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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 mai 1832
Sommaire
1) Pièce adressée à la chambre
2) Lecture et discussion du projet d’adresse
relatif à la situation diplomatique générale, aux ratifications au traité des
24 articles et à l’enlèvement du gouverneur du Luxembourg (Thorn) (Leclercq, Pirson, Gendebien, Milcamps, Ch. de Brouckere, Leclercq, Ch. de Brouckere, Gendebien,
Nothomb, A. Rodenbach, Ch. de Brouckere, Leclercq, Rogier, Lebeau, Gendebien,
Rogier, Dumortier, de Haerne, Leclercq, Pirmez, Ch. de Brouckere, Milcamps, de Muelenaere, Gendebien, Leclercq, Ch. de Brouckere, Lebeau, Leclercq, de Theux, Gendebien, F. de Mérode, H. de Brouckere, F. de Mérode,
Legrelle, Dumortier, Ch. Vilain XIIII, Legrelle, Lebeau, Gendebien, Legrelle, Milcamps, Leclercq, Dumortier, Legrelle, Poschet, H. de Brouckere, d’Huart, Gendebien, Dumortier, Milcamps, Legrelle, Gendebien, H. de Brouckere)
(Moniteur belge n°137, du 16 mai 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est
ouverte à 1 heure.
Une foule
considérable de spectateurs se presse dans les tribunes.
Après l’appel
nominal, M.
Dellafaille donne lecture du procès-verbal, qui est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Jacques analyse ensuite quelques pétitions, qui sont
renvoyées à la commission.
- Il est donné
lecture d’une lettre de M. Davignon, qui s’excuse de ne pouvoir se rendre à son
poste.
PROJET D’ADRESSE RELATIF A LA SITUATION
DIPLOMATIQUE GENERALE, AUX RATIFICATIONS AU TRAITE DES 24 ARTICLES ET A
L’ENLEVEMENT DU GOUVERNEUR DU LUXEMBOURG
M. Destouvelles. - La parole est à M. Leclercq, rapporteur de la commission chargée de
rédiger un projet d’adresse à S. M. (Marques
d’attention.)
M. Leclercq. - Messieurs, je dois d’abord, au nom de la
commission, vous exprimer le regret de ce que nous n’avons pu achever le projet
d’adresse dans la journée d’hier et le livrer à l’impression pour être
distribué aujourd’hui avant la séance. Nous venons seulement de le finir. Je
vais en donner lecture à la chambre, et, si elle le désire, elle pourra en
ordonner l’impression.
M. le rapporteur
lit, au milieu d’un profond silence, le projet d’adresse ainsi conçu :
« Sire
« La chambre
des représentants croit ne pouvoir s'abstenir de répondre par une manifestation
éclatante de ses sentiments aux communications qui lui ont été faites de la
part de Votre Majesté sur l'état de nos relations extérieures.
« L'union des
peuples et de leurs gouvernements fut toujours la force des uns et des autres.
Cette union ne manquera pas à la Belgique dans la position où l'ont placée la
marche des événements et les négociations avec la conférence de Londres.
« Une loi a
autorisé le gouvernement à souscrire au traité du 15 novembre 1831 ; les
sacrifices cruels auxquels ce traité soumettait les Belges n'ont été acceptés
par eux que dans la prévision des calamités qui menaçaient l'avenir de l'Europe
; la paix générale était d'une valeur inestimable. Les cinq puissances
signataires du traité avaient unanimement déclaré dans les notes adressées au
plénipotentiaire de Votre Majesté que cette paix était attachée à ce traité,
que rien ne pouvait y être changé sans qu'elle fût à l'instant compromise. La
nation belge en reprenant son rang dans la grande famille des peuples n'a pas
voulu que ce fût à ce prix ; elle s'est résignée, et la paix n'a plus été
troublée.
« Après avoir
rendu cet éminent service aux nations, après avoir fait pour elles cette
entière abnégation de ses plus chères affections et de ses plus pressants
intérêts, après avoir reçu des ministres des cinq puissances la déclaration
solennelle que le traité était final et irrévocable, que ni la lettre ni
l'esprit ne pouvaient subir la moindre altération et que leurs gouvernements se
chargeraient d'amener la Hollande à y accéder, la nation devait espérer qu'elle
pouvait enfin se remettre des secousses d'une révolution, et ne plus penser
désormais qu'à travailler à l'affermissement d'institutions qui, toutes
nouvelles qu'elles sont, ont déjà poussé d'assez fortes racines pour que depuis
une année elle offre à l'Europe, comme un nouveau gage de tranquillité, le
spectacle inouï d'un peuple qui, au sortir d'un bouleversement politique
complet, vit dans la paix la plus profonde, soumis aux lois, docile à la voix
de ses magistrats, et ne ressentant d'autre agitation que celle que la vue des
armes et l'idée de son indépendance menacée peuvent lui faire éprouver.
« Cette
espérance ne peut être déçue ; des réserves ont été jointes aux ratifications
du traité du 15 novembre 1831, par quelques-unes des puissances signataires ;
mais elles n'ont pas désavoué leurs plénipotentiaires, elles n'ont point
allégué qu'ils eussent excédé leurs pouvoirs ; ces pouvoirs d'ailleurs avaient
été vérifiés et trouvés en bonne et due forme : nous aimons en conséquence à
penser que ces réserves ne peuvent porter aucune atteinte au traité ;
qu'aujourd'hui il est notre droit, que dans ce sens les ratifications doivent
être pures et simples, qu'il sera exécuté d’abord par l’évacuation du
territoire belge. Ce n'est qu'après cette exécution qu'il pourrait être
question d'ouvrir les négociations dont parlent les réserves, que ces
négociations doivent dépendre du libre consentement des peuples belge et
hollandais, et laisser subsister le traité, s'ils ne parviennent pas à
s'entendre.
« Le
gouvernement, comme le pays, n'a pu le comprendre autrement ; toute
interprétation différente serait contraire à la loi, qui seule a pu autoriser
la signature du traité du 18 novembre, et qui ne l'a autorisé que dans les
termes mêmes du traité ; la nation, d'ailleurs, a pu faire des sacrifices, mais
la somme en est épuisée. Une nation ne peut être offerte en holocauste aux
autres nations ; et si de nouveaux sacrifices pouvaient encore être demandés,
il n'y aurait plus rien de sacré dans les conventions humaines. La Belgique ne
pourrait même plus compter sur l'issue de négociations ainsi terminées pour
être recommencer ensuite sans qu'il fût possible à personne de leur assigner un
terme.
« Sire, ce
langage serait inutile pour Votre Majesté, elle connaît trop bien ses devoirs ;
mais la Chambre des représentants a cru nécessaire de protester de l'union
intime de vues et de sentiments qui lie le peuple belge au Roi qu'il s'est
choisi ; elle a cru qu'elle devait cette manifestation à l'Europe, dans un
moment où peut-être des ennemis de la paix des nations voudraient pour
accomplir leurs desseins, s'emparer des réserves jointes aux ratifications du
traité.
« Elle a foi
aux engagements contractés. Le traité sera exécuté, notre territoire sera
évacué. Mais si notre confiance pouvait être trompée, si la Hollande persistait
à repousser les arrangements qui lui ont été proposés, si elle continuait des
actes d'hostilité, des violations de territoire, si surtout elle refusait de
réparer sans délai l'attentat commis sur un de nos concitoyens, sur un membre
de la représentation nationale, si, ce qu'à Dieu ne plaise, des événements
venaient troubler l'Europe et rendre vains tant de sacrifices faits à la paix,
alors, Sire, nous nous souviendrons qu'aucune charge, aucun effort ne doivent
coûter à un peuple quand il s'agit de sa vie et de son honneur.
« Heureuse
d'être l'organe du vœu national, certaine de parler à un Roi qui, en
s’associant à nos destinées, a fait de l'honneur belge son honneur propre, la
chambre des représentants manquerait à ses devoirs si elle n'élevait
aujourd'hui la voix pour assurer
Votre Majesté du dévouement d'un peuple qui attend de la fermeté autant que de
la prudence de son gouvernement, la fin d'un état d'incertitude qui ne s'est
déjà que trop prolongé.
M. le président. - Désire-t-on l’impression ?
M. Pirson. - J’ai déposé une propositon, M. le président.
M. le président. - Il a été déposé par M. Pirson une proposition ainsi conçue : « Je
demande que l’on discute immédiatement l’adresse. »
M. Pirson. - Je désire la développer. (Parlez ! parlez !)
Quelques voix. - Est-elle appuyée ?
D’autres voix. - C’est une motion d’ordre.
M. Gendebien. - Une motion d’ordre n’a pas besoin d’être appuyée.
M. Pirson. Messieurs, je n’assistais point à votre séance
mémorable d’avant-hier. Le résultat a été en tout conforme à mes vœux, et moi
aussi je nourrissais depuis plus d’un mois le projet d’une adresse au Roi, à
l’occasion des délais qu’éprouvaient les ratifications toujours promises et
toujours ajournées, mais je craignais que ma proposition ne fût ajournée, et
alors il me serait peut-être resté le mérite personnel d’un acte patriotique ;
mais j’aurais compromis jusqu’à un certain point l’honneur national, si cet
acte n’avait pas été apprécié à l’instant même par la majorité de cette
chambre. J’avais sondé l’opinion de plusieurs de mes collègues, entre autres de
MM. de Mérode et Osy.
Il y avait alors
parmi nous un trop grand nombre d’hommes qui n’avaient pas encore perdu toute
confiance dans la diplomatie. Selon quelques-uns, nous faisions par soubresauts
des pas immenses. Oui ; mais nous voilà tout à coup repoussés au point de
départ, et, si nous ne tombons point net, nous chancelons. Il n’y a pas un
instant à perdre ; reprenons notre aplomb, faisons tête à l’orage. Tout espoir
n’est pas perdu si nous protestons de l’incertitude qui règne autour de nous ;
mais il faut de la vivacité dans nos mouvements encore plus que de l’énergie.
Croyez-moi, on ne s’attend ni à l’une ni à l’autre. Le destin a peut-être jeté
les yeux sur nous pour sauver la liberté européenne. Si Léopold comprend sa
mission, si tous les vrais Belges font leur devoir avec lui, la nationalité est
non seulement assurée, mais des événements incalculables peuvent surgir de
notre audace. Léopold, s’il le veut, peut fonder la monarchie
constitutionnelle, qui n’est encore assise nulle part, et sauver de l’anarchie
des populations nombreuses. Un premier succès amènera dans nos rangs les hommes
libres de tous les pays environnants, et bientôt l’absolutisme et
l’aristocratie se repentiront de s’être joués d’eux.
Ce n’est ni
Londres, ni Paris, ni Pétersbourg qu’il faut consulter ; c’est notre volonté et
nos moyens : si nous n’avons pas confiance en eux, je dirai avec MM. de Mérode
et Leclercq : « Arborons un autre drapeau ! » Mais que dis-je ? il en
est un qui faisait l’espoir des hommes libres, et nous voyons ceux qui étaient
chargés de le faire respecter et aimer, l’arborer et le retirer tour à tour
avec ignominie. Conservons donc le nôtre, défendons-le, arborons le sur le
champ de la victoire, et, si nous étions vaincus, enveloppons nous avec lui
dans la tombe.
On dira peut être
qu’un vieillard de 68 ans qui ne sera pas appelé sous les armes parle de guerre
bien à son aise ; mais il a deux fils à l’armée ; il sait que son langage est
conforme à leurs vœux, il est certain qu’ils feront leur devoir. S’il en
doutait, s’il pouvait croire qu’ils reculassent devant l’ennemi, il serait en
serre-file derrière eux et les repousserait sur le champ de bataille.
Je propose que
l’on procède de suite à la discussion de l’adresse, et qu’elle soit portée au
Roi dans le plus court délai possible. (Appuyé
! appuyé !)
- La chambre,
consultée sur la motion d’ordre de M. Pirson, décide que la discussion aura
lieu immédiatement.
M. le président. - Il va être donné une deuxième lecture de
l’adresse.
M. Jacques commence à faire cette lecture…
Plusieurs voix. - M. Leclercq ! M. Leclercq !
M. Leclercq
remonte à la tribune et donne une deuxième lecture du projet d’adresse.
M. Milcamps demande le retranchement de la phrase où il est dit
que les puissances n’ont pas désavoué leurs plénipotentiaires.
M. Ch. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je
viens faire la proposition que la discussion roule d’abord sur l’ensemble de
l’adresse, c’est-à-dire sur l’esprit général qui l’a dicté, et non pas sur tel
ou tel paragraphe qu’on propose de changer ; car autrement il n’y aurait pas
d’ordre. Si chacun imitait l’honorable membre qui vient de parler, et qu’on
vînt demander le retranchement d’un mot qui aurait choqué, on ne s’entendrait
sur rien. Je demande donc que la discussion s’établisse d’abord sur l’esprit de
l’adresse, et qu’ensuite on discute paragraphe par paragraphe. (Appuyé !)
M. Milcamps. - J’entre parfaitement dans l’opinion de M. de
Brouckere.
M. Leclercq. - Je conçois une discussion sur l’ensemble de l’adresse
; je conçois aussi qu’on discute sur les amendements et corrections que l’on
proposerait sur différentes parties de cette adresse ; mais il est impossible
de discuter paragraphe par paragraphe. On peut bien le faire quand il s’agit
d’un projet ou d’une réponse au discours du trône, parce qu’un projet de loi
est divisé en articles et qu’une réponse au discours du trône forme une série
de paragraphes distincts ; mais dans une adresse de ce genre toutes les phrases
s’enchaînent et se lient entre elles. La dernière se rapporte à celle qui
précède, de sorte qu’il est impossible de les discuter séparément ; je ne puis
donc concevoir qu’une discussion sur l’ensemble et ensuite sur les corrections
proposées.
M. Ch. de Brouckere. - J’admets ce qu’a dit M. Leclercq, mais je crois
qu’il est d’accord avec l’auteur de la motion d’ordre, c’est-à-dire que l’on
discute d’abord sur l’ensemble ; ensuite on lira successivement chaque
paragraphe, auquel on pourra, si on le désire, appliquer des amendements ou des
corrections.
M. Leclercq. - Je supposais que chaque paragraphe devait être
suivi d’un vote.
M. Ch. de Brouckere. - Il est bien certain que quand il n’y aura pas d’amendement
proposé, le paragraphe sera regardé comme adopté. Mais il faut bien lire
paragraphe par paragraphe, pour que nous puissions proposer des corrections ou
des changements. Sans cela les amendements seraient impossibles
M. Gendebien. - Il est inutile de prolonger cette discussion,
puisque l’on est d’accord.
M. le président. - La discussion sur l’ensemble du projet d’adresse est ouverte. La
parole est à M. Nothomb.
M. Nothomb.
- Messieurs, j’ai souvent pris la parole dans les discussions relatives à notre
politique extérieures ; il n’est rien dans mes actes, dans mes discours que je
me sente dans la nécessité de désavouer, et, si je viens appuyer l’adresse, je
dois déclarer dans quel sens. Nous étions en droit d’exiger des ratifications
pures et simples ; je n’aurais accepté de ratifications ni conditionnelles, ni
partielles. Si une faute a été commise, il ne faut en accuser ni le système ni
les hommes qui dans cette enceinte ont soutenu le système. Je dois attendre que
les événements aient reçu tous leurs développements ; il se peut que la faute,
loin d’être atténuée par les changements ministériels survenus en Angleterre,
puise dans cet événement même un plus haut degré de gravité, Les engagements
étaient intacts, il fallait les maintenir dans leur plénitude précisément dans
la crainte, dans la prévision de l’avènement d’un ministère moins favorable à
la cause belge ; ce ministère sera plus qu’un autre disposé à se prévaloir des
avantages dont nous avons pu nous dessaisir. Je m’arrête ici, il y aurait
peut-être imprudence à en dire davantage. Je ne veux rien exagérer ; je ne me
dissimule aucune des conséquences favorables ou défavorables ; de grandes
questions sont décidées et restent décidées. Au fond de l’affaire belge, il y
avait un double intérêt : l’intérêt européen et l’intérêt hollandais. L’intérêt
européen tenait au principe de l’équilibre politique, de la destruction du
royaume des Pays- Bas, de la déchéance des Nassau, de la reconnaissance de
notre indépendance et de notre royauté : deux produits révolutionnaires. Dans
tous ses points, la question belge est résolue pour toutes les puissances. La
question belge embrassait l’Europe ; d’immense qu’elle était, elle perd de ses
proportions, elle se rapetisse, elle se restreint entre nous et la Hollande ;
il n’y a plus contestation que sur des points secondaires pour l’Europe. Voilà
ce qu’on peut dire sur les conséquences des cinq ratifications à l’égard de toutes
les puissances. Il en est deux d’entre elles qui, même sous tous les rapports,
restent irrévocablement liées ; les trois autres chercheront à nous entraîner
dans de nouvelles négociations, d’abord sur les articles réservés, puis sur
tous les points. Nous n’avons ici qu’un parti à prendre ; il se trouve indiqué
et dans le rapport du ministre les affaires étrangères et dans le projet
d’adresse. On ne peut rien faire sans notre concours, sans notre participation
; on veut négocier sur les trois articles réservés : nous nous refuserons à
toute négociation jusqu’à ce que le traité ait reçu son exécution dans toutes
les parties qui, n’étant pas l’objet des réserves, ne peuvent être sujettes à
des négociations.
Jusque-là il faut
nous abstenir, en restituant purement et simplement les propositions qu’on
pourrait nous adresser ; c’est ainsi que nous combattrons la tendance nouvelle
de la conférence ou de quelques puissances. Si nous dévions de cette ligne, si,
avant que le traité n’ai reçu un commencement d’exécution, nous avons le
malheur d’entrer dans de nouvelle négociations qui, une fois ouvertes,
s’étendront de jour en jour, voici probablement où nous arriverons. La question
belge a été résolue d’abord par les bases de séparation du 20 janvier acceptées
par le gouvernement hollandais, puis par les 18 articles du 26 juin acceptés
par nous, en troisième lieu par les 24 articles du 15
octobre également acceptés par nous. De compte fait, voilà trois arrangements ;
eh bien ! nous en aurons un quatrième, accepté peut-être par la Hollande, ce
qui nous amènera peut-être à une situation bizarre. D’une part se présentera la
Hollande avec les bases de séparation et le nouveau traité ; de l’autre, la
Belgique avec les préliminaires de paix et l’ancien traité. De cette position
même résultera la nécessité d’une nouvelle conciliation. Il faut donc nous
garder, avant d’avoir obtenu l’évacuation du sol, de rouvrir la discussion ; ce
préalable obtenu, nous pouvons la rouvrir sans danger. Le gouvernement dans son
rapport, et la commission dans son adresse, nous indiquent donc la seule marche
rationnelle, la seule marche où il puisse y avoir quelque salut pour le pays.
M. A. Rodenbach. - Je suis assez satisfait du projet d’adresse au Roi
; néanmoins, j’aurais désiré dans la rédaction encore plus d’énergie et un peu
moins de diplomatie. Quoi qu’il en soit, j’y remarque trois choses essentielles
: 1° cessation de toute négociation avec le Foreign-Office, jusqu’à l’exécution
du traité des 24 articles ; 2° puissant appui de la chambre et de la nation
dans toutes les mesures que le Roi jugerait à propos de prendre, et 3° de suite
la paix avec la Hollande ou une déclaration de guerre immédiate.
Je suis convaincu
que, si le gouvernement exécute ce projet d’adresse, la conférence et la
Hollande ne se moqueront plus journellement de notre mollesse et de notre
indécision, qui finiraient par être considérées par l’Europe comme de la
lâcheté. Enfin, nous ne serons plus condamnés à vider jusqu’à la lie la coupe
de la bassesse et de l’ignominie.
D’après ces divers
motifs, je voterai en faveur de l’adresse à S. M.
Discussion des paragraphes
Paragraphe 1 à 3
Les 3 premiers
paragraphes de l’adresse sont successivement lus par M. le président. Aucune
modification n’étant proposée, ils sont adoptés.
Paragraphe 4
On passe au
quatrième paragraphe commençant par ces mots : « Après avoir rendu cet
éminent service aux nations, » et finissant par ceux-ci : « Ne
ressentant plus d’autre agitation que celle que la vue des armes et l’idée de
son indépendance menacée peuvent lui faire éprouver. »
M. Ch. de Brouckere. - Il est dit dans ce paragraphe qu’après tous ses
sacrifices, la Belgique devait « espérer » qu’elle pourrait enfin se remettre
des secousses de la révolution, etc. Il me semble que ce mot
« espérer » est trop faible ; il faudrait employer un terme plus
énergique et dire,par exemple : « avait droit de compter ou droit de
s’attendre. »
M. Gendebien. - Je demande qu’on veuille bien relire la phrase.
M. le président. - On va donner une deuxième lecture.
Plusieurs voix. - Il faut mettre « avait droit de
compter. »
M. Leclercq. - Je conçois
que le mot « espérer » peut paraître faible, mais vous remarquerez
que la phrase à laquelle il se rattache est fortifiée par la phrase suivante,
où il est dit que nous considérons toute interprétation différente comme
contraire à la loi.
M. Rogier. - Je trouve que le mot « espérer » n’aurait
d’importance qu’autant qu’il se rapporterait à la conférence ; mais il ne se
rapporte qu’aux idées de consolidation intérieure qu’avait la Belgique, et il
me semble assez significatif.
M. Lebeau. - Il me semble qu’il suffirait de substituer au mot
« espérer » le mot « croire » qui emporte l’idée de la
certitude.
M. Gendebien. - Il faut
nécessaire enchâsser dans la phrase le mot « droit ; » car on ne
saurait trop le répéter, il est certain qu’il y avait droit acquis pour la
Belgique, d’après le traité du 15 novembre.
- La chambre,
consultée, décide que les mots « avait droit de croire » seront
substitués aux mots « devait espérer. »
M. Rogier. - Il me semble qu’il serait nécessaire de couper
cette phrase qui est trop longue.
M. le président se dispose à lire le cinquième paragraphe commençant par les mots :
« Cette espérance ne peut être déçue. »
M. Dumortier.
- Je demande la parole.
M. le président. - Laissez-moi achever la lecture du paragraphe.
M. Dumortier.
- Pardon, M. le président, c’est sur le paragraphe précédent que je désire
parler ; j’ai une addition à y présenter. (Parlez
! parlez !)
Messieurs, j’ai
été fortement étonné en voyant qu’après tout ce qui avait été dit dans la
dernière séance l’adresse fût si peu énergique. J’avoue que je m’attendais à
une adresse plus ferme et qui eût été la véritable expression de la volonté
nationale. Sans doute une adresse au roi doit être mesurée, mais la mesure
n’exclut pas l’énergie. Pour moi je regrette que l’on n’y ait pas fait
l’énumération des sacrifices que nous avons faits à la paix, sacrifices qui
sont immenses et que l’étranger n’apprécie pas assez.
Ce n’est pas
seulement une adresse au Roi que nous faisons, c’est un manifeste à toute
l’Europe ; car elle sera répétée par tous les journaux étrangers. J’aurais donc
voulu y voir l’énumération de nos immenses sacrifices. Il en est surtout deux
qu’il faut rappeler à l’Europe. c’est la dette et l’abandon de nos frères qui ont
fait avec nous la révolution. Je propose donc de mettre à la suite de ces mots
: « après avoir fait pour elles cette entière
abnégation de ses plus chères affections et de ses plus pressants
intérêts » ceux-ci : « après s’être imposé une dette énorme qu’elle
n’a pas contractée ; après avoir poussé le désir de la paix jusqu’à l’abandon
d’une partie de ceux avec qui elle avait secoué le joug de la Hollande,
etc. » Vous sentez, messieurs, qu’il est difficile d’improviser de tels
amendements ; mais, si mon idée est approuvée par la chambre, il sera aisé de
la rédiger de manière à la joindre au paragraphe proposé par la commission.
M. l’abbé de Haerne. - Il faudrait, au lieu de ces mots : « s’est imposé
une dette énorme, » mettre ceux-ci s’être « laissé »
imposer ; car la Belgique ne se l’est pas imposée elle-même, elle y a été
forcée. (Appuyé ! appuyé !)
M. Leclercq. - La commission a senti aussi que la phrase était
trop longue, et elle a voulu la couper ; mais elle n’a pas pu y parvenir.
M. Pirmez. - Puisque l’on dit maintenant : « après s’être
laissé imposé une dette énorme, » il n’est plus besoin d’ajouter
qu’ « elle n’a pas contractée. »
Plusieurs voix. - C’est juste
!
- L’amendement de
M. Dumortier, ainsi modifié, est adopté et est intercalé au commencement du
paragraphe 4.
Paragraphe 5
M. le président donne ensuite lecture du paragraphe 5, commençant par
ces mots : « Cette espérance ne sera pas déçue. »
M. Ch. de Brouckere. - Je ferai remarquer d’abord que le commencement de
cette phrase ne va plus avec le changement opéré dans celle qui précède…
M. le président. - On peut mettre « cette attente » ne sera pas déçue.
Plusieurs voix.- Ne sera pas « trompée. »
M. le président. - Cette attente ne sera pas trompée.
M. Ch. de Brouckere. - Mais c’est l’ensemble de ce paragraphe que je ne
puis admettre : en effet, je ne puis croire ce que j’y vois exprimé,
c’est-à-dire que les réserves des ratifications ne portent pas atteinte au
traité. Je ne crois pas, et je ne puis le dire dans l’adresse. Le protocole
n°58 dit bien que les modifications dont parle la ratification de la Russie
devront être acceptées par la Hollande et la Belgique de gré à gré ; mais,
d’après cette ratification, le traité n’est valable qu’avec ces modifications.
Peu importe que les puissances aient ou non désavoué leurs plénipotentiaires ;
le fait est que, par sa ratification, la Russie dit précisément le contraire de
ce qu’elle avait déclaré précédemment. Je ne puis donc pas croire que ces
réserves ne portent aucune atteinte au traité.
M. Milcamps. - On peut laisser les mots les puissances n’ont pas
désavoué leurs fondés de pouvoirs, et retrancher le membre de phrase où il est
dit que les réserves ne portent aucune atteinte au traité ; si cela ne dérange
pas l’ordre de la rédaction.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Muelenaere). - Messieurs, un
honorable préopinant, en demandant une modification au paragraphe, a soulevé
deux importantes questions. La première est de savoir si la ratification de la
Russie est conditionnelle ou seulement partielle, et la deuxième, si, pour
qu’un traité signé par des plénipotentiaires munis de pleins pouvoirs devienne
obligatoire, la ratification des souverains est indispensable.
Quant à la
première, on peut soutenir avec fondement que la ratification de la Russie
n’est pas conditionnelle, mais partielle. En effet, les mots dont on se sert
dans la déclaration sont : « Nous approuvons et ratifions sauf les
modifications à apporter aux articles 9, 12, et 13. » Je ferai remarquer
que c’est seulement là la traduction française, tandis que dans l’original,
s’il faut en croire un Russe qui est au service du pays, il y aurait : nous
déclarons ratifier et confirmer à l’exception des art. 9, 12 et 13 ; de sorte
que le texte serait plus avantageux que la traduction. Indépendamment de cela,
ceux qui se rappellent le traité de Vienne, sauront qu’il n’a pas été ratifié
dans son entier ; si je ne me trompe, la Bavière n’a ratifié que sauf
modification à apporter à tels ou tels articles et cependant cette ratification
n’a jamais été considérée comme conditionnelle mais comme partielle et
définitive, il en est de même ici, les articles réservés feront de négociations
nouvelles, et le reste est exécutoire.
Quant
à la question de savoir si le traité signé par des plénipotentiaires munis des
pouvoirs de leurs souverains est obligatoire, elle est controversée, mais en
supposant qu’il y ait doute, nous devons nous emparer de l’interprétation la plus
favorable à l’intérêt de la Belgique.
Il faut donc
considérer la ratification dont il s’agit comme partielle et non pas comme
étant conditionnelle ; et dans ce sens j’appuie la rédaction du paragraphe.
M. Gendebien. - Messieurs, je ne partage pas l’opinion de M. le
ministre. Si nous en étions encore aux premiers actes de la diplomatie je
conçois que nous pourrions dire : « nous aimons à croire, » mais
aujourd’hui il n’est plus possible de parler ainsi, ce serait de pure niaiserie.
Je désire au contraire qu’on exprime dans l’adresse d’une manière claire et
positive que nous considérons maintenant le traité du 15 novembre comme nul et
non avenu. Nous devons être bien convaincus, comme je l’ai déjà dit dans une
précédente séance, que la diplomatie n’a eu d’autre but que d’attiédir l’esprit
de patriotisme et d’anéantir l’hydre révolutionnaire en France et en Belgique.
J’insiste d’autant plus sur ce point qu’un préopinant, et M. le ministre des
affaires étrangères que je viens d’entendre, me semblent disposés à envisager
les choses de façon que nous entamerions de nouvelles négociations. Mais je ne
pense pas qu’il entre dans les vues de la chambre ni de la nation d’accepter un
nouveau leurre.
On vous a dit que
le traité était ratifié partiellement, d’une manière pure et simple, et non pas
conditionnellement. On a établi une distinction entre le mot « sauf »
et ceux-ci « à l’exception de. » D’abord je dois exprimer mon
étonnement de voir que la ratification de la Russie soit en russe, sans
traduction officielle.
Ordinairement les
actes diplomatiques se font en français, au moins dans les langues française ou
latine, et je ne crains pas qu’on puisse citer un exempte contraire. An reste,
peu m’importe l’usage. Il est de fait qu’une ratification a été envoyée conçue
en langue russe et que nous n’en connaissons pas la valeur. Mais, dit-on, dans
le doute il faut accepter le sens le plus favorable aux intérêts de la
Belgique. Quoi ! nous chercherions encore à nous abuser nous-mêmes ! Mais à qui
donc avons-nous à faire ? Est-ce à une puissance qui traite avec nous d’égale à
égale ? Non, c’est à une puissance qui nous impose ses conditions et qui nous
intimera ses volontés au cas de doute. Voyez donc quelle serait notre niaiserie
d’interpréter sa ratification dans le sens qui nous serait le plus favorable.
Messieurs, ne
consentons pas à passer pour niais ou ridicules. Consentons, si vous le voulez,
à avoir la faiblesse de permette qu’on empiété sur nos droits ; mais n’y
ajoutons pas le vernis du ridicule. Jamais une nation ne doit se résigner à
passer pour ridicule : quand elle s’abaisse jusque-là, elle est perdue. Eh quoi
! l’élite du pays, car la représentation nationale est l’élite du pays, se
laisserait prendre à un piège aussi grossier. Ah messieurs ! la proposition
seule devrait faire rougir son auteur, et nous devrions rougir tous, qu’on nous
croie capables de l’accepter.
Maintenant quant à
la distinction établie par le ministre, mettez « sauf » ou « à
l’exception de, » le résultat en est toujours le même pour nous. Dès que
vous admettez une réserve, vous détruisez le traité dans son ensemble, car il
vous a été garanti dans toutes ses dispositions, et dès que vous en acceptez
quelques parties, ce n’est plus le même traité il a cessé d’être irrévocable,
il est vicié dans son essence. Si vous admettez cette exception, savez-vous ce
qui arrivera ? Vous demanderez un commencement d’exécution et on vous
l’accordera peut-être ; mais quand une partie aura été exécutée, on vous fera
toutes sortes de difficultés pour les autres, et l’on exigera de vous encore de
nouveaux sacrifices. On vous dira : vaut-il la peine pour quelques millions de
plus faire mettre l’Europe à feu et à sang. On vous a dit : acceptez toujours
la promesse que l’on vous fait d’exécuter une partie du traité, sauf à négocier
pour les articles exceptés.
Mais savez-vous
quel est le but de cette invitation ? C’est de faire donner au ministre les
coudées franches pour négocier et trafiquer de l’honneur belge. Messieurs, nous
avons déjà vu assez de duperies, nous ne pouvons plus croire à la diplomatie ;
avec l’expérience du passé, c’est impossible aujourd’hui. Je demande donc que
la phrase soit revue et changée dans le sens de Ch. de Brouckere, et dans celui
que j’ai indiqué moi-même. Si vous faites un pas de plus, vous serez rayés de
la liste des nations et l’on arrivera à une restauration ou à un partage. Voilà
ce que veulent les puissances. Si vous n’avez pas, je le répète, la force de
demander aux puissances l’exécution de leurs engagements, vous serez réduits
plus tard à adopter ce qu’on vous imposera. Car remarquez qu’au congrès on
disait ; nous ne souscrirons à aucune des conditions qu’on voudrait nous
imposer. Eh bien ! on a fait un premier pas en acceptant les dix-huit articles,
et bientôt on vous en a fait faire un deuxième par les vingt-quatre articles.
Si vous ne vous arrêtez, on vous en fera faire un troisième. Et plaît à Dieu
que l’assemblée ait assez d’énergie pour dire aux puissances : vous nous avez
imposé un traité dont vous nous avez garanti l’entière exécution. Aujourd’hui
vous manquez à vos engagements, à la foi promise. Eh bien ! de notre part nous
le considérons comme nul et non avenu, car il est vicié dans son essence. Si
vous ne prenez pas cette mesure énergique, je ne sais pas jusqu’où l’on ira.
Si
vous ne vous sentez pas la force aujourd’hui que vous êtes fort de l’engagement
irrévocable des puissances, le serez-vous davantage lorsque vous aurez renoncé
à cet engagement solennel ? Serez-vous davantage en état de le faire quand vous
vous serez épuisés pour votre armée que vous serez obligés d’augmenter encore,
car la Hollande augmente toujours la sienne ? Non, messieurs, vous tomberez
dans un état de marasme et de dissolution, et vous en viendrez à la fin à être
rayés de la liste des peuples !
M. Leclercq. - M. le ministre les affaires étrangères a pensé que
la ratification de la Russie n’était pas conditionnelle mais seulement
partielle, telle n’a pas été l’opinion de la commission, ou du moins telle n’a
pas été la mienne, et je crois l’avoir prouvé dans la dernière discussion, Si
on l’entendait dans ce sens je déclare que je refuserais mon vote au
paragraphe. Néanmoins je dois faire observer qu’on considère la phrase trop
isolément et qu’elle n’a pas la signification qu’on lui donne.
Notre
droit est clair et nous devons insister sur ce droit avec la plus grande
fermeté. Nous disons, nous avons foi que le traité ne peut être changé ; mais
si notre confiance était trompé, nous rappelons au roi tous les sacrifices que
nous l’avons faits et nous lui en offrons de nouveaux. Je pense donc qu’en
rapprochant les différentes phrases de l’adresse, celle dont il s’agit ne
présente pas le sens qu’on donne prise isolément.
M. Ch. de Brouckere. - Je ne puis voir dans cette dernière phrase la
correction de la première, car elle dit toujours que nous avons la confiance
que le traité sera exécuté, et c’est ce que je ne puis admettre. Si l’on veut
encore des atermoiements, je conçois que l’on maintienne cette rédaction ;
mais, si l’on veut agir rondement, que l’on somme les puissances de s’expliquer
sur le sens de leurs ratifications, car je ne puis consentir à mettre dans
l’adresse ce que je ne pense pas.
Je répondrai
maintenant à M. le ministre des affaires étrangères, qu’en admettant même son
opinion, c’est-à-dire que la ratification serait partielle et non pas
conditionnelle, dans ce cas même nos droits ne sont plus intacts, puisqu’on
nous refuse aujourd’hui ce qu’on nous avait d’abord accordé irrévocablement. M.
le ministre des affaires étrangères, pour en arriver à sa conclusion, a admis,
comme il l’a dit lui-même, la thèse la plus favorable, d’après les
interprétations des écrivains qui ont traité la matière. Mais nous sommes les
plus faibles, et vous savez qu’en dernière analyse de pareilles questions se
résolvent par la force.
Remarquez que, si
aujourd’hui vous posez la question de manière à ce qu’il n’y ait plus
possibilité de faire une double interprétation, vous les forcez de s’expliquer
catégoriquement, d’admettre vos représentations, ou de déclarer qu’il n’y a
plus d’honneur et plus de droit public en Europe. Sans cela, si vous vous en
remettez aux négociations pour certains articles du traité, on vous dira plus
tard : Il y a doute ; nous sommes les plus forts, et nous coupons court à
toutes les interprétations d’auteurs qui ne sont pas d’accord, en donnant
raison à ceux-ci, et en condamnant ceux-là. Car, en définitive, comme je le
disais, toutes ces questions de droit se résolvent par la force.
L’exemple de la
Bavière qu’a cité M. le ministre, est assez bien trouvé. Mais, qu’était la
Bavière au congrès de Vienne par rapport aux grandes puissances ? Qu’est
aujourd’hui la Belgique à la conférence par rapport aux cinq cours ? Quand
notre plénipotentiaire a demandé quelques changements aux 24 articles, on a
répondu : Vous n’obtiendrez aucune modification, car notre volonté est que le
traité soit ainsi. A la Bavière les grandes puissances avaient répondu : Donnez
une acceptation conditionnelle, soit ; mais, en attendant, le traité restera
tel qu’il est, parce que nous avons la force de notre côté.
Je passe
maintenant au texte de la ratification de la Russie. Peu importe que ce texte
soit écrit en langue russe, la traduction française est pour nous le texte
officiel, Eh bien ! il y a dans cette traduction : « A ces causes, après
avoir suffisamment examiné ce traité, nous l’avons agréé et nous le confirmons
et ratifions, sauf les modifications et amendements à apporter dans un arrangement
définitif entre la Hollande et la Belgique, aux articles 9, 12 et 13. »
Jusqu’ici
je conçois que l’on puisse soutenir que la ratification est partielle et non
conditionnelle ; mais, en lisant ce qui suit, il est impossible de ne pas
penser autrement. Voici comment s’exprime la ratification : « Promettant sur
notre parole impériale, pour nous et nos successeurs, et sous la réserve
énoncée, ci-dessus, que tout ce qui a été stipulé dans ledit traité sera
exécuté inviolablement. »
C’est-à-dire, que
tout sera observé quand on aura fait droit aux réserves ci-dessus, ce qui
implique que, tant qu’on n’y aura pas fait droit, la ratification n’aura aucun
effet. Vous le voyez donc, la ratification n’est que conditionnelle, et, je le
répète, il m’est impossible d’admettre la phrase telle qu’elle est conçue, car
elle exprime une pensée diamétralement opposée à la mienne.
M. Lebeau. - Je ne suis pas l’auteur du paragraphe actuellement
en discussion, mais j’y ai adhéré et je crois devoir le défendre. On convient
tout au moins qu’il y a doute sur le sens de la ratification de la Russie. Dès
lors, je ne conçois pas comment on voudrait adopter l’interprétation qui nous
est la moins favorable ; quant à moi, je ne crois pas qu’il y ait doute ; je
crois que la ratification dont il s’agit n’est pas conditionnelle mais
seulement incomplète. Que consacre le traité du 15 novembre ? des dispositions
d’intérêt local, des dispositions qui concernent la Belgique et la Hollande.
Mais il règle aussi des intérêts européens, et parmi ces intérêts se trouve la
déclaration de notre indépendance et la reconnaissance du roi.
Cette
reconnaissance est tellement peu subordonnée aux réserves, que depuis l’échange
des cinq ratifications seulement, la conférence, qui, jusqu’ici, en parlant du
roi Léopold, avait dit le « gouvernement belge, » dit maintenant
« le roi des Belges. » Lisez le 59ème protocole, et vous en verrez la
preuve, mais ce qui achève de le prouver, c’est l’échange des ratifications du
traité des forteresses qui aurait pu avoir lieu il y a trois mois.
Pourquoi cet
échange n’a-t-il pas été fait plus tôt ? C’est parce que le roi des Belges y
était intervenu, et que par l’échange des ratifications de ce traité, les cinq
cours convertissaient pour elles le fait de la royauté belge en droit.
Or,
il est, je crois, sans exemple dans l’histoire, qu’un roi reconnu puisse être
méconnu ensuite. Il ne peut plus perdre sa qualité de roi aux yeux de l’Europe
que par les chances de la guerre ou par une révolution intérieure semblable à
celle qui éclata en août 1830.
Voilà, messieurs,
les observations que je me proposais de vous présenter pour vous engager à ne
pas retrancher le paragraphe que nous discutons. D’après les développements de
M. Ch. de Brouckère, je crois que nous ne pourrions mieux faire de plus
dangereux, de plus dommageable pour le pays.
M. Leclercq. - Malgré ce qui vient d’être dit, je ne puis admettre
que les ratifications n’apportent aucun changement au traité ; car pour moi
elles sont conditionnelles. Celles de l’Autriche et de la Prusse portent sous
la réserve des droits de la confédération germanique. Or, quels sont ces droits
? la souveraineté sur le duché de Luxembourg. Toutes les conditions d’un traité
sont corrélatives. Rappelez-vous que la conférence répondit au mémoire de la
Hollande, qui se plaignait de prétendues injustices commises à son égard, que
si elle avait été lésée d’une part, elle avait été
avantagée de l’autre, de la sorte qu’il y avait compensation. Vous voyez donc
que la conférence entend que toutes les clauses du traité soient corrélatives,
et qu’en conséquence laisser en suspens ce qui est relatif au Luxembourg, c’est
remettre tout le traité en question. La Prusse et l’Autriche n’exécuteront que
quand la confédération germanique aura consenti, c’est-à-dire quand le roi
Guillaume aura lui-même donné son consentement. Ce que je dis s’applique à plus
forte raison à la ratification de la Russie. Elle n’est viable à ses yeux
qu’autant qu’on aura fait droit aux réserves dont elle parle ; pris dans ce
sens, je ne puis plus adhérer au paragraphe et je proposerai le changement
suivant :
« Nous
pensons en conséquence, que ces réserves ne peuvent porter aucune atteinte
valable au traité ; qu’aujourd’hui il est notre droit ; que les ratifications
doivent être pures et simples ; qu’il sera exécuté d’abord par l’évacuation du
territoire belge, etc. » (Appuyé !
appuyé !)
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs j’appuie entièrement le changement de
rédaction proposé par M. Leclercq, c’est d’ailleurs dans ce sens que j’avais
compris l’adresse et que la commission l’avait rédigée ainsi que son rapporteur
vous l’a déclaré.
Du reste je ne
puis admettre que ce changement fût nécessaire pour contenir le gouvernement
dans les limites du traité, car ses actes attestent assez sa ferme volonté et
prouvent qu’il n’a pas besoin d’être stimulé à cet égard. (Rires et murmures ; interruption.)
M. le président. - Je rappelle les auditeurs au silence ; l’orateur a la parole, ne
doit pas être interrompu.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dirai donc que tous les actes du gouvernement
sont conformes à la partie exprimée dans l’adresse, je l’ai dit et je le
répète, parce que telle est la vérité. En disant tous les actes du
gouvernement, je n’entends point considérer comme tel l’échange de la rédaction
qui a été fait contrairement à sa volonté et à son insu.
Venant maintenant
à expliquer le sens de la ratification de la Russie, je dirai qu’elle ne peut
porter aucune atteinte au traité aussi longtemps que les modifications qu’elle
indique n’auront pas été acceptées par la Belgique, et ainsi le traité est
intact.
Mais ou la
ratification russe contient de simples réserves pour trois articles du traité
ou bien elle est conditionnelle en ce sens que les 21 articles ratifiés soient
subordonnés aux 3 réserves.
Dans le premier
cas, les 21 articles non-réservés devraient être exécutés purement et
simplement, et il resterait à s’entendre avec la Hollande pour l’exécution des
trois autres. Or ces trois articles comprennent la dette, la navigations des
eaux intérieures et la route par Sittard, il est évident que la Belgique ne
pourra être astreinte à aucun payement de la dette aussi longtemps qu’elle ne
sera pas tombée d’accord sur les articles tenus en réserve, dès lors, il ne
pourrait résulter de cette réserve aucun préjudice pour elle.
Si, au contraire,
la ratification russe n’est que conditionnelle, il faudrait que les conditions
fussent acceptées par nous, pour qu’elle devînt définitive, pour qu’elle put
nous lier, si les conditions sont rejetées, la ratification est de nul effet,
elle est résolue de plein droit.
Partant de là, il
me semble imprudent de déclarer dès à présent à la conférence que les 24
articles sont considérés par nous comme étant annulés ainsi qu’un préopinant
l’a proposé. Cette déclaration serait entièrement à notre préjudice, elle nous
ferait perdre tous les avantages des ratifications pures et simples de la
France et de l’Angleterre. Il est donc de notre intérêt de voir si la Hollande
veut conclure un traité définitif ; si elle le fait les ratifications
deviennent toutes définitives, si elle s’y refuse, celle de la Russie
s’évanouit dans ce système même de ceux qui ne la considèrent que comme
conditionnelle, et celles de l’Angleterre et de la France n’en subsistent pas
moins et nous pouvons en demander encore l’exécution.
Passant
aux ratifications de l’Autriche et de la Prusse, j’y applique les mêmes
observations : les réserves faites par les puissances touchant le Luxembourg
ont d’ailleurs d’autant moins d’importance, qu’il résulte du traité que la
Belgique ne doit posséder une partie du Luxembourg qu’en compensation d’une
partie du Limbourg, et dès lors, la Hollande ne pourrait que perdre, si la
confédération germanique ne consentait pas à la cession du Luxembourg. En
résumé, j’adhère à la nouvelle rédaction, parce qu’elle me paraît entièrement
conforme à ma pensée et à celle de mes collègues, et je répète que si le
gouvernement n’a pu vous faire connaître tous ses actes, il n’en n’est pas
moins vrai qu’ils sont conformes aux sentiments de l’adresse et qu’il l’a
devancée.
M. Gendebien. - Messieurs, on a l’air de croire que nous venons
faire ici la leçon au gouvernement. Non, nous ne voulons pas lui faire la
leçon, mais lui donner la force et l’énergie qui lui manquent Nous voulons exprimer
notre pensée tout entière, et notre volonté. Si le ministère pouvait considérer
ceci comme une leçon, je le plains, car il devrait pouvoir s’en passer. Et s’il
croyait pouvoir se passer de l’appui de la chambre et de la nation, je le
plaindrais davantage encore, car il serait dans une singulière erreur.
Le
ministre qui vient de parler a dit que les actes du gouvernement étaient en
parfaite harmonie avec sa pensée, et un moment après il a exprimé tout le
contraire, en disant que la ratification a été acceptée contrairement à ses
instructions. Mais je vous l’ai déjà dit dans la dernière séance, si notre
envoyé à Londres a dépassé ses instructions, rappelez-le et ne l’accusez pas ;
dites-nous en un mot votre pensée tout entière, si toutefois vous en avez une.
(Explosion d’hilarité.)
M. F. de Mérode (vivement). - Je demande la parole.
M. Gendebien. - Vous l’aurez la parole, mais laissez-moi finir (Agitation.) Vous venez vous vanter
d’actes que vous ne faites pas, et quand on ratifie un traité avec des réserves
qui rendent les ratifications illusoires, vous acceptez une partie de ces
ratifications, et tout en vantant votre énergie, vous nous donnez la preuve que
vous n’en avez aucune. Cessez donc d’accuser un absent, mais rappelez-le et
désavouez-le. Vainement vous persisteriez à l’accuser, les puissances ne
tiendraient aucun compte de vos accusations. Rappelez votre envoyé, désavouez
l’acte qu’il a fait en contravention à vos instructions, voilà la seule manière
de prouver votre énergie, ce sera un acte de votre part.
Je ne répondrai
pas, au surplus, au discours du ministre, parce que je ne l’ai pas bien
compris. (Hilarité.) Mais si j’ai
bien compris son raisonnement, il me semble qu’il a dit, que si la
confédération germanique n’acceptait pas le traité quant au Luxembourg, nous ne
serions pas obligés de céder la partie du Luxembourg que le traité nous
attribue. Nous y voilà. On veut réaliser ce que nous avons dit autrefois. Nous
disions lors de la discussion des 18 articles : vous n’aurez pas le Luxembourg,
si vous ne cédez à la Hollande le Limbourg, qui lui est nécessaire pour son
commerce et pour entraver le nôtre. On nous répondit ironiquement : Nous aurons
le Luxembourg et nous n’aurons pas la guerre. Cédez le Limbourg, continuait-on,
mais c’est impossible ; ce serait faire les affaires de la Hollande en nous
portant un coup mortel.
Eh
bien, c’est précisément cela, vous avez fait les affaires de la Hollande. Cela
résulte des paroles du ministre. Il a parfaitement compris le sens des
réserves, c’est-à-dire que vous aurez la dette sans le Luxembourg, et qu’on ne
nous rendra pas le Limbourg, à moins que vous n’y forciez la Hollande les armes
à la main. Ses intérêts en effet s’opposent à ce qu’elle vous cède jamais les
territoires qui bordent la Meuse ; ainsi, quoi qu’on vous en ait dit, vous
n’aurez pas le Luxembourg et vous aurez la dette. (Aux voix ! aux voix !)
M. H. de Brouckere. - Il m’est impossible de laisser sans réponse les
paroles du ministre de l’intérieur. Il faut convenir dans le ministère, entre
son langage du jour et son langage du lendemain, une singulière contradiction.
Avant-hier, lorsqu’on a proposé une adresse au Roi, pour demander que le ministère
montrât plus d’énergie, le ministère entier s’est levé pour la proposition ; et
aujourd’hui le ministre nous dit qu’il n’a pas besoin d’être stimulé, que son
énergie est assez grande. (Hilarité.)
Que vous a dit encore le ministre ? Vous vous plaignez de nos actes ; mais les
actes du gouvernement sont tous d’accord avec sa pensée. Le préopinant a dit
que le ministère n’avait pas de pensée ; je ne veux pas aller si loin. Mais je
dirai que sa pensée du jour n’est pas celle de l’autre, car vendredi il pensait
d’une manière et samedi il pensait tout le contraire. Je défie les ministres ou
certains d’entre eux de me contredire ; car je leur rappellerai une
conversation particulière. (Violents
murmures ; interruption.) Qu’on ne démente pas mes paroles, car je dirai ce
que je sais.
Au reste, le
ministère parle de ses actes, et ses actes sont nuls. Il est bon pour faire des
écrits, des promesses ; mais des actes, n’en attendez pas de lui. Qu’a-t-il
fait, je le demande, quand les Hollandais ont massacré un malheureux batelier
qui voulait passer sous le pont de Maestricht ? Rien. Qu’a-t-il fait quand ils
ont enlevé les douaniers qu’il avait placés sur le territoire belge autour de
la forteresse ? Rien. Qu’a-t-il fait quand ils ont enlevé de simples
particuliers qui vivaient inoffensifs sur notre territoire ? Rien. Enfin, quand
ils ont enlevé un membre de la représentation nationale, qu’a-t-il fait ? Des
notes, des protestations ; mais en dernier résultat le membre de la
représentation nationale languit encore dans les prisons de Luxembourg, et il
pourra bien y finir ses jours si les choses sont toujours ainsi.
(Ici des applaudissements et des bravos
prolongés, partant des tribunes publiques, éclatent et interrompent l’orateur.
Nous remarquons un individu placé dans la tribune du sénat qui se distingue par
des applaudissements réitérés et qu’on prie de sortir. Il disparaît.)
M. le président. - je rappelle aux tribunes que tous signes d’approbation et
d’improbation sont défendus. Si on se permet encore le moindre de ces signes,
je donnerai des ordres pour que les tribunes soient évacuées à l’instant. M. de
Brouckere, continuez.
M. H. de Brouckere renonce à la parole.
M. F. de Mérode. - Je demande la parole ; je ne peux laisser ainsi
attaquer le ministère sans répondre. (Hilarité.)
Je demande la
permission de répondre à un reproche répété si souvent et si injustement contre
le ministère. On crie sans cesse et sans ménagement : Vous manquez d’énergie,
il faut des moyens vigoureux. Or, où sont-ils ces moyens, et qui a mis en œuvre
tous ses efforts pour procurer leur avortement lorsque le ministère les
proposait ? Loin de moi la pensée d’imiter de près ou de loin le système de la
convention, mais encore ne faut-il pas en temps de guerre livrer son pays à
tous les étrangers espions, corrupteurs et embaucheurs, même aux nationaux qui
conspirent ouvertement contre nous ! Encore ne faut-il pas laisser le pouvoir
entre les mains d’hommes pour qui le patriotisme est un objet de dérision, qui
se conduisent de la manière la plus hostile envers les individus distingués par
des services éminents rendus à la cause de l’indépendance : eh bien !
messieurs, une loi proposée par le ministre de la justice, une loi temporaire,
ferme sans cruauté, est soumise à la sanction de la chambre. Où trouve-t-elle
la plus vive opposition ? chez les hommes à énergie. Elle est rejetée. La ville
de Gand, celle d’Anvers sont placées dans l’état de siège, le plus
indispensable comme le plus bénin : qui cherche à démontrer l’inopportunité,
l’illégalité de la mesure ? les hommes à énergie. Le ministre de l’intérieur
demande une loi sur la garde civique qui autorise le gouvernement à exiger des
exercices dans les communes, à organiser une force auxiliaire considérable.
D’où partent les plaintes contre ce projet ? Qui s’est apitoyé sur ces braves
cultivateurs qu’on allait trop fréquemment arracher à leurs travaux ? Encore
les hommes à énergie. Le ministre des finances réclame la faculté de conclure
un emprunt dont l’ajournement serait un coup fatal à la Belgique : qui résiste
avec une sorte d’indignation à la conclusion de cette importante mesure ?
Toujours l’énergie la plus bouillante dans cette assemblée. Oui, messieurs,
qu’on fasse de l’énergie, mais non pas de l’énergie de tribune, qui se résout
en paroles sonores et en accusations ; qu’on renonce à ce tintamarre, à ces
cris d’imbécillité… (Violents murmures,
interruption.)
M. H. de Brouckere. - Il n’y a pas de tintamarre ici.
M. le président. - J’invite l’orateur à supprimer des termes peu convenables.
M. F. de Mérode. - Je ne dis que ce qui est vrai. Oui, messieurs, on
a accusé à tout moment d’imbécillité et d’incapacité, de pusillanimité,
d’incurie et d’ineptie, les hommes attelés à la charrue du gouvernement.
Certes, les hommes placés sur les bancs, ou pour mieux dire, le cheval
ministériel, ne sont pas des Hercules, dont les bras nerveux écartent tous les
obstacles ; ce ne sont pas des aigles dont l’œil perçant fixe le soleil ; mais
après tout ce sont des hommes ni plus imprévoyants, ni plus myopes, ni plus
inconséquents que leurs adversaires, excellents jurisconsultes constitutionnels
dans l’occasion, mais, j’ose le dire, très mauvais préparateurs de moyens de
résistance à l’ennemi. Qui vous disait à propos de la mise en état de siège, si
violement attaquée dans cette enceinte : « Je vois la Hollande menaçante
et son gouvernement fort, parce qu’il est à même d’user de tous les moyens
d’attaque et de défense, tandis que l’administration belge, liée par des
institutions libres, dont on voudrait exagérer les conséquences au lieu de les
expliquer raisonnablement et politiquement, conformément aux dangers
extérieurs, se voit entravée et affaiblie au préjudice, non pas d’elle-même,
mais au pays tout entier » ? Qui s’expliquait ainsi devant vous, et
contribua pour sa bonne part au maintien de l’état de siège de Gand et d’Anvers
? Celui qui vous parle, celui qui ne se permettra jamais de subordonner des
nécessités évidentes à des théories, et qui certes ne fera pas de la
constitution belge un plastron pour l’ennemi.
La Hollande, très
mal représentée, sans doute, par les fameux membres des états généraux qui
aidèrent si habilement leur souverain à dissoudre le royaume des Pays-Bas,
trouve néanmoins pendant la lutte actuelle un avantage dans l’appui qu’elle
donne à leur administration. Tramez, écrivez, endoctrinez le public en Hollande
en faveur de la cause belge, personne ne défendra votre liberté de nuire
patiemment à la cause hollandaise, de corrompre ou décourager le soldat et
l’habitant. Le gouvernement n’y est pas obligé de souffrir que le brave et
digne chef d’une troupe urbaine dont l’énergie s’est brillamment montrée dans
une des phases les plus périlleuses de la révolution soit odieusement molesté
par des hommes en place, avides de désorganiser sa compagnie parce qu’elle est
invariablement attachée au drapeau qui n’est pas celui d’une famille mais d’une
nation. Mais, diront les hommes énergiques, grands donneurs de coups de langue
et d’éperons au ministère pusillanime : N’avez-vous donc pas 80 mille hommes
sous les armes ? Que vous reste-t-il donc à faire lorsque la conférence vous
trompe depuis si longtemps ? Agissez comme une nation quand elle est en
discorde avec une autre nation ; allez droit à la Hollande, et si elle refuse
des propositions de paix, faites la guerre. Non, messieurs ; moi je dis : point
de guerre offensive contre la Hollande, jusqu’à ce que vous ayez donné au
gouvernement du Roi les moyens d’assurer vos succès. Vous avez 80 mille hommes
: la Hollande ne les a-t-elle pas comme vous ? Et de plus, ses immenses
rivières, ses places fortes sont-elles situées en sens inverse de leur utilité
défensive ? La Hollande n’a-t-elle pas sa flotte qui domine l’Escaut ? Où est
la nôtre, s’il vous plaît ? Mais si la Hollande l’emporte sous ces rapports,
vous avez, vous autres, une population plus militaire ; vous avez quatre
millions d’habitants à opposer à deux millions, parmi lesquels il existe de
plus une sorte de classe d’ilotes nombreuse qu’on ménage, à la vérité, jusqu’à
nouvel ordre.
Ce n’est pas 80,
mais 120, mais 150 mille hommes qu’il vous faut, afin de compenser les
désavantages résultant de notre position géographique et navale ; changez
instantanément cette loi informe de la garde civile mobilisée, cette loi qui
sans aucune avantage pour le soldat énerve la discipline, entrave toute
véritable et complète organisation militaire, écrase exclusivement les cantons
sur lesquels elle pèse ; créez une milice auxiliaire, suivez la pratique de
toutes les nations de l’Europe qui laissent au pouvoir exécutif le soin des
commandants de tous grades. Dans des troupes actives, hâtez-vous de voter un
ordre tout à la fois militaire et civil, comme la légion d’honneur, haute et
sage institution, récompense honorifique pour ceux dont la patrie reconnaît la
capacité et le dévouement qui lie entre eux tous les hommes distingués par
d’éminents services au pays, n’importe dans quelle carrière ils savent
s’illustrer par des talents supérieurs. Ne vous laissez point dominer par des
craintes hors de saison sur l’ordre civil, par que le roi Guillaume a perdu la
décoration du Lion Belgique, devenue finalement sa récompense ordinaire du
servilisme le plus actif ou le plus humble.
Voulez-vous de
l’énergie ? Stimulez l’amour-propre des citoyens et ne vous croyez jamais cette
perfection imaginaire ou du moins très rare, qui porte en elle-même et sans
autre but que celui de devoir, l’abnégation personnelle et l’esprit de
sacrifice. La nature humaine a besoin d’encouragement.
Voulez-vous enfin,
messieurs, réveiller le sentiment d’énergique concorde la nation ? Employez
votre influence politique de député, votre influence individuelle de citoyen,
pour étouffer toute collision, toute discussion inutile sur les affaires
religieuses.
N’oublions pas que
l’esprit catholique libéral est chez nous un puissant levier de patriotisme.
Maintenons soigneusement le statu quo en ce qui concerne les intérêts matériels
des cultes, et réservons à l’avenir, garanti par la paix, les querelles, les
défiances qu’il montrera, j’espère, telles qu’elles sont réellement,
c’est-à-dire les restes d’une vieille rancune, d’une vieille colère, dont les
progrès des lumières et de la tolérance feront justice complète.
Je finirai par un
mot sur nos relations avec les plénopotentiaires des grandes puissances
européenes. J’aime trop la bonne foi pour ne pas être révolté de la duplicité
qu’on déploie à Londres à notre égard. On impose des traités, on les déclare
irrévocables ; à plusieurs reprises on affirme et proclame hautement leur
immutabilité ; on se charge positivement, et en termes aussi clairs que le
jour, de leur exécution ; puis viennent, après plus de 5 mois écoulés, sans
aucun désaveu préalable des pleins pouvoirs donnés aux ministres membres de la
conférence, les restrictions, les changements subtilement imaginés, afin de
nous imposer de nouvelles charges au profit de la Hollande et du roi Guillaume.
Messieurs, sans avoir entendu mon honorable ami M. Van
de Weyer, je m’abstiens de le condamner rigoureusement ; toutefois le rôle du
ministre du Roi des Belges, particulièrement après les ratifications de la
France et de l’Angleterre, consistait, selon moi, dans l’inébranlable fermeté
d’adhésion au traité du 15 novembre. Une crise ministérielle a eu lieu dans la
Grande-Bretagne : change-t-elle les justes droits de la Belgique ? doit-elle la
rendre plus craintive ? Je suis d’avis opposé à l’affirmative. Si notre
plénipotentiaire circonvenu par de puissantes sollicitations a outrepassé ses
pouvoirs contre les instructions formelles du roi Léopold et de son cabinet ; s’il
a lésé les vrais intérêts de la Belgique, sommes-nous liés par une surprise ?
Je ne le pense pas ; mais bien hardi, selon moi, celui qui tranche ab irato en
24, même en 72 heures, de telles questions de haute politique.
(Des murmures et une agitation violence
succèdent à ce discours.)
M. Legrelle. - Il me semble que nous nous éloignons tout à fait de
la question. (Non ! non ! Aux voix !)
M. Dumortier.
- Il est impossible de laisser un pareil discours sans réponse.
M. Legrelle. - J’ai fort applaudi au commencement de la séance à
la motion de l’honorable M. Pirson, de discuter l’adresse immédiatement, pour
montrer l’union de la chambre quand il s’agit de donner de la force au
gouvernement. Je regrette que le ministre se soit écarté de la question et je
désire que dans l’intérêt du pays nous y soyons ramenés à l’instant.
M. le président. - M. Leclercq avait demandé la parole pour un fait
personnel.
M. Leclercq. - J’y renonce.
M. Dumortier.
- Je demande la parole. (Non ! non !
c’est assez ! Violents murmures.)
- Le changement
proposé par M. Leclercq est mis aux voix et adopté.
M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, je proposerai une addition pour combler
une lacune qui se trouve dans l’adresse. Le but de ma proposiiton est de
détruire l’opinion accréditée que la Belgique serait astreinte dans tous les
cas, et quoi qu’il arrive, à l’observation des 24 articles ; c’est là une
erreur qu’il ne faut pas laisser subsister. La conférence nous a imposé le
traité, mais sous des conditions qui y sont inhérentes et qui doivent être
exécutées en notre faveur, pour qu’à notre tour nous soyons tenus d’observer
les 24 articles. Une de ces conditions, c’est la garantie d’exécution que nous
donnent les puissances. Si cette garantie tombe, l’acte est caduc, je tiens à
ce que cela soit exprimé dans l’adresse. Voici ma phrase :
« Ici nous dirons notre pensée tout entière. Les
cinq puissances ont unanimement déclaré à la Belgique et à la Hollande qu’en
imposant les 24 articles, elles en garantissaient l’adoption et l’exécution par
les deux nations dont elles se déclaraient arbitres. Les conditions ne peuvent
être séparées de la lettre même du traité et si les puissances manquaient à
leur parole solennellement, donné à la face de l’Europe, parole qui fit alors
notre confiance et qui fut le motif de notre consentement à tant de sacrifices,
la Belgique devrait se croire dégagée de l’adhésion qu’elle a donnée au
traité. »
M. Legrelle. - Et ça va sans dire.
M. Lebeau. - La chambre
seule ne peut pas parler au nom de la Belgique.
M. Ch. Vilain XIIII. - On objecte que la chambre ne peut pas seule parler
au nom de la Belgique, c’est facile à changer. On pourrait dire : « la
Belgique devrait se croire ; » alors c’est une opinion que la chambre
exprime, elle ne parle pas au nom de la Belgique.
M.
Gendebien.
- Messieurs, il me semble que la distinction que l’on fait n’est que futile,
nous sommes les représentants de la nation, nous émettons une opinion,
l’opinion de la chambre. Nous ne disons pas ce que fera la Belgique ou ce
qu’elle ne fera pas, mais nous disons ce que nous pensions qu’elle devra faire,
et vous pouvez être certains, messieurs, qu’une opinion de ce genre ne sera pas
désavouée par la nation. Je demande même qu’on la renforce et qu’on dise
« la Belgique serait dégagée. » Ne tergiversons pas, messieurs, oui,
la Belgique serait dégagée, c’est la vérité et il ne faut pas hésiter à la
dire, car ce serait faire injure aux puissances que de mettre en doute leur
bonne foi, et à la nation que de n’oser pas articuler ce qui est si bien dans
son droit.
M. Legrelle. - Cette phrase ne sera nullement en harmonie avec le
reste de l’adresse ; car, d’un côté, on y dit que nous nous sommes laissé
imposer le traité, et ici, que nous y avons donné notre consentement. Que
voulons-nous, messieurs ? Faire la guerre aux puissances ? Evidemment non. Nous
voulons leur montrer notre bon droit qui fait notre force, et nous n’avons pas
besoin pour cela de phrases menaçantes ; car la force, messieurs, est dans les
choses et non dans les mots.
M. Milcamps. - J’appuie d’autant plus l’opinion du préopinant,
qu’indépendamment de la contradiction qu’il a fait ressortir, je craindrais que
les puissances ne prissent acte de la déclaration que nous faisons, de
considérer le traité comme nul, pour nous priver des avantages que nous
assurent les ratifications pures et simples de la France et de l’Angleterre.
M. Leclercq. - Les préopinants semblent craindre que nous n’ayons
l’air de jeter le gant aux puissances en adoptant la phrase en discussion.
C’est une erreur ; cette disposition rentre tout à fait dans le sens de
l’adresse, et elle exprime une vérité incontestable. M. Legrelle dit : Exposez
votre bon droit et ne menacez pas. Eh bien, nous l’exposons, notre droit. Mais
si nonobstant les assurances qu’on nous a données, nous ne pouvons rien obtenir
des puissances, si par leur mauvaise foi, elles nous portent à des actes qui
entraînent l’Europe dans une guerre, est-ce menacer les puissances que de leur
dire ce que fera la nation ? Non sans doute. C’est simplement exposer notre
droit, c’est dire ce qui arrivera dans le cas de certaines éventualités, qui,
j’ose le croire, sont loin de se réaliser, mais qui enfin ne sont pas
impossibles. (Aux voix ! aux voix !)
M. Milcamps prononce, au milieu des cris « aux voix ! »
quelques mots que nous ne pouvons saisir.
- On met aux voix
la proposition de M. Vilain XIIII ; elle est rejetée à la contre-épreuve.
Paragraphe 6
M. le président. donne lecture du paragraphe suivant, commençant par
ces mots : « Le gouvernement comme le pays, » et finissant par
ceux-ci : « assigner un terme. »
M. Dumortier.
- J’ai déjà dit que, suivant moi, on n’a pas donné à l’adresse assez d’énergie.
Il me semble, messieurs, en parlant des sacrifices que nous avons faits, on ne
les fait pas assez ressortir. Cependant, ces sacrifices sont énormes et la
somme en est épuisée. Au lieu donc de dire : « la nation d’ailleurs a pu
faire des sacrifices, » je propose qu’on dise : « La Belgique a fait,
d’ailleurs, tous les sacrifices compatibles avec son honneur et avec la dignité
nationale. »
M. Legrelle. - Messieurs, n’en déplaise à l’honorable membre, je
crois que sa phrase affaiblira ce passage de l’adresse au lieu de le fortifier.
On aurait l’air de dire que nous avons consenti à faire des sacrifices, ce qui
n’est pas exact. Car la séparation d’avec nos frères du Limbourg et du
Luxembourg, y avons-nous consenti ? Non, on nous l’a imposée.
M. Dumortier.
- Je retire ma proposition.
Le paragraphe 6
est adopté.
Paragraphe 7
M. le président lit la paragraphe 7.
M. Poschet propose de dire après ces mots : « connaît trop
bien ses devoirs, » ceux-ci :
« et nos droits. » (Appuyé !)
M. H. de Brouckere. - C’est une superfétation inutile, si le roi connaît
bien son devoir il doit connaître nos droits.
M. Poschet. - Je ne vois aucun inconvénient à ajouter les mots
que j’ai proposés parce qu’on ne saurait trop parler de nos droits.
- L’amendement de
M. Poschet est rejeté.
Le paragraphe 7
est adopté.
Paragraphe 8
M. le président lit le paragraphe 8.
M. d’Huart. - Je propose d’ajouter, après les mots « si
surtout elle refusait de réparer, » ceux-ci : « sans délai. »
L’attentat commis
sur la personne de M. Thorn, gouverneur du Luxembourg et sénateur, est une de
ces violations du droit public doit heureusement on n’a presque jamais vu
d’exemple. Si un pareil fait pouvait rester sans une vengeance éclatante de
notre part, ou sans une réparation prompte et solennelle de la part du
gouvernement et des agents qui l’ont commis, il n’y aurait plus de sûreté pour
les personnes ; ce serait un précédent capable d’engendre la dissolution de la
société.
Cette vérité, que
je ne crains pas de voir contester par qui que ce soit, semblait avoir été
comprise par M. le ministre des relations extérieures, lorsque dans la séance
du 25 avril dernier, il disait au sénat : « Les démarches les plus
actives, les plus multipliées ont été faites pour que M. Thorn nous soit rendu,
et si elles n’obtenaient pas le résultat que l’on doit en attendre, le
gouvernement aurait à prendre des mesures autres sur lesquelles le sénat ne
serait pas appelé à délibérer. »
Cependant, c’est
le 16 avril dernier que M. Thorn a été arrêté. Depuis un mois il se trouve sous
les verrous, livré aux vexations d’une surveillance inquiète, et la nation est
encore à attendre que l’on se dispose à tirer vengeance de l’affront honteux
qui lui est fait par un ennemi déloyal.
Messieurs, je dois
le dire, la conduite du gouvernement, en pareille circonstance, est loin de
répondre à ce qu’on avait le droit d’attendre de lui ; il y a de sa part
confiance plus qu’aveugle dans une diplomatie de déception, ou faiblesse
extrême, absence totale d’énergie. Comment ! il croit avoir assez fait par de
stériles réclamations diplomatiques, par quelques humbles démarches, qui n’ont
eu d’autre résultat que de faire joindre l’ironie à l’injure !
Ministres
du Roi, je vous adjure au nom de tout ce qui nous est le plus cher, l’honneur
national, de déclarer franchement à la face de l’Europe si vous voulez, ou non,
faire obtenir au pays que vous gouvernez réparation de l’insulte avilissante
qui lui est faite par l’acte de l’enlèvement de M. Thorn. Si vous le voulez, il
n’est qu’un moyen, c’est de recourir immédiatement aux armes, si après une
sommation formelle, le roi Guillaume persiste dans son refus de satisfaire à
vos réclamations précédentes sur ce point. Si vous ne le voulez pas, continuez
alors votre marche actuelle de temporisation ; mais réfléchissez-y, ce dernier
parti sera le signal de l’anéantissement de la patrie, de la perte du nom belge
: convaincue de lâcheté, la Belgique serait indigne d’une nationalité
particulière ; elle aurait perdu son avenir ; son démembrement, ou son nouvel
asservissement au joug hollandais serait désormais inévitable. (Très bien ! très bien !)
M. Gendebien. - Sans délai ! combien de temps ça fait-il ?
(Hilarité.)
M. d’Huart. - Il me semble que cela se comprend très bien. Sans
délai signifie à l’instant même. Cela veut dire que si dans un temps moral,
dans huit jours par exemple, après la sommation qui sera faite au roi de
Hollande, M. Thorn n’est pas rendu à la liberté et les auteurs de cet attentat
désavoué, on devra courir aux seuls moyens capables d’obtenir une réparation.
M. Dumortier.
- J’appuie d’autant plus l’amendement de M. d’Huart que la Belgique se trouve
en ce moment dans une position toute particulière. Le grand talent d’un homme
d’Etat est de savoir saisir le moment favorable pour assurer à son pays les
avantages auxquels il a droit. En ce moment il n’y a pas de ministère en
Angleterre, le ministère français est désorganisé, tombons à l’improviste sur
la Hollande. (On rit.) Si nous ne
saisissons pas ce moment, un ministère tory se formera en Angleterre, qui nous
imposera les modifications. Je sais bien que si nous attaquons, les Prussiens
sont là pour nous ramener dans nos frontières. Oui, ils sont là, mais ils ne
nous y ramènerons pas en vaincus, mais en vainqueurs ; et, comme le disait M.
le ministre des affaires étrangères, comme les faits sont tout en politique,
nous y gagnerons ce qu’a gagné la Hollande au mois d’août. J’appuie l’amendement
de M. d’Huart.
M. Milcamps. - La violation du territoire, une injure faire à un
ambassadeur sont des actes qui peuvent être mis sur la même ligne que
l’attentat commis sur un représentant de la nation. Mais il ne me paraît pas
constitutionnel que nous insérions dans l’adresse qu’il faut faire la guerre à
l’instant, car la constitution confère au roi seul le droit de paix et de
guerre, et nous ne devons pas lui prescrire de la faire, car il est libre à cet
égard, et il faut croire qu’il sent aussi vivement que nous l’injure faite au
pays dans la personne de M. Thorn. Quand j’ai été nommé député, les électeurs
qui m’ont honoré de leur suffrage m’ont chargé de prendre la défense des droits
constitutionnels de tous les pouvoirs, et je n’y manquerai jamais.
M. Legrelle. - J’ajouterai un
mot à l’appel de ce que vient de dire le préopinant. Certainement je
déplore, autant que qui que ce soi, l’attentat dont M. Thorn est victime, mais
ce fait, quelque odieux qu’il soit, est-il assez puissant pour faire
instantanément la guerre. Je ne le crois pas, et si l’on réfléchit un peu aux
inconvénients d’une attaque immédiate, chacun pensera comme moi. A l’intérêt
qu’inspire le sort de M. Thorn, j’opposerai celui de toute une population
menacée, et je crois que M. Thorn lui-même aimerait mieux voir prolonger de
quelques jours sa captivité que d’exposer toute une population aux malheurs
dont elle serait menacée.
M. Gendebien. - Il ne s’agit pas de l’intérêt de M. Thorn, mais de
l’honneur du pays.
On met aux voix
l’amendement de M. d’Huart : il est adopté.
Paragraphe 9
M. le président lit le dernier paragraphe : il est adopté sans discussion.
On procède à
l’appel nominal sur l’ensemble.
L’adresse est
adoptée à l’unanimité des 77 membres présents.
M. H. de Brouckere. - Conformément à l’article 67 du règlement, je demande
qu’une députation soit tirée au sort pour aller présenter l’adresse au roi, et
que cette députation soit de douze membres.
- Cette
proposition est adoptée.
Le sort désigne
MM. Corbisier, de Woelmont, d’Elhoungne, Zoude, Mary, Raikem, de Nef, Polfvliet,
Destouvelles, Dewitte, de Sécus et Vergauwen.
- La séance est
levée à quatre heures et demie.
Noms des membres
absents sans congé dans la séance du 14 mai : MM. Angillis, Barthélemy, Berger,
Boucqueau de Villeraie, Brabant, Dubus, Dautrebande, Delehaye, de Robaulx,
d’Hoffschmidt, Dumont, Fleussu, Gelders, Jamme, Jullien, Lardinois, Lehon,
Raymaeckers et Seron.
(Réponse du Roi
à l'adresse de la Chambre. « Messieurs,
(« Je reçois avec plaisir
l'expression des sentimens unanimes de la Chambre des representans. Je crois
avoir acquis des droits à la confiance de la nation ; cette confiance, je
saurai toujours la justifier. La Belgique sait que je me suis dévoué à ses
destinées ; ses intérêts sont les miens.
(« Je me félicite de
pouvoir vous annoncer que la marche des négociations indiquée par la Chambre
est entièrement conforme à celle que j'ai prescrite à mes ministres et que j'ai
exposée à la conférence, avant de vous faire donner communication des derniers
actes.
(« Le plus sûr moyen
d'arriver promptement à une solution des difficultés qui subsistent encore,
c'est de convaincre l'Europe que la Belgique est restée jalouse de son antique
réputation et qu'en alliant la prudence à la fermeté, elle saura au besoin,
avec le secours de la Providence, soutenir ses droits par la force des armes.
(« Je
vois avec une bien douce satisfaction que la chambre a compris la position du
pays et qu'elle pense qu'aucune charge, aucun effort, ne doivent coûter à une
nation quand il s'agit de son existence et de son honneur. Cette opinion je la
partage, et je donnerai des ordres pour qu'il soit soumis incessamment à vos
délibérations des projets de loi qui tendront à atteindre le but que la chambre
se propose. »)