« Histoire
du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge », par Théodore
JUSTE
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850, 2 tomes (1er tome :
Livres I et II ; 2e tome : Livres III et IV)
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LIVRE
PREMIER. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE
Organisation
du gouvernement provisoire. Comité central chargé du pouvoir exécutif. Les partis. L'opinion publique se prononce
pour la monarchie constitutionnelle.
(page 39) Il est
temps de suivre dans son œuvre de démolition et de reconstitution ce
gouvernement provisoire, qui avait accepté, au milieu des circonstances les
plus difficiles, la grande tâche de poser les fondements d'une nation. Le
gouvernement avait quitté l'hôtel de ville, premier siége de la puissance
révolutionnaire, et s'était installé dans l'ancien palais des états généraux.
Le comité central, qui représentait le pouvoir exécutif, s'assemblait tous les
(page 40) jours pour recevoir
successivement et à une heure fixe les propositions des administrateurs
généraux des comités de la guerre, de l'intérieur, de la sûreté publique et des
finances. Les administrateurs furent : à la guerre, M. Jolly, puis M. Goblet ;
à l'intérieur, M. de Stassart, puis M. Nicolaï, auquel succéda M. Tielemans ;
aux finances, M. Coghen, puis M. Ch. de Brouckere ; à la sûreté publique, M.
Isid. Plaisant. Quant à la justice, elle fut d'abord administrée par un comité
spécial composé de MM. Alex. Gendebien, Blargnies, Barbançon, Kockaert et
Claes. Ce dernier, rédacteur du Courrier des Pays-Bas, avait naguère coopéré
avec éclat aux luttes de la presse nationale.
La mission la plus pénible du gouvernement était de
s'affranchir de la domination des partis, sans comprimer néanmoins la révolution.
L'arrêté du 4 octobre, qui décrétait l'indépendance du pays et convoquait un
Congrès chargé de fixer ses destinées, avait soulevé de vives récriminations.
Les orangistes et une fraction du parti français poussaient à la république,
afin de recueillir l'anarchie, qui devait conduire les uns à la réunion avec la France et préparer pour les
autres la restauration de la maison de Nassau. Mais déjà la grande majorité du
parti national se déclarait avec énergie pour la monarchie constitutionnelle.
Les négociants la désiraient dans l'intérêt du commerce ; les catholiques
rappelaient que la république belge, fondée par eux en 1790, n'avait pu exister
; enfin les libéraux de la nuance du Courrier des Pays-Bas, le plus célèbre des
organes de l'opposition victorieuse, se prononçaient pour un état intermédiaire
entre la monarchie pure et la république pure. Dans un moment où les idées
bouillonnent, où tout est confusion et incertitude, mille projets naissent le
matin que le soir emporte. Cependant, à mesure que les événements se
dessinèrent et que l'opinion put se faire entendre, la forme monarchique, mais
adaptée à la nouvelle organisation de la société, mais dépouillée des gothiques
(page 41) traditions de l'ancien
régime, la monarchie démocratique vit le nombre de ses partisans s'accroître.
Malgré les instances de M. de Potter, qui par la déchéance immédiate des Nassau
voulait arriver à la république (Note de bas de page : Souvenirs
personnels, t. I, p. 171), la majorité du gouvernement
provisoire refusa obstinément d'empiéter sur les droits du Congrès, soit en
condamnant l'ancienne dynastie, soit en usant de la dictature pour imposer au
pays la monarchie ou la république.
Nomination
d'une commission, chargée de préparer le projet de Constitution
Bientôt même le comité central se déchargea du soin de
rédiger le projet de constitution. Assailli par des nuées de pétitionnaires,
obligé de prendre d'urgence une foule de mesures administratives et de donner
audience aux nombreuses députations des villes et des communes qui venaient lui
promettre leur concours, le comité central se trouvait, d'ailleurs, dans
l'impossibilité d’entreprendre un travail qui demandait du calme et du
recueillement. Le 6 octobre, il avait nommé, en dehors du gouvernement, une
commission de Constitution. Indépendamment d'un mode populaire d’élection des
membres du Congrès, elle devait proposer un projet de Constitution, destiné à
devenir, après l'examen de l'assemblée nationale, la loi fondamentale de la Belgique.
Cette commission fut d'abord composée de MM. de Gerlache,
conseiller à la cour de Liége et membre de la ci-devant deuxième chambre des
états généraux; Charles de Brouckere, également membre de cette chambre ; Paul
Devaux, qui s'était déjà fait une réputation solide par sa collaboration au
Politique de Liége et par la part qu'il avait prise à la fondation de l'Union
entre les catholiques et les libéraux ; Van Meenen, avocat à Louvain, récemment
nommé gouverneur par intérim du Brabant méridional; Tielemans, ancien
référendaire au ministère des affaires étrangères, condamné au bannissement
avec M. de Potter ; Balliu, avocat à Gand ; Zoude, avocat à Namur ; Thorn,
avocat à Luxembourg, et (page 42) H.
Fabry, conseiller à la cour de Liége, lequel, à cause de son grand âge, déclina
le mandat qui lui était offert. Le gouvernement provisoire s'était réservé
d'adjoindre à la commission les hommes les plus distingués de toutes les
provinces. Il désigna successivement : M. Lebeau, de Huy, ancien collaborateur
de MM. Devaux et Rogier au Politique, et nommé depuis peu avocat général à la
cour de Liége; M. J.-B. Nothomb, du Luxembourg, avocat et rédacteur du Courrier
des Pays-Bas ; M. Dubus, avocat a Tournai; M. Blargnies, de Mons, avocat à
Bruxelles, et M. Jullien, avocat à Bruges, lequel déclina aussi ce mandat à
cause du fardeau que lui imposaient les fonctions de membre de la commission
provinciale de la Flandre
occidentale.
Arrêté du 10
octobre, qui détermine le mode d'élection des députés au Congrès national. Il
soulève des réclamations. Arrêté du 16 octobre, qui réduit de moitié le cens
électoral pour les campagnes. L'installation du Congrès est fixée au 10
novembre.
La commission de
Constitution s'étant mise immédiatement à l'œuvre, le gouvernement
provisoire détermina, par arrêté du 10 octobre, le mode d'élection des députés
au Congrès national. Cette ordonnance fut comme la transition entre l'ancien
régime détruit et le nouveau régime qui se préparait. Le gouvernement voulut
que le Congrès, appelé à décider des destinées de la Belgique, fût une
véritable représentation nationale. Aussi consacra- t-il une grande innovation
: l'élection directe.
Des restrictions étaient apportées par la loi fondamentale de
1815 au vœu spontané et direct des citoyens. D'après l'ancienne Constitution,
la nation était représentée par les états généraux, divisés en deux chambres.
Les membres de la première chambre étaient nommés à vie par le roi ; ceux de la
seconde chambre, au nombre de cent, étaient nommés par les états des provinces,
dont les membres tenaient leur mandat des trois ordres : les nobles ou corps
équestre, les villes et les campagnes. Dans les campagnes, l'électeur nommait
directement aux états provinciaux ; mais, dans les villes, il choisissait
d'abord les membres du collège électoral, lequel nommait les régences, chargées
enfin de désigner les députés aux états provinciaux. La loi fondamentale (page 43) avait prescrit de faire les
élections dans les villes chaque année; cette disposition fut annulée par le
règlement de 1825 sur les états des provinces et sur les régences des villes.
Ce règlement statua que les élections n'auraient plus lieu que tous les trois
ans. Les électeurs furent nommés pour neuf années au lieu de trois, et les
conseils municipaux à vie.
Déjà le gouvernement
provisoire, par un arrêté du 8 octobre, avait ordonné de convoquer
immédiatement les notables à l'effet de recomposer les régences d'après le mode
d'élection directe. Le même principe fut introduit dans l'arrêté du 10 octobre.
Le Congrès national devait se composer de deux cents députés, élus directement
par les citoyens.
Tout citoyen, âgé au moins de vingt-cinq ans accomplis, né
Belge, ou ayant obtenu l'indigénat, pouvait être député au Congrès national,
s'il était domicilié en Belgique. On assimilait aux indigènes les étrangers qui
avaient établi leur domicile en Belgique avant la formation du royaume des
Pays-Bas, et qui avaient continué d'y résider. Il n'était pas requis que le
député eût son domicile dans la province où il serait élu.
Les électeurs (indigènes , naturalisés , ou étrangers ayant
six années de domicile en Belgique) devaient avoir atteint l'âge de vingt-cinq
ans et payer la quotité de contributions que les règlements des villes et des
campagnes avaient fixée, d'après les diverses localités, pour l'admission aux
colléges électoraux. Les parties contestées du Limbourg et du Luxembourg
étaient comprises dans l'ordonnance. Le tableau du cens de l'électeur indiquait
:
Dans le Brabant : 100 florins pour les campagnes; pour les
villes : 150 florins au maximum, et 40 florins au minimum;
Dans le Limbourg : campagnes, 50 florins ; villes, 60 florins
au maximum, et 30 florins au minimum;
Dans la province de Liége : campagnes, 75 florins ; villes,
80 florins au maximum, et 20 florins au minimum ;
(page 44) Dans la Flandre orientale :
campagnes, 150 florins; villes, 100 florins au maximum, et 40 florins au
minimum ;
Dans la
Flandre occidentale : campagnes, 150 florins; villes, 80
florins au maximum, et 40 florins au minimum ;
Dans le Hainaut : campagnes, 150 florins ; villes, 80 florins
au maximum, et 30 florins au minimum ;
Dans la province de Namur : campagnes, 50 florins ; villes 50
florins au maximum, et 16 florins au minimum ; Dans la province d'Anvers :
campagnes, 75 florins ; villes, 130 florins au maximum, et 30 florins au
minimum ;
Dans le Luxembourg : campagnes, 50 florins ; villes 30
florins au maximum, et 13 florins au minimum.
Étaient également électeurs, sans qu'il fût exigé d'eux aucun
cens, les conseillers des cours, juges des tribunaux, juges de paix, avocats,
avoués, notaires, ministres des différents cultes, officiers supérieurs, depuis
le grade de capitaine inclusivement, les docteurs en droit, en sciences, en
lettres et en philosophie, en médecine, chirurgie et accouchements. Enfin, il
était statué que les élections se feraient par district administratif, et que
les électeurs y concourraient dans le district où ils avaient leur domicile
réel.
Ce décret ayant fait l'objet d'une vive polémique, nous
ferons connaître les principaux arguments allégués en sa faveur par le journal
le plus influent de la capitale. « On avait eu à opter, disait le Courrier des
Pays-Bas, entre le cens non uniforme et le cens uniforme. En adoptant un cens
uniforme de 150 florins, c'eût été attribuer l'électorat aux villes et à
quelques propriétaires des campagnes, exclure des cantons, des districts
entiers. Le défaut de documents et la nécessité d'aller vite ne permettaient
point d'entreprendre un nouveau travail de répartition ; les archives étaient à
la Haye ; le
Congrès national devait se réunir au plus tôt. Comment établir la population et
la richesse de toutes les communes urbaines et rurales de la Belgique et (page 45) varier le cens d'après ces
deux éléments ? Il a donc fallu vaincre toutes les répugnances et recourir au
travail fait sous l'ancien régime. Dans le système d'élection indirecte, il y
avait deux cens : celui de l'ayant droit
de voter et celui de l’électeur. Il
était donc de nouveau nécessaire d'opter. Le gouvernement a craint de descendre
jusqu'au cens de l'ayant droit de voter, et de rendre les assemblées
électorales nombreuses, au point de multiplier les opérations et de les
prolonger pendant plusieurs jours. Il s'est donc cru obligé de remonter
jusqu'au cens de l'électeur, et il l'a maintenu, en enlevant les degrés
intermédiaires. Une grave objection se présentait : on avait placé l'électeur
de la ville et l'électeur de la campagne sur la même ligne, en les faisant
concourir, et cependant leur position n’était pas la même dans l'ancien
système, auquel cet emprunt était fait. Dans les campagnes, l'électeur nommait
directement aux états provinciaux : dans les villes, la régence venait encore
s'interposer entre les électeurs et les états provinciaux ; l'électeur des campagnes,
qui gagnait un degré, payait pour cette raison et proportionnellement un cens
plus fort que l'électeur des villes, qui était assujetti à un degré de plus. On
en conclut qu'il eût fallu élever le cens des villes et abaisser celui des
campagnes. Mais le gouvernement n'ayant pu, faute de pièces et de temps, faire
un travail tout nouveau, se trouvait également dans l'impossibilité de modifier
un travail ancien. D'après quelles données d'ailleurs aurait-il abaissé le cens
des campagnes et élevé celui des villes ? Pressé par les circonstances et
dépourvu de renseignements suffisants, il eût procédé par tâtonnement et n'eût
fait que déplacer l'injustice. Il se peut aussi que le cens soit plus élevé
dans les campagnes, parce qu'il y a moins de lumières, et que, en général, dans
chaque village, un ou deux grands propriétaires disposent de la volonté de tous
les petits propriétaires ; on a voulu réduire les premiers (page 46) à leurs propres votes et ne
pas créer en leur faveur des espèces de bourgs pourris. » A cette époque
même, le gouvernement annonçait qu'aucun journal alors existant n’était
l’organe de ses opinions ou de ses vues sur l'avenir politique du pays. On
pouvait toutefois considérer les explications que nous venons de résumer comme
émanant d'une source presque officielle.
Un arrêté du 12 octobre fixa au 27 de ce mois l'époque des
élections dans toute la
Belgique, et au 3 novembre l'ouverture du Congrès national ;
il réglait la marche des opérations électorales, et déterminait le nombre des
députés à nommer par chaque district administratif. Cet arrêté disposait que
les électeurs se réuniraient à l'hôtel de ville du chef-lieu du district
administratif. Maestricht se trouvant au pouvoir des Hollandais, un arrêté
postérieur établit un bureau particulier à Sittard pour les habitants de la
partie du district de Maestricht située sur la rive droite de la Meuse. Déjà
le siége du gouvernement du Luxembourg avait été transféré de l'ancien
chef-lieu à Arlon. M. Thorn avait été nommé gouverneur, et M. Nothomb greffier
de cette province contestée.
Cependant la quotité du cens électoral, fixé par l'arrêté du
10 octobre, avait donné lieu à de nombreuses réclamations de la part des
habitants de la campagne. Le gouvernement jugea ces réclamations fondées, et
revint sur sa première décision. Les villes étant, par l'art. 3 de l'arrêté du
10 octobre, assimilées aux communes rurales sous le rapport de l’élection
directe, il n'existait plus de motifs, suivant le gouvernement, pour que le
cens électoral des campagnes fût aussi élevé que précédemment. En conséquence,
un nouvel arrêté du 16 octobre réduisit de moitié le cens électoral pour les
campagnes, ajourna au 5 novembre l'époque des élections et au 8 du même mois
l'ouverture du Congrès (Note de bas de
page : On compta 44,099 électeurs inscrits pour prendre part aux
élections. Au 1"janvier 1829, date du dernier recensement, la population
de la Belgique
s'élevait, avec les parties cédées dix ans plus tard, à 3,908,235 habitants,
répartis ainsi qu'il suit dans les neuf provinces : Anvers 343,214 Brabant
506,930 Flandre occidentale 580,597 Flandre orientale 717,057 Hainaut 574,750
Liége 352,230 Limbourg 330,188 Luxembourg 302,654 Namur.. 197,615). (page 47) Cette installation fut ensuite
remise au 10, par un arrêté du 5 novembre , à cause du retard inattendu
qu'éprouvait le dépouillement des votes dans les assemblées électorales réunies
à Bruxelles. Le 23 octobre, le gouvernement avait arrêté que dans chaque
district administratif, les électeurs, en procédant à l'élection des députés,
nommeraient, par un même scrutin séparé, un nombre de suppléants égal à celui
des députés. Le nombre des suffrages devait déterminer le rang des suppléants
et l'ordre d'après lequel ils pourraient être éventuellement appelés à
l'assemblée nationale. La gravité et la solennité de la mission du Congrès
exigeaient que la représentation nationale fût aussi complète que possible.
Pour prévenir le besoin de nouvelles élections et les retards qu'elles
entraîneraient, il était donc convenable de pourvoir d'avance aux vacances qui
pourraient résulter de doubles nominations, de démissions, de congés et
d'autres causes. Enfin, le 22 octobre, le comité central, considérant qu'une
exécution prompte et sévère des actes du gouvernement provisoire pouvait seule hâter
la formation du Congrès national et déjouer les projets hostiles, avait arrêté
que des représentants provisoires du gouvernement seraient envoyés dans les
provinces avec la mission d'activer, sous leur responsabilité personnelle, les
élections pour la recomposition (page 48)
des régences et la formation du Congrès. Tels furent les actes qui fixèrent
l'organisation de l'assemblée, chargée de régénérer politiquement la Belgique.
Principaux
actes du gouvernement provisoire ; proclamation de la liberté de la presse, des
cultes, de l'enseignement, etc. Allégresse du clergé. Circulaire de l'évêque de
Namur; mandements de l'évêque de Liége et de l'archevêque de Malines.
Le gouvernement provisoire s'était servi de sa puissance
dictatoriale pour déblayer le terrain et y asseoir les principales colonnes de
l'édifice constitutionnel. Les agents les plus impopulaires du régime déchu ne
pouvaient échapper aux conséquences inévitables d'une révolution ; les
administrations, les cours et les tribunaux furent donc réorganisés. En même
temps, le gouvernement renversait les institutions condamnées par l'opinion
publique. Il supprima la haute police qui n'avait été établie, disait-il, que
dans l'intérêt du pouvoir absolu, et il abrogea en même temps les art. 44 à 50 du
Code pénal (Note de bas de page : Voici le texte des articles
abrogés :
« Art. 44.
L'effet du renvoi sous la surveillance de la haute
police de l'État sera de donner au gouvernement, ainsi qu'à la partie
intéressée, le droit d'exiger, soit de l'individu placé dans cet état, après
qu'il aura subi sa peine, soit de ses père et mère, tuteur ou curateur, s'il
est en âge de minorité, une caution solvable de bonne conduite, jusqu'à la
somme qui sera fixée par l'arrêt et le jugement : toute personne pourra être admise
à fournir cette caution.
« Faute de fournir ce cautionnement, le condamné demeure à la
disposition du gouvernement, qui a le droit d'ordonner, soit l'éloignement de
l'individu d'un certain lieu, soit sa résidence continue dans un lieu déterminé
de l'un des départements de l'empire.
« ART. 45. En cas de désobéissance à cet ordre, le
gouvernement aura le droit de faire arrêter et détenir le condamné, durant un
intervalle de temps qui pourra s'étendre jusqu'à l'expiration du temps fixé
pour l'état de la surveillance spéciale.
« ART. 46. Lorsque la personne mise sous la surveillance
spéciale du gouvernement, et ayant obtenu sa liberté sous caution, aura été
condamnée par un arrêt ou jugement devenu irrévocable, pour un ou plusieurs
crimes, ou pour un ou plusieurs délits commis dans l'intervalle déterminé par
l'acte de cautionnement, les cautions seront contraintes, même par corps, au
payement des sommes portées dans cet acte. Les sommes recouvrées seront
affectées de préférence aux restitutions, aux dommages-intérêts et frais
adjugés aux parties lésées par ces crimes ou ces délits.
« ART. 47. Les coupables, condamnés aux travaux forcés à
temps et à la réclusion , seront de plein droit, après qu'ils auront subi leur
peine, et pendant toute la vie, sous la surveillance de la haute police de
l'État.
« ART. 48. Les coupables condamnés au bannissement seront, de
plein droit, sous la même surveillance, pendant un temps égal à la durée de la
peine qu'ils auront subie.
« ART. 49. Devront être renvoyés sous la même surveillance
ceux qui auront été condamnés pour crimes ou délits qui intéressent la sûreté
intérieure ou extérieure de l'État.
« ART. 50. Hors les cas déterminés par les articles
précédents, les condamnés ne seront placés sous la surveillance de la baute
police de l'État que dans le cas où une disposition particulière de la loi
l'aura permis. ») ; il supprima la (page 49) bastonnade, comme insultante aux soldats belges et
attentatoire à la dignité de l'homme ; il fit disparaître la loterie ; il
anéantit toutes les entraves qui enchaînaient la liberté de l'enseignement.
Mais, en détruisant d'une main, le gouvernement créait de l'autre. Il rétablit
la publicité de l'instruction et des débats judiciaires, comme l'une des plus
précieuses garanties des accusés et de l'administration de la justice ; il
prescrivit de même la publicité des budgets et des comptes de chaque commune ;
il institua une garde civique dans toutes les communes de la Belgique ; il décréta la
liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté du théâtre. Le droit
d'association, dans un but politique, religieux, philosophique, littéraire,
industriel et commercial, fut ensuite consacré comme le corollaire des libertés
déjà proclamées. Pour montrer l'étendue de ces concessions, citons les
dispositions même du décret le plus mémorable, celui du 16 octobre : « 1. Il
est libre à chaque citoyen, ou à des citoyens associés dans un but religieux ou
philosophique, quel qu'il soit, de professer leurs opinions comme ils
l'entendent, et de les répandre par tous les moyens possibles de persuasion et
de conviction. — (page 50) « II. Toute loi ou disposition qui gêne la libre
manifestation des opinions et la propagation des doctrines, par la voie de la
parole, de la presse ou de l'enseignement, est abolie.— III. Les lois générales
et particulières entravant le libre exercice d'un culte quelconque, et
assujettissant ceux qui l'exercent à des formalités qui froissent les
consciences et gênent la manifestation de la foi professée, sont également
abrogées. »
Le clergé accueillit cet arrêté avec la plus vive allégresse.
Dès le 22 octobre, l'évêque de Namur adressa aux curés de ce diocèse la
circulaire suivante : « Par arrêté du 16 du courant, le gouvernement provisoire
de la Belgique
a abrogé toutes les dispositions législatives qui gênaient la liberté absolue
de conscience. Par là vous vous trouvez débarrassé des entraves mises à la
célébration du mariage. Vous pouvez désormais y procéder indépendamment de
l'acte ou contrat civil. C'est la conséquence qu'en tire le gouvernement
provisoire lui-même, et qu'il a bien voulu nous notifier officiellement par sa
lettre du 18 du présent mois. Puisque cependant, sans ce contrat, la loi ne
protégerait point l'union des époux et regarderait comme illégitimes les
enfants qui en naîtraient, nous vous engageons instamment à faire sentir à vos
paroissiens , toutes les fois que l'occasion s'en présentera, l'importance de
cette formalité essentielle au bien-être et à la tranquillité des familles. » A
la fin d'un mandement publié à la même époque, l'évêque de Liége inséra l'avis
suivant : « A l'avenir, toutes les fois que les pasteurs croiront avoir une
raison suffisante de célébrer le mariage avant que les formes civiles puissent
être accomplies, nous voulons qu'ils s'adressent à nous pour, le cas nous étant
exposé , obtenir la permission nécessaire. » Le prince de Méan, archevêque
de Malines, publia, le 28 octobre, un mandement de la même teneur. Ainsi le
clergé supérieur se montrait disposé à ne pas abuser de la concession qui
venait de lui être faite. Elle était grande, (page 51) généreuse ; mais était-elle prudente ? Nous verrons
qu'elle souleva de vives discussions dans le Congrès national et qu'elle dut
être rapportée, parce qu'elle portait atteinte à la suprématie de la loi civile
et qu'elle pouvait compromettre la paix des familles et l'ordre social même.
La
commission de Constitution prend comme base de son travail le gouvernement
monarchique. Abstention du gouvernement provisoire. Projet de M. Tielemans,
chef du comité de l'intérieur, consistant à faire alterner pendant six ans la
monarchie et la république.
La question vitale de la forme du futur gouvernement de la Belgique, tenue en
suspens par le comité central, venait d'être tranchée par la commission chargée
de préparer la
Constitution. En abordant cette grande œuvre, le 12 octobre,
la commission avait dû nécessairement se demander si elle prendrait pour base
de son travail l'état monarchique ou l'état républicain. Trois membres, MM. Van
Meenen, Tielemans et Nothomb, furent d'avis qu'il fallait ajourner cette
question ; ils voulaient que les grands principes fussent posés et chaque
pouvoir organisé, sans autre préoccupation, et qu'on réservât pour le
couronnement de l'œuvre l'organisation du pouvoir du chef de l'État. Mais les
autres membres répondirent qu'il était nécessaire d'adopter avant tout soit le
système monarchique, soit le système républicain. Cette opinion prévalut. La
commission décida, à la majorité de huit voix contre une, que la forme du
gouvernement serait monarchique. MM. De Gerlache, Van Meenen, Lebeau, Devaux,
Ch. de Brouckere, Nothomb, Balliu et Zoude (de Namur) votèrent pour la
monarchie; M. Tielemans fut le seul opposant. Les autres membres n'étaient pas
encore nommés ou n'avaient pas pris séance. Le 16 octobre, la commission arrêta
les bases de la
Constitution, et chargea MM. Devaux et Nothomb de rédiger un
projet d'après ces bases. Ce projet fut discuté, et adopté par la commission le
25 octobre. Le 27, M
Nothomb en donna lecture au gouvernement provisoire ; il fut loin de satisfaire
M. de Potter. « Ce n'était pas la peine, dit-il, de verser tant de sang pour si
peu de chose.» (Note de bas de page : Voyez NOTHOMB, Essai
historique et polit. sur la révolution belge, ch. II) (page 52) Or, cette chose, qui
paraissait si petite, n’était rien moins, comme nous le verrons plus tard, que
la consécration et le développement des libertés déjà proclamées par le
gouvernement provisoire. Le 28, le projet fut publié dans le nouveau journal
officiel, l ' Union belge, précédé d’un avis ainsi conçu : .: Hier, à dix
heures du soir, fut remis au comité central du gouvernement provisoire le
projet de Constitution, tel qu'il a été arrêté par les commissaires. Le
gouvernement provisoire s empresse de le livrer au public par la voie des
journaux, afin de s'éclairer lui-même, par la discussion que ce projet
soulèvera, sur l'état véritable de l'opinion. Avant l'ouverture du Congrès, le
comité central modifiera le projet de Constitution de manière à pouvoir le
présenter à l'assemblée nationale comme l'expression tout à la fois de
l'opinion générale et de son opinion propre » Cet avis constatait le
dissentiment qui avait éclaté dans le comité central. Toutefois la majorité
résolut de présenter le projet de Constitution au Congrès tel qu'il lui avait
été soumis par la commission et sans y apporter aucune modification.
Ce fut alors que M. Tielemans, chef du comité de l'intérieur,
crut posséder le moyen de concilier les opinions les plus extrêmes ; il le fit
connaître dans une lettre qu il adressa au gouvernement provisoire, le 7
novembre. « La question principale, disait-il, est celle de savoir si la forme
du gouvernement sera républicaine ou monarchique. Laissez-la tout entière à la
décision du Congrès ; ne manifestez ni votre opinion individuelle, ni votre
opinion collective sur la monarchie ou sur la république ; mais, en posant la
question, posez aussi la déclaration suivante : Art. 1". Si la majorité du
Congrès se prononce en faveur de la monarchie, la question de la république
sera soumise à un nouveau Congrès, dans trois ans. Art. 2. Si elle se prononce
en faveur de la république, la question de la monarchie sera soumise à un
nouveau Congrès, dans le même (page 53)
espace de temps. Art. 3. Pendant cet intervalle, les choses de première
nécessité, pour autant qu'elles servent à la consommation du peuple, seront
exemptes de tout impôt. — La proposition que je vous soumets est toute
d'équité. En présentant au Congrès un projet de constitution monarchique, vous
établissez en faveur de la monarchie un préjugé dont les républicains se
plaignent avec raison, et qui, d'ailleurs, ne s'accorde pas avec la résolution
prise par vous-même de ne manifester aucune opinion comme gouvernement. En
laissant la question indécise, vous faites acte d'impartialité à l'égard de la
nation et des membres du gouvernement provisoire qui ne seraient pas d'accord
entre eux sur la monarchie ou la république. » Il était impossible de donner
suite à cette proposition, quoiqu'elle eût été dictée, nous nous plaisons à le
croire, par un louable esprit de conciliation. Adopter le projet de M.
Tielemans, c'était empêcher la prompte consolidation de la révolution,
perpétuer les divisions au lieu de les faire disparaître, prolonger une situation
provisoire, qui eût détruit les forces et anéanti le courage de la nation.
Élections
pour le Congrès. Professions de foi.
La Belgique entière se
préparait aux élections. Elles devaient se faire librement; elles devaient
exprimer les sentiments véritables du peuple ; car le gouvernement avait résolu
de conserver la plus scrupuleuse neutralité ; et nous affirmons, d'après les
témoignages les moins suspects, que jamais l'autorité ne fit moins sentir son
action. C'était la presse nationale qui se chargeait d'éclairer les électeurs,
de les mettre en garde contre des tentatives insensées, de leur rappeler
l'importance du mandat qu'ils allaient remplir. «Des intrigues de plus d'un
genre sont ourdies, disait le Courrier des Pays-Bas du 27 octobre, pour l'anarchie,
pour un pouvoir militaire, pour l'ex-gouvernement ; pour la France, et principalement
pour une France républicaine que des associations populaires se chargeraient de
créer à Paris ; pour (page 54) le
prince d'Orange, pour des princes étrangers, pour des présidents indigènes.
L'ancre de salut sera le Congrès national. C'est autour de lui que les bons
citoyens doivent se grouper. » De son côté, le Courrier de la Meuse, fanal des
catholiques, cherchait aussi à les prémunir contre les intrigues du parti français
; son langage était acerbe, injuste même. « Le protestantisme du Nord,
disait-il, était intolérant, avide, insatiable ; l'impiété qui nous menace au
Midi ne serait-elle pas cent fois plus intolérante encore ? Ne serait-elle pas
ce qu'elle a été, il y a trente-cinq ans, cruelle, sanguinaire, inexorable? »
Enfin, aux déclamations passionnées de l'Émancipation, organe des exagérés, en
faveur d'un état républicain fédératif, le Politique de Liége, dont l'influence
n'était point circonscrite dans la province, opposait les solides garanties que
la monarchie constitutionnelle représentative offrirait a la Belgique. « La question
de monarchie et la question des Nassau, ajoutait-il, ne sont pas nécessairement
liées. Ceux qui s'effrayent de tout ce qui ressemble à une restauration ne
peuvent-ils jeter les yeux sur un Saxe-Cobourg, sur un Leuchtenberg, sur un
d'Arenberg, sur un Frédéric de Mérode ?
De tous les rangs, de toutes les classes, de l'ancienne
noblesse, de la grande propriété, de l'industrie, du commerce, du clergé, du
barreau, de la presse, de la bourgeoisie, surgissaient des candidatures pour le
Congrès national. Les anciens députés, qui avaient bien mérité du pays par leur
conduite courageuse aux états généraux, les promoteurs et les coopérateurs du
mouvement révolutionnaire dans les diverses provinces, tous briguaient les
suffrages de leurs concitoyens, tous voulaient concourir à l'affermissement de
la nationalité reconquise. La plupart des candidats s'adressaient directement
aux électeurs dans des professions de foi remarquables à divers titres. Ceux-ci
(et ils formaient la majorité) s'annonçaient comme monarchistes ; (page 55) ceux-là avouaient des opinions
républicaines : mais républicains et monarchistes mettaient en première ligne
l'indépendance du pays.
Scission
dans le comité central.
Dans son adresse aux électeurs de Bruxelles, M. Éd.
Ducpetiaux, aussi courageux dans le forum que dans la presse, rappelait que,
lors des événements du mois d'août, aidé de quelques hommes dévoués, il avait
abattu les couleurs françaises que l'on avait d'abord arborées à l'hôtel de
ville de Bruxelles, et que, le premier, il avait fait flotter en Belgique le
drapeau tricolore brabançon. M. Constantin Rodenbach, dont le rôle devait être
si énergique au Congrès, s annonçait aux électeurs de Bruges « comme
inaccessible à toute tentative d accommodement et de corruption. » Un des
partisans les plus passionnés de la république, M. de Robaulx, avocat à la cour
de Liége, s'adressait dans les termes suivants aux électeurs du district de
Philippeville : « Si vos suffrages me désignent, mes efforts tendront à faire
proclamer l'indépendance absolue et définitive de la Belgique ; la
souveraineté du peuple ; la création d une forme de gouvernement la plus
populaire et la plus économique possible, et qui soit appropriée à l'état et
aux lumières du pays. » M. Van Meenen disait aux électeurs de Louvain
« J'aime la république, mais je suis intimement convaincu que c'est la
monarchie constitutionnelle représentative qui convient à notre situation
intérieure et à nos rapports extérieurs. » M. Jottrand, un des rédacteurs du
Courrier des Pays-Bas, n'était pas moins explicite dans sa lettre aux électeurs
de Bruxelles et de Nivelles : « Je regarde la république, disait-il, comme
impraticable à notre époque et dans notre pays. Je la crois d'autant plus
dangereuse, qu'il ne manque pas chez nous, eu ce moment, d'ambitions d'une
nature peu rassurante, qui sans doute exploiteraient ce régime sans trop
d'égard pour le bien-être du pays. » Faisant ensuite allusion au dévouement du
comte Frédéric de Mérode, il ajoutait : « Des événements récents (page 56) rendent possible, à mon avis,
le choix d'un prince indigène pour nous gouverner... Si cependant, par une
cause quelconque que je ne prévois pas, mais qui pourrait exister, aucun membre
de la famille indigène, que l'opinion désigne aujourd'hui, n'acceptait le
fardeau du gouvernement suprême de nos provinces, je dois déclarer ouvertement
que je regarderais le prince d'Orange ou l'un de ses fils comme admissible à
l'autorité de chef de la nation belge, plutôt que de livrer le pays à la
république ou à la domination étrangère. » M. Lecocq, ancien député aux états
généraux, disait aux électeurs de Tournai : « Monarchie constitutionnelle ! Un
roi n'est pour moi que le premier citoyen de l'État, le premier sujet de la
loi. Le trône me paraît devoir être héréditaire pour la stabilité de l'ordre...
Un roi citoyen, une représentation nationale ; voilà la meilleure des
républiques; c'est celle de Lafayette, c'est la mienne. L'humaine faiblesse ne
permet jamais d'espérer une succession non interrompue de princes, réunissant
toutes les qualités voulues : mais avec de fortes institutions, avec la
responsabilité ministérielle, les dangers sont peu à craindre. Des agents
responsables composent alors un gouvernement qui marche, fort de lui-même, sans
altération, quel que soit l'état physique ou moral du chef héréditaire. Le
gouvernement anglais, le gouvernement français serviront d'exemple au
gouvernement belge... » M. Nothomb adressa la circulaire suivante aux électeurs
du grand-duché de Luxembourg : « Je suis né parmi vous ; en m'établissant à
Bruxelles, je n'ai pas cessé d'être Luxembourgeois ; attaché à la rédaction du
Courrier des Pays-Bas, j'ai en quelque sorte représenté notre province dans la
lutte qui a préparé notre glorieuse révolution. Mes opinions politiques vous
sont connues. Le premier, j'ai publiquement flétri le système qui tendait à
nous déshériter du nom belge, et à faire descendre notre patrie à la triste
condition d'une (page 57)
principauté patrimoniale de l'Allemagne. Le Grand-Duché a des besoins
particuliers, qui ont fait l'objet de mes études et de mes recherches.
Éligible, contre mon attente, par le bienfait des lois nouvelles, j'ose me
présenter comme candidat au Congrès national, et réclamer de vous le mandat de
défendre comme député des principes et des intérêts que j'ai défendus comme
écrivain. » Enfin, M. Van de Weyer fit insérer la note suivante dans les
journaux : « On a élevé quelques doutes sur la question de savoir si les
membres du gouvernement provisoire pouvaient être appelés au Congrès national.
Cette question a été et devait être résolue affirmativement. En conséquence, je
me présente, sans scrupule, à mes concitoyens : mes titres à leur confiance,
ils ne les ont pas oubliés ; je travaille tous les jours à les mériter
davantage. »
M. de Potter
repousse toute candidature pour le Congrès, et se déclare ouvertement pour la
république. Cette profession de foi brise sa popularité.
M. de Potter venait de se séparer ouvertement de ses
collègues en repoussant toute candidature pour le Congrès national. Chargé par
le peuple d'exécuter sa volonté, il ne croyait pas, disait-il, qu il lui fût
permis d'aspirer à siéger parmi ceux qui allaient formuler cette même volonté
nationale. Du reste, il venait aussi de publier sa profession de foi politique
pour confirmer, ce qui n'était plus un mystère pour personne, qu'il voulait la
république. « Belges , disait-il, nos voisins ont les yeux sur nous : la France et l'Angleterre
saluent déjà la république qui va s'élever sous leurs auspices. Ne nous rendons
pas la risée de l'Europe et de la postérité, en ne répondant à cette noble
attente que par une copie froide et décolorée de ces chartes modernes, de ces
constitutions illusoires, au moyen desquelles on n'a jusqu'aujourd’hui réussi
qu à amortir temporairement les généreuses révolutions des peuples, et à
nécessiter peu après des révolutions nouvelles. » (Note de bas de
page : Souvenirs personnels, t. l, p. 178. L'impartialité nous
fait un devoir de rapporter les motifs qui engageaient M. de Potter à proposer
la forme républicaine. Voici ce qu'il nous apprend à cet égard dans ses
Souvenirs, 2e édition, t. II, p. 387 : « J'ai, en 1830, proposé l'adoption
de la forme républicaine : Oui, mais alors, si les neuf dixièmes de la nation
n'y avaient été contraires, la république était possible en Belgique; et
c'était, à cette époque, la seule voie où la Belgique pût entrer avec
la certitude de ne pas s'y heurter contre la diplomatie des cabinets. Je
demandais la république comme institution civile et sociale, je ne le nie point
; car je regardais et je regarde toujours (M. de Potter écrivait en 1839) cette
institution, là où elle est réalisable, comme la meilleure de toutes celles que
les hommes puissent appliquer; mais je la demandais bien plus encore comme
mesure politique, et j'y voyais la garantie de la liberté des Belges, c'est
vrai ; mais j'y voyais avant tout la condition sine quâ non de leur
indépendance nationale. ») Si M. de Potter prit dès lors la
résolution (page 58) de se détacher
de ses collégues et de s'éloigner du pouvoir, c'est qu'il avait la conviction
que, en proclamant un vœu contre lequel se soulevait l'opinion, il avait brisé
sa popularité et s'était condamné à l'impuissance. Son rôle était fini. M. de
Potter avoue lui-même que sa profession de foi acheva de le perdre ; que le mot
république lui aliéna le peuple, qui ne le comprenait point. Le Congrès allait
hériter du prestige et de la force qui avaient abandonné l'homme porté, le 27
septembre, au pouvoir sur les bras de la foule.
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