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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 10
décembre 1831
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment
pétition relative à la mise en œuvre de loi d’emprunt forcé (Corbisier)
2) Proposition visant à déterminer le mode de
représentation de la chambre à l’occasion du Te Deum (proposition Poschet) (H. de Brouckere, Gendebien)
3) Rapport sur une pétition relative au
licenciement d’un officier volontaire (Ch. de Brouckere,
d’Hoffschmidt, Gendebien,
Ch. de Brouckere)
4) Projet de loi relatif aux droits sur les fers
(Seron)
5) Projet de loi prohibant le transit du sucre
6) Projet de loi portant le budget des voies et
moyens pour l’exercice 1832
7) Projet de loi autorisant le gouvernement à
vendre les bois de l’Etat
8) Projet de loi autorisant le gouvernement à
négocier un emprunt de 48 millions de florins
9) Projet de loi relatif aux droits sur les fers
(+ considérations générales sur le tarif des douanes) (Jamme,
Pirson, Lardinois, d’Huart, Barthélemy, Mary, Gendebien, Coghen,
Pirmez, Coghen, Barthélemy, d’Huart, Poschet, Lardinois, Rogier, Lebeau)
(Moniteur belge n°180, du 12 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A midi et quart, M. Dellafaille fait l’appel
nominal. La chambre ne se trouve pas en nombre ; mais bientôt quelques membres
entrent dans la salle, et à midi et demi la séance est ouverte.
M. Dellafaille donne lecture du
procès-verbal. Il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA
CHAMBRE
M.
Lebègue écrit de Gand pour
annoncer qu’une indisposition l’oblige à faire une courte absence.
M. Dellafaille analyse quelques pétitions,
entre lesquelles nous distinguons celle de la régence de Mons, qui réclame
contre une interprétation vicieuse donné à la loi du 21 octobre dernier par les
agents de l’administration des finances (cette loi est relative aux emprunts de
10 et 12 millions) : d’où résulte une fausse répartition.
M. Corbisier demande que lecture
soit faite de cette pétition, pour que la commission s’en occupe d’urgence.
M. Dellafaille donne lecture de cette
pétition dont, sur la demande de M. Corbisier, le rapport est fixé à la
prochaine séance.
M. le président. - M. Poschet a déposé une proposition, qui a
été renvoyé aux sections. Voici ce qui a été décidé.
M.
H. de Brouckere. - Je demande à faire une motion d’ordre. Il ne
s’agit pas ici d’une proposition proprement dite, mais d’une simple motion
d’ordre, et qu’on ne devait pas renvoyer à l’examen des sections. On sent, en
effet, que souvent de pareilles propositions pourraient être faites ; il
pourrait arriver que la chambre dût décider du jour au lendemain ; je le
demande, vaut-il la peine que les sections s’occupent de tels objets, et ne
suffit-il pas de les soumettre à la chambre par une motion d’ordre ?
M. le président. - La motion d’ordre de M. H. de Brouckere me
semble fort raisonnable ; il est à regretter qu’elle n’ait pas été faite hier.
M.
Gendebien. - Il me semble cependant, messieurs, que notre
règlement est positif ; on en a fait une application rigoureuse dans une
circonstance autrement plus solennelle ; je demande l’exécution du règlement.
M.
H. de Brouckere soutient que le règlement n’est fait que pour des
propositions de loi ; au reste, ajoute-t-il, pour trancher toute difficulté, il
me semble qu’il y aurait un moyen bien simple et qui conviendrait à tout le
monde : ce serait d’écrire à M. le ministre de l'intérieur pour lui dire qu’il
n’y aura de séance publique qu’après le Te Deum, afin que les députés qui le
trouveront à propos puissent s’y rendre.
- Après une discussion
assez longue et très animée sur la question de savoir si la chambre se rendra
en corps ou par députation à la cérémonie, l’assemblée adopte la proposition de
M. H. de Brouckere.
RAPPORT SUR UNE
PETITION
L’ordre du jour
appelle le rapport de la commission sur la pétition du major B. de
Valenthiennes.
M. Helias d’Huddeghem, rapporteur, monte à la tribune.
Il donne lecture à la chambre d’une lettre de M. le ministre de la guerre,
d’une autre du major Valenthiennes, et de l’arrêté du règlement en date du 8
avril 1831, qui a institué les corps des tirailleurs. Il cite ensuite le
mémoire imprimé du pétitionnaire, qui a été distribué à MM. les représentants,
et termine ainsi ; La commission, après avoir examiné toutes ces pièces, a cru
nécessaire de demander au ministre de la guerre s’il a été donné connaissance
aux tirailleurs francs de l’arrêté de licenciement 15 jours d’avance : dans le
cas de l’affirmative, elle vous propose l’ordre du jour.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Le licenciement
s’est fait d’une manière très irrégulière ; mais 15 jours de solde ont été
comptés à tous les licenciés.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs,
j’appuie la proposition de la commission, tendante à passer à l’ordre du jour
sur la nouvelle pétition de M. de Valenthiennes, parce que, ne voyant rien
d’inconstitutionnel dans le licenciement qui a eu lieu des corps francs, je ne
crois pas que l’article 124 de la constitution soit applicable aux officiers de
corps qui sont créés par enrôlement pour un moment de danger, et que le pouvoir
exécutif peut licencier quand il le juge à propos. Je n’examinerai donc pas
l’opportunité de ce licenciement : tout ce que l’on peut dire à l’appui de
cette mesure, c’est qu’elle a été évidemment provoquée par l’indiscipline de
presque tous ces corps de tirailleurs francs ; et je citerai par exemple le
bataillon qui a séjourné dans le canton d’Etalle, province de Luxembourg, où on
a dû envoyer une partie de la garnison d’Arlon pour arrêter les exactions de
cette troupe dévastatrice.
M. de Valenthiennes
se plaint de ce que lui seul des dix majors de tirailleurs licenciés n’a pas
été replacés dans la ligne ; c’est très malheureux pour lui, mais ce n’est pas
à la chambre à examiner les titres qu’il doit avoir en outre de ceux qu’il
invoque en vertu de l’article 124 de la constitution, qui, je le répète, ne me
paraît pas lui être applicable en sa qualité d’officier d’un corps franc
licencié. D’ailleurs, M. le ministre de la guerre a montré qu’il sait réparé
les injustices que des erreurs lui auraient fait compromettre, en replaçant une
partie des officiers signataires de la réclamation qui lui a été renvoyée par
la chambre.
J’ajouterai que les pièces que M. de
Valenthiennes nous a transmises sont rédigées dans des termes tellement
acerbes, qu’elles ne m’ont pas prévenu en sa faveur.
La franchise n’est
louable, selon moi, que lorsqu’elle n’est pas dictée par la passion. J’aurais
demandé le renvoi de cette pétition au ministre de la guerre, si M. de
Valenthiennes s’était bornée à la consacrer à réclamer ses appointements
arriérés, après nous avoir démontré qu’ils les avaient réclamés inutilement
auprès des autorités compétentes. J’attends, à cet égard, des explications de
M. le ministre.
M.
Gendebien. - Il m’a paru que, dans la séance d’hier, on
avait décidé qu’il serait fait un seul rapport sur toutes les pétitions des
tirailleurs, et qu’il serait pris une même résolution à leur égard.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je ne m’oppose pas
à ce que l’on discute toutes les pétitions des tirailleurs dans une même séance
; mais je m’oppose à ce que l’on confonde dans un seul rapport des pétitions
qui doivent être rangées dans des catégories différentes. Je n’en connais que
deux, mais elles ne sont nullement semblables. Il me semble qu’il est
impossible de réunir des pétitions qui n’ont pas le même objet.
- Une longue
discussion s’engage pour savoir si les conclusions de la commission seront
débattus séance tenante ou à une séance postérieure ; enfin l’assemblée renvoie
la discussion sur cet objet à vendredi prochain.
PROJET DE LOI RELATIF
AUX DROITS SUR LES FERS
L’ordre du jour
appelle la discussion du projet de loi sur les fers.
Discussion générale
M.
Seron. (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas
été retrouvé dans les documents à notre disposition.)
PROJETS DE LOI
M.
le ministre des finances (M. Coghen) demande la parole pour la présentation de
divers projets de loi. Il monte à la tribune et présente un projet de loi qui prohibe
le transit du sucre.
Il présente ensuite
le budget des voies et moyens pour l’année 1832, et deux projets de loi dont le
premier a pour objet d’autoriser le gouvernement à vendre les bois de l’Etat,
et le second d’autoriser la négociation d’un emprunt de 48 millions de florins
à 5 p. c.
- Tous ces projets
seront imprimés et distribués. Nous les ferons connaître à nos lecteurs.
PROJET DE LOI RELATIF
AUX DROITS SUR LES FERS
Discussion générale
La chambre reprend la
discussion sur le projet de loi sur les fers.
M.
Jamme. - Messieurs, la question du maintien de l’impôt
sur le fer étranger, à son entrée en Belgique, est d’un intérêt du premier
ordre pour les provinces de Liége, de Namur, du Hainaut et de la partie belge du
Luxembourg.
Dans la province de
Liége seule, il y a sept hauts fourneaux, vingt forges qui peuvent marteler
vingt millions de kilogrammes par an, cinq fonderies de première force, qui
peuvent produire annuellement neuf millions de kilogrammes de verges de
première qualité, et finalement huit laminoirs pouvant produire aussi
annuellement un millions cinq cent mille kilogrammes de platine d’une qualité
parfaite.
Avec de tels moyens
de produire, et du minerai de toutes les qualités nécessaires aux divers genres
de fabrication, la pensée de favoriser, par un fort impôt sur la matière
première étrangère, une industrie aussi fortement constituée, semble naturelle
: en effet, messieurs, cela serait bien entendu, si le fer n’était en
Angleterre à un prix infiniment au-dessous du nôtre. En Angleterre, le minerai
est riche, le charbon de terre abonde, la fabrication se fait au coke, le
combustible et le minerai se trouvent toujours dans la même mine : ces
avantages sont immenses ; ils nous opposent des entraves presque
insurmontables. S’il n’y avait que peu de différence entre le prix du fer
anglais et le nôtre, les mesures prohibitives seraient bien entendues ; les bas
prix de notre main-d’œuvre suffirait pour niveler la différence ; mais cette
différence est telle, qu’à défaut d’admettre le fer étranger pour alimenter
certaine partie de notre industrie, telle que la clouterie, nous risquons de la
voir passer chez nos voisins.
On tomberait,
messieurs, dans une étrange erreur, si on pensait favoriser notre industrie en
imposant fortement le fer étranger à l’entrée en Belgique. Cette mesure
pourrait ne pas nuire à la consommation intérieure ; mais chacun sait la
proportion qu’il y a entre la consommation intérieure et nos produits.
L’échelle sur laquelle se sont formés nos nombreux établissements rend
l’exportation indispensable : or, en protégeant le prix élevé de nos fers, en
repoussant la concurrence étrangère, nos produits seront, à leur tour,
repoussés de l’étranger pour leurs prix trop élevés : ce résultat est incontestable.
Le fer étranger à vil
prix doit être considéré comme matière première servant à alimenter nos
fabriques, et être imposé modérément… Je crois entendre, messieurs, que ma
proposition vous paraît paradoxale ; je la crois cependant conforme aux vrais
principes de l’économie politique, j’espère que la suite de mes arguments le
démontrera.
Il est démontré que
le fer étrange, importé ci-devant avec un impôt modéré, était réexporté après
avoir acquis une valeur considérable, fruit de notre industrie.
Il est indubitable
qu’en faisant fléchir le prix de la matière première, vous favoriserez
sensiblement l’exportation des clous, des armes, de la ferronnerie et de la
quincaillerie ; notre industrie pour ces articles est brillante, elle est
supérieure à celle de nos voisins : à l’aide d’une main-d’œuvre à bon marché,
nous donnons une grande valeur à la matière première. C’est produire beaucoup
avec peu, c’est atteindre le dernier terme que se propose toute la science de
l’économie politique.
Sur les articles qui
abordent beaucoup de matières et dont les frais de fabrication sont peu
importants, le prix de la matière influe considérablement sur le prix de
l’article fabriqué. C’est là où nous éprouverons le plus tôt les effets de la
concurrence ; les clous sont de ce nombre. Sur certaines qualités de clous, la
matière constitue les deux tiers et jusque les trois quarts de la valeur de
l’article. Vous concevrez, messieurs, toute la défaveur qui doit résulter, pour
cette partie importante de notre industrie, du haut prix de nos fers, quand
vous saurez que le fer tendre et le fer dit métis, qui entrent dans la
fabrication des clous, coûtent en Belgique de 140 à 155 fl. les cent
kilogrammes, et que les qualités de fer correspondant à celles-là, ne coûtent
en Angleterre que de 70 à 85 florins le même poids.
Il est facile de
prévoir que, si on ne parvient pas à niveler en partie cette différence énorme
de prix, la fabrication des clous se réduira insensiblement aux besoins de la
consommation intérieure. Une réduction de 25 p. c. sur le prix de la matière
pourra seule la sauver, et vous obtiendrez déjà une réduction de 15 à 20 p. c .
en admettant le fer anglais à payer le droit de l’ancien tarif.
Le droit actuel, que
l’on veut maintenir, est de 50 p. c. de sa valeur ; en le réduisant à 30 p. c.,
le fer anglais sera encore de 20 p. c. meilleur marché que le nôtre.
Il est à remarquer
que le droit de 50 p. c. que l’on veut maintenir nous expose à voir se
transporter sur le sol étranger une industrie qui, dans la province de Liége,
aliment 9,000 individus de tout âge. Déjà, un certain nombre d’ouvriers
cloutiers ont été appelés en Hollande ; ils y ont porté la fabrication des
clous de grande dimension à l’usage de la marine, et rien ne s’oppose qu’à la
paix définitive, des fabricants de clous ne forment des établissements sur la
partie de la province de Limbourg qui avoisine Liége et qui est cédée à la
Hollande : là, à 3 lieues de la ville, ils recevront la matière première, de 40
à 50 p. c. à meilleur compte que nous. La Hollande se gardera bien de l’imposer
; la main-d’œuvre à bon marché s’y transportera avec les ouvriers ; ces
malheureux ne feront que changer de chaumière ; la misère les y contraindra.
Voulez-vous,
messieurs, la preuve incontestable des efforts que doit faire le fabricant de
clous pour ne pas fermer ses ateliers ? Vous la trouverez dans la modicité du
salaire de l’ouvrier. Les malheureux cloutiers, au milieu d’une population
aisée, semblent compose une classe isolée, vouée à la misère ; ils travaillent
quinze à dix-huit heures par jour, ainsi que leurs familles, et tous encore
succombent sous le poids de la fatigue et des privations de toute nature ; ils
semblent être chargés de combler par leurs privations tout le déficit
qu’occasionnent les embarras de la concurrence dans la caisse du fabricant. La
même cause amènera avec le temps le même sort à d’autres catégories de nos
malheureux ouvriers : la concurrence illimitée est cette cause.
Le vice de l’impôt
élevé sur le fer, qui menace si directement la clouterie, pèse, mais dans une
proportion moins nuisible, sur tous les produits de notre industrie, dont le
fer est la base : leur importance est immense à leur égard ; la défaveur que
leur cause le prix élevé du fer s’affaiblit en raison du plus de valeur que
leur donnent la main-d’œuvre et l’intelligence du fabricant : ces
considérations sont fort rassurantes.
Pour obtenir le
maintien du droit élevé ; on allègue la surabondance des produits, le défait
d’écoulement ; mais, messieurs, je conçois difficilement cet argument, car déjà
depuis neuf mois le droit prohibitif existe, et cet argument est conforme à ce
que je savais déjà, c’est que ce droit n’a apporté aucune amélioration dans le
commerce des fers ; je sais même que depuis lors l’article est diminué de prix,
ce qui est une conséquence inévitable du défaut d’expédition ; et vraiment il
serait fort étonnant qu’une mesure qui protège le haut prix d’un produit, pût
en favoriser la vente.
De nouvelles
réductions de prix, messieurs, sont inévitables. Quelle que soit la perte pour
les producteurs, la surabondance des produits la déterminera. Cette
surabondance augmente d’une manière inquiétante ; elle est, dans les provinces
de Namur et du Hainaut, portée au-delà de quatre fois les besoins présumables de
la consommation intérieure. Cet état de choses ralentira, sans doute,
l’empressement des producteurs ; il les obligera à aviser aux moyens de
produire à meilleur marché, seul moyen de sauver cette partie importante de nos
exploitations de l’état de langueur, de la situation factice où la placent le
haut prix de ses produits et les mesures prohibitives employées pour le
soutenir. Je parle de la situation factice des exploitations, car je considère
comme artificielle toute industrie qui ne peut se maintenir qu’à l’aide de
prohibitions, prohibitions qui établissent un privilège en faveur de
quelques-uns au détriment des autres, et constituent une véritable hérésie en
économie politique.
Je conçois, au reste,
que les causes du mal sont radicales : on ne peut qu’en ralentir les effets, et
en subir quelque jour les conséquences.
J’appuierai
l’amendement qui sera proposé tendant à obtenir le remboursement du droit lors
de l’exportation des clous.
Je me réserve de
voter sur l’ensemble de la loi, en conséquence des lumières que pourra produire
la discussion.
Je dois, messieurs,
ajouter quelques mots pour réfuter un argument que je viens d’entendre de la
part de l’honorable préopinant, M. Seron, qui, pour appuyer son opinion en
faveur du droit qui équivaut à une prohibition, a cité le système de
prohibition suivi par la France et la Prusse.
Tout
vicieux que soit ce système, à mon avis, messieurs, tout opposé qu’il soit aux
vrais principes d’une sage économie politique, je conçois encore son
application à l’égard d’Etats étendus, tels que la France et la Prusse, qui
peuvent en quelque sorte se suffirent à eux-mêmes ; mais je le crois éminemment
mal entendu et dangereux à suivre par un Etat circonscrit, comme le nôtre, dans
d’étroites limites, essentiellement industrieux, produisant quatre fois plus
que ses besoins réels, et dont l’existence dépend du maintien des relations
amicales avec ses voisins, relations toutes fondées sur les convenances
mutuelles. Un système contraire ne tarderait pas à être suivi de représailles, qui
auraient pour résultat de nous bloquer en quelque sorte et de nous étouffer
avec tous nos éléments de prospérité.
(Moniteur belge n°181, du 13 décembre 1831) M. Pirson. - Messieurs, toujours à propos
de commerce et d’industrie, on est venu nous parler des économistes qui ont
écrit en faveur de la liberté du commerce. Sans doute il serait à désirer que
les gouvernements s’entendissent et pour un désarmement général et pour la
liberté du commerce. Mais ce n’est point une nation du troisième ordre qui peut
donner l’impulsion. Si l’Angleterre et la France, qui sont les pays où
l’industrie a pris le plus grand accroissement, nous donnaient l’exemple, nous
pourrions, nous devrions peut-être même céder à cette impulsion. Mais, dans ces
deux pays qui nous pressent, on suit encore le système contraire. A la vérité,
si l’Angleterre a prospéré par le système restrictif, elle ne peut se maintenir
maintenant que par la liberté du commerce ; mais c’est au-dehors qu’elle
voudrait introduire cette liberté. En effet, au moyen de ses machines, elle
pourrait approvisionner l’Europe entière. Si l’Angleterre est si généreuse
envers ses voisins, en fait de liberté commerciale, elle ne l’est point autant
en fait de liberté politique. Ce n’est point le moment de faire l’énumération
de toutes ses perfidies à cet égard : son influence extérieure décèle partout
un système de bascule, qui entretient le trouble et le désordre chez les autres
peuples. Elle combat surtout la liberté politique lorsqu’elle est prête à
s’asseoir quelque part, pare qu’elle sait bien que les peuples libres font
leurs affaires dans leur propre intérêt, et que, partout où règne le
despotisme, le commerce est languissant et abandonné aux spéculations de tous
les hommes corrompus.
C’est de l’Angleterre
que sont parties les premières réclamations philanthropiques en faveur de la
liberté des nègres. Les philanthropes français se sont emparés de ces idées, et
ils ont perdu leurs colonies. L’esclavage est resté le même dans les
possessions anglaises.
Les Anglais, maîtres
de la mer pendant toutes les guerres de la révolution, ont fait seuls la
traite. Quand leurs colonies ont été assez peuplées, ils ont demandé et fait
toutes les démarches possibles pour obtenir l’abolition de la traite. Ne croyez
pas, messieurs, que je me complaise dans l’idée du commerce le plus révoltant ;
mais ne croyez point non plus que c’est par philanthropie seule que les Anglais
ont insisté sur cette abolition : c’était afin que les colonies qui ne leur
appartenaient pas ne pussent se repeupler. Quoi qu’il en soit, la traite est
abolie, et elle le restera, j’espère.
Ces rapprochements,
je ne les faits que pour justifier mes défiance sur les moyens indirects et
souvent éloignés que l’Angleterre emploie pour augmenter sa prospérité aux
dépens des autres nations. Elle a, en tous pays, des écrivains à sa solde, qui
prônent la liberté du commerce.
Je le répète, je
soutiendra pour mon pays le système restrictif, aussi longtemps que la France
et l’Angleterre ne l’abandonneront pas.
C’est pour cela que
je veux des droits de douane à l’entrée en Belgique sur les toiles, les
soieries, les draps et les fers étrangers : droits plus ou moins élevés, et
toujours proportionnés à une concurrence favorable à notre industrie.
Je crois que notre
tarif de douane, tel qu’il est, s’il satisfait en partie nos maîtres de forges,
ne protège pas assez notre commerce de toile ; car à Liége, Dinant, Namur, on
vend plus de toile de Silésie et d’Allemagne que de celle des Flandres.
M. le ministre des
finances nous a promis une prompte révision de notre tarif des douane.
Jusque-là, je pense qu’il faut maintenir l’état des choses, et par conséquent
adopter la proposition de M. Zoude. Nous le devons d’autant plus que la loi du
1er mars 1831 a été rendue sur la proposition du gouvernement, qui en a fait
sentir l’urgence, tout en professant les principes les plus libéraux en fait de
commerce.
M.
le préopinant vous a parlé de la fabrique d’armes de Liége et de la
quincaillerie ; mais que fait à ce genre de commerce une augmentation d’un
cents ou d’un cents et demi par livre de fer ? Un fusil simple ou de munition
coûte de 18 à 25 fr. et pèse de 6 à 8 livres. Ainsi, il y aura au plus 8 cents
d’augmentation sur une valeur de 25 fr., et certes cette minime augmentation ne
ralentira point le commerce des armes à Liége. Si nous parlons des armes de
luxe, dont le prix est de 50 à 200 fr., on sent que la différence dont je viens
de parler est absolument nulle.
M.
Lardinois. - Messieurs, les travaux du congrès national et
de la législature actuelle ont eu exclusivement pour but la solution des
questions d’ordre moral ou d’existence politique. Rarement il s’est agi des
intérêts matériels, ni de soulager les souffrances commerciales : le fardeau d’une
constitution à faire, et l’issue d’une indépendance tantôt reconnue et tantôt
contestée, absorbaient toutes les pensées, et faisaient ajourner des questions
qu’on jugeait alors prématurées.
Désormais les
chambres devront s’occuper de tout ce qui se rattache aux intérêts industriels
et commerciaux. Le gouvernement doit soumettre bientôt un nouveau système
d’impôts, et alors toutes les théories de l’économie politique pourront être
soulevées et discutées.
Je suppose que les
principes du gouvernement en ces matières sont encore à fixer ; mais je crains
que notre manie de prendre l’initiative dans l’application des grands principes
ne nous saisisse de nouveau en cette occurrence, et n’anéantisse notre commerce
et notre industrie.
C’est cette crainte,
messieurs, qui m’excite à vous présenter quelques considérations générales
avant d’aborder l’objet en discussion. Veuillez me pardonner cette excursion,
en faveur de l’idée qui m’anime.
Tout gouvernement qui
ne marche pas dans la voie de l’intérêt général est un gouvernement précaire,
destiné à périr à la première convulsion.
L’intérêt général se
modifie et change avec les progrès et les besoins de la société.
Ainsi, telle que la
politique commerciale est organisée dans les Etats européens, je dis que le
projet de la liberté indéfinie du commerce n’est pas moins chimérique, ni moins
ruineux, que le dessein de la monarchie universelles, et il est à souhaiter,
pour les intérêts matériels et le bonheur des Belges, que cette vérité soit
sentie par la législature, afin de ne pas nous laisser entraîner à des essais
qui nous seraient funestes.
La théorie de la
liberté illimitée du commerce a des attraits, est séduisante ; nous pourrons
l’admettre lorsque nos voisins nous en auront donné l’exemple ; mais,
jusque-là, laissons débattre cette question par les économistes et les
publicistes, et nous, législateurs, consultons toujours soigneusement les faits
avant de prendre une mesure financière quelconque. L’Angleterre et la Hollande
sont intéressées à faire adopter le système de la liberté du commerce. La
Hollande est un pays de consommation, et ne peut exister que par le commerce de
transport ou de transit. Quant à l’Angleterre, personne n’ignore que la source
de la prospérité de son commerce et de son industrie provient de l’interdiction
des ports britanniques aux navires étrangers qui n’étaient point chargés des
produits anglais, soit agricoles ou fabriqués. Cette prohibition a duré des
siècles, et maintenant que son industrie a fait des progrès immenses, que ses
articles ne redoutent aucune concurrence, il est naturel qu’elle cherche à les
faire recevoir sur tous les marchés de l’Europe. Notre position est bien
différente : la Belgique est aussi comme l’Angleterre un pays de production,
mais nos moyens de produire sont bien inférieurs. Les établissements anglais
sont montés sur une grande échelle, ils sont alimentés par d’immenses capitaux
; la perfection des machines et l’esprit d’association existent en Angleterre,
et sa richesse minérale n’a rien d’égal nulle part.
Avec le territoire
tel que la conférence de Londres a bien voulu nous le laisser, je crois que
notre génération ne verra pas renaître le commerce maritime, parce qu’il ne
peut prospérer sans la protection de forces navales capables de le faire
respecter et de le désirer. Les ports d’Anvers et d’Ostende seront donc réduits
à transporter les marchandises qu’il nous sera permis d’exporter, et à être les
commissionnaires de l’étranger.
Quoi qu’il en soit,
je suis convaincu que les avantages que procure à un pays le commerce maritime
ne sont pas à comparer à ceux qui résultent de l’industrie agricole et
manufacturière. Je ne développerai pas cette proposition, l’évidence en
saute aux yeux ; et j’en tire la conséquence que, lorsque le commerce et
l’industrie sont en contact, il faut, dans l’intérêt général, que le commerce
cède.
Les fabriques,
l’agriculture et les diverses exploitations des produits du sol emploient une
immense quantité de bras ; c’est par ces branches industrielles que la masse
des ouvriers obtient du travail et pourvoit à son existence. Qu’arriverait-il
si le gouvernement ne leur accordait pas une protection salutaire ? Ce serait
vouloir condamner une foule d’hommes à la mendicité, et s’exposer à tous les
crimes que la misère et le désespoir enfantent. Songez donc à protéger et à
faire fleurir l’agriculture et les manufactures, et commencez par assurer à
leurs produits le marché intérieur.
D’après ce qui
précède, on pourrait conclure que je suis partisan du système prohibitif ; je
dois déclarer que je le repousse de toutes mes forces, comme détruisant les
liens des nations et portant atteinte aux échanges et aux progrès de
l’industrie. Je sais aussi qu’il est insensé de vouloir produire des denrées que
le climat, la nature du sol ou la situation topographique d’un pays ne
comportent pas.
C’est à des traités
de commerce que nous devons tendre, traités qui devront être basés sur les
intérêts généraux et réciproques des contractants.
Mais que le
gouvernement ne se laisse pas insinuer qu’il doit protéger une ou plusieurs
industries au détriment des autres ; car alors ce serait favoriser l’intérêt
particulier et non l’intérêt général. Un traité de commerce doit embrasser
toutes les industries et non pas stipuler d’abord pour les houilles, les
toiles, les bestiaux, les fers et les marbres. Je ne prétends pas que les
produits de la Belgique seront tous reçus en France ou en Allemagne sur le même
pied ; mais, parce qu’une industrie est avancée, comme la fabrication des
draps, par exemple, s’ensuit-il que vous deviez la laisser traiter en paria ?
Non, sans doute, vous lui devez une égale protection. Profitons donc de tous
vos moyens pour obtenir des autres peuples la révocation des gros droits ou des
prohibitions dont les articles de vos industries sont frappés. Je ne parlerai
pas maintenant de l’industrie cotonnière, qui mérite autre chose que les
superbes dédains dont on a voulu l’accabler.
Messieurs, je vous ai
exposé en raccourci quelques principes d’économie politique ; la sécheresse du
sujet ne me permet pas d’occuper plus longtemps votre attention. J’aborde donc
l’objet qui est à l’ordre du jour.
Vous le savez, le
congrès national a touché à quelques lois de finances. Il voulait modifier et
il a gâché, parce qu’on n’a pas entendu tous les intéressés et consulté les
faits. Ainsi, les plaintes des distillateurs, des marchands de clous, de
houille et des négociations entrepositaires d’eaux-de-vie, de grains, ne vous
ont pas manqué. Chaque fois qu’on s’écartera de la vraie route, les plaintes se
renouvelleront.
La proposition de
l’honorable M. Zoude tend à maintenir les droits existants à l’importation des
fers étrangers. Avant de se décider sur cette mesure, il serait intéressant de
connaître les prix comparatifs de ce métal, afin de juger jusqu’à quel point
nous devons élever les droits d’entrée. Le minerai est abondant dans notre
pays, Avec de pareils éléments, nous devons arriver à produire des fers d’aussi
bonne qualité et à aussi bon marché que les étrangers. Pour obtenir ce
résultat, il faut qu’en protégeant l’industrie, vous stimuliez l’émulation et
les progrès par la concurrence.
Dans
cette question, nous devons aussi envisager l’intérêt de l’agriculture pour les
instruments aratoires qu’elle emploie, et considérer également l’intérêt des
fabriques qui travaillent le fer et en augmentent la valeur. Les droits de
chacun doivent être reconnus et, si vous favorisez les maîtres de hauts
fourneaux par des droits d’entrée, moi, fabricants ou marchand de clous, vous ne
pouvez me déshériter tout à fait de votre protection ; car j’emploie aussi un
grand nombre d’ouvriers, dont le salaire est minime. D’ailleurs, il faut aussi
favoriser l’exportation et éviter les entraves, surtout lorsqu’il s’agit
d’exporter nos propres produits.
Je voterai donc pour
la loi qui vous est soumise, mais amendée en ce qui concerne l’exportation des
clous et autres produits qui sont fabriqués avec le fer étranger.
M.
d’Huart. - Après le développement que l’honorable M.
Zoude a donné dernièrement à sa proposition, et ceux que vous avez entendus
aujourd’hui de plusieurs préopinants, il ne reste presque plus rien à dire pour
en faire comprendre toute l’importance et l’urgence qu’il y a de l’adopter. Je
ne vous fatiguerai pas par la reproduction de plusieurs arguments que
l’honorable M. Seron a déjà poussé jusque dans leur dernière convenance.
Il est avéré que la
forgerie est languissante et que, sans le droit prohibitif consacré dans le
décret du 1er mars 1831, elle serait totalement anéantie. Personne n’ignore que
cette branche d’industrie donne du pain à une forte partie de la population, et
de la valeur à divers produits territoriaux.
Le prix des bois est
déjà considérablement réduit, parce que, les relations commerciales ayant été
entravées par les événements politiques, la forgerie a été dans la nécessité de
restreindre son activité ; ce prix deviendrait nul, si l’on n’obviait à la
concurrence des fers étrangers.
On invoque une
exception en faveur de la clouterie, autre branche intéressante de notre
industrie. On demande que l’entrée sans droit des fers étrangers, destinés à la
fabrication des clous, soit permise. On dit qu’à la vérité notre forgerie sera
privée du débit d’environ 5,000,000 de livres, mais que cette quantité est
insignifiante et ne peut faire effet sur la prospérité des nombreuses forges,
tandis qu’elle portera la vie et l’aisance chez la clouterie. S’il était vrai
que cette quantité de fer importée sans droit fût de nature à amener la
prospérité de la clouterie, je l’admettrais volontiers ; mais il n’en serait
pas ainsi. Il est constaté que la clouterie emploie plus de dix millions de
kilo. de fer ; on voit donc que l’adoption de l’exception sollicitée réduirait
fortement le débit de fer indigène, et lui porterait un coup de mort dans
l’état de crise où elle est plongée, si l’on considère surtout les fraudes
nombreuses qui résulteraient de l’adoption d’une telle mesure.
Il est une
considération qu’il ne faut pas perdre de vue. Depuis le décret du 1er mars
dernier, dont on demande le maintien, la clouterie n’a pas cessé ses travaux ;
elle n’a pas le moindre encombrement de matière fabriquée, et les commandes ne
lui ont pas manqué : ce qui le prouve, c’est qu’il n’est arrivé ici aucune
réclamation de sa part. La forgerie, au contraire, malgré le droit protecteur
dont on invoque le maintien, est restée languissante. On voit, ainsi, qu’en
admettant la proposition de M. Zoude, on fera acte de justice, et rien autre
chose. Je voterai donc pour son adoption, avec la modification proposée
relativement aux vis, qui ont évidemment été classées à tort avec les clous
dans la dernière révision du tarif des douanes.
La chambre entend
encore M. Barthélemy, M. Mary et M.
Gendebien pour l’adoption du projet.
(Moniteur n°181, du 13 décembre 1831) M. Mary. -
Messieurs, les circonstances au milieu desquelles a été portée la loi du 1er
mars dernier, loin d’être devenues plus favorables à la fabrication des fers,
n’ont fait qu’accroître son état de souffrance. Nous avons à déplorer la
situation actuelle d’une industrie qui, avant la révolution, donnait
l’existence à près de cent mille ouvriers, tirait la matière première de notre
sol, exploitait annuellement la coupe de 20,000 bonniers de bois, aujourd’hui
sans rapport, employait une grande quantité de houilles dans des
hauts-fourneaux établis au coke, avait enfin élevé dans notre pays des usines
qui faisaient la juste admiration de l’étranger. Si nous ne pouvons donner à
cette branche de la prospérité nationale une protection plus efficace,
laissons-lui du moins, quelque insuffisante qu’elle soit, celle que lui
assurait la loi portée par le congrès. Si nous le comparons avec le droit
français, le droit actuel n’est est que le cinquième pour le fer en gueuses, et
le tiers pour celui en barres ; et cependant notre production en fer équivaut
au tiers de celle de la France, et mériterait bien qu’on cherchât à lui
conserver l’avantage de notre marché intérieur. Croit-on avoir beaucoup
favorisé les maîtres de forges par le droit dont le projet de loi en discussion
se borne à demander le maintien pendant un an ? Mais l’on se tromperait ; car,
antérieurement à l’introduction du droit actuel, le fer de Suède était coté à
Anvers à 17 fl. les 100 livres, tandis qu’à la mi-mars, et aujourd’hui encore,
il était tombé à fl. 14-25, ce qui fait une baisse de 8 1/2 p. c.
J’approuverais le système absolu de liberté de commerce, si les autres Etats
voulaient également l’admettre et que nous pussions nous placer dans la même
position que ceux qui exploitent une même branche d’industrie. Est-ce bien là
notre situation présente ? Indépendamment des fers indigènes, affluent sur nos
places de commerce les fers suédois et anglais. Les premiers sont traités au
bois, comme la majeure partie de ceux fabriqués dans ce pays ; les seconds le
sont à la houille transformée en coke. Eh bien ! en Suède, la mine de fer est plus riche que chez nous ; elle peut encore s’exploiter
pendant nombre de siècles à ciel ouvert, comme les carrières. En Suède, on ne
connaît pas d’impôts indirects, ce qui rend la main-d’œuvre moins chère ;
l’impôt foncier n’est que de cinq pour cent du revenu, tandis que chez nous, il
est de 20 p.c., ce qui augmente le prix de nos bois. Le fret de Stockholm à
Anvers n’est que d’un florin et demi par cent livres, équivalent de ce que
coûte le transport par terre de Liége, de Namur, ou de Charleroy. Quant à
l’Angleterre, elle se trouve dans une position spéciale. Sa houille est
superposée de mine de fer, qui s’exploite en même temps ; les hauts fourneaux
sont placés près des puits d’extraction, de sorte qu’il n’y a de frais de
transport, ni pour la mine de fer, ni pour le combustible. Le fret de
Liverpool à Anvers n’est, en outre, que d’un florin par cent libres. Je ne
pense donc pas qu’on puisse, en ce moment, diminuer les droits établis sur les
fers que l’in importe en Belgique.
(Moniteur belge n°180, du 12 décembre 1831) M.
le ministre des finances (M. Coghen) déclare qu’il n’a aucun motif pour s’opposer à
son adoption, et qu’il donnera tous ses soins à l’examen des questions
importantes soulevées par divers orateurs, lorsqu’il s’agira de régler le tarif
général des douanes.
- La discussion
générale est close.
Discussion des
articles
Articles 1
et 2
M. le président donne lecture de l’article premier, ainsi conçu
: « La loi du 1er mars 1831 continuera à recevoir son exécution jusqu’au
31 décembre 1832. »
Cet article est
adopté sans discussion ainsi que le deuxième, dont voici les termes :
« Par dérogation
à l’article 6 du tarif annexé à cette loi, les vis seront assujetties à un
droit d’entrée de 10 fl. 35 c. par 100 kilo. »
Article additionnel
M. Pirmez propose un article
additionnel ainsi conçu :
« Le droit sur
le fer en verge sera restitué à la sortie des clous, et compté à raison de 100 livres
de fer pour 90 livres de clous. Cette restitution ne sera faite qu’aux
personnes mêmes qui auront payé le droit. »
M. Pirmez a la parole
pour développer sa proposition ; nous donnerons le discours remarquable qu’a
prononcé cette orateur.
M. Pirmez - Messieurs, le
projet favorise une haute industrie aux dépens de tous les consommateurs des
objets qu’elle produit, c’est-à-dire de l’universalité des habitants du royaume
; il la favorise aussi aux dépens des autres industries qui en dérivent. Ma
proposition a pour but d’amender la loi en ce dernier point ; les préjugés
qu’elle consacre sont trop répandus pour qu’il ne soit pas téméraire de tenter
de les renverser tous à la fois ; mais à cette époque, qui se pique d’être
éminemment industrielle, si j’élève la voix pour une industrie, si je viens
combattre un privilège que la menace, mes paroles seront peut-être accueillies
avec moins de défaveur.
La clouteries, qui
est une branche importante des produits de la Belgique, contribue beaucoup à la
prospérité de deux contrées populeuses ; elle nourrit à elle seule, quinze
mille ouvriers. Je demande, dans leur intérêt, que vous restreigniez aux clous
employés à l’intérieur, à tous les autres objets manufacturés, quelle que soit
leur destination, l’immense monopole des producteurs de fer.
Messieurs, les
clouteries se sont naturellement établies dans les pays où le charbon de terre
et le fer étaient le plus abondants et au meilleur marché. Sous ce rapport,
comme sous celui de tous les avantages naturels, la Belgique n’ayant aucune
rivalité à crainte, posséda pendant des siècles un commerce de clous qui
n’avait point d’égal. C’est depuis quelques années seulement que l’introduction
d’un nouveau mode de fabrication fit baisser prodigieusement les fers en
Angleterre. Mais comme les industries ne se déplacent point tout d’un coup,
nous ne craignons pas encore la concurrence anglaise que pour les clous dans
lesquels la valeur de la main-d’œuvre surpasse la valeur de la matière.
Cependant, quelle que
soit, dans certaines espèces de clous, la valeur de la main-d’œuvre, elle n’est
jamais tellement importante qu’il ne faille avoir aucun égard à celle de la
matière. Celle-ci influe toujours considérablement sur le prix des clous,
quoique d’une manière moins sensible sur ceux dont le volume ou le poids est
moindre. La loi qui vous est soumise, ayant pour objet la cherté du fer, soit
avoir pour résultat l’augmentation du prix des clous. Elle frappe indirectement
d’un impôt, au profit des producteurs de fer, tous les consommateurs indigènes.
Messieurs, je me
garderai bien d’en faire un sujet de reproche à la loi ; il est encore tenu
pour vrai par bien des hommes graves, éclairés, et qui ont beaucoup réfléchi
sur ce sujet, que les objets de consommation sont imposable au profit de
l’industrie ; et, dans l’état actuel de nos relations avec nos voisins et de
nos habitudes fiscales, cette opinion doit encore prévaloir quelque temps, dans
la pratique, sur les saines doctrines. Mais malheureusement le projet, en élevant
le prix des clous que nous vendons à l’extérieur, fait tort non seulement aux
consommateurs, mais encore aux producteurs. Il favorise la concurrence des
étrangers, des Anglais, auxquels vous pensez nuire ; car la combinaison de leur
main-d’œuvre, plus chère que la nôtre, avec le prix de leur fer qui est plus
bas, leur donnant dans les grosses espèces de clous un avantage sur nos
fabricants, lors même que vous les laisseriez libres, que sera-ce si vous
mettez à ceux-ci des entraves ? Les Anglais ne les excluront-ils pas pour des
espèces plus petites dont ils ne pouvaient jusqu’ici attendre le bon marché ?
Et ce n’est pas
seulement la rivalité de l’Angleterre qui est à craindre : une concurrence plus
redoutable encore s’élève en Allemagne, où le prix de la main-d’œuvre, qui
toujours se règle sur le prix des subsistances, est infiniment plus bas qu’en
Angleterre. Indépendamment des clouteries qui existent depuis longtemps dans
divers Etats de cette partie de l’Europe, on en voir surgir de nouvelles sur plusieurs
points du littoral, où jusqu’aujourd’hui cette industrie était restée inconnue
; on y emploie le charbon de terre et le fer anglais. Eh bien ! messieurs, le
bienfait que vous accorderez aux producteurs de fer, vous l’accorderez en même
temps à l’industrie allemande ; les bénédictions vous viendront d’en-deçà et
d’au-delà des frontières.
Cette industrie est
donc menacée de mort. Je conçois cependant qu’elle puisse se soutenir quelque
temps encore ; mais au prix de quels sacrifices ? Ne faudra-t-il pas retrancher
de la main-d’œuvre l’augmentation du bénéfice de ceux que la loi protège ?
Oui, messieurs, je ne crains pas ici de m’écarter de la plus rigoureuse vérité,
ce bénéfice est retranché du pain de l’ouvrier.
Comme les mots
impropres donnent d’ordinaire une fausse idée des choses, il importe de
rectifier ici une expression qui peut induire en erreur. C’est à tort qu’on
appelle fabricant le marchand qui reçoit les clous de la main même de
l’ouvrier, car celui-ci seul est fabricant. Il ne travaille ni dans l’atelier
d’autrui, ni à la journée, ni à la tâche. Le charbon et le fer qu’il met en
œuvre, les clous qu’il va porter au marchand, sont sa propriété. Comme il ne
contracte d’engagements envers aucune maison de commerce, il livre ses clous à
celle qui lui offre le plus haut prix.
Quand une maison
reçoit une forte demande, elle doit élever son prix pour attirer les ouvriers
et se procurer la quantité qu’elle doit fournir ; si plusieurs maisons reçoivent
des demandes, elles élèvent leur prix à l’envi : c’est une sorte d’enchère sur
la main-d’œuvre, dont l’ouvrier profite ; et on a déjà vu en quelques jours le
prix de fabrication doublé. C’est donc l’ouvrier, c’est-à-dire le fabricant,
que vous mesures atteignent, et sur qui pèse de tout son poids l’impôt du
privilège ; car, si l’on ne vend pas, il est sans travail, et si, pour vendre,
il faut le faire aux mêmes conditions que si le droit n’existait pas, son
salaire, ou pour parler plus exactement son profit, ont être diminué en raison
de l’élévation du prix du fer.
Mais quelle influence
exerce le privilège sur le sort du cloutier ? Messieurs, je vais vous le dire :
elle lui impose une corvée d’un jour de travail sur deux.
Avant l’augmentation
du droit d’entrée sur le fer en verges, il était de 4 fl. 25 c. par cent kil.
Alors nous en recevions de fortes quantités. Les producteurs indigènes furent
forcés de demander le droit actuel qui est de 6 fl. 25. Il est donc évident que
ce produit vaut en Angleterre 4 fl. 25 moins qu’en Belgique. Le charbon y coûte
moins aussi, mais je le suppose au même prix que chez nous.
Les navires prennent
ces matières pour servir de lest, et les transportent sur les côtes du Hanovre,
sur les rives de l’Ems, du Weser et de l’Elbe, et sur d’autres points encore où
nous vendons nos clous. Cette opération est si facile, que l’on peut bien
affirmer que, d’Angleterre aux côtes du Hanovre, le transport de 100 kil. de
fer, réuni à celui du charbon nécessaire pur le façonner en clous, ne coûte pas
plus que celui de 100 kil. de fer d’Angleterre çà Charleroy. Comme il n’a pas
encore été parlé de ce dernier transport, il reste que les 100 kil. de fer en
verges coûtent, sur les points que j’ai indiqués, 4 fl. 25 moins qu’à
Charleroy, et que le charbon nécessaire à sa fabrication y est au même prix.
Messieurs, ainsi que
vous l’a déjà fait remarquer, le désavantage de notre fabrication croît en
raison du poids des clous. Il nous fait donc prendre pour exemple une espèce
moyenne, qui tient le milieu entre les grandes et les petites sortes, et ce
sont précisément celles-là dont on fait le plus d’usage. Prenons le numéro de
10 livres, c’est-à-dire celui dont mille pièces pèsent 10 livres de Brabant.
Pour en fabriquer 100 kil., il faut employer 112 kil. de fer en verges. Ainsi
la quantité de fer nécessaire pour obtenir 100 kil. de clous de 10 livres coûte
à Einden, Hambourg et autres ports, 4 fl. 75 mois qu’à Charleroy.
Eh bien ! messieurs,
cette somme de 4 fl. 75 c. est justement celle qu’un coutier reçoit pour 100
kilog. de 10 livres, et c’est le produit de plus de quinze journées, employées
à un travail sans relâche, depuis cinq heures du matin jusqu’à neuf heures du
soir.
Vous le savez,
messieurs, c’est aux lieux où la marchandise se fournit que les diverses
concurrences en déterminent le prix. N’est-il pas évident qu’un cloutier établi
sur un point des côtes, où le prix des subsistances n’est pas plus élevé qu’à
Charleroy, le Hanovre, les villes anséatiques, par exemple, n’est-il pas
évident, dis-je, que dans ces pays, où nous envoyons des clous, il jouirait, en
travaillant un jour sur deux, de la même somme de bien-être qu’en Belgique, et
qu’il se procurerait le double des choses nécessaires à l’existence, en
employant son temps comme il le fait ici ?
N’est-il pas démontré
que, pour exister, il doit travailler le double d’un artisan étranger,
c’est-à-dire faire des efforts surhumains et imposer à lui et au sien les plus
cruelles privations ; et que, si vous maintenez les droits d’entrée, et que le
prix du fer anglais baisse encore un peu, il doit s’expatrier ou périr ?
Il est vrai qu’il
supporte sa misère avec un courage, une patience et une résignation dont le
Belge seul est capable. Mais la misère qui se résigne en est-elle moins
affreuse ? En est-elle moins digne de compassion ? Et, s’il est une situation
capable de faire naître ce sentiment dans vos cœurs, n’est-ce pas celle de
l’homme honnête et laborieux réduit, pour nourrir sa famille, à ajouter le pain
de l’aumône au pain acquis par le travail ?
Les députés de la
Flandre doivent surtout me comprendre, messieurs ; car il existe chez eux une
industrie qui, occupant la population entière de plusieurs districts, est en
tout point semblable à celle dont j’ai plaidé la cause. Ils savent que c’est le
tisserand, et non le marchand de toile, qui profite principalement des demandes
qui se font à l’étranger. Si, dans un pays voisin, on parvenait à produire le
lin à 40 p. c. au-dessous de la valeur de cette marchandise en Belgique, ils ne
refuseraient point sans doute à la sortie la restitution du droit d’entrée de
40 p. c. que vous auriez établi pour favoriser l’agriculture. Car si ce droit
n’était pas restitué, et que, dans ce cas même, une facilité prodigieuse de
fabrication permît encore l’exportation des toiles, peut-on ne pas sentir que
ce droit d’entrée non restitué est, dans la réalité, un impôt levé sur la
main-d’œuvre du tisserand, pour être payé au cultivateur ? N’aggrave-t-on pas
la situation de l’un dans la même mesure que l’on améliore celle de l’autre ?
On nous parle
d’industrie qui tient au sol, de tribut payé à l’étranger ! Messieurs, s’il est
une industrie inhérente au sol, c’est la clouterie : celle-là du moins n’a pas
besoin de vos privilèges ; elle n’exige ni primes d’exportation, ni fonds
d’encouragement, ni prohibition, ni droits sur les produits étrangers. La
clouterie n’est point une industrie factice que l’on soutient par les
sacrifices imposés aux autres industries ou aux consommateurs. Pour fleurir,
elle ne demande point à être mise en serre chaude : laissez-lui la liberté,
elle se relèvera et prospérera par ses propres ressources.
Et, à ce propos, je
dirai un mot des commissions d’industrie que vous et le gouvernement instituez
dans l’intérêt général. Je ne crois pas, messieurs, qu’elles soient propres à
atteindre le but que vous vous proposez, car les divers intérêts n’y sont pas
représentés. J’y vois bien de grands manufacturiers, de grands négociants ;
mais j’y cherche vainement les représentants des marchands en détail et des artisans,
classes nombreuses, puisqu’elles embrassent presque toute la population. Et
remarquez bien que chaque membre de ces commissions se renfermera dans la
sphère de sa propre industrie : le négociant demandera la faveur des primes
d’exportation ; le manufacturier, le bénéfice d’un impôt sur les produits
étrangers. Loin de moi cependant la pensée injuste d’accuser d’un étroit
égoïsme les hommes honorables investis de ce mandat de confiance. Tous voudront
sincèrement le bien général ; mais, à travers le prisme de leurs affections et
de leurs habitudes privées, ils ne pourront voir le bien général que dans la
prospérité d’une branche d’industrie. L’esprit de l’homme, messieurs, est
naturellement systématique, et par conséquent exclusif ; et si cette vérité
reçoit quelque part une application manifeste, c’et dans la matière qui nous
occupe aujourd’hui.
Nous ne devons pas
sans doute supprimer à la légère les droits établis depuis longtemps : une
réforme trop brusque de tous les abus serait elle-même le plus criant des abus
; car certaines industries s’étant élevées à l’abri des lois prohibitives, la
suppression de ces lois compromettrait un grand nombre d’existences. Mais c’est
précisément pour cette raison-là, messieurs, c’est parce que la carrière des
privilèges est presque toujours fermée au retour, qu’il faut prendre garde de
s’y engager de plus en plus. Dans toute l’Europe, le corps social présente les
symptômes d’une maladie grave, qui le menace d’une dissolution prochaine. Les
causes en sont, selon moi, dans cet état contre nature, où les gouvernements,
protecteurs aveugles, ont placé plusieurs contrées industrielles, et dans ces
présents funestes qui, venant tôt ou tard à s’évanouir, laissent une multitude
de bras sans travail. Que ferez-vous un jour des populations que des industries
produites avec les dépouilles d’autres populations auront rassemblées sur
quelques points du royaume ? Car elles resteront alors que les privilèges
auront disparu. Et naissent-elles viables ces industries qui dépendent de la
volonté muable du législateur et du moindre événement politique ?
Messieurs, ces
faibles et peut-être impuissantes paroles seront présentées sous un jour odieux
; car, si l’on peut ici parcourir sans crainte dans tous les sens le champ des
vagues théories, on n’y touche point impunément les intérêts matériels
infiniment plus susceptibles. Je ne me suis pas dissimulé que l’on attribuerait
à un calcul égoïste ces invocations à l’humanité dont ce discours abonde ; car
déjà, à la législature précédente, où je fis une proposition identique,
d’injurieuses imputations étaient venus frapper mon oreille. Aussi, j’hésitai longtemps avant de me résoudre à rompre le silence pour
vous soumettre ces observations ; car quelle est celui d’entre vous dont la
langue ne se glacerait pas, si ses paroles devaient porter atteinte à sa
réputation de mandataire fidèle et désintéressé ? Cependant, messieurs, il est
une considération supérieure, celle du devoir : devant elle tout doit fléchir.
Et aucune considération devait-elle me retenir, moi, député d’un district dont
la clouterie est une des ressources les plus précieuses ; moi, que des
relations journalières avec les malheureux ouvriers mettent à même de connaître
leur situation désespérée ; moi, leur défenseur-né, pouvais-je, je vous le
demande, me prosterner devant la malignité pour abjurer mon devoir ?
(Moniteur belge n°180, du 12 décembre 1831)
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, vous
venez d’entendre un discours très éloquent en faveur de l’industrie des
cloutiers, et sur la nécessité d’aller au-devant de leur misère. Sans doute il
fait faire pour eux, comme pour tous ceux qui souffrent, tout ce qu’il est
possible de faire ; mais je ne m’en oppose pas moins à l’adoption de l’amendement,
car il serait inexécutable et prêterait trop à la fraude. Comment serait-il
possible, en effet, de constater l’emploi des fers étrangers ?
M. Barthélemy. - Je m’oppose à
l’adoption de l’amendement, parce qu’il y a chose jugée. Déjà cet amendement
fut présenté quand le congrès s’occupa de la loi sur les fers, et il fut
rejeté. Il y a six ans, une semblable proposition fut faite, et elle fut
rejetée aussi ; la chambre de commerce de Liége elle-même fut contraire à son adoption.
(Aux voix ! aux voix !)
M.
d’Huart combat aussi l’amendement.
- De toutes parts on
demande à aller aux voix.
M. Poschet. - Je demande la
parole ! (Non ! non ! Aux voix ! La
clôture !)
Je demande la parole.
L’orateur parle au milieu des cris : « Aux voix ! » contre
l’amendement. Il soutient que, si on accorde ce privilège aux cloutiers,
bientôt les couteliers et d’autres fabricants viendront à leur tour demander
une exception en leur faveur. (La clôture
! la clôture !)
- La clôture est mise
aux voix et adoptée.
M. Lardinois. - Je demande la
parole. (Non ! non ! La clôture est prononcée ! Agitation
prolongée.)
M. Lardinois parvient
à parler nonobstant l’opposition de l’assemblée. Il fait remarquer l’importance
de l’amendement de M. Pirmez, et le danger qu’il y aurait à le rejeter pour
ainsi dire sans examen ; il demande que le vote soit reportée à un autre jour.
- Cette proposition
donne lieu à un vif débat.
M.
Rogier
et M. Lebeau appuient la proposition de M. Lardinois.
Plusieurs membres soutiennent que la
clôture ayant été prononcée, il faut aller immédiatement aux voix.
- L’ajournement à lundi
est enfin mis aux voix et prononcé.
La séance est levée à
4 heures un quart.