« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome :
Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
Chapitre précédent Chapitre suivant Retour à la table des
matières
LIVRE
TROISIEME. LA REGENCE
Proposition ayant pour objet l'admission au service belge d'officiers
supérieurs étrangers. Vote de ce décret
(page 114) On se préparait à la guerre.
Mais pour faire la guerre, il faut non seulement des soldats, il faut aussi des
généraux. Les soldats les plus braves sont comme frappés d'impuissance s'ils
n'ont pas confiance dans leurs chefs. Or, des soupçons graves avaient plané sur
plusieurs officiers généraux qui s'étaient distingués dans les premiers combats
de la révolution ; d'un autre côté, par suite du système d'exclusion que le
gouvernement hollandais avait fait prévaloir, il était devenu impossible
d'organiser convenablement les armes spéciales. Le cadre des officiers du génie
était complet, mais on manquait d'officiers d'artillerie, parce (page 115) que, sous le gouvernement
précédent, les Hollandais seuls étaient admis à l'École militaire de Breda ;
sur cent Belges qui se présentaient pour entrer dans cette institution, à peine
en recevait-on trois ou quatre. Voulant combler la lacune qui se faisait sentir
dans les rangs supérieurs de l'armée, M. Nothomb, conjointement avec dix-neuf
de ses collègues, avait déposé une proposition tendant à l'admission au service
belge d'officiers supérieurs étrangers jusqu'à la paix. Le but de ce décret
était non de forcer le gouvernement à prendre un général en chef étranger, mais
seulement de l'autoriser à choisir une ou plusieurs illustrations militaires,
si l'intérêt du pays le commandait. M. Van de Weyer rappela que la révolution
belge de 1790 avait été trahie par un général étranger, le Prussien Schœnfeld ;
il soutint ensuite que le projet était inconstitutionnel, c'est-à-dire en
opposition avec l'art. 6 de la
Constitution, qui ne peut s'appliquer qu'à des cas
individuels. D'autres membres soutinrent, au contraire, que, par les mots cas
particuliers employés dans la
Constitution, il ne faut pas entendre des cas individuels,
mais bien des circonstances particulières. « Ne nous montrons pas si
difficiles, dit M. Lebeau ; sachons nous plier aux circonstances. Eh !
messieurs, lorsque les Américains combattaient pour leur liberté, ont-ils
repoussé de leurs rangs l'illustre la Fayette ? Ont-ils repoussé les Rochambeau, les
Ségur et tant d'autres noms illustres ? Lorsque Byron, lorsque Fabvier se sont
présentés aux Grecs, le sénat de la
Grèce, par une susceptibilité nationale ridicule, a-t- il
refusé le secours de leurs bras ? Messieurs, tous les amis de la liberté sont
nos frères. Accueillons-les quand ils viennent verser leur sang pour la plus
noble des causes. » « — Du sein de la guerre, répondit M. Van de Weyer,
surgiront des talents : les grandes gloires de l'empire français sortirent des
derniers rangs de l'armée. La
Belgique n'est pas stérile en valeur, en capacité et en
courage. L'amour de l’indépendance et de la (page 116) patrie donnera une noble émulation à tous nos braves...
Dans notre armée, telle quelle est composée actuellement, nous avons pu
distinguer des chefs habiles et dignes en tout de se mettre à la hauteur de la
cause que nous défendons ; de même que, dans cette assemblée, des talents
nouveaux et jusqu'ici inconnus ont trouvé l'occasion de briller. Laissons aux
hasards de la guerre le soin de nous désigner ceux qui seront dignes de
conduire nos phalanges à la victoire. »
Plusieurs
députés, même parmi les plus influents, partageaient les doutes de M. Van de
Weyer sur la constitutionnalité du décret. Aussi la section centrale
jugea-t-elle nécessaire de le modifier : pour rester dans les termes de la Constitution, elle
fixa le nombre et détermina l'emploi des officiers étrangers à appeler dans
l'armée belge. Le gouvernement devait être autorisé à employer jusqu'à la paix
les officiers étrangers dont la désignation suit : 1°un général en chef et
trois officiers supérieurs ; 2° dans l'artillerie : un colonel, trois chefs de
bataillon, douze capitaines et vingt lieutenants et sous-lieutenants. Ces
officiers pourraient, à la paix, demeurer au service de la Belgique, s'ils
obtenaient, à raison de leurs services, des lettres de naturalisation.
L'article 124 de la
Constitution était rendu applicable aux étrangers qui tenaient
du gouvernement provisoire les grades qu'ils occupaient dans l'armée ; ils
étaient maintenus et admissibles à des grades supérieurs de la même manière que
les Belges.
Après des
débats très vifs et parfois orageux, ce décret fut adopté, le 11 avril, par
quatre-vingts voix contre quarante-deux. Les promoteurs de ce décret et le
ministère lui-même avaient pensé au lieutenant général Lamarque pour lui
conférer le commandement en chef de l'armée belge ; niais un scrupule très vif
arrêta bientôt le gouvernement et le fit renoncer à ce projet. Il se souvint
que le lieutenant général Lamarque s'était montré plutôt partisan de la réunion
de la Belgique
à la France
que de l'indépendance (page 117)
absolue de nos provinces. En résumé, le gouvernement ne put pas faire usage (et
nous dirons plus tard pourquoi) de l'autorisation qui lui avait été accordée
par le Congrès.
On se souvient
que quelques membres de l'assemblée avaient déposé une proposition qui devait se
convertir en déclaration de guerre contre le roi de Hollande. Dans la séance du
12, le Congrès écarta cette proposition, parce qu'elle empiétait sur les
prérogatives du pouvoir exécutif. Il écarta pareillement, et pour les mêmes
motifs, le projet de décret relatif aux poursuites judiciaires à exercer contre
les auteurs ou instigateurs des scènes de pillage et de dévastation. Il restait
une troisième proposition par laquelle on réclamait des mesures répressives
pour assurer l'exécution du décret relatif à l'exclusion de la maison de
Nassau. Le Congrès arrêta qu'une commission serait chargée de rédiger un projet
de décret sur la presse et sur le rétablissement du jury, avec des
modifications telles que ce décret ne pourrait froisser les libertés constitutionnelles.
Le Congrès refuse de prononcer prématurément sa dissolution.
Importance de cette détermination. Seconde prorogation de l'assemblée nationale
votée le 12 avril
Le Congrès
aborde enfin la proposition la plus importante, celle qui réclamait sa dissolution
et la convocation des chambres. Une contre-proposition ayant été déposée par M.
Nothomb, la discussion est ouverte sur cette question générale : Le Congrès
doit-il se dissoudre ?
M. l'abbé de
Haerne, prenant le premier la parole, n'a pas de peine à démontrer que le
Congrès n'a pas rempli complètement sa mission, puisque son œuvre doit être
couronnée par le choix du chef de l'État. Il démontre ensuite combien il serait
dangereux et ridicule de convoquer les chambres, de leur confier le pouvoir législatif,
tout en réservant au Congrès le pouvoir constituant. Cet arrangement ferait
échouer immanquablement les meilleures combinaisons. M. Isidore Fallon soutient
que le Congrès a épuisé son mandat. « Ce mandat, dit-il, est dans l'arrêté du 4
octobre 1830. Le Congrès n'en a pas reçu d'autre, et ce (page 118) mandat ne dit pas un mot de l'élection du chef de l'État.
Il est tout à fait spécial, et le Congrès, tel que les élections populaires
l'ont composé sous la foi de cet arrêté, n'a reçu d'autre pouvoir que de former
la Constitution
de l'État et de la rendre exécutoire. Ainsi l'élection du chef de l'État ne
pouvait lui appartenir que comme accessoire de son mandat ; que pour autant
qu'il fût possible d'y procéder avant l'achèvement complet et la mise a exécution
de la Constitution,
qui était l'objet principal et unique de sa mission. Aujourd'hui, ce mandat est
accompli, puisque la
Constitution peut être mise à exécution dans toutes ses
parties, et même en ce qui concerne l'élection du chef de l'État... Dans un
pareil état de choses, prenons garde, en réservant plus longtemps au Congrès
cet acte important à la consolidation de notre indépendance et à
l'affermissement de nos institutions, qu'on puisse un jour l'attaquer
d'inconstitutionnalité ou d'usurpation de pouvoir... » M. Devaux fait remarquer
que si, dans l'arrête du 4 octobre, il n'est pas question du choix du chef de
l'État, c'est parce que, à cette époque, on ne savait pas quelle serait la
forme de gouvernement qui serait adoptée par la Belgique, et qu'il
n'appartenait pas au gouvernement provisoire de décider si le pays se
constituerait en république ou en monarchie. Il signale ensuite les obstacles
qui s'opposent à des élections générales, dans l'état où se trouve le pays.
Lorsque le Luxembourg est menacé, dit-il, et lorsque Maestricht est encore au
pouvoir des Hollandais, les chambres, quand même on parviendrait à procéder aux
élections, les chambres répondraient-elles aujourd'hui aux besoins du pays ? M.
Devaux signale encore les difficultés qu'il y aurait à donner au gouvernement
l'activité et l'unité nécessaires en temps de révolution, si le pouvoir
législatif du Congrès était fractionné en deux corps, dont les nuances
d'opinions devaient nécessairement être différentes, puisqu'ils se composeraient
d'éléments (page 119) divers, et que
cette différence même était le but de l'institution des deux chambres. Il
ajouta qu'on oubliait une chose très importante, c'est que la révolution
n'était pas encore close ; que la Constitution avait été faite, non pas pour régir
la révolution, mais pour régir le pays quand il serait définitivement constitué
: en mettant en vigueur une partie de la Constitution, le
Congrès avait fait à cet égard tout ce qu'il pouvait faire. Dans un moment où
le gouvernement, dit-il encore, s'efforce de hâter la solution définitive du
sort du pays, conférer le soin de cette solution à des chambres nouvelles dont,
au dehors surtout, les dispositions pourraient paraître incertaines tant que
leur réunion n'avait pas eu lieu, ce serait entraver toute espèce de
négociation et prolonger considérablement le provisoire dont on veut sortir.
Des députés,
cédant à la lassitude, se plaignaient de la longueur d'une session qui durait
depuis cinq mois ; on leur opposa la persévérance du congrès américain et des
assemblées françaises. M. Hélias d'Huddeghem rappela que le congrès des
États-Unis d'Amérique avait duré deux ans ; réuni à Philadelphie au mois de
septembre 1774, il n'avait mis la dernière main à l'acte de confédération que
le 4 juillet 1776. M.
Nothomb signala la durée et l’immensité des travaux des assemblées de la
révolution française. La
Constituante avait siégé vingt-huit mois et avait rendu plus
de deux mille décrets ; la
Législative avait siégé onze mois et demi et avait rendu plus
de quinze cents décrets ; la
Convention avait siégé trente-sept mois et promulgué douze
mille décrets. « Nous ne sommes pas dans des circonstances moins graves, ajouta
l'orateur ; les cabinets se sont aussi coalisés contre nous, et les protocoles
de Londres valent bien le manifeste de Brunswick... Nos concitoyens nous ont
investis de la plénitude des pouvoirs sociaux ; ils nous ont revêtus de la
puissance constituante, ils nous ont dit de fonder la (page 120) nationalité de la Belgique ; ils nous ont, en un mot, confié la
révolution tout entière de septembre. Reportez vos regards sur la carrière que
nous avons parcourue, voyez les événements qui se préparent, qui nous pressent
et nous menacent ; et dites si, au point où en sont les choses, notre mission
est accomplie ? La révolution est-elle close, alors que de toute part on se
demande avec anxiété : Comment finirons-nous la révolution ? La nationalité de la Belgique est-elle fondée,
alors qu'on nous conteste un tiers de notre territoire, un tiers de nos
concitoyens, un tiers de la patrie ?... Il arrive quelquefois que la lassitude
vient affaiblir les ressorts des âmes les plus puissantes et les plus actives,
que de sinistres pressentiments viennent détruire les plus belles illusions de
la vie... Gardons-nous de céder a cette lassitude, à ces pressentiments.
Restons ; remplissons notre mission Ce n'est pas la veille du combat qu'il faut
choisir pour déserter le poste. Réservons-nous de prononcer notre dissolution
le lendemain du jour où la nouvelle sainte-alliance aura prononcé la sienne. »
M. Ch. Rogier combat aussi, avec entraînement, ceux qui voudraient déserter le
poste d’honneur où les a placés la confiance de la nation « Une révolution
comme la nôtre, dit-il, une révolution terrible qui, rejetant loin d'elle peuple
et roi qui nous opprimaient, a rompu tous les traités, mis en émoi tous les
cabinets, remis en question toute la politique européenne, une révolution
pareille ne peut être l'ouvrage d'un jour. Ayons donc patience, courage,
espoir. Si l'enfantement a été pénible, douloureux, ne voyez-vous pas dans
l'avenir l'œuvre grandir, se fortifier, devenir votre orgueil et votre gloire ?
Les événements se pressent d'ailleurs avec tant de rapidité, et, disons-le,
messieurs, avec tant de bonheur, que la révolution pourra être close à une
époque rapprochée ; mais agissons comme si sa fin n'était pas prochaine :
sachons montrer, avec une confiante résignation (page 121) devant les faits accomplis, une nouvelle persistance dans
l'accomplissement de nos devoirs. »
L'assemblée,
chargée des destinées de la
Belgique, refusa de décréter son suicide, le suicide de
l'indépendance et de la nationalité du pays ; elle refusa de livrer la
révolution aux attaques et aux entreprises des partis démagogique et orangiste.
En effet, les orangistes ne cachaient pas que, au moyen des élections
générales, ils avaient l'espoir de voir triompher leurs espérances et
d'accomplir une restauration. Un ex-membre du Congrès avait énoncé formellement
cette opinion dans un journal d'Anvers, et cette feuille ajoutait comme
commentaire : « L'espérance des hommes de bien et des véritables patriotes est
dans l'anéantissement des résultats de la révolution. »
Le Congrès
décida d'abord, à l'unanimité moins cinq voix, qu'il ne fixerait pas dès ce
jour l'époque de sa dissolution. Il adopta ensuite la résolution
suivante : « Le Congrès se séparera immédiatement après avoir délibéré sur
les projets à l'ordre du jour ; sauf le cas d'urgence qui pourrait survenir, le
Congrès s'ajournera indéfiniment jusqu'a la convocation que pourra faire son
président ou le régent. »
Il restait
encore à statuer d'une manière plus précise sur la proposition de M. Nothomb
relative à l'étendue de la mission de l'assemblée constituante et aux nouvelles
élections. Le Congrès décréta que, à partir du 16 avril, la session serait
prorogée sans ajournement fixe ; que le président actuel de l'assemblée aurait
le droit de convoquer le Congrès ; que, à chaque place de député qui
deviendrait vacante, il serait pourvu par un titulaire et un suppléant ; que
les élections auraient lieu conformément aux arrêtés des 10, 12 et 16 octobre
1830 ; qu'elles se feraient aux jours indiqués par le gouvernement et dans le
plus bref délai, d'après les listes qui avaient été arrêtées pour l'élection du
Congrès ; enfin que la réunion des électeurs pour la nomination des (page 122) membres de la chambre des
représentants et du sénat aurait lieu à une époque à déterminer ultérieurement
par le Congrès.
Interpellations sur les armements et les relations extérieures
L'assemblée,
ayant épuisé son ordre du jour dans cette séance même (14 avril) par l'adoption
des mesures les plus urgentes pour l'administration de l'État, anticipa sur le
congé. Cependant des interpellations, qui résumaient la situation, furent
adressées préalablement au ministère. On le questionna sur les préparatifs de
défense du Luxembourg et sur l'état des relations extérieures.
Le ministre de
la guerre déclara que les troupes qui devaient se rendre dans le Luxembourg
étaient en marche ; que le gouvernement avait pris des mesures pour la défense
du grand-duché ; que cette défense serait forte et telle qu'elle devait être.
De son côté, M. Lebeau fit connaître qu'il n'avait encore reçu aucune réponse
officielle aux dépêches qu'il avait expédiées pour avoir des renseignements
positifs sur les décisions de la conférence de Londres ; qu'il avait mandé au
comte d'Arschot que s'il n'était promptement reçu officiellement, il eût à
revenir. Il ajouta qu'il était informé de bonne source que le cabinet français
interposait une médiation très active, très amicale, dans tout ce qui
concernait la Belgique
près de la conférence de Londres. « Nous possédons, dit-il, la protection
puissante de la France,
et si elle a donné son adhésion aux protocoles, elle ne l'a fait que pour se
ménager des négociations ultérieures, qui détruiront les bruits sinistres qui
avaient été répandus. Soyez convaincus, comme je le suis moi-même, que tout
espoir n'est pas perdu pour l'entière garantie de nos droits, de notre
indépendance ; la France
n'a pas souscrit sans esprit de retour ; appuyons-nous avec confiance sur cette
nation grande et généreuse ; évitons tout ce qui pourrait nous séparer d'elle ;
la sympathie de la nation et de son gouvernement nous est irrévocablement
acquise, sachons-leur une vive reconnaissance, et témoignons-la par une
semblable affection. » Ces paroles inattendues produisirent une certaine (page 123) agitation dans l'assemblée.
Elle augmenta lorsque le ministre fit allusion à la violente accusation lancée,
dans la séance du 7 avril, par M. de Robaulx, contre le roi Louis-Philippe.
Cette sortie avait donné lieu à une énergique protestation de l'organe le plus
accrédité du ministère français et à des plaintes venues de haut lieu (Note
de bas de page : Voici comment s'exprimait, dans son numéro du 12 avril
1831, le Journal des Débats : «... Dans le discours de M. de Robaulx, il y a
quelques insultes contre le roi des Français. Nous ne voulons pas y répondre.
Nous rappellerons seulement à M. Lebeau, ministre des affaires étrangères de
Belgique, que c'était a lui de relever ces insultes et de venger la dignité du
roi, qui a fait qu'il y a dans le monde un régent, des ministres, une tribune,
un gouvernement enfin à Bruxelles. Quelques paroles de respect en échange d'une
patrie, était-ce trop cher ? Son silence est une ingratitude : c'est de plus
une faute politique, car, qui soutiendra la Belgique si ce n'est nous ? Si M. Lebeau connaît
en Belgique un autre patronage que le nôtre qu'il puisse donner à son pays,
nous consentons à ne plus regarder son ingratitude que comme de l'habileté ;
sinon que sera-ce ? »). M. Lebeau
déclara, au nom du ministère belge, qu'il n'avait jamais entendu s'associer à
la sortie en question, ni en partager les principes. M. du Robaulx ayant
demandé pourquoi le ministère usait si tardivement du droit de réfutation, M.
Lebeau avoua qu'il avait cédé peut-être un peu trop au premier mouvement que
lui causa l'adhésion inattendue de la
France au protocole du 20 janvier. « N'oublions pas
cependant, ajouta-t-il, que nous avons besoin de l'amitié de la France. N'allons
donc pas nous aliéner son gouvernement et méconnaître les usages
parlementaires. »
Négociations qui précédèrent et qui suivirent l'adhésion donnée
par la France
au protocole du 20 janvier 1831
Ce n'était pas
sans hésitation que le gouvernement français avait donné son adhésion à l'acte
de la conférence qui déterminait les limites de la Hollande et de la Belgique. Le prince
de Talleyrand avait reçu l'ordre de communiquer aux plénipotentiaires réunis à
Londres des observations sur le protocole du 19 février. (page 124) Tout en reconnaissant que le grand-duché de Luxembourg,
sous la souveraineté de la maison de Nassau, devait rester compris dans la Confédération
germanique, le gouvernement français voulait en distraire le duché de Bouillon
pour le donner à la Belgique
; en outre, il ne trouvait pas assez équitables les bases arrêtées pour la
répartition de la dette entre les deux parties de l’ancien royaume des Pays-Bas
; enfin, il protestait contre tout principe qui consacrerait un droit
d'intervention armée dans les affaires intérieures des différents Etats de
l'Europe. Dans leur réunion du 17 mars, les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Bretagne,
de Prusse et de Russie, répondirent que les réserves faites par le gouvernement
français relativement au duché de Bouillon, étaient en dehors de la question
principale de la séparation de la
Hollande d'avec la Belgique, et avaient rapport tout au plus à des
détails d'exécution ; en ce qui concernait la dette, ils objectèrent que
l'arrangement critiqué par le gouvernement français n'était qu'une proposition
faite pour être discutée entre les parties intéressées ; enfin, ils déclarèrent
que la conférence n'avait admis dans ses protocoles l'emploi de la force que
pour faire cesser les hostilités et pouvoir en empêcher la reprise, ajoutant
que le gouvernement français s'était offert a concourir par ses forces navales
à l'accomplissement de cet objet. Les plénipotentiaires déclarèrent aussi que
les cours dont ils étaient les représentants croiraient sans doute manquer à
leur devoir et compromettre leur dignité, ainsi que l'intérêt général de
l'Europe, si elles ne s'opposaient de toutes leurs forces à tout empiétement de
la part de la Belgique
sur le territoire hollandais. Ils étaient également convaincus que si la Belgique tentait une
invasion en Hollande, ou des conquêtes sur elle, le gouvernement français
jugerait comme eux que, dans un tel état de choses, les cinq puissances
seraient appelées à donner à la
Hollande toute l'assistance nécessaire pour maintenir son
indépendance (page 125) et défendre
l'intégrité de son territoire. Du reste, aucun des protocoles de la conférence
ne donnait lieu, d'après eux, à l'application d'une intervention armée dans les
affaires intérieures de la
Belgique, pas même dans le cas d'une guerre civile ; cas que
le gouvernement français semblait cependant envisager, ajoutaient-ils, comme
une circonstance qui l'autoriserait à une intervention armée de sa part dans
les affaires intérieures de ce pays. Ils rappelaient enfin que le gouvernement
français avait également manifesté le dessein d'exercer cette intervention dans
le cas de l'élection du duc de. Leuchtenberg.
Note officielle du général Sébastiani à M. Lehon
Après avoir pris
connaissance de cette réponse, M. le comte Sébastiani annonça verbalement, le 4
avril, à M. Lehon, que le gouvernement français venait d'adhérer au protocole
de la conférence de Londres, en date du 20 janvier 1831, concernant les limites
projetées pour le nouvel État belge. Par des notes du 11 et du 14 avril, M.
Lehon pria le ministre français de vouloir bien lui faire connaître cette
adhésion d'une manière officielle, et de lui faire savoir en même temps si le
gouvernement français avait apporté quelques modifications, conditions ou
réserves aux dispositions de ce protocole. M. Sébastiani répondit
officiellement, le 15, que le gouvernement français avait donné son adhésion au
protocole de la conférence de Londres, et il exprimait l'opinion qu'il était dans
l'intérêt essentiel des Belges d'y adhérer eux- mêmes. « Cet acte, disait-il, a
consacré le principe de l’indépendance de la Belgique, de son
admission dans la grande famille des États européens, et il doit ainsi lui
assurer, sans aucune contestation possible à l'avenir, la jouissance de tous
les droits qui résultent de cette position. Il a, en outre, établi sa
neutralité, et par cela même, il lui garantira une paix durable, à la faveur de
laquelle la Belgique
pourra, en toute sécurité, développer les nombreux éléments de richesse et de
prospérité qu'elle doit à la rare fécondité de son sol et au génie industrieux
(page 126) de ses habitants. Le
gouvernement français, dont les sentiments de bienveillance et d'amitié pour
les Belges ne sauraient être révoqués en doute, appelle de tous ses vœux un
avenir aussi heureux, et il croit donner une preuve nouvelle de ces sentiments
en leur conseillant d'adhérer, sans restriction comme sans délai, au protocole
du 20 janvier dernier. »
Conférence tenue à Londres le 17 avril
Ce fut dans la
conférence tenue au Foreign-Office le 17 avril, que M. le prince de Talleyrand
déclara officiellement d'ordre exprès du roi son maître, que la France adhérait au
protocole du 20 janvier 1831 ; qu'elle approuvait entièrement les limites
indiquées dans cet acte pour la
Belgique ; qu'elle admettait la neutralité ainsi que
l'inviolabilité du territoire belge ; qu'elle ne reconnaîtrait de souverain de la Belgique qu'autant que ce
souverain lui-même aurait pleinement accédé à toutes les conditions et clauses
du pacte fondamental du 20 janvier 1831, et que, d'après ces principes, le
gouvernement français considérait le grand- duché de Luxembourg comme
absolument séparé de la
Belgique, et comme devant rester sous la souveraineté et dans
les relations que lui avaient assignées les traités de 1815. Cette déclaration,
dit le protocole, fut reçue par les plénipotentiaires des quatre cours avec une
satisfaction unanime et sincère.
A la suite de
cette communication, la conférence arrêta le même jour les propositions finales
qu'elle aurait à faire à la
Belgique, et en même temps elle voulut donner à la France un témoignage de la
confiance qu'inspiraient les dispositions manifestées par le gouvernement du
roi Louis-Philippe en faveur de la paix générale. Dans une réunion, à laquelle
n'assistait pas le plénipotentiaire français, les représentants de l'Autriche,
de la Grande-Bretagne,
de la Prusse
et de la Russie,
portèrent leur attention sur les forteresses construites aux frais des quatre
cours depuis l'année 1815, dans le royaume des Pays-Bas. Les plénipotentiaires
furent unanimement d'opinion que la situation nouvelle (page 127) où la
Belgique serait placée, et sa neutralité reconnue et garantie
par la France,
devaient changer le système de défense ; que, d'ailleurs, l'inviolabilité
unanimement admise du territoire belge offrait une sûreté qui n'existait pas
auparavant : qu'enfin, une partie de ces forteresses, construites dans des
circonstances différentes, pourraient désormais être rasées. En conséquence,
les plénipotentiaires arrêtèrent éventuellement qu'à l'époque où il existerait
en Belgique un gouvernement reconnu par les puissances qui prenaient part aux
conférences de Londres, il serait entamé entre les quatre cours et ce
gouvernement une négociation à l'effet de déterminer celles desdites
forteresses qui devaient être démolies (Note de bas de
page : Ce protocole ne fut communiqué au prince de Talleyrand que le 14
juillet 1831. Il est au nombre des pièces imprimées par ordre de la chambre des
communes d'Angleterre (27 juillet 1831).
L'adhésion du ministère français suscite également des discussions
très vives à la chambre des députés et à la chambre des pairs. Prorogation de
la session de 1830. Discours du roi Louis-Philippe
L'adhésion du gouvernement
français au protocole du 20 janvier, après avoir attristé le Congrès belge,
devait également soulever de vives tempêtes au sein de la chambre des députés.
Elle était alors saisie de la demande d'un crédit éventuel de cent millions
pour faire face à la situation. Dans la séance du 12 avril, M. Mauguin, après
avoir rappelé que le gouvernement avait abandonné la Pologne et l'Italie, lui
reprocha de vouloir abandonner également la Belgique, nonobstant l'engagement formel contenu
dans la dépêche signée par M. Sébastiani le 1er février. Tout semble donc
aboutir, s'écria-t-il, à une invasion concertée, et peut-être à un partage !
Dans sa réponse, M. Sébastiani oublia la modération et la mesure qui font à la
tribune la force réelle des représentants du pouvoir. Vivement irrité contre
quelques orateurs du Congrès de Bruxelles et contrarié par les manifestations
belliqueuses de l'Association nationale, parce qu'elles n'étaient pas sans écho
en France, le ministre des affaires étrangères (page 128) s'éleva avec colère contre l'exaltation des patriotes
belges. « La « France, dit-il, ne s engage à la suite de personne, ni à la
suite de l'Italie, ni à la suite de la Belgique. Et, à propos de la Belgique, quelle est
aujourd'hui sa situation ?... Une association, traînant à sa suite le meurtre
et le pillage, y domine le gouvernement. Cette association prétend qu'elle nous
conduira à la guerre malgré nous. Non, la France ne se traînera pas misérablement à la
suite de ces brouillons... La
France est conduite par des principes de justice, d'honneur
et de raison ; elle a déjà beaucoup fait pour la Belgique ; elle est prête
à faire beaucoup encore. Mais croit-on soutenir ici l'honneur et la dignité de la France, quand on emprunte
le langage de quelques orateurs, de quelques écrivains belges, qui s'expriment
sur la France
avec un langage qu'on réprimerait dans un autre temps ? Pour nous, notre
langage à l'égard de la
Belgique sera toujours le même. Elle a encore besoin de nous
; nous la protégerons ; elle trouvera en nous à la fois des intentions
bienveillantes et une volonté inébranlable » Cette sortie, qui devait
naturellement exciter une vive et légitime indignation en Belgique, fut relevée
avec énergie le lendemain par le général Lamarque. « Des paroles hautaines et de
colère ne conviennent pas, dit-il, au ministre d'un grand roi, à l'organe d'une
grande nation. Les traits qu’il a lancés ont d'ailleurs frappé à faux. Ce n'est
pas un tas de brouillons qui proteste dans la Belgique contre les
protocoles de Londres, qui veut qu'on n'en sépare pas la rive gauche de
l’Escaut et le Luxembourg ; mais c'est la nation belge tout entière qui réclame
l'exécution des promesses solennelles contenues dans une dépêche de notre
gouvernement... »
Alors M.
Casimir Périer parait lui-même à la tribune pour accuser la Belgique d'ingratitude et
nier les droits qu'elle prétend avoir sur le Luxembourg. « C'est par nous,
dit-il, que la Belgique
a vu reconnaître son indépendance, au moment même où elle faisait (page 129) sa conquête, et résoudre ainsi
en quelques jours une question pour laquelle la France a combattu de
longues années. — De ce que nous avons fait pour elle, faut-il
conclure que nous devions plus faire encore, et qu'elle doive traîner la France a la remorque ? On
pourrait le croire en écoutant ses orateurs. — Toutefois, la prétention est
bien étrange. Est-ce donc pour la
Belgique seule que la France a fait ce qu'elle a fait ? Non, c'est pour
elle-même. Elle reste donc et seul juge de ses intérêts, et seule maîtresse de
ses actions. Elle ne s'est point mise aux ordres d'un État qui ne doit qu'à
elle ce que les siècles lui avaient refusé : la faculté d'être par lui-même.
Qu'il songe à la conserver par le rétablissement de l'ordre intérieur, par le
respect des lois, du droit des gens, de l'humanité ; qu'il veille à ne pas
offrir à l'Europe le spectacle d'une sanglante anarchie, et alors il pourra
élever la voix, et réclamer la protection des nations sages et libres. — La
question du Luxembourg est fort simple. Aux termes des traités, ce pays
appartient à la maison de Nassau, et ses forteresses à la Confédération
germanique. C'est là l'état légal des choses, et la France l'a reconnu en
novembre. Le ministère, où ne siégeaient d'ailleurs que deux des membres du
cabinet actuel, a dû respecter le texte formel de traités, qui, cette fois,
intéressaient la sûreté de plusieurs États. Telle est la situation constatée ;
elle doit l'être maintenant, et elle le sera . Mais notre intention est qu'elle
le soit d'un commun accord et par l'action unanime de toutes les puissances.
Notre espérance est conforme à notre intention. Cette politique est celle d'un
État libre et puissant, qui n'a délégué à personne le droit de maîtriser sa
conduite, qui fait la guerre ou la paix pour son compte ; qui se gouverne enfin,
et ne se laisse pas gouverner. J'ai souvent entendu reprocher à la restauration
d'adopter tantôt la politique russe, tantôt la politique anglaise. Serions-nous
tombés si bas qu'il nous fallut donner maintenant à la France la politique belge ?
(page 130) Non, non ; nous voulons
une politique française. Il est temps que la France n'appartienne qu'à la France. — Ne vous y
trompez pas, c'est la dépendance qu'on vous conseille, lorsqu'on vous montre
tous les peuples qui vous appellent et qui vous engagent dans leurs querelles.
Ce qu'on vous propose, c'est de capituler vos armées au service des insurgés
dans tous les pays ; c'est d'en faire la garde soldée de toutes les
insurrections. Est-ce ainsi, je le demande, que l'on entend l'indépendance
nationale ? La tribune où je parle est notre légitime conseillère ; nous
écouterons toujours ses avertissements, mais qu'il nous soit permis de nous
étonner que l'opposition, qui se montre si jalouse de l'honneur national, ait
oublié de s'offenser du langage étrange d'une tribune qui ne s'est élevée qu'à
l'ombre de la nôtre. Comment n'est-il venu à la pensée d'aucun des honorables
orateurs auxquels je réponds de se séparer, au moins par quelques mots et sur
quelques points, de ceux qui commentent si étrangement à Bruxelles notre
révolution de juillet ! Ils s'accordent avec eux sur la question du Luxembourg
; il faut espérer pourtant qu'ils ne sont pas également d'accord sur toutes les
autres questions. Quoi qu'il en soit, messieurs, croyez-nous, l'affaire du
Luxembourg ne porte pas la guerre dans son sein. Aucun intérêt sérieux, aucun
engagement antérieur, aucune prévision légitime, ne nous oblige à recourir aux
armes. La guerre est une chose qu'il faut vouloir quelquefois, mais désirer,
jamais. Nous persistons à désirer et à vouloir la paix... »
Les paroles du
président du conseil furent loin de calmer l'opposition. Par l'organe de MM. de
Tracy et Odilon Barrot, elle déclara solennellement que le ministère avait
méconnu, avait calomnié la nation belge. « Il y a quelque imprudence, dit M. de
Tracy, à traiter avec tant de dédain et peut-être avec tant de légèreté une
nation voisine qui, travaillée par les intrigues les plus perfides et au moment
de tomber entre les mains (page 131)
de ses ennemis, éprouve un élan national... Le gouvernement belge a senti que
ce n'était pas sur les orangistes qu’il devait s'appuyer ; et c'est à tort
qu'on l'accuse d'être le jouet d'un tas de brouillons. Ce peuple a suivi notre
exemple, et nous l'abandonnons ! J'éprouve quelque peine à entendre sans cesse
répéter que si la Belgique
est indépendante, c'est à la protection de la France qu'elle le doit. C'est, au contraire,
l'insurrection des Belges qui a couvert nos frontières. . . » Cette réplique
éloquente fit réfléchir le gouvernement ; il recula. M. Sébastiani vint
expliquer ses paroles et rétracter celles qui avaient paru outrageantes pour la Belgique. « On nous
accuse, dit-il alors, d'avoir calomnié un peuple voisin. Non, messieurs, nous
savons que ce peuple est digne de toute notre estime, et il obtiendra de nous
un constant appui ; mais cet appui, nous le refusons à des brouillons qui
s'efforcent d'asservir le gouvernement de leur pays, et qui veulent substituer
l'anarchie à l'autorité des lois. Justes envers tous, nous ne confondons pas avec
ces hommes la partie saine, pure et noble de la nation belge. »
Le débat fut
ensuite transporté à la chambre des pairs. La politique du gouvernement à
l'égard de la Belgique
y rencontra pour adversaire. M. le comte de Montalembert. Mal renseigné sur les
dispositions des Belges, M. de Montalembert reprocha au ministère de les avoir
repoussés lorsqu'ils désiraient se jeter dans le sein de la France ; il lui reprocha en
outre de les tromper de nouveau par son adhésion au protocole qui leur enlevait
le Luxembourg (Note de bas de page : M. le comte
de Montalembert mourut le 21 juin 1831, et la dignité de pair de France passa à
son fils, qui était alors poursuivi, conjointement avec M. l'abbé Lacordaire et
M. Decoux, pour avoir ouvert, sans l'autorisation de l'Université, une école
libre, rue des Beaux-Arts, à Paris). La réponse de M. Sébastiani fut cette fois digne d'un (page 132) homme d'État. Tout en
déclarant que l'adhésion de la
France au protocole du 20 janvier était définitive, le
ministre dissipa courageusement une des illusions de ses compatriotes ; il
démontra non seulement que la majorité du peuple belge ne voulait pas abdiquer
sa nationalité, mais encore que l'annexion, désirée par M. de Montalembert,
serait désastreuse pour la
France. « L'orateur a parlé, dit-il, de notre politique à
l'égard de la Belgique,
politique qu'il a qualifiée de tortueuse et de perfide. Il a prétendu que le
peuple belge s'était offert à nous ; qu'il dépendait de nous de réunir à la France de nouvelles
provinces ; que non seulement l'Europe y aurait donné son consentement, mais
qu'elle aurait même favorisé cette réunion. Messieurs, la Belgique s'est offerte à
nous par le vœu isolé de quelques individus ; était-ce un motif suffisant pour
opérer une réunion, qui, malgré les assertions de l'orateur, nous conduisait à
une guerre générale, et sur le continent, et sur la mer ? Je prie la chambre
d'avoir à cet égard quelque confiance en mes paroles. Mais alors même que cette
réunion n'eût pas rencontré d'obstacles, je doute qu'elle eût été conforme à
l'intérêt de la France. La
force de la France,
messieurs, cette force si imposante, si respectée d'un bout à l'autre de
l'Europe, consiste principalement dans l'homogénéité des éléments qui composent
son territoire. A quoi faut-il attribuer la faiblesse des autres États ? A leur
formation vicieuse, hétérogène ; à cet amalgame d'États et de provinces opéré
le plus souvent contre le vœu des peuples. L'espoir d'une séparation entretient
dans leur sein des causes continuelles de lutte et de désordre. Ces causes,
messieurs, n'existent pas pour la France. Aucun de nos départements n'aspire à se
séparer du grand corps national. Croyez-vous, « messieurs, qu'en Autriche, en
Prusse, en Russie, il existe la même homogénéité, la même identité de sang, d'intérêts,
de besoins ? Gardons-nous donc d'altérer cette union de nos (page 133) provinces ; nous devons être
éclairés à cet égard par la triste expérience que nous avons faite ! Nous avons
été les maîtres du Piémont. Quand la fortune nous est devenue contraire, le
Piémont s'est séparé de nous. Nous l'avons possédée aussi cette Belgique, et
qui de nous a oublié, messieurs, quelle impatience elle témoignait, en 1814, de
briser le lien qui l'unissait à la
France ? L'on veut savoir quelle est notre politique à l'égard
de la Belgique.
Messieurs, elle est claire et précise : la France a donné son adhésion
pleine et entière au protocole du 20 janvier. Elle a engagé la Belgique à suivre son
exemple. Elle a cru qu'il était de son devoir de donner ce conseil à un peuple
allié, pour lequel sa vive sollicitude s'est hautement manifestée. Telle est
notre politique ; elle n'admet point d'arrière-pensée. Dès lors rien de
tortueux, rien de perfide ; et lorsque nous donnons à nos amis des conseils que
nous croyons sages et conformes à leurs vrais intérêts, nous avons lieu
d'espérer qu'ils les recevront avec affection et déférence. »
Enfin, le roi
Louis-Philippe, en venant prononcer le 20 avril la prorogation de la session de
1830, fit connaître très explicitement la politique pacifique qu’il voulait
embrasser et conséquemment le désir qu'il avait de cesser les armements
extraordinaires exigés par la situation. Il manifestait en même temps la
volonté de garantir l’indépendance de la Belgique. « Mes ministres, dit-il, vous ont constamment
entretenus de l'état de nos relations diplomatiques, et vous avez eu
connaissance des circonstances qui m'ont déterminé à faire des armements
extraordinaires ; comme moi, vous en avez reconnu la nécessité, et vous
partagerez de même mon désir sincère de la voir cesser promptement. Les
assurances que je reçois de toutes parts des dispositions pacifiques des
puissances étrangères me donnent l'espérance que leurs armées et la nôtre
pourront être bientôt réduites aux proposions de l'état de paix ; mais en
attendant (page 134) que les
négociations entamées aient acquis le développement nécessaire pour rendre
cette réduction possible, l'attitude de la France doit être forte, et nous devons persévérer
dans les mesures que nous avons prises pour la faire respecter ; car la paix
n'est sûre qu'avec l'honneur. — Notre appui et le concours des grandes
puissances de l'Europe ont assuré l'indépendance de la Belgique et sa séparation
de la Hollande. Si
j'ai refusé de me rendre au vœu du peuple belge, qui m'offrait la couronne pour
mon second fils, c'est que j'ai cru que ce refus m'était dicté par les intérêts
de la France
aussi bien que par ceux de la
Belgique elle-même. Mais ce peuple a des droits particuliers
à notre intérêt, et il nous importe qu'il soit heureux et libre. »
M. Surlet de Chokier déclare que les Belges ne peuvent se
soumettre aux protocoles
Suivant le
désir exprimé par le général Belliard, alors à Paris, le secrétaire de la légation
française à Bruxelles s'empressa de communiquer le discours royal au régent de la Belgique. M. Surlet
de Chokier le lut avec avidité ; mais, d'après le silence qu'il gardait, et
d'après sa physionomie devenue plus soucieuse, il était facile de voir que le
langage du roi ne répondait pas à ce qu'il eût désiré. Il se borna à dire :
« Le discours ne contient que des choses vagues. » Puis il quitta
brusquement cette conversation pour parler des armements du Luxembourg, de la
situation du pays, de la volonté inébranlable des Belges de conserver
l’intégrité du territoire national et de résister, même par les armes, aux
injonctions arbitraires de la conférence. « La Belgique est tranquille,
dit-il, je fais tous mes efforts, j'emploie toute, mon autorité à y tout
concilier. Pour n'effaroucher aucune susceptibilité, je me tiens à l'écart,
n'agissant que lorsque je ne puis m'en dispenser, mais je vous avoue que je ne
saurais admettre que nous devons nous soumettre aux protocoles. Si l'on me
pousse à bout, je me démettrai de mes fonctions : qu'arrivera-t-il ? On me
remplacera par un homme du mouvement (page
135) ; que sais-je ? par la république peut-être. La population veut
marcher en avant ; elle se battra avec fanatisme, et rien ne l'arrêtera. Les
Français ne cessent de manifester leur sympathie pour notre cause, ils ne nous
abandonneront pas, aucune puissance ne pourra les arrêter ; comme on ne
pourrait pas non plus empêcher les Belges de voler au secours de la France, si, ce qui n'est
pas supposable, elle devait se trouver engagée dans une guerre sans la Belgique... Je le
répète, il faut que nous sortions de cet état d’incertitude, et de suite ;
l'explosion autrement sera terrible ; le général Belliard connaît assez le
pays, la disposition des esprits, pour être à même d'éclairer parfaitement le
gouvernement. Puisse sa voix être écoutée ! ... »
Chapitre suivant