« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome :
Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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matières
LIVRE
TROISIEME. LA REGENCE
Le président du Congrès se hâte de faire connaître à l'assemblée
l'acceptation du prince Léopold
(page 273) Le 28 juin, quelques heures
après le retour des commissaires du régent et des députés du Congrès, la séance
de l'assemblée nationale avait été ouverte. Une foule inquiète et agitée se pressait
dans les tribunes ; l'anxiété n'était pas moins grande parmi les députés.
Cédant à
l'impatience générale, M. de Gerlache se hâta de rendre compte des résultats de
la haute mission dont il avait été chargé Il donna lecture du discours qu'il
avait adressé au prince Léopold en lui remettant le décret d'élection, de la
réponse du prince et de sa lettre au régent dans laquelle il annonçait
l'intention (page 274) de se rendre
en Belgique aussitôt que les propositions de la conférence seraient acceptées par
le Congrès.
Le ministre des affaires étrangères communique le traité des
dix-huit articles
Aux termes du
décret du 2 juin, le ministre des affaires étrangères aurait pu attendre
jusqu'au 30 pour faire son rapport sur les résultats des négociations ; mais il
avait cru de son devoir, comme nous l'avons déjà dit, de n'apporter aucun
retard à des communications que l'état du pays réclamait si vivement. En
conséquence, M. Lebeau, prenant la parole après le président du Congrès, fit
connaître les pouvoirs donnés, sous la date du 5 juin à MM. Devaux et Nothomb
ainsi que les pièces qu'ils avaient été chargés de lui remettre.
C'était d'abord
une lettre signée par tous les membres de la conférence et conçue en ces termes
:
« MONSIEUR,
« Nous avons eu
l'honneur de recevoir la lettre, en date du 5 juin, que MM. Devaux et Nothomb
nous ont remise de votre part, et nous croyons devoir vous adresser en réponse
les articles ci-joints que la conférence de Londres vient d'arrêter, pour être
communiqués aux deux parties intéressées.
« La
conférence considérera ces articles comme non avenus, si le Congrès belge les
rejette en tout ou en partie.
« Agréez,
etc.
« Londres, 26
juin 1831.
« ESTERHAZY,
WESSEMBERG, TALLEYRAND, PALMERSTON, BULOW, MATUSZEWIC. »
Le ministre donna
ensuite lecture des préliminaires de paix :
« La conférence,
animée du désir de concilier les difficultés qui arrêtent encore les
conclusions des affaires de la
Belgique, (page 275)
a pensé que les articles
suivants, qui formeraient les préliminaires d'un traité de paix, pourraient
conduire à ce but. Elle a résolu en conséquence de les proposer aux deux
parties.
« I.
Les limites de la Hollande
comprendront tous les territoires, places, villes et lieux qui appartenaient à la
ci-devant république des Provinces-Unies des Pays-Bas, en l'année 1790.
« II.
La Belgique
sera formée de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination
de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815.
» III.
Les cinq puissances emploieront leurs bons offices pour que le statu quo dans
le duché de Luxembourg soit maintenu pendant le cours de la négociation
séparée, que le souverain de la (page 350) Belgique ouvrira avec le roi
des Pays-Bas et avec la confédération germanique, au sujet dudit Grand-Duché ;
négociation distincte de la question des limites entre la Hollande et la Belgique.
« Il
est entendu que la forteresse de Luxembourg conservera les libres
communications avec l'Allemagne.
« IV.
S'il est constaté que la république des Provinces-Unies des Pays-Bas n'exerçait
pas exclusivement la souveraineté dans la ville de Maestricht en 1790, il sera
avisé par les deux parties aux moyens de s'entendre à cet égard sur un
arrangement convenable.
« V..
Comme il résulterait des bases posées dans les art. 1 et 2 que la Hollande et la Belgique posséderaient
des enclaves sur leurs territoires respectifs, il sera fait à l'amiable entre la Hollande et la Belgique les échanges qui
pourraient être jugés d'une convenance réciproque.
« VI.
L'évacuation réciproque des territoires, villes et places, aura lieu
indépendamment des arrangements relatifs aux échanges :
« VII.
Il est entendu que les dispositions des art. 108 jusqu'à 117 (page 276) inclusivement de l'acte
général du congrès de Vienne, relatifs à la libre navigation des fleuves et
rivières navigables seront appliquées aux fleuves et aux rivières qui
traversent le territoire hollandais et le territoire belge.
« La
mise à exécution de ces dispositions sera réglée dans le plus bref délai
possible.
« La
participation de la Belgique
à la navigation du Rhin par les eaux intérieures, entre ce fleuve et l'Escaut,
formera l'objet d'une négociation séparée entre les parties intéressées, à
laquelle les cinq puissances prêteront leurs bons offices.
« L'usage
des canaux de Gand à Terneuze et de Zuid Willems'Vaart, construits
pendant l'existence du royaume des Pays-Bas, sera commun aux habitants des deux
pays ; il sera arrêté un règlement sur cet objet.
« L'écoulement
des eaux des Flandres sera réglé de la manière la plus convenable, afin de
prévenir les inondations.
« VIII.
En exécution des art. 1 et 2, qui précèdent, des commissaires démarcateurs
hollandais et belges, se réuniront, dans le plus bref délai possible, en la
ville de Maestricht, et procéderont à la démarcation des limites qui doivent
séparer la Hollande
et la Belgique,
conformément aux principes établis à cet effet dans les art. 1 et 2.
« Ces
mêmes commissaires s'occuperont des échanges à faire par les pouvoirs
compétents des deux pays par suite de l'art. 5.
« IX.
La Belgique,
dans ses limites telles qu'elles seront tracées conformément aux principes
posés dans les présents préliminaires, formera un État perpétuellement neutre.
Les puissances, sans vouloir s'immiscer dans le régime intérieur de la Belgique ; lui
garantissent cette neutralité perpétuelle, ainsi que l'intégrité et
l'inviolabilité de son territoire, dans les limites mentionnées au présent
article.
« X.
Par une juste réciprocité, la
Belgique sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous
les autres États, et de ne porter aucune atteinte à leur tranquillité
intérieure ni (page 277) extérieure,
en conservant toujours le droit de se défendre contre toute agression
étrangère.
« XI.
Le port d'Anvers, conformément à l'art. 15 du traité de Paris du 30 mai 1814,
continuera d'être uniquement un port de commerce.
« XII.
Le partage des dettes aura lieu de manière à faire retomber sur chacun des deux
pays la totalité des dettes qui originairement pesait, avant la réunion, sur
les divers territoires dont ils se composent, et à diviser, dans une juste
proportion, celles qui ont été contractées en commun.
« XIII.
Des commissaires liquidateurs nommés de part et d'autre se réuniront
immédiatement ; le premier objet de leur réunion sera de fixer la quote-part
que la Belgique
aura à payer provisoirement ; et sauf liquidation, pour le service d'une
portion des intérêts des dettes mentionnées dans l'article précédent.
« XIV.
Les prisonniers de guerre seront renvoyés de part et d'autre quinze jours après
l’adoption de ces articles.
« XV.
Les séquestres mis sur les biens particuliers dans les deux pays seront
immédiatement levés.
« XVI.
Aucun habitant des villes, place, territoires, réciproquement évacués, ne sera
recherché ni inquiété pour sa conduite politique passée.
« XVII.
Les cinq puissances se réservent de prêter leurs bons offices lorsqu'ils seront
réclamés par les parties intéressées.
« XVIII.
Ces articles, réciproquement adoptés, seront convertis en traité définitif.
Après avoir
donné lecture du texte des dix-huit articles, le ministre ajouta que les
commissaires avaient eu des rapports fréquents avec le prince Léopold, et que
les détails de ces rapports trouveraient leur place dans un comité général, que
le Congrès jugerait sans doute nécessaire de fixer à un bref délai.
Le comité secret du 30 juin
(page 278) Malgré l'opposition de la
minorité qui réclamait une discussion immédiate et publique, la majorité décida
que le comité secret aurait lieu le 30. M. Nothomb exposa dans ce comité les
négociations auxquelles il avait été associé. Il révéla d'abord que, à leur
arrivée à Londres, les deux commissaires avaient trouvé tout mal disposé ;
l'idée qu'on pouvait mettre un terme à la révolution belge par un partage
semblait s'accréditer et trouvait des adhérents. M. Nothomb rendit compte
ensuite des négociations et signala rapidement les avantages que les
préliminaires offraient à la
Belgique, si on les comparait aux protocoles du 20 et du 27
janvier. Il dit aussi que le prince Léopold viendrait dès que le Congrès aurait
adhéré aux préliminaires ; qu'il n'attendrait pas l’acceptation de la Hollande. M. Van de
Weyer ajouta que le prince, une fois arrivé dans le pays, aurait pour politique
principale de se dégager de l'influence de la conférence de Londres et de
suivre en tout les intérêts du la Belgique. Il avait dit lui-même que ses relations
personnelles lui prouvaient qu'il avait les moyens de resserrer ses liens avec la France, et il avait déclaré
que s'il se croyait hostile à la
France, il renoncerait à la couronne.
L'adoption des préliminaires de paix était une question de salut
public
La tâche du
gouvernement allait devenir périlleuse ; la mission du Congrès plus grave et
plus difficile que jamais. L'existence même du pays était en jeu. Un vote
devait décider si la Belgique
remonterait au rang des nations indépendantes, ou si elle serait condamnée à
subir un partage ignominieux, après avoir épuisé ses dernières forces dans les
convulsions de l'anarchie. Le moment était venu d'opter entre le déchirement du
sol national et l'indépendance achetée par quelques sacrifices, douloureux sans
doute, mais nécessaires. La
Belgique était encore maîtresse de ses destinées : elle
pouvait affermir et perpétuer sa nationalité, ou se roidir contre l'Europe et
périr comme la Pologne
en 1772.
(page 279) Dès que le ministre des
affaires étrangères eut pris connaissance des dix-huit articles, il se confirma
dans l’idée que l'élection du roi n'avait rien terminé ; que, pour arriver à la
consolidation du nouvel État belge, un dernier obstacle, le plus difficile de
tous, devait être franchi : il fallait amener le Congrès à adopter les
préliminaires de paix, c'est-à-dire à revenir en partie sur des protestations
solennelles.
On ne pouvait
se dissimuler que l'opposition serait ardente et nombreuse. Elle devait compter
dans ses rangs ceux qui, en possession du pouvoir, auraient pensé peut-être à
la combinaison proposée, mais qui la condamnaient parce qu'elle n'était pas
leur ouvrage ; ceux qui s'étaient prononcés pour la république, ceux qui
désiraient une réunion à la
France, ou tout au moins une combinaison plus française que
le choix d'un gendre du roi d'Angleterre ; ceux qui souhaitaient, sinon le
retour de l'ancienne dynastie, du moins l'avènement d'un prince de la maison de
Nassau ; enfin la plupart des députés du Limbourg et du Luxembourg, qui
voudraient remplir un devoir sacré en prenant avec énergie la défense de ces
deux provinces menacées, croyaient-ils, d'un morcellement. De son coté, le
gouvernement, obligé de fléchir devant une nécessité inexorable, était non
moins décidé à employer les plus grands efforts pour éloigner le pays de
l'écueil contre lequel il pouvait se briser ; pour substituer aux inspirations
de la passion la décision calme suggérée par la raison d'État ; pour faire
prévaloir enfin les intérêts généraux de la nation. Le temps des illusions
était passé. Le gouvernement avait la conviction que le salut du pays était
dans le prompt avènement du roi ; mais le roi ne serait reconnu par aucune
puissance, son élection deviendrait nulle et caduque, si elle n'était garantie
par l'adoption des bases de séparation de l'ancien royaume des Pays-Bas,
c'est-à-dire des préliminaires proposés par la conférence. Dans le cas où le
Congrès repousserait cette (page 280)
dernière ressource, il n'y avait plus pour la Belgique d'autre
perspective que l'anarchie, une restauration ou un partage.
Et qu'exigeait-on de la Belgique pour légitimer
sa révolution, pour reconnaître son indépendance ?
Un examen calme
du texte des dix-huit articles démontrait que la conférence était loin de
vouloir encore l'humiliation et la honte des Belges.
Parallèle entre les dix-huit articles et les protocoles du 20 et
du 27 janvier
Les
propositions du 26 juin, comparées aux bases de séparation du 20 et du 27
janvier, présentaient des changements considérables et tout à l'avantage de la Belgique. Les
dix-huit articles différaient essentiellement des protocoles et pour le fond et
pour la forme. La conférence n'imposait plus de conditions à la Belgique insurgée en la
menaçant d'une intervention indéfinie ; elle reconnaissait la souveraineté du
Congrès et lui proposait une transaction honorable. En effet, la Hollande devait rentrer
dans les limites de l'ancienne république des Provinces-Unies, tandis que la Belgique obtenait tous
les territoires compris dans le royaume des Pays-Bas en 1815 et non compris
dans la république batave en 1790. La Belgique devait se composer non seulement des
Pays-Bas autrichiens, mais en outre de l'ancienne principauté de Liége avec la
co-souveraineté dans Maestricht ; de Philippeville, de Marienbourg et de
Bouillon, qui ne faisaient pas partie des Pays-Bas autrichiens en 1790 ; enfin
d'une foule d'enclaves situées à l'extrémité du Limbourg et au cœur même des
provinces hollandaises. L'article qui attribuait à la Belgique tout ce qui ne
faisait point partie de la
Hollande en 1790, combiné avec celui qui stipulait l'échange
des enclaves, offrait au gouvernement belge des ressources certainement
inaperçues des représentants des cabinets du Nord (Note
de bas de page : « Si l' on adopte les art. I et Il du traité de
paix, disait un journal ministériel hollandais, la Hollande perdrait les
possessions acquises par elle en 1800 et 1808, dans le Brabant septentrional et
dans la Gueldre. La
Belgique obtiendrait une commune entre Crève-Cœur el Heusden, et par là
l'embouchure de la rivière qui traverse Bois-le-Duc ; le comté de Meghem et le
pays de Ravenstein, entre les forteresses de Bois-le-Duc et Grave ; le pays de
Boxmeer, entre les forteresses de Grave, Nimègue et Vaels ; des enclaves dans la Gueldre, ainsi que la
lisière de la Meuse,
entre le Brabant septentrional el la
Prusse. »
On a vu, dans le chapitre précédent,
que les plénipotentiaires hollandais à Londres étaient restés étrangers à la
négociation des préliminaires de paix. Cette non-participation des
plénipotentiaires hollandais conduisit à une autre mesure extraordinaire. M. le
baron de Wessenberg, représentant de l'Autriche à la conférence, se rendit
lui-même à la Haye à la fin du mois de juin et remit, de la part de la
conférence, au roi Guillaume Ier le traité des dix-huit articles négocié a
l’insu de ses représentants à Londres. M. de Wessenberg engagea vivement le
gouvernement du roi Guillaume I" à donner son adhésion à ce traité,
s'appuyant notamment sur cette considération qu'il ne changeait rien. Mais, en
ce moment même, M. Nothomb publiait dans le Moniteur belge des articles tendant
à démontrer que les dix-huit articles changeaient tout. La vérité tout entière
fut ensuite révélée au gouvernement hollandais par le mémorable discours que M.
Lebeau prononça dans la séance du 5 juillet (on le trouvera ci-après, chap.
XIII). C’est ainsi que l'on a pu dire que M. Lebeau remporta comme orateur un
triomphe qu'il dut amèrement regretter comme homme d'État. Obligé de convaincre
son pays des avantages qui résulteraient pour lui du traité des dix-huit
articles, forcé de repousser le reproche de trahison et de calmer une agitation
menaçante, M. Lebeau, en rassurant la Belgique, alarma la Hollande. La presse
hollandaise se mil à flétrir à son tour les dix-huit articles ; et le
gouvernement hollandais remit, le 12 juillet, à M. de Wessenberg une
protestation contre les nouvelles propositions de la conférence.) La
Belgique devait reconnaître les droits (page 281) de la
Hollande sur la rive gauche de l’Escaut, l'autre moitié de
Maastricht, Venloo et cinquante-trois villages du Limbourg, en un mot, sur le
territoire qui appartenait à la république batave en 1790. Mais cette
restitution serait-elle définitive ou provisoire ? Il était permis d'espérer
qu'elle ne serait que provisoire, car la (page
282) Hollande aimerait sans doute mieux céder à la Belgique la moitié de
Maestricht, Venloo et cinquante-trois villages épars, que de laisser occuper
des enclaves sur son propre territoire. La Belgique ne pouvait réclamer la rive gauche de
l'Escaut ; mais on lui offrait une compensation fort grande en garantissant à
son agriculture l'écoulement des eaux des Flandres, et à son commerce l'usage
du canal de Terneuze et la liberté de l'Escaut.
N'était-ce rien
que de forcer la Hollande
à ouvrir le fleuve que l'ancienne république batave avait tenu fermé depuis
1648 jusqu'en 1795 pour attirer à Amsterdam et à Rotterdam les richesses,
l'activité, la puissance d'Anvers ? Les autres stipulations étaient non moins
favorables à la
Belgique. Les préliminaires éloignaient toute idée d'échange
du Luxembourg contre le Limbourg. Au lieu d'exclure formellement le Luxembourg
de la Belgique,
comme les protocoles l'avaient fait, les préliminaires révoquaient la décision
prise sur ce point et renouvelaient le litige ; une négociation séparée devait
être entamée avec le roi des Pays-Bas et la Confédération
germanique, et, en attendant, on maintenait le statu quo dans cette province.
Les dispositions relatives à la dette consacraient les principes que le Congrès
avait toujours soutenus. La dette devait être partagée, eu égard à son origine
: d'une part, la Belgique
était affranchie de celle qu'elle n'avait point contractée ; d'autre part, on
devait répartir entre les deux pays, dans une juste proportion, les charges
créées en commun depuis 1815.
On ne pouvait
donc considérer ces propositions comme la reproduction des protocoles que la Belgique avait repoussés
et que le gouvernement hollandais avait acceptés. Si les préliminaires du 26
juin n'eussent pas différé essentiellement des protocoles antérieurs, s'ils
n'eussent pas été favorables aux Belges, pourquoi le gouvernement hollandais se
serait-il empressé de les dénoncer comme une violation manifeste de ses droits
? Tandis que les préliminaires étaient soumis aux délibérations du Congrès. le
Journal de La Haye, (page 283)
organe semi-officiel du gouvernement hollandais, s'exprimait en ces termes : «
Si le roi des Pays-Bas souscrit à ces engagements, il souscrit la banqueroute
et la ruine du pays. Mais d'après la loi fondamentale, il ne peut ratifier la
cession d'aucune partie du territoire sans le consentement des états généraux,
et il ne peut charger le trésor de dettes sans le même assentiment. Qu'il se
réfère aux états généraux s'il en est besoin, et nous osons croire qu'aucune
voix ne s'élèvera en faveur de l'acceptation de ces propositions, mais qu'elles
répondront toutes : « Non ! et mille fois non ! Nous préférons la mort à l'ignominie
! Servons-nous plutôt de nos forces pour braver l’iniquité. Si l'Europe redoute
le premier coup de canon, eh bien ! nous le ferons partir de la citadelle
d'Anvers et de la flotte hollandaise, commandée par des héros qui préfèrent la
mort à l'abaissement de leur pavillon. » (Note de bas de
page : On ne suspectera pas non plus le témoignage de l'auteur de
l'Histoire de Dix Ans. Voici comment il s'exprime (chap. X) sur les dix-huit
articles : « Le protocole était aussi favorable à la Belgique que ceux des 20
et 27 janvier lui étaient funestes... La conférence ne pouvait pas renier plus
complètement son œuvre ; elle ne pouvait pas renverser d'une manière plus
brutale les bases posées par elle même dans les protocoles des 20 et 27
janvier, et par elle déclarées deux fois irrévocables. »).
Les
considérations les plus puissantes militaient en faveur de l'adoption des
préliminaires de paix par la
Belgique. Cette adoption devait amener un événement décisif
pour la révolution, pour la nationalité belge : la présence à Bruxelles
d'un roi qui, avec l'aide des puissances garantes de ses droits, rendrait
vaines toutes les menaces de restauration et de partage.
On objectera
que, sans l'adoption des dix-huit articles, sans l'arrivée du roi, la Hollande n'eût pas rompu
l'armistice. Mais pourquoi ? Parce que, aussi longtemps qu'il n existait pas de
pouvoir définitif en Belgique, le roi Guillaume n'avait pas besoin de (page 284) recourir aux armes pour
recouvrer le territoire qu’il avait perdu : il pouvait se fier à la fatigue du
provisoire, au dégoût de l'anarchie, à la ruine croissante du commerce ; il
pouvait se fier au découragement général du soin de rendre le territoire belge
à son fils, ou de lui en restituer à lui-même la plus grande partie, dès qu'il
permettrait à la France
et à la Prusse
de s'adjuger le reste. Les hommes sages et prévoyants de la Hollande, le commerce et
la finance, appelaient sans doute de tous leurs vœux un arrangement prompt et
honorable avec la Belgique
; ils étaient convaincus que l’indépendance des anciens Pays-Bas autrichiens ne
serait jamais une hostilité à l'égard de l'ancienne république des
Provinces-Unies. Mais le descendant des stathouders, devenu roi, devait
naturellement avoir d'autres idées ; il ne pouvait sacrifier qu'à la dernière
extrémité la grandeur et les espérances de la maison de Nassau. Reconquérir les
provinces méridionales en tout ou en partie, par une semi-restauration ou par
un partage ; empêcher la constitution définitive de l’indépendance belge : tel
était le véritable but du roi Guillaume et du cabinet de La Haye. Les
plénipotentiaires hollandais réclamaient, à la vérité, de la conférence de
Londres, de meilleures bases de séparation ; mais ces réclamations cachaient
des desseins destructifs de l'Indépendance de la Belgique.
La guerre ne pouvait pas sauver la Belgique. Forces
hollandaises et belges, au mois de juillet 1831
En toute
hypothèse, le rejet des dix-huit articles eût compromis les destinées de notre
patrie. Les adversaires de la conférence soutenaient que l'acceptation des
préliminaires serait une trahison ; que l'honneur belge était intéressé a
conserver Venloo ; qu'il fallait conquérir par les armes ce que ni la Hollande ni la conférence
ne voulaient céder volontairement. Le rejet des dix-huit articles, la chute du
cabinet, auraient donc amené la guerre. Les chefs de l'opposition, arrivant au
pouvoir, devaient faire cette concession extrême à leur parti. Devenus
ministres, auraient-ils reculé devant les exigences de leurs amis et tenté (page 285) do rouvrir des négociations ?
L'eussent-ils voulu, il n'était pas certain que les cinq cours s'y seraient
prêtées ; et quant au prince de Saxe-Cobourg, son acceptation devenait plus que
douteuse. Après des efforts sincères et persévérants pour obtenir de la
conférence la rétractation du protocole du 20 janvier, efforts dont les
résultats venaient se résumer dans les dix-huit articles, le prince de
Saxe-Cobourg ne pouvait admettre des transactions nouvelles sans porter
atteinte à sa dignité, sans consentir à se laisser marchander. Un tel rôle ne
convenait pas au gendre du roi d'Angleterre. Négocier de nouveau, mais n'eût-ce
pas été d'ailleurs, de la part des chefs de l'opposition, un acte d'apostasie,
puisqu'ils n'avaient pas d'anathèmes assez énergiques pour flétrir la
conférence ?
Déclarer
immédiatement la guerre à la
Hollande, telle était donc l'inexorable loi imposée au
ministère qui se serait formé après le rejet des dix-huit articles.
Certes les
armements avaient été poussés avec vigueur. L'organisation de l'armée était la
préoccupation incessante du second cabinet du régent, après avoir été celle du
gouvernement provisoire et du ministère précédent. Tout le monde avait compris
que des notes diplomatiques et des discours de tribune seraient totalement impuissants,
si des armements ne venaient leur prêter un salutaire appui. La considération
la plus puissante qui dût influer sur la politique européenne était la crainte
d'une guerre générale. D'autre part, la cause la plus prochaine, la plus
probable d'une guerre générale, était dans une collision entre la Belgique et la Hollande. Il fallait
donc exploiter la crainte de ce conflit par des mesures militaires attestant
que le gouvernement belge saurait le faire naître si la diplomatie lui fermait
toute issue et le contraignait à ne prendre conseil que du désespoir. La force
régulière, qui ne s'élevait qu'à 1,250 hommes au mois de novembre 1830, avait
été portée à 30,000 par le (page 286)
général Goblet ; puis à 56,000 par le colonel d'Hane de Steenhuyse ; le nouveau
ministre de la guerre se proposait de la porter à plus de 62,000 hommes (Note
de bas de page : Dans une note insérée au Moniteur belge du 24 octobre
1839, le général de Failly portait à 62,614 hommes la force de l'armée belge au
1er août 1831. Le général Évain, dans une lettre publiée par l'Indépendant du
22avril 1838, n'avait évalué l'effectif qu'à 57,900 hommes). Le gouvernement était loin pourtant de voir sa tâche
achevée. Des cadres avaient été tracés, des soldats nombreux étaient réunis
sous les drapeaux de la révolution, des officiers de tous grades avaient été
créés ; mais on n'avait pu improviser la science, l'administration, la
discipline. Or, il n'y a pas d'armée sans discipline, et la discipline était
impossible au milieu d'une révolution qui avait relâché tous les liens de la
subordination militaire et civile. Enorgueillis par les victoires de septembre,
flattés sans cesse par la tribune du Congrès et par la presse, la plupart des
anciens chefs des volontaires s'étaient habitués à mépriser l'ennemi et à se
croire invincibles.
Ils se
faisaient une illusion complète sur la démoralisation des Hollandais. L'armée
hollandaise avait été frappée d'impuissance au mois de septembre par une
révolution qui avait brisé ses rangs ; mais il était souverainement injuste
d'accuser de lâcheté le peuple dont les annales glorieuses font encore
l'admiration du monde. La vieille Néerlande venait de se lever avec
enthousiasme pour défendre ses foyers et pour venger l'injure faite au drapeau
que Ruyter promenait triomphalement sur l'Océan et que Guillaume III avait
refusé d'abaisser devant Louis XIV. Le roi de Hollande achevait de réunir sur
ses frontières 60,000 hommes de troupes régulières, parfaitement équipées et
disciplinées, et 35,000 hommes de gardes civiques, mobilisés et habitués aux
exercices militaires.
Les généraux
belges se plaignaient des lenteurs de l'administration, (page 287) de l'insubordination des volontaires, des excitations
adressées à leurs officiers ; ils ne cachaient pas que l'organisation de
l'armée présentait encore les plus graves lacunes. (Note
de bas de page : Peut-être n'a-t-on pas oublié que lorsque le gouvernement
avait voulu appeler momentanément des capacités étrangères, une vive (Note de
bas de page : Le général Daine, commandant de l'armée de la Meuse, écrivait de Hasselt
au ministre de la guerre, le 30 juin : « ... Au lieu d'un beau bataillon que je
vous ai envoyé à Bruxelles pour la tranquillité intérieure, je reçois une bande
de volontaires qui, à son arrivée à Hasselt, a débuté par donner à ma troupe de
ligne l'exemple de l'indiscipline la plus effrénée, et aux bons habitants du
Limbourg un avant-goût de l'anarchie qui a régné dans diverses autres
provinces. Mais je reviendrai sur ce sujet, car il me reste à vous entretenir
d'abord de ma position : des bruits de reprise d'hostilités se font entendre de
toute part ; une faction ennemie de notre indépendance semble vouloir déborder
le gouvernement et le porter à tout prix à la guerre... On écrit à mes
officiers supérieurs, on les excite à devancer l'armistice et à recommencer les
hostilités ; je sais d'où le coup part, et je compte assez sur ma petite armée
pour croire qu'elle ne donnera pas la première l'exemple de la désobéissance
aux ordres du gouvernement. Si cependant, et contre toute attente, la reprise
des hostilités était le vœu du pouvoir, je suis obligé de vous déclarer que je
ne suis pas en mesure de faire la guerre, de manière a assurer des succès et de
l'honneur à nos armes. On m'a promis soixante-trois caissons d'infanterie de
rechange, un parc d'approvisionnement ; je n'ai rien reçu. L'ambulance n'est
pas même attelée ; les renforts qu'on m'a promis n'arrivent pas ; je n'ai ni
vivres, ni munitions, ni magasins... Bref, ma position au 1er juillet est la
même que j'avais au 22 janvier, à part l'envoi d'une batterie de douze que je
viens de recevoir après cinq mois d'attente... Un mot sur le bataillon de
chasseurs dont je vous ai parlé : ce corps, entièrement composé de Flamands,
est très mal habillé et n'a de chasseurs que le nom ; les officiers sont tous
Français, à l'exception de cinq ; j'ai pu me convaincre qu'ils sont pour la
plupart des échappés des carrefours de Paris, et que leur mission est ici de
prêcher la république ; ils ne s'en cachent pas et le disent ouvertement ;
j'appelle l'attention du gouvernement sur eux et sur leurs projets... »)
Peut-être n’a-t-on pas oublié que lorsque le gouvernement avait voulu appeler
momentanément des capacités étrangères, une vive (page 288) opposition s’était manifestée au sein
du Congrès, et que les propositions ministérielles avaient été dénaturées par
le corps législatif. Le gouvernement n'avait pas même tenté de mettre à
exécution ces propositions ainsi mutilées, tant les paroles prononcées à la
tribune avaient exalté la susceptibilité des officiers nationaux, tant avaient
été violentes les protestations émanées de plusieurs associations patriotiques,
tant était grande enfin la répugnance que l'on avait su inspirer à l'armée
contre l'introduction d'officiers étrangers !
Un mois après
l'époque dont nous parlons, lorsque le commandant de la citadelle d'Anvers
dénonça subitement la reprise des hostilités, le nouveau roi des Belges se
trouvait à Liége sans ministres. Bien qu'il eût conservé un calme presque
stoïque, il ne pouvait se dissimuler les difficultés de sa position. « Encore,
disait-il, si j'avais pu consacrer quelques mois à l'organisation de l'armée,
je ne craindrais pas la lutte. Peut-être faudrait-il s'en féliciter ; l'armée
et le pays s'attacheraient par un succès à leur nationalité naissante et au
chef qui aurait combattu à leur tête ; mais être pris ainsi au dépourvu, cela
est malheureux... » Il avait mandé auprès de lui M. Lebeau, qui venait de
reprendre les fonctions d'avocat général à la cour de Liége, et l'avait
interrogé sur l'état de l'armée. M. Lebeau dit franchement sa pensée ; le
tableau qu'il traça le 2 août fera également connaître la situation de l'armée
au 1er juillet. «L'armée ne manque ni d'ardeur ni de courage, dit-il. La garde
civique est animée d'un vif sentiment national. Mais je ne puis cacher que,
malgré les efforts louables et persévérants des divers officiers supérieurs qui
ont dirigé le département de la guerre depuis la révolution, l'armée nouvelle
doit, dans mon opinion, laisser beaucoup à désirer sous le rapport de
l'organisation. Nous sommes trop près d'une révolution qui a relâché les liens
de toute subordination et de toute discipline pour que l'armée ne (page 289) s’en ressente pas encore profondément. De là un
grand obstacle à sa réorganisation.
Ajoutez-y l'incertitude sur l'issue de cette même révolution, incertitude qui
jusqu'ici a dû exercer une fâcheuse influence sur l'esprit de l'armée. Quant à
la garde civique, je la crois capable de faire des prodiges derrière des
remparts, des barricades, ou retranchée dans les maisons, si l'ennemi osait
s'engager dans les rues de nos villes ; mais peu exercée, organisée très
incomplètement, je la crois incapable de soutenir un choc en plaine et de
résister à la cavalerie et à l'artillerie... »
Que serait-il
arrivé si la guerre, dont la
Hollande prit l'initiative au mois d'août, avait été
entreprise par les Belges au mois de juillet ? Était-on bien sûr que la Belgique aurait pu
vaincre les forces imposantes du roi de Hollande ? Mais, disait-on, la France interviendra. A quel
titre ? Ne s'était-elle pas engagée à faire respecter la suspension d'armes ?
Elle n'aurait donc pu se joindre aux Belges, violateurs de l'armistice, que
pour accaparer les bénéfices de la victoire ou subir les conséquences de la
défaite, allumant, dans l'un et dans l'autre cas, une guerre générale. Mais
telle n'était pas, à coup sûr, la politique de Louis-Philippe ; c'était celle
du National, hautement répudiée par le gouvernement français (Note de bas de page : Le National protestait contre l'avènement du
prince Léopold et contre la politique qui tendait à tenir la Belgique hors des mains
de la France. La
limite du Rhin et la réunion, tel était son programme. Le 28 juin, deux jours
avant la discussion des dix-huit articles, le National disait : « La France et l'Angleterre
présentent aujourd'hui au monde le rare spectacle d'une union dont cette
dernière au moins a tout lieu de se féliciter. Grâce à l'obséquieuse
pusillanimité de notre cabinet, l'arbitrage de toutes les grandes questions
soulevées par la révolution de juillet est tombé des mains de la France dans celles de sa
plus ancienne rivale. Ce n'est plus à Paris, véritable métropole du
libéralisme, c'est à Londres, l'arsenal et le comptoir de toutes les coalitions
de despotes, que se traitent maintenant les intérêts de la liberté. Il est vrai
qu'on veut bien admettre le représentant de notre royauté citoyenne à ces
conciliabules des classiques monarchies ; mais c'est pour la condamner au même
rôle que la restauration reçut ordre de remplir au congrès de Vérone ; c'est
pour déshonorer encore une fois les baïonnettes françaises en les faisant
servir, en 1831 contre la liberté belge, comme en 1823 contre la liberté
espagnole. Cette trop confiante Belgique
qui nous tendait les bras en nous demandant un roi, n'était-ce pas assez de la
repousser comme une mendiante suspecte et importune ? Fallait-il la forcer de
s'abandonner aux homicides embrassements d'un Anglais ? Ces provinces si
industrieuses, si fécondes, qui deux fois se sont offertes volontairement à la France ; cette ligne de
forteresses élevées à nos frais contre nous à six journées seulement de notre
capitale, ces quatre millions d'hommes, disons mieux, de concitoyens et de
frères, acquisition que la
France de Louis XIV n'eût pas crue trop chèrement payée du
sang de cinquante mille braves, il en faut faire le sacrifice aux exigences de la Russie et à l'alliance
précaire des Anglais ! Et nous avons reconquis le drapeau tricolore et le vieux
Soult est à la tête de 500,000 soldats français ! »). En
admettant toutefois que la
France (page 290) intervînt non
pour suivre les Belges sur le sol hollandais, mais pour refouler, dans le cas
d’une défaite, les troupes hollandaises au delà des frontières de la Belgique ; en admettant
que cette intervention n'amenât aucune complication, que devenait le peuple
signalé à l'Europe comme brandissant sans cesse la torche incendiaire ?
Les projets les
plus sinistres pouvaient s'accomplir. La Belgique eût été mise au ban de l'Europe, immolée
à la conservation de la paix générale, déchirée et peut-être flétrie !
Influence exercée par les démarches des agents de la Pologne insurgée sur la
détermination des catholiques belges
Un autre motif,
bien grave aussi, devait contribuer à grossir la majorité disposée à voter les
dix-huit articles. Les Belges suivaient avec anxiété les péripéties de la
révolution de Pologne et formaient les vœux les plus ardents pour le triomphe
d'une cause qui avait tant de rapports avec leur propre révolution. L'Autriche
n'avait pu se dissimuler que la reconstitution de la Pologne, (page 291) comme Etat indépendant, la sauverait peut-être un
jour des étreintes de la
Russie. Tout en ayant soin de ne pas se compromettre, le
cabinet de Vienne sépara sa politique de celle des autres cabinets et fit
entendre au gouvernement des insurgés qu'il n'était pas éloigné de favoriser le
rétablissement de la nationalité polonaise, mais à ces deux conditions : la
première que la Pologne
accepterait pour roi un prince autrichien ; la seconde que la proposition en
serait faite conjointement par la
France et l'Angleterre. M. Walewski fut chargé d'aller sonder
les dispositions du gouvernement français et du cabinet de Saint-James. Le
Palais-Royal fit dépendre son concours de l'adhésion de l'Angleterre ; le
cabinet de Saint-James, d'abord inflexible, donna aussi quelque espoir
lorsqu'il sut que, par cette condescendance, il pouvait faciliter en Belgique
l'adoption des dix-huit articles (Note de bas de
page : Cet épisode a été très bien éclairci par l'auteur de l'Histoire de
Dix Ans. « M. de Mérode, dit-il, ayant vu à Londres M. Walowski, et lui ayant
fait part de la sympathie qu'inspiraient aux catholiques belges la cause des
Polonais et leur courage, M. Walewski conçut l'espoir de servir utilement son
pays. M. de Mérode ne paraissait pas douter que le parti catholique ne votât,
dans le Congrès, pour l'acceptation des dix-huit articles, si, à cette
condition, l'Angleterre promettait d'intervenir, conjointement avec la France, en faveur de la Pologne. Lord
Palmerston, interrogé à cet égard, refusa de s'engager d'une manière formelle,
mais il insinua que l'acceptation des dix-huit articles serait peut-être un
éminent service rendu à la
Pologne. Quant à M. de Talleyrand, il adopta chaudement ce
projet, et promit de présenter en ce sens une note au gouvernement britannique.
Sur cette assurance, un envoyé polonais, M. Zaluski, partit de Londres pour
Bruxelles, et ses démarches contribuèrent beaucoup, en effet, à l'acceptation
des dix-huit articles. » (Louis BLANC. Histoire de Dix Ans, chap. XII.)). Un autre
agent de la Pologne,
M. Zaluski, arrivé à Bruxelles le 20 juin, se mit en rapport avec les membres
influents du Congrès et ne tarda pas à faire connaître publiquement l'objet de
sa mission dans la réponse (page 292) qu'il adressa
à une députation de l’Association nationale.. « Quand la Pologne, au sein d'une
guerre terrible et de tous les mouvements qu'elle entraîne, reporte, dit-il,
avec tant d'intérêt et d'affection son regard sur la Belgique, elle puise pour
elle-même quelque consolation en voyant que bientôt votre situation politique
trouvera son complément et sa consolidation. Alors elle croira pouvoir se
livrer à la juste attente de voir succéder à l'indifférence des preuves d'un
intérêt réel, quelques efforts enfin dignes des gouvernements des deux nations
les plus puissantes et les plus éclairées en faveur de sa noble cause... »
La Belgique pouvait donc influer sur le sort de la Pologne en sauvant sa
propre nationalité. Le moment était suprême pour notre patrie. Après plus de
deux siècles d'attente, après des calamités inouïes, laisserait-el le échapper
l'occasion qui s'offrait de reconstituer son indépendance sur des bases
honorables et solides ? Irait-elle réveiller les échos funèbres de Fleurus et
de Waterloo ? Pousserait-elle le cri de guerre qui devait couvrir l'Europe de
débris, plutôt que de prendre dans l'association des États une place qui
fermerait pour longtemps l'abîme des révolutions belliqueuses ? La fatalité
avait brisé le trône des archiducs Albert et Isabelle ; l'imprévoyance avait
arrêté les destinées heureuses de la Belgique à la fin du XVIIIe siècle. Serait-il dit
que l'expérience n'éclairerait pas l'intelligence du pays, et que, après tant
de souffrances, une troisième catastrophe rejetterait les Belges sous la
domination étrangère pour devenir la risée ou l'effroi des autres peuples ?
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