« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome :
Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
PREMIER. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
Le roi des
Pays-Bas réclame l'intervention des puissances et demande au gouvernement
britannique l'envoi immédiat d'une armée en Belgique. Refus de lord Aberdeen,
ministre des affaires étrangères ; il annonce la réunion prochaine des
plénipotentiaires des cinq cours.
(page 59) La
révolution belge, accueillie avec enthousiasme par les Français qu'elle
garantissait contre une nouvelle coalition, devait naturellement alarmer et
irriter ceux qui avaient fondé le royaume des Pays-Bas. Le roi Guillaume espéra
tout du ministère tory qui gouvernait alors l'Angleterre, sous la présidence du
vainqueur de Waterloo. Dès le commencement du mois d'octobre, il avait réclamé
l'intervention de la
Grande-Bretagne, de l'Autriche, de la Russie, de la Prusse et de la France même, en leur
qualité de signataires des traités de Paris et de Vienne. Il avait demandé en (page 60) outre au gouvernement
britannique, par l'intermédiaire de son ambassadeur (M. Falck), l'envoi
immédiat d'un nombre de troupes nécessaire pour rétablir la tranquillité dans
les provinces méridionales. Lord Aberdeen, chef du Foreign-Office, répondant à
M. Falck, le 17 octobre, refusa l'envoi des troupes comme tardif, et annonça la
réunion prochaine des plénipotentiaires des cinq cours, en déclarant que le but
principal du gouvernement britannique serait d'empêcher les troubles survenus
dans les Pays-Bas de conduire à une interruption de la paix générale.
Ouverture du
parlement britannique, le 2 novembre : discours menaçant du roi d'Angleterre.
Protestation de sir John Hobhouse dans la chambre des communes et de lord Grey
dans la chambre des lords. Réponse du duc de Wellington. Première réunion de la Conférence
Les sentiments du gouvernement britannique allaient se
manifester publiquement et solennellement. Le 2 novembre, tandis que M.
Laffitte prenait à Paris la présidence du conseil, le roi de la Grande-Bretagne
ouvrait le parlement et s'exprimait en ces termes sur les graves événements
dont les Pays-Bas venaient d'être le théâtre : « C'est avec un profond regret
que j'ai été témoin de l'état des affaires dans les Pays-Bas. Je déplore que
l'administration éclairée du roi n'ait pas préservé ses domaines de la révolte,
et que la mesure sage et prudente de soumettre les désirs et les plaintes de
son peuple aux délibérations d'une assemblée extraordinaire des états généraux
n'ait pas amené un résultat satisfaisant. Je m'efforce, de concert avec mes
alliés, d'aviser, pour rétablir la tranquillité, à des moyens qui seront
compatibles avec la prospérité du gouvernement des Pays-Bas et avec la sécurité
future des autres États... Sentant toujours la nécessité de respecter la foi
des engagements nationaux, je suis persuadé que ma détermination de maintenir,
de concert avec mes alliés, ces traités généraux par lesquels le système
politique de l'Europe a été établi, offrira la meilleure garantie au repos du
monde. » Cette menace contre la révolution belge produisit la plus grande
sensation en Angleterre. Sir John Hobhouse s'éleva vivement, dans la chambre
des communes, contre le langage que le ministère avait mis dans la (page 61) bouche du roi. Le discours du
trône ne fut pas attaque avec moins d'énergie dans l'autre chambre par lord
Grey. Le chef des whigs blâma ce langage comme inopportun, injuste, immérité,
impolitique, et contraire aux plus chers intérêts de son pays, qui
commandaient, disait-il, le principe de non-intervention dans les affaires des
Pays-Bas. Lord Wellington lui répondit, et son discours pouvait être résumé
dans ces mots : « Le désir de la Grande-Bretagne est de résoudre la question de la Belgique, s'il est
possible, par des négociations. » En effet, les plénipotentiaires des cinq grandes
puissances de l'Europe, réunis en Conférence à Londres, se mirent immédiatement
à l'œuvre, et, le 4 novembre, arrêtèrent le protocole n°1 (Note de bas de
page : Le prince Esterhazy, ambassadeur d'Autriche ; le prince de
Talleyrand, ambassadeur de France ; lord Aberdeen , chef du Foreign-Office ; le
comte Bulow, représentant la
Prusse, et le comte Matuszewi, ambassadeur de Russie).
« Il fallait ou tirer le fer, et couper le nœud gordien avec
l'épée d'Alexandre, ou accepter un Congrès, c'est-à-dire tacher de s'entendre.
A celui-ci, les souverains n'avaient aucun goût de se rendre, car il fallait
consommer la ruine de la
Sainte-Alliance ; ils y ont dépêché leurs ministres. Ce
Congrès s'est appelé Conférence. Nous y avons envoyé l'homme le plus « habile
de l'Europe, et dont l'heureuse influence est devenue aujourd'hui une chose
notoire. » La Monarchie de 1830, par M. THIERS , député des
Bouches-du-Rhône, p. 103)
M. Van de
Weyer se rend à Londres pour exposer au cabinet britannique le véritable
caractère de la révolution belge; ses conférences avec lord Aberdeen, le prince
d'Orange et le duc de Wellington.
Le 1e novembre, M. Van de Weyer, accompagné de M.
Bowring, avait quitté Bruxelles, chargé par ses collègues du gouvernement
provisoire d'exposer au cabinet britannique le véritable caractère de la
révolution belge. Arrivé en Angleterre le 4 novembre, il crut devoir suspendre
toute démarche pendant deux ou trois fois vingt-quatre heures, jusqu'à ce que
l'opinion publique et celle des membres du parlement se fussent prononcées sur
le discours du trône. En attendant, il vit plusieurs des membres les plus
distingués de l'opposition ; il leur raconta tout ce qui s'était passé (page 62) en Belgique depuis le mois
d'août (car les faits avaient été dénaturés de la manière la plus étrange), et
il rencontra de vives sympathies parmi les whigs. Sir Hobhouse l'introduisit
enfin auprès de lord Aberdeen, avec lequel il eut une conversation de trois
heures.
Après avoir exposé au ministre l'état exact des faits, M. Van
de Weyer lui posa nettement la question de savoir si l'Angleterre avait pris
une résolution définitive relativement aux affaires de la Belgique. Lord
Aberdeen répondit que l'Angleterre était résolue à faire respecter les traités
qui garantissaient la paix et la stabilité de l'Europe, et qu'elle
n'interviendrait point tant que ses intérêts et son honneur ne seraient pas
compromis. M. Van de Weyer fit observer que déclarer qu'on voulait maintenir
les traités et ce qu'on appelait la stabilité de l'Europe, c'était déclarer la
guerre ; que la résolution des Belges était de repousser toute intervention,
soit diplomatique, soit par la force des armes, et qu'en désespoir de cause,
plutôt que de souffrir cette intervention, la Belgique se jetterait
dans les bras d'une puissance étrangère. « Les grandes puissances, répondit
lord Aberdeen , agissent d'accord avec la France. » Comme il vint à parler ensuite de la
mission remplie par M. Gendebien à Paris, M. Van de Weyer n'hésita point à lui
communiquer les instructions secrètes qu'il avait reçues de ses collègues, en
affirmant sur l'honneur que celles de M. Gendebien étaient absolument les
mêmes. « Mais, fit observer lord Aberdeen, le gouvernement provisoire s'est mis
en contradiction avec lui-même en offrant la couronne au duc de Nemours. » M.
Van de Weyer nia positivement le fait, en disant que le gouvernement aurait été
effectivement inconséquent avec ses actes en faisant cette offre, puisque la
convocation du Congrès national avait pour objet de donner une Constitution à la Belgique ; offrir la
couronne au duc de Nemours, c'eût été résoudre par avance la question de la
république et de la monarchie sur laquelle le (page 63) gouvernement provisoire appelait le Congrès à délibérer.
M. Van de Weyer ajouta qu'il était vrai que M. Gendebien avait dû chercher à
connaître l'opinion du cabinet français, pour savoir si, dans le cas où la
forme monarchique serait celle du gouvernement de la Belgique, la France acceptait la
proposition d'élever un de ses princes sur le trône de ce pays ; mais que de là
à offrir la couronne de Belgique à un prince quelconque, il y avait une
distance immense.
Bientôt on fit savoir à M. Van de Weyer que le prince d
Orange manifestait le désir de le voir. M. Van de Weyer répondit que, comme
membre du gouvernement provisoire, il ne pouvait ni ne voulait avoir aucun
rapport avec le prince ; mais que comme citoyen d'un pays sur lequel sa famille
avait régné, il voulait bien se rendre chez lui pour recevoir les
communications qu'il avait à lui faire. Dans l'entrevue qu'il eut avec le
prince, celui-ci commença par justifier sa conduite à Anvers et depuis qu'il
avait quitté cette ville. Il demanda ensuite s'il avait encore quelques chances
de régner en Belgique. M. Van de Weyer répondit que, dans son opinion personnelle,
lui et tous les membres de sa famille avaient à jamais perdu toute chance
d'obtenir un pouvoir quelconque dans ce pays ; et que s'il l’interrogeait sur
la question de savoir si les Belges le recevraient avec plaisir, il lui
répondrait qu'il ne croyait pas qu'il fût prudent de sa part de remettre le
pied dans les provinces à jamais séparées de la Hollande.
M. Van de Weyer vit aussi le duc de Wellington, qui fut plus
précis et plus catégorique que lord Aberdeen sur le principe de
non-intervention. Il déclara que l'Angleterre n'avait jamais eu l’intention
d'intervenir; que le gouvernement anglais ne prétendait pas exercer d'influence
sur le choix du gouvernement de la
Belgique, mais qu'il espérait que la forme de ce gouvernement
serait telle qu'elle ne compromettrait point la sûreté du reste de l'Europe. M.
Van de Weyer fit observer que, dans le cas d'intervention (page 64), les Belges considéreraient leur réunion à la France comme une dernière
planche de salut. « Bien loin d'être une planche de salut, répondit le duc, ce
serait le signal d'une guerre européenne. L'Angleterre et toutes les autres
puissances s'opposeront toujours à votre réunion à la France. » Lord Wellington
parla ensuite des élections des membres du Congrès, et il applaudit à plusieurs
choix qui lui semblaient porter ce caractère de sagesse qu'il désirait voir
présider aux délibérations de l'assemblée nationale belge (Note de bas de
page : Nous avons résumé le rapport fait par M. Van de Weyer an Congrès
dans la séance du 16 novembre 1830.)
Protocole du
4 novembre. Adhésion éventuelle du gouvernement provisoire.
Le premier protocole, arrêté par la Conférence de
Londres, annonçait les vues pacifiques des puissances, mais en consacrant
virtuellement le principe de l'intervention en leur faveur. Ce protocole fut
apporté à Bruxelles, le 7 novembre au soir, et notifié au gouvernement
provisoire par deux commissaires de la Conférence , M. Cartwright, ancien secrétaire de
l'ambassade britannique à Bruxelles, et M. Bresson, secrétaire de l'ambassade
de France à Londres. Les puissances proposaient la cessation entière des
hostilités, en assignant à la
Hollande, comme ligne d'armistice, les limites qu'elle avait
avant le traité de Paris du 30 mai 1814 ; cet armistice ne devait d'ailleurs
préjuger en rien les questions dont les cinq cours auront à faciliter la
solution. Certes, il eût été glorieux pour la Belgique de propager le
mouvement révolutionnaire et de repousser la tutelle des puissances, jusqu'à ce
qu'elle eût atteint les limites qu'elle possédait, au nord et à l'est, sous
Charles-Quint ; il eût été glorieux de reprendre Maestricht et Luxembourg. Mais
comment affronter les forces de la
Prusse et de la Confédération germanique, alors que l'on ne
pouvait ignorer que si le ministère français était résolu à s'opposer à
l'entrée d'une armée étrangère en Belgique, il n'était pas disposé à courir (page 65) avec les Belges les chances
d'une guerre offensive; alors que les forces du pays insurgé ne répondaient pas
à son courage, car il se trouvait encore sans armée régulière propre à lutter
contre les troupes hollandaises sur leur territoire et a favoriser le
soulèvement du Brabant septentrional ? La situation était périlleuse ; il
fallut déposer les armes.
Le gouvernement provisoire répondit donc, avec beaucoup de
dignité, aux représentants des cinq cours, qu'il se plaisait à croire que des
sentiments de sympathie, bien naturels pour les souffrances de la Belgique, avaient
déterminé la mission toute philanthropique dont les plénipotentiaires des cinq
grandes puissances se trouvaient chargés; que plein de cet espoir et voulant
d'ailleurs concilier l'indépendance du peuple belge avec le respect pour les
droits de l'humanité, il remerciait les cinq puissances de l’initiative
qu'elles avaient prise pour arrêter l'effusion du sang, par une entière
cessation des hostilités qui existaient entre la Belgique et la Hollande. En
conséquence, le gouvernement s'engageait, sauf réciprocité de la part de la Hollande, à faire cesser
toutes hostilités du côté des Belges; à ordonner aux troupes belges de se
retirer en deçà de la ligne qui séparait, avant le traité de Paris du 30 mai
1814, les provinces du prince souverain des Provinces-Unies, de celles qui
avaient été jointes à son territoire pour former le royaume des Pays-Bas, par
ledit traité de Paris et par celui de Vienne de l'année 1815 ; à enjoindre aux
mêmes troupes d'évacuer les places et territoires qu'elles occupaient au delà
de celte ligne, dans le délai de dix jours. Le gouvernement provisoire faisait
toutefois une réserve importante : il entendait, disait-il, par la ligne de
l'armistice, les limites qui, conformément à l'art. 2 de la loi fondamentale
des Pays-Bas, séparaient les provinces septentrionales des provinces
méridionales du pays, y compris toute la rive gauche de l'Escaut (Note de bas de page : Celle pièce portait les signatures
de MM. de Potter, Alex. Gendebien, Félix de Mérode, Ch. Rogier, J.
Vanderlinden et F. de Coppin. On a v\u que M. Van de Weyer était alors en
mission à Londres).
(page 66) Ce fut le 10 novembre, jour marqué l’installation du
Congrès, que le gouvernement provisoire de la Belgique, adhérant au
premier protocole de la
Conférence, donna à l'Europe un gage éclatant de sa
modération et de ses sentiments pacifiques.
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