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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 24
novembre 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet d’adresse en réponse au discours du
trône. Exécution du traité des 24 articles, intervention de l’armée française à
Anvers, système diplomatique suivi par le gouvernement (Dumont,
Dumortier, Mary, Dumont, Deleeuw, Pirson,
Jullien, de Brouckere, F. de Mérode, Lebeau, Dumortier, Nothomb, Rogier, de Brouckere, Gendebien, Pirson, Donny, Jullien, Goblet,
Lebeau, Gendebien, F. de Mérode, de Brouckere, F. de Mérode), clôture de la discussion (de Theux, de Muelenaere, de Robiano, Pirson)
(Moniteur belge
n°239, du 26 novembre 1832 et Moniteur belge n°330, du 27 novembre 1832)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge
n°239, du 26 novembre 1832) A
midi et demi, il est procédé à l’appel nominal ; la chambre est en nombre pour
délibérer, et la séance est ouverte.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques
présente l’analyse de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; ces
pétitions sont renvoyées à la commission spéciale.
- M. Dubois, dont l’admission avait été prononcée dans
l’une des séances précédentes, est introduit et prête serment.
PROJET D’ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
M. le président.
- Il y a deux objets à l’ordre du jour, un rapport sur les pétitions ou la
continuation de la discussion des paragraphes de l’adresse.
M. Pirson.
- Dans, les pétitions, il y en a une qui paraîtrait urgente ; mais je sais que
celui qui l’a présentée a reçu réponse de M. le ministre de la justice.
La chambre continue la discussion des paragraphes de
l’adresse en réponse au discours du trône.
La chambre en est restée aux paragraphes quatre et
cinq, ainsi conçus :
« § 4. Si, pour le repos de l’Europe, Votre
Majesté a pu amener les puissances garantes du traité du 15 novembre à en
assurer l’exécution, nous ne doutons pas que, fidèles à leurs engagements,
elles ne se borneront pas à un simple commencement d’exécution. »
« § 5. Votre Majesté aura eu soin de s’assurer
que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle se sera
également assurée que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du
Luxembourg n’auront pas lieu avant l’adhésion de la Hollande à l’exécution du
traité. Dans ce cas, la nation accueillera avec reconnaissance les fruits de la
politique du gouvernement. S’il en était autrement, le ministère aurait méconnu
les intentions de la chambre qui ne pourrait que protester contre l’évacuation
préalable du Limbourg et du Luxembourg. »
M. Dumont. - Pour remplacer les paragraphes 4 et 5, je
proposerai l’amendement suivant :
« Après des délais interminables, l’obstination
de la Hollande a amené l’emploi des moyens coercitifs de la part de deux alliés
de Votre Majesté. Comme vous, Sire, ils savent que depuis longtemps la mesure
des concessions est comblée de notre part, et nous avons la certitude que le
roi des Belges défendra avec la dernière énergie et nos droits, et nos
intérêts, et l’honneur national. Au milieu des circonstances qui nous pressent,
et dans l’état incomplet des négociations qui nous ont été communiquées, la
chambre des représentants croit, dans l’intérêt de l’Etat, devoir s’abstenir de
se prononcer sur la marche suivie par le ministère. »
M. le président.
- Le but de l’amendement tend à la réunion des quatrième et cinquième
paragraphes.
M. Dumortier,
rapporteur de la commission qui a été chargée de rédiger le projet d’adresse. -
Messieurs, il est impossible de diviser les paragraphes 4 et 5 ; il y a
connexité entre eux ; il y a beaucoup d’amendements qui se rapportent en même
temps à l’un et a l’autre.
- La chambre décide que la discussion des paragraphes
4 et 5 sera simultanée.
M. le président.
- Je vais lire plusieurs amendements proposés sur les paragraphes en
discussion.
Vous venez d’entendre celui de M. Dumont.
Voici l’amendement au paragraphe 5 qui a été proposé
dans la séance du 21 de ce mois par M. Deleeuw :
« Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce
commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle se sera
également assurée que l’abandon de Venloo et le morcellement du Limbourg et du
Luxembourg n’auront pas lieu, sans la certitude que la Belgique et les
populations que l’on sépare d’elle jouiront des droits et des garanties
résultant du traité. »
Plusieurs membres.
- Cet amendement a été retiré.
M. le président.
- Voici celui qui le remplace et qui a été proposé dans la séance du 23 :
« Le gouvernement de Votre Majesté aura eu soin
de s’assurer que ce commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique.
Il se sera également assuré que les territoires qui doivent être détachés de la
Belgique ne seront pas réunis à la Hollande, avant que celle-ci ait
formellement accepté et ait pris l’engagement de remplir les conditions
attachées à la possession des parties du Limbourg et du Luxembourg qui lui sont
assignées par le traité du 15 novembre. »
Voici l’amendement de M. de Brouckere, proposé dans la
séance du 21 :
« Votre Majesté aura soin de s’assurer que ce
commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique. Elle aura exprimé
sa ferme résolution de n’abandonner les parties du Limbourg et du Luxembourg,
assignées à la Hollande par le traité du 15 novembre, qu’après l’adhésion du
gouvernement hollandais à ce traité.
« Dans ce cas, la nation ne pourrait qu’approuver la
politique du gouvernement. S’il en était autrement, si le ministère avait eu
l’imprudence de s’engager à une évacuation de territoire avant l’échange des
ratifications, il aurait méconnu les intentions de la chambre, qui ne pourrait
que protester contre des engagements auxquels il n’était point en droit de
souscrire. »
Voici un amendement de M. Ullens :
« Votre Majesté aura eu soin de s’assurer que ce
commencement d’exécution ne sera pas funeste à la Belgique ; et la chambre aime
à croire que Votre Majesté a pris toutes les précautions qui sont en son
pouvoir, afin que la ville d’Anvers, déjà frappée sous tant de rapports des
fléaux de la guerre, n’ait pas à souffrir davantage des mesures jugées
nécessaires pour l’évacuation du territoire. »
Voici deux amendements de M. Dumortier
Le premier, relatif au paragraphe 5 seulement ; le
second aux paragraphes 4 et 5.
Le premier est ainsi conçu :
« Le ministère, en consentant à l’évacuation des
parties du Limbourg et du Luxembourg arrachées à la Belgique sans avoir
préalablement obtenu l’adhésion de la Hollande aux 24 articles, a sacrifié
l’honneur et l’intérêt du pays, et a enfreint la loi qui seule a pu autoriser
la signature du traité du 15 novembre, et qui ne l’a autorisée que dans les
termes mêmes du traité. »
Le second est ainsi conçu :
« Si le refus obstiné de la Hollande d’accéder au
traité du 15 novembres a dû forcer Votre Majesté d’en réclamer l’exécution des
puissances qui s’en étaient déclarées garantes, la chambre des représentants
n’a pu voir sans une vive douleur que la partie la plus désastreuse du traité
allait seule recevoir son exécution, en laissant indécises toutes les questions
fondamentales, alors que les cinq cours ont formellement déclaré que, « se
réservant la tâche et prenant l’engagement d’obtenir l’adhésion de la Hollande
aux 24 articles, quand même elle commencerait par les rejeter, elles
garantissaient de plus l’exécution du traité déclaré final et irrévocable.
« Ce n’est qu’à cette condition, Sire, que la
Belgique a donné son adhésion à un traité qui consacre les plus criantes injustices,
nous impose une dette énorme que nous n’avons pas contractée, et nous arrache
une partie de ceux qui, de tout temps Belges comme nous, avaient les mêmes
droits que nous à secouer le joug de la Hollande.
« Le ministère, en consentant à l’évacuation des
parties du Limbourg et du Luxembourg arrachées la Belgique sans avoir
préalablement obtenu l’adhésion de la Hollande, a sacrifié l’honneur, et
l’intérêt du pays ; il a enfreint la loi qui seule a pu autoriser la signature
du traité du 15 novembre, et qui ne l’a autorisée que dans les termes mêmes du
traité.
Une addition est proposée à l’amendement de M. Deleeuw
par M. Mary ; elle est ainsi conçue
« Votre Majesté empêchera surtout que la navigation de l’Escaut et de la Meuse
ne soit entravée ou grevée d’autres droits que ceux qui existaient au 9 juin
1815, époque à laquelle le congrès de Vienne déclarait dans l’article 3 de son
acte général que ces droits ne pouvaient en aucun cas excéder ces exigences à
cette date ; dans son article 109, que cette navigation ne pouvait, sous le
rapport du commerce, être interdite à personne, et que les règlements qui la
concernaient seraient conçus d’une manière uniforme pour tous ; et en outre,
dans son article 4 de l’année relative à la navigation de la Meuse, que les
droits existant en vertu des décrets du gouvernement français du 12 novembre
1806 et du 10 brumaire an XIV, ne seraient pas augmentés, dispositions qui
toutes sont conformes à la lettre et à l’esprit de l’article 9 du traité du 15
novembre 1831.
« Elle empêchera également que la portion de la
dette mise à la charge de la Belgique, et dans laquelle est déjà compris le
calcul de la majeure partie du passif du syndicat d’amortissement, ne se trouve
augmentée que par suite de la liquidation de cet établissement.
M. Mary.
- Je proposerai une nouvelle rédaction de cet amendement.
M. le président.
- M. Dumont a la parole pour exposer les motifs de son amendement.
M. Dumont.
- Messieurs, je dois déclarer que je ne suis pas l’auteur de l’amendement. Il
m’a été communiqué. L’auteur n’ayant pas cru devoir le présenter lui-même, j’ai
pensé rendre service à mon pays en m’en emparant.
Le ministre des affaires étrangères a dit hier :
« Ainsi, vous vous prononcez sur la conduite du
ministère actuel, vous prononcerez une sentence sur un procès qui n’est pas
instruit. Je crois que ce serait jeter le gouvernement dans de grands embarras
; que ce serait très funeste au pays. En attendant que le ministère puisse se
justifier, je crois qu’il est sage de s’abstenir de prononcer.
« On pourrait, il est
vrai, recourir à un comité général pour entendre le ministère ; mais, comme le
secret est impossible dans une assemblée, ce moyen ne pourrait convenir. »
-
L’amendement, étant appuyé par plus de cinq membres, reste en délibération.
M. Deleeuw.
- Avant d’exposer les motifs de mon amendement, je crois que l’on devrait
statuer sur l’amendement de M. Dumont.
M. le président.
- L’intention de l’assemblée est que tous les amendements soient développés. On
verra ensuite auquel on donnera la priorité.
M. Pirson.
- Je demande la parole pour un sous-amendement.
M. Jullien.
- Je demande la parole contre tous les amendements.
M. Deleeuw. - J’ai renoncé à mon premier amendement parce que je
l’ai trouvé insuffisant et trop vague. J’en ai été convaincu, surtout après
avoir entendu le discours prononcé hier par l’honorable M. de Muelenaere. J’ai
pensé que, puisqu’il s’agissait d’une exécution partielle du traité du 15
novembre, nous avions droit de demander des garanties, mais que nous ne pouvions
aller jusqu’à demander l’adhésion de la Hollande au traité du 15 novembre. J’ai
donc cru qu’on pouvait trouver un moyen terme, que nous pouvions demander à la
Hollande l’adhésion partielle, ou l’adhésion à la partie du traité pour
l’exécution de laquelle on prend des moyens de coercition. Je n’ai pas besoin
de développer davantage mon amendement.
Par ma proposition, le but des articles 9, 11, 21 du
traité du 15 novembre sera rempli, et peut-être le but de l’article 5. Je pense
qu’il est prudent de ne pas aller plus loin, et qu’il ne fait pas se prononcer
comme dans le paragraphe 5 du projet de l’adresse.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, c’est sur ce qui fait l’objet du
paragraphe que nous discutons, qu’a roulé la discussion générale tout entière ;
il me semble superflu de traiter de nouveau à fond, et avec tous les
développements dont elle est susceptible, une question qui me paraît pleinement
éclaircie, et qui est arrivée à un tel point de maturité, que chacun doit avoir
son opinion formée.
Trois opinions ont été soutenues.
Les uns veulent qu’on blâme le gouvernement pour avoir
consenti à une exécution partielle du traité du 15 novembre ; pour avoir
consenti à une évacuation partielle du territoire belge avant que la Hollande
ait donné son adhésion formelle, pleine et entière, aux dispositions du traité
du 15 novembre.
D’autres soutiennent, au contraire, que le
gouvernement a pu, a dû agir ainsi qu’il l’a fait.
Vient alors une troisième opinion, qui est celle de
ceux qui voudraient qu’on ne dît rien et qu’on laissât aller les choses jusqu’à
ce que tout soit consommé. Et prenez bien garde, messieurs, qu’au nombre de
ceux qui professent cette opinion, je range aussi ceux qui présentent et
soutiennent de ces petits amendements insignifiants qui ne disent rien.
Au nombre de ces amendements, il faut compter celui
que vient de proposer le préopinant. Voilà les petits moyens innocents qu’on
emploie pour empêcher de vous exprimer d’une manière nette et franche.
Messieurs, n’allons pas par des détours. Nous
connaissons le système du gouvernement : il nous a été exposé. Et je dois le
dire, si M. le ministre des affaires étrangères n’a pas eu tout le succès qu’il
eût pu désirer, du moins il a mis dans sa défense toute la décence et toute la
modération que nous devions attendre de la part du gouvernement dans des
discussions de ce genre.
Messieurs, le ministère nous a demandé lui-même une
solution rapide et nette de la question ; satisfaisons la demande du
gouvernement. Je l’approuve quand il demande que nous nous expliquions
complétement. Pour répondre à son attente, il y a à choisir entre deux opinions
: ou vous devez approuver le système du gouvernement, ou vous devez le blâmer.
Messieurs, vous savez dans quel sens est rédigé
l’amendement que j’ai présenté : il est au fond conforme au vœu de la
commission ; seulement j’ai trouvé que la rédaction du projet de la commission
laissait quelque chose à désirer, et je pense que parmi les membres de la
commission, il s’en trouve de mon avis ; mon amendement tend donc à ce que nous
déclarions que nous désapprouvons la marche suivie par le ministère ; et pour
soutenir mon amendement, je n’aurais besoin que de me servir des paroles du
ministère.
Le traité du 15 novembre est
notre droit politique extérieur. L’exécution de ce traité appartient au
gouvernement, j’en conviens ; mais j’ajoute : il ne lui appartient pas de
dépasser les bornées tracées dans ce traité.
Dans sa réponse du 3 novembre,
il a dépassé les époques fixées par l’article 24.
Comme ministre d’Etat, M. le
comte de Mérode a lui-même avoué que la faute du ministère se trouvait dans
l’article 24 ; mais il a ajouté qu’il fallait mettre le traité en regard
d’autres documents. J’ai sommé le gouvernement de montrer ces pièces, et il n’en
a montré aucune. On ne cite pas non plus d’acte du pouvoir législatif qui ait
révoqué en tout ou en partie le traité du 15 novembre, lequel reste notre droit
public.
On ne manquera pas de vous
dire qu’un engagement a été pris et qu’il faut le tenir religieusement ; mais
cet engagement a été pris par des personnes qui n’avaient pas le droit de le
souscrire ; cet engagement ne lie pas la nation.
Il est de principe que le
mandataire ne peut jamais dépasser les bornes de son mandat, sans quoi le
mandant peut désavouer son mandataire ; eh bien ! c’est un désaveu que nous
formons.
Mais on objectera encore que, dans la réponse du 3
novembre, le ministre a dit n’agir que d’après les ordres d’un haut personnage,
et qu’il faut que nous nous gardions bien de le compromettre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous ne l’avons pas dit.
M. H. de Brouckere. - Je ne dis pas que vous l’ayez ainsi exprimé ; je
dis que vous viendrez avec cet argument ; je veux le prévenir en le réfutant. (Murmures.)
Messieurs, on ne manquera pas de vous faire entrevoir
que le gouvernement ayant agi d’après les ordres du Roi, il a été de son devoir
de les suivre.
Je ferai observer que la note du 3 novembre a été
signifiée à deux gouvernements qui connaissent la responsabilité ministérielle
: le gouvernement anglais et le gouvernement français savent comme on le sait
en Belgique que le roi ne peut mal faire, et que si nous répudions la note du
ministre des affaires étrangères, c’est l’œuvre du ministère que nous répudions
et l’œuvre du ministère toute seule.
Je ne crois pas que cet argument puisse avoir de
l’influence sur la forme.
- L’amendement est appuyé par plusieurs membres.
M. F. de Mérode. - Messieurs, M. de Brouckere vous a dit que moi-même
j’avais reconnu la culpabilité du ministère, en raison de l’article 24 du
traité du 15 novembre ; mais c’était en isolant l’article des actes postérieurs
que l’on pouvait ainsi conclure contre les ministres ; et j’ai eu soin
d’ajouter encore, « à moins toutefois, ce qui serait juste, qu’il nous
parût préférable de traiter les affaires extérieures avec un genre
d’argumentation moins rigoureux que celui dont usent les avocats devant les
tribunaux ; et convenable de tenir compte des faits plus puissants en politique
que les démonstrations, fussent-elles mathématiquement exactes. »
Et lorsque M. H. de Brouckere eut réitéré son exigence
d’actes notoires, de pièces émanées des chambres, je lui répondis de nouveau
que j’avais parlé, non devant un tribunal, mais devant une assemblée politique.
Le préopinant vient de vous déclarer qu’il est du
devoir de la chambre d’accéder aux invitations des ministres, qu’il est de son
devoir d’approuver ou de blâmer hautement leur conduite. Non, messieurs, telles
ne sont point vos obligations : le devoir de la chambre est de considérer ce
qu’elle juge le plus utile à la chose publique, et d’adopter, avant tout, ce
principe de premier ordre, conformément aux sentiments exprimés par l’honorable
M. Dumont.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, dans un incident de la discussion
actuelle, j’ai eu l’occasion de dire, et je suis bien aise de le répéter, que la
question d’existence ministérielle est peu de chose pour nous en présence des
grands intérêts qui se débattent dans cette enceinte, et si cette question
pouvait avoir quelque importance à nos yeux, ce serait à cause de l’obligation
où nous sommes, non pas comme ministres, mais comme députés, comme citoyens, de
plonger au-delà d’une mutation ministérielle, de demander à la majorité, qui
deviendrait opposante, si elle a bien calculé toutes les conséquences de la
désorganisation du cabinet, au milieu des circonstances graves qui se pressent
d’heure et heure. Si la majorité, qui déclarerait que le gouvernement a suivi
une marche préjudiciable aux intérêts du pays, a une administration toute
prête, toute constituée à subsister à celle qui existe, qu’elle prenne acte de
la déclaration que je fais ici, que, quels que soient les hommes qui
composeront ce cabinet, je leur offre l’appui sincère de mes votes et de mes
faibles moyens, s’ils apportent au pouvoir des intentions droites et des vues
conformes aux vrais intérêts nationaux.
J’ai assez prouvé qu’alors même que je n’applaudis par
à tous les actes d’un ministère, je n’hésite pas à l’appuyer. C’est que je sais
faire la part des circonstances où nous nous trouvons, c’est que je sais
apprécier les difficultés de la position des hommes du pouvoir, et, c’est ainsi
que pendant la session dernière j’ai appuyé presque systématiquement le
précédent cabinet, bien que tous ses actes n’eussent pas mon approbation. Mais
je voyais des hommes qui, comme tous ceux qui viendront aux affaires dans des
temps de crise, pour rester, parfois, au-dessous des grands événements dont
nous sommes les témoins, ne s’en trouvaient pas moins à la hauteur de leurs
fonctions par la droiture de leurs intentions et la loyauté de leur caractère.
Oui, qu’on marche droit au but. Si vous ne voulez pas
du ministère actuel, donnez-lui des successeurs ; mais qu’on ne vienne pas
ensuite l’appuyer timidement, et surtout qu’on ne recule pas devant cette
crainte puérile, indigne d’un député loyal, de passer pour faire du
ministérialisme : comme si le gouvernement constitutionnel pouvait faire un
seul pas, sans qu’il y eût, dans les chambres une majorité pour appuyer
hautement et sans rougir les actes du cabinet !
Messieurs, je n’ai pas hésité à accepter le pouvoir
dans ces circonstances, parce que les difficultés étaient grandes. C’est pour
la seconde fois que de semblables motifs m’ont amené au ministère. J’aurais
considéré comme une lâcheté de ne pas répondre à la confiance qu’on voulait
bien placer en moi, précisément parce que les difficultés étaient grandes,
effrayantes, et rendaient presque impossible, j’en pourrais citer des témoins
irrécusables, la composition de toute administration nouvelle.
Est-ce une misérable ambition qui nous appelle ici ?
Il faudrait qu’elle fût bien robuste, cette ambition, qui vous clouant au banc
ministériel, semble autoriser de la part de l’opposition tout ce que l’injure a
de plus poignant, tout ce que le sarcasme a de plus incisif. Oui, que d’autres
viennent s’attacher à ce carcan, et, qu’ils soient catholiques ou libéraux, je
déclare que je les soutiendrai parce qu’il est du devoir d’un loyal mandataire
de fortifier un pouvoir naissant, sauf à se montrer moins indulgent plus tard.
Si tout est noble, si tout est légitime, si tout
conduit à la popularité dans l’opposition, et si, quand on soutient
l’administration, on doit être appelé l’avocat obligé de tous les ministères,
comme cela est arrivé hier à mon honorable ami (M. Devaux ), lui que ses
antécédents devaient mettre plus que tout autre à l’abri d’une si inconvenante
attaque, si une pareille réprobation prend faveur, il n’y a plus de
gouvernement possible.
Je le répète donc, faites un nouveau ministère, mais
appuyez-le sans fausse honte, mais ne reculez plus devant la crainte
d’effleurer votre popularité en faisant ce qu’on appelle du ministérialisme.
Il se passe, messieurs, dans cette discussion, une
chose assez étrange. L’ancien ministre des affaires étrangères est venu vous
dire, et il en sait quelque chose apparemment : « J’ai conçu un système,
je l’ai exposé aux chambres ; il a eu leur assentiment, et c’est sous leur
influence que j’ai posé tons mes actes. » L’homme qui s’est chargé
d’exécuter ce système vient vous dire aujourd’hui : « Le système, je l’ai
conclu comme mon prédécesseur, j’ai contribué à le soutenir à Londres d’après
ses inspirations ; plus tard je l’ai exécuté, et pas un désaveu, pas une
désapprobation ne s’est élevée contre ce système. »
Comment répond-on à ces deux hommes, l’un créateur,
l’autre exécuteur du système ? On leur dit : Vous n’y avez rien entendu, vous
n’avez pas su ce que vous faisiez, et vous avez pris à rebours l’intention de
la chambre. Aujourd’hui nous répudions vos actes, et nous prétendons que vous
n’avez pas compris un mot de ce que nous avions dit dans notre adresse.
M. Fleussu
adresse à ces voisins quelques paroles qui ne parviennent pas jusqu’à nous.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - M. Fleussu, vous parlerez à votre tour ; j’aurai
grand plaisir à vous écouter ; mais, en ce moment, je ne voudrais pas entendre
votre bourdonnement incommode.
M. Fleussu.
- Je m’adressais à M. Gendebien.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, la chambre n’a pas pris l’initiative du
système, il lui a été exposé et elle y a donné son adhésion. Maintenant la chambre prétend qu’on
ne l’a pas comprise, que ses intentions ont été méconnues. Eh bien ! nous
croyons que la chambre est de bonne foi. Mais s’il en est ainsi, si par un
malentendu, des actes se sont accomplis par suite d’un programme diplomatique
imposé par la chambre, mal compris par le cabinet, cette leçon ne
produira-t-elle pas quelque fruit ? Si votre volonté a été mal comprise par des
hommes dont vous n’accusez ni la loyauté, ni la droiture, ni la sagacité, ce
doit être pour vous une leçon sévère, et la chambre sentira que quand il s’agit
de traduire sa pensée en un système de politique extérieure, elle ne saurait y
apporter une trop grande circonspection.
Nous faisons l’apprentissage du gouvernement
constitutionnel ; si nous ne voulons pas y rester stationnaires, sachons
profiter des fruits de l’expérience.
Le système qui vous avait été exposé par le précédent
ministre des affaires étrangères a reçu une déviation momentanée, et je dois en
rendre grâce à la chambre, elle ne l’a pas désapprouvée. Cette déviation fut
inspirée par le patriotisme le plus pur, et par le dévouement le plus noble, Il
y a eu déviation quand M. Goblet a tenté une négociation directe avec la
Hollande.
Il n’est pas blâmable, vous l’avez reconnu, messieurs,
l’homme qui n’a pas reculé devant une immense responsabilité toute individuelle
: il y a eu là courage, abnégation ; c’est un hommage qu’il faut rendre à M.
Goblet.
M. de Muelenaere vous a parfaitement démontré hier que
nous n’étions plus dans le système de l’article 24 du traité du 15 novembre.
Vous en êtes sortis, pour paralyser l’effet désastreux que vous attribuez aux
réserves de la Russie. Que l’on rapproche le système de M. de Muelenaere des
causes qui lui ont donné naissance, et vous en trouvez la nécessité dans les
réserves russes, et dans les prévisions de la chambre sur le sens que certaines
cours de l’Europe pouvaient y attacher. Je ne me ferai pas l’apologiste de ces
réserves ; ici et ailleurs encore, je les ai hautement désapprouvées ; mais
aujourd’hui je ne vois pas la nécessité de faire la guerre à des faits
irrévocablement accomplis.
Les réserves russes ont donc donné naissance au
système d’évacuation préalable, dont M. Goblet a poursuivi l’accomplissement
auprès de la conférence de Londres ; mais là s’est élevé un dissentiment ; la
conférence n’a jamais laissé percer l’intention d’en venir à l’emploi des
moyens de coercition, avant une tentative de négociation directe qui aurait eu
pour but l’acceptation du traité par la Hollande, au moyen de quelques
modifications mutuellement acceptables, sans lesquelles il n’était pas permis
d’espérer une adhésion immédiate.
Vous savez qu’il s’agissait de procéder d’après un
système de justes compensations.
La conférence n’a donc pas voulu consentir aux moyens
de coercition avant une tentative de négociation directe avec la Hollande ;
mais comme le ministère belge voulait lui-même n’y consentir qu’à la condition
de l’évacuation préalable, il s’en est suivi un conflit négatif, dont la
conséquence nécessaire aurait été un statu quo indéfini. Voilà où conduisait le
système, mis en rapport avec les intentions de la conférence de Londres. Or,
cet état de choses ne pouvait durer. Personne ne consentait au statu quo,
personne n’en voulait.
Pour sortir de cette impasse, il n’y avait que le
moyen adopté par M. Goblet : une négociation tentée directement entre la Hollande
et la Belgique, sous toute réserve, si elle échouait, d’en revenir aux
dispositions du traité. Cette tentative a échoué, vous le savez ; mais elle a
eu l’avantage inappréciable de constater aux yeux de l’Europe le mauvais
vouloir de la Hollande, qui, depuis trois mois avait hypocritement prétendu que
son plénipotentiaire à Londres était muni de pouvoirs nécessaires pour traiter
directement. Cette tactique a été démasquée, et voilà le résultat de la
déviation momentanée de M. Goblet au système suivi jusqu’alors.
Une fois la tentative de négociation close, le système
nouveau est devenu plus complet que celui qu’on avait poursuivi à Londres. Il
nous a été donné de demander non seulement l’évacuation préalable, mais
l’exécution complète et violente du traité. C’est dans ce sens que le ministre
des affaires étrangères a parlé aux cabinets de France et d’Angleterre ; la
note du 30 octobre en fournit la preuve la plus irrécusable. Voici, messieurs,
les deux passages de cette note qui dessinent le mieux la politique du cabinet
actuel :
« Le temps est donc venu de mettre à exécution un
traité revêtu depuis cinq mois de la sanction commune des cinq cours, et dont
l'inaccomplissement expose la paix de l'Europe à des dangers croissants et
continuels. Au-delà du nouveau refus du gouvernement hollandais, il n'y a plus,
pour arriver à ce résultat, que l'emploi des forces matérielles, car on ne peut
supposer que les puissances admettent un ajournement indéfini qui porterait la
plus grave atteinte à l'ordre public européen, et qu'après deux ans de
laborieuses négociations un traité solennellement ratifié reste sans exécution.
« En conséquence, le soussigné a reçu l'ordre
formel de son souverain, de réclamer du gouvernement de Sa Majesté le roi des
Français l'exécution de la garantie stipulée par l'article 25 du traité du 15
novembre 1831 conclu avec la Belgique. Les circonstances requièrent des mesures
vigoureuses et efficaces. Le soussigné ose espérer que le gouvernement français
n'hésitera pas à les prendre, en exécution des engagements contractés envers la
Belgique. »
Vous savez, messieurs, quel a été le résultat de cette
sommation qui fut adressée également au cabinet britannique ; ce résultat est
venu se résumer dans la convention du 22 octobre, et je ne crains pas de dire
que l’intention des deux puissances d’arriver à l’exécution entière du traité
s’y révèle de la manière la plus évidente. En voici les passages les plus
saillants :
« Sa Majesté le roi des Français et Sa Majesté le
roi du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, ayant été invités par Sa
Majesté le roi des Belges à faire exécuter les articles du traité relatif aux
Pays-Bas, conclus à Londres le 15 novembre 1831, dont l’exécution, aux termes
de l’article 25 dudit traité, a été conjointement garantie par LL. MM.
l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et l’empereur de toutes les Russies,
etc.. etc. ;
« Ont résolu, malgré le regret qu’ils éprouvent
de voir que leurs majestés l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et
l’empereur de toutes les Russies, ne sont pas préparés en ce moment à concourir
aux mesures actives que réclame l’exécution dudit traité, de remplir à cet
égard, sans un plus long délai, leurs propres engagements ; et c’est en vue d’y
parvenir, par un concert immédiat des mesures les mieux calculées à cet effet,
que LL. MM. le roi des Français et le roi du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne
et d’Irlande ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir : etc. etc.
« Article premier. S. M. le roi des Français et
S. M. le roi du Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande notifieront à S.
M. le roi des Pays-Bas et à S. M. le roi des Belges, respectivement, que leur
intention est de procéder immédiatement à l’exécution du traité du 15 novembre
1831, conformément aux engagements qu’ils ont contractés ; et comme un premier
pas vers l’accomplissement de ce but, leursdites majestés requerront S. M. le roi des Pays-Bas de prendre, le 2 novembre
au plus tard, l’engagement de retirer, le 12 dudit mois de novembre, toutes ses
troupes des territoires qui, par les premier et seconds articles dudit traité,
doivent former le royaume de la Belgique, dont les parties contractantes à ce
traité ont garanti l’indépendance et la neutralité. »
Vous voyez que M. le général Goblet n’a pas seulement
sommé la France et l’Angleterre de faire évacuer le territoire, mais qu’il les
a sommées, fort qu’il était d’avoir démasqué le plénipotentiaire hollandais, de
l’avoir laissé sans excuse aux yeux des puissances les plus favorables à la
Hollande, de les avoir mises dans l’impossibilité de la défendre ; il les a
sommées, dis-je, de faire exécuter le traité tout entier par les moyens
coercitifs.
Voilà le fait du gouvernement.
Maintenant arrive le fait des puissances garantes et
exécutrices ; si elles procèdent partiellement à l’exécution, ce n’est plus le
fait du gouvernement belge ; elles seules sont juges des moyens les plus
propres à exécuter la garantie promise et réclamée.
Mais, demande-t-on, si l’exécution doit être entière,
pourquoi l’armée française quittera-t-elle le territoire belge immédiatement
après la prise de la citadelle d’Anvers ? Indépendamment de graves motifs
politiques, je demanderai si, pour les autres conditions du traité, il est
besoin d’une armée française en Belgique. Oui, évidemment pour s’emparer de la
citadelle d’Anvers une armée est nécessaire, une expédition maritime ne
pourrait rien ; mais pour les autres points, et sans vouloir préjuger en rien
ce que feront les puissances, une intervention par terre est-elle indispensable
? Je ne le crois pas.
Indépendamment de ce que les considérations les plus
graves militent pour que l’armée française ne prolonge pas trop son séjour chez
nous, rappelez-vous, messieurs, de quelles répugnances le ministère anglais
doit triompher dans son propre pays, dans le parlement et dans les cours du
Nord., Si une armée française prolongeait son séjour en Belgique, combien
deviendrait facile une collision entre elle et celles des Etats qui nous
avoisinent !
Il y a sur ce point, dans le langage de l’opposition,
une contradiction frappante et que je dois relever en passant. Voyez-vous,
dit-on, d’un côté l’armée française vient ici pour s’emparer de la citadelle
d’Anvers, et pour nous imposer après ce fait d’armes de nouvelles concessions ;
et d’autre part, on se plaint qu’immédiatement après la prise d’Anvers elle
doive se retirer. Conciliez ces contradictions si vous le pouvez ; quant à moi
je déclare n’être pas assez habile pour cela.
La France et l’Angleterre, procédant toujours d’après
les termes de la convention du 22 octobre, produisent à leur tour l’acte du 30
octobre. Là elles font sommation au gouvernement belge et au gouvernement
hollandais d’évacuer réciproquement les territoires qui cessent de leur
appartenir.
Pouvions-nous refuser ? Personne ne l’exige. Le seul
reproche qu’on nous fasse, c’est d’avoir consenti, nous dit-on, sans condition
; car, de ce qu’il n’y a pas de conditions patentes, il s’ensuit, selon la
logique de l’opposition toujours bonne contre le ministère, que nous nous
sommes livrés pieds et poings liés à l’Angleterre et à la France.
Je le demande cependant, pouvions-nous, sans mauvaise
foi, nous opposer à leurs résolutions ? Le pouvions-nous sans danger ?
Le pouvions-nous sans mauvaise foi ? D’autant moins, messieurs,
que la sommation du 30 octobre n’était que le contrecoup de la sommation que
nous avions faite nous-même.
Le pouvions-nous sans danger ? Mais, messieurs, sur
qui pourrons-nous compter en Europe, si nous nous aliénons la France et
l’Angleterre ? Je le dis avec une conviction intime : aliénons-nous ces deux
puissances, et il n’y a plus de Belgique. (Mouvement.)
Les moyens d’exécution, je l’ai déjà dit, étaient dans
le domaine, dans le libre arbitre des puissances garantes. Le choix qu’elles
ont fait vous déplaît-il ? Repoussez-le. Mais nous ne le pouvons sans blesser
profondément la France et l’Angleterre : la France qui, ne l’oublions pas, nous
a sauvés, en 1830, de l’intervention prussienne, d’une restauration ; et
l’Angleterre, sans le concours de laquelle la France est réduite à se défendre
seule contre le reste de l’Europe ; l’Angleterre, qui, en 1831, nous a fait
obtenir la liberté de l’Escaut.
Après la sommation que nous avons faite à la France et
à l’Angleterre, si nous avions adhéré avec des conditions expresses, il leur
était libre d’agir ou de ne pas agir. Si elles eussent pris ce dernier parti,
que vous restait-il ? Le statu quo. Je demande si quelqu’un eût osé en assigner
le terme.
On voulait, et on avait raison de vouloir de la
Hollande, une adhésion pure et simple, et non une de ces adhésions entortillées
qui ne terminent rien. On voulait, pour réponse à la sommation du 30 octobre,
un oui ou un non ; et si nous n’avions pas été aussi catégoriques, si nous
avions posé dans notre sommation des réserves et des conditions, de quel droit
les aurait-on refusées à la Hollande ? Voilà le piège que nous avons aperçu,
que nous avons voulu éviter.
Une adhésion conditionnelle de la Hollande ne
pouvait-elle paralyser les moyens coercitifs, donner ouverture à des
négociations nouvelles ?
J’entends toujours parler de l’adhésion préalable de
la Hollande au traité ; mais si la Hollande se refusait obstinément à donner
son adhésino, qui vous a dit que chaque partie ne devrait pas être enlevée par
la force ? Or, s’il en est ainsi, par quel point commencera-t-on ? Sera-ce par
la dette, à l’égard de laquelle, on voudra bien en convenir, le provisoire ne
vous tue pas ? On répondra : obtenez avant tout l’adhésion préalable de la
Hollande. Commencera-t-on par la question du syndicat d’amortissement ? Obtenez
aussi l’adhésion préalable. Il en sera de même pour chaque partie du traité ;
ainsi vous tournerez sans cesse dans un cercle vicieux, et vous rendrez tout
moyen de coercition impossible tant que le roi de Hollande n’adhérera pas à
toutes les dispositions du traité dont on ne demande pas l’exécution immédiate.
Remarquez, messieurs, que la chambre l’a ainsi entendu
dans son adresse. On y lit, en effet, ces mots : « Ce n’est qu’après cette
exécution qu’il pourrait être question d’ouvrir les négociations dont parlent
les réserves. » Cherchez le mot « adhésion » dans l’adresse. Je
crois pouvoir assurer que vous ne l’y trouverez pas.
Mais il y a plus, c’est que l’évacuation, même
volontaire,, n’entraîne pas nécessairement l’adhésion du roi de Hollande, Quand
il a adhéré à la suspension d’armes, à l’armistice, a-t-il pour cela reconnu
notre indépendance ? Nullement. Et quand il adhérerait aujourd’hui à
l’évacuation du territoire, quand il se mettrait d’accord avec nous sur
plusieurs autres points du traité, il le pourrait sans reconnaître notre
indépendance. Car le roi de Hollande pourrait négocier par l’intermédiaire de
la conférence, comme il l’a toujours fait ; se mettre d’accord avec nous sur
plusieurs points du traité, sur l’évacuation même, sans reconnaître la
Belgique. Ainsi jamais le traité ne serait exécuté par voie de coercition, si
vous exigez une adhésion préalable quelconque à une partie du traité. Exécution
forcée et adhésion volontaire sont deux choses inconciliables.
On prétend aujourd’hui que nous ne serons rien sans la
reconnaissance du roi de Hollande. Nous devenons bien humbles aujourd’hui,
messieurs, de superbes que nous nous faisions naguère.
Oui, vous pouvez avoir l’évacuation volontaire sans
l’adhésion de la Hollande. La chambre l’a bien senti ; aussi dans son adresse
n’a-t-elle pas prononcé ce mot une seule fois ; elle n’a jamais parlé que de
l’exécution du traité. Ainsi le gouvernement...
M. H. de Brouckere. - Et l’article 24 du traité !...
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous ne pouvons procéder d’après l’article 24. M.
de Muelenaere vous l’a prouvé hier. Quant à l’évacuation de la citadelle
d’Anvers, cette évacuation n’est plus rien aujourd’hui : c’est chose convenue,
à ce qu’il paraît. L’Europe a beau dire le contraire ; les journaux de
l’opposition en France, répétés par les journaux belges, ont eu beau dire :
Toute la question belge est dans la citadelle d’Anvers, on n’en tient compte.
Le roi Guillaume aura beau prouver combien il attache de prix à sa possession,
ii aura beau faire levée d’hommes sur levée d’hommes, accumuler emprunts sur
emprunts, imposer cents additionnels sur cents additionnels, pour se maintenir
chez nous, tout cela n’est rien ; nous en savons plus que l’Europe, plus que le
roi Guillaume, plus que les états-généraux dont je vous ferai connaître tantôt
une séance fort remarquable.
Mon honorable collègue, le ministre de l’intérieur,
vous l’a dit hier : ne voyez-vous pas que l’évacuation forcée est le véritable
moyen de détromper le roi de Hollande de l’opinion où il est sur
l’impossibilité du recours à l’emploi de moyens coercitifs, de le détromper sur
les secours qu’il espère des puissances du Nord ? Ne le voyez-vous pas
désillusionné, si je puis m’exprimer ainsi, perdre peu à peu cette confiance
dans l’appui des puissances, dont des considérations d’un ordre supérieur, fort
heureusement pour nous, enchaînent la volonté ? Ne voyez-vous pas, quand il
sera ainsi détrompé, qu’il devra se trouver plus disposé à céder sur les autres
points ?
Mais si la possession de la citadelle d’Anvers n’est
rien, pourquoi avoir exigé l’évacuation préalable, même avec l’adhésion du roi
de Hollande ? Si ce point n’est rien, je vous prie de dire ce que nous
gagnerions à l’évacuation réciproque et volontaire ? Je le demanderai : si la
citadelle nous avait été rendue dans les premiers jours de notre révolution,
qui eût jamais pensé à demander l’évacuation même volontaire du territoire ?
L’évacuation obtenue, même volontairement, même avec adhésion du roi de
Hollande, ne laisse-t-elle pas ouverture à des discussions sur plusieurs
questions vitales, sur des questions d’où peut sortir la guerre ? Et, pour
faire la guerre, que les tacticiens de la chambre déclarent beaucoup plus
chanceuse après l’évacuation de la citadelle, la question d’adhésion n’est rien
si l’adhésion n’est complète, si les points litigieux ne sont réglés
simultanément avec l’évacuation.
Encore un coup, la question seule de l’Escaut suffit
pour engendrer une guerre nationale en Hollande, Or, la question de l’Escaut,
vous avez toujours pensé qu’elle pouvait être traitée après l’évacuation,
Si des relations politiques nous descendons aux
considérations d’humanité, nous demanderons s’il n’est pas vrai que l’espoir
d’obtenir l’évacuation sans désastre pour la ville d’Anvers n’est pas tout
entier dans l’intervention de la France et de l’Angleterre ? La Hollande
évacuera peut-être volontairement, peut-être après un commencement d’opérations
et au moyen d’une capitulation honorable pour le commandant et la garnison de
la citadelle. Le roi de Hollande peut, sans se déshonorer à ses yeux, céder à
la France et à l’Angleterre, comme il l’a fait pour l’Escaut en janvier 1831.
Mais le ferait-il pour les Belges ? Epargnerait-il Anvers si nous étions seuls
contre lui ? Croyez-vous, s’il n’avait qu’à compter avec la Belgique, si la
France et l’Angleterre, agissant au nom de la conférence, ne le menaçaient
d’une vengeance, d’une répression européenne, qu’il balançât à consommer la
ruine de cette opulente et malheureuse cité ?
Voilà des considérations qui n’ont pas été étrangères
à la pensée du ministère, et je me fie à la justice et au bon sens des
habitants d’Anvers pour l’apprécier. Ils sauront en cette circonstance rendre
hommage à la politique du gouvernement.
Mais, nous dit-on encore, vous livrez pieds et poings
liés, après les avoir vendus (car c’est là le ton de la polémique dirigée
contre le ministère), vous livrez pieds et poings liés, après les avoir vendus,
les habitants du Limbourg et du Luxembourg ! Vous avez entendu, à cet égard,
les explications du ministre des affaires étrangères. Dussé-je ne pas conquérir
l’approbation de la chambre, je n’irai pas plus loin que lui. Mais, méditez ce
qu’il vous a dit. Les garanties du traité ne sont pas de vains mots, et si des
garanties de cette nature étaient illusoires, elles le seraient aussi bien avec
l'adhésion du roi de Hollande que sans cette adhésion.
Il y a plusieurs catégories d’habitants dans les
territoires cédés. Les masses, dans les révolutions, ne sont guère compromises.
Quant aux personnes que leur conduite signalerait à la vengeance du roi
Guillaume, une proposition vous a été faite, et je la déposerais moi-même sur
le bureau, si son auteur y renonçait.
La sollicitude du gouvernement s’est déjà portée vers
les personnes compromises, vers les fonctionnaires publics notamment, et nous
n’avons pas attendu jusqu’à ce jour pour fixer notre pensée sur leur pénible
position. Dans ce moment je suis en mesure de placer, et d’une manière
convenable, les membres de la magistrature. Dans l’administration il en est de
même, et M. le ministre des finances vous dira que depuis quelque temps un
concert de mesures a été arrêté par nous sur ce point.
L’humanité nous en fait la loi, et dût-on révoquer la
nôtre en doute, on accordera du moins que, nouveaux Méphistophélés, nous ne
pouvons faire le mal pour le plaisir de faire le mal. Cependant, d’après
l’opposition, nous sommes les vendeurs de nos frères, nous trafiquons de nos
compatriotes. Hier, on a dit que nous étions des assassins ; et si cette
progression suit son cours naturel et nécessaire, demain sans doute nous serons
des anthropophages. (Mouvement.)
Messieurs, on nous a menacés des imprécations de 300
mille âmes. Ah ! messieurs, nous le savons, le malheur rend injuste ; nous
avons la conscience que ces imprécations seraient imméritées, et que nous
n’avons fait, en adoptant les 24 articles, en nous résignant aux 24 articles,
que céder à des considérations d’un ordre supérieur.
Mais, si nous voulions user de
récriminations ; si, mettant de côté les intentions que nous respectons, et que
nous croyons pures, nous voulions vous dire comment nous apparaît le tableau
des conséquences de votre système et de celui que vos amis politiques
soutiennent en France, nous vous dirions que ces conséquences auraient anéanti
le nom belge, vous auraient exposés aux imprécations, non de 300 mille âmes,
mais de quatre millions d’hommes, auraient entraîné une guerre générale, fait
peser sur vous une terrible responsabilité, provoqué, après les imprécations de
vos concitoyens, celles de l’Europe entière ; on vous accuserait peut-être
aujourd’hui d’avoir couvert le monde de sang et de ruines, d’avoir bouleversé
tous les principes d’ordre et de civilisations pour revenir, par un long et
sanglant circuit, aux baïonnettes du 18 brumaire ou aux baïonnettes de 1815.
M. Dumortier.
- Messieurs, je ne m’attendais pas, dans la discussion importante qui vient de
s’ouvrir, à voir figurer les dénominations de libéraux, de catholiques. Nous
sommes tous ici les amis du pays, tous nous devons nous unir pour tâcher de
rendre sa position meilleure. Il n’y a pas ici de parti, et, quoique le
ministre qui vient de parler avant moi ai eu l’air...
M. le président.
- Je ferai remarquer à l’honorable orateur qu’il ne s’agit ici que de
développer son amendement.
M. Dumortier.
- C’est aussi ce que je vais faire, mais j’ai pensé qu’il valait mieux répondre
tout de suite au discours de M. le ministre pour ne pas être obligé de demander
la parole une seconde fois, (Oui ! oui !
parlez !)
Je disais donc, messieurs, que tous, ici, nous sommes les
amis du pays, que nous sommes tous unis pour sa défense ; et, malgré ce qu’on a
eu l’air d’insinuer adroitement que telle ou telle opinion de parti pouvait
influer sur la décision de la chambre, je déclare, sans crainte d’être
contredit, que si l’on voulait prendre les 5 membres de l’assemblée qui
jouissent de plus de considération et d’influence, et que ces membres se
rendissent coupables des fautes du ministère, un cri unanime de réprobation
s’élèverait pour les condamner.
Messieurs, le ministère s’est-il mis en opposition
avec la chambre ? Voilà la question à laquelle se rattache l’amendement que
j’ai eu l’honneur de proposer. Sans doute, on n’en disconvient plus maintenant
; car on vient de reconnaître que le ministère s’est trompé sur le sens à donner
à notre adresse précédente. Je vois avec plaisir qu’il abandonne enfin un
système de défense qui a excité et devait exciter les réclamations les plus
vives. Car n’était-ce pas une chose étrange que de voir les ministres reporter
sur nous la responsabilité de leurs actes, tandis qu’ils voulaient assumer les
conséquences des actes de leurs prédécesseurs ?
Messieurs, la note du 11 mai, dont on s’est prévalu,
ne prouve exactement rien contre la chambre. Cette note n’a été soumise ici
qu’à une simple lecture, elle ne nous a été remise qu’après la clôture de la
session, et, lorsque nous en exigions tous la remise, c’est qu’elle
désapprouvait (comme on vous l’a dit hier) la conduite de notre ambassadeur à
Londres, qui avait eu la faiblesse de recevoir la ratification de la Russie.
On a voulu nous mettre en contradiction avec
nous-mêmes. J’aurais pour mon compte bien des preuves à donner du contraire,
mais les orateurs qui m’ont précédé ont déjà suffisamment répondu à cette
allégation, et je ne m’en occuperai pas.
Est-il vrai que le ministère se soit écarté de la
marche qui lui était tracée par la chambre, et ait adhéré à un traité différent
de celui que nous l’avions autorisé à accepter ? Voilà le point que je veux
traiter. Eh bien, messieurs, lorsque, le 1er novembre 1831, vous avez rendu
votre loi autorisant le gouvernement à conclure les 24 articles, avez-vous
entendu, je vous le demande, étendre cette autorisation à autre chose qu’à ce
traité des 24 articles ? Non, certainement. Vous avez senti tous, et le ministère
a senti lui-même, que toutes les dispositions de ce traité étaient corrélatives
et qu’on ne pouvait accepter les unes sans les autres. C’est ainsi, je le
répète, que l’a entendu le ministère précédent lui-même, et d’ailleurs, je le
prouve par le mémoire qu’il a adressé à la conférence le 2 août dernier.
Voici ce que dit ce mémoire :
« Le traité du 15 novembre repose sur un système
de compensation ; toutes les dispositions se tiennent, s’expliquent et se
corrigent mutuellement ; pour chaque concession, il doit y avoir un
dédommagement ; pour chaque sacrifice, un palliatif. C'est ainsi qu'il y a
connexité entre la question du Limbourg et celle du Luxembourg ; le roi des
Pays-Bas n'obtient un accroissement de territoire dans le Limbourg qu'en cédant
une partie du Luxembourg. De même il y a connexité entre
le partage des dettes et les stipulations relatives aux communications
commerciales : si la Belgique se charge d'un surcroît de dettes, c'est qu'elle
doit obtenir des avantages commerciaux particuliers. »
Plus loin le ministre ajoute :
« S’il y a lieu de s’étonner, c'est qu'une combinaison conçue au profit de la Hollande est
aujourd'hui méconnue par elle, et que, voulant lui enlever le caractère d'un
échange, elle prétende s'attribuer proprio jure tout ce qui lui est
assigné dans le Limbourg, faisant de la cession d'une partie du Grand-Duché de
Luxembourg une espèce de libéralité gratuite et tout à fait éventuelle. »
Vous voyez donc, messieurs, que ce ministère lui-même
a reconnu la connexité dont je parle, et qu’il n’était pas en droit de
consentir à morceler le traité du 15 novembre, ni à nous déposséder de forts et
de territoires qui sont pour nous le gage de l’exécution intégrale du traité.
Quant à la question constitutionnelle, je crois
n’avoir pas besoin de l’aborder, personne n’y a répondu ; et d’ailleurs,
l’article 68 de notre pacte fondamental est tellement clair, qu’il est
impossible de nier que le ministre l’ait violé. Cet article porte en partie :
« Les traités de commerce, et ceux qui pourraient grever l’Etat ou lier
individuellement des Belges n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment des
chambres. » Or, messieurs, viendra-t-on prétendre que le traité du 22
octobre ne grève pas indûment l’Etat, quand il nous place dans une position précaire,
dans l’obligation d’accepter toutes les concessions et tous les sacrifices ? Le
ministère n’était donc pas en droit d’y adhérer ; en le faisant, il a violé la
constitution.
On vous a dit que le pays ne voulait plus du statu
quo. Non, messieurs, le pays ne voulait plus du statu quo, mais pourquoi ?
Parce qu’il sentait qu’il était temps d’en finir, parce qu’il était épuisé à
force de donner des hommes et de l’argent. Et n’était-ce pas pour le faire
cesser, ce statu quo, qu’on nous demandait l’autorisation de recourir à des
emprunts, d’élever l’armée à 100,000 hommes et ensuite à 130,000 hommes ? Eh
bien ! nous avons tout accordé ; et dans quel but ? Dans le but d’être à même
de faire nos affaires par nous-mêmes et non par l’intervention des autres.
Voilà pourquoi nous avons consenti à tout ; c’était pour sortit de ce statu quo
destructif de nos intérêts et de notre liberté. Mais est-ce à dire pour cela
que nous voulions en sortir en appelant l’étranger, en rendant notre position
cent fois plus désastreuse ? Non, messieurs ; le ministère ne peut produire un
seul acte de la chambre qui prouve que c’était là sa volonté.
J’ai entendu dire que l’intention d’arriver à
l’exécution intégrale se révélait dans le traité du 22 octobre. C’est une chose
étrange, messieurs, qu’on soutienne cela quand nous avons tous ce traité sous
les yeux. II est vrai que les puissances disent d’abord que leur intention est
de faire exécuter les articles du traité du 15 novembre ; mais plus tard elles
ne parlent plus de l’exécution du traité, mais seulement de l’évacuation de
notre territoire.
On nous a dit que l’armée française était nécessaire
pour nous faire rendre la citadelle, tandis que la flotte réunie suffirait pour
les autres dispositions des 24 articles. Mais lisez l’article 2 du traité du 22
octobre ; il dit, de la manière la plus précise, que, si le roi des Pays-Bas
refuse de prendre l’engagement mentionné à l’article précédent, LL. MM.
ordonneront qu’un embargo soit mis sur les vaisseaux hollandais, etc. Quel est
donc l’engagement mentionné à l’article précédent ? Messieurs, le texte de
l’article ne laisse aucun doute à cet égard. C’est l’engagement de retirer, le
12 novembre, toutes ses troupes du territoire qui doit former le royaume de la
Belgique. Et pour qu’il ne reste aucune doute à cet égard, les puissances
disent à l’article 3 que, « si le 15 novembre il se trouvait encore des
troupes sur le territoire belge, un corps français entrera en Belgique dans le
but de forcer les troupes hollandaises à évacuer ledit territoire ; » et à
l’article 4, que « l’objet de cette mesure se bornera à l’expulsion des
troupes de la citadelle et qu’aussitôt remise aux autorités belges, les troupes
françaises se retireront immédiatement sur le territoire français. »
Maintenant quels sont les engagements contractés par
les articles précédents ? Ce n’est pas du tout de faire adhérer le roi de
Hollande au traité en entier, il n’en est nullement question, mais bien de
requérir le roi des Pays-Bas de retirer ses troupes des parties de territoire
qui nous sont échues ; et, dans le cas contraire de l’y forcer. Voilà le but de
la convention du 22 octobre ; et cela est si vrai, qu’aussitôt ce but atteint,
l’armée doit se retirer.
Au surplus, je suppose que le ministère soit ici dans
son droit. Mais alors je lui demanderai qui l’a autorisé à signer cette note
parricide du 2 novembre ?
Le traité, du moins, dit quelque chose au moins de
l’exécution intégrale, mais il n’y en a pas un mot dans la note. Elle en
diffère d’une manière frappante, et tous les documents présentent une
dégradation effrayante sur ce point. Remarquez en outre que, par une
inconcevable incurie, cette note ne nous laisse pas même le plus petit
échappatoire ; car elle porte que le gouvernement consentira à évacuer Venloo,
les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les territoires qui, d’après les
24 articles, ne font pas partie du royaume de la Belgique, lorsque la citadelle
d’Anvers nous sera remise.
Ainsi, soit que cette citadelle nous revienne après un
bombardement, c’est-à-dire en ruines, soit qu’on la remette de bonne volonté,
soit que la ville d’Anvers reste intacte, soit qu’il n’en reste que des débris,
toujours est-il vrai que vous êtes obligés, aussitôt après, de céder Venloo, le
Limbourg et le Luxembourg, sans aucune des garanties assurées précédemment par
les 24 articles. Vous êtes obliges de livrer nos concitoyens aux mains de la
Prusse, et vous savez tous ce que c’est que le sceptre de fer de la monarchie
prussienne.
On nous a parlé de négociations entamées et de notes
secrètes. Je déclare, quant à moi, que je ne puis plus m’en rapporter à des
propos aussi vagues, aussi incertains. Ce n’est plus d’après ses paroles que je
juge le ministère, mais d’après ses propres actes ; et ces actes parlent assez
haut pour que nous ne nous laissions pas prendre à des pièges aussi grossiers.
D’ailleurs comment ajouterais-je foi à ce que nous dit le ministre sur
l’existence de notes secrètes, lorsque je puis démontrer que ce ministre, qui
veut être cru sur sa parole d’honneur, a tronqué une des pièces les plus
importantes qu’il nous ait lues à cette tribune ? (Vif mouvement de surprise dans l’assemblée.)
Oui, messieurs, je me suis aperçu que, dans le rapport
lu par M. le ministre des affaires étrangères, la note de M. Latour-Maubourg,
ambassadeur de France, du 30 octobre, était différente de celle qui a été
imprimée et qui nous a été distribuée ; car j’y ai fait attention, il en avait
supprimé une phrase très importante et menaçante pour la Belgique.
Voici, messieurs, la phrase supprimée ; elle est
relative à l’évacuation du Limbourg et du Luxembourg, et porte : « Qu’en
cas de refus de notre part, des forces de terre et de mer seraient mises en
mouvement par les deux gouvernements de France et d’Angleterre, et que si le 15
de ce mois l’évacuation de la place de Venloo et des territoires qui ne font
pas partie du royaume de Belgique n’était pas effectuée par les troupes belges,
toutes les mesures seraient prises pour amener à ce résultat. »
Messieurs, cette phrase est de la plus haute
importance en ce qu’elle nous dévoile ce que nous devons attendre de
l’intervention étrangère ; eh bien, dans le rapport imprimé par les soins du
ministère elle se trouve supprimée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - Voilà l’original de la pièce tel que je l’ai lu.
M. H. de Brouckere examine un instant cette pièce et reconnaît qu’elle
est conforme à celle imprimée.
M. Dumortier.
- Je ne sais pas comment cela s’est fait, mais j’affirme que j’en ai tenu note
pendant que le ministre en faisait la lecture. (Violents murmures.) D’ailleurs, messieurs, la preuve c’est que dans
le Moniteur officiel le rapport se
trouve imprimé de cette manière... (Violente
agitation.)
Quelques voix. - Cela serait par trop fort.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Nous sommes des faussaires alors.
M. Nothomb.
- Je puis expliquer ce fait si l’on veut m’accorder la parole.
M. le président.
- Vous l’aurez après.
(Moniteur belge
n°330, du 27 novembre 1832) M. Dumortier. - On vous a dit, messieurs : Eh quoi
! dans la position où se trouve le pays, vous allez faire retirer le ministère
quand on en avait besoin ! Messieurs, le ministère a demandé lui-même, nous a
jeté le gant en sommant la chambre de s’expliquer franchement, et nous ne
pouvons pas reculer devant la vérité sans trahir notre mandat.
Je concevrais bien que si nous n’avions pas entendu la
lecture du rapport de M. le ministre des affaires étrangères, nous gardions le
silence en cette circonstance. Mais lorsqu’on a invoqué notre opinion entière,
lorsqu’on nous a demandé notre approbation ou notre improbation ; nous ne
pouvons pas nous dispenser de déclarer la vérité sans manquer à notre devoir, à
ce que nous avons de plus cher, sans trahir les intentions et les intérêts de
nos commettants.
On s’est plaint de la violence
des reproches adressés au ministère ; on a trouvé, dit-on, les expressions de
l’opposition plus fortes qu’on ne devait s’y attendre. Eh quoi ! messieurs, on
se plaint de notre langage lorsqu’on nous accusait d’être auteurs du système
dont nous avions prévu les funestes conséquences ! Certes, nous avions bien le
droit de nous irriter d’une pareille allégation, et nous avons voulu arrêter ce
funeste système. C’est pour cela, messieurs, que j’ai présenté mon amendement.
La section centrale avait pensé qu’il fallait
s’expliquer sur le ministère d’une manière hypothétique ; mais maintenant toute
hypothèse est impossible, il faut dire la vérité.
M. Nothomb.
- Je ne prends la parole que pour rectifier un fait avancé par l’honorable
préopinant, fait qui m’aurait paru très insignifiant et qui, il faut bien le
dire, se rattache à la correction des épreuves. (Murmures.) Ce n’est pas autre chose, et le préopinant le sait
lui-même ; il a vu comme moi la dernière épreuve de cette partie du rapport que
vous avez entre les mains.
Il est très vrai que les sommations faites à la
Hollande et celles qui nous ont été faites ne sont pas identiquement les mêmes.
C’est par erreur qu’on l’avait d’abord supposé.
La personne chargée de faire les
copies, et d’annexer au rapport ou d’y insérer les diverses pièces, avait
supposé qu’il suffisait de prendre un ancien journal, qui contenait la
sommation faite à La Haye, et d’y substituer Venloo à Anvers, et Belge à
Hollandais. (Nouveaux murmures.) Cette
note fautive a été ainsi insérée dans tous les journaux. Ce n’est qu’en voyant
la dernière épreuve que je me suis aperçu qu’il était singulier de supposer
qu’on mettrait des flottes en mouvement contre la Belgique, phrase qui était
empruntée à la sommation hollandaise.
J’ai eu recours aux originaux qui sont tous sous vos
yeux, et j’ai vu que, dans la sommation qui nous est faite, les ministres
anglais et français déclarent qu’en cas de refus de notre part, toutes les
mesures nécessaires seraient prises contre nous.
J’ai fait la correction, et, je le répète, M.
Dumortier a vu cette épreuve. Il m’a paru faire des objections, et je me suis
dès lors offert à lui donner toutes les explications. (Réclamations.) Je le sais, ce sont là des détails insignifiants ;
mais enfin nous ne sommes accusés de rien moins que d’un faux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Un membre de la chambre vient d’accuser M. le
ministre des affaires étrangères d’avoir tronqué une pièce officielle. Je le
somme de nous déclarer s’il croit que ce fait a été le résultat de la volonté
du ministre... (Violente interruption.)
Plusieurs membres.
-Vous n’avez pas le droit de faire des sommations aux membres de la chambre.
M. Gendebien.
M. Dumortier demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je le somme de s’expliquer...
Les mêmes membres.
- C’est insulter la chambre ! A l’ordre !
M. le président. - Si un membre demande la parole pour un rappel au
règlement, je la lui accorderai ; mais sans cela je dois la continuer à
l’orateur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je répète ma phrase. Un membre de la chambre vient
d’accuser mon collègue d’avoir tronqué une pièce officielle. Je ne sais pas si
chacun de vous, messieurs, sent comme nous toute l’importance d’une pareille
accusation. Je demande que ce membre s’explique sur le point de savoir s’il
croit que ce fait résulte des intentions et de la volonté du ministre...
M. Pirson.
- Il n’a point accusé les intentions, il n’a parlé que du fait, en lui-même.
M. H. de Brouckere. - Je prends la parole pour engager M. Dumortier à ne
pas répondre à l’interpellation qui lui est faite. (Très bien !) Il n’appartient pas à un ministre de sommer un membre
de la représentation nationale d’expliquer ses intentions. Expliquez-les,
ministres, comme vous voudrez ; la chambre, de son côté, saura les interpréter.
Je conçois que M. le ministre de l’intérieur se soit offensé s’il a cru qu’on
supposait an ministère l’intention de faire un faux ; mais il n’aurait pas dû
croire que M. Dumortier se livrait à des suppositions aussi condamnables.
M. Gendebien. - Je voulais dire précisément ce que vient de dire
M. de Brouckere.
M. le président
se dispose à mettre en discussion le sous-amendement de M. Mary ; mais, sur
l’observation de ce membre que son amendement viendra plus à propos après que
la discussion aura été vidée sur les autres amendements en discussion, il est
ajourné.
M. Pirson présente un sous-amendement à l’amendement de M. H. de Brouckere. A la
phrase terminant par ces mots : « qu’après l’adhésion du gouvernement
hollandais à ce traité, » il propose de supprimer « ce traité »
et de mettre à la place : « à la séparation et à l’indépendance de la
Belgique, à la liberté de la navigation de l’Escaut, de la Meuse, et autres
stipulations qui concernent plus particulièrement les parties du territoire qui
seront abandonnées. »
- M. Pirson développe son amendement, qui n’a pas de
suite parce qu’il n’est pas appuyé.
M. Donny.
- Je ne prendrais pas la parole dans cette discussion, qui n’a été que trop
prolongée, si je ne sentais le besoin impérieux de dire quelques mots pour
expliquer les motifs du vote que je vais émettre, vote qui, sans cela, ne
saurait être apprécié à sa juste valeur.
Les orateurs de l’opposition ont signalé de la manière
la plus énergique les avantages et les dangers de la position dans laquelle se
trouve la Belgique. Aussi, s’il s’agissait d’examiner simplement si nous avons
lieu d’être satisfaire de la position dans laquelle nous sommes placés, mon
vote serait-il négatif ; mais le problème ne se présente pas à moi sous une
forme aussi simple. Il ne me suffit pas de reconnaître que nous nous trouvons
dans une position fâcheuse, j’ai encore à examiner si cette position est un
résultat qu’on puisse attribuer au ministère ; j’ai à examiner si, comme le
ministère le soutient, la chambre lui a prescrit la marche qu’il a suivie.
Cette seconde question me semble dominer la première, et la dominer tellement
que, si elle devait être résolue affirmativement, s’il était décidé que la
chambre a tracé le système du ministère, il deviendrait bien inutile, oiseux
même de voir si ce système, avec ce qui en a été la conséquence, est digne de
louange ou de blâme. Il s’agit donc d’examiner quelles ont été les relations
entre la chambre et le ministère.
Les ministres, et les orateurs qui ont parlé dans leur
sens, nous ont tous formellement déclaré que le fait de l’approbation de la
chambre au système suivi était réel. D’un autre côté, les orateurs de
l’opposition ont soutenu tous le contraire des allégations ministérielles, et
les uns et les autres se sont exprimés avec l’accent de la plus intime
conviction. Ces convictions d’un sens contraire ont produit sur moi l’effet
qu’elles devaient naturellement produire ; elles m’ont jeté dans 1’incertitude
la plus absolue sur ce qui s’était passé.
On me dira peut-être : Mais
vous avez en main le traité, les notes officielles, les adresses et le rapport,
voir même les protocoles. C’est plus qu’il n’en faut pour fixer votre opinion
et vous tirer d’incertitude. A cela ma réponse est facile. Ces pièces ne
suffisent pas par elles-mêmes, prises d’une manière isolée, pour trancher la
difficulté ; et si l’on veut soutenir le contraire, je demanderai alors, qu’on
veuille bien m’expliquer comment il se fait que les ministres et l’opposition
invoquent tour à tour les mêmes documents et avec la même assurance, la même
conviction. Non, ce n’est pas dans ces pièces qu’on peut trouver les éléments
nécessaires pour asseoir son opinion. Il faut recourir aux faits qui se sont
passés dans les chambres ; ce qui le prouve d’une manière évidente, c’est que
tous les orateurs que j’ai entendu en ont appelé à vos souvenirs. Or, moi qui
suis étrangers aux travaux de la représentation nationale, je n’ai pas de
souvenirs, et rien ne peut me tirer de mon incertitude, d’une incertitude que
je regarde comme raisonnable. Je me plais à croire que vous la trouverez telle,
et que, placés dans ma position, vous voteriez contre toute disposition qui
jugerait la question dans un sens ou dans l’autre.
M. Jullien.
- Messieurs, malgré les amendements plus ou moins insinuants qu’on vient de
glisser dans la discussion, les paroles adroites du ministre qui vient de
parler avant moi, on ne parviendra pas à déplacer la question ; il s’agit de
savoir si, malgré la disposition formelle de l’article 24 du traité du 15
novembre, le ministère a pu consentir à la remise immédiate à la Hollande de
Venloo et de ses forts et dépendances, ainsi que du territoire du Limbourg et
du Luxembourg cédé par le traité, aussitôt notre entrée en possession de la
citadelle d’Anvers.
Cette question, messieurs, en a fait naître plusieurs
autres dans la discussion générale sur l’ensemble de l’adresse. Des orateurs
ont prétendu que le traité du 15 novembre n’existait plus ; d’autres ont parlé
de le répudier ; d’autres enfin, dans leur ardeur belliqueuse, n’ont pas craint
de faire un appel à la guerre générale.
J’aborderai, messieurs, toutes ces questions, mais
avec brièveté ; mon intention, en prenant la parole, était uniquement de
résumer en peu de mots toute la discussion.
J’examine d’abord si le traité du 15 novembre existe
encore ; car s’il n’existe plus, inutile de chercher si les ministres y ont
contrevenu.
Je ne suis point coupable du traité du 15 novembre :
on ne reprochera point à mes amis politiques et à moi d’avoir vendu nos frères,
car nous eussions préféré périr avec eux plutôt que de nous sauver à ce prix ;
mais, messieurs, dans un gouvernement constitutionnel, c’est la loi qui est
souveraine, et quand ce traité désastreux a été converti en loi nous devons
nous y soumettre : malheur aux peuples, malheur aux princes, qui ne savent pas
respecter les lois ! Si les choses étaient encore entières, c’est-à-dire si
nous en étions encore aux premières ratifications, je soutiendrais l’opinion
que j’ai émise en d’autres temps, et je dirais avec les orateurs à qui je
réponds, que le traité, quoique accepté par nous, ne nous obligent plus dès
l’instant qu’il n’était pas ratifié par toutes les puissances qui y avaient été
parties ; et en effet, messieurs, lorsque plusieurs mandataires stipulent une
convention sous l’approbation de leurs mandants, si un seul des mandants refuse
de ratifier, il n’y a plus d’obligation pour personne, le traité est incomplet.
Mais telle n’est pas notre position. La France et l’Angleterre, en acceptant
purement et simplement vis-à-vis de nous, malgré le défaut de ratification des
autres contractants, se sont rendu propres toutes les conditions du traité ;
ces puissances sont restées dans les mêmes termes vis-à-vis de nous, malgré les
réserves de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie ; et dans la convention du
22 octobre, elles se sont même isolées de ces trois puissances, pour arrêter
entre elles seules les moyens d’exécution : c’est donc à leur égard comme s’il
était intervenu entre ces deux puissances et nous un nouveau traité en tout
point conforme à celui du 15 novembre ; mais il y a plus, ce traité a reçu, par
l’entrée des troupes françaises et la station sur les côtes de Hollande d’une
escadre française et anglaise combinée un commencement d’exécution.
Ainsi le traité existe, il est devenu notre droit
public. Mais, dit-on, il faut le répudier et faire nos affaires nous-mêmes.
Ceux qui tiennent ce langage y ont-ils bien réfléchi ? Répudier le traité du 15
novembre ! Mais, messieurs, c’est le seul titre que nous ayons à une existence
politique, le seul titre de reconnaissance de ce fantôme qu’on est convenu
d’appeler notre indépendance. Déchirez le traité du 15 novembre, et vous n’êtes
plus, aux yeux de la plupart des puissances de l’Europe, que les révoltés de
septembre.
Si cette condition maintenant vous convient, vous
n’avez qu’à parler. Mais vous vous garderez de briser ce traité ; car, dans la
position critique où nous ont mis ceux qui depuis deux ans se sont mêlés de
conduire nos affaires, ou même peut-être les événements plus forts qu’eux, ce
traité peut devenir la seule planche de salut qui nous reste.
Vous connaissez la politique des cours ; vous savez
comme elle varie, d’après les nécessités du moment, les intrigues de cabinet,
les changements de système ! Eh bien, supposons un instant que l’Angleterre,
qui paraît déjà lasse de l’appui qu’elle nous prête, obéisse aux cris de son
commerce, et se retire de nous ; supposons que la France, je me trompe, le
cabinet français, se repliant dans les traités de 1814 et de 1815, et, si j’ose
m’exprimer ainsi, dans cet égoïsme cruel qui a été si fatal à la Pologne et à
l’Italie, cherche aussi à se débarrasser de notre révolution : ces deux
puissances seront au moins obligées, d’après ce même traité, de stipuler pour
le pays des garanties contre les nouveaux maîtres que la politique européenne,
soutenue par la force, pourrait nous donner ; agir autrement serait pour elles
une flétrissure éternelle, et il y a de l’honneur en France, il y a de
l’honneur en Angleterre, malgré le machiavélisme des gouvernements. Mais si
vous rompiez le traité, l’Angleterre et la France, affranchies de toute
obligation envers nous, et laissant faire ou faisant pour leur compte, toutes
les puissances du Nord viendraient nous imposer la restauration sans condition,
et il faudrait la subir.
Je viens maintenant à la question de l’adresse.
Quand on se rappelle que ce traité du 15 novembre a
été rejeté avec dédain par la minorité, et que c’est les larmes aux yeux, et
comme contrainte et forcée, qu’il a été accepté par la majorité, n’est-il pas
déplorable, messieurs, de voir que, par le fait de notre propre gouvernement,
nous soyons aujourd’hui réduits à en réclamer l’exécution sincère comme un
bienfait ?
Dans tout ce dédale de documents diplomatiques, vous
n’avez besoin, messieurs, si vous voulez apprécier sainement toute la
difficulté, que de mettre en rapport l’article 24 du traité du 15 novembre, la
convention du 22 octobre, et la note de M. Goblet du 2 novembre courant.
L’article 24 du traité dit : « Aussitôt après
l’échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux parties, les
ordres nécessaires seront envoyés aux commandants des troupes respectives pour
l’évacuation des territoires, villes, places et lieux, qui changent de
domination. » Ces dispositions sont conséquentes, elles ne sont que l’expression
de la précaution la plus ordinaire ; car, lorsque deux parties se disputent la
propriété de territoires ou d’avantages qu’elles possèdent et détiennent
respectivement, s’il survient un traité d’échange entre elles, le simple bon
sens indique qu’on ne doit pas se dessaisir de l’avantage qu’on tient, sans se
saisir à l’instant même de celui que le traité d’échange vous assure. Si
l’homme le plus simple pouvait se laisser prendre dans de pareilles
transactions, on aurait de la peine à le concevoir ; mais des diplomates, et
encore nos diplomates les plus anciens et les plus instruits du royaume,
commettre une aussi haute imprudence, voilà, messieurs, ce qui passe toute
croyance, si on parvient à l’expliquer !
On nous propose sans cesse l’article premier de la
convention du 22 octobre, pour en induire que l’intention des deux puissances
est d’exécuter le traité tout entier ; mais lisons attentivement les articles 3
et 4. (L’orateur lit ces deux articles.)
Ainsi, vous le voyez, messieurs, dès l’instant que,
pour prix de leur victoire, les Français nous auront livré les ruines fumantes
de la citadelle (je dis de la citadelle, car ma pensée n’ose aller plus loin),
nos ministres livreront Venloo et ses forts, le Limbourg, le Luxembourg et
400,000 de nos frères à la Hollande ; et les troupes françaises se retireront
immédiatement, sur le territoire français, d’après les termes formels de la
convention.
Est-ce donc ainsi que les ministres entendent qu’on
exécute le traité ? Ne voient-ils pas que, malgré tous les avantages de la
possession libre d’Anvers, le statu quo qu’ils nous préparent est pire encore
que celui qu’ils font cesser ? Car les questions vitales de la navigation de
l’Escaut, de la Meuse, des eaux intérieures, la fixation de la dette, la
communication avec l’Allemagne, tout cela va donc être de nouveau abandonné aux
négociations et aux protocoles, et on ne manquera pas de nous demander des
concessions nouvelles. Des concessions, messieurs ! mais nous en avons encore à
faire, des humiliations à subir : mais la mesure n’en est-elle pas comblée ? Je
voudrais douter, messieurs, du consentement de nos ministres à toutes ces
mesures désastreuses, mais lisons la note du 2 novembre et vous allez juger par
vous-mêmes. (L’orateur lit cette note).
Ainsi vous le voyez, rien au monde de plus clair : consentement formel à tout
ce qu’on demande, oubli complet de l’article 24 du traité.
Les amis des ministres ont bien senti leur position,
car ils n’ont trouvé d’autre moyen de les excuser qu’en accusant la chambre du
système qu’ils ont suivi : vous avez vus hier l’honorable M. Devaux, son Moniteur à la main, passer en revue
l’opposition et nous rappeler à tous ce que nous avions dit lors de la
discussion de la note du 11 mai. Les orateurs qui m’ont précédé ont fait
justice complète de ce moyen de défense, et à cette occasion je vous prie de
vous rappeler que, malgré mes instances pour obtenir la lecture de cette
fameuse note, nous n’avons pas pu l’obtenir, et que nous n’avons même jamais su
si elle avait été remise à la conférence. Qu’on cesse donc d’employer de
pareils moyens, qui ne font que mettre au grand jour l’embarras de la défense.
On a parlé de crimes, de
trahison, de stupidité, dans la conduite des ministres ; je voudrais,
messieurs, pour la dignité de nos délibérations, qu’on s’abstînt de ces
épithètes irritantes ; les ministres ne sont pas des hommes stupides, il est
parmi eux des hommes de talent ? Sont-ils des traîtres ? Je ne peut pas croire
que, dans la crise où se trouvent le pays, des hommes élevés au pouvoir par la
confiance du souverain auraient médité sa ruine ; mais il n’est pas moins vrai
que leur conduite est inexplicable ; il y a au fond de ces documents, que je
viens de vous lire, un mystère que nous ne pouvons pénétrer. Vont-ils déposer
en mains tierces les forts et le territoire qu’ils vont abandonner ? A côté
d’articles patents, y a-t-il des articles secrets ? Je les adjure de
s’expliquer et de se justifier, sans quoi je voterai dans le sens de l’adresse,
et même je proposerai un sous-amendement plus formel à l’amendement de M. de
Brouckere.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet). - J’ai déjà répondu hier, en grande partie, aux
objections qu’a faites M. Jullien. Je vais essayer de lui faire sentir, en l’absence
de tout document officiel à lui communiquer, ce qui pourrait inspirer quelque
confiance.
Messieurs, on désire savoir ce qui garantit au
gouvernement que l’évacuation réciproque aura le caractère formel et
satisfaisant que les circonstances exigent.
J’ai déclaré hier à la chambre que je me voyais forcé
d’ajourner encore les communications que j’aurais à lui faire à cet égard, si
je pouvais, sans manquer au plus impérieux de mes devoirs, me dépouiller de la
réserve qui m’est commandée par les graves intérêts dont je suis chargé.
Je ne puis, messieurs, que répéter aujourd’hui cette
déclaration. Les pièces imprimées en même temps que le rapport que j’ai eu
l’honneur de vous faire sont les seules qui, jusqu’à présent, puissent être
rendues publiques ; et je persiste à dire que vous y trouverez de quoi calmer
les inquiétudes qui agitent plusieurs d’entre vous.
Veuillez me permettre de revenir sur les observations
que m’ont suggérées quelques-unes de ces pièces.
Je crois avoir démontré, par l’examen de la note de la
conférence en date du 11 juin, que, dans la pensée de la conférence,
l’évacuation réciproque entre la Hollande et la Belgique devait assurer
immédiatement à la Belgique la jouissance de la navigation de l’Escaut et de la
Meuse, ainsi que de l’usage des routes existantes pour ses relations
commerciales avec l’Allemagne, aux termes du traité du 15 novembre.
J’ai dit que nous ne pouvions attendre une
interprétation moins avantageuse de la part des deux puisssances de qui nous
avions réclamé l’exécution de la garantie stipulée par l’article 25 du traité,
et qui s’étaient empressées de convertir cette garantie en faits.
En voulez-vous la preuve, messieurs ; lisez (pages 101
et 102 des annexes à mon rapport) la fin de la proposition faite par la France
et la Grande-Bretagne et consignée dans le 7Oème protocole.
Vous trouverez solennellement rappelés les principes
que j’ai fait ressortir de la note du 11 juin ; et si la date, un peu ancienne
de cet acte vous avait inspiré quelque doute sur sa valeur politique, ce doute
disparaîtrait en voyant la France et la Grande-Bretagne lui donner, pour ainsi
dire, une nouvelle vie le 1er octobre.
Permettez-moi, messieurs, de vous donner ici lecture de
la déclaration du plénipotentiaire britannique, qui termine le protocole en
question, dans lequel les deux cabinets ont posé les bases de leur politique
actuelle :
« Le plénipotentiaire britannique ne saurait par
conséquent consentir à une proposition dont un nouveau délai semblerait devoir
être le seul résultat certain ; et, en réservant au gouvernement de Sa Majesté
britannique la décision qu’il jugera convenable de prendre en exécution des
engagements contractés par Sa Majesté, il se borne, pour le moment, à
l’expression de son regret de ce que les plénipotentiaires d’Autriche, de
Prusse et de Russie ne se soient pas préparés à concourir à des mesures
efficaces, dans le but de mettre à exécution un traité qui, depuis tant de
mois, a été ratifié par leurs cours, et dont l’inaccomplissement prolongé
expose à des dangers continuels et croissants la paix de l’Europe. »
Le plénipotentiaire français adhéra à cette
déclaration.
Ainsi, messieurs, le but des menaces efficaces que les
deux cabinets se réservent de prendre, c’est l’exécution du traité dont
l’inaccomplissement met en danger la paix de l’Europe, c’est la conservation de
cette paix à laquelle toutes les puissances ont fait et font encore de si
grands sacrifices. Et croyez-vous, messieurs, que cette grande mission puisse
être remplie par la simple évacuation des territoires ? Non, sans doute ; il
faut quelque chose de plus pour éloigner ces dangers continuels et croissants
qui menacent la paix générale, et ce quelque chose, n’en doutez pas, les puissances
exécutrices y ont pensé.
Messieurs, c’est pénétré du véritable esprit des
documents sur lesquels je viens d’appeler votre attention, qu’il faut lire la
convention du 22 octobre. Il ne faut pas la séparer des actes qui l’ont
précédée et avec lesquels elle a les rapports les plus intimes. En l’examinant
ainsi, sans passion aucune, il est impossible de n’y pas voir dominer une
pensée plus large que celle que quelques orateurs lui ont attribuée, une pensée
que je crois avoir fait ressortir, dans la séance d’hier, de la manière la plus
claire.
D’ailleurs, messieurs, ce n’est pas seulement dans des
actes écrits qu’en cette occasion vous devez chercher vos garanties ; la
plupart des adversaires politiques du ministère paraissent même faire peu de
compte des engagements pris par les puissances : elles ne les tiennent,
pensent-ils, qu’autant que leur intérêt les y porte. Eh bien !... faisons la
part de l’intérêt qui domine les puissances, et cherchons à pénétrer un peu
l’esprit qui doit animer celles d’entre elles qui agissent en ce moment.
Quel est le premier besoin de l’Europe dans l’état
actuel des choses ? C’est évidemment le désarmement général, et celui-ci ne
peut avoir lieu tant que la Belgique et la Hollande sont en armes.
C’est donc au désarmement volontaire des deux parties
adverses que tendent les gouvernements de France et de la Grande-Bretagne. Je
vous le demande, messieurs, leur but serait-il atteint si, après l’évacuation
réciproque telle qu’on cherche à la faire envisager, ces gouvernements laissaient
les deux armées belge et hollandaise en présence, se menaçant, et par suite
menaçant plus que jamais la paix de l’Europe ?
Oui, messieurs, plus que jamais : loin d’avoir atteint
le but qu’ils se proposent, les deux cabinets n’auraient fait que s’en éloigner
; ils auraient rendu plus imminente une collision qu’on veut éviter et qu’on
n’évitera qu’en nous faisant jouir de tous les droits qui nous sont acquis par
le traité du 15 novembre.
Ne supposons pas les
puissances exécutrices assez inconsidérées pour s’en tenir à l’évacuation
réciproque dans le sens littéral de cette expression. Placez, messieurs, cette
mesure insignifiante en regard des grands effets que ces deux puissances se
sont donné la tâche d’accomplir ; en regard, dis-je, des difficultés sans nombre
qu’il a fallu surmonter pour entreprendre l’expédition, et jugez si
raisonnablement on peut nourrir des craintes dont, selon moi, rien ne justifie
l’objet.
Non, messieurs, la France et la Grande-Bretagne ne
laisseront pas inachevée l’œuvre qu’elles ont commencée ; sans cela elles ne
mettraient pas fin à un état de choses dont, pour me servir de leur propre
langage, la durée plus longtemps prolongée compromettrait la paix de l’Europe.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Messieurs, l’honorable M. Jullien a exprimé ses
vives inquiétudes sur la stérilité du résultat qu’on obtiendrait par
l’évacuation de la citadelle d’Anvers, suivie immédiatement de la retraite de
l’armée française. J’ai, dans le cours de la discussion, soutenu que la
convention du 22 octobre signale seulement comme le premier pas vers
l’exécution du traité l’évacuation de la citadelle d’Anvers. Que toutes les
circonstances qui doivent accompagner cette évacuation aient été formulées dans
un acte diplomatique, on le conçoit, parce qu’il y avait dans les détails de
l’exécution de cette mesure des propositions qui devaient être de nature à
rassurer les cabinets sur les intentions loyales et pacifiques de la France.
Voilà pourquoi ce traité renferme des développements assez étendus. Je ne doute
pas, quant à moi, par suite des considérations exposées par M. le ministre des
affaires étrangères, que l’évacuation ne soit suivie d’autres mesures non moins
décisives. Pour prouver que ma pensée n’est pas sans fondement, j’appellerai à
mon secours un auxiliaire que vous ne qualifierez pas de ministériel, quoiqu’il
soit ministre : c’est le ministre des finances du roi de Hollande, parlant aux
états-généraux dans la séance du 20 novembre. (On rit.) Permettez-moi de citer ses paroles :
« Pour ce qui est de
l’évacuation de la citadelle d’Anvers, dit ce ministre, l’orateur qui la désire
se trompe dans sa manière de voir ; car il a dû supposer qu’il resterait à la
Néerlande le choix entre cette évacuation et une paix honorable. Dans ce
dernier cas, le ministre partagerait l’opinion de l’orateur ; mais il n’en est
pas ainsi. Si l’orateur avait lu avec attention les pièces diplomatiques
communiquées par le ministre des affaires étrangères, il y aurait vu que
l’évacuation de la citadelle d’Anvers est seulement le premier moyen coercitif… »
Le premier moyen coercitif, vous l’entendez ; le mot
est souligné, ce n’est pas nous sans doute qui l’avons altéré. (On rit.) Je continue : « le premier moyen coercitif que l’on
emploie contre la Néerlande et qui est
suivi de moyens de coercition plus forts encore. Il est donc incontestable
que, par l’abandon honteux de cette forteresse, nous aplanirons le chemin pour
un deuxième et troisième moyen coercitif, que nous ne connaissons pas encore. Quels
sont les événements qui surgissent à l’entour de nous ? Des flottes anglaise et
française croisent sur nos côtes pour frapper de terreur des malheureux sans
défense et entraver notre commerce. Pourquoi cette nombreuse armée française
qui envahit la Belgique ? Dans quelles intentions approche-t-elle de nos
frontières ? Nous ne les connaissons pas ; nous devons donc opposer la force à
la force. »
M. Gendebien.
- Messieurs, au point où en est arrivée la discussion, je serais presque tenté
de renoncer à la parole, car il me semble que tout a été dit à peu près sur la
question ; il serait difficile de répondre mieux qu’on ne l’a fait à celui des
ministres qui aujourd’hui a développé si longuement la politique de son
prédécesseur et la sienne.
Ce que les ministres veulent faire prédominer parmi
les moyens qu’ils emploient, c’est l’espoir fondé sur des documents secrets, et
que l’on ne peut pas communiquer ; ils ont été battus sur tous les actes
patents ; ils espèrent maintenant vous faire illusion, en alléguant des actes
secrets.
Veuillez-vous rappeler, messieurs, lorsqu’il a été
question de 18 articles, les abus que l’on a faits de ces documents secrets.
Lorsqu’on vous parlait du Luxembourg, par exemple, on
vous disait : « C’est une question d’honneur ; nous défions un roi de
régner six mois dans la Belgique sans le Luxembourg. » Mais le ministère
disait en même temps : « Je ne peux abuser des documents secrets que j’ai
en ma possession ; il est impossible de ne pas abandonner le Luxembourg. »
Eh bien, tous ces documents secrets n’ont jamais vu le jour, et vous avez perdu
la moitié du Luxembourg.
Aujourd’hui,
même tactique. Il serait curieux, messieurs, de voir la marche que nous avons
suivie depuis deux ans, toujours avec des convictions intimes et avec des
documents secrets.
Voyons le point de départ.
Le 4 novembre, les cinq puissances à Londres rédigent
un premier protocole dans lequel elles nous demandent une suspension d’armes,
en nous accordant la totalité des provinces méridionales. On nous disait que
les troupes se retireraient respectivement derrière les limites des anciennes
provinces du prince souverain, et telles qu’elles avaient été fixées avant le
traité de 1814 pour celles de ces provinces que les traités de 1814 et 1815
avaient réunies pour former le royaume des Pays-Bas. Tout était bien défini.
Que fait le gouvernement provisoire ? Il accepte les bases de cette suspension,
par laquelle on lui accordait tout ; et il répondit avec fermeté et franchise,
quoiqu’il n’eût à sa disposition que 2,500 volontaires, tandis que le
gouvernement actuel, avec 130,000 hommes, tient un langage humble et se laisse
dicter la loi par tout le monde.
Nous avons invoqué à l’appui de notre réponse
l’article 2 de l’acte constitutionnel des Pays-Bas, où se trouve la définition
des stipulations du protocole n°1.
Vous connaissez le langage que tenait le gouvernement
provisoire. J’ai signé les préliminaires du traité qui fut fait alors je m’en
glorifie tous les jours, et je m’en glorifierai aussi longtemps que les
ministres qui se succéderont feront quelque chose de semblable.
Dans le protocole du 17 novembre ou ne retranche plus
qu’une partie des stipulations comprises dans le premier protocole. On y a omis
ce qui délimitait nettement les deux pays, de sorte qu’on ne voit plus ce qui
constitue les limites de notre territoire. Le protocole du 17 novembre est le
second.
Au 11ème protocole, celui du 20 janvier, on dit :
« Les limites de 1790. » Vous voyez, messieurs, par quels détours
presque inaperçus on est arrivé à nous contester ce qu’on nous avait accordé
d’abord. J’ai refusé de signer le 10ème protocole, et je m’en glorifie encore.
Je me suis borné à signer une suspension d’armes provisoire.
Nous sommes maintenant au soixante et dixième
protocole. Il y en a eu 69 de fabriqués depuis. Voyez les pas que nous avons
faits ! Et cependant les ministres du régent, comme ceux qui ont suivi, vous
ont toujours parlé des pas immenses que l’on faisait par la diplomatie. Nous
nous sommes aperçus, en effet, qu’il y avait progrès, mais progrès rétrograde.
C’est avec 2,500 volontaires que nous avons tenu la
dragée haute vis-à-vis des puissances ; ceux qui nous ont succédé nous ont
accusé des pusillanimités : que pourrait-on dire contre eux aujourd’hui ?
Que l’on ne pense pas qu’il y ait ici animosité
personnelle. Non, messieurs, je ne comprends pas pourquoi quelques-uns des
ministres viennent nous parler sans cesse de leur existence administrative, à
laquelle nous ne tenons pas le moins du monde.
Autrefois on supposait que ceux qui attaquaient les
ministres voulaient arriver au ministère, quoique deux fois nous ayons refusé
des portefeuilles : je le déclare, je n’accepterai pas plus un ministère
aujourd’hui que je n’ai accepté les fonctions de procureur-général à la cour de
cassation.
A diverses époques nous avons prédit où conduisait la
marche de l’administration.
Le 2 du mois de juin 1831, j’ai annoncé au congrès que
le ministère nous jetterait dans un cercle vicieux qui finirait par une
mystification et par l’acceptation des protocoles J’ai posé nettement la
question : Accepterons-nous ou n’accepterons-nous pas les protocoles ?
Là-dessus grande rumeur. Mais maintenant, vous le voyez, vous subissez les
protocoles, vous allez avoir un article imposé par la violence, vous allez
l’obtenir au prix peut-être de l’incendie d’Anvers. Cet article, c’est
l’abandon de 400 mille de nos concitoyens, moins les garanties pour les
personnes et pour les propriétés, stipulées par les 24 articles.
Les réserves russes et les réserves prussiennes et
autrichiennes portent sur trois articles, qui promettent quelque chose ; le
reste du traité nous est onéreux ; et on n’exécute que la partie onéreuse pour
nous, la seule qui ait été ratifiée par les puissances.
Messieurs, quand il a été question des réserves, vous
vous rappelez ce que nous avons dit ; nous disions : Il est possible qu’on
exécute le traité ; mais on ne l’exécutera que partiellement pour l’évacuation
du territoire, parce que la France se trouvera dégagée pour le surplus, par
l’acceptation des réserves.
Vous avez le voisinage de la Hollande ; bientôt vous
allez avoir le voisinage des Prussiens : à moins que nous n’ayons perdu la
tête, ne croyez pas nous avoir fait illusion.
Avant d’abandonner les habitants de Venloo, du Luxembourg,
du Limbourg au roi Guillaume, vous voulez les remettre aux Prussiens ; vous
voulez qu’ils passent sous la verge du pouvoir absolu, avant de passer sous
leur ancien dominateur.
Le gouvernement prussien est plus hostile à la
Belgique que la Hollande ; le gouvernement absolu est l’ennemi de toute
révolution ; il sera peut-être plus cruel que le roi Guillaume, qui a
quelques-uns des sentiments qu’on est forcé d’avoir dans les gouvernements
constitutionnels. Le roi Guillaume, en ressaisissant ce territoire, aurait, par
politique, des ménagements à tenir, envers les habitants ; aussi c’est le roi
de Prusse qui sera d’abord chargé de donner de la férule, et il la donnera de
main de maître. J’ai dit hier que cette remise de territoire était un assassinat
politique, je dis aujourd’hui que c’est un double assassinat politique ; car
vous les sacrifiez d’abord au bon plaisir du roi de Prusse, pour qu’ils soient
ensuite sacrifiés au bon plaisir et aux vengeances du roi Guillaume. Il ne faut
pas nous y tromper, ils seront traités comme pays de généralité, et nous comme
pays constitutionnel.
Oui, il y a assassinat politique : vous pouvez ensuite
vous faire mangeurs d’hommes, comme vous dites ; mais ce ne sont pas des
mauvaises plaisanteries qui vous justifieront.
Comment donc les ministres peuvent-ils parler de notes
secrètes, lorsqu’en levant un des coins du voile qui couvre leur politique on
aperçoit ce qui arrive de funeste à nos concitoyens du Limbourg et du
Luxembourg ?
Je voudrais me hâter de finir parce que je suis trop
ému.
Je vous ai prédit, il y a vingt mois, que vous alliez
avilir la nation, et je vous ai dit qu’une nation avilie était une nation
morte. J’ai ajouté que de l’avilissement à la restauration il n’y avait qu’un
pas. Vous parlez de patrie : en quoi consiste votre patrie ? Est-ce dans ce
lion qui se tient sur ses pattes de derrière ? Est-ce dans l’indépendance du
pays, quand vous êtes dans la dépendance de tout le monde ? Est-ce dans le nom
de Belges que nous avons fait d’abord respecter par les Allemands et les
Français, et qui, maintenant, est la risée de l’Europe, est un titre aux
sarcasmes, aux coups d’épée ; témoin ceux qui, récemment encore, ont été à
Aix-la-Chapelle et qui se sont hâtés d’en revenir ?
Voilà pour les intérêts moraux ; quant aux intérêts,
où en êtes-vous ? Vous allez tomber dans un statu quo dont vous sortirez plus
difficilement que du premier : vous donnez au roi Guillaume 400 mille
habitants, un territoire excellent et 12,000 hommes pour son armée. Vous lui
donnerez de plus les arrérages de la dette, tribut honteux, résultat des
manœuvres de nos doctrinaires, vous lui donnerez les moyens de venir nous
écraser au printemps prochain.
Le roi Guillaume, se fondant sur les réserves russes,
s’il évacue Anvers, ira s’établir à Flessingue et ne vous laissera pas passer,
ou ne le fera qu’à des conditions onéreuses et vexatoires. Il détruira votre
commerce ; que ferez-vous pour vous y opposer ?
Depuis 18 mois nous vous demandions de construire des
bateaux à vapeur : on nous a présenté, l’an dernier, un budget de la marine de
15,000 florins ; il fallait un budget de quinze cent mille florins ou de deux
millions. 15,000 florins ! Cela ressemble, disais-je alors, au bilan d’un
marchand épicier en faillite... (On rit.)
Vous auriez pu faire une flottille avec des bateaux à vapeur qui auraient
nettoyé l’Escaut et protégé notre commerce. Où irez-vous quand vous aurez fait
évacuer Anvers ? Quels moyens avez-vous de contraindre le roi de Hollande à
souscrire aux articles qui lui sont désavantageux ? Croyez-vous que la Prusse,
lorsqu’elle sera en possession de la rive droite de la Meuse et du Limbourg,
lorsqu’elle sera à deux lieues et demie de Liége, à 12 ou 15 lieues de
Bruxelles, croyez-vous que vous la trouverez disposée à imposer des sacrifices
à son beau-frère ? Croyez-vous que la Russie et l’Autriche seront plus
disposées à imposer les mêmes sacrifices ? Mais non, messieurs, au printemps
prochain vous aurez une guerre de principes, et vous aurez abandonné des
positions militaires et un territoire magnifique.
De tout ceci je conclus que vous procédez au premier
des actes qui vont amener le partage de notre pays. La Prusse aura la rive
droit de la Meuse, une partie du Limbourg, du Luxembourg, Maestricht,
territoires que vous allez lui donner en séquestre ; la Hollande aura des
territoires jusqu’au Demer, et peut-être jusqu’à Bruxelles, et peut-être cette
ville même, ce qui me procurera le plaisir de voyager toute ma vie ;
l’Angleterre prendra une position militaire sur le littoral qui lui convient,
et la France aura le reste.
Je dois ajouter encore un mot.
Je vous disais, il y a vingt mois : Vous ferez maudire
la révolution et les hommes qui y ont exposé leur tête ; eh bien ! ce que j’ai
dit est arrivé : on maudit la révolution et les hommes de la révolution ; mais,
si je suis maudit pour y avoir concouru avec désintéressement, et je puis
ajouter avec courage, si je suis maudit, au moins je ne serai pas méprisé. Je
léguerai à mes enfants un nom sans tache ; je pourrai aller tête haute dans la
terre de l’exil. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour éviter les malheurs qui
vont accabler mon pays : dans l’avenir on me rendra justice ; mais, je le
répète, on ne me méprisera pas.
- Des applaudissements partent des tribunes.
M. le président.
- Toute marque d’approbation ou d’improbation est expressément défendue.
M. F. de Mérode. - Messieurs, l’honorable préopinant vient de vous reporter au temps de
la suspension d’armes et de l’armistice, armistice que j’ai signé, ce dont je
ne me repens pas, précisément parce que nous n’avions, comme vous l’a dit M.
Gendebien, que 2,500 volontaires, troupe flottante dans laquelle se trouvaient
beaucoup d’hommes pleins de courage et de dévouement, mais une foule d’autres
qui ne faisaient que paraître successivement sous les armes, armes sans cesse
vendues et rachetées, pour les remettre à de nouveaux venus.
Il en résultait qu’un échec pouvait désorganiser cette
troupe entièrement.
Mais l’orateur vous a aussi parlé de Maestricht, et il
importe qu’une bonne fois l’on rappelle à votre souvenir ce qui s’est passé
relativement à cette ville. La réussite d’un mouvement qui devait y avoir lieu
comme ailleurs échoua par la distribution subite d’une proclamation du prince
d’Orange, autorisant les électeurs maestrichtois à se rendre aux opérations
électorales pour le congrès. Là, messieurs, fut la cause de notre situation
pénible. Des précautions furent prises par l’autorité militaire hollandaise, et
le moyen, facile alors, de rendre cette cité malheureuse à sa véritable patrie
fut manqué.
Plus tard, messieurs, vous savez qu’on prétendit
encore à la possibilité d’entrer dans Maestricht, et M. Charles de Brouckere
fut interrogé en comité secret pour donner des renseignements sur cette
possibilité. On disait que Maestricht manquait de vivres : M. Charles de
Brouckere, dont les parents étaient dans la ville dont il s’agit, déclara
qu’elle était abondamment pourvue. Se trompa-t-il réellement ? A cet égard,
messieurs, personne ne serait plus à même de nous éclairer que M. Henri de
Brouckere.
M. H. de Brouckere. - Pas du tout ; je n’en sais rien. (On rit.)
M. F. de Mérode. - Quoi qu’il en soit, ce ne serait pas là une des
erreurs des ministres, pas même de M. Lebeau, qu’il est facile de plaisanter
sur ses prophéties, lorsqu’on les isole de la très peu joviale aventure du mois
d’août. Quant aux prédictions, il est bon aussi, messieurs, que vous vous
rappeliez celles de l’opposition, afin de ne pas trop vous effrayer aujourd’hui
de tant de sinistres annonces.
On a prédit que le duc de Nemours accepterait la
couronne déférée par le congrès.
On a prédit que le prince Léopold ne viendrait point en
Belgique ; on a prédit que jamais l’Angleterre n’userait de mesures coercitives
contre la Hollande ; on a prédit que jamais la France ne ferait évacuer la
citadelle d’Anvers. Tous les prophètes auxquels appartiennent ces diverses
prédictions, vous en adressent aujourd’hui, qui, je l’espère, ne se réaliseront
pas davantage.
M. H. de Brouckere. - Je me suis trouvé interpellé ; je certifie à la
chambre que je ne sais absolument rien de ce sur quoi j’ai été interpellé. Ce
que je puis assurer, c’est qu’au mois de janvier 1831 j’ai soutenu de toutes
mes forces que la mesure la plus impolitique et la plus imprudente était de
débloquer la ville de Maestricht : je demandais qu’on la laissât bloquée
quelque temps encore, parce qu’elle ne pouvait manquer de tomber en notre
pouvoir ; mais, au lieu de la bloquer à un quart de lieue, elle l’a été à deux
lieues ; et un orateur a voulu soutenir qu’avec le même nombre d’hommes on
pouvait bloquer aussi bien à deux lieues qu’à un quart de lieue. (On rit.)
M. F. de Mérode. - Je n’ai point parlé de communications faites par
M. Charles de Brouckere au gouvernement provisoire, mais au congrès national
dans un comité secret.
Au surplus, je me serais abstenu de prendre la parole,
si l’on ne s’était permis dans cette enceinte des bravos et des battements de
mains, bons dans un théâtre, mais non dans une assemblée qui délibère sur les
plus hauts intérêts d’un pays. (A demain
! à demain ! L’heure est trop avancée !)
M. Gendebien. - Il ne peut plus être discuté que la question de
priorité.
M. Devaux.
- Tous les amendements sont-ils développés ? (Oui !oui ! La clôture ! la clôture !)
M. de Theux, membre de la commission de l’adresse. - Je vote
contre la clôture.
M. de Muelenaere. - Un amendement a été proposé par M. Dumont ; cet amendement n’a reçu
que peu de développement ; je le crois d’une haute importance
dans la question ; je demanderai à la chambre la permission de dire quelques
mots avant la clôture.
M. de Robiano.
- On ne peut clore une discussion dans laquelle on a entendu des orateurs que
dans un sens. (A demain ! à demain !
L’heure est trop avancée.)
M. Pirson.
- En prononçant la clôture, vous ne décidez rien ; reste la question de
priorité qui continuera la discussion.
M. de Muelenaere. - La séance de ce jour a été principalement consacrée à entendre
quatre ou cinq orateurs qui n’ont présenté que des considérations générales, en
sorte que la discussion des paragraphes a été perdue de vue.
- La clôture, mise aux voix, est rejetée. (A demain ! à demain ! à demain ! A lundi ! à
lundi ! à lundi !)
La chambre est consultée pour savoir si une séance
aura lieu demain dimanche.
Après deux épreuves, le bureau déclare que la chambre
s’ajourne à lundi.
La séance est levée à quatre heures et demie, au
milieu de l’obscurité.