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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 9 juin
1832 (partim)
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi relatif à l’impôt des
distilleries (Mary, Dumortier, Poschet, Destouvelles)
3) Projet
de loi portant organisation judiciaire. Nombre de conseillers de la cour de cassation
(Jonet, de Roo, Ch. de Brouckere, Leclercq, Jonet, Destouvelles, Lebègue, Raikem, Leclercq), nombre de juges des tribunaux de première instance
(Devaux, Jaminé, Jonet,
Destouvelles, Bourgeois,
Jullien, Liedts, Leclercq, Barthélemy, Helias d’Huddeghem, Raikem, Devaux, H. de Brouckere, Devaux, Dumont, Lebeau,
Jullien), nombre de conseillers des cours d’appel (Jaminé, Raikem, Van
Meenen, Leclercq, Barthélemy,
Van Meenen, Raikem, Devaux, Destouvelles, Van Meenen, H. de Brouckere,
Fleussu, Gendebien, Lebeau, Leclercq)
(Note du
webmaster : la fin de la séance n’est pas disponible dans les sources à notre
disposition)
(Moniteur belge n°163, du 11 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance s’ouvre
à une heure.
M. Dellafaille procède à l’appel nominal. II donne lecture du
procès-verbal, la rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques fait connaître successivement l’objet de plusieurs
pétitions adressées à la chambre ; les pétitions sont renvoyées à la commission
spéciale.
- Un congé de huit
jours est accordé à M. Serruys.
PROJET DE LOI RELATIF A L’IMPOT DES DISTILLERIES
M. Mary demande la parole pour une motion d’ordre. -
Messieurs, il y s quatre jours que vous avez renvoyé aux sections de la chambre
le projet de loi sur les distilleries. Depuis cette époque. la chambre, occupée
d’intérêts majeurs, n’a pu se réunir en sections ; aujourd’hui, il ne s’y est
présenté qu’un ou deux membres. Je crois cependant qu’il est utile de porter
une loi sur les distilleries ; actuellement la fraude est trop facile, car il
faut apporter des changements à la législation qui nous régit. Il me semble
qu’il serait nécessaire de nommer une commission pour examiner la loi, ou bien
de réunir les rapporteurs des sections pour opérer le travail.
Trois principes
sont en présence : en 1814 on admet l’abonnement ; en 1822 on a établi l’impôt
sur les produits ; dans le projet qui nous est présenté, on propose l’impôt sur
les matières en macération. Il est indispensable que la chambre prenne
promptement une décision. Je demande donc qu’il vous plaise de décider que les
sections nommeront chacune un membre pour former la commission qui examinera la
loi.
M. Dumortier.
- La proposition de l’honorable préopinant est tardive. J’ai partagé avec lui
l’opinion qu’il fallait soumettre la loi sur les distilleries à une commission ;
mais la chambre en a décidé autrement, et la loi est soumise aux sections.
Lorsque l’on a fait le règlement, on a même demandé, c’est, je crois, M. de
Brouckere, que jamais il n’y eût des commissions.
M. Ch. de Brouckere. - Non ! non !
M. Dumortier.
- Toujours a-t-il été dit que l’examen par les commissions n’éclairait pas la
chambre. On a cité des lois spéciales, et précisément celle sur les
distilleries, pour montrer que peu de personnes avaient des notions sur cette
matière, et que la chambre avait besoin d’une discussion préparatoire dans les
sections pour acquérir les connaissances indispensables pour émettre un vote
consciencieux.
M. Mary. - Les
sections peuvent nommer des rapporteurs ; ainsi, il y aura six rapporteurs qui
feront une commission. La chambre, en revenant sur sa première décision, peut
adopter ma proposition.
M. Poschet. - Je m’oppose à la nomination des commissions. Le
travail des sections est tout ce qu’il y a de plus essentiel ; je vois avec
regret qu’on met une grande négligence à se rendre dans les sections ; ces
réunions éclairent tout le monde. Quant à moi, je ne pourrai que par ce moyen
m’instruire sur l’objet dont il s’agit ; et si l’examen de la loi n’a pas lieu
de cette manière, je serai obligé de m’abstenir.
M. Destouvelles. - L’opinion de M. Mary peut être adoptée ; il est
évident que les rapporteurs des sections peuvent se réunir. Cependant, il faut
qu’un examen préalable de la loi ait lieu dans les sections, car que feraient
des rapporteurs qui n’auraient rien à rapporter ? (On rit.) Quelque sentiment douloureux que j’éprouve en voyant la
stagnation de cette branche de notre industrie qui a une si grande influence
sur notre commerce et notre agriculture, je pense néanmoins qu’il faut attendre
quelques jours : nous serons éclairés par les discussions qui auront lieu dans
les journaux, et les documents qu’ils fourniront pourront être d’une grande
utilité.
M. Jullien. - L’ordre du jour.
M. le président. - Plusieurs sections se sont ajournées...
M. Mary. - Je retire
ma motion.
PROJET DE LOI PORTANT ORGANISATION JUDICIAIRE
Discussion des
articles
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion du
projet de loi sur l’organisation judiciaire. La chambre en est à l’article 18.
Article 18
« Art. 18. La
cour de cassation se divise en deux chambres, dont l’une porte le titre de
chambre des requêtes, l’autre celui de chambre civile et criminelle. »
M.
Jonet. - Dans l’hypothèse où il n’y aura pas de chambre des
requêtes, hypothèse dans laquelle nous devons nous placer en conséquence du
vote de la dernière séance, il est évident qu’une partie de l’article 18 doit être
supprimée, et que l’autre doit être modifiée. Il doit en être de même de
l’article 20, qui détermine les attributions de la chambre des requêtes et de
la chambre criminelle. Le principe étant écarté, les conséquences sont
également écartées. Cependant il est dit dans la constitution que les ministres
seront jugés par les chambres réunies de la cour de cassation. Il faut donc
deux chambres dans cette cour ; mais quels noms porteront-elles ? Chambre
criminelle, et chambre civile ; cette dénomination n’est pas exacte. Au reste,
la chambre des affaires criminelles aurait-elle assez d’affaires pour être
occupée ? Si elle n’en avait pas assez, il faudrait qu’elle s’occupât
d’affaires civiles.
Quelque
division qu’on fasse dans la cour de cassation, il faut donner aux chambres des
attributions particulières ; car sans cela, l’une pourrait décider dans un
sens, et l’autre dans un sens contraire sur la même question. Il faut éviter
cet inconvénient, il fait encore atteindre un autre but, c’est de donner aux
chambres une égalité de travail. J’ai cru qu’en donnant à la première chambre
connaissance des pourvois en matière criminelle, correctionnelle et de police,
des demandes en règlement de juge, un renvoi d’un tribunal à un autre, des
prises à parties et des conflits d’attribution. Si la chambre y consent, je
soumettrai mon amendement.
M.
de Roo. - L’ordre proposé dans l’amendement ne me paraît pas
convenable ; de tout temps, la chambre civile a été la première et la chambre
criminelle la seconde ; d’un autre côté, l’amendement semble incomplet. Il peut
arriver qu’une chambre soit surchargée, tandis que l’autre chômerait ; il faut
éviter cet inconvénient, et pour cela, on pourrait ajouter à l’énumération des
attributions de la chambre criminelle, les mots suivants :
« Néanmoins il
sera loisible à la cour, en cas de surcharge, de renvoyer les affaires d’une
chambre à l’autre. »
M. Ch. de Brouckere. - Avant de décider s’il y aura des chambres et de déterminer
leurs attributions, je crois qu’il faut décider combien de juges il y aura dans
la cour de cassation.
Si l’on établit
des chambres, il faut encore savoir de combien de conseillers chacune sera
formée. L’honorable M. Barthélemy a dit qu’il suffisait de 9 membres dans une
chambre, et de 7 membres dans l’autre. On peut dire que les deux chambres
auront nombre égal de conseillers. Je demande que nous revenions à l’article 2
dont la discussion a été ajournée.
M. Leclercq. - Il me semble qu’avant de reprendre l’article 2, il
faut savoir combien il faudra de conseillers dans chaque chambre pour prononcer
un jugement.
M.
Jonet. - C’est aussi ce qu’il faut décider par les cours
d’appel.
M. Destouvelles. - Pour procéder graduellement, il faut commencer par
les tribunaux de première instance. On doit d’abord dire : le tribunal de
première instance est composé de tant de juges. Le nombre des juges augmente
pour les cours d’appel ; il augmente encore pour la cour de cassation. Telle
est l’économie établie dans le projet de loi. Cet ordre est le seul rationnel.
M. Lebègue. - Il faudra savoir quel est le nombre des juges et des
conseillers nécessaires pour rendre jugement ou arrêt avant de déterminer le
nombre total des membres d’un tribunal ou d’une cour.
M. le ministre de la justice
(M. Raikem).
- Y aura-t-il deux chambres ou une seule ; cette question est préjudicieuse.
Mais pour savoir combien il y aura de membres à la cour de cassation, il faut
auparavant savoir combien de conseillers sont nécessaire pour rendre arrêt.
Messieurs, avant
de résoudre cette question pour la cour de cassation, on doit la résoudre pour
les tribunaux de première instance et pour les cours d’appel ; il y a
connexité.
M. Leclercq. - Je proposerai à la chambre de commencer la
discussion par l’article 46, et d’arriver ensuite et successivement aux
articles 40, et 2 et à la proposition de M. Jonet.
La chambre adopte
cet ordre de discussion.
Article 46
M. le président. - L’article 46 est ainsi conçu :
« Art. 46.
Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre jugement qu’au nombre de
trois juges y compris le président sauf ce qui est statué pour les appels en
matière correctionnelle et par les articles 41 et 42. »
M. Devaux. - Je ne m’opposerai pas à l’adoption de cet article
si on laisse indécise la question de savoir par quels tribunaux seront décidés
les appels de police correctionnelle. Si on ne demande ici qu’un vote
provisoire, afin de préparer les bases d’après lesquelles le nombre des
conseillers de la cour de cassation sera fixé, je donne mon adhésion.
M. Jaminé. - Il faut diviser l’article et ne mettre en
délibération que la première partie :
« Les
tribunaux de première instance ne peuvent rendre jugement qu’au nombre de trois
juges y compris le président. »
M. le président. - D’après la proposition de M. Devaux, nous ne
mettrons en discussion que la première partie de l’article 46.
M.
Jonet. - Lorsque la section centrale a adopté l’article 46,
elle a cru que les cours d’appels ne prononceraient d’arrêts qu’avec cinq
conseillers. Si l’on adoptait une autre opinion, si l’on voulait sept
conseillers pour rendre arrêt, je ne vois pas pourquoi en première instance on
n’admettrait pas 4 et même 5 juges pour prononcer jugement, trois juges dans
les autres circonstances ne sont pas suffisants ; c’est ce que l’on a éprouvé à
Bruxelles. Je demande que les tribunaux de première instance puissent prononcer
avec quatre juges.
M. Destouvelles. - Il existe des tribunaux de première instance où il
n’y a que trois juges ; il serait impossible de les faire juger à quatre. (On
rit.) Il faut de l’uniformité.
Une voix. - Il y a des suppléants.
M. Destouvelles. - La mission des suppléants n’est légitime que quand
les juges sont empêchés ; leur titre l’indique suffisamment. Et quand les suppléants
sont eux-mêmes empêchés, le tribunal est complété par les avocats, selon
l’ordre d’inscription.
M. Bourgeois. - Il y a des tribunaux composés de plus de trois
juges. Le nombre des juges varie selon la population, le nombre des affaires.
Il est vrai, comme l’a dit M. Jonet, que dans beaucoup de circonstances les
tribunaux de première instance ne peuvent juger à moins de quatre juges ;
donnez donc la faculté de le composer ainsi ; quelquefois un juge est chargé d’une
expertise ou d’autres fonctions. Tout peut se concilier en mettant dans
l’article trois juges au moins.
M. Jullien. - On lit dans l’article : « Les tribunaux de
première instance ne peuvent rendre jugement qu’au nombre de trois
juges. » Cela veut-il dire qu’il ne faut que trois juges ? Alors la
rédaction n’est pas claire. Mais dans les tribunaux où il y a deux sections,
l’une prononce avec trois juges et l’autre avec cinq. Si vous restreignez le
nombre à trois, vous allez rendre des juges inutiles. J’appuie la proposition
de M. Bourgeois.
M. Liedts. - L’honorable M. Jullien a très bien saisi le sens de
l’article 46 ; la section centrale a voulu qu’à l’avenir les tribunaux de
première instance ne puissent siéger qu’au nombre de trois juges, ni plus, ni
moins. M. le rapporteur vous a déjà indiqué l’un des motifs qui ont déterminé
la section centrale à introduire cette innovation ; c’est qu’il est en effet
assez bizarre que la même contestation soit soumise dans certaines parties du
royaume à trois juges et dans d’autres parties à cinq juges.
Un deuxième motif
c’est que si l’on permet de siéger à quatre juges, on s’expose à voir un
partage de voix, ce qui entraîne des frais pour les plaideurs et retarde la fin
du procès.
Enfin si l’on
permet aux tribunaux de première instance de siéger à 5 ou 6 juges, il n’y aura
plus de gradation entre le nombre de conseillers qui connaîtront de l’affaire
en appel, et celui des juges qui en ont connu en premier ressort. L’article
doit rester tel qu’il est.
M.
Leclercq.
- La section centrale a voulu éviter l’inconvénient du soupçon qui planait sur
un tribunal où l’un des juges pourrait s’absenter d’une cause, et un autre juge
d’une autre cause ; c’est pour cela que dans tous les cas elle fixe le nombre
des juges à trois. Ce nombre suffit quand l’affaire n’est pas considérable ; si
l’affaire est considérable, il y a appel. Alors la question est décidée par
sept juges.
M. Barthélemy. - J’appuie la proposition de la section centrale
selon l’idée de M. Leclercq. Dans une grande ville il faut que le tribunal de
première instance ait une section de commerce, une section civile, un juge
d’instruction ; en tout il fera huit juges. Des raisons d’économie doivent
d’ailleurs engager à fixer le nombre des juges. Il faut que l’on sache à quoi
s’en tenir sur les dépenses de l’Etat.
M. Helias
d’Huddeghem. - Dans les tribunaux
de première instance, comme à Bruxelles, où il y a un grand nombre de causes,
vous savez que les jugea ont des commissions à remplir, des interrogatoires à
faire, etc. Si vous réduisez le tribunal à trois, vous rendrez le service
impossible. Vous savez que dans les affaires sommaires, quand une enquête doit
être poursuivie, on remet la cause de huitaine en huitaine ; si indépendamment
de l’enquête, un juge s’absente, il sera impossible de terminer l’affaire.
J’appuie l’amendement de M. Bourgeois.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - S’il n’y a que trois juges, vous pourrez, dit-on,
rendre le service impossible ; car, il y aura des enquêtes, et il arrivera des
interruptions. Je puis citer la ville de Liége où le tribunal de première
instance a deux sections composée chacune de trois juges, et cependant on n’y
trouve pas d’inconvénients, et les affaires marchent très bien.
M. Devaux. - Tout en appuyant l’article de la section centrale,
je ne sais pas s’il est assez clair et s’il dit tout ce qu’il veut dire.
Je voudrais qu’une
autre locution fut employée pour dire que le nombre des juges ne peut être
au-dessus ou au-dessous de trois. En lisant l’article j’ai douté de son véritable
sens. Ne pourrait-on pas dire : ne peut rendre jugement qu’au nombre fixe de
trois juges ?
M. Jullien. - Et que faites-vous du président du tribunal ?
M. Devaux. - Y compris le président ; c’est dans la loi… Quand
il aura des juges qui chômeront on les supprimera ; car c’est le grand nombre
de juges qui est la plaie de l’ordre judiciaire, parce qu’il force à admettre
trop de médiocrités.
M. Helias
d’Huddeghem. - Avant la
constitution de l’an VIII, il y avait un certain nombre de juges....
M. Destouvelles. - Ce n’est pas là la question, (La clôture ! la clôture !)
-
La chambre ferme la discussion.
M. le président. - L’amendement de M. Bourgeois consiste mettre « trois juges au moins. »
-
L’amendement, mis aux voix, n’est pas adopté.
M. H. de Brouckere. -
L’amendement de M. Devaux consiste à mettre : « Au nombre fixé de trois
juges. »
M. le président. - M. Devaux présente-t-il un amendement ?
M. Devaux. - Oui, monsieur.
M. Dumont. - Le mot « fixe » me paraît inutile.
M. Lebeau. - L’article est assez clair, d’après la discussion.
M. Jullien. - J’insiste pour que l’on mette « le nombre fixe
de trois juges, » quoique ce soit une cheville législative.
Dans des tribunaux
de première instance, il y a neuf juges, si vous les obligez de siéger avec
trois juges, que ferez-vous de ceux que vous mettrez hors de service ?
- Le mot
« fixe » est mis aux voix et adopté.
La première partie
de l’artice 46 est ainsi rédigée :
« Les
tribunaux de première instance ne peuvent rendre de jugements qu’au nombre fixe
de trois juges, y compris le président. »
On la met aux voix
et elle est adoptée.
La chambre passe à
la discussion de l’article 40, ainsi conçu :
« En matière
civile, les cours d’appel ne peuvent juger qu’au nombre de sept
conseillers. »
M. le ministre de
la justice a proposé, dans une séance précédente, de réduire ce nombre à cinq.
M. Jaminé. - Que M. le ministre de la justice nous donne les
motifs de son amendement.
M. le ministre de la justice
(M. Raikem).
- Messieurs par suite de l’amendement que j’ai présenté sur l’article 40, il
serait ainsi rédigé : « Les cours d’appel ne peuvent rendre arrêt qu’au
nombre de 5 conseillers y compris le président. »
Sous la loi de
l’an VIII, sept conseillers étaient nécessaires en matière civile ; sous la loi
de l’an 1810, pour les matières correctionnelles, il suffisait de 5 conseillers
et de 5 juges dans les tribunaux de chef-lieu de département. Postérieurement
il a suffi de 5 conseillers pour rendre arrêt en matière civile ; je crois que
ce nombre est suffisant et qu’avec une chambre composée de 6 membres instruits,
l’arrêt rendu est aussi bon que s’il l’avait été par 7 conseillers. Un motif
d’économie vient à l’appui de cette proposition.
Le choix entre le nombre
5 ou le nombre 7 est tout à fait arbitraire ; on peut se décider indifféremment
pour l’un ou pour l’autre. Ce choix tient à la question de savoir s’il est plus
utile d’avoir un grand nombre de juges ou un moindre nombre, question vivement
débattue et pas encore résolue.
Mon opinion est
que cinq conseillers suffisent pour rendre arrêt.
M. Van Meenen. - Et moi, je crois que cinq conseillers sont un
nombre insuffisant. Le nombre des conseillers nécessaires pour rendre arrêt
peut être déterminé d’après un principe. Ce principe le voici : Il faut que
l’arrêt qui infirme soit porté par un nombre de juges tel qu’il surpasse le
nombre les juges qui ont porté le premier jugement.
Or, le jugement
rendu par trois juges peut l’avoir été à l’unanimité. Il ne peut donc être
réformé par cinq juges dont la majorité n’est que de trois.
La cour qui
prononce l’arrêt doit être composée d’un nombre de juges tel que la majorité
l’emporte sur l’unanimité des juges du tribunal inférieur. Il faut donc au
moins sept conseillers, dont la majorité est quatre.
M. Leclercq. - Messieurs, à ce que vient de dire l’honorable M.
Van Meenen, on peut ajouter d’autres considérations. Il me semble que les
lumières de sept magistrats choisis avec soin, présentent plus de garanties que
5. On a dit qu’il était plus difficile de trouver 7 bons juges que d’en trouver
5 ; s’il s’agissait d’une augmentation considérable de juges pour le pays, la
difficulté serait réelle ; mais ne peut exister pour une si petite
augmentation.
Quant aux raisons
d’économies, il me semble qu’elles ne peuvent être mises en balance avec une
bonne justice.
Il
s’agit d’une expérience faite pendant longues années ; depuis l’an VIII, on
juge en matière civile avec 7 juges ; si l’on a depuis jugé avec 5 juges,
cela tient à une circonstance particulière qui n’existe plus ; c’est qu’en 1815
on avait établi une chambre de cassation qui jugeait avec sept juges.
A Bruxelles, à
Liége, les cours n’ayant que onze conseillers, il a fallu leur permettre de
juger avec cinq.
C’est par ces
considérations qu’on a dérogé aux règles qui exigeaient sept juges.
Je le répète, les
lumières réunies de sept juges présentent plus de garanties que cinq, et
donnent plus de considération au tribunal.
M. Barthélemy. - L’amendement de M. Van Meenen suppose parfaite
égalité entre les lumières des juges et des conseillers. J’admets qu’un
tribunal de trois juges prononce à l’unanimité ; et je dis que l’infirmation du
jugement, par trois conseillers sur cinq, présente des garanties suffisantes
parce qu’il y a plus de capacité dans les trois conseillers que dans les trois
juges.
Vos juges sont mal
payés, horriblement mal payés. Pour avoir ce qu’il y a de mieux dans vos
tribunaux, il faut mieux payer. Les avocats qui ont quelques affaires ne se
présentent pas pour être juges ; si on leur offrait de monter sur le siège, ils
refuseraient. Payez mieux les juges et pour cela diminuez-en le nombre.
M. Van Meenen. - M. Barthélemy dit que je ne tiens aucun compte de
la supériorité des lumières des conseillers d’appel ; mais les lumières ne
s’apprécient pas par le public ; elles ne sont pas perceptibles.
II n’est pas
défendu aux juges de première instance d’avoir des lumières étendues et même
supérieures à celles des conseillers d’appel ; mais ce que nous devons
chercher, c’est quelque chose d’évident à tous les yeux, et ce qu’il y a
d’évident pour tous, c’est le nombre. C’est pour cela que je tiens à ce que le
tribunal supérieur soit composé d’un nombre de membres tel que la majorité
excède l’unanimité du tribunal inférieur.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Si l’on adoptait le principe du préopinant, voyez
où il nous conduirait.
Il faut que la
majorité du juge d’appel surpasse l’unanimité du tribunal de première instance
et de là on demande sept conseillers.
S’il doit en être
ainsi en appel, à plus forte raison doit-il en être ainsi en cassation.
Une voix. - Non !
M. le ministre de la justice
(M. Raikem).
- Or, l’unanimité en appel étant de 7 juges il en faudrait 15 en cassation,
parce qu’alors il y aura huit pour majorité. Je ne pense pas qu’on veuille mettre
15 conseillers dans chaque section de la cour de cassation. En France il n’y a
que 11 conseillers à la section civile.
On a dit que l’on
trouverait plus de lumières dans 7 juges que dans 5, cela est possible ; mais
il peut arriver aussi qu’il y ait plus de lumières dans 5 conseillers que dans
7. Le choix entre ces chiffres tient à une sorte d’arbitraire.
Il me paraît que 5
conseillers bien instruits suffisent pour rendre un bon arrêt.
Le nombre de 5
sera un moyen de faire des économies et de donner des appointements plus élevés
à des hommes plus éclairés.
M. Devaux. - Une foule de raisons s’opposent à l’adoption de
l’article de la section centrale.
On a invoqué des
motifs d’économie ; c’est un argument puissant ; mais ce n’est pas seulement de
la question d’argent que nous devons nous occuper ; nous devons aussi prendre
en considération la question d’économie, d’hommes de mérite et de capacité, si
je puis m exprimer ainsi.
Pour trois cours
d’appel, de chacune 25 membres il vous faut 75 conseillers ; pour la cour de
cassation vous aurez également besoin de 25 conseillers, total cent ; non
compris les parquets, et le barreau de chacune de ces cours. Que vous
restera-t-il d’hommes de mérite pour les tribunaux de première instance ? Les
promotions qui vont avoir lieu les dépouilleront encore des capacités qu’ils
possèdent.
La grande plaie de
l’ordre judiciaire, c’est le grand nombre de juges qu’il exige ; c’est qu’il
lui faut plus de capacités qu’il ne s’en produit ; cela est vrai en Belgique,
cela est vrai en France, cela est vrai par tout le monde.
Si je ne craignais
de passer pour paradoxal, j’irais plus loin que M. Van Meenen ; mais je suis
convaincu qu’il faut plutôt considérer la qualité que la quantité.
D’après le
principe de M. Van Meenen, il faudrait 21 conseillers à la cour de cassation.
Ce principe exige que la majorité du tribunal qui infirme surpasse le nombre
des juges qui ont rendu la décision annulée. Eh bien, en première instance le
jugement a pu être rendu à l’unanimité des 3 juges ; en appel le jugement a pu
être confirmé par l’unanimité des conseillers ; total 10 juges ; donc il faut
en effet 21 conseillers à la cour de cassation, dont la majorité 11 pourra
casser le jugement.
On a cherché à
soumettre à des calculs les chances de vérité que pouvaient présenter les
jugements des tribunaux ; mais à cet égard, les mathématiciens sont depuis
longtemps en discordance avec les jurisconsultes.
Quand un tribunal est composé de 3 juges, la décision est prononcée à la
majorité de 2 contre 1, par conséquent, la garantie ou la probabilité que cette
décision approche de la vérité est double des chances de l’erreur.
Pour 5 conseillers
la majorité est de 3, la minorité 2 ; la probabilité ou la certitude de
l’exactitude de l’arrêt diminue ; 3 n’est pas double de 2.
Je n’admets pas
ces calculs, parce que les probabilités morales sont soumises à d’autres lois
que les probabilités physiques, sont moins certaines.
Je voudrais que
les cours d’appel pussent juger à 5 conseillers ; et si quelques conseillers
restaient, je voudrais qu’elles pussent juger à 7 membres.
M. Destouvelles. - Je me rallie à l’opinion de M. Van Meenen ; ce
qu’il vous a dit est de la plus exacte vérité et est confirmé par l’expérience.
Quant à la cour de
cassation, les conséquences que l’on a voulu tirer du nombre des juges de
première instance et d’appel sont erronées, car la cour de cassation ne juge
pas le fait, ne juge pas le fond. Elle est un tribunal spécial dont les attributions
n’ont aucune connexité avec celles des autres tribunaux ; elle juge dans
l’intérêt de la loi ; quand elle casse, elle renvoie devant une autre cour.
Mais les raisonnements que l’on a fait s’évanouissent et il n’est pas
nécessaire que les membres de cette cour soient en proportion du nombre des
membres des autres tribunaux.
M. Van Meenen. - On combat mon principe, non en lui-même, mais en
tirant des conséquences. La cour de cassation, comme on vient de le dire, ne
juge ni du fait, ni du droit ; elle ne juge que de la conformité de l’arrêt
avec la loi. Lorsqu’elle a trouvé que l’arrêt n’est pas conforme, elle renvoie,
et pour la forme et pour le fonds, à une autre cour, laquelle juge les deux
chambres réunies, du moins, d’après le projet en discussion.
Mon principe est
resté jusqu’ici inattaquable.
Les motifs
d’économie sont infiniment respectables ; mais il faut considérer la justice
comme étant la première dette des gouvernements aux peuples, et nous ne devons
pas trop nous enquérir combien elle coûtera ; c’est au budget que nous nous
occuperons de cette question.
On
a parlé des capacités… Jusqu’ici on ne s’est pas aperçu du manque de capacités.
Quant à moi, je dirai : ne restreignez pas les moyens d’employer les capacités,
car c’est le seul moyen de les créer.
La vérité c’est
l’unanimité ; eh bien ! ne prenez qu’un seul juge en première instance pour
avoir la plus grande probabilité. Il vous suffira ensuite de trois conseillers
en appel, et vous réglerez votre échelle judiciaire d’après ce nombre.
Voulez-vous, en
effet, n’admettre qu’un seul juge en première instance ?
M. H. de Brouckere. - Messieurs, la décision de la question qui nous
occupe ne doit être soumise à l’influence d’aucun calcul. Ceux que nous a
présentés M. Van Meenen ont été déjà réfutés ; ceux de M. Devaux ne me semblent
pas plus justes ; les mathématiciens dont il nous a parlé n’ont jamais basé
leurs calculs que sur une seule supposition, savoir que le jugement aurait été
rendu à la simple majorité ; on sent que les résultats seraient tout à
fait différents si on prenait une autre base. Il me semble, moi, que la
question se réduit à savoir ce qui présente le plus de garantie aux plaideurs,
d’un arrêt rendu par sept juges ou d’un arrêt rendu par cinq seulement. Je
trouve beaucoup plus de garantie dans le nombre de sept juges et les raisons
données tout à l’heure par M. le ministre de la justice n’ont exercé aucune
influence sur moi. Je sais bien comme lui que cinq bons juges valent mieux que
sept mauvais ; mais ce n’est pas là la question, elle gît
tout entière dans celle-ci : vaut-il mieux être jugé par sept juges que par
cinq ? Pour moi l’affirmative n’est pas douteuse, et je ne conçois pas comment
elle le serait pour quelqu’un. On objecte la difficulté de trouver de bons
juges. Je crois qu’il sera tout aussi facile d’en trouver sept que cinq, et
c’est pourquoi je voterai pour que l’article soit maintenu. L’expérience est
pour tous, messieurs, dans cette question. Autrefois les cours pouvaient juger
au nombre de cinq conseillers, et bien, à l’exception des cas rares où il était
impossible d’en réunir sept, elles ne siégeaient jamais en nombre inférieur.
Mais, dit-on, ce n’est pas la quantité de juges qu’il faut désirer, c’est la
qualité. Moi, je dis que c’est l’une et l’autre. Jusqu’ici on a toujours pensé
que le tribunal supérieur devait être composé d’un plus grand nombre de juges
que celui dont il est destiné à réformer les arrêts, c’est mon opinion,
j’appuie donc l’article 40.
M. Fleussu. - Je remarque que dans nos discussions, tantôt on
invoque l’expérience, tantôt on n’en tient aucun compte. S’agit-il de la
chambre des requêtes ? On invoque l’expérience. S’agit-il de fixer le nombre
des juges appelés à rendre un arrêt ? On n’en tient aucun compte. Depuis
longtemps en France les cours siègent au nombre de sept juges, et il ne paraît
pas qu’on soit près de se départir de cet usage. Il en a été toujours de même
chez nous. Si quelquefois à Liége on a jugé en nombre inférieur, le préopinant
qui siège au-dessus de moi vous en a expliqué le motif. Ces cas, du reste, ont
été très rares, et je demanderai à M. le ministre de la justice qui a assez
longtemps suivi les audiences de la cour, combien de fois il lui est arrivé de
plaider devant cinq juges. Je maintiens pour ma part que ce n’a pu être que
fort rarement, et qu’en réalité la cour n’a siégé au nombre de cinq juges que
quand il y a eu absolue impossibilité d’en trouver sept.
Remarquez-le bien,
messieurs, quand il s’agit des tribunaux de première instance, vous pouvez
réduire le nombre des juges à trois, parce que là, il ne s’agit de prononcer en
dernier ressort que pour une valeur de 1,000 francs et au-dessous. Les cours
d’appel, au contraire, prononcent sur tout votre avoir, sur votre fortune
entière, et elles prononcent en dernier ressort et définitivement sans pourvoi
ni recours si elles décident la question en fait, parce que comme vous le
savez, la cour de cassation ne juge que du point de droit. Les cours jugent de
toute votre fortune, tout ce que vous possédez au monde peut être l’objet de
leurs décisions : est-ce trop pour en confier le dépôt que de demander le
concours de sept personnes ? Messieurs, la justice est une dette que vous devez
payer à tous les citoyens, et il est assez singulier que dans une question de
cette nature on vienne mettre en avant des raisons d’économie. L’économie !
Quand vos intérêts les plus chers, les plus précieux sont confiés à la justice
! Mais, il n’y en aura pas d’économie. En effet, le traitement des conseillers
est de 5,000 francs, et il n’est pas probable que vous en éleviez le chiffre.
Si vous l’élevez, ce ne sera dans tous les cas que de très peu de chose, et
l’économie devient insignifiante. Et si vous l’élevez, la diminution du
personnel ne changera rien à la dépense. Il n’y a donc pas de raison pour
réduire le personnel des cours ; ne savez-vous pas d’ailleurs que les grands
corps s’observent mieux, que l’influence de quelques hommes distingués s’y fait
moins sentir ? Dans un petit tribunal, un homme ou deux plus éclairés ou
prétendus tels, peuvent y exercer une grande influence. C’est à tel point que
quand on plaide devant un tribunal de première instance, on sait sur qui l’on
doit influer si l’on veut gagner son procès, les avocats n’y manquent pas.
Enfin, messieurs, on sait que peu corrompt peu.
On
a répondu à M. Van Meenen que d’après son système, il fallait que la cour de
cassation jugeât au nombre de 21 conseillers. C’est une erreur, parce que s’il
est essentiel que la cour d’appel juge en nombre supérieur, il n’en est pas de
même de la cour de cassation qui, comme on vous l’a dit assez souvent depuis
trois jours, ne juge pas le procès, mais le jugement lui-même. J’appuierai le
maintien de l’article.
M. Gendebien. - J’aurai peu de chose à dire après tout ce que vous
ont dit les honorables préopinants. J’aurais proposé, mais je n’ai pas osé
faire cette proposition de faire rendre les jugements de première instance par un
seul juge. Je n’ai pas osé parce que je pense que nous ne sommes pas encore
arrivés à ce temps où l’on pourra comprendre l’utilité d’une semblable
réduction. Elle est cependant assez facile à comprendre. Quand un juge de
première instance sera chargé de prononcer seul, sa responsabilité sera si
grande qu’il y regardera à plus d’une fois avant de juger et qu’il passera plus
d’une nuit à méditer son jugement. De la manière dont se font maintenant les
choses en première instance, c’est presque toujours le président qui fait le
jugement ; les autres juges s’en reposent sur lui, en sorte que vous avez des
décisions rendues avec un peu plus de précipitation et avec beaucoup moins de
garanties. Si on adoptait un seul juge en première instance on sent qu’il faudrait
réduire le nombre des juges de l’appel, et je crois que les justiciables au
lieu d’y perdre y gagneraient beaucoup. Mais je ne veux pas entrer maintenant
dans cette discussion, je ferai seulement une question à la chambre. Comment
entend-elle que les juges soient rétribués ? Si elle veut qu’ils le soient
bien, je ne m’opposerai pas à ce qu’on admette sept juges. Ainsi, pour moi,
toute la question est de savoir comment vous les payerez ; si vous les payez
bien, je le répète, je consentirai volontiers à admettre le nombre de sept
juges. Dans le cas contraire,je vous engagerais à réduire le nombre à cinq et à
les payer mieux. Mais si vous admettez le nombre de sept, qu’arrivera-t-il ?
Quand vous discuterez le budget, c’est que vous aurez posé le chiffre sept, et
que vous devrez adopter les conséquences de cette prémisse, c’est-à-dire voter
des sommes suffisantes pour rétribuer ce nombre de juges car il faudra toujours
en venir là si vous voulez avoir de bons magistrats.
Faites-y
attention messieurs, l’étude du droit est une étude pénible, longue, aride, et
à laquelle ne se livrent que les hommes qui y sont forcés par leur position. Ce
sont d’ordinaire des hommes peu fortunés qui s’adonnent à cette étude rebutante
; si après de longs travaux, vous ne leur présentez qu’une misérable
perspective, vous fermez l’accès de la magistrature aux hommes de mérite. Que
voulez-vous par exemple que fasse un conseiller à Bruxelles, avec un traitement
de 5,000 fr., s’il est marié, (si vous voulez les condamnez au célibat, c’est
différent), que voulez-vous, dis-je, qu’il fasse avec 5,000 fr. s’il est marié,
et s’il est père de famille ? Lésiner
sur les sommes destinées à l’administration de la justice, réduire le nombre
des magistrats et payez-les un peu mieux ; sans cela vous n’aurez que des
hommes peu capables, car vous n’aurez pas d’avocat un peu occupé qui veuille
accepter une place de conseillers et si vous en trouvez qui l’acceptent,
payez-les au moins de manière à ce qu’ils ne regrettent pas leur profession
d’avocat.
M. Lebeau. - Je suis entièrement de l’avis du préopinant. Je
crois qu’en fait de magistrature, comme en fait d’administration, ce n’est pas
la quantité qu’il fait considérer, mais la qualité ; il faut aussi la bien
payer, et la bien payer non seulement en argent, mais encore en honneurs et en
considération, parce qu’il est des professions qui aussi bien que les fonctions
publiques, vous donnent, et de l’argent et de la considération. Il y a
concurrence sous ce rapport entre les fonctions publiques de la magistrature et
d’autres professions tout aussi indépendantes, et je trouve même que jusqu’ici
l’opinion publique a fort inégalement réparti la considération à laquelle les
fonctions publiques ont droit comme les professions indépendantes. Il y a un
double attrait, par exemple, pour le barreau ; l’indépendance la plus absolue
de position et des avantages pécuniaires très élevés ; et cependant le barreau
est la pépinière de la magistrature. Si celle-ci n’est pas convenablement rétribuée,
quel avocat distingué voudra s’y vouer ? Il y a donc de bonnes raisons pour
préférer la qualité à la quantité, et si vous vous décidez pour la première,
soyez sûrs que votre décision sera ratifiée par l’opinion publique.
Ce que vous a dit
M. Gendebien de l’absence de responsabilité qui résulte de la composition trop
nombreuse d’un corps, et de l’avantage attaché, sous ce rapport, à un juge unique, n’est pas une utopie. En
Angleterre, on en a fait l’expérience. Là, la première cour du royaume ne se
compose que d’un seul juge, le chancelier, et la responsabilité a si bien le
résultat signalé par l’honorable membre, que des hommes dont les antécédents
laissaient parfois à désirer, ont dans cette position élevée, qui le mettait en
face du public, montré la plus noble et la plus invariable intégrité. Il n’y a
guère d’exemple qu’un chancelier ait jamais déshonoré le siège où il s’était
assis.
La question
d’argent n’est pas ici à dédaigner, car si vous décidez qu’il y aura sept juges
en appel, ce nombre influera nécessairement sur celui des juges de cassation,
vous devriez augmenter le corps judiciaire ; et 25 magistrats de plus font un
excédent de dépense de 150 mille francs.
Il faut, d’un
autre côté, améliorer la condition des conseillers, ou vous n’aurez à l’avenir
que des hommes médiocres pour occuper vos sièges, et vous n’y attirerez jamais
les avocats de quelque mérite. Si vous n’améliorez pas la position des
conseillers, tout le monde est, du moins, d’accord qu’il faut améliorer celle
des tribunaux de première instance. Il est impossible de souffrir plus
longtemps qu’un juge soit plus mal payé qu’un commis d’accise (c’est vrai !) ; que voulez-vous que
fasse un père de famille avec un traitement de 1,700 fr. (Car, messieurs, il y
a des juges de première instance qui n’ont pas davantage), s’il n’a pas déjà
une fortune à lui ? Reversez le superflu que vous destiniez à un personnel
inutile dans les cours supérieures, sur les tribunaux inférieurs, et vous aurez
changé la position, que vous-même avez plus d’une fois déplorée, des juges de
première instance.
On vous a dit que
les cours étaient souveraines pour décider irrévocablement de la fortune des
citoyens, quand elles jugeaient en fait, la cour de cassation ne pouvant
s’occuper de la réformation de leur arrêt que sous le rapport du droit. Mais
des questions de fait sont des questions de pur bon sens ; elles sont presque
toujours faciles à décider. C’est à tel point que la loi a investi les jurés du
droit de les juger et de les juger, non seulement en matière de répression,
mais encore dans des questions purement civiles.
C’est ainsi que
cela se pratique en Angleterre pour certains cas, et aux Etats-Unis pour
presque tous. Les questions purement de fait, n’exigent ni ces grandes
lumières, ni ce grand nombre de juges, dont nous a parlé M. Leclercq, puisque
la loi en a remis la décision au jury, même dans les cas où il ne s’agit de
rien moins que de l’honneur et de la vie des citoyens.
Vous remarquerez d’ailleurs,
que les juges d’appel sont moins susceptibles de se tromper que les juges de
première instance ; en première instance l’instruction est moins
complète ; les juges d’appel, indépendamment des lumières qu’ils peuvent
tirer du jugement, l’entendent discuter par des avocats plus éclairés ; ajoutez
deux juges de plus et voyez si ce ne sont pas là des garanties assez grandes.
L’honorable M.
Fleussu a parlé de certaines influences, sur lesquelles il fallait agir ; si je
ne me trompe, M. Fleussu a voulu dire qu’il y avait dans chaque chambre d’une
cour, quelques hommes sur l’opinion desquels se forme celle des autres, et qui
leur servent de fanal. Cela veut dire qu’un juge dirige la conviction de ses
collègues : et qu’il suffit de frapper fort sur certaines convictions pour que
les autres en reçoivent le contrecoup ; que c’est précisément ce que je ne veux
pas ; c’est pour cela qu’au lieu de voir les hommes de mérite clairsemés dans
le personnel nombreux de nos cours, je veux qu’on en réduise le nombre, et
qu’il n’y ait autant que possible dans chacune d’elles que des hommes de
mérite.
Voilà
par quelle considération je demande qu’on réduise de 7 à 5 le nombre des juges,
parce que je le répète, la quantité est de beaucoup en cette matière préférable
à la quantité C’est d’après ce principe que je voterai toujours dans des
questions de cette nature.
M. Leclercq. - Je me bornerai à une seule observation qui n’a pas
encore été faite. Mais je dirai d’abord, pour répondre à l’honorable
préopinant, que les questions de fait ne sont pas toujours des questions de
simple bon sens ; il y a souvent, au contraire, des questions de fait qui se
mêlent aux questions de droit, et qui deviennent ainsi très ardues, et très
difficiles à décider. J’en viens à mon observation. Elle se réduit à une
question de chiffres, et un chiffre suffit souvent pour répondre aux meilleurs
arguments. Nous ne trouverons pas, nous dit-on, assez de capacités, si vous
fixez à 7 le nombre des conseillers. Mais de cinq à sept, quelle est la
différence ? Pour toutes les cours du royaume, ce sera une différence de 16
juges, quatre pour chacune des trois cours, et quatre pour la cour de
cassation. Voilà 16 capacités qu’il vous faudra de plus que si vous adoptiez le
nombre de cinq. Je vous le demande, sera-t-il difficile, en Belgique où l’on
s’adonne si fort à l’étude du droit, de trouver ces seize capacités ? Mais
l’économie, dit le préopinant, s’élèvera à 150 mille francs. 150 mille francs,
soit. Mais qu’est-ce qu’une pareille économie, quand il s’agit de la bonne
administration de la justice, et sur un budget de 40 millions ?
Mais, dit-on, la
responsabilité diminue, dispersée qu’elle est sur un plus grand nombre de
juges. Cela serait vrai dans un grand corps, mais ici le nombre n’est pas assez
considérable pour redouter un semblable inconvénient ; d’ailleurs, messieurs,
si l’on pouvait supposer que des juges se respectassent assez peu, et
méconnussent à ce point l’importance de leurs fonctions et la sainteté de leurs
devoirs, que de consulter autre chose que leur opinion consciencieuse, dans les
décisions qu’ils sont appelés à rendre, croyez-vous qu’ils se retiendraient
mieux avec deux juges de moins ? Je
terminerai, messieurs, en invoquant à l’appui de mon opinion, l’expérience.
Toujours les cours de Liége et de Bruxelles ont siégé au nombre de sept juges ;
voici ce qu’on lit à ce sujet dans les observations de la cour de Bruxelles :
« Beaucoup de
jurisconsultes sont d’opinion de rétablir la règle antérieure au régime hollandais,
et suivi en Prusse en Hollande etc., de juger en appel au nombre de sept au
cinq, nombre qui n’avait été restreint à cinq que provisoirement à et à cause
du surcroît d’occupation occasionné par le service de la cour de cassation.
« Il est peu
de magistrats ayant siégé quelque temps dans une cour d’appel, qui ne partagent
cette opinion. M. Kockaert, jurisconsulte profond et éclairé, était de cet
avis. A peine nommé premier président, il avait voulu que les chambres
siégeassent autant que possible au nombre de sept. »
Les barreaux de
Liége et de Bruxelles sont de cet avis, et je vous rappellerai ce que vous a
dit à cet égard l’honorable M. Fleussu, qu’à Liége la cour n’a siégé au nombre
de cinq conseillers que quand il était impossible d’en réunir sept.
(Note du webmaster : la fin de la séance n’est pas disponible
dans les sources à notre disposition.)