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« La Belgique morale et politique (1830-1900) », par Maurice Wilmotte
Paris, Armand Colin, 1902
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(page
147) On a, dans les pages qui suivent, tenté de décrire l’évolution morale
et politique du pays belge entre 1880 environ et 1900. C’est donc moins
l’histoire d’un parti que le tableau d’une vie nationale. Sinon, eût-il été
logique, eût-il été légitime de réserver à la seconde partie de cette étude
l’exposé des conflits de race, qui remontent, dans leurs lointaines racines,
aux débuts du siècle passé, et celui d’une expansion coloniale, qui était,
avant 1876, dans la pensée de Léopold II ?
Ce qu’on ne peut contester, c’est que
la Belgique a donné, de 1884 à 1902, le spectacle d’une activité intellectuelle
et matérielle plus grande et plus féconde. Elle a, dans cet espace de temps,
renouvelé son outillage industriel, organisé une colonisation, poussé son
développement artistique dans des voies insoupçonnées. Elle a aussi connu (page 148) l’aggravation d’un malaise
social, qui a été la rançon douloureuse d’une prospérité économique sans
précédents. Et c’est après 1886, à la lueur des incendies de l’émeute
triomphante, que ses gouvernants se sont, enfin, préoccupés d’une intervention
plus directe en faveur des ouvriers manuels et que toute une législation de
fabrique et d’atelier a été décrétée, sans préjudice des participations
individuelles, dictées par la foi ou un pur instinct de solidarité entre les
hommes.
Rapporter ce grand œuvre à un seul
parti, serait méconnaître à la fois les enseignements historiques et la réalité
des faits. L’histoire nous dit que rien ne s’accomplit de grand dans une nation
sans le concours de toutes les volontés. Les faits, en Belgique, prouvent que
les initiatives publiques ou privées des catholiques, pour intelligentes et
multiples qu’elles soient, avaient été préparées, et comme secondées à
l’avance, par les initiatives libéralisme. Celui-ci, plus respectueux de la
liberté individuelle, n’en avait pas moins tendu à donner à ce nouvel Etat,
dont les destinées lui appartinrent, on l’a vu, pendant cinquante ans, la
conscience nette de son unité et de sa mission civilisatrice.
Déjà Charles Rogier avait prévu que
son pays serait une démocratie, et il n’avait nullement craint (page 149) de proclamer qu’il faudrait,
tôt ou tard, lui concéder les droits politiques d’une démocratie ; il avait
proclamé, avec non moins d’énergie, qu’il était dans les nécessités de l’avenir
de renforcer encore la puissance et le domaine de l’Etat, d’en faire le
dépositaire de l’épargne publique, d’assurer par lui le crédit et de lui
concéder peu à peu la possession exclusive des chemins de fer, et peut-être
celle des mines. Une part importante du programme socialiste est enfermée dans
une formule comme celle-là : le gouvernement catholique n’a pu jusqu’ici, étant
conservateur et modérateur d’essence, le réaliser dans sa plénitude.
Il faut donc remonter au libéralisme
d’avant 1884, et peut-être d’avant 1870, pour s’expliquer l’enfantement
démocratique de cette fin de siècle en Belgique. Il le faut plus encore pour
rendre compte de la régénérescence intellectuelle, qui a donné aux lettres de
ce pays. Albert Giraud, Emile Verhaeren, Edmond Picard et Camille Lemonnier, à
la littérature française Maurice Maeterlinck. Le déclin politique du
libéralisme ne prouve rien contre sa force morale de propulsion ; il prouve
simplement qui est devenu - en Belgique comme ailleurs - inopérant comme
formule gouvernementale. Au contraire, comme tendance individualiste, il n’a
été aussi actif et aussi fécond qu’après sa (page 150) défaite. Car rien n’est plus individualiste que la
littérature ni que l’industrie. Et les deux grandes nouveautés belges de 1880 à
1900, c’est un bel épanouissement littéraire et artistique, et c’est une
expansion industrielle, qui a été si large et puissante qu’elle a porté le nom
belge en Russie, aux Etats-Unis, dans l’Empire du Milieu et qu’aux confins du
monde habité. (Mon
incompétence me fermait les abords du domaine industriel. Mais, entre vingt
publications qui le concernent, je signalerai celle de M. Ed. Deiss, Etudes
sociales et industrielles sur la Belgique, Paris et Bruxelles, 1900.)