Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note d’intention
Séance précédente Séance suivante
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19
décembre 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget des voies et moyens
pour l’exercice 1833. Discussion des articles. Droit de patente, notamment des
bateliers (d’Huart, Pirmez, Davignon, de Theux, Davignon, Lardinois, Mary, Davignon, de
Robaulx, Davignon, Lardinois,
Devaux, Davignon, Duvivier, de Robaulx, A. Rodenbach, Jullien, Davignon, de Theux, Devaux, Mary, Davignon,
d’Elhoungne, Jullien, Verdussen, Davignon, Dumortier)
3) Projet de loi sur la taxe des lettres
4) Projet de loi portant le budget des voies et
moyens pour l’exercice 1833. Caractère transitoire des majorations au temps de
guerre (Dumortier, de
Brouckere, Dumortier, d’Elhoungne,
de Brouckere, Duvivier, Davignon, Dumortier, de Robaulx), retenues sur le traitement des
fonctionnaires (d’Elhoungne, Devaux,
Lebeau, d’Elhoungne, Devaux, A. Rodenbach, Duvivier, Jullien, d’Elhoungne), majoration des pénalités en matière d’impôts
et des sommes transactionnelles (de Robiano, Duvivier, Jullien, d’Elhoungne, de Brouckere, de Robiano, Duvivier, A. Rodenbach, de Brouckere, Jullien, de Brouckere, Faider, Angillis, de Theux), contribution personnelle (plus précisément,
taxe sur les foyers des cheminées) (d’Elhoungne, Jullien, de Robiano, Mary, Gendebien, Duvivier, de Robaulx, Gendebien), dispositions en faveur des habitants des
territoires cédés (d’Hoffschmidt)
(Moniteur belge
n°353, du 21 décembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Jacques
fait l’appel nominal avant une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
PIECES
ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques
fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.
- M. Teichmann, proclamé membre de la chambre dans
l’une des séances précédentes, est admis à prêter serment.
________________
MM. Lebeau, Goblet, Rogier, Duvivier sont au banc des
ministres.
Discussion des articles
Article 2 (devenu
article 5)
L’ordre du jour est la suite de la discussion du
budget des voies et moyens.
M. le président.
- Le gouvernement demande que l’impôt des patentes soit reporté au taux auquel
il était fixé par les lois de 1819 et 1823.
Dans la séance d’hier, M. Dumortier a demandé que la
patente des bateliers reste au taux auquel elle était portée par la loi du 21
décembre 1831.
M. d’Huart. - Je ne suis pas de ceux qui appuient l’amendement de M. Dumortier,
parce qu’il ne m’est pas démontré que les bateliers soient plus obérés que les
autres industriels.
Si l’on examinait de près le droit de patente, on
verrait qu’il est tel ouvrage qui, pour être fait complétement, obligerait
l’ouvrier à prendre plusieurs patentes.
Un menuisier doit prendre une patente comme marchand
de bois, comme menuisier et comme peintre, s’il veut donner la dernière main à
son œuvre.
Si je vote contre l’amendement, c’est par des motifs
que je peux avouer ; tout député qui vote croit faire une chose utile à son
pays.
M. Pirmez. - Je ne sais pas précisément dans quelle situation
sont les bateliers ; mais, dans plusieurs parties du territoire, ils sont en
concurrence avec d’autres industriels, avec les voituriers. Depuis longtemps,
le charbon de Charleroi était transporté par voitures ; maintenant il l’est par
le canal, de sorte que les voituriers éprouvent une espèce de crise. Après le
budget, je ferai une proposition pour faciliter la transition, relativement à
la route de Charleroi. Ceux qui soutiennent que les bateliers doivent être
diminués, devraient nous faire connaître l’influence que cette diminution peut
avoir sur les autres industries.
M. le président.
- M. Davignon propose l’amendement suivant :
« Le droit de patente est maintenu sur le pied
établi par l’article 3 de la loi du 29 décembre 1831 ; il sera prélevé sur le
principal de cette contribution 13 centimes additionnels. »
M. Davignon.
- Messieurs, déjà, dès le commencement de la présente discussion, l’impôt
patente a été justement stigmatisé par un de nos honorables collègues ; mais,
comme vous l’aurez bien compris, messieurs, ce n’est pas la nature de cette
contribution qui a excité les réclamations si constamment, si vivement
renouvelées depuis près de 40 ans qu’elle est établie, elle a pour ainsi dire
passé dans nos mœurs.
C’est sur la loi du 21 mai 1819, de fiscale mémoire,
que portent les justes plaintes du commerce.
Ce n’est pas le moment, messieurs, de vous expliquer
par de longs détails tout ce que cette loi renferme d’odieux ; l’honorable M.
d’Huart vient de vous citer quelques faits ainsi, un menuisier ne peut toucher
à une charpente sans encourir une amende ; un maçon peut reprendre à forfait la
plus mince construction sans avoir la patente d’architecte ou d’entrepreneur.
Un boutiquier de village, où il faut faire usage de
toutes ses ressources pour trouver des moyens d’existence, ne peut adjoindre à
son petit commerce, sans au préalable en avoir pris la patente particulière, un
article qui lui rapporterait quelque bénéfice, ou dont il voudrait seulement
faire l’essai.
Je vous citerai cependant un exemple sur lequel j’ai
notion exacte, et qui vous donnera une idée de toutes les subtilités du fisc :
le fabricant de draps prend d’abord la patente de la classe dans laquelle il
est placé par le nombre de ses ouvriers, il s’ensuit qu’il devrait être par là
autorisé à exercer tout ce qui constitue cette profession ; eh bien, non,
messieurs il faut encore une patente pour ses mécaniques à filer la laine, il
en faut une pour les rames à sécher ses draps, une pour sa presse, enfin une
encore pour sa foulerie servant à son usage exclusif ; et chose remarquable,
c’est qu’il faut encore payer séparément pour le dégorgeoir placé tout à côté
du bac à fouler.
Il résulte de la simple esquisse de cette loi, et j’en
fournirai la preuve au besoin, que par les interprétations élastiques
auxquelles elle se prête, et qui ont servi de bases à diverses décisions
ministérielles manifestement opposées au vœu du législateur, les agents du fisc
étaient parvenus à faire de plusieurs de ces dispositions une application tout
arbitraire, et à se faire autoriser à des mesures réellement inquisitoriales et
vexatoires.
C’est pour commencer le reclassement de ces abus,
autant que pour alléger les souffrances du commerce, que le congrès national
réduisit de moitié cet impôt.
On avait alors la confiance qu’il serait bientôt porté
remède à tant d’inconvénients ; mais je dois le dire avec le sentiment du plus
profond regret, rien n’a été fait encore. Si je m’abstiens de récriminations
fondées sur une négligence que rien ne semble justifier, j’insisterai avec
d’autant plus de vivacité sur ce qu’une nouvelle loi soit présentée à la
législature assez à temps pour être discutée et mise en vigueur pour l’année
1834.
Ici, messieurs, il ne peut être question de nouvelles
théories, nous avons des précédents que l’expérience a sanctionnés ; et
j’appellerai, avec l’honorable M. Seron, l’attention du gouvernement sur la loi
du 1er brumaire an VII, sauf à lui faire subir les modifications reconnues
nécessaires et à régler les droits suivant les besoins de l’Etat,
Assurément, messieurs, on serait fondé à demander que
cet impôt ne supportât aucune augmentation, et je ne balancerais pas à en faire
la demande Si je n’étais arrêté par la nécessité de subvenir, dans ces moments
extraordinaires, aux besoins du trésor, dont l’état n’est cependant pas aussi
alarmant qu’on s’est plu à le répandre ; et je saisis l’occasion de le dire
avec l’accent d’une entière conviction, basée sur des renseignements qui m’ont
été donnés, et que je dois croire exacts.
Dans l’état actuel des choses, je viens vous demander,
messieurs, que le droit de patente, au lieu d’être remis au taux auquel il
était porté en 1830, comme on le propose, ce qui ferait une nouvelle
augmentation d’un quart, soit maintenu sur le pied établi pour l’année
courante, avec la majoration, votée sur la contribution personnelle, de 13
centimes additionnels par franc sur le principal.
Je crois inutile de donner de
longs développements à cette proposition, elle est basée sur la justice ; car,
vous ne l’ignorez pas, messieurs, à l’exception de ce qu’on appelle le haut
commerce, qui, par le besoin continuel qu’il a de grands capitaux disponibles,
a la plus grande partie de sa fortune en portefeuille, le commerçant, qui est
en même temps propriétaire, est aussi atteint par l’addition consentie de 40
centimes par franc sur le foncier ; il l’est bien plus encore par l’impôt
personnel qui pèse plus particulièrement sur lui ; car c’est un fait connu de
tout le monde, c’est par les négociants que sont occupés, dans les villes
surtout, les bâtiments qui comportent des valeurs locatives fort élevées, à
cause de leur situation avantageuse.
Par ces considérations, j’ai cru qu’il était juste de
solliciter ce léger allégement en leur faveur : la différence que produira
cette réduction sera facilement comblée par celle qu’il y aura lieu de faire
sur certaine partie du budget des dépenses.
M. de Theux. - Messieurs, je ne m’attendais pas que la
proposition du gouvernement, de faire cesser les réductions opérées sur le
droit de patente, pût rencontrer de sérieuses objections après votre vote sur les
impôts foncier et personnel ; aussi je n’hésite pas à soutenir que la
prolongation de ces réductions constituerait une véritable injustice et
romprait tout équilibre entre les contribuables.
Je n’entrerai pas, à cette occasion, dans l’examen du
système général des impôts établi par la loi du 22 juillet 1821. Je me réserve
de le faire lors de la révision de nos lois de finances ; je me bornerai,
aujourd’hui, à remarquer que la somme de 2,645,000 de francs à percevoir à
titre de droit de patente sur les immenses capitaux engagés dans l’industrie et
dans le commerce ne peut être considérée comme excessive.
Déjà la loi du 6 avril 1823 a apporté plusieurs
adoucissements à la loi du 21 mai 1819, et elle a réduit d’un tiers les tarifs
des patentes annexés à cette loi.
Le droit de patente est
généralement établi d’après l’importance de l’industrie ou du commerce exercé
dans l’année précédente ou dans l’année courante ; sous ce double rapport, les
patentables n’auront pas à se plaindre.
L’on reproche de grands défauts à la législation sur
les patentes, mais ce n’est pas un motif suffisant de maintenir la réduction du
droit ; déjà la chambre en a décidé ainsi à l’égard de la contribution
personnelle et de la contribution foncière où les plus fortes illégalités ont été
signalées.
Le maintien de cette réduction serait d’autant plus
injuste que vous venez de frapper 40 centimes additionnels sur la contribution
foncière ; et que l’on ne dise pas que cette augmentation ne tombe que sur les
riches, elle porte aussi sur un grand nombre de petits propriétaires et sur un
grand nombre de petits locataires obligés par leurs baux à acquitter les
contributions.
M. Davignon. - Je répondrai quelques mots à l’orateur. il a fait
mention des capitaux sur lesquels portent les 2,600,000 fr. de patentes ; mais
déjà le commerce a été atteint par la majoration de l’impôt foncier et de
l’impôt personnel, car il y a des négociants qui sont propriétaires. Il est
juste que la contribution pèse sur celui qui possède ; mais l’impôt personnel
pèse plus sur les commerçants que sur les autres citoyens, parce qu’ils ont
besoin de locaux plus grands. La différence que je demande est de 12 p. c. sur
celle du gouvernement ; c’est une affaire de 84,000 florins ; il sera possible
d’obtenir cette somme par des réductions sur les dépenses.
M. Lardinois.
- Messieurs, je regrette de ne pouvoir appuyer l’amendement proposé par mon
honorable collègue, M. Davignon. Il ne s’agit pas maintenant de récriminer
contre la loi des patentes, ses vices sont connus de tous les contribuables, et
il faut changer totalement cette loi pour remédier à l’arbitraire qu’on
signale.
Dans la circonstance actuelle la question se résume à
savoir par quels moyens nous couvrirons les dépenses publiques.
Le but qui a dirigé ma conduite dans notre révolution
fut toujours en sens inverse à celui de nos doctrinaires.
Ils plaçaient en première ligne la conquête des
intérêts moraux tandis que moi, avec tout ce qui tenait à l’industrie, voulions
d’abord procurer le bien-être des intérêts matériels, parce que l’expérience
nous apprend que dès qu’ils sont en souffrance, c’est la masse du peuple qui en
pâtit, et lorsqu’il est privé du nécessaire, il s’enquiert fort peu s’il jouit
de la liberté de la presse, du droit électoral et de tous les fameux droits
politiques dont nous sommes dotés par notre constitution.
C’est sous l’influence de cette idée, messieurs, que
j’ai désiré et demandé la réunion de la Belgique à la France, et quand j’ai vu
que ce vœu ardent, partagé par plusieurs provinces, est venu succomber au pied
de cette tribune, l’avenir s’est dès lors présenté sombre et hideux devant moi,
et j’ai désespéré de notre commerce et de notre industrie.
Mais, il faut le reconnaître, les faits depuis deux
ans attestent que je me suis trompé sous ce rapport, et sont venus ranimer nos
espérances. L’agriculture a prospéré et ses produits ont trouvé un écoulement
facile ; le commerce maritime, s’il ne fut pas brillant comme autrefois, a été
du moins très animé pour les circonstances ; les manufactures de draps,
d’armes, de toiles, de cotons et toutes les petites industries qui en
dépendent, ont beaucoup mieux marché qu’on ne devait s’y attendre. Voilà,
messieurs, des faits positifs, consolants ; qui me font penser que la Belgique
peut encore jouir d’une existence assez heureuse, même avec l’infâme traité des
24 articles. Si quelques grandes industries restent en souffrance par suite de la
révolution, l’on ne peut en conclure qu’elles ne reprendront pas
avantageusement le cours de leurs opérations mercantiles, lorsque nos affaires
extérieures seront terminées.
Je déduis de ce qui précède que la majoration demandée
sur l’impôt des patentes doit être admise. Chaque citoyen doit concourir selon
ses moyens aux contributions publiques, et, moins que tout autre, l’industriel
refusera sa part des sacrifices lorsque le gouvernement marchera dans la voie
des intérêts communaux. Que le ministre sorte une fois de sa paresse d’esprit,
qu’il s’occupe avec constance et succès des intérêts matériels, et bientôt il
s’attachera le commerce et l’industrie dont l’affection et l’appui manquent
maintenant au gouvernement. Aujourd’hui, le grand grief des nations est l’état
de guerre qui détruit inutilement, arrête la production des valeurs et empêche
plusieurs puissances de s’occuper des réformes et des améliorations
commerciales. La fermentation qui existe dans quelques Etats de l’Allemagne n’a
pas d’autre caisse.
Je ne sache pas, messieurs, que personne ici ignore
qu’il faut faire face aux dépenses publiques. Pour y parvenir, vous n’avez
d’autre alternative pour le moment que de majorer les impôts ou de recourir aux
emprunts. Votez donc, messieurs, ces majorations, votez-les, car un refus
compromettrait le crédit public, et vous devriez finir par contracter des
emprunts énormes en vous abandonnant à la discrétion des agioteurs qui ne
vivent que d’usure et dont l’avidité est sans bornes.
M. Mary. - La
section centrale n’a pas cru devoir refuser les patentes. II a bien été
question d’examiner si la loi de l’an VII n’était pas supérieure à notre
législation sur les patentes ; mais on a ajourné cet examen, parce que le
gouvernement est sur le point de proposer une loi de révision des patentes. La
section centrale ne s’est occupée que du chiffre du budget. Le gouvernement
demande 33 pour cent d’augmentation ; cette augmentation est considérable ;
mais le moment de crise où nous sommes placés exige des ressources
extraordinaires.
Par la loi du 28 décembre
1830, les patentes ont éprouvé une réduction ; le commerce étant dans une
situation moins pénible, la section centrale a pensé que les industriels, ainsi
que les propriétaires, devaient leur tribut à l’Etat dans les circonstances où
nous sommes.
Plusieurs amendements ont été présentés : un par M.
Dumortier, tendant à laisser la patente des bateliers dans l’état où elle est.
Le ministre des finances ne s’est pas opposé à cet amendement.
L’amendement de M. Davignon
porte l’augmentation sur les patentes à 13 p. c. ; c’est une différence
considérable avec celle que demande le gouvernement ; je ne sais si la chambre
pourra admettre cet amendement. D’après le chiffre du gouvernement
l’augmentation des patentes serait de 800,000 fr. ; par l’amendement de M.
Davignon, l’augmentation serait du tiers ; c’est à la chambre à voir si, dans
l’état de crise où est le pays, on peut consentir la diminution,
M. Davignon.
- Chacun doit supporter les charges dans une juste proportion, et c’est pour
rappeler à cette proportion que je demande la réduction. Les 13 centimes
additionnels doivent suffire. Je crois aussi qu’il ne sera pas impossible de
combler le déficit que les patentes laisseraient ; j’en appelle au ministre des
finances. Je lui demande s’il s’oppose à l’amendement.
M. de Robaulx. - Il me paraît que l’auteur de l’amendement aurait dû répondre aux
faits avancés par son contradicteur, M. Lardinois. Ce dernier a dit que le
commerce était plus prospère qu’il ne s’y attendait ; que, dans le commencement
de la révolution, il avait voulu la réunion à la France, parce qu’il ne croyait
pas que la Belgique pût faire fleurir le commerce. C’est sans doute pour cela
que cet honorable a voté la république ; car il a dit, pour expliquer son vote,
qu’il était républicain, parce qu’il voulait la réunion à la France.
M. Lardinois. - Je n’ai jamais rien dit de semblable.
M. de Robaulx. - Vous l’avez dit dans le temps du congrès… (Bruit.) Quoi qu’il en soit, MM. Davignon et Lardinois sont
fabricants ; ils connaissent la situation du commerce, et j’invite formellement
M. Davignon à prouver que le commerce n’est pas aussi prospère que le dit M.
Lardinois ; sans cette preuve on ne peut voter son amendement.
M. Davignon. - Je suis représentant du pays et non de ma
localité. La demande que je fais concerne tous les patentables, et notamment
ceux de Bruxelles.
Quant à l’état du commerce, certainement il n’est pas
aussi mauvais qu’on le craignait ; mais il est des choses qu’on ne peut pas
dire en public : nous avons besoin de relations à l’étranger, c’est le seul
moyen de soutenir notre industrie et notre commerce.
M. Lardinois.
- Je demande la parole pour un fait personnel.
Je dois répondre à l’assertion avancée par l’honorable
M. de Robaulx. Je la déclare entièrement fausse et je le défie de me prouver le
contraire. J’ai toujours désiré la réunion à la France, et lorsque j’ai voté
pour la république, jamais je n’ai dit que c’était pour arriver à cette réunion
; ce motif a été énoncé à la tribune par un autre députe que je pourrais
nommer. Je ferai observer à l’honorable membre que je ne me dirige pas par des
principes absolus ; lorsque les faits viennent éclairer ma raison, je ne les
repousse pas, je les admets au contraire, et je vote en conséquence dans
l’intérêt du pays.
M. de Robaulx. - Je ne suis pas l’ennemi de l’orateur.
M. Lardinois.
- Vous n’êtes ni mon ennemi ni mon ami.
M. de Robaulx. - J’ai dit que plus tard vous aviez expliqué ainsi votre vote pour la
république, que c’était pour la réunion à la France.
M. Lardinois.
- C’est faux.
Plusieurs voix. - C’est de
l’histoire. A la question ! à la question !
M. Devaux. - Je demande la parole sur les patentes. (On rit.)
Messieurs, je n’ai jamais été du nombre de ceux qui
avaient des prévisions sinistres sur l’avenir de notre industrie ; je crois
pourtant que l’industrie commande des ménagements. S’il s’agissait d’une somme
de plusieurs millions que l’on ne puisse recouvrer ailleurs, je me soumettrais
à la nécessité ; mais de quoi s’agit-il ? de 624,000 francs, ou du quart du
chiffre porté par le ministre. Pour moi la nécessité d’obtenir cette somme
n’est pas assez importante pour augmenter d’un tiers le droit de patente. Il a
été proposé un amendement qui réduit l’augmentation à 13 centimes. Je voterai
pour cet amendement, sinon je me déciderai à voter contre toute la majoration.
M. Davignon.
- Je prie M. le ministre de répondre à l’interpellation que je lui ai faite.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Le gouvernement, en demandant diverses
majorations, a reconnu a nécessité de mettre les voies et moyens au niveau des
dépenses. Parmi ces majorations se trouve le report des patentes au taux où
elles étaient avant la réduction de 25 p. c., faite par un arrêté du
gouvernement provisoire.
Bien certainement, lorsque le gouvernement provisoire
a réduit les patentes, il y a été porté par de hautes considérations ; à cette
époque, l’industrie souffrait ; le commerce était aussi, pour ainsi dire, nul ;
il fallait venir au secours de cette classe de contribuables qui se livrent à
l’industrie. Mais, depuis lors, il est incontestable que le commerce a repris
assez d’activité, assez de développements, assez de prospérité pour que la
patente pût remonter à son taux ordinaire. C’est mu par cette vérité que
l’administration a proposé l’article qui est en discussion.
Ces considérations ont été mûrement examinées dans vos
sections, et particulièrement dans la section centrale ; elles ont été
appuyées, et je ne crois pouvoir faire autre chose que de soutenir la
proposition du gouvernement et l’avis de la section centrale.
Quant à l’exemption présentée
par M. Dumortier, je dois dire pourquoi j’y ai donné mon assentiment.
L’administration a été assaillie d’une foule de
réclamations, et notamment des réclamations des bateliers du Hainaut. Les
pièces ont prouvé la stagnation complète des bateaux. Il a paru à
l’administration trop dur de maintenir l’impôt sur des objets qui ne
produisaient rien. C’est par ce motif qu’elle a consenti des remises ; mais,
depuis la constitution, l’article 112 s’opposant à toute remise d’impôt, il a
été impossible de les effectuer. Attendu que l’exemption demandée aura une très
légère influence sur les demandes formées par le gouvernement, j’ai cru devoir
appuyer l’amendement de M. Dumortier.
M. de Robaulx. - Je conçois que l’on demande un dégrèvement en
faveur des patentes, en faveur des bateliers ; mais je ne le conçois qu’en
faveur de ceux qui souffrent. Vous vous rappelez tous que c’est un arrêté du
gouvernement provisoire qui a diminué de moitié la patente des petits bateaux,
à cause des événements de Namur sur la Sambre. Je me rappelle fort bien que les
bateaux de petite dimension, par suite de cette diminution, ont seuls été
employés, et que les grands ont été frappés d’inaction.
Il a été porté un arrêté par lequel on a fait cesser
cette différence ; on a porté un droit fixe, et grands et petits bateaux ont
été traités de la même manière. Dès lors je ne vois pas pourquoi on prendrait
une mesure en faveur des bateliers, à moins qu’on ne me dise que les bateliers
ont perdus. C’est au ministre à s’expliquer à cet égard.
M. A. Rodenbach. - Je suis étonné de la prédilection toute spéciale du ministre des
finances pour les bateliers. Il y a une foule d’autres industries qui souffrent
: les Flandres souffrent ; les tisserands qui, avant la révolution, gagnaient
un franc et demi, gagnent à peine 75 centimes, Je ferai un amendement sur les
Flandres. Il y a quatre ou cinq mille bateaux en Belgique ; si on diminue leur
patente, il faudra recourir aux emprunts.
M. Jullien.
- Messieurs, dans la discussion générale je me suis élevé contre le maintien de
la loi des patentes, parce que vous avez dû vous apercevoir, par suite de la
discussion, que la législation était essentiellement mauvaise.
Le principal vice que l’on a signalé, c’est que cette
législation laisse entièrement à l’arbitraire des agents du fisc la faculté de
hausser ou de baisser l’impôt de la patente au moyen d’une mesure mobile de 17
degrés. Aussi longtemps que cette faculté existera, l’impôt des patentes
produira tout ce qu’on voudra, parce qu’on mettra le commerçant dans la 7ème,
dans la 8ème classe, comme il plaira ; c’est un impôt élastique entre les mains
du fisc. J’ai signalé cela comme un vice, comme une violation de la
constitution. C’est la loi qui doit déterminer l’impôt, et le déterminer d’une
manière précise. Le congrès avait senti les vices de cette législation en
diminuant les patentes de moitié : c’était là la joyeuse entre de la révolution
; mais cette joie n’a pas duré longtemps ; on vous propose de rétablir les
choses en l’état où elles étaient en 1823. Sur quoi se fonde-t-on pour obtenir
cette augmentation ? Sur la prospérité du commerce. A entendre deux orateurs
qui habitent la même ville et qui font le même commerce, le commerce va bien
selon l’un ; il va mal selon l’autre ; c’est-à-dire que l’un gagne et que
l’autre ne gagne pas : voilà la règle. (On
rit.)
Notre industrie a
considérablement souffert et souffre encore. Ce sont les petits boutiquiers, ce
sont les petits industriels, qui ne gagnent pas la plupart du temps de quoi
payer leur patente, sur qui vous faites tomber un impôt insupportable et que
vous voulez augmenter. Mais pourquoi l’augmenter par la loi puisque vous pouvez
augmenter à volonté, selon le profit présumé du commerçant ? Profitez de cette
faculté que la législation existante vous présente ; demandez quelque chose de
plus à ceux qui notoirement ont plus gagné. Demandez moins à ceux qui
notoirement ont perdu ; vous pourrez obtenir tout ce que vous voudrez : ne
proposez pas d’autre moyen d’augmenter l’impôt.
On a parlé des bateliers : je ne vois pas pourquoi
vous feriez pour les bateliers ce que vous ne feriez pas pour d’autres classes
d’industriels ; pour être justes, il faut que votre sollicitude s’étende sur
tout le monde. Ce serait beaucoup mieux de remanier la législation sur les
patentes et de les laisser au taux de 1832.
M. Davignon. Pour me
rapprocher autant que possible de l’objet désiré, je viens de modifier mon
amendement. Voici ce que je demande :
« Il y aura augmentation de 13 centimes portant
sur le principal et sur les centimes additionnels des patentes, » en sorte que
l’article concernant les patentes serait ainsi conçu :
« Le droit de patente est maintenu sur le pied
établi par l’article 3 de la loi du 21 décembre 1831. Il sera prélevé sur le
principal et les centimes additionnels de cette contribution 13 centimes
additionnels par franc. »
M. de Theux. - L’honorable M. Jullien a présenté des observations
comme s’il s’agissait d’établir le droit de patente pour l’ancien état de
prospérité du commerce : mais la question n’est pas là. Il a fait une
comparaison entre la loi de finances de 1831, et celle que l’on vous a
proposée, et cette comparaison est tout à fait au désavantage du système qu’il
soutient. En 1831, vous mainteniez la contribution foncière, et vous augmentiez
les patentes ; aujourd’hui vous augmentez la contribution foncière de 40
centimes, et l’on ne demande qu’une augmentation de 23 p. c. sur les patentes.
Il faut qu’il y ait équité dans la distribution des charges publiques.
M. Devaux. - L’honorable M. de Theux se trompe en disant que l’augmentation est
de 25 p. c. ; elle est de 33 p. c. La proposition de M. Davignon fait que la
différence pour le trésor est si peu de chose que l’on ne doit pas balancer à
l’adopter. Il aurait fallu mettre 2 ou 3 centimes de plus sur les propriétaires
pour couvrir cette différence, qui est peut-être de 300,000 fr. J’aurais mieux
aimé porter l’augmentation de la contribution foncière à 50 centimes que de
charger l’industrie. Nous aurions pu modifier le budget : les budgets ne
sortent pas toujours de cette chambre comme ils y sont entrés.
Les territoires cédés pourront rapporter encore
pendant un trimestre, et peut-être davantage, ce qui pourra couvrir un déficit
de 300 ou 400 mille francs.
M. Mary. - Il y a une différence extrêmement minime entre la
proposition du gouvernement et celle de M. Davignon ; elle est dans la
proportion de 114 à 126.
C’est à la chambre à décider.
M. Devaux. Il y a une différence de 20 p. c.
Le gouvernement demande 33 centimes ; M. Davignon en
propose 13.
M. Davignon.
- Il y a un malentendu : j’ai modifié ma proposition ; je laisse la patente
comme elle était en 1832 ; puis je demande une majoration de 13. Ainsi une
patente de 100 f. paiera 113. Le gouvernement demande une augmentation de 25 ;
la différence est 12 p. c.
M. d’Elhoungne. - La proposition de M. Davignon sera difficile à
appliquer ; elle porte sur 88 cents. D’après les motifs exposés par MM. Devaux
et Jullien, je crois qu’il conviendrait de ne pas augmenter les patentes et
qu’il serait préférable d’augmenter l’impôt foncier.
M. le président
rappelle à la chambre les amendements présentés sur l’article en délibération.
M. d’Elhoungne. - Je demande que l’on consulte l’assemblée pour savoir s’il y aura
majoration sur le droit de patente.
M. Jullien.
- La demande de M. d’Elhoungne est fondée en raison, Ce qui est en question est
une majoration ; il faut commencer par décider le principe, pour décider
ensuite le quantum.
M. F. de Mérode. - Je demande que l’on suive la marche adoptée hier.
- La question de savoir si les
patentes seront augmentées est mise aux voix,
Après deux épreuves, la chambre décide que les
patentes seront augmentées.
La proposition du gouvernement de reporter les
patentes au taux déterminé par les lois de 1819 et 1823 est mise aux voix et
rejetée.
La proposition de M. Davignon est mise en
délibération.
M. Verdussen. - Mais, pour voter sur cette proposition, il faut en
connaître la portée. Je trouve que le taux de la patente serait porté, d’après
cette proposition, à 86 ; d’autres ont trouvé 87 ou 88.
M. d’Elhoungne. - La rédaction de M. Davignon est fautive.
M. Davignon.
- Ma rédaction est très claire ; tel qui paie aujourd’hui 100 florins de
patente, paiera 113.
- La proposition est soumise à l’appel nominal.
Sur 76 membres présents, 50 ont répondu oui, ou ont
voté l’adoption ; 25 ont répondu non, ou ont voté le rejet.
Un seul s’est abstenu.
La proposition est adoptée.
Ont voté pour : MM. Berger,
Boucqueau, Cols, Coppens, Coppieters, Corbisier, Dautrebande, Davignon, de
Bousies, de Brouckere, Deleeuw, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de
Nef, de Renesse, de Robiano, de Sécus, de Terbecq, de Theux, Tiecken de
Terhove, Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Domis, Dubus, Dugniolle, Duvivier,
Ernst, Jonet, Lebeau, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb,
Olislagers, Pirmez, Poschet, Raikem, Raymaeckers, Rogier, Thienpont, Ullens,
Vandenhove, M. Vanderbelen, Veraghen, H. Vilain XIIII, Vuylsteke.
Ont voté contre : MM. Angillis, de Haerne,
d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Robaulx, de Roo, Desmaisières, Desmet,
Donny, Dubois, Dumortier, Fallon, Hye-Hoys, Jacques, Jullien, Lardinois, Levae,
Osy, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Seron, Speelman, Verdussen, Vergauwen, Zoude.
M. Teichmann.
- Je me suis abstenu, parce que, admis aujourd’hui dans l’assemblée, mon
opinion n’est pas assez formée pour donner mon vote.
M. Dumortier
déclare retirer la proposition additionnelle qu’il avait présentée, relative
aux bateliers.
PROJET
DE LOI RELATIF A LA TAXE DES LETTRES (retrouver le bon titre)
M. le président.
- Avant de passer à l’article 3 du projet du gouvernement, je dois faire
observer à la chambre que le rapport de la section centrale sur le projet de
loi relatif à la taxe des lettres est prêt. L’assemblée veut-elle en entendre
la lecture ?
De toutes parts. - Non ! non
! L’impression !
- L’impression de ce rapport est ordonnée.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS
POUR L’EXERCICE 1833
Discussion des articles
Article
additionnel
M. le président.
- Voici une disposition additionnelle que M. Dumortier propose d’intercaler
entre l’article précédemment adopté et celui que nous allons discuter,
c’est-à-dire d’après le nouvel ordre de numéros admis par la chambre, entre
l’article 5 et l’article 6. Elle est ainsi conçue :
« Les majorations établies par les articles qui
précèdent, seront perçues à titre de contributions de guerre. »
M. Dumortier.
- Messieurs, l’amendement que j’ai l’honneur de proposer a pour but de faire
voir aux contribuables les motifs pour lesquels nous avons voté des majorations
cette année, et pour indiquer au gouvernement que, bien, que nous adoptions un
budget de 83 millions, notre intention est de porter à ce taux les voies et
moyens de l’année suivante.
Dans la session
dernière, l’honorable M. Coghen, alors ministre des finances, nous avait
annoncé que le budget définitif ne s’élèverait qu’à 35 millions de florins, et
aujourd’hui on nous présente un budget régulier sur le pied de paix, de 83
millions de francs.
Il y a la une chose inexplicable, et pour ma part je
ne conçois pas que le gouvernement nous présente un projet de loi avec une
aussi grande majoration qui tend à faire perdre les fruits matériels de la
révolution, pour lesquels le peuple l’a faite.
Pour ne pas faire murmurer et éviter de nouvelles
commotions, il faut dire que ces augmentations ne sont que des contributions de
guerre.
Ce sera une explication pour les contribuables et un
avertissement pour les ministres.
- L’amendement de M. Dumortier est appuyé.
M. H. de Brouckere. - Je ne puis laisser passer sans réponse les
raisonnements de l’honorable préopinant. Je conçois très bien qu’on puisse
trouver singulier qu’on nous présente un budget de 83 millions quand un ministre
nous avait annoncé l’année passée que le budget ordinaire ne devait pas
s’élever au-delà de 35 millions de florins ; mais je ne puis pas consentir à
tromper la nation en disant que ces 83 millions ne nous sont demandés que parce
que nous sommes en état de guerre, tandis que le budget qui nous est soumis
n’est que pour l’état de paix, et qu’on doit nous apporter un autre budget
supplémentaire pour le pied de guerre. L’honorable membre désire que nous
fassions entendre à la nation que si nous votons aujourd’hui un budget plus
élevé que l’année passée, cet accroissement ne peut être attribué qu’à l’état
de guerre, quand au contraire le gouvernement nous dit que ce budget n’est que
pour l’état de paix et se propose de nous en présenter un autre. Nous induirions
la nation en erreur.
Maintenant si le gouvernement, qui s’est obstinément
refusé de nous dire à quels moyens il aura recours pour couvrir les dépenses
supplémentaires de l’état de guerre, voulait le faire à l’aide de nouveaux
impôts, ce serait alors une véritable subvention de guerre ; mais il n’en est
pas de même aujourd’hui. Par conséquent je ne puis admettre la proposition de
M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je crois que l’honorable membre n’a pas bien
compris dans quel sens j’ai fait ma proposition. Si nous procédions d’après la
marche ordinaire, nous aurions d’abord examiné les dépenses, et nul doute que
nous n’y eussions fait des réductions telles que l’excédent des voies et moyens
ne pût servir à l’état de guerre.
Nous n’avons pas suivi cette marche, et l’assemblée
n’a pas voter de réductions ; mais si nous pensons tous que l’Etat peut marcher
en 1833 avec les mêmes crédits qu’en 1832, sauf les dépenses accidentelles,
telles que celle relative à la cour de cassation, nous devons croire aussi que
l’augmentation sera employée en frais d’état de guerre. C’est pour cela que je
demande qu’on établisse formellement dans la loi que les majorations demandées
seront perçues à titre de contributions de guerre. Si, plus tard, on nous
demande de nouveaux impôts, nous les accorderons, parce que nous savons que la
guerre exige tous les jours des sacrifices ; mais je ne crois pas que nous
devions voter en ce moment sans restriction, parce que le gouvernement pourrait
se prévaloir de ce vote l’année prochaine et porter encore le budget à 83
millions.
M. d’Elhoungne. - La contradiction relevée par l’honorable M. de
Brouckere est réelle. Il est tout à fait insolite de dire, dans une loi, que
l’on vote une taxe de guerre, quand cette loi n’est qu’un budget ordinaire.
L’état de guerre est un état extraordinaire, et les dépenses qui le concernent
ne peuvent faire partie du budget régulier ; elles doivent faire l’objet d’un
budget supplémentaire. J’ajouterai qu’il serait fort singulier d’insérer, dans
une loi, une disposition qui n’imposerait pas d’obligation ; car, enfin, la
proposition de M. Dumortier n’est qu’une simple explication. Je concevrais
qu’on la fît figurer dans un préambule de loi, mais il est impossible qu’on
l’introduise dans les dispositions de la loi même. Je ne pense pas qu’on puisse
citer un exemple qui autorise une pareille innovation, et certainement il n’y a
pas de motif de rompre ici avec les habitudes consacrées chez tous les peuples
civilisés. C’est une chose tout à fait inutile et qui pourrait, peut-être,
mériter une dénomination plus sévère.
M. H. de Brouckere. - Je suis parfaitement d’accord avec M. Dumortier
pour regretter que le gouvernement nous ait mis dans l’obligation de procéder
tout à fait à rebours des principes, c’est-à-dire de voter le budget des voies
et moyens avant celui des dépenses ; mais nous nous y avons été contraints.
Quant aux explications de l’honorable membre, elles consistent à dire que la
chambre, tout en adoptant le budget de 83 millions, entend qu’il ne soit
employé que la somme fixée l’année dernière pour les dépenses ordinaires et que
le surplus soit employé pour couvrir une partie des frais de guerre. Eh bien !
je vous demande, messieurs si vous pouvez prendre l’engagement de ne pas
accorder une somme supérieure à celle de l’année dernière ? Je désire
certainement que la somme ne soit pas plus forte, mais il est impossible que
nous fassions d’un pareil vœu l’objet d’une disposition de la loi. Du reste,
si, comme je le crois, le but de M. Dumortier a été d’avertir le ministère que
la partie de la chambre qui votera les 83 millions ne veut pas lui donner la
faculté d’employer le tout aux dépenses ordinaires, et que plus tard elle fera
sur le budget des dépenses toutes les réductions possibles, ce but est
maintenant atteint, car le ministère a entendu cet avertissement et pourra en
profiter, s’il le juge convenable.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - J’abonde
entièrement dans le sens de l’honorable préopinant. Il est incontestable que
les choses se passeront de la manière qu’il a indiquée. Si lors de l’examen du
budget des dépenses, qui ne vous a pas été présenté plus tôt à cause des circonstances,
il arrive que la chambre impose des économies sur telle ou telle partie, il est
évident que l’avantage résultant de ces économies sera appliqué aux dépenses
extraordinaires. Par la suite, les dépenses soumises à la chambre par le
gouvernement supporteront des réductions ; il y a des colonnes qui sont
destinées à disparaître du budget. Tout cela fera des économies qui seront
employées pour les contributions extraordinaires de guerre.
M. Davignon. - Je ferai observer que le vœu exprimé par M.
Dumortier a été prévenu dans l’exposé des motifs de M. le ministre des
finances, qui a dit en substance que la demande qu’il faisait n’était que
temporaire, et que le surcroît des dépenses cesserait avec les circonstances qui
l’avaient occasionné.
M. Dumortier.
- C’est justement cela qui démontre la nécessité d’admettre ma proposition. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Robaulx. - Je demande la parole pour faire finir la discussion ; car, si vous
continuiez ainsi, vous vous serez livrés à de très longs débats sans qu’il en
résulte un centime de diminution pour le peuple. La proposition de M. Dumortier
n’a pas de but ; donc il est inutile de s’en occuper. (Aux voix !)
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix et
rejetée.
Article
additionnel
M. d’Elhoungne propose à l’article du projet du gouvernement un amendement tendant à
ce que, pendant l’exercice 1833, on soumette le traitement, les remises et
salaires des employés du gouvernement à une retenue progressive, d’après le
tarif suivant :
« Sur le 5ème et le 6ème millier de francs, 12 p.
c.
« Sur le 7ème et 8ème, 20 p. c.
« Sur le 9ème et 10ème, 30 p. c.
« Sur le surplus de tout traitement excédant
10,000 fr., 40 p. c.
« Cette retenue n’aura pas lieu pour les
militaires, ni pour les employés dont le traitement ne dépasse pas 4,000
fr. »
Il le développe en ces termes : Messieurs, vous venez
de soumettre à des taxes extraordinaires de guerre l’impôt foncier, les
fortunes en portefeuille, l’industrie et le commerce. Je pense qu’en nous
proposant d’étendre la mesure à une autre branche de revenu, je rentre dans le
système ministériel qui a obtenu votre assentiment, et je croirais faire tort à
la justice de la chambre, en doutant un moment qu’après avoir frappé toutes les
sources de revenu de la propriété et du travail, elle n’impose une taxe égale
sur le revenu des employés. D’ailleurs, je m’appuie sur un précédent du
congrès, qui par une loi du 5 avril 1831 a déjà adopté la mesure dont il
s’agit. Le congrès l’avait également appliqué à ceux qui jouissent de pensions
en récompense de services rendus à l’Etat, mais j’en ai voulu exempter ces
personnes qui méritent certainement quelque intérêt et qui ne doivent trouver
dans leurs pensions que de simples aliments non
susceptibles de réduction. J’en ai aussi excepté les deux classes qui dans la
loi du 5 avril ont été frappées d’une réduction de 5 à 6 p. c. Voici le motif
qui m’a guidé. Dans ces deux classes se trouvent compris des fonctionnaires
jouissant de traitements supérieurs à 500 fl. et ne dépassant pas 2,000
florins. J’ai pensé que lorsque nous discuterons la loi sur le nouveau système
monétaire, on présentera des amendements tendant à doubler en francs la somme
fixée en florins pour le traitement des fonctionnaires. Par là, vous obtiendrez
une réduction de 5 1/2 p. c., et par conséquent le même but sera atteint. Quant
aux autres bases, je les ai prises dans la loi du 5 avril, qui a obtenu
l’assentiment du congrès et de la nation, et qui, je pense, obtiendra aussi
celui de la législature.
- L’amendement de M. d’Elhoungne est appuyé.
M. Devaux.
- Je me prononcerai contre l’amendement de M. d’Elhoungne.
Je crois que si les traitements des employés sont trop
élevés, il faut les réduire ; sinon, il faut les conserver dans l’intérêt de
l’Etat ; car plus vous les réduisez, plus vous écartez les hommes capables de
l’administration, et plus, par conséquent, vous nuisez à l’Etat.
D’ailleurs, je ne vois pas qu’on puisse faire de
grandes réductions sur le traitement des employés après celles qui ont déjà été
faites.
Messieurs, ces fonctionnaires
ont calculé leurs dépenses sur ce qui leur a été laissé l’année dernière ; ils
ont loué des maisons, ils ont pris des engagements, et c’est par un amendement
que vous allez leur ôter une partie des moyens sur lesquels ils avaient compté.
Il ne faut pas sans cesse jeter des incertitudes sur
leur avenir, si l’on veut qu’ils servent bien l’Etat.
Il y a encore une autre considération à faire valoir,
c’est que l’impôt que l’on propose d’établir est extraordinaire, qui fera peser
une charge de 40 p. c. sur quelques classes de fonctionnaires.
On parle de les mettre en harmonie avec la contribution
foncière : mais je ferai remarquer que ce n’est pas le revenu du propriétaire
qui paie ; c’est la contribution foncière, qui est bien en-dessous de son
revenu, tandis qu’ici c’est le revenu même qu’on veut imposer.
De toutes manières, je crois que la proposition ne
peut être accueillie.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je m’emparerai d’une réflexion très judicieuse qui
a été émise plusieurs fois dans cette enceinte par l’honorable M. d’Elhoungne, pour
faire remarquer qu’il se met en contradiction avec lui-même, en proposant
d’introduire dans une loi de finances un amendement relatif au traitement des
fonctionnaires.
A l’occasion d’une loi de recette, messieurs, on vous
demande de modifier, par exemple, la loi qui fixe les traitements de l’ordre
judiciaire établi par la loi. L’honorable auteur de l’amendement a fait
observer plusieurs fois et fort judicieusement qu’on ne pouvait pas démolir une
loi de principe par le budget. Or, la loi qui fixe les traitements de l’ordre
judiciaire est une loi de principe, une loi organique de la constitution, et
qui serait démolie par le budget des voies et moyens, qui, je le sais, est
aussi une loi, mais qui n’est pas une loi de principe.
Vous avez, dans votre dernière
session, proclamé la nécessité d’améliorer la position des juges ; vous avez
cru devoir relever le rang de la magistrature, en corrigeant la parcimonie des
traitements ; vous n’avez fait alors que déférer à de légitimes et générales
réclamations. Eh bien ! l’année dernière vous avez fait la part des
circonstances, et vous avez décidé que les traitements de l’ordre judiciaire,
tels que vous les avez fixés, ne seraient touchés qu’à partir de 1834. Ainsi
vous feriez supporter deux fois aux membres du corps judiciaire l’influence
d’une considération à laquelle vous avez cédé, avec raison selon moi, dans la
dernière session. Réfléchissez, messieurs, que ce serait détruire un droit qui
leur est moralement acquis par la loi d’organisation judiciaire. En vertu de
cette loi qui fixait la position des magistrats, plusieurs d’entre eux se sont
déplacés, mus par la perspective de compensations et d’avantages que vous leur
enlèveriez.
Je crois que, par ces considérations et celles que
vous a présentées mon honorable ami M. Devaux, vous jugerez qu’il n’y a pas
lieu d’admettre l’amendement de M. d’Elhoungne.
M. d’Elhoungne. - Que les honorables préopinants demandent l’ajournement d’un
amendement qui, certainement, a une haute portée, je le conçois ; mais qu’ils
viennent en demander le rejet pur et simple, au moment même où vous venez de
puiser avec une aussi grande libéralité dans la bourse des propriétaires, des
industriels et des négociants, c’est ce que je ne puis comprendre. Si le revenu
des membres de l’ordre judiciaire se trouve fixé pair une loi, le revenu de la
propriété est établi par la loi des lois, qui veut que tout propriétaire
jouisse des fruits de l’immeuble qu’il possède, que tout industriel jouisse des
fruits de son labeur. Sortir de là, c’est renverser les bases mêmes de la
société. S’il faut établir une différence entre les revenus de ceux qui sont
salariés par l’Etat et les revenus des industriels, ne serait-ce pas en faveur
des derniers qu’il faudrait l’établir, qui n’ont d’autres rapports avec la
trésorerie que comme contribuables et pour y verser une partie importante de
leurs revenus ? A mes yeux ce serait faire injure à la chambre, ce serait
outrager la raison que d’hésiter un instant sur le choix. Si l’assemblée pense
que cet amendement mérite un plus mûr examen, je ne m’oppose pas à ce qu’il
soit ajourné à la fin de la discussion ; je serai même le premier à appuyer la
proposition qu’on en ferait ; il est loin de ma pensée de vouloir surprendre à
la chambre un vote inconsidéré, Sous ce rapport, je n’imiterai jamais la marche
suivie dans cette discussion ; marche que j’ai combattue et que je ne cesserai
de combattre à chaque fois qu’elle se reproduira.
L’honorable M. Devaux s’est mépris en pensant que ma
proposition tendrait à imposer de 40 pour cent les traitements de quelques
classes de fonctionnaires. Ce n’est qu’un tarif progressif tel que la raison
l’exige ; s’il y a 40 pour cent à prélever, ce ne sera que sur l’excédent des
10,000 premiers francs ; mais en totalité le droit ne s’élèvera pour ces
traitements si élevés qu’à 26 pour cent, ce qui produit une différence en moins
d’un bon tiers sur l’évaluation de l’honorable député.
D’ailleurs, si je propose ce
chiffre, ce n’est pas que je le croie non susceptible de contestation ou même
de réduction : c’est la discussion qui doit nous éclairer à cet égard, et si
l’on me prouve que le taux est réellement trop élevé, je serai le premier à
appuyer la demande d’une juste réduction.
Le motif qui m’a fait présenter ces chiffres dans
l’ordre où ils sont établis, c’est qu’une autre assemblée législative les avait
déjà consacrés par une loi. C’est la défiance dans mes propres lumières qui m’a
empêché de rien changer à l’œuvre du congrès. Je vous l’ai présentée dans toute
son intégrité, et j’ai pensé que ce que le congrès avait décrété aux
applaudissements, non seulement des membres qui la composaient, mais encore du
public, ne serait pas repoussé par la représentation nationale.
M. Devaux. - Je ne sais pourquoi M. d’Elhoungne parle ici de
surprise et d’intention de vouloir esquiver la discussion. Il ne s’agit
aucunement de surprendre la chambre. Pourquoi vient-il ainsi jeter subitement
dans la délibération un amendement d’une aussi grande importance ? Il me semble
qu’il est permis de le combattre et qu’il n’y a pas là de surprise ni
d’intention d’esquiver la discussion. L’honorable membre vous a cité l’exemple
du congrès ; mais à l’époque dont il s’agit, les traitements des fonctionnaires
étaient plus élevés ; ils ont été considérablement réduits. D’ailleurs, à ce
précédent j’en opposerai un autre, c’est que la chambre a depuis refusé
d’adopter une mesure analogue à celle que M. d’Elhoungne nous présente.
J’ajouterai que par suite de la conversion des florins en francs, qui doit
avoir lieu, ces traitements seront encore diminués.
M. A. Rodenbach. - Lorsqu’on reçoit annuellement de l’Etat des sommes
considérables, il me semble qu’on peut bien payer une légère contribution. J’appuierai
donc fortement la proposition de M. d’Elhoungne, car je suis partisan des
économies. Mais je pense que nous devons attendre la discussion du budget des
dépenses, et alors j’en proposerai une autre dans le cas où celle de M.
d’Elhoungne ne serait pas adoptée.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - J’ajouterai aux considérations que vous ont
présentées M. le ministre de la justice et M. Devaux que depuis longtemps les
employés du ministère sont passibles d’une retenue pour la caisse de retraite.
Cette retenue, quoique considérable, est bien loin d’égaler les charges qui
résultent de cette caisse de retraite, et j’ajourne les explications à donner
sur ce point jusqu’au moment où il s’agira de cette réponse. Mais je dois dire
maintenant qu’on a doublé la retenue sur les traitements des employés des
finances. Par conséquent il serait injuste de les diminuer encore.
M. Jullien. - Je crois que l’amendement de l’honorable M.
d’Elhoungne a une trop haute portée pour que nous puissions en délibérer
sur-le-champ. Nous ne sommes pas préparés pour le discuter ; l’article 43 de
notre règlement a prévu ce cas. Il porte que la chambre peut suspendre1a
délibération si elle décide qu’un amendement doit être renvoyé dans les
sections ou à une commission. Quant à moi je pense qu’il faudrait peut-être
renvoyer celui de M. d’Elhoungne à une commission, mais dans tous les cas je
demande qu’on n’en délibère pas séance tenante.
M. d’Elhoungne. - J’appuie ce que vient de dire M. Jullien, et je demande le renvoi de
mon amendement en sections ou à un commission.
- La question du renvoi est résolue négativement après
une double épreuve.
M. d’Elhoungne. - Je déclare retirer mon amendement, sauf à le reproduite plus tard.
Article 3 (du projet de la section centrale)
L’article 3 du projet de la section centrale est mis
en discussion. Il est ainsi conçu :
« Les amendes, pénalités et condamnations
pécuniaires en matière d’impôt sont passibles des additionnels déterminés par
l’impôt auquel elles se rapportent.
« Ces additionnels seront dans tous les cas perçus au
profit de l’Etat.
« En cas de transaction autorisée par les lois,
ils ne seront dus que sur le montant de la transaction. »
M. de Robiano. - Messieurs, je m’étais proposé de présenter un
amendement sur cet article, mais la réflexion m’y a fait renoncer. Toutefois je
désire motiver mon opinion. Cet article maintient de nouveau les transactions
en matière d’amendes. Je crois qu’il n’y a que dans nos lois que ces
transactions sont permises a priori.
Ces transactions, messieurs, permises entre le
délinquant et l’employé subalterne me paraissent très immorales. La disposition
qui accorde une part dans l’amende aux agents du fisc depuis les employés
inférieurs jusqu’aux supérieurs est aussi quelque chose d’immoral et qui donne
lieu à beaucoup d’arbitraire. Je n’ai pas voulu faire de proposition à cet
égard, mais il me semble qu’il est très fâcheux que ce soit l’administrateur
intéressé qui transige ; c’est le juge qui devrait être appelé à décider. Je me
bornerai à ce simples observations, car je crois qu’il faut attendre pour faire
disparaître cet abus, jusqu’à la révision de nos lois financières.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je désire
seulement rectifier une erreur qu’a commise l’honorable préopinant au sujet de
la répartition des amendes, car il s’est abstenu de présenter un amendement et
a reconnu qu’il fallait attendre la révision générale de nos lois de finances.
Je lui répondrai qu’il n’est dans l’administration aucun chef qui ait part aux
amendes. Il n’y a absolument que les employés actifs, qui ont contribué à la
saisie, qui y participent. Ainsi il y a toute garantie pour les citoyens,
puisque les employés supérieurs qui jugent sont désintéressés.
M. Jullien.
- Il y a, messieurs dans la première partie de l’article en discussion un luxe
de sévérité et de fiscalité dont j’ai peine à me rendre compte. Lorsqu’il vous
suffit d’ouvrir le code des pénalités en matière de douanes et d’accises, pour
vous convaincre que ces pénalités sont excessives, je ne conçois pas que vous
veuillez les aggraver encore.
Réfléchissez, messieurs, que les amendes en matière
d’accises sont décuples du droit. Il m’est arrivé de voir des procès-verbaux.
Il m’est arrivé de voir des procès-verbaux dressés contre de malheureux
saulniers parce que dans le pesage du sel on n’avait pas trouvé la quantité
déclarée, et ces procès-verbaux prononçaient des amendes énormes. Eh bien c’est
dans un pareil système pénal que l’on propose encore des majorations
considérables. Il me semble que si l’on doit porter des majorations quelque
part, ce n’est pas là où les peines sont déjà trop fortes, mais où elles sont
trop douces.
L’honorable préopinant vous a
dit que les transactions étaient immorales. Je ne partage pas son opinion à cet
égard. Nos lois fiscales sont un tel guêpier, un tel guet-apens, que ces
transactions sont le seul moyen de se sauver des poursuites du fisc ; car,
quand l’on se trouve enlacé dans une loi compliquée, à laquelle les avocats
eux-mêmes ne comprennent plus rien (cela est arrivé souvent), il n’y a plus
d’autre voie à suivre, que de s’adresser à l’indulgence des agents de
l’administration. Dans l’état actuel de la législation, c’est la seule planche
de salut pour les malheureux contre lesquels on dresse des procès-verbaux. Mais
je suis tout à fait de l’opinion de l’honorable membre, quand il pense que
c’est une loi immorale que celle qui accorde une part de l’amende aux employés
saisissants.
Elle encourage les saisies,
elle occasionne des procès-verbaux que l’on fait, comme on dit, perfas et
nefas. Tous ceux qui ont siégé dans les tribunaux pourraient dire avec moi
qu’ils ont vu plusieurs de ces procès-verbaux portant tout le caractère du
mensonge et n’ayant pas d’autre motif que cette part d’amende, qui a tenté la
cupidité des employés. Il est toujours immoral de placer un homme entre son
devoir et son intérêt, et les employés subalternes de l’administration, placés
dans cette situation, peuvent ne pas avoir assez de probité pour ne pas se
livrer à des injustices criantes. Je sais bien que ce n’est qu’à la révision de
notre système financier, que de pareils abus peuvent disparaître, mais en
attendant je m’oppose à l’aggravation de pénalité que l’on propose.
M. d’Elhoungne. - Je partage l’opinion de M. Jullien. L’article en discussion est
ainsi conçu :
« Les amendes, pénalités et condamnations
pécuniaires, en matières d’impôt, sont passibles des additionnels déterminés
par l’impôt auquel elles se rapportent. »
Il y a là un entassement de mots qui étendrait la
mesure au-delà des bornes de la raison, ou ils expriment des non-sens. Je ne
connais pas deux genres de condamnation en matière d’impôts, les dommages dus
au fisc et les amendes. Supprimez les mots « pénalités » et « condamnations. »
On ne doit que des dommages ; ou ne doit rien au-delà ; il faut se borner au
mot « amende. »
Le législateur
doit être mis à même d’apprécier la portée d’une loi ; l’assemblée qui m’a
rappelé ce principe, y sera fidèle elle-même. Pour se faire une idée des pénalités
introduites dans nos lois fiscales, il faut s’imaginer qu’il y a trois ou
quatre mille espèces de contraventions fiscales. On ne doit pas les augmenter ;
car on ne pourrait dire quel en serait le résultat. Nous devons donc nous
abstenir en appliquant la règle devenue proverbe : dans le doute, abstiens-toi.
Les amendes s’élèvent, en matière d’accises, jusqu’à 20, 30, 40, 100 mille fr.
; pouvez-vous majorer des peines aussi fortes ?
M. H. de Brouckere. - J’ai exprimé mon opinion sur le budget, et j’ai
dit quels motifs m’empêcheront d’en voter l’adoption. Cependant, voulant qu’il
soit le moins mauvais possible, je vais plus loin que le préopinant, et je
demande qu’il y ait, dans la loi une disposition contraire à celle que l’on
nous propose. Je demande que l’article soit remplacé par celui-ci :
« Les amendes, pénalités et
condamnations pécuniaires ne sont, en quelque matière que ce soit, passibles de
centimes additionnels.
« En cas de transaction, autorisée par les lois,
le montant de la transaction sera aussi exempt de toute augmentation. »
Comment a-t-il pu entrer dans la tête de qui que ce
soit d’augmenter les pénalités dans des lois fiscales et dans des lois de
principes ? Quoi, tel délit, puni en 1832, sera puni différemment en 1833 ?
Dans un budget qui n’a de vigueur que pour une année, on ne peut augmenter ni
diminuer les peines infligées pour les délits ou contraventions. Considérez
dans quelles absurdités vous tomberiez d’après l’article proposé : dans
certains cas, les contraventions ou délits sont punis d’un emprisonnement ou
d’une amende équivalente ; vous augmenteriez l’amende sans augmenter
l’emprisonnement, de sorte que la loi n’aurait plus le même caractère d’équité.
J’espère que, d’après ces motifs, la chambre n’hésitera pas à adopter
l’amendement que je propose, et que je vais déposer sur le bureau.
M. de Robiano de Borsbeek. - J’appuie la proposition de MM. Jullien et de
Brouckere : en général, la rigueur des lois empêche leur application. Les
amendes sont déjà trop fortes, je désire donc qu’elles ne soient pas augmentées
de centimes additionnels.
Quant aux transactions avec l’administration, je crois
que nous sommes le seul pays où elles soient permises entre le délinquant et
l’agent du fisc. Je suis persuadé que l’administrateur supérieur n’a pas sa
part dans le partage ; mais c’est déjà un grand malheur que les administrateurs
subalternes partagent le résultat de ces transactions.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je pense, messieurs, qu’au lieu d’une rédaction
nouvelle, il faudrait se borner à la suppression de l’article ; car alors les
lois en vigueur reprennent leur marche.
M. A. Rodenbach. - Je demande, ainsi que le ministre, la suppression
de l’article.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Dans une discussion qui a eu lieu, plusieurs
orateurs ont manifesté le désir de voir augmenter la part des employés
intérieurs du fisc, afin de rendre plus active leur surveillance contre les
fraudeurs ; cela a porté mon prédécesseur à faire droit au vœu de la chambre
et, par un arrêté royal, la part des employés a été déterminée à 50 p. c. Il en
est résulté de très bons effets : les employés mettent plus de zèle, et
poursuivent les fraudeurs avec plus d’activité ; ce qui est dans l’intérêt de
notre industrie.
M. H. de Brouckere. - Mon amendement ne pourra avoir aucun mauvais
résultat, et dans certains cas, au contraire, il pourra lever beaucoup de
doutes. Un contrevenant sera condamné à une amende équivalente à dix fois le
droit ; mais le droit est augmenté de centimes additionnels ; l’agent du fisc
doutera s’il doit augmenter aussi d’après les centimes additionnels. J’ai
rédigé une proposition et l’ai mise sur le bureau.
M. A. Rodenbach. - Les lois pénales hollandaises sont déjà assez dures ; on ne doit pas
augmenter leur rigueur.
M. Jullien. - Je crois que l’amendement est inutile si l’on veut
rester dans la législation fiscale, dans la législation de 1822. Dans cette
législation, il y a, je crois, une disposition qui dit qu’on ne percevra pas
les centimes additionnels sur les amendes, les pénalités, et les condamnations
fiscales. Je suis étonné qu’on vienne sous le gouvernement nouveau, proposer
une disposition semblable à celle de l’article 3.
Je le répète, l’amendement est inutile ; nous restons
dans la loi hollandaise ; nous gardons ce qu’elle a de bon et de mauvais.
M. H. de Brouckere. - Si la disposition était dans toutes les lois
fiscales, je retirerais mon amendement ; sans cela, je persiste dans ma
proposition. Mon amendement est encore important pour les transactions ; elles
se font dans l’intérieur du bureau : les agents du fisc pourraient laisser
croire au contrevenant que les centimes additionnels doivent frapper le montant
de la transaction qu’il doit payer ; il faut donc mettre une disposition qui
l’éclaire. La plupart des agents du fisc se conduisent avec loyauté,
désintéressement ; mais personne n’oserait soutenir que parmi eux, il n’en est
pas un qui n’ait envie d’abuser de sa position. Pour éviter cet abus, on doit
insérer dans la loi la disposition que je propose.
M. Faider, commissaire du Roi.
- Je dois faire remarquer que l’amendement doit être modifie dans sa rédaction
: il faut que l’on explique que le montant des droits fraudés comprend et le
principal et les centimes additionnels.
M. H. de Brouckere. - C’est juste.
M. Faider. - Les lois fiscales interprétées par des agents du
fisc s’interprètent toujours dans l’intérêt du fisc.
M. H. de Brouckere. - Il n’y a qu’à ajouter à mon amendement :
« La présente disposition ne s’applique pas au montant
des droits fraudés. »
M. Angillis.
- J’allais faire une observation semblable à celle que vient de présenter M. le
commissaire du Roi. J’appuie l’amendement de M. de Brouckere que je crois très
nécessaire. Il est des lois qui s’expriment clairement sur les centimes
additionnels ; mais il en est d’autres qui gardent le silence. Je ne dirai rien
sur l’article en discussion, on a suffisamment montré qu’il était monstrueux.
M. de Theux. - Je demanderai simplement la suppression de
l’article du gouvernement ; je ne trouve aucune utilité à admettre l’amendement
de M. de Brouckere. Il y a toujours inconvénient à introduire dans un budget de
voies et moyens des dispositions qui ne sont bien placées que dans des lois
spéciales.
- L’amendement de M. de Brouckere est mis aux voix et
adopté à une très grande majorité.
On passe à l’article 4 du projet, ainsi conçu :
« Toutes les dispositions de la loi du 9 décembre
1831, auxquelles il n’est pas dérogé par la présente, sont maintenues.
« Néanmoins la dernière disposition de l’article
4 de ladite loi, qui soumet à l’impôt les foyers excédant le nombre de douze,
est abrogée. »
M. d’Elhoungne. - La première partie de cet article est tout à fait inutile, car il
est de principe que toutes les lois existantes auxquelles on ne déroge pas
continuent de rester en vigueur. Sous ce rapport il faut retrancher la première
disposition de l’article. Quant à la seconde je ne puis pas l’admettre par une
raison toute simple, c’est qu’elle tend à rétablir en faveur de l’opulence un
privilège en matière d’impôts. Vous devez vous rappeler que dans
la loi sur la contribution personnelle, on a exempté de l’impôt des foyers les
cheminées au-delà du nombre 12. Eh bien ! messieurs, les habitations qui
comptent plus de 12 foyers appartiennent évidemment aux classes riches : vous
voyez donc que c’est un privilège que vous leur accordez, tandis que s’il
pouvait y en avoir en matière d’impôt ce serait le principe tout opposé qui
devrait prévaloir. Le dernier paragraphe de l’article 4 aurait pour objet de
faire revivre ce privilège que vous aviez aboli l’année dernière. On vient de
vous dire que la mesure que vous avez adoptée n’a pas tourné au profit du
trésor, mais je ne puis croire que pour éviter d’être atteintes par cet impôt
les personnes riches aient pris le parti de supprimer un certain nombre des
cheminées existant dans leurs hôtels ou leurs châteaux.
M. Jullien. - Je partage l’avis de l’honorable M. d’Elhoungne
pour la première partie de l’article, qui me semble aussi inutile ; mais je ne
pense pas comme lui relativement à la seconde partie ; j’adopte au contraire la
proposition de la section centrale qui a voulu rapporter une disposition
injuste votée l’année dernière. En effet, messieurs, on a fait sentir avec
raison que c’est un impôt qui pèse presque exclusivement sur les aubergistes
qui par état sont obligés d’avoir un nombre de cheminées considérable et bien
au-dessus de 12. Je pense qu’il est dans l’intérêt de tous et dans celui du
fisc de ramener les choses à l’ancien système, parce que les personnes riches
éviteront facilement l’impôt qu’on veut faire peser sur eux en bouchant les
cheminées de leurs hôtels excédant le nombre de 12.
M. de Robiano. - J’ajouterai à ce que vient de dire M. Jullien que
M. le ministre des finances nous a donné l’espoir que dans la loi nouvelle sur
l’impôt personnel, il ne serait plus question des cheminées. Je saisirai cette
occasion pour dire un mot de deux autres contributions, je veux parler d’abord
de celle qui impose les messageries au profit de la poste aux chevaux. Il me
semble que si le tarif en était baissé, les maîtres de poste obtiendraient
eux-mêmes un produit assez avantageux parce qu’on se servirait beaucoup de la
poste. La seconde contribution dont j’ai entendu faire mention, c’est la vérification
des poids et mesures.
Plusieurs voix. - Ce n’est
pas là la question ; à la question !
- L’orateur se rassied.
M. Mary. - On a aussi élevé dans la section centrale la
question de savoir si la première disposition de l’article n’était pas inutile,
mais on a répondu que d’après l’article 111 de la constitution, les lois de
l’impôt n’ont de force que pour un an, et il nous a semblé que cette
disposition ne pouvait être supprimée.
Quant à la seconde, elle tend à réparer une erreur que
l’honorable membre qui y a donné lieu aurait voulu voir rectifier dès le
lendemain même de l’adoption des amendements.
M. Gendebien. - L’amendement que j’ai présenté l’année dernière, messieurs,
portait deux parties distinctes. Par la première je demandais qu’on exemptât
les maisons où il n’y aurait qu’un seul foyer. Je plaidais alors la cause du
pauvre, et par compensation, je voulais établir une taxe sur les riches, en
frappant de l’impôt les cheminées de leurs hôtels au-dessus de 12. On a rejeté
la première partie de ma proposition, et la seconde a été votée si
précipitamment que je n’ai pas eu le temps de dire que je la retirais. Le
lendemain je demandai que l’on exemptât les aubergistes de la mesure. Eh bien !
je fais encore la même proposition aujourd’hui ; je veux encore qu’on laisse
peser l’impôt sur le riche, et qu’on en affranchisse les hôteliers et les
aubergistes. On a dit qu’il n’avait rien produit ; mais je trouve étonnant que
quand on veut supprimer une contribution sur les riches, on dise qu’elle ne
produit rien tandis qu’on ajoute à ceux du pauvre. Quant à moi je suis
convaincu que dans toute la ville de Bruxelles on n’a pas bouché une seule
cheminée au-dessus de 12 pour s’affranchir de la disposition adoptée l’année
dernière.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Je répondrai à
l’honorable M. Gendebien qu’en comparant la masse des produits de deux années
l’administration est à même de voir si une mesure a été avantageuse au trésor.
C’est en faisant cette comparaison que nous avons vu que la disposition adoptée
l’année dernière tout en excitant beaucoup de plaintes, n’a pas été productive.
(Aux voix ! aux voix !)
M. de Robaulx. - Il me semble que je puis bien présenter une observation. On a dit
que l’impôt mis sur les foyers au-dessus de 12 avait donné lieu à la fermeture
de plusieurs foyers. Je crois qu’il y a un autre motif, c’est que dans les
grandes villes on n’a que trop remarqué depuis la révolution, que beaucoup de
gens riches se sont en allés et n’ont pas conservé 12 foyers seulement, mais
n’en ont conservé que deux ; c’est que les riches ont été promener leur luxe à
la campagne ou à Paris. Je suis de l’avis de ceux qui veulent conserver l’impôt
sur les cheminées excédant le nombre 12, même pour les hôteliers, sur le sort
desquels je ne m’apitoie guère ; car ce ne sera pour eux qu’un impôt indirect
qu’ils feront payer par les voyageurs. On sait que tous les aubergistes
s’enrichissent.
D’un autre côté, messieurs,
s’il est désagréable pour les grandes maisons qui ont 20 à 25 foyers, de devoir
fermer ceux qui sont inutiles, je demanderai s’il ne l’est pas bien davantage
encore pour ceux qui n’en ont que 6 et qui ne peuvent, à cause de leurs moyens,
en employer que 2. Ceux-là doivent fermer 4 foyers et rendre leurs appartements
humides. Eh bien ! pourquoi donc les gens riches ne pourraient-ils pas laisser
tous leurs foyers ouverts, quand ce ne serait uniquement que pour assainir
leurs appartements ?
Je demande qu’on laisse subsister la perception sur
toutes les cheminées excédant le nombre 12, parce qu’elle ne frappe que
l’opulence. (Aux voix ! aux voix !)
- La première partie de l’article 4 est mise aux voix
et adoptée.
M. le président
se dispose à consulter la chambre sur l’amendement de M. Gendebien.
M. Gendebien. - Je dois faire observer que mon amendement ne doit
être mis en délibération, que pour autant que la disposition du projet de loi
sera rejetée.
- La deuxième disposition de l’article 4 est mise aux
voix. L’épreuve étant douteuse, on demande l’appel nomina1. En voici le
résultat.
Sur 68 membres 37 ont voté pour et 31 contre. En conséquence,
cette disposition est adoptée.
M. d’Hoffschmidt dépose un amendement relatif au Limbourg et au Luxembourg et commence à
le développer, mais on demande le renvoi de la discussion à demain.
- La séance est levée à 4 heures un quart.
Membres absents sans congé à la séance du 19 décembre
1832 : MM. Brabant, Coghen, de Muelenaere, de Woelmont, Dumont, Jaminé,
Legrelle et Pirson.