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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14
novembre 1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Vérification des pouvoirs des membres
nouvellement élus. Elections non contestées (Meeus, de Renesse, de Robiano, Coppieters, Corbisier, de Bousies, Ch. Vilain XIIII)
3) Priorité à accorder entre la formation du
bureau de la chambre et la vérification des pouvoirs des membres. Intervention
de l’armée française au siège de la citadelle d’Anvers et/ou nécessité de
soumettre à une nouvelle élection les membres devenus ministres (Goblet,
Duvivier) ou membres de l’ordre judiciaire (Devaux, Dumortier, (+jugement des ministres) Lebeau,
de Brouckere, Rogier, d’Elhoungne, Devaux, de Brouckere, Jullien, Mesdach, Brabant, Duvivier, Nothomb, Legrelle, Rogier, de Robiano, Dumont, de Brouckere, Devaux, d’Elhoungne, Dumortier, Brabant, de Brouckere, Liedts, d’Elhoungne, Legrelle, Devaux, Dumont, Legrelle, Devaux, Jullien, Jaminé,
Jullien, Legrelle, Lebeau, d’Elhoungne, Duvivier, F. de Mérode, Nothomb, Jullien, de Brouckere, Devaux, Brabant, Jullien, Legrelle, Dumortier, de Robiano, Jaminé, Verdussen, Legrelle, Dewitte, Devaux, Poschet,
Dumortier, Osy, Jullien)
(Moniteur belge
n°319, du 16 novembre 1832)
(Présidence de M. Pirson, doyen d’âge.)
A une heure moins un quart, M. le président ouvre la
séance.
MM. Liedts et H. de Brouckere, les plus jeunes de
l’assemblée, remplissent provisoirement les fonctions de secrétaire.
MM. Lebeau, Goblet, de Mérode, Rogier et Duvivier,
sont au banc des ministres.
M. le président.
- Un de MM. les secrétaires va donner lecture du procès-verbal de la dernière
séance...
Plusieurs membres.
- L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. Jullien.
- L’appel nominal des anciens membres ; les membres nouvellement élus ne
peuvent pas délibérer avant d’être admis.
- L’appel nominal est fait, et la chambre est en
nombre pour délibérer.
M. Liedts
fait lecture du procès-verbal de la dernière séance de la session précédente.
- Ce procès-verbal est adopté sans opposition.
M. Liedts
fait ensuite lecture du procès-verbal de la séance royale d’ouverture de la
session actuelle, et de la séance de la chambre des représentants, qui a été
tenue immédiatement après la séance royale.
- Ces deux procès-verbaux sont adoptés sans
opposition.
M. A. Rodenbach écrit pour s’excuser de ne pas s’être
encore réuni à ses collègues ; sa santé l’a empêché de partager leurs premiers
travaux.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
Plusieurs pétitions sont adressées à la chambre.
« Des électeurs de Liége, de Bruxelles et
d’autres lieux demandent que la chambre suspende sa décision sur les élections
de ces villes ; il prétendent qu’elles sont irrégulières. »
« 49 avocats du barreau de Bruxelles demandent
que l’article 41 de la loi, portant institution d’officiers ministériels près
la cour de cassation, soit abrogé. »
- Ces pétitions seront renvoyées au comité spécial
chargé de les examiner et d’en faire un rapport.
VERIFICATION DES POUVOIRS DES MEMBRES NOUVELLEMENT ELUS
M. le président.
- L’âge m’a appelé au fauteuil à l’ouverture d’une session qui s’annonce au
milieu de circonstances bien graves. Nous touchons, dit-on, au dénouement de
nos affaires politiques. Je le désire. Dans deux jours, nous assurait-on hier,
une armée française viendra...
Vous penserez, sans doute, comme moi, que dans une situation
aussi critique nous n’avons pas une minute à perdre, qu’il faut au plus tôt
nous constituer définitivement, et que toute discussion oiseuse serait presque
de la trahison.
Messieurs, l’ordre du jour appelle en premier lieu le
rapport de la commission chargée de la vérification des pouvoirs des députés
nouvellement élus ; j’invite M. le rapporteur à monter à la tribune.
_______________
M. Jullien.
- Je ne suis pas seul rapporteur.
La commission de vérification des pouvoirs des députés
nouvellement élus a partagé son travail ; elle m’a chargé de vous entretenir
des élections des villes de Bruxelles, de Tongres et de Ruremonde. J’aurai
l’honneur de commencer par l’une des élections de la ville de Bruxelles, le
procès-verbal des deux autres élections ne nous étant pas parvenu.
Le collège électoral de la ville de Bruxelles était
divisé en huit sections ; toutes les opérations faites par ces sections, à
l’exception de la septième, ont été trouvées très régulières.
Le résultat des votes portait le nombre des votants à
472 ; la majorité absolue se trouvant être de 237 n’a été acquise à personne.
Un ballottage a en lieu, et un incident arrivé dans la septième section doit
attirer votre attention.
Les bulletins ne devaient porter qu’un seul nom,
cependant ils en portaient trois.
Il faut dire à la chambre que d’abord on avait annoncé
que les élections porteraient sur trois représentants, qu’ensuite on avait
averti qu’il n’y avait lieu qu’à une élection en remplacement de M. Ch. de
Brouckere. Le septième bureau n’a pas tenu compte de cet avertissement. Le
bureau central n’a pas cru cependant que cette irrégularité pût infirmer la
nomination.
Par le ballottage,
M. Ferdinand Meeus a obtenu la majorité relative ; il a été proclamé député, et
la commission vous propose son admission.
Ces conclusions sont adoptées.
_________________
M. Jullien.
- J’aurai l’honneur de passer au rapport des élections de la ville de Tongres.
La commission a vérifié que les opérations du bureau central et des sections
sont parfaitement en règle.
Les convocations des électeurs ont été faites
conformément à la loi électorale ; les délais ont été observés ; on a donné
lecture des articles dont la loi exige la lecture ; et en définitive il a été
constaté que dans les quatre sections il y avait en tout 149 votants, que sur
ce nombre M. le comte Renesse a obtenu 141 suffrages : il a été proclamé membre
de la chambre des représentants.
La commission a trouvé cette élection parfaitement en
règle, et elle a l’honneur de vous proposer l’admission de M. Renesse à la
place de M. Destouvelles.
M. le président.
- Il n’y a pas de réclamation ?... Je proclame M. de Renesse membre de la chambre.
- M. Meeus et M. de Renesse prêtent serment.
________________
M. Jullien.
- Comme président de la commission de la vérification des pouvoirs, j’ai
l’honneur de prévenir la chambre que nous ne pouvons l’entretenir des élections
de Ruremonde, d’Ostende, de Courtray, de Huy, Gand, Liége, Bruxelles, par la
raison que les procès-verbaux ne sont parvenus que ce matin, et ensuite parce
que des réclamations ont été faites contre ces élections.
Dans ces circonstances la commission se propose de
vous faire son rapport demain.
- Il y a encore d’autres rapporteurs dont les rapports
sont prêts.
M. Nothomb.
- Messieurs, je suis chargé de faire le rapport sur les élections d’Ypres. Le
député élu est M. Louis Robiano de Borsbeek.
La commission a trouvé les pièces parfaitement
régulières. Il est constaté que les électeurs votants étaient au nombre de 400
; la majorité était donc de 201. M. Louis Robiano de Borsbeek a obtenu 322
suffrages ; M. de Langhe a obtenu 54 voix, et quelques autres concurrents en
ont obtenu 4 ou 5. Il y a une circonstance sur laquelle la commission croit
devoir appeler votre attention. Il est constant que deux électeurs qui
n’étaient pas inscrits primitivement sur la liste, ont été admis à voter. La
commission n’a pas hésité à voir dans ce procédé une irrégularité ; les
électeurs qui se présentaient n’étaient pas munis de pièces suffisantes pour
avoir droit de voter.
Mais le député élu ayant obtenu 322 voix, en
défalquant les deux électeurs irréguliers il lui restera toujours une majorité
plus que suffisante pour être député. En conséquence, la commission propose
l’admission de M. Robiano de Borsbeek.
- Les conclusions de la commission sont adoptées sans
opposition.
M. de Robiano de Borsbeek est
admis et prête serment.
M. Dewitte.
- Votre commission m’a chargé de l’examen des opérations électorales du
district de Bruges. Le collège était divisé en quatre sections. M. Coppieters a
obtenu 271 voix sur 323 votants ; il a été proclamé membre de la chambre ;
votre commission vous propose son admission, parce que l’élection lui a paru
régulière.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Coppieters est introduit et
prête serment,
________________
M. de Woelmont, autre rapporteur, fait un rapport sur les opérations électorales du
district de Mons, qui ont été très régulières, et conclut à l’adoption de MM.
Corbisier et de Bousies.
- Adopté.
Les deux honorables membres
sont introduits.
_________________
M. Poschet
fait ensuite un rapport sur les élections de Saint-Nicolas, et conclut, vu la
régularité des opérations de ce district, à l’admission de M. Vilain XIIII.
- Adopté.
M. le président.
- Il n’y a pas d’autres rapports prêts pour aujourd’hui.
L’ordre du jour appelle la nomination du président de
la chambre et des secrétaires.
M. Devaux.
- Je demande la parole. Messieurs, comme il s’agit ici d’un acte qui doit régir
la session tout entière, je crois qu’il est dans les convenances de n’y
procéder que lorsque la chambre aura statué sur l’admission des membres dont
les pouvoirs sont encore à vérifier. Ils ont comme nous le droit de concourir à
l’élection du président ; je ne sais pas pourquoi on les en priverait, et ce
n’est pas leur faute, si leurs pouvoirs ne sont pas encore vérifiés. Il faut ou
attendre que cette vérification soit faite, ou les admettre sans vérification à
voter pour la formation du bureau.
M. Dumortier.
- Messieurs, nous ne sommes pas dans des circonstances ordinaires. Vous avez
appris hier, par le discours du trône, que dès demain nous allons subir
l’intervention étrangère ; demain la Belgique va se trouver dans la position la
plus désastreuse : jamais son gouvernement n’a eu plus besoin de l’appui de la
nation et de ses représentants. Ce n’est donc pas le cas de vous arrêter à une
fin de non-recevoir, car c’est une véritable fin de non-recevoir qu’on nous
propose, et si vous aviez le malheur de l’accueillir, vous ne pourriez pas
d’ici à demain poster aux pieds du trône l’expression des sentiments qui vous
animent, à l’aspect des mesures désastreuses au pays adoptées par le ministère.
Vous devenez des lors les complices du ministère qui n’a pas voulu consulter la
chambre dans des circonstances aussi graves, et qui l’aurait pu s’il l’avait
voulu, soit en convoquant plus tôt la chambre, soit en ne permettant que plus
tard l’entrée de l’armée française.
Il est urgent que la chambre
soit constituée, parce que je me propose de faire une motion de la plus haute
importance, pour que la chambre exprime sa désapprobation de mesures qui
tendent à flétrir notre armée et à nous soumettre à une intervention étrangère
; il faut que la chambre se prononce, pour ne pas devenir la complice du
ministère et de son crime.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Je demande la parole.
M. Dumortier.
- Oui, messieurs, de son crime, et dans des circonstances aussi désastreuses ce
serait s’en rendre complice que d’écarter une proposition par des fins de
non-recevoir.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Le ministère ne cherchera pas sa défense dans des
fins de non-recevoir ; ce système de défense ne lui va pas ; et quand on voudra
poser la question sur son véritable terrain, il ne la désertera pas. Si
l’intervention de la chambre pouvait avoir de l’influence sur l’intervention de
la France et la marche de son armée, nous demanderions nous-mêmes que l’on mît
le plus de célérité possible dans les opérations qui doivent précéder la
manifestation de l’opinion de l’assemblée ; mais l’intervention de la chambre
serait inefficace : l’armée française entrera sur notre territoire en
conséquence de traités, en vertu des pouvoirs constitutionnels qu’avait le Roi
de conclure ces traités, en vertu de conventions qui forment pour la France et
l’Angleterre un droit acquis.
Nous assumons sur
nous toute la responsabilité de ces conventions. Tout acte de la chambre serait
inefficace relativement aux questions sur l’intervention de l’armée française :
par suite de conventions solennellement ratifiées, il y a droit acquis pour la
France et pour l’Angleterre d’intervenir en Belgique dès demain (15). Tout ce
que la chambre peut faire en présence d’un événement qu’il n’est pas en son
pouvoir d’empêcher, c’est d’exprimer son opinion dans l’adresse en réponse au
discours du trône. C’est alors qu’elle fera peser sur le ministère la
responsabilité des traités conclus constitutionnellement.
Si la chambre les improuve, le ministère comprend ce
qu’il aura à faire, il se retirera ; si, non contente de cette première
sentence, la chambre veut employer plus de rigueur, la cour de cassation est
là... (Mouvement dans l’assemblée. )
Je le répète, ce ne sera que dans la discussion de l’adresse que viendront
trouver place les observations de l’honorable préopinant.
M. H. de Brouckere. - Il est probable que M. le ministre de la justice
n’a pas bien compris ce qu’avait dit l’honorable M. Dumortier. M. Dumortier n’a
pas soutenu que la chambre avait le droit d’empêcher l’entrée en Belgique de
l’armée française ; car, s’il avait avancé pareille chose, il aurait dit une
absurdité, La loi du 1er octobre 1831 donne, en effet, au roi le pouvoir de
permettre qu’une armée étrangère entre sur le territoire, ou le traverse, et ce
droit lui est accordé tant que la paix n’aura pas été signée. M. Dumortier ne
veut donc pas empêcher l’armée française d’entrer, mais il veut que l’on
discute sa motion aujourd’hui afin que nos vœux et notre opinion soient portés
aux pieds du trône avant que l’intervention de l’armée française ne soit un
fait consommé, et le ministère n’a pas de raison pour s’opposer à une pareille
proposition.
Mais, dit-on, dans l’adresse vous pourrez exprimer
votre opinion. Oui sans doute ; mais si, ce que je ne prétends pas, l’adresse
était rédigée suivant l’opinion de M. Dumortier, elle arriverait trop tard. On
dit encore : Si vous croyez les ministres coupables, vous les accuserez. Je ne
crois que la chambre veuille mettre les ministres en accusation ; mais en tout
cas, et quand même on les y mettrait et qu’ils fussent condamnés, cela ne
sauverait pas le pays. Il n’y a donc aucune bonne raison à opposer à la demande
de M. Dumortier, et je l’appuie afin que sa motion soit discutée et vidée
aujourd’hui même : demain il sera trop tard.
M. le ministre de l’intérieur (M.
Rogier). - Je ne
m’attendais pas à prendre la parole avant que la chambre fût définitivement
constituée, mais je ne peux laisser sans réponse une expression échappée à
l’honorable M. Dumortier. Avant même d’avoir entendu l’exposé du système suivi
par le gouvernement, il a dit que le gouvernement venait de flétrir l’armée ;
il l’a dit, messieurs, au moment où l’armée française, en vertu des traités, en
vertu des conventions faites conformément aux lois, en vertu des vœux formels
exprimés par la chambre, venait exécuter ces mêmes traités ! Non, messieurs,
l’armée ne sera pas flétrie parce qu’elle subira la nécessité que subit tout le
pays en ce moment. Non, l’armée ne sera pas flétrie ; car, si la moindre
atteinte est portée au territoire belge, si la moindre agression est dirigée
contre le pays, alors notre armée sera appelée, comme elle doit l’être, à
repousser l’agression et à conserver intacts l’honneur ainsi que le territoire
belge. Voilà quel sera le rôle de l’armée ; et je trouve vraiment
extraordinaire qu’avant d’avoir entendu le gouvernement sur les précautions
qu’il a prises pour conserver intact l’honneur de l’armée, on vienne déclarer
ici que l’honneur de l’armée est flétri.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, il me semble que la chambre se lance
dans une discussion tout à fait oiseuse. Ainsi que vous l’a dit M. de
Brouckere, il ne s’agit pas en ce moment de discuter la motion de M. Dumortier,
mais de procéder à la constitution définitive du bureau.
Quand M. le ministre de l’intérieur vous a dit que la
chambre n’était pas constituée, il a avancé une erreur. La chambre est
constituée depuis l’année dernière, et elle reste constituée tant qu’il n’y a
pas de renouvellement intégral. C’est le bureau seul qui n’est pas constitué,
et c’est à sa constitution qu’il est urgent de procéder.
Quand on veut se rendre compte de la position du pays,
on sent qu’il est instant que la chambre soit constituée, et qu’il est très
important qu’elle fasse connaître au chef du gouvernement son opinion sur les
mesures qui ont été adoptées et les évènements qui se préparent ; car il est de
ces actes, messieurs, que l’on peut prévenir encore par l’expression franche de
l’opinion de la représentation nationale, et si on attend de le faire dans
l’adresse, il sera trop tard. Revenant au seul point qu’il faut vider en ce
moment, je dis qu’elle consiste seulement à savoir si l’on veut oui ou non
procéder maintenant à la composition définitive du bureau. (Aux voix ! aux voix !)
M. Devaux. - Messieurs, le but de M. Dumortier est de faire
arriver au pied du trône, le plus tôt possible, l’expression de l’opinion de la
chambre : mais pour cela il faut que la chambre existe, il faut une chambre ;
or, il n’y a maintenant qu’une fraction de chambre... (Aux voix ! aux voix !) Les cris « aux voix » ne sont pas
une raison. Oui, il n’y a qu’une fraction de chambre. Sur plusieurs élections
s’élèvent des difficultés ; vous avez à savoir si M. Goblet est encore député,
si M. Duvivier est encore député ; vous avez à savoir si les membres de l’ordre
judiciaire qui jusqu’ici ont siégé parmi nous, doivent continuer à y siéger.
Nous n’avons ici qu’une chambre présumée, et ce n’est pas avec une chambre
présumée qu’on peut émettre une opinion.
Je crois que, par respect pour nos règlements, par
respect pour les droits de nos collègues, par respect pour les règles du simple
bon sens, nous devons faire ce que les circonstances exigent. Jamais en France
une fraction de la chambre n’a pris de délibération. Si nous procédions
autrement, ce serait une manière de faire une épuration, de mettre à l’écart
les députés dont on craindrait les sentiments ; et c’est un précédent que nous
ne devons pas admettre.
M. H. de Brouckere. - Je dois répondre à ce que vient de dire M. Devaux,
car il y a dans ses paroles une observation qui me regarde personnellement. Il
a dit qu’il y avait dans l’assemblée des personnes qui ne pouvaient pas se considérer
comme députés, et qui avaient cependant pris la parole.
M. Devaux.
- Je n’ai pas dit positivement que ces personnes ne fussent plus députés, mais
que cela faisait question.
M. H. de Brouckere. - Soit. Il y a question. C’est ainsi que MM.
Duvivier, Goblet, nommés ministres, et autres députés qui ont été nommés à des
fonctions judiciaires, ne devraient pas se considérer comme députés. Quant à
moi, je déclare que je considère comme députés MM. Goblet et Duvivier, tant que
la chambre n’aura pas décidé le contraire. Ce que je dis pour eux s’applique
également aux membres de l’ordre judiciaire. S’il y a doute, que M. Devaux
fasse une proposition formelle pour les exclure, et on discutera sa proposition
avant celle de M. Dumortier. Mais jusque-là, et tant qu’il n’y aura pas de
proposition, je soutiens que les membres de l’ordre judiciaire, aussi bien que
les deux ministres ad interim, ont le droit de siéger ici et d’y voter comme députés.
M. Jullien.
- Je crois avec l’honorable préopinant que les députés qui siégeaient dans
cette enceinte l’année dernière et qui y siègent cette année, sont encore
députés jusqu’à ce que la chambré décide sur cette question, parce qu’elle est
souveraine en cette matière. Mais il n’en est pas moins vrai qu’on doit savoir
si ceux qui ont accepté des fonctions salariées doivent être soumis à une
réélection nouvelle.
Je ne partage pas l’avis de M. Devaux qui dit que,
jusqu’à ce qu’on ait statué sur les questions agitées, il n’y a ici qu’une
fraction de chambre ; je ne puis pas laisser passer cette erreur.
Quand même vous décideriez que
les députés compris dans certaines catégories devraient être réélus, la chambre
ne serait pas une fraction ; elle serait une unité législative ; elle est
constituée depuis l’année dernière ; elle n’est pas chambre nouvelle ; elle est
une et entière.
Et qu’on ne vienne pas nous dire que, jusqu’à ce qu’il
ait été statué sur ces questions, nous ne pouvons pas procéder à la nomination
d’un président ; toute chambre doit s’organiser, et la chambre ne peut être
détitrée et traitée de fraction.
Quant aux députés nouvellement élus, vous avez dû voir
par les pétitions qui vous sont adressées que leur nomination donnera lieu à
l’examen de questions délicates, ce qui entraînera peut-être beaucoup de temps.
Je ne vois pas pourquoi on ne procéderait pas
actuellement à la formation du bureau. Je conclus à cette formation immédiate.
(Aux voix ! aux voix ! aux voix !)
M. Mesdach. - Messieurs, je ne viens pas combattre les premières
observations du préopinant, mais les dernières. L’honorable préopinant, qui a
été le premier rapporteur de la commission des pouvoirs, a fait remarquer que
plusieurs procès-verbaux d’élection, et ceux notamment de la ville de
Bruxelles, n’étaient pas encore parvenus à la chambre. Je crois, messieurs,
qu’il est d’une justice rigoureuse d’attendre que ces procès-verbaux soient
arrivés, et que les pouvoirs des nouveaux membres soient vérifiés avant tout
autre objet, car nous ne devons pas les priver de concourir à la rédaction de
l’adresse. (Aux voix ! aux voix !)
M. Brabant. - Je conteste la qualité de deux membres de la
chambre, celle de MM. Gobet et Duvivier. Je crois que le changement de position
qu’ils ont éprouvé en acceptant un portefeuille par interim les a privés de
leur qualité de députés, et qu’ils ne peuvent figurer ici que comme ministres.
Il en est d’eux comme de M. Rogier, qui n’a pas hésité à provoquer lui-même sa
réélection.
M. le ministre des finances (M.
Duvivier). - Il y avait un
précédent qui devait me dispenser de penser à ma réélection : l’honorable membre
qui se trouve à mes côtés (M. de Mérode) a été dans une position semblable à la
mienne, et on n’a pas jugé à propos de le soumettre à une réélection. Dans tous
les cas, si la chambre change sa jurisprudence, je m’empresserai de m’y
soumettre.
M. Nothomb,
à M. Brabant. - Faites une proposition formelle.
M. Legrelle. - Il me semble qu’on pourrait s’occuper des
élections nouvelles ; les procès-verbaux devraient être rassemblés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Ils doivent être remis.
M. Legrelle.
- On pourrait s’occuper des élections nouvelles séance tenante.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Si les procès-verbaux ont été remis à temps au
ministère de l’intérieur, ils doivent être transmis ici ; ils ne restent pas
une heure dans les bureaux, C’est le secrétaire-général qui s’occupe du soin de
les transmettre.
M. de Robiano.
- Les élections de Tournay sont régulières, le procès-verbal est arrivé.
M. Dumont. - J’ai entendu dire que des procès-verbaux étaient
arrivés...
Une voix. - Ce sont ceux
de Gand.
M. Dumont.
- Je demande que la séance soit suspendue pendant deux heures pour que la
commission s’occupe de la vérification des pouvoirs. Il n’y aurait que les
membres dont les procès-verbaux ne seraient pas transmis qui seraient privés de
participer à la nomination du bureau. (Appuyé
! appuyé !)
M. H. de Brouckere. - J’appuie la proposition, sauf à ne pas suspendre
la séance. Je demande que pendant que la commission fera son travail, on examine
la question proposée par M. Brabant.
M. le président. - On vient de dire que des procès-verbaux venaient
d’arriver...
Voici la proposition de M. Brabant :
« MM. Goblet et Duvivier ont cessé de faire
partie de la chambre en acceptant les fonctions de ministre ad interim. »
La proposition est-elle appuyée ? (Oui ! oui ! oui !)
En voici encore une ; elle est de M. Devaux :
« Je propose à la chambre de décider si les
membres de l’ordre judiciaire, qui siégeaient l’année dernière dans cette
assemblée, et qui ont été nommés à des fonctions semblables, doivent être
soumis à la réélection. »
M. d’Elhoungne. - Ces propositions méritent de fixer l’attention de
la chambre ; mais il y a une autre question plus importante, c’est de mettre la
chambre en état de manifester ses opinions. Je pense que ce sera remplir le vœu
de l’assemblée que de demander la priorité pour la proposition de M. Dumortier,
tendant à procéder immédiatement à la composition du bureau. Lorsque cette
proposition sera décidée, on pourra cependant, avant de procéder à la formation
du bureau, suspendre un moment la séance, afin de laisser à la commission de
vérification des pouvoirs le temps d’examiner les procès-verbaux, et de nous
faire un rapport sur ceux qui sont arrivés.
De cette manière, nous ne priverons personne de son
droit, et on aura économisé le temps de la chambre, Nous ne devons plus nous
laisser engager dans des sessions de dix mois : il faut promptement imprimer le
mouvement à la machine législative, et aller droit et ferme au but.
M. le président. - C’est une question de priorité qu’il faut décider.
M. Dumortier.
- C’est une motion d’ordre.
M. Brabant. - Je crois que la proposition de M. Devaux
doit avoir la priorité, ainsi que la mienne ; à moins que M. Goblet et M.
Duvivier s’abstiennent, je ne crois pas qu’on puisse la laisser sans solution
M. Duvivier. - Je m’abstiendrai.
M. Brabant.
- Si elle était sans solution, il ne serait plus temps de la résoudre quand ces
messieurs auraient fait acte de député.
M. le président.. - Que ceux qui accordent la priorité à la
proposition de M. Dumortier, consistant à procéder immédiatement à la formation
du bureau, veuillent bien se lever… (L’appel
nominal ! l’appel nominal !)
M. H. de Brouckere. - M. le président, je ne puis pas monter au bureau ;
on conteste ma qualité de membre de la chambre : nous sommes ici dix membres de
l’ordre judiciaire qui avons été conservés dans nos fonctions. Tant que la
question ne sera pas décidée, je ne puis pas prendre place au bureau.
M. Liedts.
- Je suis dans le même cas. (On rit.)
Quelques voix. - Descendez
du bureau ! descendez !
M. Liedts.
- Non, messieurs ; nous pouvons rester au bureau ; notre qualité est contestée,
mais elle n’est pas détruite.
M. le président. - Il faut poser la question de M. Devaux.
M. Devaux.
- Ma question est posée ; elle est posée dans des termes conformes aux
antécédents de la chambre.
M. Brabant.
- Je demande la parole
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
On avait mis la question de priorité en délibération ;
entre deux épreuves on n’a plus le droit de prendre la parole. Je demande que
la délibération soit terminée et que des questions incidentes n’aient plus
lieu.
M. le président.
- Ceux qui voudront que l’on procède immédiatement à la formation du bureau
répondront oui.
M. Brabant.
- La question est mal posée ; la question est de savoir si l’on accordera la
priorité à la proposition de M. Dumortier ou à ma question et à celle de M.
Devaux.
M. le président.
- Eh bien, ceux qui voudront accorder la priorité à la proposition de M.
Dumortier, répondront oui. On va faire l’appel nominal.
M. Liedts
fait l’appel nominal, dont le résultat donne 30 voix pour la priorité et 34
contre.
La priorité n’est pas accordée à la proposition de M.
Dumortier.
Ont voté pour : MM. Angillis, de Bousies, Coppens,
Dams, Dautrebande, F. Meeus, de Haerne, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de
Roo, de Smet, de Renesse, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dumortier,
Fallon, Jaminé, Julien, Lardinois, Mary, Osy, Pirson, C. Rodenbach, de Tiecken
de Terhove, Vergauwen, H. Vilain XIIII, Zoude, de Woelmont.
Ont voté contre : MM. Brabant, Cols, Coppieters,
Corbisier, Davignon, de Foere, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de
Muelenaere, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Theux, Dewitte, Dugniolle, Dumont,
Hye-Hoys, Jacques, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers,
Pirmez, Polfvliet, Poschet, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, de
Robiano, Verdussen, Vuylsteke, Devaux.
Se sont abstenus : MM. H. de Brouckere, Duvivier,
Goblet, Jonet, Lebeau, Raikem, Raymaeckers, Rogier.
M. H. de Brouckere. - Je me suis abstenu parce que ma qualité de député
m’est contestée ; mais je déclare que nonobstant cette contestation je me
considère comme député.
MM. Goblet et Duvivier font la même déclaration.
M. le président. - La priorité étant rejetée pour la question de M.
Dumortier, reste la proposition de M. Brabant.
M. Legrelle.
- Je demande la priorité pour la proposition de M. Devaux, qui concerne dix
membres de cette chambre, tandis que celle de M. Brabant n’en concerne que
deux.
Après un léger débat, la question de priorité est
décidée en faveur de la proposition de M. Devaux
M. d’Huart. -Il faudrait que cette proposition fût développée.
M. Devaux.
- Ma proposition est assez claire pour m’autoriser à penser qu’elle n’avait pas
besoin de développement. M. le président nous a, d’ailleurs, recommande d’être
courts, car il paraît que l’on est pressé ; c’était autant de motifs pour
m’imposer silence. Mais, puisqu’on veut maintenant que je développe ma
proposition, je vais le faire en peu de mots. Messieurs, vous savez que la
constitution, par son article 36…
M. Dumont.
Je demande à faire une motion d’ordre. D’après l’article 35 du règlement toute
proposition doit être déposée sur le bureau et renvoyée aux sections. (Rumeur). C’est une observation que je
fais ; la proposition de M. Devaux est une véritable proposition ; la chambre
l’a décidé, et nous n’avons pas de sections…
- La proposition de M. Dumont n’a pas de suite.
M. Devaux.
- Messieurs, l’article 36 de la constitution est ainsi conçu :
« Le membre de l’une ou de l’autre chambre nomme
par le gouvernement à un emploi salarié du gouvernement, qu’il accepte, cesse
immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle
élection. »
Vous le savez, messieurs, à une autre époque, j’ai
insisté sur la nécessité de faire une loi d’application de l’article 36,
attendu que tant que les cas où il devra être appliqué ne seront pas spécifiés,
on restera dans le vague, et nous verrons à tout instant s’élever des
difficultés, qui toujours exciteront de nouveaux débats.
L’opinion contraire à la mienne a prévalu, et nous en
sentons maintenant les inconvénients.
L’article 36 dit beaucoup plus, pris à la lettre, qu’on
n’a voulu lui faire dire.
Toute nomination à un emploi salarié soumet le députe
qui l’accepte à une réélection, d’où il semble suivre qu’un ministre par
exemple, qui, cessant de l’être, accepterait une place de gouverneur de
province, ou l’emploi le plus subalterne s’il était salarié, devrait être
soumis à la réélection.
Tel n’est pas je crois, l’esprit de l’article 36. La
question se présente ici pour les membres de la chambre nommés aux mêmes
fonctions qu’ils occupaient dans l’ordre judiciaire avant l’organisation. Une
loi a disposé que tous les tribunaux du royaume recevraient une institution
nouvelle, et que les anciens tribunaux ne seraient plus rien.
Cette loi a reçu son exécution. Voilà donc une
magistrature toute nouvelle.
En prenant l’article 36 à la
lettre, il serait de rigueur, pour les nouveaux magistrats, de se soumettre à
une réélection.
Certes, suivant la lettre rigide de la loi sur
l’organisation judiciaire, tous les anciens magistrats ont cessé de l’être et
ne le sont redevenus que par la nouvelle nomination ; ils devraient donc être
atteints par l’article 36 de la constitution. Cependant, messieurs, je crois
qu’il est contraire à l’esprit de cet article, quand la position d’un
fonctionnaire public n’est pas changée, comme dans l’espèce, quand sa
nomination ne l’a pas rapproché du pouvoir ; je crois, dis-je, qu’il est
contraire à l’esprit de l’article 36 de soumettre ce fonctionnaire à la
réélection. C’est à vous à décider entre la lettre et l’esprit de la
constitution.
M. Legrelle. - C’est à l’esprit de l’article qu’il faut
s’attacher et non pas à la lettre. En examinant le but de l’article, on voit
qu’il tend à soustraire à l’influence du pouvoir les membres de la
représentation nationale. Or, on ne peut pas dire que les membres qui ont
accepté des fonctions judiciaires soient restés sous l’influence du pouvoir ;
au contraire, leur position s’est améliorée ; de précaire qu’elle était, elle
est devenue définitive, et ils sont aujourd’hui moins que jamais sous la
dépendance du pouvoir. Il n’y a donc pas lieu à les soumettre à la réélection.
(Aux voix ! aux voix !)
M. Jaminé. - Il n’y a pas de contestation.
M. le président.
- Il n’y a pas de contestation, et, en réalité, il n’y a pas de proposition
formelle.
M. Devaux.
- C’est bien une proposition que j’ai présentée ; la chambre l’a elle-même
reconnu. J’ai le droit de présenter une proposition dans les termes qui me
semblent bons, et M. le président n’a pas le pouvoir de l’écarter, en disant
qu’il n’existe pas de proposition.
M. Jullien.
- Messieurs, si je n’écoutais que l’estime que je professe pour ceux de nos
collègues qui peuvent être atteints par cette discussion, je ne prendrais pas
la parole, parce que, si mon opinion vient à prévaloir, et s’ils ne sont pas
réélus, je serai le premier à regretter leur absence de cette chambre. Mais il
s’agit ici d’une question constitutionnelle ; il faut y regarder de près, et ne
se laisser influencer par aucune considération. On demande si les magistrats
qui étaient membres de cette chambre, et qui, par la nouvelle organisation
judiciaire ont été nommés aux fonctions qu’ils occupaient auparavant, doivent
se soumettre à la réélection. Voilà la question nettement posée. Interrogeons
la constitution. L’article 36 nous répond d’une manière tout à fait pertinente
; il dit : « Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres nommé par
le gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte cesse immédiatement de
siéger, et ne reprend ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élection. »
Je demande maintenant aux membres que cela concerne :
Avez-vous été nommés à des fonctions salariées ? Ils sont obligés de me
répondre oui. Je leur demande ensuite : Avez-vous accepté ces fonctions ? Ils
sont encore obligés de me répondre oui. L’article 36 doit donc leur être
appliqué. Le texte de l’article est clair, et là où la loi est claire, il n’est
pas besoin de recourir à une interprétation. C’est donc à tort qu’on
invoquerait l’esprit de l’article, quand son texte est si précis.
On n’a pas encore combattu la proposition de M.
Devaux, je ne sais donc pas quelles objections on lui prépare, mais il est
facile de les prévoir. On dit d’abord que les juges confirmés dans leurs places
n’ont pas changé de position. C’est une erreur. Si vous vous rappelez les
discussions qui ont eu lieu sur la loi judiciaire, vous savez que l’ordre
judiciaire tout entier a été licencié. Vous avez décidé qu’au Roi appartiendrait
la première nomination. Or, une première nomination n’est-elle pas une
nomination ? N’est-ce pas que les anciens magistrats qui n’ont pas été renommés
ne sont plus rien ? qu’ils ne pouvaient être quelque chose que par une
nomination nouvelle ? Il n’est donc pas vrai de dire que ce soit faveur ou
justice continuée à ceux qui ont été renommés, que la confirmation dans la
place qu’ils occupaient auparavant.
C’est d’autant plus le cas de considérer leur
nomination comme une nomination nouvelle, que leur position n’est plus la même.
Avant l’organisation judiciaire, les juges n’avaient qu’une position précaire ;
c’étaient plutôt des commissaires que des juges. De temporaire qu’elle était,
leur position est devenue inamovible, autant que la fragilité des choses
humaines peut imprimer un caractère d’inamovibilité à quoi que ce soit. Il
n’est donc pas possible de dire que leur situation n’est pas changée.
Mais, dit-on encore, il faut examiner quelle a été
l’intention du législateur quand il a fait l’article 36. Messieurs, l’intention
du législateur a été de prévenir ces transactions honteuses qui peuvent se
faire entre les chambres et le pouvoir, et au moyen desquelles on peut faire,
d’un surveillant actif et incommode pour les intérêts du peuple, un homme
souple et complaisant. On dit qu’étant devenus magistrats inamovibles,
d’amovibles qu’ils étaient, il ne peut exister contre ces députés de motifs de
suspicion. Quant à moi je crois qu’il en existe davantage. Je cherche
consciencieusement l’intention du législateur et de la loi : lorsqu’un député
n’est rien du tout, si le pouvoir lui fait des avances, ou si c’est lui qui en
fait au pouvoir, et si ses avances sont rejetées, il n’était rien, il reste
rien. Pas de motif de suspicion.
En est-il de même des juges
qui ont été nommés de nouveau ? Quand il a été décidé qu’ils seraient tous
licenciés, ils ont été menacés pendant plusieurs mois de perdre une position
élevée, de se voir enlever un emploi dont les émoluments étaient peut-être
nécessaires à l’existence de leur famille. Je vous le demande, dans quelle
dépendance n’ont-ils pas été pendant tout ce temps ? Si vous ne faites pas dans
l’espèce l’application de l’article 36, quand la ferez-vous ? Je le dis parce
que j’en suis intimement convaincu. Les membres dont il est question doivent se
soumettre à la réélection. Le texte de l’article 36 est clair ; son esprit est,
selon moi, plus clair encore, et quand ces deux conditions sont réunies, il n’y
a pas à balancer. Enfin, messieurs, songez-y bien, il s’agit ici de la loi
fondamentale, et, si vous y tenez, vous la ferez exécuter.
M. Jaminé.
- Messieurs, je me permettrai de dire aussi quelques mots sur la question
importante qu’on a soulevée. Rien de plus clair au premier aspect que l’article
36 de la constitution. Cet article cependant, quand on le voit de près, laisse
apercevoir des lacunes immenses, et qu’avec toute la prévoyance du monde il
était impossible de remplir. La disposition de l’article 36 dit-elle autre
chose, sinon que le député qui n’a pas de fonctions salariées par l’Etat et qui
accepte un emploi salarié depuis qu’il est député, doit être soumis à une
nouvelle élection ? Il est évident que l’article ne dit que cela ; mais le
député qui accepte des fonctions plus élevées est-il sujet à réélection ? Le
député qui n’accepte pas le salaire attaché aux fonctions qu’on lui confère,
est-il aussi soumis à réélection ? On répond oui, en ajoutant qu’il faut s’en
tenir au texte de la loi.
Néanmoins, celui qui dans cette enceinte proposerait
de soumettre à une réélection le député promu à des fonctions plus élevées que
celles dont il était pourvu, ne serait pas appuyé par vingt suffrages.
Je m’empare de l’esprit de l’article 36 de la
constitution, et cet esprit me conduira à une solution négative des questions
agitées.
Si un fonctionnaire salarié par l’Etat est proclamé
député, c’est que les électeurs n’ont pas douté un seul instant de son
indépendance, n’ont pas douté un seul instant qu’il remplirait fidèlement et
dans l’intérêt des commettants le mandat qu’ils lui ont confié. Si pendant sa
carrière parlementaire il conserve la même place, il ne change pas de caractère
; il est certain qu’il ne doit pas être soumis à une réélection parce qu’on n’a
pas détruit ses sentiments d’indépendance. Appliquons cette considération à
l’espèce : un membre de l’ordre judiciaire reçoit le mandat de représentant du
pays ; pourquoi ? parce que les électeurs n’ont pas formé de doute sur la ligne
de conduite qu’il tiendrait. Quand ce magistrat délibérait, il était amovible,
il était dans la dépendance du pouvoir ; maintenant il n’est plus exposé aux
caprices du ministère ; alors ne serait-il pas singulier que ce qui donne plus
de garantie soit un motif d’exclusion ?
Mais on m’arrête et on me dit : Les juges qui ont été
seulement confirmés dans leurs fonctions étaient amovibles, et postérieurement
ils ont échangé leurs places contre des places inamovibles ; il y a donc
quelque raison pour les électeurs de supposer qu’ils ne se sont maintenus que
parce qu’ils ont fait pacte avec le pouvoir ; d’où il suit qu’il faut les
soumettre à une réélection. Non, messieurs ; les électeurs ne feront jamais de
pareilles suppositions.
Et d’abord, je défie de prouver qu’il y a un seul
citoyen dans tout le royaume de la Belgique qui ait pu s’imaginer qu’on
accorderait au pouvoir, par la loi sur l’ordre judiciaire, la faculté de
culbuter de leurs sièges tous les magistrats nommés avant la révolution. Quoi
qu’il en soit, en fait, est-il donc possible de supposer qu’ici il se trouvât
quelqu’un qui voudrait soutenir qu’un magistrat pour avoir été maintenu dans
son emploi, aurait perdu de son indépendance ? Mais, poursuit-on, il y a eu
intervalle où les anciens magistrats n’étaient plus rien du tout.
Je suppose qu’un fonctionnaire député soit un instant
en butte aux persécutions du pouvoir ; qu’un instant il soit brutalement
révoqué : je suppose que le ministre revenant à des idées d’équité soit
convaincu que le fonctionnaire révoqué a donné des preuves de dévouement à
l’ordre de choses établi, qu’il a rempli ces fonctions honorablement ; je
suppose que le ministre, après 24 heures, réintègre le fonctionnaire ;
pourra-t-on soutenir qu’il y a lieu à réélection ? Je dis que non. Les anciens
magistrats ont été réintégrés ; ils ont même été réintégrés avant qu’ils ne
fussent plus rien, puisque c’est au 5 octobre que leurs pouvoirs expiraient.
Si le temps ne me pressait pas, je pourrais invoquer
plusieurs considérations latérales à l’appui de mon opinion ; je pourrais dire
qu’on pourrait opérer un bouleversement dans la chambre par le moyen de chaque
loi organique.
Par exemple, il faudrait des réélections pour la
nomination des juges de paix ; il en faudrait encore pour la nomination à des
fonctions communales ou provinciales.
La question agitée irait jusqu’à annuler le mandat des
députés de certaines contrées : mais est-ce quand l’intervention étrangère,
quand l’intervention prussienne et française peut nous priver de notre
indépendance ; est-ce dans un moment aussi critique que nous consentirions à
perdre les lumières de plusieurs membres de cette assemblée, si l’opinion de M.
Jullien prévalait ? Alors plus d’élections pour le Limbourg ; alors on pourrait
dire que les baïonnettes prussiennes ont le droit de remettre un député sous le
joug de son ancien maître.
Je conclus et je dis qu’un juge qui est resté juge,
qu’un conseiller qui est resté conseiller ; je dis que l’un et l’autre n’ont
rien perdu de leur indépendance ; et je m’oppose à ce qu’on nous prive des
députés du Limbourg et du Luxembourg, jusqu’à ce qu’on sache bien à qui
appartiennent les lambeaux de notre territoire.
M. le président.
- La discussion est close. Je vais mettre aux voix la question relative à la
réélection des magistrats qui ont conservé leurs fonctions.
- Cette proposition de
réélection est rejetée à une très grande majorité.
Deux députés seulement se sont levés pour son
adoption.
M. le président.
- Je vais mettre aux voix la proposition relative à la réélection des membres
du parquet.
M. Jullien. - Les membres du parquet sont dans une position plus
favorable que les conseillers et les juges.
- La chambre décide à une très grande majorité que les
membres du parquet ne seront pas soumis à la réélection.
M. le président. - Il y a une troisième proposition ; c’est celle de
M. Brabant.
M. Liedts.
- Voici cette proposition : « Je soussigné, propose à la chambre de déclarer
que MM. Goblet et Duvivier ont cessé de faire partie de la chambre. »
M. Legrelle.
- La position des deux ministres n’est pas la même.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Les observations de l’honorable préopinant sont
tout à fait juste : il y a des différences notables dans la position de ces
deux ministres.
Le ministre de l’intérieur, M. Rogier, en acceptant le
portefeuille, a pensé qu’il tombait immédiatement sous le coup de l’article 36
de la constitution lequel exige la réélection. Il a tranché la question qui le
concernait, et il a convoqué le collège électoral de Turnhout. En acceptant les
fonctions de ministre des finances ad interim, M. Duvivier a voulu profiter des
avantages attachés à la position de ministre, et je pense qu’il y a lieu à
réélection.
Mais l’honorable M. Goblet est dans une position très
différente. Il y a un antécédent qui est identique au cas en discussion.
Toutes les circonstances qui
se sont rencontrées pour ne pas décider la chambre à demander la réélection de
M. de Mérode se réunissent en faveur de M. Goblet. M. de Mérode a été nommé
ministre d’Etat ; il a été chargé du portefeuille de la guerre ; il a rempli
ses fonctions gratuitement, et jamais on a pensé à le soumettre à une
réélection. M. Goblet est tout à fait dans les mêmes termes : il a été ministre
d’Etat ; il a accepté les fonctions de ministre des affaires étrangères sans
traitement. Il y a plus : il n’est pas remplacé dans ses fonctions d’inspecteur
du génie dont il touche les émoluments. Les fonctions de ministre des affaires
étrangères, il les exerce gratuitement.
Il me semble, messieurs, que vous ne perdrez pas de
vue les différences qu’il y a entre les trois positions de MM. Rogier, Duvivier
et Goblet. Cependant, si la chambre veut revenir sur ses antécédents, mon
collègue est prêt à s’y soumettre.
M. d’Elhoungne. - Toutes les fois qu’il s’agit de questions de personnes, je répugne à
y prendre part ; ces questions portent des fruits que chacun de nous doit
désirer ne pas toucher ; mais, dès que le bien-être du pays l’exige, il faut
émettre son opinion.
Je regarderais le rejet de la proposition comme
destructif du pacte fondamental, comme destructif de notre constitution.
Messieurs, les différences que l’on veut faire
résulter d’entre celui qui accepte des fonctions salariées et reçoit le
salaire, et celui qui accepte les fonctions et refuse le salaire, est une de
ces distinctions qui ne servent qu’a éluder le texte de la loi.
Messieurs, ou le texte de la constitution est clair et
il faut l’appliquer ; ou le sens de l’article 36 est obscur et il faut une
interprétation.
Quant à la clarté du texte, il n’y a pas à en douter.
S’il était obscur, nous ne pourrions pas l’interpréter
; nous ne sommes pas le pouvoir constituant, nous ne sommes que le pouvoir
législatif.
Si la loi des lois était obscure, elle a prévu les
moyens de procéder à sa réforme. C’est en procédant conformément aux
dispositions de l’article 141. Nous ne sommes pas ici les juges qui
interprétons la loi ; nous sommes ici les esclaves de la loi fondamentale : ou
il faut appliquer la lettre de l’article 36, ou il faut déclarer que l’article
est obscur. Il faut alors une proposition formelle pour interpréter l’article
36 ; il faut une réélection générale des deux chambres afin de porter une loi
interprétative de cet article.
Ainsi vous voyez qu’on n’a rien fait en s’efforçant de
vous prouver que l’article 36 est obscur.
Mais, dit-on, il y a un précédent ; c’est lorsque M.
de Mérode a exercé l’intérim au ministère de la guerre : il n’y a pas de
précédent qui puisse prévaloir contre le texte de la constitution, et de plus
les cas ne sont nullement semblables.
Quand M. de Mérode s’est chargé de l’interim de la
guerre, tout le monde a vu un provisoire parce que le genre des études et des
occupations qu’il a suivies montraient que sa carrière n’était pas de se placer
à la tête de la guerre ; il a été déchargé de ce fardeau, et je suis sûr, sur
la propre demande. Messieurs, en est-il de même de l’honorable député qui a le
portefeuille des affaires étrangères ? Ce n’est pas son coup d’essai dans la
carrière diplomatique ; il a été chargé de deux missions diplomatiques ; il ne
serait donc pas étonnant qu’il persévérât dans la carrière.
On ne doit pas laisser au pouvoir le moyen de violer
la constitution par des mots. Je ne pense pas que la lettre de l’article 36
nous permette de ne pas décider que M. Goblet, ayant été nommé à des fonctions
salariées, ne doit pas être réélu.
On a cité un précédent, j’en
citerai un autre : M. de Theux s’est trouvé dans la même position que M.
Goblet. Il ne voulait pas jouir du traitement de ministre et ne prenait que le
titre de ministre ad interim.
Cependant M. de Theux, sentant
que la question n’était pas soutenable, a fait cesser l’intérim : je pense que
ce précédent vaut l’autre.
Ce serait avec regret que je verrais la chambre privée
des lumières de ces deux membres, et que les électeurs ne nous les renvoyassent
pas ; mais avant tout nous devons nous attacher à la lettre de l’article 36.
M. Duvivier.
- Messieurs, puisque ma qualité de député m’est contestée, je déclare que je me
soumets à la réélection.
M. F. de Mérode. - Si j’ai, en acceptant temporairement les fonctions de ministre de la
guerre, conservé mon mandat de député, c’est, messieurs, parce que je me
considérais comme autorisé par la constitution même à continuer de voter dans
cette chambre. En effet que veut l’article 36 de la constitution ? Empêcher la
corruption des représentants du pays, par la cupidité des traitements attachés
aux places. Ne subtilisons pas sur des mots, allons au fond des choses.
Ma fonction n’est pas salariée pour elle-même, car on
ne salarie point un être abstrait ; mais elle l’est dans la personne de
l’individu qui la remplit. Or, si le titulaire exerce gratuitement, l’emploi
qu’il occupe ne coûte rien à l’Etat ; il cesse par un fait incontestable d’être
salarié, à moins qu’on ne prétende que telle place est frappée du caractère
indélébile de salariée, comme le papier soumis au timbre ne peut plus, sans
subir l’effet des ciseaux, devenir papier libre et non timbré. Il est
indubitable cependant que le gouvernement a toujours le droit de rendre une
fonction gratuite, aussi longtemps qu’il le juge possible et utile au bien du
service, et je nie formellement que le salaire soit obligatoire, essentiel,
inséparable de tel ou tel emploi. J’établis qu’une distinction peut toujours
être faite entre la place et le traitement. Si vous acceptez l’un et l’autre,
évidemment vous êtes soumis aux dispositions de l’article 36 ; mais attendu, je
le répète, que c’est l’appât pécuniaire qu’a voulu combattre cet article, et
non l’honneur, le crédit, l’expérience, que l’on peut recueillir de l’exercice
des emplois publics, il est clair que le texte et l’esprit de la constitution
interdisent aux sénateurs et représentants le salaire et non pas l’acceptation
du travail, les risques de la responsabilité dont le budget autorise le
dédommagement : car, messieurs, le budget est un crédit ouvert ; pas autre
chose.
Il serait tout à la fois très
nuisible au gouvernement et au pays, qui, après tout, ont les mêmes intérêts,
que l’on interprétât les articles déjà suffisamment restrictifs de la
constitution, dans un sens exagéré et véritablement opposé à son esprit. Plus
d’une fois il peut arriver que les membres du sénat ou de cette chambre soient
à même de rendre quelques services temporaires et purement désintéressés. Qu’un
de vous, messieurs, consente à accepter d’une manière transitoire et sans
appointements la direction civile ou militaire d’une province, ou une mission à
l’étranger, faudra-t-il qu’il renonce à ses fonctions de député, ou qu’il force
les électeurs à quitter leurs occupations, à se mettre en campagne, en frais de
voyage, pour le réélire ? Vous savez combien est fâcheux l’inconvénient des
élections renouvelées sans cesse, il ne tend à rien moins qu’à détruire le
système représentatif dans son essence, en affaiblissant de plus en plus le
zèle des citoyens appelés à concourir au choix de la représentation nationale.
M. Nothomb.
- Messieurs, lorsque je vous disais qu’il y avait un point commun dans la
triple discussion qui s’agite, j’avais en vue cette considération importante
qu’il fallait interpréter l’article 36 non d’après sa lettre, mais d’après son
esprit. La question à décider est très simple : il s’agit d’examiner si quand
il n’y a pas de salaire attaché à une fonction, ou quand il est refusé, il y a
amélioration pécuniaire dans la position de député. Je dis non. L’honorable M.
d’Elhoungne, en répondant aux précédents qui avaient été invoqués, a nié
l’identité qui existait entre la position de M. de Mérode et le cas actuel. Il a
dit que par ses études M. de Mérode ne pouvait être censé que provisoirement à
la tête du ministère de la guerre. Eh bien, je soutiens
moi qu’il y a identité parfaite entre sa position et celle de l’honorable
général. Je ne décide pas la question par le genre des études qu’il a dû faire,
mais par la nature même des fonctions qu’il a acceptées. Quoi de plus mobile
que le portefeuille des affaires étrangères ! Celui qui s’en est chargé ne l’a
fait que pour la réalisation d’un système, et ce système échouant, il se retire
; c’est donc un essai qu’il a fait. C’est à tel point que sa présence au
ministère dépend du vote de l’adresse ; sous ce rapport il n’y est donc que
provisoirement. S’il était nécessaire de faire d’autres rapprochements, je
ferais remarquer que M. de Mérode avait d’abord été nommé ministre d’Etat et
ensuite ministre ad interim de la guerre, et qu’on a procédé de même pour M.
Goblet. Si l’on interprétait l’article 36 à la lettre, on arriverait aux
conséquences les plus bizarres. Par exemple, un gouverneur de province est
absent. Un membre de la députation qui se charge de remplir les fonctions de
gouverneur par interim sera-t-il sujet à réélection ? Dans un ministère, un
secrétaire général, un administrateur général peuvent être chargés pour quelques
jours du portefeuille pendant l’absence ou l’empêchement du ministre :
devront-ils être soumis à la réélection ? C’est là cependant où il faudrait en
venir par l’interprétation rigoureuse de l’article. Je resterai donc conséquent
avec le vote que j’ai émis dans une autre circonstance, et je vote contre la
réélection.
M. Jullien.
- Je vous avoue que je ne sais plus trop comment comprendre l’article 36.
Quelques membres prétendent que les termes de cet article sont obscurs et
veulent recourir à des interprétations. Je ne suis pas de leur avis : les
termes de l’article soit fort clairs, et il est un vieux principe et un très
vieux principe de droit qui dit que là où le texte est clair, il ne peut être
question d’interprétation.
Nous voilà cependant à chercher si des hommes nommés
ministres du roi, si des députés qui se placent dans la dépendance la plus
absolue du chef de l’Etat, doivent être réélus ; voilà où nous a conduits la
prétendue obscurité de l’article 36. Je conçois, messieurs, qu’un ministre ad
interim, n’exerçant ses fonctions que parce que le titulaire est empêché, ne
soit pas considérer comme ministre et ne doive pas être réélu ; mais quand il
n’y a pas de titulaire, le ministre ad interim n’est-il pas réellement ministre
du roi ? et après tout, messieurs, tous les ministres présents et futurs ne
sont que des ministres ad intérim (hilarité)
; car le roi peut les révoquer quand bon lui semble. Ainsi, la qualification ad
interim est tout à fait dérisoire.
Mais, dit-on, si le ministre ad interim refuse le
salaire il ne saurait être atteint par l’article 36. Faites attention,
messieurs, que l’article dit : « Toute nomination à une fonction
salariée, » et il importe peu que le salaire soit accepté ou non. Les fonctions
de ministre sont-elles salariées ? Voilà toute la question. L’acceptation du
salaire ou le refus ne font rien à la question. S’il en était autrement, vous
feriez dépendre une question constitutionnelle d’une question d’argent.
Aujourd’hui ma délicatesse ne me permet pas d’accepter le salaire de la
fonction qui m’est confiée, je ne devrai pas me faire réélire. Demain
j’accepterai le salaire, je devrai être réélu : n’est-ce pas, messieurs, se
moquer des constitutions que de les traiter aussi cavalièrement ?
On dit que le
député qui accepte un portefeuille sans le salaire n’améliore pas sa position.
C’est ravaler la dignité de ministre que de raisonner ainsi. Si vous prétendez
qu’un député devenant ministre, appelé à gouverner le pays, n’améliore pas sa
position, parce qu’il ne touche pas de salaire, vous comptez pour rien
l’honneur attaché à ces fonctions éminentes devant lequel la question d’argent
est une question infinie qui ne devrait pas être agitée dans une assemblée
nationale.
On a invoqué des précédents. Les précédents me
touchent peu, quand ils ne sont pas fondés sur la raison. L’honorable M
d’Elhoungne a parfaitement répondu quant au précédent invoqué et relatif à M.
de Mérode. M. de Mérode, en acceptant le portefeuille de la guerre, a fait acte
de complaisance ; tout le monde l’a bien compris et c’est pourquoi on n’a pas
voulu lui faire l’application rigoureuse de la loi. Quand on juge par analogie,
la saine raison dit que la condition d’une et d’autre part doit être la même,
et ici la similitude n’existe pas. Le texte de la loi est précis, je le répète
; il faut le respecter.
M. H. de Brouckere. - Et moi aussi je resterai fidèle au vote que j’ai
émis précédemment, en votant pour la réélection. L’article 36 de la constitution
est conçu en termes assez vagues. La première fois qu’une discussion s’est
élevée sur cet article, c’est quand M. de Theux fut nommé ministre de
l’intérieur. La discussion occupa une séance tout entière, et la décision fut
renvoyée à un autre jour. Dans l’intervalle la nomination ad interim devint définitive et la solution de la question fut par-là
rendue inutile. Peu de temps après M. de Mérode fut nommé ministre de la guerre
ad interim : je n’avais pas soulevé la question quant à M. de Theux, je ne voulus
pas la soulever pour M. de Mérode ; mais si un de mes collègues l’avait fait,
je n’aurais pas hésité à demander que M. de Mérode se soumît à la réélection.
Voici comment j’entends l’article 36. Il faut, pour qu’un député soit soumis à
la réélection, qu’il y ait changement dans sa position ; or c’est ici le cas.
Quand M. Goblet a été élu par les électeurs de Tournay, il était général et
inspecteur général du génie, mais il n’était pas ministre. La position n’est
donc pas la même. Mais, dit-on, il refuse de toucher le salaire. Cela ne nous
regarde pas. C’est une question entre M. Goblet et le gouvernement. Vous ne
voulez pas de salaire ? C’est un acte de générosité qui ne m’étonne pas dans M.
Goblet, mais qui ne doit être pour nous d’aucune influence. Mais il continue,
dit-on, d’exercer les fonctions d’inspecteur général. Tant pis ; moi je
voudrais qu’il s’en tînt à ses fonctions de ministre. C’est bien assez de
celle-là.
M. Devaux.
- Messieurs, j’ai voté tout à l’heure pour que les membres de l’ordre
judiciaire ne fussent pas soumis à la réélection ; je voterai maintenant de
même pour les ministres ad interim, et je croirai être conséquent avec les
précédents de la chambre.
Une voix. - La question
n’a pas été décidée.
M. Devaux.
- Elle l’a été lorsque M. Goblet fut nommé ministre plénipotentiaire à Londres.
La question doit être posée ainsi : y a-t-il salaire oui ou non ? Il n’y en a
pas, donc point d’application de l’article 36. Mais, dit-on, s’il n’y a pas
salaire, il y a augmentation de dignité : je dis que cela est indifférent. La
constitution n’a vu que la question d’argent ; et ce n’est pas seulement pour
ce seul cas, car l’article 103 contient une disposition analogue pour les
membres de l’ordre judiciaire, et cet article 103 peut très bien servir à
expliquer l’article 36 : « Aucun juge, y est-il dit, ne peut accepter du
gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement,
et sauf les cas d’incompatibilité déterminés par la loi. » Vous voyez
qu’ici la question d’argent décide seule si le juge pourra accepter ou non
l’emploi qui lui est offert. Les deux articles sont rédigés dans le même sens.
S’ils ne le sont pas dans les mêmes termes, c’est parce qu’ils ont eu un
rédacteur différent ; je crois que l’un a été rédigé par moi, l’autre par M.
Nothomb.
On a fait une distinction singulière entre la position
de M. Goblet et celle de M. de Mérode. On a dit que ses études ne lui permettaient
de rester que provisoirement au ministère de la guerre. Je crois, moi, qu’on
est bien placé partout quand, comme M. de Mérode, on possède un esprit droit et
un noble caractère. Mais voyez la bizarrerie de l’argument
! Si M. Goblet était incapable, s’il était un homme stupide, on consentirait à
ce qu’il fût ministre par intérim, et il n’aurait pas besoin d’être réélu ;
capable, cette capacité sera précisément la cause de son exclusion. C’est là ce
que je ne peux concevoir, cc qui n’est pas admissible. M. Jullien a dit que M.
de Mérode ne s’était chargé du portefeuille de la guerre que par complaisance.
Qui le lui a dit ? L’ordonnance de nomination disait-elle que c’était par
complaisance ? L’arrêté de nomination de M. Goblet est-il différent ?
Les antécédents sont pour moi peu de chose, dit M.
Jullien. Vraiment il y paraît, alors que je me rappelle avoir entendu prouver
avec infiniment d’éloquence que M. Goblet ne devait pas être réélu, quoiqu’il
eût accepté la mission à Londres. Nous avons eu aussi l’avantage de l’entendre
discuter toujours avec beaucoup d’éloquence les deux thèses contraires. (Hilarité générale.)
M. Brabant.
- Messieurs, je m’étais fondé sur l’interprétation de l’article 36 de la loi
fondamentale donnée par le gouvernement lui-même tant à l’égard de M. Rogier
que de différents autres membres de la chambre, dont la position se trouvait
changée par suite de les nouvelle organisation judiciaire. Le ministère ne
tient pas compte de cette interprétation et veut chercher le contraire dans les
actes de l’assemblée. Et où le cherche-t-il ? Dans la conduite tenue par nous
au sujet de M. de Mérode, lorsqu’il fut chargé de la signature du département
de la guerre. Il se fait une jurisprudence d’un défaut de procès. La chambre
n’a jamais été saisie de la question, et par conséquent n’a pu la décider. Une
seule fois, nous avons eu à juger une question qui se présentait dans 1es mêmes
termes que celle d’aujourd’hui. M. de Theux, ministre d’Etat, avait été chargé
par interim du ministère de l’intérieur, et avait renoncé à tout salaire. La
chambre fut appelée a statuer sur le point de savoir s’il pouvait rester dans
son sein sans être réélu. Mais le gouvernement sentit si bien que cela ne se
pouvait pas, qu’il demanda un délai, et le lendemain M. de Theux était ministre
définitif et ministre salarié.
On dit que M. Goblet n’est ministre que par interim et
ne touche pas de salaire. Mais la question n’est pas de savoir s’il ne touche
pas de salaires ; il s’agit de savoir si les fonctions de ministre des affaires
étrangères ne sont pas salariées. Eh bien ! ouvrez le budget, et vous trouverez
que 10,000 florins sont affectés au traitement du ministre des affaires
étrangères.
On dit en outre que M. Goblet n’est ministre que par
intérim ; mais il y a déjà deux mois que cet intérim dure, et il pourrait durer
encore !
M. le secrétaire général des affaires étrangères...
Quelques voix. - Il n’y en a pas.
M. Brabant.
- Je vous demande pardon, vous verrez qu’il y en a un. (On rit.) M. le secrétaire général a fait observer que M. Goblet
n’était venu au ministère des relations extérieures que pour continuer un
système qui avait été conçu lorsqu’il représentait le Roi à la conférence de
Londres. Mais si ce système reçoit l’approbation de la chambre, M. Goblet, pour
le pousser jusque dans ses derniers conséquences, pourrait ainsi rester
ministre pendant dix ans (hilarité) ;
car, malheureusement pour nous, en diplomatie le provisoire a déjà duré trop
longtemps, et nous ne pouvons guère en prévoir le terme. Je pense donc que M.
Goblet doit être soumis à une réélection. (Aux
voix !)
M. Jullien. - Je demande seulement à dire quelques mots pour
faire voir à la chambre que je ne suis pas aussi inconséquent dans mes opinions
que l’a prétendu M. Devaux. J’ai soutenu dans le temps que M. Goblet ne devait
pas être soumis à réélection, parce qu’il était alors chargé d’une mission
toute temporaire, et d’autant plus temporaire qu’elle devait finir avec la conférence
à qui je ne souhaitais pas une longue vie. Aussi est-il revenu promptement de
cette mission. Ainsi il ne faut pas mettre M. le ministre Goblet sur la même
ligne que M. Goblet chargé d’une mission temporaire près la conférence. C’est
dans ce sens que j’ai entendu la question ; je suis fâché que M. Devaux
l’entende autrement.
M. Legrelle.
- Il me semble que l’article 103 de la loi fondamentale tranche définitivement
la contestation. Cet article porte : « Aucun juge ne peut accepter du
gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement
et sauf les cas d’incompatibilité déterminés par la loi. » On me répondra,
je le sais, qu’il y a une différence entre cet article et l’article 36, parce
que le premier définit les fonctionnaires qui exercent gratuitement. Mais, dans
le doute où nous laisse l’article 36, ne devrait-il pas être coordonné avec
l’article 103, et ne pourrait-on pas dire par analogie que, si un juge peut
accepter des fonctions salariées, pourvu qu’il les exerce gratuitement et
qu’elles ne se trouvent pas placées dans les cas d’incompatibilité que la loi
détermine, un député peut aussi, sans cesser d’être membre de la chambre,
exercer des fonctions salariées, si toutefois il a renoncé à ce salaire ? Voilà
selon moi toute la question : est-il permis à un fonctionnaire de rendre des
fonctions salariées honorifiques, et je me prononce pour l’affirmative. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - La proposition portait sur deux points. Mais vous
avez entendu M. le ministre des finances. D’après sa déclaration croyez-vous
qu’il soit nécessaire d’aller aux voix pour ce qui le concerne ? (Non ! non !) Alors la question se réduit
à ceci :
« M. Goblet, nommé par intérim ministre des
affaires étrangères, devra-t-il être soumis à une réélection ? »
- On demande l’appel nominal.
En voici le résultat : 47 membres répondent oui, et 22 non.
M. le président.
- En conséquence M. Goblet devra se soumettre à une nouvelle élection.
M. Dumortier. - Je pense que maintenant il n’y a plus de
contestations. Il est donc nécessaire et je demande que la chambre se constitue
sur-le-champ., Après j’aurai l’honneur de déposer la proposition dont j’ai
parlé.
M. L. de Robiano. - Je demanderai plutôt qu’on suspende la séance et
qu’on donne le temps à la commission des pouvoirs d’en faire la vérification
pour qu’ensuite elle nous fasse son rapport.
M. Jaminé. - Il s’agit de décider s’il faut attendre
jusqu’après la vérification des pouvoirs pour constituer le bureau.
M. Verdussen.
- Je crois que l’article 5 de notre règlement tranche cette question, puisqu’il
porte : « La chambre, après la vérification des pouvoirs, procède à
l’élection d’un président, de deux vice-présidents et de quatre
secrétaires. » Il faut donc faire précéder la vérification des pouvoirs.
M. Legrelle. - On est tenu de se conformer au règlement toutes
les fois que cela est possible ; mais on n’y est pas tenu quand il y a
impossibilité de le faire. Si l’on se renfermait dans le système développé par
le préopinant, il s’ensuivrait que la chambre, dans le cas où les pièces
nécessaires pour vérifier les élections de quelques députés n’arriveraient
qu’au bout de 6 ou 8 jours, serait obligée d’attendre jusque-là pour se
constituer. Il vaudrait mieux, comme l’a proposé M. de Robiano, donner le temps
à la commission des pouvoirs de se livrer à son travail, et se réunir le soir
pour entendre son rapport.
M. Dewitte. - Le motif du retard apporté à la vérification des
pièces est indépendant des personnes élues et de la commission. Voici le motif
: (Ici M. Dewitte lit une lettre de laquelle il résulte que les procès-verbaux
d’élections de représentants et de sénateurs qui avaient été faits dans les
mêmes districts ont été envoyés à M. le président du sénat pour que celui-ci
les adressât ensuite à la chambre des représentants.)
M. Devaux. - La question est toute simple. Il faut toujours que
la commission chargée de vérifier les pouvoirs fasse son rapport. S’il se
rencontre quelques obstacles et qu’un délai soit nécessaire, on ajourne
l’admission des membres élus, sans que cela empêche la chambre de se
constituer. Mais il faut que d’abord le rapport de la commission soit fait.
M. Poschet.
- Le rapport dont il s’agit n’est pas si facile qu’on le pense ; la commission
ne serait pas à même de le faire ce soir, il y a beaucoup de difficultés à
résoudre ; d’ailleurs il me semble qu’il n’y aurait aucun inconvénient à
renvoyer ce rapport à demain.
M. Dumortier. - La proposition que j’ai eu l’honneur d’indiquer à
la chambre est d’une telle importance que je ne conçois pas qu’on veuille
remettre à demain ce que nous avons à faire. Je suis vraiment étonné qu’on le
demande, car demain il sera trop tard : il faut donc nécessairement se réunir
ce soir même. Quelque désir que j’aie de voir siéger ici quelques députés de
plus, il y a une considération bien plus puissante qui me presse, c’est celle
du salut du pays. Salus populi suprema lex esto !
M. Osy. - J’appuie
la proposition qui a été faite de nous réunir ce soir, car on pourrait à cette
séance du soir former le bureau et demain on s’occuperait de ce qui concerne le
pays.
M. Jullien.
- La commission ne peut pas dire quelles difficultés pourront s’élever à
l’occasion de pièces qu’elle n’a pas encore vues, mais elle peut apprécier
celles que soulèvent les pièces qu’elle a déjà examinées. Je crois dès cet
instant pouvoir vous assurer que son travail ne sera pas prêt pour ce soir. Il
serait plus raisonnable selon moi de remettre la séance à demain, d’autant plus
que personne ne peut apprécier l’importance de la proposition de M. Dumortier,
puisqu’il n’a communiqué son secret à personne. (On rit.) Je crois que le salut du pays ne tient pas à quelques
heures de plus.
M. le président
consulte l’assemblée sur le point de savoir s’il y aura une séance du soir.
- L’épreuve étant douteuse, on procède à l’appel
nominal. 32 membres se prononcent pour l’affirmative, et 36 pour la négative.
La séance est levée à quatre heures.