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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 12 décembre 1831

(Moniteur belge n°182, du 14 décembre 1831)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à midi et quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille fait l’appel nominal.

Le même lit le procès-verbal.

M. H. de Brouckere. - Je demande la parole sur le procès-verbal. Il porte que le président communique à la chambre le résultat de l’examen des sections de la proposition de M. Poschet, tandis qu’au moment où M. le président a dit : « Je vais donner connaissance à la chambre du résultat de l’examen en sections de la proposition de M. Poschet, » j’ai demandé la parole pour une motion d’ordre, et je m’y suis opposé. Je demande que la rectification soit faite en ce sens.

M. Poschet. - J’avais consenti à retirer ma proposition.

M. H. de Brouckere. - M. Poschet avait si peu retiré son amendement que j’en avais proposé un autre, et qu’au moment de la mise aux voix M. le président a demandé à laquelle des deux propositions la chambre entendait accorder la préférence. D’ailleurs il n’y a qu’à consulter, à cet égard, les journaux qui ont rapporté le fait. Je tiens à ce que le procès-verbal soit bien rédigé, parce que la discussion qui a eu lieu pourrait se renouveler chaque fois.

M. le président. - M. H. de Brouckere voudra-t-il passer au bureau de la chambre pour rédiger la rectification qu’il propose.

M. H. de Brouckere. - Très volontiers, M. le président.

M. le président. - Alors la rectification est remise à demain.

Projet de loi, amendé par le sénat, tendant à lever la prohibition à l'exportation des armes de guerre

Lecture et renvoi aux sections

Il est ensuite donné lecture de la loi relative à la sortie des armes, renvoyée à la chambre par le sénat.

Plusieurs membres proposent de la discuter immédiatement.

M. Leclercq. - Nous ne pouvons discuter ce projet aujourd’hui, parce qu’il n’est pas à l’ordre du jour.

M. Lebeau. - Je ferai remarquer, en outre, qu’il est nécessaire que le ministre se soit expliqué sur le projet tel qu'il a été amendé par le sénat, avant que nous prenions une décision à cet égard.

M. Jamme. - Si le projet n’est pas renvoyé en sections, nous ne serons pas éclairés sur l’importance des changements faits par le sénat. Il me semble qu’il n’y a pas d’urgence. On pourrait remettre la discussion à deux ou trois jours, pour que nous ayons le temps d’examiner la question.

M. H. de Brouckere. - Je ne puis admettre cette proposition, car il n’y a qu’un changement de rédaction et non pas un changement réel au fond. Je suis loin d’approuver les amendements du sénat ; mais, je le répète, ce n’est qu’un changement de rédaction.

- Des copies manuscrites du projet seront renvoyées à la commission.

Projet de loi relatif aux émoluments des agents consulaires

Mise à l'ordre du jour

M. Nothomb. - Le projet de loi sur les émoluments des agents consulaires a été renvoyé à plusieurs chambres de commerce, et une commission a été nommée pour l’examiner. Comme c’est un objet très urgent, je prie M. le président de vouloir bien inviter les membres de cette commission à se réunir, pour être bientôt à même de présenter un rapport.

M. Jullien. - Je suis un des membres de cette commission, et je dois déclarer que personne de nous n’a encore été convoqué.

Projet de loi relatif aux droits sur les fers

L’ordre du jour est la délibération sur le projet de loi relatif aux fers.

Discussion des articles

Articles additionnels

M. le président. - Il a été déposé sur le bureau deux amendements, l’un de M. Lardinois et l’autre de M. Jamme, dont il va être donné lecture.

Amendement de M. Lardinois. « Il sera fait une remise de trois florins par cent kilogrammes à la sortie des clous. Cette remise n’aura lieu que pour autant que l’on aura justifié au bureau de la sortie le paiement du droit d’entrée sur une même ou plus forte quantité de fer en verges. »

Amendement de M. Jamme. « Le droit d’entrée sur un certain poids de fer sera remboursé à la sortie sur un même poids de clous, sans avoir égard au déchet. »

M. Seron. - Il me semble qu’on ne peut plus proposer d’amendement. Dans la séance d’avant-hier, la clôture a été prononcée sur le tout. (Oui ! oui ! Non ! non !) On a d’abord fermé la discussion sur le principe, puis sur les articles, et enfin sur l’amendement de M. Pirmez. Cela est si vrai qu’on a même dit qu’il était fâcheux que la clôture empêchât de répondre à M. Pirmez.

M. H. de Brouckere. - Je demande qu’on lise le procès-verbal.

M. Dellafaille fait une deuxième lecture de ce qui a rapport à la clôture.

M. H. de Brouckere. - Vous voyez, messieurs, qu’il résulte du procès-verbal que ce qu’a dit M. Seron est parfaitement exact. La clôture a été prononcée, d’abord sur l’ensemble, puis sur les articles et l’amendement de M. Pirmez ; mais rien n’empêche de proposer de nouveaux amendements.

M. Devaux appuie cette opinion.

M. Pirson. - Il me semble qu’il faudrait que M. le ministre des finances fût appelé à la discussion de ces articles.

M. Ch. Vilain XIIII. - Je ne sais pourquoi M. le ministre ne se trouve pas ici : il savait qu’il y avait séance aujourd’hui. Je ne m’oppose pas à ce qu’on le prévienne ; mais je voudrais que MM. les ministres fussent toujours présents à nos séances, pour nous donner les renseignements dont nous avons besoin.

M. Duvivier. - M. le ministre des finances est au conseil chez le Roi.

M. le président. - Je vais d’abord mettre aux voix l’amendement de M. Pirmez.

M. Pirmez déclare renoncer au deuxième paragraphe.

M. Barthélemy s’y oppose.

M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande la division. Elle est de droit, aux termes du règlement.

- Le première paragraphe de la proposition de M. Pirmez est mis aux voix et rejeté.

M. le président. - Il est inutile de mettre aux voix le deuxième paragraphe.

- On donne une deuxième lecture des amendements de MM. Jamme et Lardinois, et d’un autre de M. Dumortier, ainsi conçu :

« La présente loi sera obligatoire jusqu’à la révision du tarif. »

L’amendement de M. Lardinois est mis le premier en discussion.

M. Lardinois le développe en ces termes. - Messieurs, les observations qui vous ont été faites à votre dernière séance, par l’honorable M. Pirmez, découlent de principes dont je ne puis admettre l’application immédiate, dans nos rapports commerciaux. Cependant il vous a aussi présenté une série de faits qu’il serait difficile de réfuter. Je pourrais les reproduire pour appuyer mon amendement, mais je crois qu’il vaut mieux ramener la question aux termes les plus simples.

Nous reconnaissons tous que la fabrication des fers est une branche essentielle de notre industrie, qu’elle se rattache au sol et qu’elle mérite protection.

Cette industrie est dans un état de stagnation et arriérée comparativement à l’Angleterre. Pour rétablir l’équilibre, des droits élevés sont demandés à l’importation des fers étrangers.

Sans rechercher les causes de cette décadence, nous nous contentons de constater le fait, et nous consentons à accorder le remède que vous estimez propre à rendre la vie à cette industrie.

Le marchand de clous conteste l’efficacité de ce remède : mais, comme entre deux maux il faut choisir le moindre, il doit adhérer à votre mesure, sauf à faire supporter la majeure partie du sacrifice à la consommation intérieure. Il faut remarquer que la consommation intérieure ne suffit pas pour donner du travail aux ouvriers cloutiers, et que dans l'exportation un certain nombre de ces travailleurs devient incatif. Alors ces hommes laborieux, accablées de misère, ne voient souvent pour ressource que l’émigration. Pour éviter ces terribles conséquences, je vous demande que vous favorisiez l’exportation des clous en remboursant à leur sortie une partie des droits, que vous avez prélevés à l’entrée du fer étranger.

Vous déclarez que vous ne pouvez pas fournir au même prix que les Anglais le fer propre à la fabrication des clous ; soit. Nous vous accordons un droit qui vous mettra à même de lutter avec avantage, et vous serez assurés que désormais le fer indigène sera employé pour les clous destinés à la consommation du pays.

Dans cette hypothèse, vous admettez que les produits, dans la fabrication desquels le fer entre pour une forte part de la valeur, ne peuvent soutenir la concurrence sur les marchés étrangers ; et cependant vous prétendez que j’emploie exclusivement votre fer ! Vous voulez donc que je vende à perte ou que je renonce à mon industrie, puisque vous rendez impossibles mes relations avec les autres peuples.

Le marchand et l’ouvrier cloutier n’ont-ils pas raison de demander de quel droit on ose attenter à leur existence ? N’est-ce pas assez d’avoir consenti à réduire l’un son bénéfice, l’autre son salaire, déjà trop exigus, et faut-il sacrifier le tout ? Encore, si vous prouviez qu’on nuit à la consommation du fer indigène ! Mais non, vous le reconnaissez : avec votre fer, je ne saurais concourir à l’étranger ; je ne puis donc m’en servir pour les objets que je destine à l’exportation. Eh ben ! je veux, je suis forcé d’exporter des clous. Pour cela il me faut du fer anglais, et lorsque je l’aurai converti en clous que j’enverrai à l’étranger, je demande que vous me restituiez une partie des droits que j’aurais acquittés sur le fer en verges.

Cette modification de la loi, en faveur des cloutiers, est de la plus rigoureuse justice. Elle ne porte aucune atteinte à la production du fer indigène, et elle est favorable au trésor, puisqu’on ne remboursera qu’une partie des droits prélevés. Je ne conçois pas l’objection faite, qu’on ne pourra constater l’emploi du fer étranger. Et qu’importe cette identité ? La loi autorise à importer le fer étranger moyennant le droit du tarif, et, dans la supposition gratuite que les clous qu’on exportera soient fabriqués avec le fer du pays, ne faudra-t-il pas justifier, avant toute remise, que les droits ont été acquittés sur une même quantité de fer en verges ? D’un autre côté, est-ce que la quantité du fer sera augmentée, si l’on fait sortir le même poids qu’on aura fait entrer ?

Je ne propose mon amendement que par forme de transaction, et dans la crainte que celui de M. Pirmez ne soit rejeté. S’ils subissaient tous les deux le même sort, je n’hésite pas à dire, messieurs, que vous consacreriez une grande injustice.

M. Delehaye. - Il me paraît que le simple bon sens doit faire rejeter l’amendement. La loi a été faite dans l’intérêt du pays et pour favoriser les produits indigènes ; or, si nous admettons l’amendement de M. Lardinois, nos cloutiers vont user des fers étrangers de préférence. Cette raison seule suffit pour le faire rejeter.

M. Pirson vote contre l’amendement.

M. Leclercq. - Je ne rentrerai pas dans les raisons qu’on a fait valoir de part et d’autre pour et contre l’amendement ; mais je demanderai la permission à la chambre de répondre à quelques observations. Je déclare d’abord, contrairement à ce qu’on a dit, qu’il y a encombrement dans les fabrications de clous. C’est un honorable fabricant de Liége qui me l’a assuré. Ce citoyen loyal et désintéressé ne fait travailler ses ouvriers que pour leur donner des moyens d’existence.

On a dit que les clous de Liége ne s’exportaient pas en Allemagne. C’est une erreur. Il s’exportaient non seulement en Allemagne, mais encore en Danemark et même en Espagne et en Portugal.

Enfin, on a dit que la chambre de commerce de Liége avait déjà émis son avis sur la matière ; mais c’était dans un cas tout différent. Les petits fabricants de clous n’avaient pas fait de provision. Un capitaliste de Liége s’est associé avec eux, et a demandé à être dispensé du droit. C’est sur cela que la chambre de commerce de Liége a émis son opinion.

M. Seron. - Je n’ai pas dit que notre clouterie ne s’exportait pas en Allemagne et ne pouvait soutenir la concurrence étrangère ; j’ai dit tout le contraire.

M. Leclercq. - Mes deux autres observations n’en subsistent pas moins.

M. Jamme. - Messieurs, je suis fort satisfait que la discussion soit rouverte ; je n’avais vu qu’avec une vive peine, dans notre dernière séance, qu’une question d’un aussi grand intérêt ne fût pas assez approfondie.

Si je prends encore la parole, on sait que ce n’est pour aucun motif d’intérêt particulier ; je ne suis ni propriétaire en forges ni exploitant de houillères. Je ne ferai valoir non plus ni les intérêts des propriétaires de forges, ni ceux des fabricants de clous ; j’envisage la question avec l’importance qu’elle mérite ; je la considère comme une question d’intérêt général, comme une question d’existence pour plusieurs parties fort importantes de notre industrie.

Messieurs, l’état de gêne qu’éprouve notre forgerie, le défaut d’écoulement de ses produits, tient à une cause radicale, qui agira sans cesse et qu’il ne faut pas craindre d’avouer, puisque c’est peut-être le seul moyen de la sauver d’un état de décadence qui ira toujours croissant, si on n’avise à quelques moyens de salut. Les propriétaires d’usines les connaissent, ces causes : c’est à eux à y obvier, s’ils le peuvent, car la chose est loin d’être facile.

Cette cause, messieurs, est toute entière dans la différence du prix énorme du fer étranger avec le nôtre ; car, d’ailleurs, nos produits sont préférables aux produits anglais.

Le fer anglais vaut, comme je l’ai déjà dit, rendu au centre de la Belgique, le droit non compris, tout au plus la moitié du prix du nôtre. Les causes de ce bas prix, je les ai expliquées dès le premier jour de la discussion ; elles sont malheureusement trop vraies, elles seront permanentes malheureusement aussi, et elles sont de nature à causer des perturbations fondées sur l’avenir de nos exploitations du minerai de fer.

Je viens d’entendre dire, à propos des clous destinés à la marine, que le fer anglais ne pouvait convenir à la confection de ces clous. A cela je veux bien répondre encore : la marine anglaise est sans doute la plus importante qui existe, et je pense que l’on peut se dispenser de douter que les Anglais n’emploient que le fer de leur pays.

Le droit que l’on veut maintenir est de 6 fl. 60 c. sur une valeur de 7 fl. tout au plus que vaut le fer anglais en verges, rendu dans les ateliers des fabricants de clous.

Vous sentirez, messieurs, que ce n’est pas par la prohibition du fer anglais que vous sauverez nos forgeries ; vous les sauverez par la consommation intérieure. Mais comme cette forgerie produit quatre fois plus que les besoins ultérieurs, vous ne ferez que peu d’effet par cette prohibition. Et si décidément il n’existe pas de moyens de produire nos fers à meilleur compte, vous aurez tout à craindre de la concurrence étrangère, particulièrement pour les articles dans lesquels le prix de la main-d’œuvre et celui de notre industrie sont de peu de valeur : et la clouterie est dans ce cas, surtout les clous de grande dimension ; et précisément c’est qu’en cessant de nous demander ces clous de grande dimension, on cesse aussi de nous demander ceux de petite dimension, par la raison que les commandes de clous qui nous étaient faites de la Havane, du Brésil et du Portugal se faisaient par amortissements de grandeurs diverses, de sorte que, ne pouvant supporter la concurrence des Anglais, pour des clous de forte dimension, les étrangers, pour ne pas diviser leur demande, s’adressent pour la totalité de leurs besoins en Angleterre.

Nous seulement nous ne fournissons pas le fer de ces clous, mais nous nous privons de tous les bénéfices de la main-d’œuvre, et nous obligeons cette industrie à se transporter sur le sol étranger. Ce n’est pas, messieurs, en se refusant à voir le mal qu’on l’évite ; il est inutile de le voir, lorsqu’il est temps encore d’aviser aux moyens d’y obvier.

Si la loi doit être admise, je voterai pour un amendement quelconque qui ait pour objet le remboursement du droit. Je viens d’en déposer un moi-même sur le bureau, pour le cas où ceux déjà déposés seraient rejetés.

Mon honorable collègue, M. Pirson, pour affaiblir mes arguments, a dit, je pense, que je n’étais ni propriétaire de forges, ni fabricants de clous ; que je cherchais à m’éclairer. Mais je pris M. Pirson de me réintégrer dans ma qualité d’industriel, dont je me fais honneur.

(Moniteur belge n°186, du 18 décembre 1831) M. Zoude. - Messieurs, je repousse tout amendement au projet, d’abord parce que les restitutions de droit sont désastreuses au fisc, et qu’elles donnent toujours lieu à la fraude.

Je les repousse, parce que la clouterie a toujours prospéré sans loi exceptionnelle.

Je les repousse, parce que le prix du fer indigène a toujours permis et permettra toujours à la clouterie de soutenir la concurrence étrangère.

Je les repousse encore, parce qu’il est contraire aux principes d’une saine économie d’introduire des matières premières étrangères, lorsque le pays en produit surabondamment.

Je les repousse, à l’exemple de l’Angleterre et de la France qui, par un système protecteur, se sont élevées, et l’Angleterre notamment, au plus haut degré de prospérité et de puissance.

Je les repousse enfin, parce qu’à la veille de conclure un traité de commerce avec la France, la première condition sera de la garantir contre l’introduction des fers anglais.

Abordant le fond, je ne vous entretiendrai plus, messieurs, de l’importance de la forgerie, du nombre considérable d’ouvriers qu’elle emploie, de sa supériorité sur une industrie secondaire, qui utilise à peine un cinquième des bras de la forgerie.

Je ne suivra pas mes adversaires dans leurs calculs ; je me contenterai de leur aveu sur le salaire des cloutiers qui, disent-ils, est modique. Eh bien ! messieurs, dans le moment actuel nous avons trente mille bûcherons, la cognée sous le bras, invoquant du travail, et qui s’estimeraient heureux de gagner, en plein air, trempés de pluie, battus par la neige et la grêle, le même salaire dont jouit le cloutier, enfermé dans sa cabane.

Dans notre pays, il n’est plus question de proportionner le salaire à la dépense qu’exige l’existence de l’ouvrier, mais de procurer un emploi quelconque à la main-d’œuvre, quelle qu’en soit la récompense.

Eh bien ! ce salaire ne peut être procuré si la forgerie n’est pas soutenue.

Et ce que je viens de dire des ouvriers bûcherons s’applique aux nombreux exploiteurs de mines : ces mines, messieurs, que la Providence a enfouies presque partout à côté de nos forêts, qui sont régies par les mêmes lois qui les font prospérer, languissent et végètent ensemble.

Enfin, messieurs, en prononçant sur le sort de nos ouvriers, vous prononcerez encore sur le cinquième des propriétés qui couvrent le sol des provinces de Namur et de Luxembourg.

Vous prononcerez sur l’existence ou l’anéantissement d’un nombre considérable d’usines qui se sont élevées sous la protection des lois, et dont la valeur s’élève à plusieurs millions.

M. Fallon. - Messieurs, la décision que vous allez prendre est de la plus haute importance.

Il ne faut pas se faire illusion.

Si vous accueillez l’amendement, vous allez frapper de mort l’une des principales branches d’industrie nationale ; vous allez réduire à la misère et à la mendicité de nombreuses populations, et vous allez placer le pays dans un véritable état de crise.

La forgerie est le principal élément de vie de trois de nos provinces.

Tout l’entre Sambre et Meuse n’existe que par elle.

On vous a fait un tableau fidèle des nombreuses branches d’industrie secondaire que les hauts fourneaux mettent en activité, et, en vous faisant observer notamment que son état de souffrance s’était communiqué aux nombreuses propriétés boisées du Luxembourg, de Liége, de Namur et du Hainaut, on vous a dit une vérité qui réclame la plus sérieuse attention.

Pensez-y bien, messieurs, si vous enlevez la moindre chose à la forgerie dans la protection que la loi existante lui accorde, il faut renoncer à l’espoir de venir au secours des provinces qui réclament depuis longtemps contre la surcharge de l’impôt foncier.

Ce ne sera plus deux provinces dont il faudra nous occuper, ce sont les provinces boisées qu’il faudra considérablement dégrever.

Vous le savez, messieurs, il faut avoir payé la contribution foncière pendant dix à seize ans, suivant les localités, avant de jouir des fruits de la coupe ; et, si ce qui est arrivé cette année se perpétue (et c’est bien ce qui arrivera infailliblement, si vous retirez à la forgerie une protection dont elle n’a jamais eu plus besoin), la coupe de bois ne couvrira pas l’impôt foncier, les frais de garde et de repeuplement.

Vous avez déjà sanctionné ces vérités ; vous avez déjà reconnu qu’il était indispensable de maintenir la forgerie sous le régime de la loi du 1er mars.

C'est ce que vous avez fait en adoptant l’article premier du projet de votre commission.

Il s’agit maintenant de savoir si, par un article additionnel, vous allez détruire votre ouvrage, en insérant dans la loi deux principes opposés, qui, à la vérité, ne s’entredétruisent pas, mais dont l’un sera la destruction de l’autre.

En effet, vous ne pouvez pas accorder à la clouterie ce qu’elle vous demande, sans retirer à la forgerie ce que vous lui avez accordé, puisqu’en facilitant l’entrée du fer anglais, vous paralyserez nécessairement une grande partie de ses moyens.

Vous éviterez, sans doute, de revêtir la loi d’une contradiction aussi bizarre.

Mais il y a conflit, dit-on, entre les intérêts de ces deux genres d’industrie, et il faut bien le lever.

Ne nous faisons pas illusion, messieurs ; ce conflit n’existe réellement pas.

Mettons de côté, d’abord, cette doctrine de la liberté commerciale illimitée.

Il en est d’elle ce qui en est de la doctrine de la liberté politique illimitée des peuples.

Il est bon de vanter et d’exagérer même les avantages de ces doctrines ; il ne faut éviter aucun moyen de les propager. Mais, entre-temps que tout cela convienne à plus forts et plus puissants que nous, il faut faire ce que nous avons fort sagement fait.

Il faut attendre que nos voisins veuillent de cette liberté commerciale, comme nous avons attendu qu’ils veuillent bien un jour entendre la liberté politique illimitée autrement qu’ils n’en ont fait application à notre égard.

Il ne faut donc pas plus immoler notre commerce à cette théorie séduisante, que nous n’avons immolé notre espèce d’indépendance à l’idole d’une souveraineté populaire plus absolue.

Le point de doctrine hors de cause, que reste-il en faveur de la clouterie ?

Il nous reste des faits à apprécier.

La protection que nous venons d’accorder à la forgerie est préjudiciable, dit-on, à la clouterie.

Mais l’expérience donne un démenti formel à cette assertion.

Le tarif de la loi du 26 août 1822 frappait d’un droit d’entrée de fl. 4-25 les fers étrangers en verges, et depuis dix ans la clouterie est restée en pleine santé.

Lorsqu’il s’est agi de la loi du 1er mars, la clouterie est intervenue, non pas pour demander une réduction sur ce droit d’entrée dont elle s’était accommodée depuis si longtemps, mais tout simplement pour demander qu’il ne fût pas augmenté, faisant valoir alors tous les arguments dont elle use encore aujourd’hui.

Vous avez fait alors justice de ses réclamations, et il y a eu un excédant de droit d’entrée de fl. 1-75.

Depuis lors elle a continué à marcher comme ci-avant, et il est à remarquer qu’aucune plaine, qu’aucune réclamation n’a été faite depuis.

Or, voyez jusqu’où les illusions de doctrine poussent l’exagération !

Aujourd’hui, la clouterie ne peut plus vivre, ni avec l’ancien tarif, ni avec le nouveau. C’est la liberté illimitée qu’il lui faut : car, sans doute, restituer à la sortie tout ou partie du droit payé à l’entrée, c’est bien, en fait, exempter le fer anglais de tout droit, ou en faciliter au moins l’entrée.

Cette exagération démontre déjà suffisamment que ce n’est pas une protection que l’on réclame, mais l’application du principe de liberté illimitée, « quand même. »

Il faut favoriser, dit-on, ceux qui se servent du fer forgé comme matière première ; et le fer anglais se vend à moindre prix.

La réponse à l’objection ne se fait pas attendre.

Lorsque le pays peut tirer de son sein et livrer cette matière première, c’est un contresens que de permettre que l’étranger la fournisse à nos dépens, même alors qu’il peut la livrer à moindre prix.

L’avantage immense de mettre au jour nos richesses souterraines, en procurant en même temps les moyens d’existence à une portion considérable de nos concitoyens, compense largement le léger sacrifice que la prohibition peut exiger des consommateurs.

Au surplus, quand il serait aussi vrai qu’il n’est nullement démontré que la loi du 1er mars eût été préjudiciable à la clouterie, d’autres considérations, également puissantes, viendraient encore imposer silence à ses doléances.

En conflit avec la forgerie, la proportion d’intérêt est tout au plus de 1 à 10 ; et, par conséquent, si l’une des deux industries doit souffrir, le choix n’est pas douteux.

D’un autre côté, si elle se trouve contrarié par là qu’elle ne peut avoir le fer anglais en exemption ou diminution du droit d’entrée, l’intérêt général et bien entendu de l’Etat demande qu’on se garde de l’écouter trop favorablement.

Ce sera le moyen de la faire sortir de ses anciennes habitudes : car ce n’est précisément qu’alors qu’elle ne pourra plus aisément se servir du fer anglais, qu’elle trouvera le moyen d’employer exclusivement le nôtre, dont la qualité est incontestablement supérieure ; et si c’est du mauvais fer qu’il lui faut, notre forgerie ne tardera pas de la satisfaire dans les nouveaux établissements qui vont travailler au charbon de terre, et dont la clouterie vous demande la ruine.

Du reste, le système seul de l’amendement devrait le faire repousser.

On ne détermine pas la dimension, la largeur ni l’épaisseur de la verge de fer, de manière que, cette dimension étant livrée à l’arbitraire, il entrera des verges qui pourront servir à tout autre usage qu’à la fabrication des clous ; et le trésor restituera ainsi ce qu’il n’aura pas reçu.

D’un autre côté, quelle garantie aura-t-on que la restitution se fera sur des clous fabriqués avec le fer anglais ?

Aucune, puisque la clouterie n’emploie ce mauvais fer que pour une espèce de clous, et qu’il sera impossible de constater à l’exportation si les clous fabriqués proviennent du fer indigène ou du fer étranger.

Après avoir reçu le fer anglais, on l’introduira frauduleusement en France où il sera reçu avec primes pour les fraudeurs, et on se fera restituer le droit à la sortie de nos propres fers convertis en clous.

Voilà encore subsidiairement de graves inconvénients, qui s’opposent dans tous les cas à l’adoption de la mesure qui d’ailleurs, pour être juste devrait s’étendre à tout autre genre d’industrie qui s’alimentât de fer forgé, et en multiplierait l’abus.

(Moniteur belge n°182, du 14 décembre 1831) M. Barthélemy présente à la chambre diverses observations sur la clouterie, et dit qu’en suivant ce qu’on a fait en 1822, on ne risque pas de nuire à ce genre d’industrie, parce que, sous le régime du tarif de 1822, elle a été portée à un haut point de prospérité.

M. Angillis. - Il est de principe que, lorsqu’un pays a par lui-même assez de matières premières, il ne laisse pas l’entrée franche aux matières étrangère. La question se réduit donc à savoir si le fer de la Belgique est propre à la clouterie. Eh bien ! cette question a déjà été traitée aux états-généraux, et l’affirmative a été suffisamment démontrée. C’est d’après ces considérations que je vote contre l’article additionnel.

M. Dumont. - Si l’amendement n’est pas adopté, nous n’exporterons pas de grands clous. Eh bien ! il s’agit de savoir si nous voulons attirer chez nous une nouvelle main-d’œuvre, c’est-à-dire la fabrication de grands clous pour l’exportation. Il me paraît que c’est là qu’est la question.

L’orateur appuie son opinion de diverses observations.

M. Leclercq dit que, si le commerce du fer indigène ne s’est pas amélioré, mais au contraire empiré, cela provient de circonstances malheureuses, et non pas du tarif. En conséquence, il ne faut pas changer ce tarif.

M. Dumortier. - Messieurs, ce n’est pas sans crainte que j’aborde une question de si haute importance ; car en matière d’industrie, il ne faut se prononcer qu’avec la plus grande circonspection. A propos du projet de loi qui vous est présenté, j’ai entendu défendre des maximes tout à fait différentes, et qui peuvent avoir une grande influence sur vos futures décisions, relativement au commerce et aux manufactures. Les uns veulent la liberté illimitée du commerce, les autres un système prohibitif, et ces deux systèmes sont préjudiciables à l’industrie, mais surtout celui de la liberté limitée que l’on cherche à faire prévaloir. La seule méthode réellement avantageuse, celle que j’appellerai rationnelle, doit se prêter aux besoins du commerce et des manufactures, et donner à celles-ci précisément ce qui leur est indispensable pour subsister. Par là l’industrie se perfectionne lentement, mais elle le fait à pas sûrs, et sans ces secousses violentes toujours si préjudiciables au pays. S’il fallait citer un exemple à l’appui de ce que j’avance, je vous rappellerais ce qui s’est passé en France et en Belgique après 1814. Jusque-là l’industrie des deux pays était restée stationnaire par suite de la guerre continuelle ; en France et en Belgique elle était au même niveau : l’avantage, s’il y en avait un, était en notre faveur. Après la séparation, les deux gouvernements adoptèrent chacun un système diamétralement opposé. La France prit des mesures protectrices qui se rapprochaient, en beaucoup de choses, du système prohibitif ; la Belgique, au contraire, adopta le système de liberté illimitée. En France, le perfectionnement se fit lentement ; mais il marcha à pas sûrs et sans aucune secousse violente. En Belgique, au contraire, la crise fut terrible, la banqueroute générale, et presque toutes les principales fabriques furent ruinées sans pouvoir se relever. Vous voyez, messieurs, combien il est essentiel de se méfier de ces idées séduisantes de liberté illimitée du commerce, idées que je vois avec peine se développer parmi cette assemblée.

Ce qui rend aujourd’hui la question difficile, c’est que deux industries sont en présence avec des intérêts opposés. Ce que nous devons chercher avant tout, c’est le plus grand intérêt de la Belgique. Or, cet intérêt ne peut être atteint dans la fabrication des fer qu’au moyen d’un droit d’entrée ; vous ne pouvez donc vous refuser de l’accorder, mais en le pondérant de telle manière qu’il ne soit pas préjudiciable aux autres branches d’industrie, et qu’il soit favorable aux progrès de l’exploitation des mines. Quels sont ceux qui vous demandent aujourd’hui des avantages ? Sont-ce les fabricants de clous ? Non, sans doute : ce sont donc les fabricants de fer, et vous ne pouvez vous empêcher de le leur accorder. Mais il serait contraire à tout principe d’équité de rendre les fabricants de clous victimes d’un avantage accordé aux fabricants de fer. J’ai écarté l’amendement de M. Pirmez, parce qu’il constituait un monopole en faveur des gros fabricants, et je m’oppose à ce qu’il soit reproduit ; mais j’accepterai volontiers l’un de ceux qui vous sont proposés, pourvu que le trésor ait des garanties telles que la restitution du droit ne devienne pas une prime d’exportation. Je vous l’avoue cependant, les amendements qui vous sont proposés ne présentent pas cette garantie d’une manière satisfaisante. Je désirerais que les fers étrangers, nécessaires à la fabrication des clous, fussent pris en charge à l’entrée. Par là, sans nuire au trésor, on laisserait à cette branche d’industrie tous les avantages qu’elle peut raisonnablement désirer, et la fabrication du fer n’aurait aucune plainte à élever.

M. Legrelle. - J’ajouterai à ce qu’on vous a dit que la Hollande vient de diminuer considérablement le droit sur les fers, afin d’attirer chez elle des ouvriers cloutiers.

M. Devaux. - Je suis aussi d’avis, messieurs, que l’on ne doit se prononcer qu’avec beaucoup de circonspection en matière d’industrie, et surtout qu’on ne doit pas poser en principe absolu les deux principes qui sont aujourd’hui les plus controversés, je veux dire la liberté du commerce et le système prohibitif. Quant à moi, je ne veux pas de loi rétrograde ; or, celle de l’année dernière était rétrograde. Nous avons déjà sacrifié les intérêts des fabricants de fer et des consommateurs, et ceux des cloutiers, sur les marchés étrangers. Il me semble que voilà assez de sacrifices comme cela. Je voterai donc pour un amendement quelconque qui rassurera les intérêts des cloutiers.

M. A. Rodenbach. - Messieurs, partisan d’une liberté sage en matière d’industrie, je me proposais de voter en faveur de l’amendement de mon honorable collègue M. Lardinois ; mais une conversation que j’ai eue avec un grand fabricant de clous m’a fait changer d’opinion. Je demandais à cet industriel si, sous le précédent gouvernement, il employait beaucoup de fer anglais pour le confectionnement des clous : il me répondis « fort peu. » J’en tire la conséquence que puisqu’on ne faisait que très peu d’usage du fer exotique, lorsqu’il n’était imposé que de 4 fl. 25 c. les 100 kilog., on ne pourra pas l’employer beaucoup maintenant pour la fabrication des clous, puisque l’amendement de M. Lardinois n’accorde que 3 florins d’exportation par 100 kil. de clous fournis à l’étranger. Au surplus, ce n’est qu’une loi transitoire, et le ministère nous a promis que sous peu une révision générale du tarif de douanes aurait lieu. Je le désire ardemment, d’autant plus que l’on vient de nous prouver que le fer anglais, vendu dans l’entrepôt d’Anvers, ne doit coûter que 7 florins, tandis que le fer indigène se vend 14 florins. J’en conclus que le gouvernement doit examiner avec infiniment de prudence cette branche d’industrie, qui n’est pas poussée dans notre pays à un très haut degré de protection, attendu que notre maître de forges doivent vendre à un prix aussi exorbitant.

L’honorable représentant de Tournay, M. Dumortier, nous a parlé de la détresse et de l’anéantissement de nos fabriques de coton en 1815, 1816 et 1817 ; je répondrai à ce député que cela n’était que momentanément, mais que la nécessité, ce grand maître, a forcé les fabricants de coton, de Gand et ailleurs, à perfectionner considérablement leurs tissus et leurs filatures, afin de pouvoir soutenir la concurrence avec l’étranger. Cette crise commerciale et manufacturière, loin d’avoir été fatale à la Belgique, lui a été au contraire avantageuse, en ce que le perfectionnement de nos machines et l’amélioration de la main-d’œuvre en sont résultés.

Enfin, il est plus que probable que, si nous ne favorisons pas les maîtres de forges, ils perfectionneront leur industrie, et une concurrence mesurée produira une diminution dans leur prix et le perfectionnement du fer.

M. Barthélemy. - Messieurs, M. Dumont a avancé un fait auquel je dois répondre. Il a dit qu’en 1814 un grand nombre de cloutiers avaient émigré en France. Il aurait fallu, en annonçant ce fait, et avant d’en tirer les conséquences qu’il en a déduites, faire connaître les causes de ce fait. Il est bien vrai que les ouvriers cloutiers ont émigré en 1814 ; c’est parce que le canton de Couvin avait été détaché de la Belgique et attribué à la France. Comme dans ce canton se trouvait le meilleur minerai, et qu’en France les bois étaient à bon marché, les ouvriers cloutiers s’y rendirent ; mais en 1815, les alliés nous ayant fait rendre le canton de Couvin, les ouvriers revinrent.

Quant à ce qu’on a dit de la concurrence à soutenir avec les marchés extérieurs, je dirai que tous ces systèmes de marchés intérieurs et extérieures me paraissent impraticables. Il faudrait, avec ce système, aller chercher des blés en Pologne ou à Odessa ; là, ils ne valent que 3 fl. l’hectolitre, et il est clair qu’il y aurait avantage pour les consommateurs. C’est ce qu’on nous proposait en 1814, quand je fis une propositions sur les céréales. On nous disait : « L’intérêt du pays est d’avoir la main-d’œuvre à bon marché, pour faire prospérer les établissements industriels. Prenez du blé chez l’étranger, et abandonnez votre agriculture. » Heureusement on n’en a rien fait.

Les partisans de l’amendement n’ont pas répondu à une observation que j’ai faite. J’ai dit que, depuis 1822 jusqu’en 1830, on avait marché avec le même tarif ; que cependant la clouterie n’avait pas cessé de prospérer dans cet espace de temps. Pourquoi ? Parce que nous avions le fer nécessaire à la clouterie, et que nous avons écarté les fers étrangers ; c’est encore parce qu’en 1822 on calcula ce que coûtait le fer en Belgique, ce qu’il coûtait en Angleterre, et que le taux du tarif fut basé sur la différence. Ainsi l’avantage fut maintenu à la Belgique. Aujourd’hui les choses sont changées. L’Angleterre a fait fabriquer une énorme quantité de fers ; embarrassée de sa marchandise, elle veut s’en défaire à tout prix : voilà ce qui renverse votre tarif. Mais cet état de choses n’est que momentané, et il a fallu y parer par la loi qu’on vous a proposée et qui a été votée l’an dernier. C’est la raison qui la fit appeler une loi de circonstance. Mais quand l’Angleterre aura écoulé ses produits, elle modérera sa fabrication pour ne pas retomber dans les embarras où l’a jetée l’excès de sa population.

M. Lardinois soutient que la clouterie ne prospère qu’en apparence, quoiqu’on en ait dit. Car s’il est vrai qu’il y ait quelque activité dans cette partie, ce n’est que par la réduction excessive du salaire qu’on a obtenu ce résultat. Les ouvriers ne gagnent, dit-il, que 4 fl. 75 cents en 15 jours : aussi, depuis un an, le quart de ces ouvriers ont enjambé la frontière, et sont allés s’établir en France. L’orateur persiste dans son amendement, qu’il soutient devoir être favorable aux mineurs et aux forgerons, aussi bien qu’aux cloutiers.

M. Ch. Vilain XIIII. - Messieurs, je n’entrerai pas dans le fonds de la discussion, parce que la matière m’est étrangère, et je craindrais d’avancer des choses inexactes ; mais un des préopinants a basé son raisonnement sur des faits qui méritent une réponse. M. Dumortier a soutenu que ce qui avait fait crouler nos fabriques en 1814, c’était la différence du système de douanes, la France ayant adopté le système rationnel, et la Belgique le système de liberté. A mon avis, c’est une erreur. Avant 1814 les fabriques de la Belgique avaient prospéré, parce qu’elles avaient un immense débouché ; elles avaient, pour s’écouler, les marchés de la France, et de la France telle qu’elle était alors, un empire immense. Quand la séparation fut consommée, nos fabriques s’écroulèrent, il est vrai, et celles de France ont subsisté : ce n’est pas par ce point de départ qu’il faut raisonner aujourd’hui. Faites, au contraire, la comparaison des fabriques qui ont subsisté et de celles qui s’étaient écroulées. Voyez ce qu’étaient les unes et les autres en 1830 : convenez que les fabriques belges avaient un immense avantage. C’est que nos industriels ont été obligés, pour soutenir la concurrence, de lutter avec l’Angleterre et de suivre tous les progrès que l’industrie a faits pendant quinze ans. Je me contenterai de citer la ville de Verviers ; à quel degré de perfection la fabrique des draps n’y est-elle pas arrivée ? Si la crainte d’une guerre européenne a été la cause principale du refus de la France de nous réunir à elle, il est permis de croire que la crainte de voir tomber les fabriques d’Elbeuf, Louviers et Sedan y est aussi entrée pour beaucoup.

M. Gendebien. - Personne ne conteste que nous possédons la qualité de fer propre à la clouterie ; seulement on soutient que le prix de nos fers indigènes est trop élevé pour soutenir la concurrence à l’étranger en faveur de nos clous ; on en conclut, messieurs, qu’il faut restituer, à la sortie des clous, le droit payé sur les fers étrangers employés à leur fabrication.

C’est donc une prime qu’on demande en faveur des cloutiers. Eh bien ! j’y consens ; mais je ne puis accorder celle qu’on propose, parce qu’elle est en résultat une prime en faveur des fers étrangers, au détriment des fers indigènes, plutôt qu’en faveur des cloutiers.

En effet, messieurs, en ne restituant que ce qui a été payé à l’entrée des fers étrangers, on leur accorde pour la fabrication des clous une prime sur nos fers indigènes, qui ne pourront plus désormais y être employés.

Voulez-vous encourager la fabrication des clous ? Eh bien ! accordez à l’exportation une prime sans distinction d’origine du fer qui aura été employé pour cette fabrication : de cette façon, les cloutiers y trouveront leur compte, et les maîtres de forces n’y perdront pas ; ils n’auront pas à lutte contre une prime que vous accorderiez au fer étranger, qui ne s’infiltre que trop dans tous les genres de consommation.

Je voterai donc contre l’amendement de M. Lardinois et contre tous les amendements de cette nature ; ; mais je déclare que je suis prêt à voter une prime d’exportation en faveur de la sortie des clous, qu’ils soient fabriqués avec des fers indigènes ou avec des fers étrangers. De cette manière on ne sacrifiera pas les cloutiers à la forgerie, mais aussi on ne sacrifiera pas les forgeries indigènes aux forgeries étrangères, qui seules profiteraient de la restitution des droits.

Quant aux chances de fraude, j’abandonne à l’administration des douanes le soin d’y pourvoir. Pour moi, il me semble que c’est chose facile ; il suffira de n’accorder la prime de sortie que sur des quantités telles qu’elles ne puissent être l’objet d’une exportation simulée ou d’une réimportation frauduleuse.

M. Dumont. - Messieurs, je demande la parole pour répondre à l’honorable M. Barthélemy. J’ai cité un fait qui a eu lieu en 1814, et je l’ai fait dans le but de prouver que le danger que j’avais signalé n’était pas imaginaire. M. Barthélemy m’a dit que je m’étais trompé sur les causes du fait. Je dirai d’abord que je ne m’étais pas occupé des causes. Je conviens que l’émigration qui a commencé en 1814 avait pour cause la réunion à la France du canton de Couvin ; mais en 1815, et après que ce canton nous eût été rendu, l’émigration a continué, et M. Barthélemy se tromperait fort s’il croyait que la clouterie française n’y a pas gagné. Il pense peut-être que les clouteries de Valenciennes, Maubeuge et Charleville sont tombées ; il se trompe. Qu’il prenne des renseignements, il verra que ces clouteries sont en pleine activité.

L’orateur conteste que la clouterie ait été dans un état prospère depuis 1822 ; il soutient qu’elle a constamment été en souffrance depuis la séparation de la France et de la Belgique, et il fait remarquer que son état s’empirera si elle est réduite à la consommation intérieure.

Il combat ensuite l’opinion de M. Gendebien, qui voudrait que l’on accordât une prime à l’exportation. Ce serait, dit-il, ajouter une prime, car le projet en établit déjà une au préjudice du consommateur et du contribuable.

L’orateur termine en faisant remarquer que l’objet en discussion devrait être l’objet d’une enquête, pour que la chambre pût décider en parfaite connaissance de cause ; il faudrait au moins deux mois pour faire cette enquête, et on pourrait trouver trop long l’ajournement de la discussion à deux mois : il se borne, en conséquence, à demander l’ajournement à quinzaine, parce que, pendant ce délai, des lumières pourront arriver à la chambre pour éclairer la discussion.

M. le ministre des finances (M. Coghen) déclare que, malgré l’adoption de l’article premier, il ne pourrait consentir à l’amendement qu’après qu’une enquête sévère en aurait prouvé la nécessité. Dans l’état actuel des choses, il s’oppose à son adoption.

M. Dumortier. - Messieurs, j’appuie l’ajournement qui vous a été proposé par l’honorable M. Dumont. La question qui vous est soumise est de la plus haute importance ; elle est vitale pour deux branches d’industrie qui ont des intérêts directement opposés, et qui toutes deux occupent un grand nombre d’ouvriers. Il serait dangereux de prendre une détermination définitive sur un objet aussi grave, et qui peut compromettre l’existence d’une foule de pères de famille.

L’honorable M. Gendebien a proposé d’accorder des primes d’exportation sur les clous ; je ne puis adhérer à cette proposition. Le système de primes d’exportation, tout en favorisant l’état de stagnation de l’industrie manufacturière, est infiniment préjudiciable au trésor. Par lui, les particuliers, qui souffrent déjà de ne pouvoir se procurer au prix de l’étranger les denrées que notre sol ne produit qu’à un taux plus élevé, doivent encore payer des impôts pour favoriser une branche d’industrie. C’est une erreur bien grave de confondre les primes d’exportation avec la restitution du droit d’entrée sur les marchandises qui ont reçu une manutention dans le pays. Autant ce dernier système est avantageux à l’industrie, autant le premier lui est préjudiciable. Pour moi, je ne conçois de primes d’exportation que dans des moments extrêmes, et alors seulement qu’il est momentanément nécessaire de soutenir une branche d’industrie dans une crise accidentelle : hors de là, je ne puis les accueillir.

Il m’est impossible, messieurs, de passer sous silence la réponse que m’a faite l’honorable M. Ch. Vilain XIIII, à propos de ce que j’avais dit de l’état où la liberté illimitée du commerce avait placé le pays dans les premières années du gouvernement hollandais. Il nous a dit que la crise qui eut lieu à cette époque était due au défaut de débouché. Mais ignore-t-il que nous avions alors les mêmes débouchés que nous avons eus depuis ? Ignore-t-il que notre industrie allait toujours en décroissant jusqu’à ce que le gouvernement ait senti la nécessité d’abandonner ce système destructif pour en adopter un plus convenable à nos intérêts ? Rappelez-vous, messieurs, les vives réclamations qui furent faites alors de toutes parts contre le système de liberté illimitée que la Hollande voulait faire prévaloir. Rappelez-vous le brave et malheureux Vanderstraeten, qui mourut en prison pour avoir montré où nous menait l’entêtement du gouvernement hollandais. Rappelez-vous surtout l’état de banqueroute qui fut le résultat de ce funeste système, et qui ruina chez nous toute espèce d’industrie. Ce n’est donc pas sans une vive douleur que j’ai entendu préconiser ici un système dont nous avons ressenti si profondément les coups.

On vous a dit que, si l’on compare l’état des fabriques de la Belgique et de la Hollande en 1830, les nôtres étaient infiniment plus avancées. Le fait n’est pas exact : l’ensemble de l’industrie présentait, chez nos voisins et chez nous, les mêmes progrès à bien peu de choses près, et si l’industrie était plus perfectionnée en Belgique, cela tient au caractère de la nation, qui est essentiellement industrielle, mais nullement à un système qui n’avait procuré que des ruines. Voilà cependant que l’on vient vous dire qu’un avantage immense est dû au système de liberté illimitée ! Quel avantage, grand Dieu ! que celui de la ruine et de la banqueroute du pays, que celui qui réduisit pendant plusieurs années la population à la plus affreuse misère !

Messieurs, tant que j’aurai l’honneur de siéger dans cette enceinte, je ne cesserai de vous le répéter : profitez des leçons de l’expérience, et surtout évitez ces funestes doctrines d’économie politique, ces doctrines subversives de toute espèce de prospérité industrielle, et dont l’adoption ne pourrait que causer les plus vives perturbations, les plus grands maux au pays.

M. Osy. - Je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion ; mais après ce que je viens d’entendre, il m’est impossible de ne pas dire quelque chose. C’est par la séparation de la Belgique et du grand empire français que notre industrie a souffert ? Mais, avec les débouchés qui nous ont été ouverts, vous avez vu où nos fabriques sont allées. Il y a eu des faillites en 1814 ; mais elles n’ont pas été produites par la séparation, mais de ce que des maisons de commerce avaient une grande quantité de denrées coloniales dont le prix fort élevé tomba d’un coup, après la chute du système qui en avait fort exagéré la valeur. L’orateur termine en disant qu’il n’est pas partisan du système répressif, mais qu’il ne voudrait pas non plus admettre tout d’un coup le système contraire. (Aux voix ! aux voix !)

M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande la parole. (Non ! non ! Aux voix ! aux voix !) Pour un mot, rien qu’un mot, un seul mot. (Le silence se rétablit.) L’honorable M. Dumortier a prétendu à tort que j’étais partisan du système de liberté illimitée. Je n’ai défendu que le tarif de la Belgique. Je suis fâché d’avoir causé une si profonde douleur à M. Dumortier… (Rires et murmures. Agitation.)

M. Dumont dépose un amendement tendant à faire ajourner la discussion à quinzaine, ou, si l’assemblée voulait revenir sur l’article premier, à faire déclarer que la loi ne sera exécutoire que jusqu’au 31 mars prochain, au lieu du 31 décembre 1832.

M. Pirson. - Si on consent à revenir sur l’article premier, je demande qu’au lieu du 31 mars on dise que la loi sera exécutoire jusqu’à la présentation du tarif. (Réclamations nombreuses.)

M. Poschet fait remarquer que les approvisionnements de bois sont faits pour une année, qu’il faut par conséquent laisser l’article premier tel qu’il est. Si les fabricants ne sont pas certains que la durée du tarif n’ira pas jusque-là, ils ne feront pas d’approvisionnements de bois, et les ouvriers se trouveront sans travail. (Aux voix ! aux voix !)

M. Jamme. - Je demande la parole ; (Non ! non ! Aux voix ! aux voix !)

M. Poschet. - M. Jamme a déjà parlé cinq fois. (On rit.)

M. Jamme fait de vains efforts pour obtenir la parole ; les cris « aux voix ! » l’empêchent de se faire entendre.

- On met successivement aux voix les deux parties de l’amendement de M. Dumont ; elles sont rejetées.

La deuxième l’a été après une épreuve douteuse, qui a nécessité un appel nominal dont le résultat a été 41 voix contre et 26 pour.

Les amendements de MM. Lardinois et Jamme sont ensuite mis aux voix l’un après l’autre, et rejetés.

Article additionnel

M. Lebeau propose une disposition additionnelle ainsi conçue :

« Lors de la révision générale du tarif, il pourra être dérogé à l’article premier de la présente loi en ce qui concerne le terme de sa durée. »

- Cet amendement est adopté après une assez vive discussion, à laquelle ont pris part M. Pirson, M. Barthélemy et M. Poschet contre l’amendement, et M. Devaux, M. Dumont, M. Rogier, M. Lardinois et M. Leclercq pour.

Projet de loi autorisant le gouvernement à négocier un emprunt de 48 millions de florins

Mise à l'ordre du jour

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre un projet d’emprunt dont je désirerais que la chambre s’occupât le plus tôt possible. Des étrangers doivent s’aboucher avec pour moi la négociation de cet emprunt, et ils doivent se rendre à Calais pour cela. Tant que la loi ne sera pas votée, il me sera impossible de m’y rendre. Je désirerais que la chambre s’occupât demain de la discussion de ce projet.

M. Gendebien. - Il n’y a aucune considération qui soit en droit de nous faire dévier de la marche ordinaire. Il s’agit de faire supporter au peuple une charge de 48 millions ; la somme vaut la peine qu'on l’examine mûrement. Que des étrangers doivent se rendre sur un point quelconque de la Belgique ou d’un pays voisin peu importe. L’appât du gain, s’ils s’y rendaient vainement une fois, les y ramènerait, soyez-en bien sûrs. Ce n’est donc pas d’eux que nous devons nous inquiéter, ; mais du peuple qui doit payer.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Il ne s’agit pas d’un impôt de 48 millions à imposer au peuple, mais de faire en sorte de payer nos dettes.

M. Pirson ne pense pas que l’on doive se presser de contracter un emprunt, parce que si la paix, après laquelle semblent soupirer toutes les puissances de l’Europe, a lieu, les circonstances deviendront de plus en plus favorables pour contracter l’emprunt ; il cite pour exemple les bons de l’emprunt de 12 millions, qui étaient à 83 il y a quinze jours, et qui sont maintenant à 96. Si les prêteurs offrent aujourd’hui 85, comme on me l’assure, dans quinze jours peut-être ils offriront 90.

M. Barthélemy. - Messieurs, il n’y a pas de meilleur moyen pour faire périr une nation que de lui couper les vivres. Il est certain que ce qu’on vous demande est pour remplir des engagements contractés. Nous avons les deux emprunts déjà faits à rembourser l’année prochaine, et avec nos revenus la chose est impossible. D’un autre côté, quand le traité de paix sera ratifié, nous aurons à payer 8,400,000 fl. à la Hollande ; je ne connais donc rien de plus urgent que d’aviser au moyen de remplir nos engagements. Payons nos dettes, voilà ce qu’il y a de noble et de digne pour une nation. Vous savez que nous avons ouvert des crédits au département de la guerre, et qu’il n’y a des fonds que jusqu’au 1er janvier. A cette époque, il faut de toute nécessité en trouver d’autres. Je le répète, le meilleur moyen de faire périr une nation, c’est de lui couper les vivres ; mais il faut des fonds pour le 1er janvier. Si, à cette époque, vous n’en avez pas pour assurer la marche des affaires, vous périrez.

- Le ton sur lequel l’orateur dit ces derniers mots excite une hilarité générale et prolongée.

M. Fallon. - Tout le monde est d’accord sur la nécessité de contracter un emprunt ; mais pour éclairer la religion de la chambre, il avait été convenu que l’on ferait d’abord imprimer le budget des voies et moyens.

M. le président. - Il y a une demi-heure que ces imprimés nous sont parvenus ; ils seront distribués dans la soirée.

M. Lardinois. - Il y a deux manières de faire périr une nation, c’est de lui couper les vivre et de la surcharger d’impôts. Je ne vois rien d’urgent à négocier un emprunt, car ce n’est qu’en 1833 que nous devons rembourser les deux premiers. Dans tous les cas, un délai de quelques jours ne fera pas échouer l’emprunt, et ce délai peut être fort utile à la chambre pour voter en connaissance de cause.

M. Delehaye. - Si vous ne vous hâtez pas de contracter un emprunt, vous resterez dans le système des crédits provisoires.

M. Devaux. - Chacun sent l’urgence de s’occuper de ce projet de loi. Je demande que, sans fixer de jour, on s’en occupe dans les sections avant tout autre chose.

- L’assemblée décide qu’elle s’occupera du projet dans les sections.

La séance est levée à 4 heures et demie.