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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du vendredi 20 septembre 1833
Sommaire
1)
Membres absents sans congé
2)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative aux droits de sortie
sur les os (Donny)
3) Motion d’ordre relative à la situation
diplomatique de la Belgique (Dumortier, Lebeau)
4) Projet de loi portant
le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1833. Discussion des
articles. Instruction publique. Rôle de l’Etat dans l’instruction publique
(notamment dans l’enseignement moyen (de Theux, Donny, (+question des partis politiques) (Hélias
d’Huddeghem, Liedts, Seron, Jullien), Rouppe, Dubus,
(+universités) Ernst, (+question des partis politiques) Dumortier et Lebeau), personnel
de l’administration de l’instruction publique (Rogier, Dubus), universités (Rogier, Dubus, Rogier, A.
Rodenbach, d’Huart, Rogier),
enseignement moyen (Legrelle, Rogier,
Nothomb)
(Moniteur belge n°265, du 22 septembre 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M.
de Renesse
fait l’appel nominal à midi et demi.
MEMBRES
ABSENTS SANS CONGE
Membres absents sans congé :
MM. Angillis, Berger, Brabant, Dams, de Behr, de
Foere, de Muelenaere, de Robaulx, de Robiano, Devaux,
Dubus, Fleussu, Gendebien, Goblet, Lardinois, Pirson, Rouppe,
Teichmann, Vilain XIIII, Wallaert.
PIECES
ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Liedts donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en
est adoptée.
Plusieurs
pièces sont adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission des
pétitions.
Sur la demande de M. Donny, la
chambre ordonne l’insertion dans le
Moniteur d’une pétition sur la sortie des os.
M. Dumortier. - Il me paraît qu’avant de continuer une
discussion aussi importante que celle qui nous occupe, il conviendrait qu’un
des ministres fut présent.
J’aurais des observations à
présenter au ministre de la justice ; je demande que la chambre invite les
ministres a se rendre dans son sein.
- Cette proposition est
adoptée.
M. Legrelle. - Je veux bien que les ministres soient invités à se rendre au milieu de
nous ; mais je ne veux pas que l’on regarde leur présence comme indispensable à
la continuation de toute discussion,
De toutes parts. - C’est ainsi qu’on l’entend !
M. le président. - Alors la parole est à M. Jullien.
M. Jullien. - J’ai déjà parlé une fois ; je voudrais
que la parole fût accordée aux membres qui n’ont pas encore parlé.
M. de Brouckere. - La proposition de M. Jullien me paraît pleine de convenance. M. le
président doit appeler les orateurs inscrits qui n’ont pas encore parlé.
M. le président. - La parole est à M. de Theux.
- En ce moment M. le ministre
de l’intérieur entre en séance.
M. Dumortier. - Je désirais que le ministre de la justice fût
appelé, c’est à lui que je voulais adresser quelques observations, mais puisque
le ministre de l’intérieur est présent, il voudra bien répondre aux questions
que je vais poser.
Messieurs, vous vous souvenez
que, lors de la discussion du budget des affaires étrangères j’adressai au
ministère des interpellations sur l’état de nos relations extérieures ; vous
vous souvenez que quelques efforts que nous fîmes alors pour obtenir des
renseignements, le ministère se renferma dans un superbe et dédaigneux silence,
et nous ne sûmes rien sur les affaires diplomatiques.
Dans la séance d’hier j’ai été
vivement étonne d’entendre M. le ministre de la justice, à propos du crédit sur
l’instruction, dire que la nationalité de la Belgique est encore en dehors de
toute prévision humaine. Messieurs, je vous le déclare, cette phrase m’a touché
au dernier point, et surtout quand je me rappelle que c’est en ce moment que la
conférence paraît prendre de décisions importantes, que c’est dans ce moment
que les hautes puissances du Nord sont réunies pour prononcer sur nos affaires.
Quel qu’ait été le motif qui
ait déterminé le ministre de la justice à lancer cette phrase, qui peut jeter
l’alarme dans le pays et qui au-dehors aura de bien grands retentissements, il
est important que nous le connaissions...
Plusieurs membres. - Voici M. le ministre de la justice.
M. Dumortier. - Sans doute que, si une pareille phrase fût
sortie de la bouche de l’un de nous, elle
sursit pas une portée bien grande ; mais lorsqu’elle sort de la bouche
du chef du cabinet... (Bruit.) C’est
M. Nothomb qui l’a dit… Alors elle peut avoir une très grande portée, et elle
est propre à inspirer les craintes les plus vives sur l’avenir. J’adjure donc
M. le ministre de la justice de nous faire connaître les motifs qui ont pu le
déterminer à faire une déclaration semblable.
Je ne puis
croire que ce soit à cause de l’instruction, publique que le ministre nous ait
fait entendre de semblables paroles ; je ne puis croire qu’il pense que
Pour moi, tant qu’il y aura un
drapeau brabançon flottant sur un de nos clochers, j’aurai foi dans
l’indépendance du pays ; mais lorsque je vois le ministère des protocoles, le
ministère des doctrinaires, venir déclarer que la nationalité belge est
en-dehors des prévisions humaines, je demande où en sont nos affaires ; je
demande que le ministre s’explique, qu’il nous dise si le sort de
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je crois que si la phrase
qui a été relevée par l’honorable préopinant acquiert une certaine gravité,
c’est bien moins parce que dans une réplique improvisée elle est sortie hier de
ma bouche, que par l’importance même que l’honorable orateur semble y attacher,
et par la solennité dont il l’environne en en faisant le sujet d’une discussion
incidente.
J’ai foi dans l’avenir de
J’ai eu le droit de dire que
Voilà, messieurs, dans quel sens
j’ai prononcé ma phrase : voilà toute sa portée. (Bien ! bien !)
Discussion des articles
Chapitre X.
(devenu chapitre XII) - Instruction publique
M. de Theux. - Messieurs, après une aussi longue
discussion, je comprends l’obligation d’être court ; je ne vous demanderai donc
que quelques moments d’attention. Je commencerai par vous donner quelques
explications sur des faits qui me concernent ; je tâcherai ensuite de justifier
succinctement mon vote sur la question qui nous occupe.
Si je n’ai point présenté l’an
dernier à la chambre un projet de loi sur l’instruction publique, ainsi que
j’en avais exprimé l’intention, c’est que la gravité des questions qui se
rattachent à cette matière, et la maturité des délibérations qu’elles exigent,
ont forcé le gouvernement à reculer momentanément l’exécution de cette
promesse. Notre sortie du ministère nous a seule empêché de l’accomplir dans la
session suivante.
L’honorable député de Virton
s’est plaint de ce que la province de Luxembourg n’a pas été mieux partagée
dans les fonds pour l’instruction primaire. Il me suffira, pour justifier mon
administration, de rappeler les faits.
L’honorable député proposa de
porter l’allocation pour le Luxembourg à 12,350 fl. au lieu de 8,702 ; il
retira son amendement sur l’observation que je lui fis que les allocations
n’étaient portées qu’approximativement, et que si la province de Luxembourg
éprouvait de plus grands besoins que ceux qui avaient été supposés, je pourrais
reporter sur elle une partie des autres allocations.
Pour procéder avec justice,
j’ai alloué aux communes du Luxembourg comme à celles des autres provinces,
toutes les demandes qui ont été justifiées par le manque d’instruction et par
le manque de fonds communaux pour y pourvoir.
En agissant de cette manière,
j’ai servi à la fois les vrais intérêts de l’instruction primaire et ceux du
trésor, et je pense avoir rempli le vœu des chambres sur l’emploi des fonds qui
me furent confiés.
J’aborde la discussion
principale.
La section centrale a signalé
le danger des augmentations successives de subsides en faveur de l’instruction
; elle a fait voir le danger de créer des précédents et des intérêts qui
pourraient avoir pour résultat de retarder la loi régulatrice de l’instruction
aux frais de l’Etat, ou de dominer plus tard une discussion sur cet important
objet. A la vérité telles ne purent être les intentions du gouvernement, mais
le danger n’en était pas moins réel ; des lors il était du devoir de la section
centrale de le signaler, et il est du nôtre de le prévenir en ne nous engageant
pas davantage dans cette voie dangereuse.
Le système d’une instruction
nationale, supérieure, moyenne et inférieure, a été hautement proclamé dans
cette enceinte par plusieurs orateurs qui ont soutenu avec une chaleur peu
commune les propositions de subsides pour un grand nombre de collèges nouveaux.
Jusqu’ici ce vaste système
d’instruction nationale n’avait pas été proclamé à la tribune ; jusqu’ici non
plus l’extension de subsides n’avait point trouvé ces chauds partisans.
La liaison de ces deux choses
est donc évidente ; mais il n’est pas moins évident que ce n’est point à
l’occasion du budget que nous pouvons sanctionner, ni directement, ni
indirectement un tel système.
Mon honorable ami M. Dubus a
combattu hier, avec cette force de logique qui le distingue si éminemment, la
fausse interprétation de l’article 17 de la constitution, il vous a fait voir
qu’il ne prescrit nullement cette prétendue obligation. Je ne répéterai point
ses arguments, mais je rappellerai les faits et les motifs qui ont précédé et
déterminé l’adoption de cet article ; ils méritent toute votre attention.
Le système d’une instruction nationale
fut proclamé, par l’assemblée constituante, dans la constitution de l’an 1791,
en ces termes :
« Il sera créé et
organisé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à
l’égard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes et dont
les établissements seront distribués graduellement, dans un rapport combiné
avec la disposition du royaume. »
Le gouvernement français créa,
en conséquence, ses établissements d’instruction publique. Le gouvernement des
Pays-Bas succéda au gouvernement français ; la loi fondamentale confia
l’instruction publiques à ses soins constants ; en conséquence ils créa des
universités et il s’arrogea l’influence sur les autres établissements, soit au
moyen de sa surveillance, soit au moyen des subsides qu’il accordait.
Le congrès national savait
trop combien ce vaste système d’instruction nationale du gouvernement français
et du gouvernement des Pays-Bas fut frappé d’impopularité en Belgique pour en
prescrire le rétablissement.
Le congrès national alla plus
loin, il ne voulut point permettre que le gouvernement créât des établissements
d’instruction publique quelconques, sans que cette instruction fût réglée par
la loi.
Ainsi, d’une part, le congrès
laissa à la législation le soin de décider de l’utilité et de l’étendue de
l’instruction publique aux frais de l’Etat ; et, d’autre part, il défendit à la
législature d’abandonner l’objet le plus intéressant pour une nation au pouvoir
exécutif, avant d’avoir stipulé les garanties nécessaires pour la conservation
du caractère national, pour les mœurs, pour la religion, avant d’avoir discuté
et posé des règles qui pussent assurer les succès de l’instruction publique.
J’appelle de tous mes vœux
cette discussion des principes fondamentaux, je ne pense nullement qu’elle
puisse être une cause de discorde dans l’Etat ; L’essentiel pour un pays, c’est
de vider le plus promptement possible les questions principales du régime
intérieur.
Je reviens à la discussion des
subsides ; elle a porté principalement sur l’augmentation en faveur des
collèges qui n’en ont point encore joui.
L’opposition à cette
augmentation se justifie par l’art. 17 de la constitution, par le désir d’avoir
promptement une loi sur l’instruction publique. Mais comment peut-on justifier
ce degré d’ardeur qui s’est manifesté subitement pour le système des
augmentations ?
Chacun convient, et les
budgets en font foi, que sous le gouvernement des Pays-Bas les sommes allouées
aux collèges étaient moins considérables qu’aujourd’hui. Cependant alors
personne dans les états généraux ne réclamait des augmentations de subsides ;
la presse était muette sur ce point. Cependant alors l’enseignement moyen était
dans une complète décadence ; les meilleurs établissements privés étaient
fermés ; les collèges subsidiés n’avaient aucun succès.
L’an dernier, le gouvernement
demanda une augmentation de subsides pour des établissements déjà subsidiés ;
cette augmentation lui fut accordée.
Il demanda aussi des subsides
pour d’autres établissements ; on objecta qu’il ne fallait point étendre les
subsides à de nouveaux collèges avant qu’une loi sur l’instruction publique en
eût admis le principe, et la demande du gouvernement ne fut pas accueillie.
Cette année, le gouvernement
reproduit la même demande ; il lui donne encore plus d’extension. La section
centrale lui fait la même objection ; mais elle le fait avec d’autant plus de
fondement que l’exercice de l’année est presque écoulé, que le gouvernement ne
peut plus avoir de motifs d’ajourner la présentation d’un projet de loi, que
rien ne pourrait le justifier de la différer au-delà de la session prochaine.
D’autre part, les ressources
des villes se sont augmentées à mesure que l’on s’est éloigné de l’époque de la
révolution ; loin de devoir diminuer leurs allocations pour leurs collèges,
elles doivent pouvoir les augmenter.
L’enseignement moyen fait des
progrès rapides, personne n’est disconvient ; tout se réduit donc pour refuser
la majoration ; mais une considération qui, à elle seule, doit déterminer
quiconque veut discuter la loi sur l’instruction publique à l’abri de toute
influence, c’est qu’en étendant les subsides, il crée inévitablement des
intérêts qui doivent plus tard dominer nos discussions. Mais, dira-t-on,
pourquoi l’an dernier avez-vous cru devoir demander vous-mêmes une majoration ?
pourquoi les éléments du budget pour 1833 porteraient-ils une partie de la
demande reproduite aujourd’hui ?
La réponse n’est pas
embarrassante :
En 1832, appréciant les
objections faites contre ma demande, je n’ai pas cru devoir insister.
En
préparant les éléments du budget de 1833, j’ai dû compter sur la présentation
d’un projet de loi : que si ce ministère n’a pu jusqu’à présent le présenter,
ce n’est point un motif suffisant de voter les majorations.
Je me résume et je termine :
Pour les universités,
j’accorderai les sommes qui seront justifiées être strictement nécessaires pour
ne pas entraver le service.
Pour les athénées et les
collèges, j’accorderai la même somme qu’en 1832, en adoptant la conclusion de
la section centrale.
Pour l’instruction primaire,
je voterai les majorations admises par la section centrale.
M. Donny. - Je m’étais d’abord proposé de ne pas prendre la parole dans cette
discussion. Si l’on s’était enfermé dans le budget, si l’on s’était borné à
l’examen d’une question de chiffres, j’aurais voté en silence ; mais la
discussion a été portée sur un autre terrain et l’on s’est engagé dans une
espèce de lutte d’opinion : ce qui a été dit de part et d’autre est de nature à
faire croire que le vote que nous allons émettre sera dominé par une influence
de parti ; et que, par exemple, ceux d’entre nous qui refuseront au
gouvernement les allocations qu’il demande ne le feront que parce qu’ils seront
sous l’influence d’une opinion catholique antilibérale, tandis que ceux qui
voteront dans le sens contraire seront censés agir par suite d’opinions
libérales anticatholiques.
Messieurs, dans un pareil état
de choses il m’importe de déterminer d’une manière claire et précise la portée
du vote que je vais émettre ; je veux que cette portée soit connue, et de la
chambre et du pays, et je déclare formellement que mon vote ne sera ni
anticatholique ni antilibéral.
J’allouerai au gouvernement
toutes les sommes dont il a besoin pour donner à l’enseignement des accroissements
là où le besoin s’en fait sentir, et je le ferai non par suite de vues
théoriques, mais parce que j’ai eu sous les yeux des faits qui prouvent qu’il
est utile que le gouvernement ait à sa disposition des fonds pour un semblable
usage.
Le gouvernement précédent a
fondé dans la ville que j’habite une école primaire modèle ; cette école a
constamment mérité et obtenu les éloges les plus flatteurs de tous ceux qui ont
été à même de la connaître. A cet égard, je pourrais invoquer ici le témoignage
d’un honorable membre qui siège parmi nous, et qui par sa position d’alors, a
été mieux à même que moi d’apprécier les bienfaits que cette école répandait
sur mes concitoyens.
Cependant cette institution
utile n’eut jamais vu le jour, ou du moins n’eût jamais pris de consistance si
le gouvernement n’avait pas été à même de faire pour elle de grands sacrifices.
Dans le principe cette école n’était fréquentée que par quelques enfants
d’employés civils et militaires, qui y recevaient une instruction gratuite ; mes
concitoyens, retenus par des préventions qu’il ne m’appartient pas de juger,
refusaient d’y envoyer leurs enfants ; ce n’est qu’après plusieurs années que
les élèves ont commencé à s’y porter ; alors l’établissement est devenu
florissant, et il a fallu agrandir à plusieurs reprises les bâtiments de
l’école. Dès lors le subside est devenu inutile et le gouvernement n’en a plus
donné ; mais toujours est-il certain que si le gouvernement n’avait pas fait
des sacrifices à l’origine de l’établissement, nous n’aurions pas eu cette
excellente école primaire.
Dans la
même ville qui renferme une population d’environ 12,000 âmes, et qui est un
port de mer important, nous n’avons jamais eu d’autres professeurs de sciences
exactes que ceux qui ont été placés par le gouvernement, soit par le
gouvernement français, soit par le gouvernement des Pays-Bas, soit par
celui-ci. En m’exprimant ainsi, je fais abstraction d’un particulier qui, à la
fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, a donné à nos marins
quelques leçons, plutôt pratiques que théoriques, sur la navigation. L’on me
dira peut-être que, si le gouvernement n’était pas intervenu, l’intérêt
particulier aurait fait tout ce que le gouvernement a fait, et peut-être mieux encore.
Pour toute réponse je demanderai à ceux qui seraient tentés de faire cette
observation comment il se fait que, depuis trois ans que l’enseignement est
libre, (erratum au Moniteur belge n°267,
du 24 septembre 1833 :) l’intérêt particulier ne soit pas parvenu à
rouvrir notre école primaire modèle ; comment il se fait que l’intérêt privé
n’est pas parvenu à nous procurer un professeur de sciences exactes pendant le
grand nombre d’années qui se sont écoulées entre le départ du professeur
français et l’installation de celui nommé par le gouvernement des Pays-Bas ;
comment il se fait qu’il n’y ait pas dans notre ville d’institution où l’on
enseigne les langues savantes, malgré tous les efforts de la régence et des
particuliers depuis plus de 30 ans ?.. Et remarquez, messieurs, que pour créer
un semblable établissement, les tentatives n’ont pas manqué
: nous avons eu successivement des professeurs de latin, de grec, d’hébreu même
; mais toutes ces institutions n’ont pu se soutenir ; quelques-unes ont existé
pendant une année, d’autres seulement pendant des mois. Lorsque j’ai ainsi
devant les yeux des preuves multipliées du bien que peut faire l’intervention
du gouvernement et des preuves de l’insuffisance des efforts des particuliers,
il me faudrait faire abnégation de mon
bon sens si je refusais au ministre les allocations qu’il demande. Je
les lui allouerai, et j’espère que l’usage qu’il en fera justifiera pleinement
la confiance que je place en lui.
M. Helias
d’Huddeghem.
- Messieurs, c’est avec peine que j’ai
entendu inculper les intentions de quelques-uns de nos honorables collègues
qui, avec un zèle digne d’éloge, suivent avec assiduité les délibérations des
sections, et qui, délégués à la section centrale, veulent bien prendre sur eux
le travail pénible de vous soumettre fidèlement l’ensemble des observations
faites par tous les membres de la chambre. Si ces honorables collègues désirent
régler les dépenses de manière qu’elles n’excèdent pas nos ressources, s’ils s’opposent
à de nouvelles allocations dans le budget, lorsqu’il s’agit de crédits qui
toujours ont été considérés comme dette communale ou provinciale, ils ne font
que s’acquitter d’un devoir rigoureux ; car il ne suffit point de majorer outre
mesure quelques chapitres du budget, et de rejeter ensuite l’ensemble par un
vote négatif.
L’attaque est d’autant plus
injuste que, plus d’une fois, ces mêmes honorables députés n’ont pas hésité à
vous proposer des conclusions modifiées, quand on leur démontrait que des
majorations étaient devenues nécessaires.
Votre section centrale vous
propose au chapitre 9 de l’instruction publique une majoration de 41,355 fr.
sur la somme allouée au budget de 1831.
Comment a-t-on pu critiquer
avec tant d’aigreur le rapport de la section centrale, lorsque les honorables
contradicteurs ne sont pas d’accord entre eux ? En effet, l’honorable M.
Jullien pense qu’à l’égard de universités, pour le moment, il ne faut pas faire
des nominations nouvelles à cause, dit-il, que si la suppression de l’une ou
l’autre des universités doit avoir lieu, plus il y aurait de professeurs, plus
aussi il y aurait d’existences dérangées. Tandis que l’honorable M. de
Brouckere est d’avis qu’il convient de nommer aux places vacantes dans les
universités, il craint que les universités, dépourvues de certaines chaires,
deviendraient nécessairement désertes, et que les élèves qui les fréquentent
seraient forcés de se présenter ailleurs.
A l’occasion de la discussion
de cette partie du budget qui concerne l’instruction publique, un incident
fâcheux a fait dire à un orateur que la chambre se divisait en deux camps. Si
nous avions, messieurs, toujours présent à l'esprit que nous venons traiter ici
les intérêts du pays, et concourir au bien-être général, nous agirions avec
plus de prudence, et nous ne nous permettrions pas de rechercher les opinions
individuelles des membres de cette assemblée : c’est ainsi que s’est formée
l’union à laquelle
Ils ne prétendaient pas la
liberté pour eux et leurs amis, mais pour tous ; après la victoire ils n’ont
pas rebuté les principes qu'ils avaient reconnus avant de combattre.
Il n’en est pas de même de
certaines personnes se disant libéraux, qui, après avoir été les adversaires de
l'union ont paru suivre quelque temps le même drapeau, que bientôt ils ont
quitté pour reprendre leurs anciens préjugés.
De ce nombre sont ces
personnes qui, plus attachés à l’ancien qu'au nouvel ordre de choses, osent
prôner encore les efforts fats par le gouvernement déchu pour propager et
perfectionner l'enseignement, quoique ce même gouvernement, par les arrêtés de
juin 1825, ait détruit tous les bons établissements où une jeunesse nombreuse
recevait une instruction soignée.
De ce nombre sont encore ceux
qui se targuent de libéralisme et qui, néanmoins se livrant à des idées du
passé, à de vieilles rancunes, paraissent tenir plutôt par leurs préjugés au
dix-huitième qu'au dix-neuvième siècle, auxquels l'honorable M. Guizot, à la
chambre des députés de France, adressait naguère ces paroles remarquables :
« Par les esprits,
dit-il, les plus éclairés, beaucoup rendent maintenant aux antagonistes des
opinions religieuses le mépris qu’ils ont si longtemps versé sur la religion.
Les racines de la religion sont profondes en France, mais entre le peuple et
les hommes vraiment éclairés, il y a une certaine classe de gens arriérés qui
en sont encore à rire des personnes qui sont attachées à leur culte, et à les
détester du fond de leur âme ; gens très peu disposés à la tolérance, ils ne
seraient pas fâchés d’amortir tout doucement la religion en avilissant ses
ministres ! Ils croiraient rendre un grand service au peuple en
l'affranchissant de ce qui n’est à leurs yeux qu’une misérable superstition :
attaquer de front la religion, ils n'oseraient ; mais il est facile de
découvrir sous leurs protestations étudiées de respect un fond de haine et de
colère. »
Messieurs, depuis quelques
jours nous nous livrons à la discussion de questions qu’on aurait dû ajourner
jusqu’à ce qu’une loi sur l'enseignement nous soit proposée. Ce n’est pas au
moment de l’examen des budgets que l'on peut avec maturité discuter un objet de
si haute importance, c’est lors de la discussion de ce projet que l'occasion se
présentera d’examiner s’il faut que la chambre alloue des subsides à tous les
établissements municipaux de l’instruction moyenne qui ne peuvent soutenir la
concurrence avec les établissements libres qui ne jouissent d’aucun secours.
Plusieurs honorables collègues
nous ont communiqué des idées sur la préférence à accorder au système de
liberté et de concurrence qui me paraissent mériter toute l’attention de la
législature.
L'honorable M Jullien a
témoigné des craintes qu'avec le système de la liberté et de la concurrence, un
aventurier ou un homme indigne de la confiance pourrait faire quelques dupes,
tromper quelques parents : avec la liberté de la presse, ces exemples ne sont
pas à craindre, et la concurrence même aurait bientôt fait justice de leurs
intrigues ; le remède étant à côté du mal, les bonnes écoles l'emporteront
toujours sur les mauvaises. L’opposition au système de la concurrence tend à
n’accorder le droit d’enseigner qu'à ceux qui auront été déclarés capables par
un pouvoir central : dès lors, messieurs, ce ne seraient plus quelques
aventuriers qu’on aurait à craindre, et dont la bonne fortune ne pourrait
jamais être qu’éphémères, ce serait une direction générale, direction qui
pourrait porter préjudice, suivant l’esprit du jour, tantôt à une liberté
publique et tantôt à une autre, et sans qu’on puisse assigner aucun remède au
mal, puisqu’au contraire c’est le remède même, le seul efficace à tous les
autres maux, c’est l’instruction des générations naissantes seule capable de
corriger à la longue les erreurs et les vices de générations présentes, qui se
trouverait généralement infectée.
L’honorable
M. Jullien a cru démêler des prétentions exorbitantes dans la correspondance de
la régence de Bruges, réclamant de monseigneur l'évêque de Gand un prêtre qui
en même temps serait directeur et principal du collège de la ville : en
acceptant le fait tel qu'il a été articulé, car je n'ai aucune connaissance de
la lettre en question, l'évêque a posé la condition que l’ecclésiastique à
nommer par lui eût la direction et la surveillance de l’enseignement, et qu'il pût
renvoyer les élèves ; je ne vois dans cette condition rien qui puisse donner le
moindre ombrage. Je dirai même qu'elle me paraît raisonnable et dans l'intérêt
de l’établissement : en effet, si le directeur et principal d'un collège
destiné aux élèves internes n'a pas la surveillance et le droit d’expulser les
jeunes gens dangereux à la bonne discipline de la maison, l’expérience prouve
que ce défaut d’autorité a fait perdre à des établissements de cette espèce la
confiance des parents.
Messieurs, les débats qui nous
occupent depuis deux jours, ont au moins cet avantage que
M. Liedts. - Je déplore profondément de voir la tournure que
la discussion a prise dans cette circonstance ; d’une question de chiffres, plusieurs
orateurs de part et d’autre ont fait une question de principes, et je dirai
presque d'opinions religieuses. A entendre les uns, ceux qui votent avec la
section centrale sont des destructeurs de l’instruction publique ; si vous en
croyez les autres, en votant contre les conclusions de la section centrale vous
sanctionnez le monopole de l’instruction publique dans les mains des ministres
; selon les uns, vous êtes ennemi des lumières, un homme rétrograde si vous
n’accordez aucune majoration de crédit ; selon les autres, vous minez la
liberté d’enseignement si vous votez cette majoration : d’après les uns, vous
reniez les principes du libéralisme si vous ne votez pas comme eux ; d’après
les autres, vous êtes un anticatholique si vous votez contre eux : les uns ne
voient dans cette discussion que moines et jésuites ; les autres n’y voient que
monopole.
Peut-on, messieurs, dénaturer
plus étrangement la question qui nous occupe ? Et cette exagération passionnée
ne devrait-elle pas faire croire, avec l’auteur des Lettres persanes, que plus
que une assemblée est nombreuse, moins la sagesse préside à ses délibérations !
De quoi en effet s’agit-il dans cet article ? De savoir si l’athénée de Bruges
et de quelques autres villes indiquées au budget ont droit à un subside aussi
bien que les athénées des trois villes de Tournay, de Namur et de Luxembourg ?
Si les mêmes motifs invoqués par la section centrale pour ces trois dernières
villes n’existent pas pour les autres villes indiquées par le ministre, et si
la constitution et la justice distributive permettent de donner tout à l'un et
rien à l’autre, ce n’est pas moi, messieurs, qui élèverais des soupçons sur les
vues de la section centrale ; ce n’est pas moi qui ferai naître des doutes sur
la pureté des intentions de son respectable rapporteur : mais, tout en rendant
hommage à son impartialité, qu’il me permette de ne pas adopter toutes les
conséquences qu’il déduit d'un principe que j’admets avec lui.
Je suis en effet d'accord avec
lui que, depuis la révolution jusqu’à ce jour, on s'est écarté de l’esprit de
la constitution en allouant des subsides à l’instruction avant qu’une loi eût
réglé cette matière importante. « L’instruction donnée aux frais de l’Etat doit
être réglée par une loi, » dit l'art. 17 ; et sans attendre cette loi, on
établit une instruction aux frais de l’Etat. La loi doit déterminer de quelle
manière l'Etat subsidiera certains établissements d’instruction publique, et,
sans attendre cette loi, on alloue ces subsides. C’est bien là fausser l’esprit
de l’art. 17.
Et qu’on n’objecte pas que
l’art. 17 ne défend pas de venir au secours de certains établissements en
attendant la loi sur l’instruction publique ; car c’est évidemment éluder la
loi.
La constitution veut qu’aucune
pension ne soit accordée à un fonctionnaire qu’en vertu de la loi. Que
diriez-vous d'un ministre qui soutiendrait que jusqu'à ce que cette loi soit
faite, rien n'empêche de lui allouer une somme annuelle, non pas à titre de
pension, la constitution s’y opposant, mais à titre de secours ? Ne serait-ce
pas là éluder l’esprit de la loi à l'aide des termes dont on se servirait ?
J'espère, messieurs, avoir
fait une concession assez large en avouant avec la section centrale qu’on viole
l’esprit de la constitution, en allouant des subsides à l'instruction publique
avant que la loi sur cette matière ait été portée.
Mais, tout en reconnaissant
ces prémisses, je ne suis plus d’accord avec la section centrale sur les
conséquences qu’elle en tire ; en effet, messieurs, la section centrale conclut-elle
de ces prémisses que, jusqu’à ce que la loi sur l’instruction publique soit
faite, il ne faut accorder de subside à aucun établissement public ? Point du
tout ; elle n’a garde de le faire, et elle en conclut qu’il ne faut allouer de
secours qu’aux athénées de Tournay, Namur et Luxembourg, de sorte que tout son
rapport formulé en syllogisme revient à dire :
« La constitution ne
permet pas, en attendant la loi sur l’instruction publique, d’allouer un
subside quelconque aux collèges. »
Donc, en attendant cette loi,
on ne peut allouer des subsides qu’à Tournay, Namur et Luxembourg.
Je le demande à tout homme
chez qui la passion n’a pas obscurci les lumières de la raison, la saine
logique permet-elle cette conséquence, et ne faut-il pas au contraire de toute
nécessité, ou bien rejeter, sans aucune exception, tout subside demandé pour
l’instruction publique, même en y comprenant les universités ou bien, si on
recule comme moi devant cette proposition, si l’intérêt qu’on porte à
l’enseignement public fait fléchir la rigidité de l’esprit de la loi, accorder
des secours à tous les collèges et athénées pour lesquels les mêmes motifs se
présentent ?
Mais, dit la section centrale,
d’après un arrêté de Guillaume de 1816, Tournay, Namur et Luxembourg avaient
droit à un subside annuel, et un semblable arrêté n’existe pas pour les autres
collèges. Il faut donc respecter cet arrêté. Mais c’est là une erreur évidente
: cet arrêté n’existe plus ; l’article 138 de la constitution abroge toutes les
lois et tous les arrêtés qui y sont contraires. Or, la section centrale ne
soutiendra pas, je pense, que l’arrêté de 1816 qu’elle invoque soit conciliable
avec l’interprétation qu’elle donne à l’art. 17 de la constitution. Cet
article, en effet, est évidemment inconciliable avec tout arrêté qui accorde
des subsides avant qu’une loi ait réglé l’instruction publique.
Qu’on
n’invoque donc pas un arrêté qui est abrogé, pour soutenir que les athénées de
Tournay, de Namur et du Luxembourg se trouvent dans un cas exceptionnel ; et
dès lors j’en reviens à cette alternative dont je défie de sortir : ou vous
devez refuser tout subside, même aux universités, même aux athénées de Tournay,
de Namur et de Luxembourg, ou vous devez accorder des subsides à tous les
collèges qui se trouvent dans le même besoin. C’est ce dernier parti que je
prendrai. Député de
M.
Seron. - Messieurs, après ce qui a été dit, il est nécessaire poser nettement la
question. Je le ferai en peu de mots, et, s’il plaît à Dieu, sans scandale Nos
adversaires trouvent l’instruction florissante et beaucoup plus florissante
qu’elle ne l’était avait la révolution. « Voyez, disent-ils, combien
aujourd’hui de nouvelles écoles primaires combien de nouveaux collèges ! quelle
augmentation dans le nombre des élèves ! qu’avez-vous à répondre à nos
chiffres. Voilà les effets salutaires de la liberté de l’enseignement.
Dites-nous, s’il vous plaît, pourquoi la nation paierait complaisamment des
instituteurs, des professeurs, quand il en est tant qui exercent sans lui
coûter un centime, quand ils foisonnent sur tous les points du royaume. »
Nous sommes loin de supposer
de l’exagération dans le tableau mis sous nos yeux ; nous le croyons au
contraire incomplet. Cela n’a rien d’étonnant : tout le monde aujourd’hui à la
démangeaison d’enseigner. Il est telle commune dont la population ne va pas à
300 habitants et où l’on compte pourtant 3 instituteurs. On assure même qu’à
portée de Bruxelles deux honnêtes forçats libérés et probablement amendés
viennent d’ouvrir des écoles. Mais, messieurs, il n’en existe pas moins, entre
nos adversaires et nous, une petite difficulté : c’est que nous n’entendons pas
l’instruction comme ils l’entendent ; que leurs chiffres ne sont pour nous
d’aucune valeur ; qu’en un mot, suivant nous, plus il y aura d’établissement
d’enseignement de la nature de ceux dont ils nous parlent, moins il aura de
bonne, de véritable instruction dans le peuple. En effet les nouveaux collèges
qui s’élèvent à côté des anciens pour les verser (et ils n’y réussissent que
trop) ne sont autre chose que des démembrements de Saint-Acheul. Or, on doit
nécessairement y enseigner la doctrine du droit divin et les principes de
l’encyclique du pape Grégoire XVI, en date du 6 septembre 1832, que sans doute
vous avez tous lue. Ce n’est donc pas là que les enfants de la patrie
apprendront à aimer votre révolution, votre constitution et vos lois
organiques. Mais c’est là que seront condamnées comme absurdes funestes, dignes
de l’horreur, hérétiques peut-être et mal sonnantes, les maximes de la liberté
de conscience, de la liberté des cultes, de la liberté de la presse, et le
dogme de la souveraineté du peuple, et tout ce que les révolutions, dont nous
avons été témoins, ont produit d’utile, de favorable à l’amélioration de
l’espèce humaine et à son bonheur. C’est là que sera ressuscitée cette maxime
bien différente de la cour de Rome, qu’il vaut mieux détruire mille bons livres
que d’en conserver un mauvais. C’est là que seront mis à l’index, non seulement
les philosophes, mais encore les publications et jusqu’à votre constitution, et
de même, à quelques articles près. Et qu’y substituera-t-on ? Des ouvrages
tendant à faire revivre les vieux préjugés, où l’histoire est dénaturée et
tronquée, où des pédants inconnus, des écrivains fanatiques et méprisables sont
donnés comme modèles, placés beaucoup au-dessus des grands génies qui ont
illustré le dix-huitième siècle, et ceux-ci traités de pitoyables écrivains,
leurs ouvrages déclarés dangereux et leurs principes damnables ; le tout pour
la plus grande gloire de Dieu.
Avec de semblables
instituteurs,
Mais dit-on, avec la libre
concurrence que vous manquera-t-il ? Vous aurez des établissements en tout
genre et pour tous les goûts, et vous pourrez choisir. Oui, messieurs, avec la
libre concurrence. Mais peut-elle exister en faveur des professeurs laïques
luttant contre des professeurs ecclésiastiques ? Non, car ces derniers, et l’on
sait pourquoi et comment, ont une influence et des moyens de propagation
uniques, exclusifs, qui leur assureront toujours le monopole de l’enseignement,
si vous n’y mettez obstacle par une instruction nationale.
On cite Mirabeau. Il voulait,
je l’ai déjà dit dans une autre occasion, que chacun pût enseigner ce qu’il
sait et même ce qu’il ne sait pas. Mais Mirabeau n’a pu songer aux jésuites ;
il n’en existait plus lorsqu’il écrivit le discours dont on nous a parlé, et
personne alors ne songeait à leur résurrection.
On a comparé
On a aussi comparé les
instituteurs aux marchands de vin. On a dit ; si le vin est bon le public
l’achètera, s’il ne vaut rien le public le laissera. Mais, messieurs,
comparaison n’est pas raison ; mais le peuple capable d’apprécier la qualité
des marchandises qu’il consomme est souvent très ignorant en matière
d’instruction. Il est des instituteurs qui, pour son argent, lui donneraient de
la viande creuse et même du poison, et tels sont ceux qui appartiennent au
parti de l’obscurantisme.
Ce que veulent donc ces
derniers c’est une instruction propre à tenir le peuple dans l’ignorance de ses
droits et de ses véritables intérêts, afin de le mener plus facilement, de
l’exploiter mieux, de pressurer, de ramener, en un mot, le bon vieux temps. Ce
que leurs dupes croient sérieusement, c’est que les lumières répandues dans les
masses seraient un grand malheur pour la société ; car, disent-ils, les masses,
une fois éclairées, ne voudraient plus ni travailler ni obéir aux lois. Pour
nous qui sommes du parti de la nation, ce que nous voulons sincèrement c’est
que le peuple s’instruise pour n’être plus la dupe des charlatans ; ce que nous
croyons fermement c’est que plus il sera instruit, plus il aimera l’ordre et
les lois, plus il sera laborieux, plus il sera vertueux, plus il sentira sa
dignité. Ce dont nous ne pouvons douter c’est que supprimer l’instruction aux
frais de l’Etat c’est créer le monopole de l’enseignement, c’est tuer
l’enseignement. Nous la voulons donc cette instruction nationale, et nous
voterons des subsides pour la maintenir et l’étendre.
Nous ne serons pas arrêtés par
l’allégation que le peuple a appelé de ses vœux la liberté de l’enseignement,
et que c’est en partie pour l’obtenir qu’il s’est insurgé, car cette allégation
n’a aucun fondement réel. Non, le peuple ne s’est pas levé pour faire venir ici
les pères de la foi et les frères ignorantins ; il s’est levé uniquement pour
détruire un odieux système d’impôts. Le temps n’est plus où l’on mettait les
masses en mouvement pour des questions auxquelles elles n’entendent rien.
Au reste, messieurs, il n’est
pas de moyens que n’emploie le parti dont j’ai parlé pour rendre odieux ceux
qui le dévoilent ou l’entravent et pour faire prendre le change sur leurs
intentions. Un journal, son organe, prétend que, dans mes observations sur le
budget de l’intérieur, j’ai attaqué les catholiques. Ainsi, à l’en croire, moi
mandataire du peuple, je me serais pris au peuple
lui-même, à la nation entière, puisque la nation se compose, en presque
totalité, de catholiques ! Comment ne m’a-t-il pas, avec la même bonne foi, la
même charité, accusé d’outrages envers la religion et fait de sa cause mondaine
la cause du ciel même ! Le fait est que je n’ai pas dit un mot des catholiques.
L’idée, d’ailleurs, ne m’est jamais venue, en ma vie, de fronder les opinions
religieuses de qui que ce fût ; je les respecte toutes et laisse à cet égard
tout le monde en paix. J’honore profondément et j’honorerai toujours les vrais
ministres du culte, les hommes de paix qui se renferment sagement dans le
cercle de leurs devoirs. Dieu me garde de es confondre jamais avec des
ambitieux, des intrigants, des hypocrites n’ayant de la religion que le masque
et qui crie à l’impiété, à l’athéisme quand on essaie de le leur arracher.
Je ne prendrai pas d’ailleurs
pour moi le reproche d’avoir attaqué la morale chrétienne et d’avoir travesti
les amis de cette morale en partisans de l’obscurantisme ; car je n’ai jamais
cru, je n’ai jamais dit que les partisans de l’obscurantisme fussent les amis
de la morale chrétienne ; car je pratique autant qu’il est en moi ce précepte
dans lequel elle est renfermée tout entière : « Ne fais à autrui que ce
que tu voudrais qu’il te fût fait. »
Je finis. Après avoir entendu
l’honorable M. Dumortier et ses honorables amis et tous nos honorables
adversaires, je demeure plus que jamais convaincu de la nécessité de voter les
sommes proposées par le gouvernement pour l’enseignement et le soutien de
l’instruction nationale.
M. Jullien. - Messieurs, plus nous avançons dans
cette discussion et plus il me semble que la mêlée augmente. En effet, la
discussion avait signalé dans la chambre deux divisions ; mais, à la fin de la
séance d’hier, vous avez vu l’honorable M. Lebeau se poser fièrement entre les
deux camps et y planter sa bannière avec cette devise : « Le juste
milieu. » (On rit.) De sorte
que, pour peu qu’il y eût des déserteurs attirés par le juste milieu, on aurait
une troisième division au lieu de deux.
Mais j’efface d’un trait
toutes ces divisions ; c’est à la chambre entière que j’entends parler,
heureux, messieurs, si des paroles de bonne foi peuvent ramener, toutes les
opinions sur la question qui nous divise !
J’ai demandé la parole
principalement pour répondre à M. l’abbé de Foere, parce que c’est lui qui a
placé la question sur un terrain tout à fait nouveau et sur lequel j’ai besoin
de le suivre.
En débutant, il n’a pas voulu
laisser ignorer à la chambre qu’une femme célèbre assistait à nos débats ; il a
cité lady Morgan, et il en a pris occasion de dire que nos déclamations,
c’est-à-dire, les miennes et celles de mes honorables amis, étaient tout au
plus dignes de figurer dans les écrits de cette dame.
Messieurs, pour adoucir ce que
cette boutade de l’honorable abbé pourrait avoir de désobligeant pour
l’illustre étrangère, je déclare que, quant à moi, je la prends pour un
compliment ; et s’il plaît à lady Morgan d’annoter cette séance sur ses
tablettes, je tiens à honneur d’y avoir une petite place et j’en souhaite aussi
une à l’abbé. (Hilarité.)
Je viens à la question, elle
est sérieuse. Nous étions tous d’accord que, d’après l’art. 17 de la
constitution, la liberté de l’enseignement existait pour tout le monde, et par
conséquent pour le clergé. Et quoi qu’il soit impossible de se dissimuler tout
le désavantage que les particuliers auraient à lutter avec lui, cependant nous
n’avons pas reculé devant le principe.
Mais, nous nous sommes appuyés
sur ce correctif que le gouvernement avait droit de donner une instruction
publique aux frais de l’Etat ; là nous trouvions le moyen d’arrêter les
conséquences funestes de la liberté illimitée posée dans l’art. 17.
Il paraît maintenant,
messieurs, que l’on voudrait amener la chambre à cette opinion qu’il ne faut
pas que le gouvernement puisse avoir aucune espèce d’influence sur
l’instruction publique. Déjà, on est à vous dire que la première partie de
l’art. 17 absorbe la dernière ; que cette dernière partie n’est qu’une espèce
de vœu mis dans la constitution. Il en résulte qu’en suivant cette
interprétation, on veut de toute nécessité se dégager de la surveillance et de
l’influence du gouvernement, pour livrer l’éducation publique à la simple
concurrence, c’est-à-dire, en d’autres termes au monopole.
L’honorable abbé a cité
l’Angleterre ; mais il n’est pas toujours heureux dans ses citations.
L’Angleterre, le pays le plus civilise de la terre, a-t-il dit, doit nous
servir d’exemple. Là, l’éducation y est abandonné à elle-même. Il a cité les universités
d’Oxford et de Cambridge, qui vivent de leurs propres ressources. Je ferai
d’abord observer que les universités en Angleterre ont été créées par suite de
fondations publiques ou privées ; que par ces fondations elles sont
perpétuelles ; que par conséquent elles ne sont pas soumises aux chances de
l’industrie et du commerce auxquelles on voudrait livrer l’éducation chez nous.
Je ferai observer ensuite
qu’il s’en faut de beaucoup que ce système d’instruction ait l’approbation de
tous les bons esprits en Angleterre. Il y a dans ce pays encore beaucoup de
rouille attachée à ses vieilles institutions.
Quoi qu’il en soit, je vais
citer sur l’éducation un ouvrage très estimé, qui vous prouvera qu’en
Angleterre on n’est pas du tout d’accord sur l’excellence du système
d’instruction, et qu’on le considère au contraire comme très défectueux,
(L’orateur lit quelques
extraits de
« Mais, quelque
respectables que soient en général les membres du clergé anglais, il n’en est
pas moins très nécessaire de leur ôter la direction exclusive de l’instruction
publique. Tant qu’elle sera dans leurs mains, il nous sera impossible de sortir
des vieilles ornières dans lesquelles nous sommes si malheureusement engagés
depuis des siècles.
« Les hommes n’enseignent
que ce qu’ils savent. Et, en effet, comment pourraient-ils faire autrement ? Il
en résulte que le système, et ceux qui l’exploitent à leur profit, sont réunis
par des liens indissolubles.
« Le système ne peut pas
être modifié puisque les hommes qu’il fait vivre ne connaissent que les langues
anciennes, et ne sauraient, par conséquent, montrer autre chose. »
Voila, messieurs, ce qu’on pense
en Angleterre du système d’éducation qui y est suivi ; et remarquez qu’il n’est
pas abandonné précisément au monopole, mais à d’anciennes institutions qui ont
présente des garanties et qui ont été établies sur des bases de durée et de
perpétuité. Cela, je crois, répond suffisamment aux citations de l’abbé sur
l’Angleterre.
Il a ensuite cité Mirabeau. il
est vraiment étonnant que dans une assemblée délibérante, au dix-neuvième
siècle, on vienne citer Mirabeau pour appuyer des doctrines semblables à celle
qu’a défendue l'honorable membre. En prenant dans Mirabeau des passages isolés,
on peut en tirer des conséquences absolues ; mais lorsque l'on consulte
l'ouvrage même dans lequel l'honorable abbé a puisé, on verra que Mirabeau
pense précisément le contraire de ce qu’il lui a faut dire et qu'il indique à
l’assemblée constituante un tout autre système. Permettez-moi, messieurs, de
vous citer à mon tour quelques passages du discours de cet orateur célèbre.
M. de Theux. - Je ferai remarquer qu’il est contraire
à nos usages de lire des extraits d'ouvrages.
M. Jullien. - J’ai cru que je pouvais bien opposer
des citations à celles faites par l’honorable abbé de Foere. Si je les avais
copiées comme lui, j’aurais pu les lire comme faisant partie de mon discours.
Vous voudrez bien, messieurs, m’accorder la même faveur qu’à l’honorable abbé,
a moins qu’il n’y ait dans cette enceinte deux poids et deux mesures.
Du reste, je promets d’abréger
les citations, et de les réduire à quelques lignes. Ecoutez Mirabeau, messieurs
; ces quelques lignes vaudront peut-être mieux que tout ce que bien d'autres et
moi-même pourrions vous dire. (On rit.)
(L’orateur lit :) « Dans
le circonstances actuelles, si l’éducation n’était pas dirigée d’après des vues
nationales, il en résulterait plusieurs inconvénients graves et menaçants pour
la liberté. L'espoir de la patrie réside surtout dans la génération qui
s'élève, et l'esprit de cette génération ne peut être regardé comme indépendant
des maîtres qui l’instruisent, ou des écrivains qui vont s'emparer de leurs
premières opinions. Ces écrivains et ces maîtres ne doivent jamais pouvoir se
trouver en opposition avec la morale publique. En conséquence il convient
(écoutez !) que la volonté toute puissante de la nation les enchaîne à ses
plans, leur indique son but et forme partout des centres, soit par les
académies, soit par les écoles, d’où les lumières iront se répandre au loin.
D’ailleurs, il y a des études ainsi que des professeurs qu’il est du devoir des
magistrats d’inspecter soigneusement, et d’encourager d’une manière spéciale ;
ces études seules exigeraient des établissements publics. »
J’abrège pour ne pas mettre à
l'épreuve la patience de plusieurs membres à qui ces passages ne plaisent
peut-être guère. Je dirai seulement que Mirabeau a présenté un projet de loi
tout à fait conforme à ce que vous venez d'entendre. Ainsi vous le voyez,
messieurs, il n'est pas très prudent d’isoler les parties d'un discours et d'en
tirer des conséquences qui peuvent facilement être détruites le lendemain. Si
j’avais dû répondre immédiatement,
j’aurais certainement été embarrassé ; mais j’ai eu le temps des recherches et
de la réflexion, et je vous fais profiter des fruits que j’en ai retirés.
L’honorable abbé a déclaré
avec une charité évangélique qu'il se chargeait des péchés de la section
centrale. Cela signifie-t il qu’à ses yeux la section centrale avait péché ? On
le dirait ; mais comme il n’est pas ici, je ne me permet pas d’interpréter ses
intentions, et j’aime mieux croire que dans sa pensée il était aussi disposé à
absoudre la section centrale qu’à prendre sur lui ses péchés. (Nouvelle hilarité.)
On a accepte pour vrai le fait
que j’ai cité relativement à ce qui s’était passé entre la régence de Bruges et
Mgr. l’évêque de Gand. Ici, ce n’est pas seulement à M. de Foere, mais à M. Helias d'Huddeghem que je
réponds. D’un autre côté, on a trouvé la conduite de Mgr. l’évêque très
franche, très loyale, et de l’autre, on l’a trouvée très juste. Je ne me suis
pas expliqué à cet égard ; mais, en admettant cette loyauté, n’admettra-t-on
pas aussi avec moi qu’il y a eu peu de charité chrétienne à refuser à un
établissement public, malgré le vœu d'une ville entière, l’assistance de la
religion, assistance qui est demandée dans l’intérêt du pays et de la religion
elle-même, surtout quand le refus est fait dans la vue d’un intérêt personnel,
et pour faire tomber l’établissement au profit d’un séminaire voisin ? Je livre
ces observations à votre conscience.
La presse, dit-on, remédiera
au mal que vous craignez. Mais quand on aura détruit la liberté de
l'enseignement, ce sera le tour de la presse. Or il est impossible que la
liberté de l’enseignement existe, si l’on ne met pas en pratique l’art. 17 de
la constitution dans toutes ses parties ; c’est-à-dire, si le gouvernement n’a
pas le droit de former des établissements d’instruction aux frais de l'Etat.
En définitive, messieurs, vous
voulez comme nous la liberté de l’enseignement ; il faut donc éviter tout ce
qui peut conduire au monopole, et s'il était vrai qu’en abusant de cette
liberté elle-même on pourrait arriver à ce but, il faudrait la restreindre pour
ne pas tuer le principe : avec un peu de droiture dans les idées, il faut bien
admettre ce raisonnement.
Or, dans les circonstances où
nous nous trouvons, d’après les idées qui nous dominent, est-il possible à de
simples particuliers de soutenir la concurrence avec le clergé ? La première
loi du combat, c’est l'égalité des armes ; il me semble voir descendre dans
l'arène un athlète cuirassé et armé de toutes pièces appelant au combat un
homme nu et désarmé.
Les particuliers
n’auraient-ils pas le droit de dire : Donnez-nous le confessionnal et la
chaire, et nous pourrons alors nous mesurer avec vous ? Aussi longtemps qu'il
n'en sera pas ainsi, la concurrence n'est qu'une amère dérision.
Maintenant je répondrai
seulement quelques mots à l’honorable M. Dubus. Il s’est attaché à justifier
les intentions de la section centrale. Quant à moi, je déclare que je n'ai
jamais attaqué les intentions mais les conséquences ; et quand j'ai vu qu'elle
demandait la suppression de l'administrateur et de l'administration spéciale de
l'instruction publique, quand j’ai vu sa proposition relativement à l'athénée
de Bruxelles et aux autres, j'ai envisagé comme conséquence nécessaire la chute
de ces établissements. On a répondu entre autres choses que c'était une
question de budget de la ville de Bruxelles avec le budget de l'Etat. Je prie
l'honorable bourgmestre de Bruxelles de faire bien attention à ceci. Ainsi,
maintenant la question est de savoir si la ville de Bruxelles est en état de
faire face à ces dépenses : si son budget est obéré, bien certainement il
fallait maintenir le subside ; mais ce n’était pas une raison, en attendant une
loi organisatrice, de désorganiser ce qui existait.
On a craint que les communes,
en recevant des subsides du gouvernement, n’aliénassent leur indépendance ;
mais on a déjà réfuté cette assertion à satiété, et je ne m’y appesantirai pas
davantage.
Je ne dirai que deux mots à
l’honorable M. Doignon, attendu que de ce côté il m’a semblé que le feu a été
entièrement dirigé sur le ministère qui pourra répondre pour lui. Cet honorable
député a manifesté la crainte que les établissements publics ne reçussent une
éducation ministérielle. J’avoue, pour ma part, que je ne sais pas ce que c'est
qu’une éducation ministérielle. Si cette éducation était donné d’après le
système des différents ministres qui se succèdent aux affaires, ce serait
certes une éducation très variée. (On rit.)
Mais elle ne serait pas très solide.
Sous ce
rapport je n’ai pas compris l’honorable membre. Mais il a accusé le ministère
de vouloir asservir à ses volontés les établissements d’instruction auxquels il
accordait des subsides. Eh bien ! comme membre de la régence de Bruges qui a
reçu des subsides, j’atteste qu’il n’a été imposé à cette régence d’autre
condition que celle de donner une quittance. A la vérité, un inspecteur
d'études est venu visiter l’athénée, mais sa visite était toute de
bienveillance et de conseil, et dans l’intérêt des études ; et chaque fois que
cet honorable fonctionnaire reviendra, nous l’accueillerons avec plaisir.
Je finirai ces observations
déjà trop longues, en proposant comme l’honorable abbé de Foere une
conciliation pacifique ; c’est tout uniment de rester dans la constitution :
ainsi liberté pleine et entière dans l’enseignement, libre concurrence pour
tout le monde, mais à condition qu’on reconnaisse au gouvernement le pouvoir,
et même l’obligation, de donner une instruction publique à ses frais. En
attendant qu’on fasse une loi, maintenons ce qui est comme une chose sacrée ;
ne démolissons pas avant d’avoir édifié. Le temps pour faire une bonne loi sur
l’instruction publique n’est pas venu. J’accorderai tons les subsides demandés.
M. Rouppe. - Messieurs, les subsides proposés pour
l’athénée sont indispensables pour le soutien de cet établissement ; il en est
de même des autres établissements scientifiques établis à Bruxelles, et
auxquels il est accordé un subside. Aucune ville de
Le refus de
subside entraînerait la suppression, à l'athénée de Bruxelles, des chaires de
langue française, d’histoire générale, de mathématiques supérieures, de
mathématiques inférieures, de mécanique industrielle, d’histoire naturelle, de
langue anglaise, de langue allemande, de tenue de livres de commerce, de
dessin, de dessin linéaire, d'écriture, de grammaire générale, de chant et de
musique.
Je prie et j’ai l’honneur
d’engager la chambre à voter les subsides proposés par M. le ministre de
l’intérieur en faveur de la ville de Bruxelles.
M. Dubus, rapporteur. - Je crois que l’honorable préopinant a
parlé dans une préoccupation qui s’écarte de la vérité. Il a supposé que la
section centrale avait, dans ses conclusions, demandé que l’on retirât pour
1833 le subside de l'athénée de Bruxelles. Mais il n'en est pas ainsi. Elle a
proposé de continuer le subside accordé en 1832, qui était de 12,000 fl., ce
qui fait à peu près 26,000 fr. J’ai dit, du reste, que la question des subsides
ne devait nous occuper qu’en 1834.
M. Ernst. - Messieurs, un ministre a témoigné son étonnement de ce que des débats
aussi vifs eussent lieu sur des faits qui s’étaient déjà présentés
antérieurement ; mais un peu de réflexion lui aurait donné la réponse à cette
question. N’est-ce pas la première fois qu’on a déclaré que les secours
accordés aux athénées et collèges cesseraient l’année suivante ? N’est-ce pas
la première fois qu’on a menacé la plupart des établissements d’instruction
dans
Dès que le rapport a été
publié, la crainte a été générale dans le pays ; la presse a pris la défense
des droits de l’instruction publique ; ses réclamations ont eu des
retentissements à la tribune. Il n’y a rien là qui dût surprendre l’honorable
rapporteur de la section centrale ; ce n’est pas la première fois que cela
arrive, et j’espère que cela arrivera aussi souvent qu’il s’agira de l’intérêt
du pays et de la liberté. Mais si cet honorable député a entendu la chose
autrement quand ils parlé de l’écho de la presse dans cette enceinte, il a été
injuste à notre égard.
Quant à la menace de retirer
les subsides pour 1834, c’est un fait sur lequel le rapport ne laisse aucun
doute. Ce n’est pas au rapporteur qu’on en veut, a-t-on dit. Non certes
personne ne conteste le talent de cet honorable représentant ; tout le monde
rend hommage à son caractère. Mais c’est à son système que je me suis attaqué
franchement, aux principes qui sont posés dans son rapport.
On en veut, a-t-on ajouté, à
la liberté de l’enseignement ; on veut faire de l’instruction publique une
puissance qui opprime cette liberté ; je demanderai à mon tour s'il y a de la
loyauté à nous faire ce reproche, lorsque nous avons soutenu que le principe de
la liberté de l’enseignement et le principe de l’instruction publique organisée
par l'Etat devaient marcher parallèlement et être indépendants l’un de l’autre,
lorsque nous avons fait le vœu qu'ils fussent tous deux exécutés franchement.
On nous a prêté, dit-on encore,
un esprit destructeur, tandis que nous avons été animés par un esprit
conservateur. Ah ! messieurs, je le voudrais ; cette discussion envenimée
n’aurait pas eu lieu.
Nous n’avons eu d’autre
intention que de forcer le gouvernement à présenter une loi au plus vite. Si
cela était possible j'adopterais volontiers cette explication. Mais l’honorable
rapporteur sait bien qu’il est de toute impossibilité qu’une loi soit discutée
avant 1834, et c’est cependant pour 1834 qu'on veut retirer les subsides. Ainsi,
avant la confection de la loi, les collèges tomberont ! Sont-ce là des vues
conservatrices ?
Le rapport laisse du doute, au
moins, sur un point important ; on pouvait croire qu’on ne contestait pas au
gouvernement le droit de réclamer une éducation nationale ; que le principe des
subsides n’était mis en question que parce qu’il n'était pas sanctionné par la
législature, et qu’on les laisserait passer dans une loi. Eh bien ! toute la
discussion ne prouve-t-elle pas le contraire ? Nos appréhensions n’étaient que
trop fondées. Les idées qu’on avait glissées dans le rapport ont reçu leurs
développements à la tribune.
Pour repousser cette
prétention de faire cesser les subsides en 1834, j’avais opposé le rapport de
cette année avec le rapport de l’année précédente. On m’a répondu que j’aurais
dû tourner le feuillet : ce feuillet avait été tourné, mais il n’y a pas moins
la contradiction manifeste. Voici en quoi elle consiste : l’année dernière on a
posé en principe que les subsides devaient être continués jusqu’à la loi
nouvelle, et cette année on déclare qu’à défaut de cette loi ils ne seront plus
votés en 1834.
L'honorable rapporteur a
cherché à son tour à me mettre en contradiction avec moi-même : dans la
deuxième section, que j'avais l’honneur de présider, la suppression de
l’administration de l’instruction publique a été proposée. L’explication est
bien simple : cette proposition de la deuxième section se rattachait à un
système général tendant à supprimer les administrations dans les divers
ministères pour en faire des divisions spéciales. J’ai exposé mon opinion à cet
égard dans une autre circonstance. En disant que je ne suis pas partisan de ces
administrations, j’ai ajoute que puisqu'on conservait l’administration des
prisons et de la sûreté publique, je trouvais naturel qu’on maintînt aussi
l’administration de l’instruction publique, qui a encore plus d’importance. Il
n’y a pas la moindre inconséquence de ma part.
Pour vous montrer, messieurs,
que je ne me suis pas trompé sur la tendance du rapport, je dois entrer dans la
discussion de l'opinion émise par un honorable abbé, auquel mon honorable
collègue et ami M. Jullien a déjà fait quelques réponses.
L'honorable abbé a prétendu
que la question n'avait pas été mise sur son véritable terrain. C'est au contraire
lui qui l'a déplacée, car nous étions dans la constitution, et il en est sorti.
Nous avions fait la part de la liberté de l’enseignement et de l’instruction
publique, donnés au nom du pays, de la première comme de la seconde disposition
de l'art. 17.
Il s’est demandé s’il ne
convenait pas que l’instruction fût abandonnée à la libre concurrence.
De cette manière, il veut
sacrifier une partie du texte constitutionnel à l’autre, l’instruction
nationale à l’enseignement libre.
L'instruction publique serait
plus florissante, selon lui, si elle était entièrement abandonnée à l’industrie
privée ; j’ai prouvé le contraire dans une séance précédente : j’ai démontré
que, sans l’intervention de l’Etat, l’instruction n’aurait aucune garantie de
stabilité, d'universalité, d’harmonie. Il n’y aurait aucun moyen de la rendre
gratuite.
Que répond-on ? On dit que les
professeurs en titre ne cherchent pas à mériter l'estime publique. C'est sans
doute par ce motif qu'un honorable député a dit que les écoles publiques sont des
écoles de débauche ; qu’un autre représentant n’a pas craint de dire que les
universités sont des écoles d’athéisme et d’immoralité.
M. le ministre de la justice a
cru que je répondrais à de semblables reproches : non, je ne m’abaisserai pas à
ce point. Je suis honteux pour mon pays qu’un représentant du peuple ait
proféré de semblables paroles dans cette enceinte. (Mouvement.)
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Ernst. - L'honorable abbé de Foere a cité des faits à l'appui de son système, en
disant avec raison que les faits sont la base la plus solide de toute
argumentation. Mais quels sont ces faits ? l'état de l'instruction en
Angleterre. J'ajouterai quelques mots aux observations judicieuses de
l'honorable M. Jullien. J'ai eu récemment un entretien avec un honorable membre
du parlement anglais, qui me dit que l'une des principales plaies de
l'Angleterre c'était l'instruction publique telle qu'elle est organisée
aujourd'hui, et qu'un des premiers objets de la réforme serait celui-là ; que
les classes inférieures, surtout dans la campagne, sont dans une grande
ignorance.
L’honorable abbé a parlé aussi
de
Mais il n'est pas exact de
dire que les professeurs prives soient supérieurs aux titulaires. On sait, au
contraire, que le plus grand honneur qu'on puisse leur faire, c'est de les
appeler à des chaires publiques ; ils forment une brillante pépinière dans
laquelle on recrute le corps universitaire.
La comparaison des époques que
j'aurai eu l'honneur de mettre sous les yeux de la chambre prouvera que
l'instruction n'est pas stationnaire en France : en 1832 il y avait 4,055
écoles de plus qu'en 1829 ; 2,741 communes ont reçu des écoles en 182, qu'elles
n'avaient pas en 1829. Le nombre des élèves est augmenté, en 1832, de 231,375.
Il y a 34 écoles normales de plus.
La restauration ne donnait
annuellement que 50,000 francs pour les écoles primaires ; le ministère libéral
de 1828 en accorda 300,000. La révolution de juillet alloue un million ; ainsi,
plus en deux ans que la restauration en quinze années.
L’honorable abbé a bien mal
choisi ses exemples. J’en indiquerai d’autres à l'honorable assemblée, qui
donnent le démenti le plus formel à ses assertions et que personne ne révoquera
en doute. C'est en Prusse, en Saxe, dans quelques autres parties de l’Allemagne
et en Ecosse, que l’instruction primaire est le plus généralement répandue. En
Prusse surtout, les établissements d’instruction supérieure sont dans l’état le
plus brillant. L’instruction moyenne et l’instruction primaire y sont
florissantes ; il n’est aucune paroisse qui n’ait son école, non pas une
mauvaise école, mais une école tenue par un bon instituteur où on enseigne la
religion, une morale solide et tout ce qui constitue la véritable éducation
élémentaire. Il est encore un autre pays qui a été signalé par MM. Guizot et
Cousin comme un modèle pour l’enseignement primaire ; je devrais peut-être
m’abstenir de le citer pour ne pas exciter des murmures.
Quelques voix. - Dites-le, c’est
M. Ernst. - Eh bien ! dans ces pays, comment l’instruction est-elle organisée ?
J’en viens aux subsides
réclamés pour les collèges. C’est la question la plus importante. Les principaux
arguments que j’ai présentés dans mon premier discours demeurent debout ; on
n’a pas même essayé de les réfuter.
Deux faits ont été signalés
par M. Dellafaille comme ayant engagé la section centrale à ne pas augmenter
les subsides. C’est à ces deux faits aussi que l’honorable rapporteur s’est
principalement attaché. L’un est l'extension de la dépense qui va toujours
croissant, par suite des subsides accordés à de nouvelles écoles. Eh bien !
pourvu qu’il n’y ait pas d’inégalité dans la répartition, nous devons nous en
féliciter ; car, jusqu’à ce que nous ayons une bonne loi, c’est un bienfait
dont nous devons faire jouir toute
C’est ainsi qu’en
Dans cette circonstance encore
on me reproche de n'être pas d’accord avec ce qui a été proposé dans la
deuxième section.
Mais là a-t-on prétendu que le
principe de la surveillance par le gouvernement est contraire à la constitution
? A-t on prétendu qu’en 1834 les subsides devaient cesser s’il n’y avait pas de
loi ? Voilà les principes contre lesquels je me suis élevé. Il y avait dans la
deuxième section deux honorables membres qui se plaignaient de ce que leur
province ne recevait pas de subsides. Par ce motif, il a été constaté au
procès-verbal qu’il y avait de la partialité et de l’arbitraire dans la
répartition, pour qu’il fût satisfait à leurs justes réclamations. C’est par la
même raison que j’ai dit dans une séance précédente que le gouvernement n'a pas
d'intérêt à être injuste ; que les représentants doivent exposer la situation
des collèges dans leurs provinces, et que si elles ont des titres à un subside,
il est équitable de le leur accorder.
Mais de cette observation de
la deuxième section à la conséquence déduite par la section centrale, qu’on
retirera les subsides en 1834, et que le gouvernement n’interviendra pas dans
l’instruction publique, il y a la différence du tout au tout.
Mais le gouvernement étend
ainsi le cercle de son action avant qu’une loi ait réglé la matière, assujettit
les établissements qui reçoivent des subsides à son influence, et peut donner
aux enfants une éducation ministérielle. Ces objections ont déjà été réfutées ;
je n’ajouterai qu’un mot, c'est que le budget est une loi qui donne la sanction
aux subsides jusqu’à l’organisation définitive.
Le deuxième fait qu’on a
signalé, c’est que les institutions subsidiées ne prospèrent pas. Si cela était
prouvé, j’admettrais la conséquence qu’il ne faut plus accorder de subsides ;
mais on ne doit pas légèrement compromettre l’existence d’établissements
importants.
Il ne suffit pas de hasarder
des assertions vagues et dénuées de fondement. il faut
qu'on précise les faits, qu’on nous dise quelles sont les institutions qui
pêchent sous le rapport de instruction ou de la moralité, et nous leur
retirerons les subsides.
Il y a des établissements qui
prospèrent ; je citerai ceux de Bruxelles, de Liège, de Dinant. Si vous supprimez
en général les subsides en 1834, vous les enveloppez dans la ruine générale.
Après avoir signalé ces deux
faits, les honorables orateurs ont exposé trois motifs pour retirer les
subsides.
Le premier de ces motifs,
c’est qu’on impose au trésor une dépense qui n'est pas à sa charge. Mais
l’arrêté du gouvernement provisoire du 12 octobre 1830 n’a-t-il pas déclaré que
les subsides aux universités, athénées et collèges, et les encouragements à
l’instruction primaire, continueraient d’exister ?
Mais vous tombez dans la plus
étrange inconséquence, vous qui m’accusez de n’être pas conséquent avec
moi-même. Vous voulez bien en 1834 continuer le subside à l’athénée de
Bruxelles, si la ville en a besoin. Vous dites qu'il s'agit d une question
entre le budget de cette ville et le budget de l’Etat. Mais n’en est-il pas de
même à l'égard de Bruges et de Liège ? Quelle différence faites-vous entre
Bruxelles et les autres villes ? Dès que vous y voyez une question de
principes, elle est la même à l’égard de tous les athénées ou collèges.
Vous voulez mettre l’athénée
de Bruxelles à la place de celui du Luxembourg ; quelle loi vous y a autorisés
? Vous n’êtes donc pas arrêtés ici par le défaut d’une loi organique dont vous
vous prévalez contre nous.
L'honorable rapporteur de la
section centrale nous oppose la constitution. Suivant lui, le principe d'une
instruction publique, donnée au nom de l'Etat, n'est pas consacré d'une manière
absolue par l'article 17.
Je dirai d'abord que le sens
de cette disposition est clairement déterminé, et par l'arrêté du 12 octobre
1830, et par la manière dont elle a été exécutée.
Cet arrêté a consacré deux
principes, la liberté de l’enseignement, et l'existence d'une instruction
nationale. C'est dans cet esprit que la constitution a été faite. Depuis la
promulgation de la constitution, comment a-t-on exécuté l’art. 17 ? S’est-on
opposé aux subsides, à l’intervention du gouvernement Non, on a accordé l'un et
l'autre. Ce qui est constitutionnel en 1831, 1832 et 1833, ne le sera-t-il plus
en 1834 ?
Du reste, l’interprétation que
l’honorable rapporteur donne à l'art. 17 de la constitution, est évidemment
fausse.
Voici comme il raisonne : il
résulte bien du paragraphe de cet article que s’il y a une instruction payée
par la trésor, elle sera réglée par la loi, mais non pas qu’il y aura
nécessairement une instruction payée par le trésor.
Je répondrai d’abord que la
constitution suppose évidemment qu’il y aura une instruction donnée aux frais
de l’Etat, tout en prescrivant qu'une loi la régira.
Il importe de rappeler dans
quel but l’art.
L'art. 139 de la loi
fondamentale a fourni à l’honorable rapporteur un singulier argument contre
l’interprétation que je viens de donner.
Cette disposition énumère les
objets sur lesquels il est nécessaire que la législature statue dans le plus
bref délai. Dans le projet de l’article se trouvait comprise une loi sur
l’instruction publique ; on a effacé ce paragraphe ; on n’a donc pas voulu
décider qu’il était nécessaire de faire une loi sur l’instruction publique.
Cette conséquence n’est pas
logiquement déduite. Du retranchement de ce paragraphe il résulte seulement que
l’instruction publique n’est pas un objet sur lequel il est nécessaire de
statuer dans le plus bref délai.
Il est probable qu’on
prévoyait déjà alors que le pays devait être plus calme pour qu'on pût faire
une bonne loi sur la matière.
Un honorable député du
Limbourg a prétendu que le congrès n’avait pas entendu consacrer l’existence
d’une instruction nationale. Pour le prouver, il est remonté à la constitution
de 1791. La constitution de 1791 régla l’instruction nationale ; à cette
instruction nationale a succédé l'instruction publique qui, d’après la loi
fondamentale, était abandonnée au gouvernement sous le royaume des Pays-Bas.
Le congrès national n'a voulu
aucun de ces systèmes, c’est très vrai ; mais qu’a-t-il voulu ? Le double
système de l’enseignement libre et de l’instruction publique, donnés au nom et
aux frais de la nation.
Quant aux universités, j’ai
très peu de choses à dire. Les subsides qui sont réclamés par le gouvernement
sont justifiés.
On s’est étonné que dans la
deuxième section, à laquelle j’appartiens, on eût voté contre la majoration des
subsides. Je vais donner une explication qui certainement satisfera tout le
monde :
Dans la section que j’ai
présidée, je n’ai jamais cherché à faire prévaloir mon opinion, surtout quand
on aurait pu me supposer un intérêt personnel. J’ai vu qu’on était peu disposé
à majorer les subsides : j’aurais pu démontrer facilement que ceux de l’année
dernière n’étaient pas suffisants en ce qui concerne l’université de Liége ; il
suffit de voir l’état des bâtiments pour en avoir la preuve. Dans cette
circonstance, devais-je proposer une somme plus forte pour Liége, tandis que je
ne l’aurais pas demandée pour les universités de Louvain et Gand, à l’égard
desquelles je n’aurais pu donner les mêmes renseignements ? Non messieurs, Je
suis resté étranger à la discussion. Je n'ai pas déclaré m’abstenir, parce que
les choses se passent avec moins de formes dans les sections qu’à la chambre.
Le trafic de diplômes est un
fait honteux ; il est signalé à la tribune ; M. le ministre de l’intérieur ne
peut s’empêcher d’en rechercher les auteurs et de mettre un terme à ces abus
scandaleux. Toutefois, l'honorable député aurait dû nous dire par qui ces diplômes
sont signés, de quelle université ils viennent. Des dénonciations vagues font
planer des soupçons sur des facultés qu’ils ne devraient pas atteindre.
M le ministre de l’intérieur a
donné plusieurs raisons qui expliquent la diminution du nombre des élèves dans
les universités ; j’y ajouterai celle-ci : au lieu de 12 facultés il n'y en a
plus que 8 dans les trois universités ; les étudiants qui suivent les facultés
libres ne figurent pas au nombre des élèves inscrits, de manière que dans la
réalité il peut y avoir un nombre aussi grand de jeunes gens qui suivent les
cours, mais tous ne figurent pas sur les registres des universités.
Il ne peut pas être question
de compléter les universités, lorsqu’on attend une réorganisation ; je suis
d’accord avec la section centrale qu’il ne faut nommer de nouveaux professeurs
qu’en cas de nécessité ou d’utilité évidente. Mais j’ai protesté contre la
proposition de la section centrale, qui conduirait à des conséquences absurdes,
si elle était appliquée d’une manière absolue.
Quant à l'instruction
primaire, il est singulier que le langage que j’ai tenu ait provoqué d’aussi
étranges récriminations. Je vous ai rappelé ce qui a eu lieu en France. Je vous
ai dit qu’en Belgique les associations, les particuliers et les communes
avaient aussi rivalisé de zèle, de sacrifices pour cette instruction ; mais
j’ai demandé ce que le gouvernement a fait pour étendre et améliorer
l'enseignement élémentaire.
A côté des progrès, des
conquêtes de l’enseignement libre, de l’industrie privée, j’aurais voulu voir
l’action vigilante du gouvernement.
Quelle mesure a-t-il prise
pour surveiller les instituteurs auxquels il donne des subsides, pour assurer
l’instruction gratuite aux pauvres ? A-t-il formé des écoles modèles, des
écoles normales ?
J’avais dit à cette occasion
qu’il serait injuste de ne pas reconnaître les efforts faits sous l’ancien
gouvernement pour perfectionner l’enseignement primaire : cette vérité m’a
attiré, de la part d’un représentant qui siège en face de moi, une imputation odieuse
à laquelle je ne répondrai pas.
Je citerai aussi des chiffres
à l’appui de mes assertions : au 1er janvier 1828, les écoles primaires du
Hainaut ne comptaient que 44,698 élèves ; en 1829, elles en avaient 48,519 En
1829, le gouvernement accorda 12,975 fl. pour les instituteurs primaires de
cette province.
La province de Liège a reçu du
gouvernement, en 1829, la somme de 13,155 fl. pour les instituteurs, et 8,100
fl. pour des salles d’écoles.
Je terminerai cette réplique
par les considérations suivantes :
Nous n’agitons pas ici un
point de religion ; il s’agit seulement de savoir si nous voulons que le
gouvernement accorde des subsides aux établissements qui en ont besoin, et qui
méritent d’être soutenus. A quelque nuance d’opinion religieuse ou politique
que l’on appartienne, on peut s’accorder sur le vote à donner ; c’est une
question de constitution et d’utilité qui est résolue par les précédents de la
chambre. Vous ne craindrez pas, messieurs, de faire en 1833 ce que vous avez
trouvé légal et utile en 1831 et en 1832.
Ce
n’est pas non plus une question de ministère, ce n’est pas une question de
confiance. Je dirai aujourd’hui ce que je disais lorsque nous avons discuté la
loi d’extradition, je défends ce que je crois vrai et juste avec les ministres,
comme je le défendrais contre eux ; du reste, ils n’ont pas plus ma confiance
aujourd’hui qu’ils ne l’avaient alors. Il n’y a rien de changé.
L’honorable abbé de Foere, en
voyant les efforts que nous faisons pour maintenir une instruction nationale à
côté de l’instruction libre nous a demandé si nous n’avions pas confiance dans
la liberté de la presse, dans la marche du siècle. Oh ! oui, messieurs, j’ai la
foi la plus vive dans l’avenir, dans le progrès des lumières et de la
civilisation. C’est elle qui fait toute ma consolation, lorsque je vois les
difficultés que nous avons à vaincre ; mais c’est une raison de plus pour
redoubler d’efforts. Je suis fidèle au principe : Aide-toi, Dieu t’aidera. (Très bien ! très bien !)
M. Dumortier. - Messieurs, la discussion tend à
s’éteindre ; toutefois vous me permettrez de relever quelques paroles
prononcées dans les séances précédentes. Je réclame de votre indulgence un
moment d’attention ; il ne peut m’être interdit de me justifier des reproches
qui m’ont été faits, et entre autres de celui d’avoir provoqué les attaques
mutuelles auxquelles chacune des parties de cette chambre est en butte depuis
deux jours.
Cette dernière allégation, je
la repousse : tout le monde le sait, dans la séance où cette discussion à
commencé, pas plus que dans celle du 11 de ce mois, je n’ai fait que répondre à
des accusations vives, violentes même, dirigées contre la section centrale. L’amitié
profonde que je professe pour son honorable rapporteur suffit encore, à défaut
d’autres motifs, pour me porter à prendre la parole. Je repousse encore de
toutes mes forces l’accusation d’avoir voulu séparer la chambre en deux camps.
Si quelqu’un se trouvait dans le cas de légitime défense, c’est bien moi. Car
enfin, qu’on nous le dise, d’où sont venues les attaques ? Est-ce nous qui
avons pris la parole pour taxer nos collègues d’esprit de désorganisation et
d’amour de ruines ? Non, messieurs, de pareilles expressions, nous ne nous les
sommes jamais permises ; mais il ne nous était pas défendu d’y répondre quand
elles nous étaient appliquées.
Je ne pensais pas qu’on revînt
encore à des accusations futiles, et j’ai entendu avec étonnement qu’on
prétendît toujours que la section centrale voulait désorganiser et détruire.
C’est donner trop d’importance à des imputations si gratuites. Le rapport est
sous vos yeux ; daignez en prendre lecture, et vous direz après s’il s’agit
réellement de supprimer les subsides ; vous direz si la section centrale
n’accorde pas la même allocation que l’année dernière.
Si donc vos reproches de
vandalisme étaient justes, ils s’appliqueraient d’abord à vous qui avez voté
une pareille somme l’année dernière.
La section centrale veut une
loi sur l’instruction, et là-dessus nous sommes tous d’accord. Fallait-il donc
nous attaquer avec tant de vivacité ? ne nous avez-vous pas mis dans le droit
de légitime défense ? Nous devions proclamer les faits, et ne pas reculer
devant eux.
Je rends justice à l’honorable
préopinant. Personne plus que moi ne l’entoure de plus de respect et d’estime ;
mais lorsqu’il s’est trouvé rapporteur de la loi sur l’extradition, de cette
loi qui a été si vivement attaquée dans cette enceinte, s’est-il entendu traité
d’ennemi de la liberté ; quelqu’un a-t-il prétendu qu’il voulût livrer les
émigrés réfugiés parmi nous ? Non, messieurs, tons les orateurs ont rendu
justice aux intentions de l’honorable rapporteur. Nous étions en droit de
compter nous sur la justice et la réciprocité.
Mais cette justice. et cette
réciprocité, nous l’attendions en vain, et voilà l’origine de ces discussions
si vives et si animées que vous venez d’entendre. Des attaques virulentes ont
été dirigées contre la section centrale et son rapport, chacun de nous les
appréciera ; c’est un soin que je vous laisse. Toutefois, je vous ferai
observer que c’est toujours se créer un rôle facile que d’imaginer des
destructeurs, des Huns et des Vandales, pour venir, nouvel OEtius,
se proclamer soi défenseur et son soutien courageux.
Malgré toutes ces discussions,
nous ne formons qu’un même vœu pour le progrès de l’instruction publique : les
uns veulent ce progrès par la liberté de l’enseignement, les autres par
l’influence du pouvoir ; mais nous sentons tous que le meilleur moyen d’obtenir
d’heureux effets de notre révolution, c’est la civilisation.
Vous vous le rappelez,
messieurs, j’ai cité un grand nombre de faits, et vous avez dû remarquer qu’ils
sont demeurés sans réponse. A-t-on prouvé que nous ayons désorganisé les
universités ? A-t-on montré que ces arrêtés qui encouragent le trafic des
diplômes soient sortis de nos mains ? Nous a-t-on convaincus d’avoir supprimé
les bureaux d’instruction publique ? D’avoir refusé les subsides des communes
qui voulaient porter des fonds à leur budget pour l’instruction primaire ? Non,
mille fois non ; aucun de ces griefs n’a pu nous être imputé. Aussi, une vérité
restera, c’est que nous avons fait de grands efforts pour l’instruction
publique et qu’ils ont produit des résultats immenses.
J’ai montré toutes les phases
qu’avait subies l’instruction primaire sous l’influence du gouvernement, sous
l’influence du monopole, sous l’influence de la liberté. J’ai prouvé, documents
officiels en mains, que lorsque le monopole a succédé au régime de la
surveillance, il y a eu perte de 5,000 élèves ; j’ai prouvé que le régime de la
liberté avait augmenté d’un tiers, en trois ans, le nombre des élèves.
M. le ministre de l’intérieur
vous a fait distribuer un tableau sur l’état de l’instruction primaire à
l’époque de 1830. Je dois démontrer que ce tableau contient deux énormes
inexactitudes qui tendraient à faire déprécier l’influence positive et directe
de la liberté sur l’instruction publique.
Le nombre des écoles du
Hainaut est porté à 786. Or, j’ai là un document officiel adressé aux états du
Hainaut par le gouvernement dans la session de 1830. J’y vois figurer 581
instituteurs ; or, 581 instituteurs ne font pas même supposer 581 écoles,
puisqu’un seul instituteur dirige quelquefois deux écoles : ainsi le nombre de
786 ne peut pas être exact.
Je trouve dans ce même
document que le nombre des élèves des deux sexes est de 48,518. Or on vous
présente pour 1830, sous le régime du monopole un chiffre de 58,000 élèves ;
10,000 de plus ! Je n’examine pas quelles peuvent être les causes d’une
pareille erreur, mais elle est grave. Elle tend, je le répète, à faire
déprécier l’influence immense de la liberté sur l’instruction publique.
J’ai parlé, messieurs, d’après
des documents officiels ; si vous appliquez ce résultat aux diverses provinces,
vous verrez que la différence a pu être de 100,000 élèves.
Messieurs, ce qui dans cette
discussion, a surtout excité les récriminations, ce qui lui a donné un
caractère d’animosité, c’est la crainte qui avait été inspirée sur
l’instruction morale des élèves sous l’influence du gouvernement. L’honorable
préopinant a paru révoquer en doute les faits d’immoralité que j’ai cités. Ces
faits sont malheureusement exacts, et ne sont pas à déplorer dans un seul établissement.
Je pourrais en donner des preuves à M. Ernst, mais en particulier ; car si
n’est pas dans mes habitudes de dénoncer personne.
Ce que je désire, c’est que le
gouvernement emploie son influence pour faire cesser ce scandale. Car,
messieurs, nous n’aurons de véritable éducation nationale que quand il y aura
une éducation morale dans vos écoles. Mais jusque-là beaucoup de personnes y
verront moins des écoles nationales que des écoles de prostitution.
Dans ces débats, quelle a été
la conduite du ministère ? Il serait difficile de se l’expliquer. Le ministre
de l’intérieur a commencé par déclarer qu’il imposerait des conditions à tous
ceux qui voudraient des subsides. Dès lors, l’instruction serait sous
l’influence du gouvernement ; dès lors c’est le monopole. Le ministre de la
justice, lui, nous a beaucoup vanté son libéralisme ; il a déclaré qu’il avait
place sa bannière entre les deux camps, au juste milieu. Voilà deux
déclarations qui ne s’accordent pas.
L’un déclare qu’il veut exercer
son influence, l’autre hésite devant cette influence ; je demande que ce
ministre s’explique définitivement, pour que nous sachions à quoi nous en tenir
sur cette influence du gouvernement. Cela peut avoir une immense influence sur
nos votes et sur l’opinion qu’on se forme de la nécessité d’une loi.
M. le ministre de la justice,
en faisant l’éloge de son libéralisme, a prétendu que je l’avais attaqué. Je
m’étonne, en vérité, d’une accusation pareille. Le libéralisme pur, le vrai
libéralisme, n’a pas de plus grand partisan que moi. Mais que M. le ministre
vienne donc nous dire quels sont ceux qui veulent la liberté dans cette
circonstance. Est-ce nous ? Avons-nous assez prouvé que nous la voulions et que
nous savions en user ? Les chiffres sont là, messieurs, ils resteront.
C’est une chose étrange que
l’on se pose le défenseur de la liberté et que l’on attaque précisément ceux
qui défendent cette même liberté ! Vous nous reprochez d’être divisés ! Mais
d’où est venue la division ? Ce n’est pas de moi, assurément ; ce n’est pas de
la chambre ; c’est de vous, lorsque vous avez déclaré que vous placiez votre
bannière entre les deux camps. C’est en vous plaçant entre nous et vous que
vous nous avez divisés ; vous n’avez pas d’amis dans cette enceinte, vous êtes
seuls, et votre maxime à vous aussi, c’est qu’il faut diviser pour régner.
Mais vos efforts seront
infructueux, la chambre ne se séparera pas en deux camps, nous resterons unis,
et cette discussion n’aura pas le résultat funeste qu’on lui a prédit ; elle
sera, je le pense, infiniment utile pour la bonne harmonie de tous les membres,
elle réunira tous les hommes de bonne foi, et c’est l’immense majorité dans
cette enceinte.
Tous ceux qui professent le
véritable libéralisme voudront avec nous qu’on fasse cesser le honteux trafic
des diplômes, blâmeront avec nous, la suppression des bureaux, des athénées et
des collèges ; ses vrais libéraux nous tendront la main pour repousser les
propositions tendant à nous humilier devant l’étranger, pour encourager les essais
de la libre concurrence et seconder les progrès de la civilisation. (Marques d’adhésion.)
Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) - Je demande la parole. (Aux voix ! Aux voix !)
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Nous avons été personnellement
attaqués. (Aux voix ! aux voix !) Si
la chambre veut clôturer la discussion, je renoncerai à la parole. D’ailleurs
nous sommes habitués aux attaques de l’honorable membre et la chambre sait bien
quelle valeur il faut leur donner.
M. Dumortier. - Je m’en réfère volontiers à la chambre.
- La clôture de la discussion
est prononcée. (Marques nombreuses de
satisfaction.)
« Art. 1er. Traitement et autres frais de l’inspecteur
des athénées et collèges, et de son commis : fr. 9,704. »
La section centrale propose
8,800 fr.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) - La section centrale propose une réduction à
laquelle je pourrais me rallier en partie, mais à une condition, c’est qu’elle
porterait sur l’article entier, et non sur une des subdivisions seulement. Je
puis ne demander que 9,000 fr.
M.
Dubus, rapporteur. - Presque toutes les sections avaient demandé une légère réduction, tout
en proposant des chiffres différents. La section centrale a pris un terme moyen
qui se rapproche assez du chiffre de M. le ministre de l'intérieur ; je crois
que la section centrale ne le refuserait pas.
- Le chiffre de 9,000 fr. est
mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Frais des trois
universités : fr. 384,912 fr. 82 c. »
La section centrale propose
d’allouer 350,000 fr.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) - Je ne puis me rallier au chiffre de la section
centrale, et je dois entrer dans quelques explications qui l’amèneront, je
l’espère, à partager l’avis du gouvernement s’il est vrai, comme je le pense,
qu’elle ne veuille pas compromettre les services.
Déjà depuis 1831 les
allocations accordées au gouvernement pour cet article ont été insuffisantes ;
en 1831, l’allocation a été réduite de 30,000 fl. tout d’une fois ;
heureusement que le gouvernement a trouvé, dans la manière globale dont le
budget avait été voté, la possibilité de remédier à l’insuffisance du crédit ;
il a pu imputer sur le chapitre des cultes et de l’instruction primaire les
dépenses des universités. Depuis, la section centrale qui semble avoir eu pour
principe de n’accorder aucune majoration sur les chiffres de 1831, alors même
qu’une majoration serait démontrée nécessaire, la section centrale, dis-je,
s’en est tenue à l’allocation de 1831, ou bien a consenti une majoration
insuffisante. L’année dernière, il ne nous fut pas possible de faire face aux
besoins avec le crédit accordé ; mais nous n’avions plus la même latitude qu’en
1831, le budget avait été voté par articles. Des inconvénients graves sont
résultés de cette insuffisance. M. Ernst vous en a signalé les effets pour
l’université de Liége ; celle de Louvain, celle de Gand, ont partagé le même
sort. Partout, des abonnements à des ouvrages importants ont été suspendus, et
des collections précieuses ont ainsi perdu une partie de leur prix.
L’honorable
M. Dubus est tombé hier dans une erreur à laquelle on ne devait pas s’attendre
de la part d’un rapporteur aussi laborieux et aussi attentif : il vous a dit
que l’allocation de 1831, loin d’être insuffisante, avait présenté un excédant
de 10,000 fr. Ce que je vous ai déjà dit explique comment l’honorable membre a
été induit en erreur. Il y a eu, en 1831, deux crédits : celui du budget, et la
majoration que le ministre a dû ajouter au crédit primitif. C’est sur ces deux
crédits réunis qu’il y a en un excédant de 10,000 fr. Cet excédant se réduit
aujourd’hui à 5,000 fr., et je ne sais s’il peut encore être considéré comme un
excédant définitif.
Pour que le ministre pût se
rallier à la diminution que l’on propose, il faudrait que tous les services
mentionnés sous la lettre D restassent en souffrance. Il vous suffira de jeter
les yeux sur les détails de ces services, pour vous convaincre que le ministre
ne peut consentir une diminution sans les compromettre et manquer à ses
devoirs.
M.
Dubus, rapporteur. - La section centrale a entendu différer toutes les dépenses qui
pouvaient l’être sans inconvénients graves ; mais elle n’a pas hésité à
accorder toutes celles qui lui ont paru indispensables. Pour apprécier les
propositions du gouvernement, elle devait se reporter aux budgets des années
précédentes, car nous sommes encore aujourd’hui dans le même état provisoire,
et nous devons établir les budgets sur les mêmes principes d’économies, et dans
cette occasion, n’est-il pas évident que faire les dépenses pour trois
universités, c’eût été nous préparer peut-être le regret d’avoir inutilement
triplé les frais, puisque ces universités peuvent être réduites à une seule !
La section centrale a
considéré le crédit voté en 1831 et 1832 : on lui a présenté les comptes de
l’exercice de 1831 ; nous devions croire que les chiffres étaient véritables,
que les dépenses étaient indiquées comme elles avaient été faites, et non pour
amener un chiffre. Vous pourrez prendre vous-mêmes connaissance du compte
détaillé de ces dépenses. Nous avons vu que 10,000 fr. étaient disponibles sur
l’article dont il s’agit ; de plus, nous avons vu qu’il restait disponible sur
les indemnités des professeurs une somme de 3,056 fl.
Voilà comment ces comptes nous
ont été présentés. Et maintenant on vient nous dire que vous avez imputé la
dépense des universités sur le chapitre des cultes ; mais les renseignements que
vous nous avez donnés sont donc pour nous induire en erreur ? Voila comment on
éclaire les sections centrales ! Je suis bien aise que cette discussion ait
montré comment on traitait la représentation nationale. Elle saura désormais
que dépenses pour l’instruction publique veut dire dépenses pour le culte, et
que dépenses pour le culte veut dire dépenses pour l’instruction publique. Il
fallait cette discussion pour nous apprendre tout cela.
II reste un excédant
disponible sur le crédit spécial des universités ; mais il était plus naturel
d’imputer d’abord les dépenses sur ce chapitre avant de toucher au crédit pour
le culte. Je ne comprends rien, je l’avoue, à la manière de diriger la
comptabilité des ministres.
Le document dont je parle
était accompagné d’une lettre de M. le ministre de l’intérieur au ministre des
finances, dans laquelle il était dit : « Les imputations sur les crédits
de 1830 et 1831 ont été faites avec la même rigueur que si les articles eussent
été votés par spécialité. » Vous le voyez donc, la section centrale avait
basé sa résolution sur un document qui, à ses yeux, devait avoir au moins un
caractère de vérité.
M. le
ministre a prétendu que la section centrale était décidée à ne voter aucune
majoration, sa nécessité fût-elle démontrée. Mais il oublie que l’année
dernière elle a voté une majoration ; il y a entre le crédit de 1831 et celui
de 1832 une majoration de 127,000 fr. Si vous obtenez encore 6,000 fr., la
majoration sera en définitive de 133,217 fr.
Cependant, le ministre insiste
et prétend que les 350,000 fr. ne suffisent pas. Il veut l’allocation portée à
son budget tout entière. Mais la nécessité de cette allocation ne nous est pas
démontrée. Il suffit de prendre en considération les détails qui nous ont été
fournis. On demande 20,000 fr. pour les bibliothèques ; mais la dépense de
toute cette allocation excéderait ce qui est indispensable sans aucun doute.
S’il n’y avait pas la chance de la suppression d’une ou deux universités, je ne
ferais pas cette observation ; mais dans les circonstances où nous sommes, les
dépenses faites au-delà de ce qui est indispensable seraient dépenses inutiles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ferai observer que les majorations
faites cette année portent sur des besoins spéciaux. Elles sont pour des
nominations qui ont eu lieu avant la confection du budget.
On a argumenté d’une
irrégularité qui avait en lieu dans la comptabilité de 1831 ; mais cette
irrégularité ne fait absolument rien à la nécessité du crédit. On en demandera
raison au gouvernement lorsqu’il s’agira du règlement des comptes.
Quelle que soit votre
décision, messieurs, le gouvernement a fait son devoir en vous demandant les
sommes nécessaires.
M. Dubus a dit que c’était en
conscience que la section centrale avait proposé ses réductions ; je n’en doute
pas, mais il ne faudrait pas douter non plus de nos intentions. Je vous ai
indiqué les besoins du service, c’est à vous à décider maintenant si vous
voulez qu’ils restent encore cette année en souffrance, car c’est là toute la
question.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je proposerai une majoration de
15,000 fr. Si nous avions en Belgique une université libre, je proposerais de
majorer le crédit quand cela serait nécessaire pour mettre l’instruction à la
hauteur du siècle ; mais en attendant, je pense que nous pourrions majorer
l’allocation de la section centrale si l’année n’était pas aussi avancée. Mais
voilà neuf mois passés, et de plus, il faut tenir compte de l’état de nos
finances. L’économie est un besoin pour nous : voyez, nous avons un découvert
de 30 millions, et la conférence pourrait nous léguer encore 55 millions à
payer. Aussi, je propose à la chambre de s’en tenir au chiffre que je lui
propose.
M. d’Huart. - Je désirerais savoir d’abord si M. le ministre
se rallie à cet amendement ; je demanderai ensuite si le personnel des
professeurs porté au budget existe réellement, s’il y a des places vacantes ou
s’il s’agit de nominations nouvelles.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) - Il n’y a pas eu une seule nomination de
professeurs sous mon ministère ; il se pourrait qu’une place fût vacante, mais
je tiens jusqu’ici le personnel des professeurs comme réel.
M. Legrelle. - Je désirerais savoir si, à l’aide du nouvel amendement, le crédit
serait suffisant.
M.
Dubus, rapporteur. - Je ne m’oppose pas à l’amendement ; je crois que l’allocation sera suffisante.
(Aux voix ! aux voix !)
- Le chiffre de 380,000 fr.
est mis aux voix et rejeté à une très faible majorité.
Le chiffre de 365,000 fr.
résultant de la majoration proposée par M. A. Rodenbach, est adopté.
« Art. 3. Frais des
athénées et des collèges : fr. 111,980 fr. 49 c. »
La section centrale propose
85,322 fr. 75 c.
M. Legrelle. - S’il y a majoration, je propose d’accorder 12,000 fr. à la ville
d’Anvers. Il me semble avoir déjà prouvé précédemment qu’on ne pouvait pas
refuser cette allocation à une ville qui a tant fait pour l’instruction
publique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je demande à l’art 3 du chap. XI, frais
des athénées et des collèges, une augmentation de 8,550 fr., à répartir de la
manière suivante :
Athénée d’Arlon, fr. 2,500 ;
Collège de Stavelot, fr. 250
Collège de Courtray, fr. 5,000
Collège de Nivelles, fr. 800.
Je propose d’allouer 2,000 fr,
pour le collège de Virton.
M. Nothomb. - Dans la discussion générale, on vous a
entretenus à plusieurs reprises, mais incidemment, de la province de Luxembourg
; j’ai à vous présenter quelques faits qui vous feront connaître la position
tout exceptionnelle de cette province.
C’est par un arrêté du 16
octobre 1830 que le gouvernement provisoire à pris possession de la province de
Luxembourg ; par l’art. 1er de cet arrêté, il transféra hors de la forteresse
le siège du gouvernement provincial, de la justice, et de toutes les administrations
publiques, autres que les administrations locales ; le gouvernement était dans
l’impossibilité d’étendre cette mesure à l’athénée de Luxembourg ; s’il l’avait
pu il n’aurait pas hésité, aux termes de l’arrêté du 12 octobre, dont les
dispositions vous sont connues, à continuer le paiement du subside à
l’établissement qui, dans la province, eût été considéré comme substitué à
l’athénée de Luxembourg.
Ainsi, qu’on le remarque bien,
si la province de Luxembourg, n’a eu aucune part aux allocations pour l’enseignement
moyen, c’est principalement par l’effet d’une impossibilité, résultat des
événements politiques : cette impossibilité, on vous offre de la faire cesser
aujourd’hui.
C’est à dessein, messieurs,
que j’ai dit la province de Luxembourg, parce qu’il n’est pas nécessaire que
j’aie une localité spéciale en vue ; l’athénée de Luxembourg avait été créé
dans un intérêt provincial, et non au profit de la ville de Luxembourg ; la
question du siège de cet athénée est secondaire ; je demande que le gouvernement
soit mis à même de remplacer par un ou plusieurs établissements l’ancien
athénée ; je réclame pour une province entière le bienfait de l’instruction
moyenne.
Le ministre de l’intérieur a
demandé, par le projet du budget, une somme de 2,117 fr. pour le collège de
Bouillon, et par amendement une somme de 10,000 fr. pour le collège futur
d’Arlon ; mon honorable collègue M. d’Huart a proposé en outre un subside de
2,000 fr. pour le collège de Virton ; j’appuierai ces trois demandes, qui
présentent une allocation totale encore bien inférieure à celle que le
gouvernement déchu accordait au seul athénée de Luxembourg.
Je voterai également en faveur
des subsides nouveaux, demandés pour les collèges d’autres provinces ; mais
j’ai besoin d’ajouter que, eu égard aux circonstances politiques que je vous ai
rappelées, les demandes qui nous sont faites au nom de la province de
Luxembourg se présentent sous un point de vue tout particulier : elles sont
rendues nécessaires par l’effet d’une position exceptionnelle, œuvre de la
révolution.
Si demain les portes de
Luxembourg nous étaient ouvertes, refuseriez-vous d’allouer à l’athénée de
cette ville le subside dont il jouissait ? Non sans doute. Mais puisque la
force des choses a soustrait cet établissement à votre action, pourquoi,
d’après le vœu de mes compatriotes, refuseriez-vous de reporter ailleurs vos
bienfaits ? Ou bien nous répondrez-vous : Le seul établissement d’instruction
moyenne de votre province nous échappe, tant mieux ; nous ne vous devons plus
rien : nous allons faire une économie de quelques milliers de francs.
M’objectera-t-on, avec le
rapporteur de la section centrale, et plusieurs honorables orateurs, que
l’ancien subside de l’athénée de Luxembourg doit être considéré comme transféré
à celui de Bruxelles ? singulier transfert, qui aurait l’avantage de mettre
l’instruction moyenne à la portée de toutes les familles luxembourgeoises, qui
ont le malheur de demeurer à trente à quarante lieues de la capitale !
Non, messieurs nous avons voté
le subside de l’athénée de Bruxelles, parce que les circonstances nous ont paru
l’exiger ; nous n’avons jamais entendu opérer le prétendu transfert dont on
vous a parlé comme d’un précédent législatif. Ce transfert serait un sophisme à
la fois et une injustice.
Je verrais avec plaisir, a dit
l’honorable M. Dellafaille, l’athénée de Bruxelles substitué quant au subside à
celui de Luxembourg. Et mol aussi je vois avec plaisir l’athénée de Bruxelles
florissant, et en possession d’un subside considérable ; mais en fait de substitution,
tous les pères de famille de ma province vous prieront de choisir des
établissements plus modestes, sans doute, mais moins éloignés d’eux.
Répondrez-vous à ces pères de famille : Envoyez vos enfants à l’athénée de
Bruxelles, car il est entendu entre nous qu’il représente votre ancien athénée
?
L’assertion que j’ai cru
devoir relever m’étonne d’autant plus qu’un des orateurs qui l’ont reproduite,
a franchement avoué que la province de Luxembourg était depuis 1830 de fait
exclue de toute participation aux subsides pour l’instruction moyenne. « Je
signalerai, dit-il, en particulier la province de Luxembourg qui ne figure au
budget que pour la somme minime de 2,000 francs. Si l’on considère que, par la
nature de ses localités, cette province est une de celles qui éprouvent le plus
de besoins du ce genre ; si l’on considère que, par l’effet de la révolution,
elle a perdu sou athénée qui dans le fait n’existe plus pour elle, on trouvera
que M. l’administrateur pouvait lui faire une part plus équitable dans la
distribution des larges subsides dont il vient chaque année majorer le budget,
et l’on conviendra, je pense, que nous sommes fondés à blâmer l’inégalité d’une
pareille répartition. » Ainsi s’est exprimé l’honorable M. Dellafaille ;
chose singulière, il trouve minime l’allocation de 2,000 fr., et cependant il
en demande le rejet avec la section centrale ; il blâme la conduite du
gouvernement, et il va plus loin que lui dans l’injustice ; il vous propose de
donner, non pas 2,000 fr., mais rien. Comment ! Vous reconnaissez l’injustice,
et vous la maintenez. Vous reconnaissez le grief, et vous refusez d’y faire
droit. Permettez-moi de m’emparer de vos aveux pour repousser vos conclusions.
M’objectera-t-on encore qu’aux
termes de la constitution, il ne peut être accordé des subsides nouveaux avant
que l’instruction ait été réglée par une loi ; que c’est tout au plus si l’on
peut en l’absence de cette loi organique, conserver les subsides aux
établissements qui en étaient en possession à l’époque de la révolution ? cette
objection ne peut nous arrêter. D’abord vous auriez violé ce prétendu principe
en accordant un subside à l’athénée de Bruxelles qui, en 1830, n’en avait point
; et cependant vous ne proposez pas de retirer le subside à cet établissement.
Me répéterez-vous qu’il y a eu transfert de l’athénée de Luxembourg à celui de
Bruxelles ? mais s’il s’agit de transférer le subside
de Luxembourg, je vous propose non d’en gratifier la capitale, mais de le
laisser à la province.
J’ai invoqué l’intérêt de la
province entière : trois villes réclament des subsides ; si je ne craignais
d’éveiller des rivalités locales, je pourrais vous dire les efforts qu’on y a
faits pour préserver l’enseignement moyen d’une extinction totale. Je pourrais
ajouter que la ville d’Arlon, qui désire établir un collège propre à remplacer
jusqu’à un certain point l’ancien athénée, s’impose les plus grands sacrifices
; que ses habitants se sont cotisés pour l’énorme somme de 20,000 fr. ; que
depuis plus d’un an ils attendent que la législature leur permette de réaliser
leur projet. Et lorsque je vous parle de trois villes, que ce mot ne vous fasse
point illusion : il s’agit de localités de 2,400, de 3,000 et de 4,000
habitants, localités qui malheureusement ne valent point vos beaux villages des
Flandres.
Il faut tenir compte des
situations : bien des débats se réduisent à des questions de fait ; « la
liberté, a dit avec un grand sens un honorable collègue, est avant tout une
question de moyen. » Si vous proscrivez le système des subsides, vous proscrivez
l’enseignement public dans toute localité ; l’instruction que vous voulez
libre, et pour tous, ne sera en réalité possible que là où il y a richesse ; il
y aura de fait exclusion pour les communes pauvres, monopole pour les communes
riches.
Deux fois la proposition de
subsides pour l’instruction moyenne dans la province de Luxembourg a été
expressément ou simplement ajournée ; vous ne prononcerez point un troisième
ajournement. Ce sont là de ces besoins qui ne s’ajournent point : vous ne
pouvez empêcher les générations nouvelles de s’avancer vers l’âge où
l’instruction moyenne prend place : direz-vous à ces générations de s’arrêter,
d’attendre vos lois organiques ? Et déjà, comment comblerez-vous cette lacune
de trois années, lacune immense dans la vie des jeunes générations ! car
l’ancien athénée de Luxembourg a été comme perdu pour la province, les
dissentiments politiques ont pénétré dans cet établissement qui touche à sa
dissolution ; les véritables patriotes, tous vos fonctionnaires publics en
retirent leurs enfants. Créez, dans la partie de la province qui doit vous
rester, des établissements qui vous soient propres, des établissements belges,
nationaux.
Souvent, messieurs, on nous a
entretenus de la malheureuse situation des deux provinces qui s’étaient si
généreusement associées à notre cause, et que des nécessités politiques sont
venues frapper ; de touchantes, d’éloquentes paroles ont retenti dans cette
enceinte. J’ai pris acte de vos promesses. Vous avez accueilli avec
empressement une proposition que je vous ai faite pour améliorer le sort, pour
assurer l’avenir de ces populations. Je réclame aujourd’hui une exécution
partielle de tant de promesses ; une belle occasion vous est offerte de faire
succéder les actes aux discours. J’ai accusé la force des choses ; elle a
détruit l’instruction moyenne dans la province de Luxembourg ; c’est un
reproche que les ennemis de la révolution nous font, à nous révolutionnaires ;
ôtez-leur ce sujet d’accusation ; nous vous demandons une modique somme pour
relever l’enseignement ; si elle nous était refusée, ce ne serait plus à la
force des choses qu’il nous faudrait adresser nos reproches ; un refus, je dois
le dire, serait à la fois injuste et impolitique
La séance est levée à 5 heures
moins un quart.