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d’intention
« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome : Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
TROISIEME.
CONCLUSION
La joyeuse entrée des souverains des anciens Pays-Bas catholiques
(page 352) L'inauguration imposée au
premier roi des Belges dérivait d'une des plus anciennes et des plus nobles
traditions du pays. C'était la joyeuse entrée, contrat synallagmatique entre le
souverain et le peuple, garantie efficace contre les abus et les violences de
la domination étrangère. Dans toutes les provinces qui composaient autrefois
les Pays-Bas catholiques, le souverain recevait, lors de son inauguration, le
serment des peuples représentés par les états, et il leur en prêtait un de son
côté, par lequel il promettait, en général, qu'il les gouvernerait comme un bon
et loyal seigneur, et qu'il conserverait leurs privilèges, leurs coutumes et
leurs usages. Dans le Brabant, le duc autorisait même les citoyens à lui
refuser service et obéissance, s'il violait le pacte constitutionnel. La
joyeuse entrée était la sanction de la nationalité belge. Un souverain étranger
possédait les Pays-Bas catholiques, mais (page
353) il lui était interdit de détruire leur individualité : en montant sur
le trône, son premier devoir consistait à confirmer les institutions de
La journée du 21 juillet 1831
Le 21 juillet
1831, dès six heures du matin, les volées des cloches, les salves de
l'artillerie, le rappel qui retentissait dans les rues, réveillèrent les
habitants de la vieille cité brabançonne et annoncèrent la solennité du jour.
Un soleil radieux inondait la ville de ses rayons. Bientôt une foule immense
envahit toutes les rues que devait traverser le cortège, depuis la porte de
Laeken jusqu'à la place Royale. Ces rues étaient jonchées de fleurs et de
verdure ; toutes les façades des maisons étaient décorées. Deux haies de sapin
entremêlées de guirlandes serpentaient par la rue de Laeken, le Pont-Neuf, la
place de
Vers midi, le
régent et le Congrès se rendirent à la place Royale pour y attendre le roi.
Le prince avait
quitté le château de Laeken à onze heures et s'était arrêté successivement à
Molenbeek-Saint-Jean, où le vin d'honneur lui fut offert, puis à l'ancienne
porte Guillaume, où le corps municipal de la ville de Bruxelles lui présenta
les clefs de la capitale. « Sire, lui dit le bourgmestre (M. Rouppe), le corps
municipal de la ville de Bruxelles s'empresse d'offrir à Votre Majesté, au nom
de cette héroïque cité, le tribut de son respect, l'hommage de son dévouement.
Elu de la nation, prince magnanime, venez prendre possession du trône où vous
appellent les acclamations unanimes d'un peuple libre. Vous maintiendrez, sire,
notre charte et nos immunités. Nous, nous saurons défendre votre trône et
conserver intactes vos prérogatives royales. Devant Votre Majesté s'ouvre une
vaste carrière de gloire et de renommée ; devant nous une ère de splendeur et
de prospérité. Magistrats par le choix de nos concitoyens, nous sommes glorieux
de présenter en leur nom, au premier roi des Belges, les clefs de sa capitale.
» Le roi répondit affectueusement : « Ces clefs ne sauraient être mieux
confiées qu'aux mains de celui qui les a si bien conservées dans les moments
les plus difficiles... Je n'ai accepté la couronne que pour le (page 355) bonheur des Belges ; je me
compterai heureux de les faire jouir des institutions qu'eux-mêmes ils se sont
données. La bonne ville de Bruxelles fera l'objet de mes soins particuliers ;
j'espère bien lui rendre tout son lustre et lui procurer une solide et durable
prospérité... »
Le cortège se
dirigea ensuite vers la place Royale ; il était composé de détachements de
lanciers, de cuirassiers, de gardes civiques, de volontaires et de blessés de
septembre, du corps municipal de Bruxelles et de la députation envoyée par le
Congrès à Londres ; venait enfin le roi à cheval et en uniforme de général de
l'armée belge ; il était suivi d'un nombreux et brillant état-major. Le cortège
s'avançait lentement à travers les bataillons de la garde civique et de la
ligne qui formaient la haie, et au milieu d'une foule impatiente de voir et de
saluer le roi des Belges.
Inauguration solennelle de Léopold I", roi des Belges,
sur la place Royale, à Bruxelles. Le régent de
Il était une
heure et un quart lorsque la tête du cortège arriva sur la place Royale. Au
moment où le roi parut, le Congrès se leva d'un mouvement spontané, et les
acclamations de la multitude, qui se pressait jusque sur les toits des maisons
transformes en amphithéâtres, se confondirent avec le son des cloches, le
roulement des tambours, les fanfares militaires, les détonations de
l'artillerie.
Le roi, étant
descendu de cheval au bas des escaliers de Saint-Jacques, franchit les degrés
et prit place entre le régent et le président du Congrès en avant du trône. «
Sire, dit le président du Congrès, nous sommes réunis en ce moment pour
recevoir le serment que
En acceptant,
cinq mois auparavant, la première magistrature (page 356) de l'État, M.
Surlet de Chokier avait promis de rendre compte de l'usage qu'il aurait fait de
ce pouvoir. Fidèle à cette promesse, l'homme vénérable, chargé momentanément de
l'autorité suprême, s'exprima en ces termes :
« Par votre
décret du 24 février dernier, et conformément à l'art. 85 de
« Mes premiers
soins furent de composer le ministère. J'y appelai les mêmes citoyens auxquels
le gouvernement précédent avait confié les diverses branches d'administration
générale. Ce fut en confirmant dans ces hautes fonctions les hommes qui avaient
si puissamment aidé à conquérir et à affermir notre liberté, que je voulus
donner à la nation un premier gage de mon entière adhésion aux principes de
notre révolution et de ma ferme volonté de la faire jouir de toutes ses
conséquences.
« Je fis
notifier aux gouvernements français et anglais votre décret du 24 février qui
me nomme régent de
« Le
gouvernement français admit sans hésiter notre ministre, qui prit aussitôt rang
parmi les diplomates étrangers reçus à la cour du Palais-Royal. S. M.
Louis-Philippe me fit l'honneur de m'adresser, par sa lettre autographe du 25
mars dernier, des félicitations sur mon avènement à la régence, et m'exprima en
même temps et en termes formels le vif et invariable intérêt qu'il porte à
« Ce fut par
ces premiers actes, que le roi des Français commença de réaliser les promesses
qu'il m'avait faites en février dernier, lorsque j'eus l'honneur d'en prendre
congé ; il me dit en me prenant la main : « — Dites à la nation belge que je
lui donne la main dans la personne du président du Congrès, et que les Belges
peuvent toujours compter sur mon amitié. » « Nous n'avons pas été aussi heureux
auprès du cabinet de Saint-James ; notre ministre n'avait été reçu
qu'officieusement par les ministres anglais, et l'honneur national ne me
permettant pas de le laisser plus longtemps dans une position équivoque, je lui
fis expédier des lettres de rappel.
« Cependant
le ministère voulant mettre fin au malaise résultant de l'état provisoire d'une
régence, et clore la révolution par l'établissement d'un gouvernement
définitif, avait envoyé à notre agent à Londres des instructions qui avaient
pour but de sonder les dispositions de S. A. R. le prince de Saxe-Cobourg ;
mais des obstacles de pure étiquette en paralysèrent les effets.
« Dans
l'intervalle, d'autres hommes furent appelés au ministère, et les nouveaux
ministres suivirent les errements de leurs prédécesseurs. Ce qui s'est passé à
cet égard vous est connu : vous savez, messieurs, comment a été amenée
l'heureuse fin à laquelle nous assistons aujourd'hui.
« Je ne vous
entretiendrai pas, messieurs, des actes de ma régence : je me bornerai à vous
dire que l'effervescence des passions, inséparable de notre état
révolutionnaire, la stagnation des affaires commerciales, les inquiétudes sur
l'avenir de la patrie, ont amené des événements, causé des embarras qui ont
empêché le gouvernement de s'occuper, aussi efficacement qu'il l'eût désiré,
des institutions qui doivent compléter l'œuvre de notre régénération politique.
« Dans l'état
d'hostilités imminentes avec nos voisins, le (page 358) gouvernement a dû s'occuper principalement de l'armée :
l'infanterie a été considérablement augmentée et régularisée ; l'organisation
de la cavalerie a été complétée ; l'artillerie a été mise sur un pied
respectable ; le service des vivres, des hôpitaux et des transports a été
assuré ; enfin, à côté de l'armée régulière, une autre se forme des rangs de la
garde civique, également impatiente de se mesurer avec l'ennemi.
« Le concours
de tous les citoyens qui, oubliant tout esprit de parti, vont se grouper autour
du trône, ne contribuera pas moins que le courage et l'excellent esprit de
notre armée à appuyer les négociations pour obtenir une paix honorable,
consolider notre indépendance, et au besoin à défendre l'intégrité de notre
territoire.
« Nos
finances sont dans un état aussi prospère que pouvaient le permettre les
circonstances, et la rentrée des contributions s'opère presque comme en pleine
paix.
« Si
j'ai été assez heureux, messieurs, pour aider à conduire au port le vaisseau de
l'État (car je regarde l'avènement du prince Léopold au trône de
« C'est
aussi dans la noble fermeté du congrès et dans la sagesse de ses délibérations
que j'ai trouvé le plus puissant appui. Permettez donc, messieurs, que je vous
adresse ici l'expression de ma vive et sincère reconnaissance.
(page 359) Mais convenons, messieurs,
que notre tâche a été rendue bien facile par les excellentes qualités du peuple
belge ; de ce peuple aussi soumis aux lois, aussi docile à la voix des chefs
qui méritent sa confiance, qu'il se montre jaloux de ses droits et impatient du
joug de l'arbitraire ; de ce peuple si courageux dans les combats, si ferme
dans ses résolutions ; de ce peuple essentiellement moral, dont l'histoire dira
que, chez lui, pendant onze mois de révolution et de privations pour la classe
la plus nombreuse (à part quelques excès évidemment provoqués), il n'y eut
jamais moins de délits ; de ce peuple dont le dévouement et l'amour feront
toujours la récompense d'un bon gouvernement.
« C'est
avec la plus entière sécurité, messieurs, que je remets les destinées de ce bon
peuple entre les mains d'un prince dont le noble caractère et les vertus
privées nous sont garants de celles qu'il va déployer sur le trône.
« C'est
avec effusion que je puis dire aujourd'hui : J'ai vu l'aurore du bonheur se
lever pour mon pays, j'ai assez vécu.
« Je
dépose entre vos mains, messieurs, les pouvoirs que vous m'avez conférés, et je
vous prie de vouloir bien m'en donner acte. »
Le président du
Congrès, debout en face de M. Surlet de Chokier, lui répondit :
« Avoir
joui d'un grand pouvoir sans en avoir abusé un seul instant, être toujours
demeuré le même dans les circonstances les plus critiques, c'est un fait tout
simple pour qui connaît votre caractère, M. le régent ; je me contente de
répéter ici ce que dit tout le monde. Un jour l'histoire racontera quel rôle
conciliateur vous avez rempli au milieu des opinions divergentes, et des partis
qui s'agitaient ; elle dira que l'assemblée nationale, voulant concentrer dans
les mains d'un seul des pouvoirs jusque-là trop divisés, chercha quelqu'un qui
ne déplût à (page 360) personne, qui
eût l'estime et la confiance de tous, et qui voulût se dévouer pour le pays ;
et cet homme, ce fut vous, M. le régent. L'histoire dira qu'ayant exercé une
partie, de la prérogative royale pendant une révolution : de cinq mois, cet
homme ne s'est aliéné aucun ami et ne s'est fait aucun ennemi. C'est au nom du
congrès et de la nation que je vous remercie, et que j’ose vous dire que vous
avez rempli notre attente dans les hautes fonctions que vous venez de résigner
dans les mains de cette assemblée.
(page 361) Un des secrétaires du
Congrès, M. Ch. Vilain XIIII, debout devant le roi, donne alors lecture de
« Je jure d'observer
Des
acclamations nouvelles s’élèvent et se prolongent pendant que le roi et les
membres du bureau de l'assemblée signent le procès- verbal de la prestation du
serment.
Les siégés sur
lesquels étaient assis le prince, le régent, le président du Congrès et les
autres membres du bureau disparaissent ; le trône demeure à découvert. Le
président du Congrès se tourne vers le roi et lui dit :
« Sire ! montez
au trône. »
Le roi, se
trouvant sur l'estrade supérieure, entouré des généraux et des ministres, fait
signe qu'il veut parler ; et, après qu'on eut obtenu le silence, il prononce le
discours suivant, œuvre de sa raison et de son cœur, programme sincère d'un
règne qui formera (le passé l'atteste) l'une des époques les plus mémorables et
les plus heureuses de l'histoire de la nation belge :
« Messieurs,
« L'acte
solennel qui vient de s'accomplir achève l'édifice social commencé par le
patriotisme de la nation et de ses représentants. L'État est définitivement
constitué dans les formes prescrites par la constitution même.
« Cette
constitution émane entièrement de vous, et cette circonstance, due à la
position où s'est trouvé le pays, me paraît heureuse. Elle a éloigné des
collisions qui pouvaient s'élever entre divers pouvoirs, et altérer l'harmonie
qui doit régner entre eux.
(page 362) « La promptitude avec
laquelle je me suis rendu sur le sol belge a dû vous convaincre que, fidèle à
ma parole, je n'ai attendu, pour venir au milieu de vous, que de voir écarter
par vous-mêmes les obstacles qui s'opposaient à mon avènement au trône.
« Les
considérations diverses exposées dans l'importante discussion qui a amené ce
résultat, feront l'objet de ma plus vive sollicitude.
« J'ai
reçu, dès mon entrée sur le sol belge, les témoignages d'une touchante bienveillance. J'en suis encore aussi ému que reconnaissant.
« A
l'aspect de ces populations, ratifiant par leurs acclamations l'acte de la
représentation nationale, j'ai pu
me convaincre que j'étais appelé par le vœu du pays, et j’ai compris tout ce
qu'un tel accueil m'impose de devoirs.
« Belge
par votre adoption, je me ferai aussi une loi de l'être toujours par ma
politique.
« J'ai
été également accueilli avec une extrême bienveillance dans la partie du
territoire français que j'ai traversée, et j'ai cru voir dans ces
démonstrations, auxquelles j'attache un haut prix, le présage heureux de
relations de confiance et d'amitié qui doivent exister entre les deux pays.
« Le
résultat de toute commotion politique est de froisser momentanément les
intérêts matériels. Je comprends trop bien leur importance pour ne pas
m'attacher immédiatement à concourir, par la plus active sollicitude, à relever
le commerce et l'industrie, ces principes vivifiants de la prospérité
nationale. Les relations que j'ai formées dans les pays qui nous avoisinent
seconderont, je l'espère, les efforts auxquels je vais incessamment me livrer
pour atteindre ce but ; mais j'aime à croire que le peuple belge, si
remarquable à la fois par son sens droit et par sa résignation, tiendra compte
au gouvernement des (page 363)
difficultés d'une position qui se lie à l'état de malaise dont l'Europe presque
tout entière est frappée. Je veux m'environner de toutes les lumières,
provoquer toutes les voies d'amélioration, et c'est sur les lieux mêmes, ainsi
que j'ai déjà commencé à le faire, que je me propose de recueillir les notions
les plus propres à éclairer, sous ce rapport, la marche du gouvernement.
« Messieurs,
je n'ai accepté la couronne que vous m'avez offerte qu'en vue de remplir une
tâche aussi noble qu'utile, celle d'être appelé à consolider les institutions
d'un peuple généreux, et de maintenir son indépendance. Mon cœur ne connaît d'autre ambition que celle de vous voir heureux.
« Je
dois, dans une aussi touchante solennité, vous exprimer un de mes vœux les plus
ardents. La nation sort d'une crise violente ; puisse ce jour effacer toutes les haines, étouffer tous les
ressentiments ; qu'une seule pensée anime tous les Belges, celle d'une franche
et sincère union !
« Je
m'estimerai heureux de concourir à ce beau résultat, si bien préparé par la
sagesse de l'homme vénérable qui s'est dévoué avec un si noble patriotisme au
salut de son pays.
« Messieurs,
j'espère être pour
Les dernières
paroles du roi électrisèrent les auditeurs ; tous promirent, par leurs
acclamations, d’aider le chef de l'État à maintenir l'indépendance de
Le cortège se
remet ensuite en marche et se dirige vers le palais (page 364) royal ; le roi est à pied, au milieu du peuple dont il a
déjà gagné l'affection.
Après la cérémonie, le Congrès se réunit pour la dernière
fois au palais de la Nation ; discours du président
De leur côté,
les membres du Congrès, ayant achevé l'œuvre patriotique qui leur avait été
confiée, se réunissent pour la dernière fois au palais de
Les
circonstances n'obligèrent pas le gouvernement à rappeler le Congrès au poste
de l'honneur. L'ajournement que l'assemblée avait prononcé elle-même, se
changea quelques semaines après en dissolution par la convocation régulière des
chambres législatives. La mission du Congrès fut donc terminée le 21 juillet
1831.
Jugement sur l'assemblée
constituante de Belgique
L'assemblée
constituante de Belgique a sa place marquée dans l'histoire à côté du Congrès
américain de 1774 et de l'assemblée française de 1789. La tâche de l'assemblée
belge fut sans doute moins imposante et moins difficile que celle de ses
devancières ; mais par les services nouveaux que le Congrès de 1830 rendit à la
civilisation, il eût certainement obtenu l'approbation de Washington et de
Jefferson, les éloges de Bailly et de Mirabeau.
Élue derrière
les barricades, réunie quelques jours après le bombardement de la métropole
commerciale du pays, l'assemblée belge sut néanmoins se garantir des sentiments
passionnés que le spectacle de la patrie en deuil devait exciter. Continuant
avec un mélange d'audace et de prudence l'œuvre patriotique du gouvernement
provisoire, le Congrès, après avoir ratifié solennellement l'indépendance des
provinces belges, abjura l'ancienne dynastie et borna là ses représailles. Sans
se laisser effrayer par les menaces des puissances inquiètes, confiant dans la
légitimité de sa mission et dans la sagesse du peuple dont il tenait ses
pouvoirs, le Congrès marcha courageusement vers le but assigné à ses efforts.
Il l'atteignit, ce but glorieux, malgré les plus grands obstacles, en mêlant à
propos une modération intelligente à l'énergie de son dévouement, en se
laissant guider plutôt par la prévoyance que par la passion, en ne perdant
jamais de vue que la dictature la (page
367) plus absolue a des limites nécessaires. C'est ainsi que, par des
résolutions à la fois hardies et sages, le Congrès sut accomplir la
régénération politique de
Les principes
de l'union conclue en 1828 entre les deux partis qui formaient l'opposition
belge animèrent l'assemblée souveraine. On a pu constater avec vérité qu'il n'y
eut pas de division systématique, pas de fractionnement permanent en côté
gauche et fin côté droit, en catholiques et en libéraux : chacun conservait son
individualité, et tous cherchaient à faire triompher la liberté et
l'indépendance de la patrie. Les votes étaient, en général, spontanés. Des
voix, réunies sur une question, se séparaient sur une autre, et revenaient
ensemble sur une troisième. Il y avait confiance mutuelle dans les opinions.
Les discussions furent parfois orageuses, mais elles n'engendrèrent jamais ni
prescripteurs ni proscrits.
Les citoyens
honorables, qui siégèrent dans cette célèbre assemblée, se plaisent encore à
rappeler qu'aucun système préconçu n'entravait les délibérations. Tout se
faisait publiquement, dans la salle des séances, sans entente préalable, sans
pourparlers entre des partis qui s'étaient confondus. A cette marche franche et
loyale étaient dus l'unité et la célérité des décisions du Congrès, ces décrets
mémorables volés par des majorités imposantes, cette constitution qu'aucun
peuple de l'Europe n'a encore dépassée.
L'assemblée
française de 1789 avait détruit l'organisation féodale et jeté les bases de la
société moderne. L'assemblée belge de 1830 compléta et perfectionna l'œuvre de
la constituante française par des innovations empruntées à la sagesse des
législateurs de la grande république américaine et aux traditions les plus
pures et les plus nobles de nos antiques communes. La monarchie belge,
garantissant par le principe héréditaire les libertés les plus étendues, devait
acquérir cette stabilité que l'on (page
368) cherche en vain et dans les États absolus et dans les États purement
démocratiques. « Avons-nous à demander à une autre forme de gouvernement
quelque chose que nous ait refusé le système monarchique tel que nous l'avons
fait ? disaient les auteurs de notre Constitution. Avons-nous une institution à
envier à la république ? Qu'on nous cite une liberté, une garantie absente, et
nous nous hâterons de réclamer ce complément de garantie, de liberté... Le pays
doit savoir que notre monarchie nous a donné toutes les libertés en ne
conservant que deux inégalités sociales : la royauté et la propriété ;
qu'autour de ces deux grandes inégalités tout le terrain est déblayé, nivelé ;
qu'en Belgique
Honneur donc au
Congrès, législateur de
(page 369) Par l'adoption des
préliminaires de paix, par l'inauguration du roi qui en était la suite,
l'assemblée nationale avait couronné son œuvre et empêché une restauration ou
plutôt l'extinction du nom belge, résultat inévitable d'un partage déjà arrêté.
C'était au dévouement d'un ministère éclairé et loyal, c'était à la sagesse de
la majorité du Congrès que le pays devait en ce jour solennel la joie qui
remplissait tous les cœurs et cet enivrement d'espérance qui faisait oublier
toutes les douleurs passées.
Banquet du Congrès, présidé par le roi des Belges
Après que le
président du Congrès eut prononcé son ajournement, les membres de l'assemblée
se rendirent au palais royal et se rangèrent par provinces pour être
successivement présentés au nouveau souverain . Le roi dit aux députés d'Anvers
qu'il espérait que le commerce de cette ville recouvrerait bientôt sa splendeur
première ; que cette cité était en position de rivaliser avec Hambourg, Brême
et Lubeck. « L'évacuation de la citadelle par les Hollandais, ajouta- t-il, est
un préalable indispensable à la renaissance de la prospérité et de la sécurité
d'Anvers. Mais nous avons lieu d'espérer que cette évacuation se fera sans
retard. Le roi de Hollande a bien fait jusqu'à présent quelques difficultés de
s'accommoder avec nous ; mais je présume qu'il n'a agi de la sorte que pour me
détourner d'accepter le trône que vous m'avez offert. Aujourd'hui qu'il doit
savoir que mon acceptation a eu lieu, et que ma résolution inébranlable est de
demeurer parmi vous, il y a lieu de croire qu'il changera de marche. Au
surplus, je ne négligerai rien de ce qui est en mon pouvoir pour terminer au
plus tôt toutes ces questions. Le roi tint un langage également rassurant aux
députés du Limbourg : « Messieurs, leur dit-il, le Limbourg a bien souffert,
c'est une province bien malheureuse. Le roi de Hollande paraît tenir bien
fortement aux droits qui lui sont reconnus dans cette province suivant les
limites de 1790. Il songe peut-être à nous contester aussi les enclaves (page 370) qui sont reconnues nous
appartenir en Hollande. Mais il y a lieu d'espérer que, moyennant des
négociations bien conduites, nous parviendrons à arranger les difficultés qui
s'élèvent de ce côté. » Aux députés du Luxembourg, le roi s'adressa en ces
termes : « Nous sommes en possession de tout le territoire de votre province,
excepté la ville capitale. Nous conserverons cette possession. Votre pays est
facile à défendre, et je ne doute pas qu'en cas de besoin vous ne preniez
vous-même l'initiative sur votre sol. Au reste, nos voisins ont intérêt à ne
pas nous inquiéter dans le Luxembourg. » Le roi s'entretint de même avec les
députés des autres provinces et prouva qu’il connaissait très bien leurs
intérêts matériels.
A six heures
commença le dîner auquel les membres du Congrès avaient été invités par le roi.
Les deux grandes salles du palais réunirent les convives. Le roi était placé
entre M. Surlet de Chokier et M. de Gerlache. Au milieu du repas, le président
du Congrès porta le toast suivant : « A Léopold Ier, roi des Belges ! » Le roi
répondit : « Messieurs, je vous remercie, et je bois à l'avenir de
Le repas
terminé, le roi se présenta au balcon du palais avec les députés du Congrès.
Une foule innombrable couvrait la place et remplissait le Parc. Elle accueillit
le prince par des acclamations prolongées.
L'inauguration
du premier roi des Belges fit entrer définitivement notre pays réhabilité dans
l'association des États européens. Cette mémorable solennité, en consacrant le
triomphe de la révolution de septembre, affermit l'indépendance, la
nationalité, les libertés de la patrie reconquise. Les Belges, après avoir été
si longtemps ballottés, venaient de fixer le destin. Confiants dans
Puissent les
générations qui nous remplaceront sur cette vieille terre, autrefois le théâtre
de tant de catastrophes, perpétuer l'œuvre du Congrès de 1830 ! Puissent nos
descendants, fidèles aux grandes traditions de cette époque, surmonter aussi,
par leur courage et leur sagesse, les épreuves qui leur seraient réservées !
Que
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