le seul moyen de n’accorder de faveur ni de privilège à personne.

La construction de la route en fer, comme le demande M. Legrelle, est une faveur accordée au commerce maritime plus particulièrement, en quelque sorte le rétablissement du million Merlin sur une plus grande échelle, mais indirectement, et je prévois que la charge qui incombera à l’Etat sera de trois à quatre millions. Au surplus je considère mon vote devoir dépendre de l’admission ou du rejet de ma proposition sur les céréales, et je n’hésite pas à le dire, dans le cas où cette proposition fût rejetée, je me croirais obligé de voter contre la construction de la route en fer, quand même elle aurait lieu par concession, pour le motif que, par le moyen de cette communication, ce serait favoriser l’introduction des céréales étrangères, au détriment des vôtres, aux époques où nous en serions encombrés comme dans le moment actuel ; et que dans le moment où nous aurions intérêt à conserver nos provisions pour la nourriture de nos habitants, nous les verrions disparaître très promptement de notre pays, comme les hirondelles en septembre, à la suite d’une gelée. (Hilarité générale.)

Alors nos céréales pourraient être transportées par la vapeur et renchériraient de telle manière que la classe ouvrière pourrait en être victime ; et j’en conviens, dans ce cas l’agriculture y aurait un avantage. Mais les agriculteurs en général ne sont pas égoïstes ; ils ne demandent pas de l’exagération dans le prix de leurs produits qui servent à la nourriture des hommes, ils demandent seulement qu’ils puissent les vendre à des taux qui les mettent à même de faire face aux frais de culture, aux contributions de l’Etat, et obtenir le salaire que tout homme a droit de prétendre de son travail.

J’ai entendu prétendre que la route en fer d’Ostende à Cologne c’était joindre la mer au Rhin ; mais, messieurs, en construisant la route en fer de Louvain à Cologne, il me paraît qu’on obtiendrait le même résultat. Louvain, selon moi, est contigu à l’Océan, puisque des bateaux venant de l’étranger abordent Louvain ; et, messieurs, en adoptant ce point de départ, la dépense serait réduite de plus de moitié. Ostende et Anvers ont des communications par eau jusqu’à Louvain. Je serais disposé à donner mon assentiment à ce projet, pour faire preuve que je sais faire des concessions au haut commerce et à la navigation, bien entendu cependant que les défenseurs du haut commerce prendraient l’engagement d’adopter un système de l’espèce de celui de ma proposition sur l’entrée des céréales étrangères, à l’exemple de la France et de l’Angleterre.

Messieurs, je croyais pouvoir borner là mes observations et ne pas devoir répondre à des assertions du ministre de l’intérieur, assertions que l’on a pu considérer comme des plaisanteries, quand il a parlé des avantages, pour l’agriculture, du transport des œufs, du lait, des poulets par le chemin de fer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce que j’ai dit est très sérieux.

M. Eloy de Burdinne. - Mais ce ne serait pas l’agriculture qui profiterait de ce transport, dans le cas où il pourrait avoir lieu utilement ; ce seraient quelques fermiers dont les habitants seraient près du chemin. Mais M. le ministre ne me paraît pas avoir de grandes habitudes rurales en parlant de semblables transports ; le lait, en arrivant, serait du lait battu. (On rit.)

M. de Robaulx. - Les œufs arriveraient en omelette. (On rit encore.)

M. Eloy de Burdinne. - Je ne veux pas insister sur ce point.

On a dit qu’un conseil municipal demanderait la route en fer ; je le crois, les communes préfèreront le chemin en fer à rien du tout ; mais ce qui serait le plus avantageux à toutes les communes et à l’agriculture, ce seraient des chemins pavés, et si Waremme a réclamé le chemin de fer, c’est pour le motif que, dénuée de moyens de transport, elle a préféré cette route à ne rien avoir ; et, certes, la Hesbaye entière préférerait des routes empierrées pour le transport de ses produits. D’ailleurs, nous croyons en Hesbaye que les chemins de fer sont praticables avec des chevaux et non avec la vapeur.

A propos du transport des produits de l’agriculture par le chemin en fer, j’en raisonnais l’autre jour avec un économiste, partisan de ces sortes de routes. ; et sur mes observations, il me répliqua que pour la facilité des transports, et pour éviter le déchargement des chariots agricoles qui transporteraient des produits à Bruxelles ou à Louvain, arrivés à la route en fer, on chargeait le chariot sur les wagons ; et sur l’observation que je lui fis, que les routes en fer ne traversaient pas les villes, et que nos cultivateurs ne pourraient trouver des chevaux pour conduire le chariot en ville, il me répartit : Eh bien, on met les chevaux qui ont amené le chariot sur le wagon également, et ils servent à conduire le chariot du cultivateur partout où l’on veut sur les routes empierrées, arrivé près de leur destination (Hilarité générale). Je n’abuserai pas davantage de vos loisirs, j’attendrai la discussion des articles pour me décider.

M. Lardinois. - Messieurs, des débats qui ont duré pendant dix jours consécutifs sembleraient devoir suffire pour épuiser une discussion, quelles que soient les questions graves qu’elle comporte. Mais, dans cette circonstance, des intérêts et des vues contraires étant en présence, chacun a fait valoir des systèmes et des doctrines opposés pour appuyer et justifier son opinion. Si on voulait parcourir ce vaste champ dans toute son étendue, on pourrait éterniser la discussion. Mon intention, messieurs, n’est pas de la prolonger inutilement parce que je crois qu’il a été suffisamment répondu aux adversaires du projet de loi qui n’ont pas fait faute de présenter des théories pour des arguments irréfragables, des allégations pour faits avérés.

Si je prends donc une deuxième fois la parole dans la discussion générale, c’est seulement pour rencontrer quelques arguments principaux, et je tâcherai de ne pas tomber dans des redites. D’ailleurs, c’est toujours avec une certaine répugnance que j’occupe les moments de la chambre, parce que je connais la faiblesse de mes moyens oratoires.

Je regrette vivement que mes honorables collègues de Liége ne partagent pas encore entièrement une conviction sur l’utilité, les avantages et le mode d’exécution du chemin en fer ; car je suis persuadé qu’ils feraient entendre alors leur parole puissante en faveur de la raison et de l’intérêt général. Ils pourraient aussi toucher l’intérêt du commerce et de l’industrie de leur province, que l’on signale ici comme envahissante et méditant des avantages particuliers au détriment d’une autre province, tandis qu’elle s’élève contre le monopole et le privilège, et qu’elle ne réclame que la possibilité d’offrir ses produits en concurrence sur les marchés nationaux dont elle a été déshéritée jusqu’à présent.

Une chose m’a frappé dans le mémoire, qui soit dit en passant a été paraphrasé et a servi de texte à plus d’un discours, de M. l’inspecteur Vifquain : C’est qu’il met une persistance calculée à ne voir le succès de la route que dans le produit du transit. Cependant cette ressource quoique certaine n’est point portée en ligne de compte dans le résultat probable des produits du chemin en fer ; car MM. les ingénieurs Simons et de Ridder le font reposer uniquement sur le mouvement du commerce intérieur, c’est donc gratuitement qu’on a argumenté du transit pour combattre et même pour défendre le projet en question ; mais puisque cette objection a été soulevée et développée, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre et souvent par le même orateur, permettez que je m’y arrête un instant.

D’abord je vous dirai que je n’ai pas été peu surpris d’entendre l’honorable M. de Puydt avancer que la Hollande aurait toujours la prépondérance sur nous en Allemagne, en supposant qu’elle construisît un chemin en fer, attendu qu’elle possède le commerce de transit que nous n’avons pas ; et, ajoute-t-il, puisque nous en sommes réduits à porter en ligne de compte les faveurs d’un gouvernement qui ne sympathise pas avec le nôtre, tandis que les gouvernements hollandais et prussien sont étroitement liés par des intérêts de famille.

Une première inexactitude à relever est l’absence totale du commerce de transit avec l’Allemagne. Il est à la vérité considérablement diminué par suite des événements politiques, mais existe toujours malgré la pénurie des affaires.

Je n’apprendrai pas à l’honorable membre, parce qu’il le sait avec tout le monde, que les intérêts de famille sont peu consultées dans les combinaisons politiques ; s’il m’en fallait mille preuves, je pourrais les apporter ; mais je me contenterai de rappeler que l’empereur d’Autriche a puissamment concouru à détrôner sa fille et à envoyer son gendre périr à Sainte-Hélène. Le vrai intérêt des Etats réside dans celui des peuples qu’ils gouvernent, et, toutes les fois qu’on s’en écarte, on compromet la société et l’on provoque des révolutions. Voyons maintenant d’après l’histoire quelles sont les raisons de sympathie du peuple allemand qui militent en faveur de la Hollande pour ses relations commerciales.

A la diète de Spire tenue en 1570, les députés de l’Allemagne firent entendre leurs plaintes contre les extorsions inouïes des Hollandais. Ce sont leurs expressions.

En 1575, dans une réunion tenue à Ulm, il fut représenté à l’empereur et aux électeurs de l’empire germanique que les actes de violence des Hollandais interrompaient tout commerce avec les Pays-Bas, et que leur audace était poussée jusqu’à remonter le Rhin avec des bâtiments de guerre, pour venir dicter des lois à main armée aux villes de Cologne et d’Andernach.

Ces actes oppressifs contre le commerce de l’Allemagne avaient soulevé la plus vive indignation chez les princes, les Etats souverains et les villes de l’empire germanique. il fut résolu de faire des remontrances sérieuses auprès des états-généraux des Provinces-Unies. Mais ce fut inutilement qu’elles eurent lieu ; l’astuce et la corruption rendirent vaine la promesse que contractaient les empereurs à leur couronnement, d’aviser aux moyens de protéger le commerce contre les usurpations des Hollandais.

Cet état de choses a duré pendant deux siècles au détriment du commerce allemand. Ce ne fut qu’en 1804 qu’une convention fut conclue entre la France et l’Allemagne pour l’octroi de la navigation du Rhin, qui fut déclaré fleuve commun à tous les Etats riverains.

Cette convention fut remplacée par celle de Mayence du 31 mars 1831, basée sur les stipulations des actes du congrès de Vienne. Mais, avant d’en venir à un arrangement définitif en apparence, quelle guerre diplomatique les Etats allemands n’ont-ils pas dû soutenir contre le cabinet de La Haye ? Et encore à quelles conditions n’ont-ils pas dû se soumettre pour arriver à une conclusion ? Formalités sur formalités, droits de navigation, de reconnaissance, d’octroi, péages différents, enfin une infinité d’entraves mises à la libre navigation du Rhin jusqu’à la mer. Par cette convention, le transit y est reconnu libre jusque dans la mer ; mais il ne résulte pas moins de ses dispositions que le commerce de la navigation du Rhin reste tributaire de la Hollande d’une somme annuelle de trois millions de francs qu’elle perçoit pour droits divers.

Les discussions qui eurent lieu pendant quinze ans, avant de pouvoir conclure la convention et le règlement de Mayence, furent vives et orageuses. Malgré les notes diplomatiques les plus sévères des quatre puissances alliées, le roi Guillaume ne voulut pas reconnaître les traités de Paris et de Vienne, en ce qui concernait la libre navigation du Rhin, argumentant de ses droits de souveraineté qui étaient, disait-il, antérieurs aux susdits traités. Cette réponse du gouvernement des Pays-Bas, qui fut signifiée le 13 juin 1826, causa une grande sensation en Europe ; elle mit le comble à l’irritation des esprits en Allemagne, et surtout parmi les états riverains du grand fleuve. De nouvelles protestations eurent lieu de leur part, mais elles restèrent encore sans résultat. Voici comment s’exprimait le rapporteur du treizième comité de la diète des états provinciaux du Rhin :

« Les Pays-Bas se montrent très disposés à concourir à la réforme de la navigation du Rhin, pourvu que les avantages qu’elle produira tournent à leur profit exclusif ; ils se réjouiront d’un sacrifice d’un million et demi que ferait réellement la Prusse par la nouvelle assiette du tarif et la levée de sa relâche forcée à Cologne ; ils se désisteront aussi volontiers de cette inaction désagréable, à laquelle l’empire germanique et le dominateur de la France les condamnèrent en 1804, parce que celui-ci voulut leur enlever le commerce du Rhin pour en favoriser son empire, par la réunion immédiate de ce fleuve à la mer, au moyen du canal du Nord et de sa communication avec l’Escaut.

« Enfin, les Pays-Bas applaudissent à la libre navigation du Rhin ; ils veulent se rallier aux Allemands pour l’exécution de cette réforme ; ils pousseront la condescendance jusqu’à donner au Rhin conventionnel une extension jusqu’à la mer, au lieu d’Emmerich qui en est aujourd’hui le point d’extrémité ; mais l’immense gain qui en résultera doit leur en revenir entièrement ; ils ne veulent rien donner, pas même ce à quoi ils sont obligés.

« L’autocratie qu’ils ont établie aux embouchures du Rhin et le tribut qu’ils nous ont imposé, ils prétendent les posséder à titre légitime, les maintenir et les administrer à leur profit.»

Ce rapport résume en peu de mots les prétentions des Hollandais et les griefs du commerce allemand. Vous pourriez au besoin y puiser la mesure de la sympathie que le peuple allemand doit avoir pour les Hollandais dont le monopole mercantile et les vexations de toute espèce froissèrent si longtemps et si cruellement les intérêts de ce peuple.

Lorsque notre révolution éclata, elle fut applaudie dès le principe par le commerce allemand ; à la vérité, bien moins par amour pour la liberté que par la haine qu’on portait au roi Guillaume, à cause de son système de fiscalité. Les Etats souverains de l’Allemagne ne manquèrent pas de profiter de ce grand événement pour amener le cabinet de La Haye à un traité pour la libre navigation du Rhin, ce qui effectivement se réalisa peu après à Mayence, le 31 mars 1831

D’après le simple exposé de ces quelques faits historiques, croyez-vous, messieurs, que le commerce allemand ne saisisse pas avec empressement la première occasion qui se présentera de s’affranchir du tribut et des entraves qu’il éprouve dans la navigation de la partie du Rhin qui traverse le territoire hollandais ? Croyez-vous qu’un peuple qui pendant deux siècles et demi a supporté toutes les avanies du monopole et de la fiscalité hollandaise, ne conserve pas une juste indignation contre ses oppresseurs, et que le souvenir de cette tyrannie ne se transmette pas de génération en génération ? Indépendamment des avantages positifs que le chemin en fer présentera pour le transport des marchandises de Cologne à Anvers, je pense que ce seul sentiment suffirait pour éloigner le commerce allemand des rives de la Hollande.

Cette idée se fortifie de l’opinion d’une brochure allemande, publiée en août 1833, et qui nous a été distribuée. Je vous demande la permission d’en citer deux petits passages.

Il y est dit, page 21 : « Ce projet (en parlant du chemin de fer) a ceci de commun avec plusieurs autres, qu’il réunit deux points importants. L’Escaut et le Rhin, Anvers et Cologne, voilà des noms qui n’ont jamais perdu de leur valeur malgré les changements survenus dans leur importance. Mais ce que la route projetée n’a pas de commun avec les autres, et ce qui la distingue de plusieurs d’entre elles, c’est le passage de la route dans une contrée manquant à la vérité d’un grand fleuve, mais riche en population, en mines et en industrie. »

Plus loin, page 22 : « Considéré sous un point de vue peu élevé, le chemin de fer entre le Rhin et l’Escaut est d’une importance politique telle qu’on peut ici difficilement l’apprécier. Qu’on nous permet de faire une seule question : Renfermée entre le système mercantile de la France, la Hollande si profondément blessée, et entre la politique libérale de la Prusse, si favorable au commerce, où la Belgique trouvera-t-elle son allié naturel ?

« La Prusse, cet état commerçant qui embrasse le cœur du royaume d’Allemagne, doit, en vertu de la force et de la vérité de ses principes, agir constamment au-dehors. L’océan oriental baigne seulement une des limites de la confédération ; toutes les autres voient des médiateurs entre elles et la mer. Quand Hambourg et Brême, quand le Hanovre, la Hollande et la Belgique interviendront-elles ? qui prendra l’avance ?

« La route sur Anvers, dont le libre passage sera réciproquement assuré, tant par la Prusse que par la Belgique, favorisera sans doute l’extension du commerce de l’Allemagne vers la mer du Nord. »

Ces citations démontrent à l’évidence l’utilité du chemin en fer d’Anvers à Cologne. Vous pouvez aussi y remarquer la tendance naturelle des Allemands à lier des rapports politiques et commerciaux avec la Belgique. En présence de ces puissants intérêts, que peuvent opposer les alliances de famille dans les résolutions des gouvernements ?

Au commencement de la discussion on a demandé au ministre s’il avait la certitude qu’un chemin en fer s’établirait de Cologne à Eupen ; et en second lieu, si le gouvernement avait l’assurance officielle que le transit serait libre par la Prusse.

Ces questions étaient au moins superflues : la première se résout d’elle-même par l’évidence des faits connus ; et quant à la seconde on ne pouvait y répondre que par induction. Les avantages du transit pour un pays sont tellement positifs que la Prusse se gardera bien de frapper les marchandises étrangère d’un droit quelconque qui porterait atteinte à ce commerce ; elle sait, d’ailleurs, à quoi s’en tenir. En 1832, le transit par la France ayant été ouvert, les expéditions pour la Suisse et l’Italie se dirigèrent par ce pays, et le gouvernement prussien et ses négociants furent privés d’un revenu considérable ; aussi tout le commerce réclama, et quelque temps après le transit par la Prusse fut beaucoup réduit afin d’attirer de nouveau les expéditions.

Une remarque encore à faire, c’est que, depuis l’existence de la confédération commerciale, la Prusse a d’autres intérêts que les siens à constater ; les dispositions concernant le tarif des douanes et du transit ne peuvent être prises que dans l’intérêt commun du commerce général et non dans l’intérêt unique du commerce d’un des Etats qui composent l’union commerciale.

J’ai dit que les marchandises étrangères avaient été admises au transit par la France en 1832. Pour vous donner une idée de l’importance de ce commerce, je vous ferai remarquer qu’on trouve dans les documents officiels que, pendant l’exercice de cette année, il est entré dans les entrepôts de France, par importation directe, par transit et par mutation, des marchandises d’un poids total de 596,493,416 kilogrammes représentant une valeur de 418,796,805 francs.

Le commerce de transit direct des marchandises étrangères par la France a présenté en 1832 un mouvement de 14,142,585 kil. d’une valeur de 90,544,672 francs, et à ces chiffres, il faut ajouter les marchandises retirées des entrepôts pour la réexportation directe et par transit, 83,830,319 kil., évaluées à 101,693,777 fr.

En définitive, le commerce de transit par la France a présenté pendant l’année 1832, en poids 97,972,901 kil., et en en valeur uns somme de 192.238,449 francs.

Vous comprendrez facilement, messieurs, les avantages que procure un pareil commerce : les marchandises transitant par la France y laissent un grand bénéfice dont elle était privée avant qu’elle comprît ses intérêts sous ce rapport. Cependant, malgré toute l’importance du transit, je ne dirai pas avec l’honorable M. Verdussen que c’est tout le commerce ; mais au contraire, je ferai observer que le transit n’entre que pour une partie dans le commerce général d’un pays.

Suivant l’honorable M. de Puydt, le transit par la Prusse n’est possible que lorsqu’il sera assuré par un traité, et par un traité préalable. La Prusse, s’écrie-t-il, est l’arbitre de notre sort futur !

Je répéterai que ce transit existe, et qu’il décuplera lorsque le chemin en fer sera construit jusqu’à la frontière prussienne. On vous l’a déjà démontré plusieurs fois par des chiffres ; le transport d’Anvers à Cologne sera inférieur au fret de Rotterdam à cette dernière ville, y compris les frais de toute nature. Et lorsque la section de la route de Cologne à Eupen sera achevée nous aurons un avantage immense sur les frais de transport. Mais, vous dit-on, alors la Hollande construira aussi son chemin en fer, et la prépondérance lui restera. Je n’examinerai pas si une pareille construction est possible en Hollande, à cause de son sol mouvant et des inondations périodiques dont elle souffre ; nous en avons pour garant le dire du colonel Bake, qui, comme chacun sait, est le compère du roi Guillaume.

A entendre certains orateurs, on croirait, en vérité, que dans les négociations diplomatiques, la Belgique doit toujours se présenter tête baissée, parce qu’on demande toujours sans rien offrir en compensation. Eh bien sous le rapport commercial, je soutiens que nous avons moins besoin des autres peuples que ceux-ci de nous, et que nous pouvons comparativement nous suffire plus longtemps qu’eux à nous-mêmes.

Dans le traité à intervenir pour le transit avec la Prusse, ou avec la confédération commerciale, admettra-t-on raisonnablement que 20 millions d’individus produisent moins et ont moins besoin d’exportations qu’une population de 4 millions ! Quelque habitués que nous soyons aux allégations hasardées, je pense qu’on rougirait de soutenir une semblable proposition. Le commerce allemand se trouve dans cette situation, messieurs ; 20 millions d’individus demandent à exporter, soit par la Belgique, soit par la Hollande, la majeure partie de l’excédant de ses produits. Il choisisse la voie la plus avantageuse, et ce sera la Belgique qui obtiendra la préférence, lorsque le chemin en fer sera exécuté, parce qu’indépendamment de beaucoup d’avantages qu’elle offrira, sa position géographique la favorise. Je vous citerai, pour exemple, les laines qui transitent en grande partie par la Belgique. Si, comme il y a toute apparence, le tarif français est modifié, le commerce de cette matière première sera immense pour l’Allemagne. Car alors elle pourra compter sur une exportation annuelle en France et en Angleterre de 10 à 12 millions de livres de laine, qui devront passer par le territoire belge, hormis les expéditions qui se feront par les ports du Nord.

En résumé, messieurs, lorsque le temps sera venu des négociations avec la Prusse ou avec la confédération commerciale pour convenir d’un tarif de douanes et de transit, soyez persuadés qu’on ne nous dictera pas les conditions et que le gouvernement prussien est trop sage et conçoit trop bien ses intérêts pour avoir des prétentions qui seraient nuisibles à notre commerce. D’ailleurs sa politique commerciale est large et libérale ; elle tend à unir les peuples par les intérêts matériels, qui ont aujourd’hui plus de force que celle des baïonnettes.

J’ai entendu proclamer plusieurs fois ici que le transit devait être entièrement libre. Je ne suis pas de cet avis, messieurs ; le coût du chemin en fer doit être, avec le temps, remboursé, et je pense que c’est principalement le commerce, tant intérieur qu’extérieur, qui doit en supporter les frais. Plus tard on examinera ce qu’il conviendra de faire pour concilier tous les intérêts ; en attendant je proteste contre le principe absolu de ne grever d’aucun droit le commerce de transit.

Une question pleine d’intérêt qui a excité et excite encore votre sollicitude, est celle de la province du Hainaut que l’on représente comme ruinée, immolée par l’établissement du chemin en fer projeté. Les députes du Hainaut qui sont pénétrés de cette idée ne me surprennent pas lorsqu’ils combattent pour empêcher la consommation de cette ruine ; mais ceux qui ne sont pas dans cette pénible position veulent voir jusqu’à quel point ce sacrifice est vraisemblable et si toutes les craintes qu’on a mises en avant ne sont pas la plupart exagérées.

Je ne m’arrêterai pas, messieurs, à ces interpellations qui ont été faites à diverses reprises pour demander de quel droit le gouvernement venait présenter une mesure qui devait porter un coup mortel au commerce du Hainaut. Il serait facile, messieurs, de répondre victorieusement, en principe, à cette question ; mais je dirai avec l’honorable M. de Puydt que je suis fatigué de théories, et je me contenterai de renvoyer au pacte social qui détermine les droits et les devoirs des citoyens. Consultons les chiffres.

D’après le mémoire de MM. les commissaires du Roi, l’extraction annuelle des houilles eu Belgique peut être évaluée à 2,570,000 tonneaux qui se répartissent de la manière suivante (Voyez la page 79) :

Mons : Pour la consommation intérieure : 500,000 ; à l’exportation pour la France : 450,000 ; à l’exportation pour la Hollande : 150,000 ; Total : 1,100,000.

Charleroy : Pour la consommation intérieure : 400,000 ; à l’exportation pour la France : 100,000 ; à l’exportation pour la Hollande : 30,000 ; Total : 530,000

Marimont : Pour la consommation intérieure : 330,000 ; à l’exportation pour la France : 10,000 ; à l’exportation pour la Hollande : 30,000 ; Total : 370,000

Liége : Pour la consommation intérieure : 290,000 ; à l’exportation pour la France : 0 ; à l’exportation pour la Hollande : 80,000 ; Total : 370,000

Total : Pour la consommation intérieure : 1,520,000 ; à l’exportation pour la France : 560,000 ; à l’exportation pour la Hollande : 290,000 ; Total : 2,570,000

Vous voyez, messieurs, d’après ce tableau que sur une extraction de 2,370,000 tonneaux, la province de Liège ne figure que pour 370,000 et celle du Hainaut pour 2,000,000 de tonneaux ; que sur une exportation de 850,000, Liège ne fournissent que 80,000 tonneaux, c’est-à-dire la dixième partie.

Ainsi, aux beaux jours de la prospérité du commerce des houilles de Liége, en exportait 80,000 tonneaux. J’admets maintenant, que la nouvelle communication procure de nouveaux débouchés à ces houilles, soit sur les marchés intérieurs ou extérieurs, pour la même quantité et que le Hainaut en fournisse autant de moins. C’est beaucoup, car on ne soutiendra pas que le chemin en fer procurera aux houilles de Liége les moyens d’être rendues en concurrence sur les marchés de France, des provinces de Namur, du Hainaut, de la majeure partie des Flandres.

Je suppose que le prix moyen aux fosses de la grosse houille, gaillettes et menu soit de 12 fr. 50 c. par tonneau, je trouve que :

- 2,000,000 de tonneaux à fr. 12 50 c. donnent fr. 25,000,000

- 800,000 de tonneaux à fr. 12 50 c. donnent fr. 1,000,000

- 1,920,000 de tonneaux à fr. 12 50 c. donnent fr. 24,000,000

Donc sur 25,000,000 de francs de produits, la province de Liége fournira au détriment du Hainaut pour une valeur d’un million, et la perte se réduira aux bénéfices que font les exploitants sur ces 80,000 tonneaux et aux salaires que l’on paie pour l’extraction. Je veux bien encore admettre l’hypothèse qu’avec toutes les ramifications du commerce, la perte réelle soit d’un million, est-ce donc là une somme pour proclamer que le Hainaut sera ruiné ?

Mais les houilles sont-elles donc la seule richesse de la province du Hainaut ? Quoique leur produit soit considérable, je ne crains pas d’avancer qu’il n’entre pas pour plus d’un quart dans la richesse totale de cette province. Les productions agricoles, le commerce des bestiaux, les mines de fer, les carrières, les productions de l’industrie en ouvrages de fonte, clous, verres, faïences, quincailleries, toiles, dentelles, étoffes de laine et de coton, bonneterie, tapis, etc. etc., y apportent certainement un immense contingent. Le produit brut de l’agriculture seule peut être estimé à plus du double de celui des houilles.

En définitive, supposant que la richesse totale de la province du Hainaut représente un produit annuel de cent millions de francs je vous demande, de nouveau, s’il est raisonnable de dire qu’elle sera ruinée en lui enlevant même un franc sur cent.

Et encore, messieurs, ce préjudice n’est qu’imaginaire, car dans le système de nouvelles communications, un embranchement doit se diriger sur la France en passant par les districts houillers du Hainaut, et d’un autre côté, le tarif des péages peut maintenir un juste équilibre entre les prix de transport des houilles du Liège et de Hainaut. Je conclus donc par déclarer que je suis convaincu que les craintes manifestées au sujet de la ruine de la province si intéressante du Hainaut ne sont que vraies chimères. Les intérêts de quelques exploitants pourront être froissés momentanément, mais ce sera toujours à l’avantage des consommateurs.

J’ai quelques observations à faire sur le système de concession ; je les réserverai pour la discussion des articles.

M. le président. - La parole est à M. d’Huart.

M. de Puydt. - M. d’Huart m’a cédé son tour de parler.

M. le président. - Je vous donne la parole si M. Seron, qui est inscrit, y consent.

M. Seron. - Si le discours de l’honorable membre n’est pas long, je le veux bien.

M. de Puydt se rassied.

M. Seron monte à la tribune et lit le discours suivant. - Messieurs, il est des hommes qui, prenant leur vanité pour le sentiment de leurs forces, se croient capables de parler et de juger de tout. Je tâche de ne pas leur ressembler, et de me rendre justice. Je ne suis ni ingénieur des ponts et chaussées, ni ministre, ni fabricant ; je n’ai jamais visité l’Angleterre, ni étudié le système de ses communications, je n’ai pas l’honneur d’appartenir au haut commerce ; je sens donc mon incompétence pour décider si les chemins de fer sont préférables aux canaux de navigation, et aux chemins ordinaires où l’on emploierait les voitures à vapeur comme moyens de transports, et il est une foule d’autres points que je n’entends pas mieux. Cependant, la question qui vous est soumise, envisagée sous certain aspect, pourrait bien n’être pas tout à fait au-dessus de ma portée ; et, peut-être, il m’est permis de croire dignes de quelque attention les considérations que je vais exposer en peu de mots.

Lorsque les députés du Hainaut combattent le projet ministériel, on s’écrie de plusieurs bancs de cette salle : « Vous nous parlez d’intérêts de localité quand nous ne cherchons et ne voulons, nous, que l’intérêt général. » Les défenseurs du projet ont sans cesse à la bouche ce grand mot d’intérêt général. Il faut voir comme ils l’entendent et savoir s’ils ne se trompent pas ou ne nous trompent pas. (Hilarité.) Il faut voir si ce qu’ils nous donnent comme un fait positif est, en réalité, autre chose qu’une pétition de principes.

Un chemin de fer du port d’Anvers au Rhin, serait sans doute profitable aux Anglais nos protecteurs, en ouvrant à leur commerce un nouveau débouché vers l’Allemagne ; je dis un nouveau débouché, parce qu’ils s’entendent très bien avec la Hollande, et que jamais elle ne leur refusera le passage par ses eaux intérieures. Je suis donc tenté de croire avec M. de Foere que nous leur devons la première idée de ce chemin. Notre gouvernement l’aura accueillie par reconnaissance, car, dans son opinion, c’est principalement d’eux que nous tenons notre indépendance et notre nationalité ; nos diplomates l’ont affirmé et ils ne mentent jamais.

Au fait, on sait quelle sollicitude nous a montrée l’Angleterre en 1830 et 1831 pour nous préserver du retour des Nassau ; on a vu, en 1832, ses sacrifices pour obtenir la reddition de la citadelle d’Anvers et son empressement à faire agir sa flotte afin de bloquer l’Escaut, de s’emparer des navires de notre ennemi, de le rendre plus traitable et de le mettre à la raison. Qui sait même si en 1833 son heureuse influence n’a pas puissamment contribué à nous faire obtenir l’honorable convention de Zonhoven (On rit).

J’admets aussi, sans nulle difficulté, que le chemin dont il s’agit favoriserait singulièrement la ville d’Anvers, en y faisant affluer les denrées coloniales et les marchandises de tous les pays, fût-ce même au détriment du nôtre. Car les caboteurs, les commissionnaires, les spéculateurs et les courtiers de cette cité opulente ont cela de commun avec nos amis les Hollandais, de s’accommoder parfaitement de la liberté illimitée du commerce. Ils se soucient peu d’où les marchandises viennent ; l’essentiel pour eux est d’en voiturer, d’en acheter, d’en vendre beaucoup et de se procurer de bons bénéfices. Ils sont généreux comme on l’a dit, et quand nos producteurs grands ou petits souffrent ou se ruinent, ils les plaignent sincèrement. (Hilarité générale.)

Mais un pareil établissement agréable au commerce anglais, de nature, si l’on veut, à décupler les richesses des capitalistes d’Anvers, serait-il, comme on le prétend utile à la Belgique prise en masse ? Je me permettrai d’en douter.

En effet, à quoi tient la prospérité du pays ? elle tient d’une part, au perfectionnement de notre agriculture très peu avancée sur plusieurs points du royaume, notamment dans la totalité du Luxembourg et dans une bonne partie de la province de Namur, faute de bras, d’engrais et de routes ; stationnaire il faut le dire, dans une grande partie du Hainaut par l’entêtements des propriétaires à conserver les grandes exploitations, à ne vouloir pas adopter le système de petite culture.

La prospérité du pays dépend, en second lieu, de l’agrandissement et de l’activité de notre commerce et notre industrie, je parle de l’industrie et du commerce qui occupent les bras et qui font vivre la population. Or, je le demande, que fait à notre agriculture, à notre véritable commerce, une route isolée, placée à l’extrémité du royaume ? Est-ce par cette voie que s’écouleront nos céréales quand nous en aurons surabondamment ? Oui ; si nous voulons les donner à vil prix. Est-ce sur l’Allemagne que s’expédient nos marbres, nos charbons de terre, nos draps, nos cotons fabriqués, nos toiles, nos foulards, nos savons, nos huiles, nos aciers, nos fers, nos bestiaux ? Non. L’Allemagne nous encombrera de ses marchandises si nous le souffrons, mais elle n’a pas besoin des nôtres. Enfin, est-ce le transit qui soutiendra nos fabriques et qui assurera des moyens d’existence à nos ouvriers !

Mais, dit M. le rapporteur de la section centrale, « un Péruvien, un Mexicain, un Brésilien qui aura visité nos ports et y aura vendu sa cargaison, qui aura été reçu dans les salons belges, qui aura admiré nos meubles élégants, nos beaux tapis de Tournay, voudra imiter cette mode magnifique ; un Espagnol, un Portugais qui maintenant hésite d’ordonner la plus petite quantité de nos belles toiles de Courtray, parce que les occasions d’expédition sont si rares, n’ira plus les commander en Angleterre, si deux mois après, il peut les recevoir à aussi bon compte que de Londres ; nos cotons de Gand, nos armes de Liège, nos beaux draps de Verviers, nos minéraux de Namur, nos marbres de Luxembourg pouvant s’expédier fréquemment et par petites comme par grandes quantités iront rivaliser dans les Antilles et ailleurs avec les produits de Manchester, de Londres et autres districts de l’Angleterre ; enfin tous les peuples deviendront les tributaires de notre pays, parce que nous aurons toujours des assortiments divers à leur offrir, chose qui nous manque aujourd’hui et qui empêche l’écoulement de nos propres produits industriels. »

Ainsi, messieurs, avec un chemin de fer d’Anvers à Cologne, nous sommes riches à jamais, nous sommes sauvés. En vérité, on croit rêver ou lire les mille et une nuits (hilarité), quand on entend le rapporteur de section centrale, s’adressant aux mandataires de la nation, débiter gravement en style amphigourique et amphibologique des puérilités dont la meilleure critique qu’on puisse en faire est de vous les lire sans y ajouter, sans en rien retrancher.

Voici une idée moins étrange : « Le commerce vivace, le véritable commerce, le commerce seul capable de donner l’essor à toutes les autres branches de la prospérité publique, c’est celui de l’exportation. » J’en suis fâché pour M. le rapporteur ; mais ici il n’est d’accord ni avec Adam Schimtz, ni avec Jean-Baptiste Say, qu’on nous cite à chaque instant. Ces économistes regardent comme la principale et pour ainsi dire l’unique ressource commerciale d’un pays, son propre marché.

Effectivement, si nous ne recevions pas les marchandises de tout le monde, si nous avions le courage de repousser les produits des fabriques allemandes, prussiennes, anglaises, françaises même jusqu’à la conclusion avec la France d’un traité avantageux aux deux nations ; croyez-moi, bientôt vous verriez fleurir vos manufactures, sans excepter celles de Gand, car la population de la Belgique, eu égard au peu d’étendue du pays, est considérable et incontestablement grande consommatrice de toutes choses. Mais pour arriver à ce résultat, il n’est pas besoin d’un chemin de fer d’Anvers à Cologne, il ne nous faut qu’un bon système de douanes. Non qu’après tout, messieurs, je veuille supprimer le commerce d’exportation, à Dieu ne plaise ! mais le bon sens nous montre que ce n’est ni sur Cologne ni sur Anvers, qu’il peut prendre sa direction.

On a dit, il n’y a pas longtemps, dans cette assemblée : « Un liégeois, un Namurois, ne regarderaient pas la ruine du port d’Anvers comme un accident local indifférent au reste de Belgique ; le commerce et l’industrie, où ils sont placés, enrichissent l’Etat. » Cela est évident, puisque c’est de toutes les richesses particulières que se compose la richesse de la nation. Anvers doit donc être protégé. Mais, par la même raison, il faut aussi protéger Gand, Bruges, Mons, Namur, Ostende, Charleroy, Huy, Dinant, et tant d’autres villes plus ou moins considérables ; il faut protéger toutes les communes rurales. Si donc vous accordez au commerce d’Anvers un chemin dont l’Etat fera les frais, la justice distributive vous commande d’en établir dans toutes les parties du royaume, puisque toutes paieront.

Mais un semblable projet est ruineux et conséquemment impraticable ; mais nous ne sommes déjà que trop mangés par une armée inutile, par une autre armée de fonctionnaires, de commis, de sinécures à gros appointements ou à grosses pensions, mangeant à deux ou trois râteliers, par un clergé exigeant et insatiable, et par le gouvernement à bon marché. (Hilarité.)

Dieu merci, nous n’avons pas besoin de nouvelles charges !

De ce peu d’observations il me paraît résulter que les défenseurs de la route en fer ont tort de la regarder comme un objet d’intérêt général. A part mis les avantages qu’en tirerait l’Angleterre, je n’y vois qu’un pur intérêt de localité. Sans doute nous ne devons pas nous montrer ingrats envers cette puissance ; mais ce serait pousser la reconnaissance un peu trop loin que de nous ruiner pour conserver ses bonnes grâces.

Les routes en fer sont-elles plus favorables au commerce que les canaux de navigation et les routes ordinaires ? dans ce cas, laissez-les exécuter par la voie des concessions. Alors l’industrie en placera où elle jugera à propos ; les capitalistes d’Anvers s’associeront et se cotiseront pour entreprendre et exécuter eux-mêmes celle qu’ils jugent si urgente et veulent nous faire payer.

Les concessionnaires, dit-on, gagneront beaucoup ; tant mieux pour eux, il faut que tout le monde vive. Nous ne serons pas tenus, du moins, d’augmenter les contributions. Mais, dans le même cas, nous n’avons rien à faire pour le moment ; nous devons attendre les rapports et les projets de votre commission spéciale sur la matière des concessions et des expropriations pour cause d’utilité publique, et ce travail a besoin d’être longuement médité et mûri.

Au reste, en voyant comme se sont réalisés jusqu’ici les promesses de la politique étrangère à la merci de qui nous nous sommes abandonnés aveuglement ; en songeant qu’il est presque toujours arrivé le contraire de ce que les ministres appellent leurs prévisions ; en jugeant de l’avenir par le passé, il est permis de croire que jamais la Hollande ne sera contrainte à laisser libre pour nous la navigation des eaux intermédiaires entre l’Escaut et le Rhin. Mais cette circonstance, loin d’atténuer mes raisonnements, leur donne au contraire plus de force. En effet, si l’article 9 du traité du 15 novembre est violé comme on en a violé tant d’autres, qui nous dit qu’on respectera les articles 1, 2 et 4 ? qui nous dit que nous conserverons Anvers ? et s’il est permis de craindre qu'on nous ôte Anvers, est-il prudent d’entreprendre aux frais de l’Etat le chemin de fer dont le gouvernement a conçu le projet ?

Il faut en convenir : dans l’état actuel des choses, au lieu de perdre son temps à ce travail, au lieu de nous faire perdre le nôtre à l’examiner, il eût mieux fait de se livrer à des occupations qui, du moins, auraient eu un but utile. Il eût mieux fait d’entreprendre la révision des lois qui nous régissent, mélange incohérent de conceptions excellentes, bonnes à conserver et de dispositions bizarres et absurdes, que trois ans de révolution ont, à sa honte, laissées intactes.

Mais non : il ne présentera aucune modification du code criminel, né du despotisme de Bonaparte ; il n’abolira ni la marque, ni l’amputation du poing, ni les peines absurdes imaginées contre la non-révélation des complots ; il ne rétablira pas le jury d’instruction, dont l’absence fait pourrir dans les cachots des prévenus, des hommes présumés innocents ; il laissera subsister un jury de jugement bâtard où des magistrats dont les fonctions devraient se borner à l’application de la loi, se mêlent aux pairs de l’accusé pour décider des questions de fait, et toujours pour le condamner.

Il laissera subsister telle qu’elle est la loi sur la milice ; il ne touchera pas aux patentes, ni à la contribution personnelle, ni au code noir des douanes, si ce n’est pour y substituer un système non moins absurde. Il se traîne dans l’ornière creusée par le génie néerlandais. C’est ainsi, par exemple que dans un projet sur la circonscription des justices de paix, il reproduit entièrement l’ancien travail de M. Van Maanen. Si, par malheur, la révolution eût trouvé promulgué le nouveau code civil déjà inséré au Bulletin des lois en 1830, sans doute, nous subirions aujourd’hui cette législation compliquée, inintelligible et vandale, et nous la garderions longtemps.

En revanche il donnera les mains à tous les projets qui tendront à dépouiller l’Etat de ses domaines. En un mot, il n’a rien fait pour améliorer la condition des citoyens, et grâces à lui, bientôt la révolution n’aura plus d’autres amis que ceux qui en ont profité pour s’enrichir et pour obtenir des places. Et cependant il compte assez sur votre confiance ou sur votre complaisance pour croire que vous lui allouerez des millions destinés à ouvrir une communication ruineuse, inutile. J’ignore, messieurs, quelle sera votre décision. Quant à moi, je voterai contre son projet.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne puis laisser sans réponse quelques reproches que l’honorable préopinant a adressés au gouvernement. Il en est quelques-uns qui concernent mon administration, et quoique l’objet en soit étranger à la discussion, comme l’orateur m’a appelé sur ce terrain, je prierai la chambre de vouloir bien m’entendre.

Aussitôt que la chambre aura pris les vacances qu’elle prend ordinairement à cette époque, je me propose de lui présenter un projet de loi portant modification du code criminel, portant abrogation de la mutilation, abolition de la marque qui a été appliqué une fois depuis la révolution ; portant abolition de la peine de mort, dans une foule de cas où elle a été inhumainement prodigué, par le code pénal.

Voilà quelques faits qui prouveront que les reproches adressés au ministère par le préopinant, ne sont pas fondés. Mais la révision d’une législation aussi importante que celle du code pénal, n’est pas l’œuvre de quelques jours ; il a fallu que le gouvernement consultât des hommes spéciaux et s’entourât de lumières.

Quant à l’organisation des cantons de justice de paix, on ne s’est pas traîné pour en présenter le projet, sur le travail hollandais : on savait que ce travail, quel qu’il fût, devait rencontrer beaucoup de résistances locales dont les intérêts sont très difficiles à concilier. C’est ce que la commission chargée de l’examen de ce projet de loi, doit avoir reconnu par suite des nombreuses réclamations qui lui sont renvoyées.

Le projet de circonscription des justices de paix a été dressé sur les observations des états provinciaux, des procureurs du Roi. Le gouvernement ne met aucun amour-propre à ce que l’on conserve son travail dans son intégrité. Si la commission à laquelle il est soumis croit qu’on peut le changer, quoiqu’il ait reçu l’approbation des magistrats, elle le changera. Je m’arrêterai ici ; j’ai voulu prouver que nous ne méritions pas les reproches qu’on nous adresse.

(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1834) M. de Foere. - Messieurs, j’ai examiné une première fois le projet de loi qui nous occupe, uniquement sous le rapport du système commercial. Trois honorables membres ont attaqué mon discours. En répliquant à mes adversaires, je me bornerai encore à la question commerciale considérée dans ses rapports intérieurs et extérieurs.

Il résultera de l’examen de leurs discours de nombreuses contradictions qui détruisent leurs propres arguments et confirment l’opinion que j’ai émise.

Avant d’entrer dans le fond de la question, je ferai observer que deux de mes adversaires, députés d’Anvers, se sont appuyés sur l’autorité de négociants du pays.

Pour dissiper à cet égard toute prévention, je dirai de mon côté que le système commercial que j’ai développé et mis en regard du projet de route en fer n’est pas seulement le mien, il appartient encore à des négociants du pays que j’ai consultés, à des praticiens, des armateurs consommés dans la science commerciale par une longue pratique de commerce extérieur sur presque tous les marchés du monde.

Guidé par un négociant, j’examinerai les objections qui ont été faites contre le discours que j’ai prononcé. Je ferai observer en premier lieu que plusieurs arguments, les plus essentiels, sont restés sans réponse. J’ai dit qu’à défaut de colonies et de marins, il était impossible que notre propre commerce tirât de grands avantages de la route en fer et qu’elle profiterait presque tout entière au commerce et à la navigation étrangers.

Cette proposition n’a point éprouvé de contradiction. J’ai dit en second lieu que le transit et ses produits seraient considérablement réduits par la concurrence de la Hollande et des villes de Brème et de Hambourg, et enfin j’ai essayé de prouver que la route serait plus nuisible qu’utile à notre propre commerce, c’est-à-dire, à l’exportation de nos propres produits. Ces observations sontsont encore restées sans réponse.

Je vais entrer maintenant dans l’examen des objections qu’on m’a faites, et du seul point auquel mes adversaires ont répondu. Le premier orateur, l’honorable député de Saint-Nicolas, est entré dans quelques considérations vagues, dans des conjectures hasardées auxquelles je ne répondrai pas. Comme elles ne sont accompagnées d’aucune preuve, elles se réfutent d’elles-mêmes. En opposant d’ailleurs conjectures, probabilités à probabilités, la question reste la même. Mais l’orateur a avancé quelques faits qui auraient pu produire quelque sensation sur les esprits de la chambre. Ces faits sont faux, ou mal appliqués.

Il a dit que, lorsque Joseph II eut établi la franchise du port d’Ostende, le transit des marchandises arrivant par mer, et destinées pour l’Allemagne, la Suisse et l’Italie, et respectivement de ces contrées pour les ports étrangers, formait, avant la révolution française, une des principales branches de commerce de la Belgique. A cette assertion, faite aux dépens du port d’Anvers, l’honorable M. Smits répondit : « Lorsqu’Ostende fut déclaré port libre, la Belgique resta néanmoins dans une nullité commerciale complète. »

Voilà comme les partisans du chemin en fer se contredisent eux-mêmes. Qui des deux orateurs a raison ? Ils ont tort tous deux ; le tort est dans leurs exagérations, dans l’exaltation de leur esprit. Il est très vrai que, par le transit libre d’Ostende, après la déclaration de la franchise de son port, le nombre des arrivages fut en 1791 à peu près de 1,300 ; en 1792, d’environ 1,500, et, en 1793, d’environ 2,000 navires.

Remarquez que, parmi ce dernier nombre, il s’en trouvait 27 arrivés des Grandes-Indes, de 500 à 800 tonneaux et tirant d’eau de 18 pieds. Cette nullité commerciale n’était donc pas complète, comme l’a dit M. Smits ; mais aussi le transit ne formait pas une des principales branches du commerce de la Belgique, comme l’a avancé M. Rodenbach. Deux ou trois maisons d’Ostende en profitèrent. Il est vrai que la navigation intérieure par nos canaux en reçut une extension ; mais quand le chemin en fer sera établi, le transit d’Ostende ne se fera plus par la navigation intérieure ; cette navigation sera détruite. Le fait, en tant que favorable au pays tout entier, est donc faux dans son application.

L’honorable M. Rodenbach a parlé de l’époque de la guerre de l’indépendance de l’Amérique. Il est vrai qu’alors une grande prospérité se répandit sur Ostende et sur les environs ; mais pour faire valoir un semblable fait exceptionnel, il faudrait que tous les ports fussent bloqués comme alors, à l’exception d’un port d’Ostende. La Belgique était neutre dans cette guerre maritime. Le commerce étranger, n’ayant aucune autre issue, ne pouvait prendre que cette voie. C’était une position exceptionnelle qui a donné au port d’Ostende une assez grande prospérité. Mais raisonner ainsi, c’est poser un système général et permanent de commerce sur une exception, sur un fait isolé qui ne se reproduira peut-être pas une fois en trois siècles.

Après cette guerre, Ostende prit son ancienne position, par la simple raison que le commerce cherche toujours les voies les plus directes, parce qu’elles sont les moins dispendieuses.

Sous Joseph II, ajoute l’honorable membre, Ostende devint, par l’établissement d’une compagnie des Indes, un centre de richesses. A part l’anachronisme de près de trois quarts de siècle (car c’était sous Charles VI, père de Marie-Thérèse, que cette compagnie fut formée), je ferai observer que Charles VI établit cette compagnie, non pour un commerce de transit, mais pour un commerce direct et actif, pour l’emploi de nos propres capitaux, pour protéger notre propre navigation et nos exportations dans les Indes. Mais aujourd’hui de quoi s’agit-il ? de favoriser le commerce et la navigation de l’étranger aux dépens des nôtres.

Mon adversaire allègue donc des faits qui prouvent beaucoup plus en faveur de la thèse que j’ai soutenue qu’en faveur de la sienne propre. Le commerce que nous établissions alors contrariait l’Angleterre et la Hollande. Aussi, lorsque Charles VI voulut établir cette compagnie des Indes, la politique commerciale de l’Angleterre, de la Hollande et de toutes les nations maritimes s’est violemment opposée à l’établissement de cette compagnie. C’est encore aujourd’hui le même intérêt qui veut que la Belgique ne soit qu’un pays de transit. Si vous cédiez aux exigences et aux intérêts de l’étranger, vous sacrifieriez donc aujourd’hui par vous-mêmes votre propre commerce, votre propre industrie et votre propre navigation, pour favoriser ces mêmes intérêts étrangers.

Au surplus, comme je vous l’ai déjà fait remarquer, plus vous facilitez l’exportation des produits de l’étranger, plus vous lui offrez des moyens de transports économiques, et plus aussi nos propres produits trouveront de concurrence sur les marchés vers lesquels vous transitez les marchandises étrangères. Cette observation est d’autant plus puissante que, n’ayant jusqu’à présent ni navigation maritime ni colonies, le seul espoir que nous ayons d’exporter nos produits, c’est de pouvoir les placer sur les marchés des pays limitrophes. Vous voulez faire lutter dans ces pays notre industrie contre une immense concurrence ; c’est le moyen de vous priver de tout débouché.

Pour prouver que les avantages du transit par le chemin en fer devaient s’étendre sur le pays tout entier, le même orateur a invoqué les droits de douanes dont le produit devrait s’élever considérablement par la quantité des objets transportés. C’est encore là une contradiction flagrante avec ce que disent les autres défenseurs du chemin de fer. Le ministère, MM. Smits, Legrelle et autres veulent un transit libre. Comment voulez-vous trouver alors une augmentation dans les produits des douanes ? Ces derniers orateurs voient mieux la question du transit.

Je soutiens que, si vous voulez un commerce de transit, il faut qu’il soit absolument libre. Déjà, dans mon opinion, les dépenses excéderont de beaucoup les revenus de la route en fer ; et si le transit n’était pas libre, ces dépenses pourraient bien être faites en pure perte ; car la concurrence de la Hollande, de Brème et de Hambourg détruirait notre commerce de transit. Les autres avantages que l’honorable membre a cités, sont des avantages purement locaux. Il a donc raisonné sous ce rapport dans mon opinion ; car j’ai dit que le commerce de transit ne serait profitable, en grande partie, qu’aux localités d’Anvers et d’Ostende.

J’aurais, selon lui, méconnu un axiome : « Le transit, se demande-t-il, est une autre chose que le commerce ? » Messieurs, le commerce, l’économie publique ont établi cette distinction depuis des siècles : personne n’ignore la différence qu’il y a entre le transit et le commerce proprement dit.

Le transit est un commerce passif, indirect, un commerce de pure commission quand vous faites transiter les marchandises du commerce étranger, tandis que le commerce proprement dit est un commerce actif, direct, un commerce d’exportation de vos propres produits et des produits des autres, lorsqu’ils sont les objets de votre propre commerce et de votre propre navigation. Je n’ai donc pas dénié au transit son caractère qui lui est propre, je l’ai apprécié à sa juste valeur. Je défie l’honorable membre de lui donner une autre définition.

Quant aux axiomes de M. Rodenbach et à la logique extrême que M. Smits a trouvée dans l’ordre des questions posées par la section centrale. Je dirai que les axiomes et la logique sont arrivés jusqu’à nous bien méconnaissables.

Ils ressemblent un peu aux bas de soie du vicaire de Wakefield. Ces bas avaient été tant de fois raccommodés avec des fils de coton, de lin et de laine, qu’ils étaient devenus méconnaissables. Ce vicaire ne savait plus si ses bas de soie étaient de fil de coton, de lin ou de laine. (Hilarité.)

J’arrive à l’examen des discours des honorables députés d’Anvers. L’analyse de ces discours est celle-ci : l’exportation de vos propres produits est possible ; donc cette exportation se fera. C’est là un sophisme par lequel on conclut de la possibilité à la réalité.

Encore les honorables membres ne se sont pas donné la peine de prouver cette possibilité. J’ai dit, moi, que l’exportation de nos produits ne surpassera pas celle que vous faites maintenant sans chemin de fer. J’ai tâché de le prouver. Je me suis fondé sur les règles qui gouvernent invariablement le commerce, sur les faits qui se sont constamment reproduits. Un pays n’exporte ses produits que dans la même proportion dans laquelle le besoin s’en fait sentir à l’étranger, pour autant que ces produits, comparés aux mêmes produits étrangers, leur sont supérieurs en qualités et inférieurs en prix.

Le transit attirera, il est vrai, un plus grand nombre de navires dans les ports d’Ostende et d’Anvers ; mais maintenant que les arrivages ne sont pas très nombreux, vous remarquez que la plus grande partie des navires étrangers partent sur lest et les autres ne vous prennent que des lins, des écorces et quelques autres productions agricoles et manufacturées. La raison en est que le commerce étranger ne vous prend et ne vous prendra jamais d’autres marchandises que celles qui sont demandées par les besoins de sa propre consommation, et alors seulement qu’il trouvera des avantages et dans la qualité et dans les prix de nos produits.

Voici la déclaration positive de l’honorable M. Legrelle, même à l’égard de nos exportations actuelles :

« En faisant exception de nos grains et de nos écorces, aucune matière de nos produits, soit minérale, agricole ou manufacturière, ne peut s’exporter par des chargements entiers ; même les différents objets de nos produits ne peuvent exclusivement composer un chargement complet, avec l’espoir d’une réalisation prompte et favorable dans aucun port du monde. »

Je vous demande si ce n’est pas là se contredire de la manière la plus évidente ? Si, alors que les arrivages ne sont pas nombreux, vous ne parvenez pas à exporter vos produits, comment pouvez-vous espérer en exporter davantage, parce qu’il vous arrivera plus de vaisseaux ?

Jamais vous n’y parviendrez. Le commerce suivra toujours les règles invariables que je vous ai citées.

M. Legrelle a encore confirmé, de la manière la plus explicite, que le commerce de transit se porte chez nous, non sur nos propres produits, mais sur les produits étrangers, et importés pour la plupart par navires étrangers.

Pendant notre réunion à la Hollande, nous exportions beaucoup de marchandises à Java et en Hollande. Ces débouches, dit-il, nous sont enlevés. Il nous en reste, selon lui, un autre ; c’est l’Allemagne, où nous exportions les marchandises des deux Indes. Sa route en fer a donc pour unique but le transit de marchandises étrangères, et puisque vous n’avez ni colonie ni marine marchande, ce seront donc aussi les nations coloniales et maritimes qui viendront faire transiter les marchandises des deux Indes. Vous, Anvers et Ostende, vous ne profiterez autre chose que de la commission, des frais de débarquement et d’embarquement, quelque peu de main-d’œuvre. Je défie qu’on prouve qu’il en résulter quelque bien pour le pays tout entier ; tout se concentrera dans les villes d’Anvers et d’Ostende.

M. Smits vous dit : « Depuis Charles-Quint, une foule de révolutions ont balayé la surface de l’Europe : Amsterdam s’est élevé sur les ruines d’Anvers ; Londres et Liverpool sur les ruines d’Amsterdam. »

Messieurs, en nous tenant ce langage, l’honorable membre ne vous a pas dit les causes par lesquelles ces révolutions se sont opérées. Elles s’expliquent aux yeux de ceux qui ont suivi l’étude des événements commerciaux.

Londres, Liverpool, toute l’Angleterre ne doit la prospérité de son commerce à d’autre cause qu’à l’acte de navigation de Cromwell, acte par lequel l'Angleterre protège efficacement sa propre navigation en excluant la navigation étrangère. De l’aveu de tous, la vraie cause première de la prospérité de l’Angleterre est dans cet acte, encore maintenu aujourd’hui, et suivi depuis par toutes les autres nations navales et commerciales. Nous seuls nous ne le suivons pas, et nous laissons dépérir notre propre navigation et notre commerce, par suite de l’insouciance, de l’indifférence ou de l’ignorance du ministère.

Le commerce de Bruges s’est porté sur Anvers, de là sur Rotterdam et Amsterdam, sur Brême et Hambourg.

La navigation, dans son enfance, n’avait pas pratiqué les mers du Nord ; elle les croyait impraticables. On fit un essai ; on reconnut que la mer était navigable jusqu’à Anvers. Comme cette ville était plus rapprochée du centre de la consommation de l’Allemagne, ce port enleva à Bruges son commerce. On poussa plus loin les essais ; la Hollande et l’Allemagne firent de leur côté des efforts ; le commerce passa à Amsterdam, à Rotterdam, à Brème, et Hambourg ; car le commerce a toujours cherché à se rapprocher de centres de consommation, à rencontrer les communications les plus courtes et les moins dispendieuses.

L’honorable M. Smits a avancé que le commerce d’Anvers exporta, en 1829, dans les provinces rhénanes 50 à 60 millions de tonneaux ou de livres métriques. Je pourrais contester ce chiffre ; mais je l’admets, et je demande si les faibles bénéfices de commission que ce commerce procure au port d’Anvers peuvent compenser la dépense de 16 millions de francs que toute la Belgique doit faire pour la seule construction de la route d’Anvers à la frontière de Prusse ? C’est le chiffre que le ministre de l’intérieur assigne lui-même à la dépense de cette partie de la route.

Le même orateur trouve un avantage général pour le pays dans le transport, et sans l’économie des matières premières destinées à la consommation de nos fabriques. C’est une nouvelle contradiction.

L’honorable M. Legrelle produit le même raisonnement. Ces mêmes membres se sont cependant opposés, avec un acharnement inexplicable, à la proposition faite par des membres des deux Flandres, tendante à restreindre l’exportation des lins, proposition qui avait aussi pour but de réduire le prix de ces matières premières. Certes, le principe est incontestable. La fabrication doit obtenir aujourd’hui, à tout prix, la matière première à bon marché. C’est une condition de son existence. Sans cette condition elle ne peut lutter contre la fabrication étrangère.

Mais pourquoi s’est-on opposé à la réduction du prix des matières premières qui servent à la confection des toiles ? Deux ou trois maisons d’Anvers font le commerce de commission des lins, et les envoient en Angleterre à leurs commettants. Je laisse à ces deux honorables membres le soin d’expliquer cette contradiction.

M. Smits. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. de Foere. - M. Smits fait usage d’un autre argument, qui ressemble beaucoup à celui présenté par M. C. Rodenbach. Il dit que, lorsque le dernier blocus du port d’Anvers fut levé, il y eut un grand nombre d’arrivages dans ce port. Ensuite, le commerce d’Anvers se plaignit de ce que les arrivages se ralentissaient.

M. Smits ne voit pas que ce fait confirme la règle que suit invariablement le commerce. Si, après le blocus, les navires étrangers affluaient au port d’Anvers c’est que le commerce avait calculé que les denrées coloniales manquaient à la consommation intérieure, que les magasins étaient épuisés. Si ensuite les arrivages se sont ralentis, c’est que le commerce n’encombre jamais ses marchés pour faire déprécier ses propres marchandises.

M. Smits avoue que le commerce vivace, le commerce véritable, c’est le commerce d’exportation. Certes, il est impossible de nier le principe. Ce commerce est le seul qui mérite notre attention particulière. C’est à ce commerce que la Belgique doit aspirer, C’est la seule source commerciale de prospérité. C’est pour ce commerce seul que la Belgique doit faire des dépenses et des sacrifices. L’honorable membre raisonne en pure perte, pendant un quart d’heure, pour rattacher ce commerce d’exportation de nos produits à sa route en fer et à son transit. Comment s’y prend-il ? En présentant des assertions vagues, des éventualités, des conjectures que les faits de l’histoire du commerce détruisent en tous points

Si, par le transit, vous ne pouvez pas exporter les produits de vos manufactures, de votre agriculture, par quels liens le rattachez-vous à votre propre commerce d’exportation ? Je demande ce qui empêche maintenant l’exportation, lorsqu’il est constant que la plupart des navires partent en lest des ports d’Ostende et d’Anvers ? L’obstacle est dans les tarifs des nations étrangères que, vous ne voulez pas imiter, et qui ne tomberont pas par la construction de votre route en fer.

L’honorable membre fait valoir la prospérité que le transit a donnée à Brème et Hambourg. Cette prospérité, je ne la conteste pas ; mais elle confirme mes assertions. C’est la prospérité de deux villes, et non d’un pays tout entier. J’ai dit que de même les villes d’Ostende et d’Anvers profiteront seules du transit. Le reste du pays en ressentira peu l’influence. Je pense au contraire que le transit, en favorisant le transport et le bas prix des marchandises étrangères, mettra en souffrance le commerce d’exportation de nos propres produits.

Le même orateur, ainsi que M. Legrelle, ont cherché à tirer un grand avantage du cercle commercial qui s’est élargi en Allemagne. Plusieurs Etats qui ont supprimé leurs lignes de douanes et étendu ainsi l’exportation de leurs produits. Cette législation porte sur une population de 20 millions, selon M. Legrelle, et de 26 millions, selon M. Smits. N’importe le nombre ; qu’il soit de 40 millions et plus, s’il le veut.

Je demande si cette législation est établie pour favoriser l’industrie des Etats autres que ceux qui entrent dans cette coalition commerciale ? Vous espérez, dans cette population allemande, pouvoir lui transiter les denrées coloniales, soit ; mais n’entraînez pas la chambre dans l’erreur en ouvrant en Allemagne un débouché de 26 millions de consommateurs de vos propres produits. Vous trouverez à la frontière de Prusse, dans le tarif établi, une barrière insurmontable. Vous ne pourrez donc tirer aucun avantage pour vos propres exportations de cette coalition des Etats de l’Allemagne. Ils ne se sont pas commercialement liés pour nous, mais pour eux-mêmes, pour faire le commerce entre eux, pour étendre les relations réciproques, et à l’exclusion des autres nations.

Je n’ai rien ou peu de chose à dire du système emphatique de l’honorable député d’Anvers qui prétend que cette ville, par suite de la construction du chemin de fer, deviendra le bazar général de l’industrie du monde entier. Selon lui, on y affluera du nord et du midi. Le Russe, le Polonais, le Suédois, le Péruvien, l’Américain, enfin toutes les nations du monde arriveront pour choisir leurs assortiments. Laissez-les faire ; ils y arriveront pour y apporter leurs propres produits, soit pour être versés dans la consommation du pays, soit pour les transiter. Dans le premier cas, ils nuiront à l’industrie du pays, à votre propre commerce direct et à votre propre navigation ; dans le second, ce ne sera pas le pays. ce sera le port d’Anvers seul qui en profitera.

L’honorable membre avoue indirectement un fait que j’ai fait ressortir. Il reconnaît que nous ne pouvons rien exporter par notre propre navigation dans les pays étrangers, ni dans les colonies. La législation navale et commerciale de Cromwell est en effet maintenue par toutes les nations maritimes. Elles surchargent de droits la navigation étrangère pour les exportations aussi bien que pour les importations, dans le but de protéger leur propre navigation et leur propre commerce. C’est ce que, par une négligence impardonnable, nous ne faisons pas, ou ce que nous ne faisons pas assez efficacement.

J’ai dit qu’il existait encore quelques autres colonies et pays lointains, où notre navigation et notre commerce ne rencontreraient pas cette législation exclusive.

M. Smits en fait l’énumération ; mais il oublie de répondre à la question que j’ai posée : Quels sont les produits nationaux que nos négociants pourront expédier sans perte vers ces contrées ? Il répond à l’objection d’une autre manière. « Le gouvernement, dit-il, encouragera, j’ose l’espérer, des essais vers ces pays lointains ; » c’est-à-dire, en d’autres termes, que le pays compensera les pertes, et qu’en tout les négociants feront leurs bénéfices particuliers.

Je demande à l’honorable membre en quoi consiste notre commerce avec la Pologne, si ce n’est en céréales. Il est vrai que les céréales de la Pologne peuvent être mises sur la même ligne que les meilleures céréales de quelque pays que ce soit ; mais avant qu’elles soient arrivées au port de Dantzick et qu’elles aient payé le droit de transit par la Prusse, les frais du fret, de l’embarquement, du déchargement et autres, elles s’élèvent à un prix supérieur à celui de nos propres céréales. Le négociant dont M. Legrelle a invoqué l’autorité, a été en erreur quand il a dit que souvent la Pologne nous fournissait les grains à meilleur compte. Il peut avoir dit la vérité à l’égard des autres grains du Nord. Mais, lorsque nous aurons le transit avec l’Allemagne, nous aurons les blés de mauvaise qualité du Mecklembourg, du Holstein et des pays environnants, que l’on répandra dans la consommation intérieure, aux dépens des céréales du pays. Ils nous seront livrés à meilleur marché, quoique la qualité en soit de beaucoup inférieure.

M. Lardinois. - On ne les achètera pas.

M. de Foere. - Vos marches seront remplis de ces céréales de qualité inférieure, aux dépens de votre agriculture. Le commerce ne cherche pas l’avantage des intérêts du pays ; il ne spécule que pour ses propres intérêts.

Afin de préconiser leur route en fer, nos adversaires ont cité constamment des exemples des autres nations. On peut leur opposer avec succès des faits contraires ; c’est sur les faits seuls que nous devons fonder nos raisonnements.

Puisqu’on nous oppose continuellement l’exemple des nations étrangères, je demanderai qu’on nous cite une seule nation qui ait établi le plus petit bout de chemin en fer uniquement pour servir au transit ? je demanderai quelle est celle qui fait construire des routes en fer par l’Etat ? Ces questions resteront encore sans réponse.

Il en sera de même si nous leur demandons quelle est la nation qui dévie aujourd’hui du principe que le commerce doit faire les frais des communications nouvelles établies à son profit.

L’honorable M. Legrelle a tâché de vous entraîner par les belles doctrines de J.-B. Say sur les échanges. Si les échanges étaient possibles par le chemin en fer, je l’admettrais ; mais puisque les faits passés et présents vous disent que vous n’opérerez pas ces échanges, que les douanes étrangères vous opposent des obstacles insurmontables, que vous n’avez aucune probabilité d’exporter vos produits par le moyen du transit que vous voulez procurer au commerce étranger, il est absurde de compter sur ces échanges, et par conséquent, de voter, par ce motif, le chemin en fer.

Le transit doit uniquement profiter, comme je l’ai dit, à la ville d’Anvers et la ville d’Ostende ; très peu d’avantages en résulteront pour le pays : c’est toujours l’esprit de ville, de localité qui se manifeste dans cette discussion ; et pour vous faire ressortir encore plus cet esprit de localité, j’appellerai votre attention sur ce qu’a dit M. Legrelle.

Vous savez que l’honorable membre s’est expliqué avec énergie contre la violation des lois qui a eu lieu dernièrement à Liège ; mais l’honorable membre ne vous dit rien quand la transgression des lois du pays lieu à Anvers et au profit de cette ville. Cependant cette violation des lois a lieu chaque jour à Anvers ; chaque jour on y introduit en fraude des marchandises hollandaises, comme si elles avaient été importées par notre propre navigation. Le patriotisme sincère ne s’occupe pas de l’endroit où les lois ont été méconnues, et ne dit pas : Tout est bien, parce que la violation est faite à Anvers.

M. Lardinois. - Comment se fait cette violation ?

M. de Foere. - On demande comment se fait cette violation ; voici les faits :

Les Hollandais apportent à Bath des denrées coloniales ; un droit plus fort est imposé aux marchandises arrivant par navires étrangers. Au moyen de petits navires, on va d’Anvers à Bath chercher les denrées coloniales apportées par les Hollandais, et on les fait entrer comme si elles arrivaient par navires nationaux.

Les pêcheurs d’Anvers vont aussi acheter à Bath le poisson provenant de la pêche hollandaise ; ce poisson est importé à Anvers, sans payer les droits imposés à la pêche étrangère. Tous les jours cette violation des lois se commet ; mais parce que ce trafic se fait à Anvers et au profit d’Anvers, c’est du patriotisme et tout est bien. (Hilarité.)

M. Legrelle. - Cela ne dépend pas de la régence.

M. de Foere. - Si, relativement au commerce, ce que je vous ai dit n’était que des théories, vous pourriez vous en défier ; mais ce que je propose n’est autre chose que ce que font toutes les nations commerçantes du monde. Que faut-il donc faire ? Vous procurer une marine marchande, une navigation nationale ; protéger par vos lois cette navigation ; engager vos armateurs à construire des navires et à faire le commerce direct et non le commerce de transit ; ne pas recevoir, des mains de l’étranger, jusqu’à la dernière livre de café et de sucre qu’ils veulent bien importer. La Belgique doit aspirer à un commerce direct. Plus vous attirerez le commerce de transit étranger, qui est un commerce de commission, plus vous vous opposerez à votre commerce direct. C’est dans ce but que j’ai déposé sur le bureau, vendredi dernier, un projet de loi. Je remercie la chambre de ce qu’elle a bien voulu en autoriser la lecture. Lorsque le jour sera venu de développer ma proposition, je tâcherai de faire voir à l’évidence que c’est là le seul système commercial que la Belgique doive suivre, si elle veut prospérer.

M. Smits. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je ne répondrai pas au système commercial que l’honorable abbé de Foere vient d’exposer de nouveau devant vous ; mais je crois devoir relever une phrase qui lui est échappée. Il a dit que nous avions voté contre la proposition qui a été faite sur les lins, et il a ajouté que nous avions voté contre, parce qu’il y avait encore à Anvers deux ou trois maisons qui faisaient le commerce d’exportation des lins.

Je demanderai à l’honorable abbé où il a trouvé dans mes discours, ou dans ceux de mes collègues, un vote négatif sur la proposition concernant les lins. Ce projet de loi est encore en discussion dans la section centrale ; et votre commission d’industrie n’a pas pris de résolution sus ce sujet. Je repousse de toutes mes forces l’insinuation qui résulterait de la phrase contre laquelle je m’élève, car je dois la considérer comme calomnieuse.

M. de Foere. - L’honorable membre pose la question sur un terrain où je ne l’ai pas posée : je n’ai pas dit que MM. Smits et Legrelle avaient voté contre la proposition ; mais j’ai dit que je savais qu’ils s’opposaient à cette proposition. M. Legrelle m’en a fait souvent lui-même la déclaration. Par le moyen du transit, les honorables membres se proposent de faire arriver les matières premières au plus bas prix ; c’est là un but louable ; mais ne sont-ils pas en contradiction évidente avec ce but en se prononçant contre la proposition concernant les lins ? Voilà ce que j’ai dit.

(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1834) M. le président. - La parole est à M. Gendebien.

M. Gendebien. - Je demanderai s’il se trouve des orateurs qui voulussent parler en faveur du projet de chemin en fer.; dans le cas où il n’y en aurait pas, je demandera le renvoi de la discussion à demain, parce que je me propose d’entrer dans quelques développements.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Voilà le neuvième jour que la discussion générale est ouverte ; l’intention du gouvernement n’est pas de vouloir la restreindre ; mais je demanderai aux orateurs inscrits s’ils ne pourraient pas rattacher leurs discours à l’un ou à l’autre des articles de la loi. C’est une question que j’adresse à M. Gendebien qui a parlé déjà une fois, et à M. de Puydt, qui a parlé déjà trois fois.

M. de Puydt. - Dans les précédentes séances, les ministres, M. Teichmann, et les commissaires du Roi ont répondu à mes discours ; j’ai à réfuter leurs réponses, et j’ai à évaluer les dépenses de la construction du chemin en fer.

M. Gendebien. - J’ai à combattre l’opinion de M. le ministre de l’intérieur. Je crois qu’il faut entendre tous les orateurs inscrits pour la discussion générale, avant de passer à la discussion des articles ; car sans cela on rentrera malgré soi dans la discussion générale : d’ailleurs il faudra toujours le même temps pour entendre un orateur, soit pendant la discussion générale, soit pendant la délibération sur les articles.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande que la séance commence demain à dix heures.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain ! à dix heures ! à dix heures !

M. Fallon. - Il y a des commissions qui s’assemblent et dont les travaux sont importants.

M. Helias d’Huddeghem. - Je demande que la séance ait lieu aux heures accoutumées ; nous venons à midi et la chambre n’est pas en nombre.

M. Gendebien. - La séance ne doit commencer qu’aux heures ordinaires. Ceux qui veulent commencer plus tôt les séances ne sont pas ceux qui, comme nous, prennent part aux travaux de la chambre depuis l’ouverture de la session.

M. le président met aux voix l’ouverture de la séance pour 10 heures.

- Après deux épreuves, la chambre décide que sa réunion publique aura lieu demain, à 10 heures du matin.

La séance est levée à 4 heures.