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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 458) La réaction ne se produisit pas
seulement au Sénat ; elle gagna dans le pays les éléments conservateurs,
effrayés de suivre le libéralisme dans la voie où l’engageait M. Frère. « Un grand
nombre de libéraux modérés, sans se rallier encore aux catholiques, restaient
cependant attachés à leurs croyances et condamnaient, dans leur conscience
chrétienne, les réformes anticatholiques qui semblaient l’unique préoccupation
du ministère » (L’abbé SYLV. BALAU, Soixante-dix
ans d’histoire contemporaine de Belgique (1815-1884), p. 202. Louvain,
Fonteyn, 1890).
Celui-ci, à la veille des élections de juin 1863, se sentait menacé de
nombreuses défections dans le corps électoral. Les catholiques cherchèrent
naturellement à bénéficier de la situation. Malheureusement aucune entente ne
présida à leur stratégie. Les uns étaient partisans de la lutte ouverte et
voulaient partir en guerre (page 459)
contre le libéralisme intolérant, contre un gouvernement qui avait « interprété
nos institutions dans le sens de ses passions politiques et des intérêts d’un
parti exclusif » ; d’autres, au contraire, étaient d’avis qu’il fallait user
surtout de ménagements, éviter de froisser aucune susceptibilité, attirer à soi
par la modération l’élément inquiet de la majorité libérale.
Parmi ces derniers se trouvèrent principalement les représentants
conservateurs de la partie wallonne du pays ; en Flandre, au contraire, les
catholiques luttèrent à étendards déployés.
La majorité ministérielle sortit numériquement très affaiblie de la
journée du 9 juin 1863. Les provinces appelées à renouveler les mandats de
leurs représentants élurent 34 catholiques et 25 libéraux ; 14 catholiques
furent envoyés au Sénat en même temps que 14 libéraux. La minorité catholique
comptait 55 voix dans une Chambre de 116 membres. A Anvers, l’échec des
libéraux était complet ; ce fut, sur toute la ligne, le triomphe du mouvement
protestataire du Meeting. M. Rogier, ministre de l’intérieur, n’avait pas osé
maintenir sa candidature à Anvers et s’était présenté à Dinant,
où il échoua piteusement. L’effet moral du scrutin était hautement
significatif.
« Le résultat dépasse mon attente, écrivait Malou le 16 juin à
l’évêque de Bruges ; on prophétisait pour le Sénat bien pis que ce qui est
arrivé ; on n’osait espérer pour
(page 460) Pour
Le coup décisif porté au ministère partit de Bruges. Les élections de
juin y avaient assuré le succès des candidatures conservatrices ; M. Devaux, «
le patriarche de la doctrine », était éliminé, l’échec était retentissant. Ces
élections furent annulées par
(page 460) La crise ministérielle s’ouvrait
dans des conditions particulièrement délicates et embarrassantes, autant pour
Au surplus, il faut le dire net : le désir de plusieurs des chefs de la
droite n’était pas d’assumer à ce moment la charge du gouvernement. Malou
écrivait en ce sens à son frère, le 12 janvier 1864 :
« Le moment n’est nullement arrivé pour la droite de prendre ou
d’accepter le pouvoir. Que devons-nous souhaiter dans l’état actuel des affaires
extérieures et intérieures ? Qu’il se forme une administration non hostile,
neutre en quelque sorte ; qu’on mette une sourdine aux passions excitées contre
les catholiques ; que les questions d’Anvers, des bourses, des fabriques, des
cimetières soient mises aux oubliettes.
« Si je calcule les probabilités, nous allons passer d’abord par
une période de tâtonnements et d’hésitation. Il sera défendu à tout libéral
d’accepter la succession sous peine d’être réputé traitre,
renégat ou transfuge, et nos hommes d’Etat pousseront de toutes leurs forces à
la formation d’un ministère de droite qui n’aurait ni force ni durée. »
Mgr Malou partageait entièrement cette opinion.
Déjà cloué à son lit de mort, le vaillant évêque redoublait d’énergie
pour la défense des droits de l’Eglise, directement ou indirectement menacés.
Il endurait avec une patience admirable les douleurs aigués d’un mal qui ne
pardonne pas. Mais son moral restait in ébranlé et son intelligence entière.
Dans une des dernières lettres qu’il adressait à son frère, il déplorait
encore le défaut d’unité, l’absence d’entente dans l’action des conservateurs.
Cet appel semble plus pressant, la voix plus émue qu’à l’ordinaire :
« Les libéraux sont en permanence, leur plan est tracé, leur but
marque, leurs moyens choisis. Personne ne s’aviserait (page 462) d’accepter un portefeuille en leur nom avant d’avoir pris
le mot d’ordre des chefs. Tandis que les hommes de la droite sont là comme des
brebis errantes sans chef ni pasteur...
« De grâce, entendez-vous donc avec nos principaux sénateurs et
représentants pour former un comité permanent et empêcher qu’on ne nous donne
le pouvoir comme un poison pour que le parti en crève... Agissez donc quand il
est temps encore et ne laissez pas flotter le navire au hasard. » (Mgr
Malou à J. Malou, 18 janvier 1864).
La perplexité des chefs de l’opinion conservatrice était grande. Ils ne
savaient auquel d’entre eux il serait fait appel ; dès le 18 janvier, les
journaux annonçaient que M. Dechamps avait eu un entretien avec le Roi. Malou
ignorait si la nouvelle était exacte.
« Cela me parait invraisemblable et
prématuré, écrivait-il ; une crise ministérielle a des règles classiques aussi
impérieuses qu’une tragédie avec les trois unités. Des hommes de la droite
seront probablement entendus, consultés. De là cette question : Que doit
désirer la droite et que doit-elle faire ?...
« Ce que veulent nos adversaires est très clair et connu, même
avant l’élection de Bruges. Pousser la droite au pouvoir pour la culbuter, non
pas à tout jamais peut-être, mais au moins pour longtemps.
« Ce serait, à mon sens, une faute capitale de donner dans ce
piège.
« Reste donc, comme solution, ou un ministère centre gauche (type de
Brouckere), ou un ministère administratif (de gouverneurs, secrétaires
généraux, etc.)
« Ne croyez pas, au reste, que tout va à la débandade, au gré des
impressions individuelles, et que l’un ou l’autre va se mettre en campagne sans
consulter personne. Une aussi présomptueuse étourderie n’est guère possible. Il
y aura, selon les diverses péripéties de la crise, des causeries,
conversations, réunions. Déjà j’ai reçu une invitation à une réunion qui doit,
dit-on, être très importante ; j’irai
avec le désir d’y trouver le mot de l’énigme politique, une solution
raisonnable généralement acceptable et acceptée. Je la désire, sans trop
l’espérer. »
La solution désirée se fit longuement attendre ; la crise se prolongea.
Le Roi fit appel en premier lieu à l’élément modéré de la gauche ; M. Henri de
Brouckere et M. Eudore Pirmez eussent peut-être
trouvé une majorité ; ils déclinèrent tour à tour l’offre de reconstituer un
cabinet libéral. Léopold Ier fit appel alors à M. Dechamps et à M. de Theux ;
ceux-ci se retirèrent, en conseillant au Roi de s’adresser au prince de Ligne,
président du Sénat, chef du centre gauche dans la haute assemblée. Le prince de
Ligne et, après lui, d’autres libéraux modérés, MM. Faider,
Dubois-Thorn, J.-B. Nothomb furent successivement consultés.
La droite persistait à refuser le pouvoir ; des raisons, assurément
sérieuses, lui commandaient cette attitude ; elle ne devait pas se charger de
la responsabilité d’une situation qu’elle n’avait pas faite ; sans majorité au
Parlement, elle eût dû recourir à la dissolution et ne le désirait point. Dans
le camp libéral, la consigne était sévère ; quiconque eût accepté de faire
partie d’un ministère de transaction eût été mis au ban du parti.
Une solution restait possible le maintien au pouvoir du Cabinet
Rogier-Frère ; elle fut admise au moins provisoirement, malgré le refus obstiné
des ministres. Le statu quo persista durant l’absence du Roi, qui ne rentra que
le 20 avril d’un voyage en Angleterre.
Ainsi se déroula la première période de la crise ministérielle de 1864.
(page 464) Durant la trêve qui clôtura la
première phase de la crise, Malou eut la douleur de perdre l’ami fidèle, le
confident éclairé, l’associé vaillant de ses travaux et de ses luttes Mgr Malou
mourut, le 23 mars 1864, à l’âge de cinquante-cinq ans, dans sa ville
épiscopale, après avoir enduré avec une résignation admirable, pendant
vingt-six mois, les plus cruelles souffrances.
Il ne nous appartient pas de retracer ici le cours trop bref, mais si
largement débordant de cette admirable vie sacerdotale. (La
biographie la plus complète de Mgr J-B. Malou a été publiée, en 1866, dans la
revue Der Katholik
(t. I et II, Mayence, Kirchheim), par M. JINGMANN, professeur à l’université de Louvain. Voir aussi Oraison funèbre de J.-B. Malou, évêque de
Bruges, prononcée le 12 avril 1864 par Mgr de Montpellier, évêque de Liége.
Bruxelles, Goemaere, 1864. Notice sur Mgr J.-B. Malou, par Mgr Lamy, dans l’Annuaire de
l’Université catholique de Lourant pour l’année 1865. Une notice a égaiement
été consacrée à Mgr Malou par M. le vicaire général Rembry
dans son ouvrage : Les remaniements de la
hiérarchie épiscopale et les sacres épiscopaux en Belgique. Bruges, 1904).
La personnalité de Mgr Malou se détache en puissant relief du rang
vénérable de l’épiscopat belge, dont il demeurera l’une des grandes figures.
L’autorité et le renom scientifique de l’évêque de Bruges s’étendaient bien au
delà des frontières de sa patrie ; le pape Pie IX le tenait en particulière
estime.
Sa jeunesse avait déjà fait concevoir de grandes espérances. « il n’en
trompa aucune, il les dépassa toutes », proclamait, avec une fierté émue,
Mgr de Montpellier dans l’oraison funèbre qui restera comme le monument d’une
grande et sainte amitié.
(page 465) Appelé par Mgr de
Rani à l’Université de Louvain, promu au professorat à l’âge où d’autres
s’inscrivent aux Facultés, Mgr Malou, par l’élévation et la solidité de son
enseignement, par l’ardeur de son zèle et son dévouement à la jeunesse, s’était
montré digne de la confiance de ses supérieurs dans la hiérarchie
ecclésiastique.
« Pourvu du cours le plus important de la faculté de théologie, investi
des fonctions de bibliothécaire, assujetti à une nombreuse correspondance de
lettres, il se chargea encore de faire des conférences hebdomadaires sur la
religion à la jeunesse académique et de diriger bon nombre d’élèves clercs et
laïques. Son activité intellectuelle était si grande, son application au
travail si infatigable qu’il suffisait à tout. Et cependant telle était la
délicatesse de sa conscience et l’ardeur de son zèle, qu’il se livrait tout
entier à chacune de ses occupations, comme si elle avait été la seule dont il
fût chargé.
« Il trouva néanmoins le temps, non seulement de creuser la théologie
jusqu’à ses plus sublimes profondeurs, mais encore d’étendre ses connaissances
aux autres parties de la littérature sacrée et même d’explorer les territoires
qui confinent au domaine de celle-ci. Le nombre de livres qu’il a lus, qu’il a
dévorés, est prodigieux. Et cependant aucune de ces lectures n’était
superficielle... Sa mémoire était si ferme, qu’elle n’oubliait aucune des
choses importantes qu’il lui avait confiées ; sa critique était si sûre, qu’il
n’avait lainais à réformer un premier jugement. Ces qualités, aidées d’un
travail assidu et méthodique, firent de lui l’un des plus savants bibliophiles
de notre époque. » ((Mgr
DE MONTPELLIER, Oraison funèbre de J.-B.
Malou, pp. 20-21)
Elevé, après dix ans de professorat, au siège épiscopal de Bruges, Mgr
Malou, malgré le fardeau de sa (page 466)
nouvelle charge, n’avait cessé de se livrer avec passion à des travaux
scientifiques. Ses amis eux-mêmes ne pouvaient comprendre qu’il pût suffire à
des tâches si multiples.
« Si l’on considère, dit encore Mgr de Montpellier, l’étendue des
devoirs de l’épiscopat, le grand nombre de labeurs et de préoccupations qu’il
suscite, le peu de liberté et de loisir qu’il laisse ; si l’on envisage, en
outre, tout ce que le zèle a fait entreprendre et exécuter à ce grand évêque
pour l’édification et le salut de ses ouailles, pour la prospérité spirituelle
de son diocèse, pour la défense des droits et de la liberté de l’Eglise, on ne
comprend plus comment il a pu se ménager des intervalles de loisir pour se
livrer à ses chères études et pour composer ces ouvrages qui ont ajouté un
nouveau lustre à son nom. » (Mgr DE MONTPELLIER, loc. cit., p.
22)
Si Mgr Malou fut l’honneur de l’Eglise enseignante, il n’occupe pas une
moindre place dans l’épiscopat militant de son époque. La politique
l’intéressait vivement : ce n’était un mystère pour aucun de ses contemporains.
Il suivait de près les travaux parlementaires, s’intéressant même aux débats
étrangers au domaine religieux ou moral. Nul n’affronta avec plus de courage et
de ténacité que l’Evêque de Bruges la lutte contre les empiètements
du radicalisme antireligieux. Du haut de la chaire, dans ses lettres
pastorales, dans la presse, dans des brochures politiques, il fustigeait le
libéralisme de sa cinglante dialectique.
La rigueur de sa doctrine se tempérait toutefois de charité et de
mansuétude. « Prompt à repousser toute attaque contre l’Eglise de Dieu,
toujours sur les remparts de la cité sainte et au plus fort du combat,
intrépide (page 467) dans la mêlée,
infatigable dans les veilles sous les armes, ce vaillant soldat de Jésus-Christ
combattait des deux mains, avec le glaive de la parole et les armes de la
charité ; il priait pour ceux qu’il combattait ; il frappait, non pour blesser
mais pour guérir, il anathématisait, non pour perdre mais pour sauver. » (Mgr
DE MONTPELLIER, loc. cit.,
p. 38)
Au surplus, les nombreux extraits que nous avons produits de la
correspondance de l’Evêque de Bruges auront-ils édifié sur l’élévation de ses
intentions. Il apportait dans la discussion quelque chose de la haute
distinction de manières et de langage qu’il tenait de son éducation.
En butte aux attaques quotidiennes des ennemis de l(Eglise, Mgr Malou
connut la joie réconfortante de chrétiennes amitiés. La plus vive fut celle, fortifiée
par les liens du sang, qui l’unit à son frère Jules. Cette amitié nous l’avons
vue naître, grandir, s’épanouir en toute franchise ; elle ne s’éteignit qu’avec
la mort de Jean-Baptiste Malou.
Bien différentes étaient souvent les conceptions des deux frères,
notamment quant à la politique du parti conservateur ; nous avons souligné en
diverses circonstances les divergences d’opinion, les concessions réciproques
auxquelles ils furent amenés. Ces divergences allèrent plutôt s’accentuant que
s’atténuant ; les dernières lettres en font foi.
Quelques mois avant sa mort, Mgr Malou eut la consolation d’assister au
revirement politique que marquèrent les élections de juin
Le vaillant évêque voulut exprimer sa joie à son frère ; ses forces
trahirent l’effort de sa volonté ; il ne pouvait (page 468) plus écrire ; mais, auprès de lu, prête à l’assister, se
tenait attentive Mlle Marie Malou, « son incomparable sœur, cet ange de charité
qui pendant deux ans a veillé à son chevet » ; elle écrivait sous sa
dictée : Mgr Malou eût désiré de la part de ses amis une offensive plus
délibérée, moins d’habiletés de tactique, plus de résolution et une adhésion
plus franche à quelques principes directeurs de leur politique. « Ce n’est
pas, dictait-il à sa dévouée secrétaire, ce n’est pas en louvoyant dans tous
les sens pour échapper au meilleur compte possible à ses adversaires et en
acceptant à moitié ou aux trois quarts leurs principes que l’opinion
conservatrice se fera jamais une position politique dans le pays. C’est en
résistant à ces faux principes, en formulant son propre programme sur ces
matières qu’elle peut s’assurer un avenir. Grâce donc des transactions, des
conciliations, des concessions, qui ne servent qu’à faire passer avec une
apparence de justice et de raison des lois injustes, liberticides, déplorables
»
La rigueur doctrinale de l’évêque de Bruges se fut-elle accommodée des
transactions auxquelles Jules Malou fut contraint de se plier lorsqu’il fut
chargé, entre 1871 et 1878, du gouvernement ? Quels eussent été les rapports de
l’évêque et du ministre ?
Mieux que d’autres catholiques, Mgr Malou connaissait la sincérité
profonde des convictions religieuses de son frère, son attachement à
Dans la dernière des correspondances politiques échangées entre les deux
frères, Jules Malou paraît avoir tracé, (page
469) en quelque sorte par anticipation, une esquisse sommaire de la
politique générale du ministère du 7 décembre 1871. Quelques semaines avant la
mort de Mgr Malou, il lui adressait cette page, que l’évêque ne releva pas : «
Selon une de mes plus vieilles convictions, confirmée par l’expérience, nous
continuerons à patauger et à recevoir des horions aussi longtemps que la lutte
des partis sera sur le terrain des intérêts moraux et religieux ; il faudrait
faire une diversion puissante, passionner, par exemple, le pays pour des
réformes économiques, des réductions d’impôts. On sabrerait en passant des
obstacles et des abus tels que la patente des cabaretiers, les exagérations des
dépenses de l’enseignement officiel, etc. Mais où se trouve le Robert Peel de
cette campagne hardie ? S’il se révélait, serait-il compris et suivi ? » (Lettre
à Mgr Malou, 19 janvier 1864).
Peut-être, lorsque Malou sera devenu ce Robert Peel et l’artisan nécessaire
d’une œuvre ingrate, conviendra-t-il, en certaines circonstances, de regretter
que les conseils de l’amitié fraternelle aient fait défaut au ministre de
Quoi qu’il fût advenu si, en pleine maturité de l’âge et du talent,
l’évêque de Bruges n’avait été arraché par la mort aux labeurs féconds de son
épiscopat, les catholiques belges ont le devoir d’honorer une amitié vouée sans
ménagements à la défense de leurs intérêts les plus sacrés.
Le terme des jours de Mgr Malou fut digne de sa courageuse existence.
Durant le long calvaire des derniers mois de sa vie, il ne cessa de consacrer
au travail ce qui lui restait de force dans les tourments qui le tenaillaient.
(page 470) « A peine le mal
lui laissait-il quelques instants de relâche, il les consacrait aux affaires du
diocèse, et il les traitait avec autant de calme et de force de jugement que
s’il eût été en pleine santé. Il rouvrait ses livres, il reprenait ses travaux
scientifiques, il écrivait de solides et lumineux traités peur la défense du Saint-Siège
et de nos droits religieux. Que de fois nous l’avons vu, s’écriait avec émotion
son éloquent panégyriste, saisi par un accès subit de souffrance, interrompre
un entretien sur des questions d’administration, de science ou de piété, puis,
l’accès cessant, et après une interruption parfois assez longue, reprendre la
conversation ou le raisonnement à l’endroit même où il l’avait laissé ! » (Mgr
DE MONTPELLIER, loc. cit.,
p. 43)
La mort de Mgr Malou, douloureusement pleurée de ses proches, de son clergé,
du peuple du diocèse de Bruges, qui lui fit de splendides funérailles, affligea
non moins vivement les personnalités éminentes du monde catholique, liées
d’amitié avec l’Evêque de Bruges. Des témoignages de la haute estime dont
jouissait l’éminent prélat, nous ne rapporterons, en terminant, que la lettre
de l’illustre Cardinal Pitra à Jules Malou :
« Au risque de renouveler une grande et trop légitime douleur, lui
écrivait-il de Rome, à la date du 25 avril 1864, permettez à l’un des plus
anciens et des plus dévoués amis de l’Evêque de Bruges de prendre la liberté de
vous exprimer ses condoléances profondément affligées. Parmi ceux qui ont aimé
et pleuré ce grand et cher prélat, je ne sais s’il en est qui ont senti plus
vivement que moi la perte que nous venons de faire. J’ai eu avec lui, de vive
voix et par écrit, des relations si cordiales, j’ai passé auprès de lui et dans
sa bibliothèque des jours et des nuits où nous formions ensemble des projets de
long avenir si cruellement brisés, qu’en ce moment encore, je puis à peine
maîtriser mon (page 471) émotion.
Mais puisque je l’ai si bien connu, nul ne doit s’étonner moins que moi que
Dieu l’ait trouvé mûr et prêt pour la récompense. Il a si bien travaillé et
combattu ! A lui donc la couronne et que nos regrets soient tempérés par
l’assurance de son repos, le désir de l’imiter et l’espérance de le rejoindre.
(page 471) La seconde phase de la crise
ministérielle de 1864 s’ouvrit par un appel du Roi à M. Dechamps. Celui-ci,
écrit M. Juste, soumit au chef de l’Etat un programme auquel la plupart des
conservateurs s’étaient enfin ralliés. Eux aussi, comme les libéraux en 1847,
voulaient inaugurer une politique nouvelle, politique progressive et
démocratique ; ils proposaient donc à la fois une réforme communale et une
réforme électorale. M. Dechamps développa ses vues, et le Roi, qui avait pour
lui une grande estime et une véritable affection, l’écouta avec une attention
sérieuse ; puis il lui fit quelques objections très graves. « Ce que vous dites
est très sensé, très séduisant même, lui répondit-il, mais il faut aussi vous
placer au point de vue de la royauté. Si vous, conservateurs, vous commencez un
steeple-chase avec les libéraux, où cela nous mènera-t-il ? » Les
pourparlers se prolongèrent encore : le Roi se montrait accommodant pour ce qui
concernait sa propre prérogative, mais non pour ce qui touchait au système
électoral il ne voulait pas s’aventurer sur un terrain dont la solidité lui
paraissait suspecte ; il répugnait à bouleverser, eu quelque sorte, le
caractère et les tendances des deux partis avec lesquels il avait jusqu’alors
gouverné. (Th. JUSTE, Léopold Ier, roi
des Belges, d’après des documents inédits, t. II)
(page 472) Le programme soumis au Roi par M.
Dechamps ne fut point agréé.
(Voici le programme que M. Dechamps soumit au Roi :
(1° Nomination du collège
échevinal par le conseil communal ; nomination du bourgmestre par le Roi, parmi
les membres du collège échevinal
(Faculté laissée au Roi de
nommer le bourgmestre en dehors du collège échevinal et dans le conseil : a) en
cas de refus du membre nommé ; b) en tout cas, après avoir pris l’avis motivé
de la députation du conseil provincial ;
(Faculté de nommer le
bourgmestre, en dehors du conseil communal, de l’avis conforme de cette
députation ;
(2° Abaissement modéré du cens
pour les élections communales et provinciales. Réduction de moitié dans le cens
électoral communal :
(10 francs dans les communes
en dessous de 5,000 âmes ;
(15 francs dans les communes
de 5,000 à 10,000 âmes ;
(20 francs dans les communes
de 10,000 à 25,000 âmes ;
(25 francs dans les communes
au-dessus de 25,000 âmes ;
(Pour la province : 25 francs
(3° Extension de la compétence
et des attributions des conseils provinciaux dans un but de décentralisation
administrative et d’expédition plus prompte des affaires ;
(4° Modification de la loi sur
la milice, ayant pour base un système d’exonération destiné à restreindre les
effets du tirage au sort, à alléger les charges militaires pour les familles et
le pays, et, en même temps, à améliorer les éléments constitutifs de l’armée,
en y fortifiant la discipline et l’esprit militaire
(5° Adoption du système suivi
avec tant de succès dans un grand pays voisin, l’Angleterre, d’affecter, en
majeure partie, les excédents des recettes à l’amélioration de notre système
financier et au dégrèvement des impôts qui pèsent le plus sur les classes
ouvrières, à l’aide de mesures efficaces aussi promptes que le permettent les
engagements qui grèvent l’avenir. Arrêter la progression des dépenses
publiques, en simplifiant les rouages administratifs et en restreignant
l’intervention de l’État dans le domaine de l’activité privée
(6° Extension des réformes
douanières dans le but de faciliter les échanges, et application de ce principe
au bon marché des transports à l’intérieur, notamment en modifiant les tarifs
des chemins de fer et le système des péages des voies navigables
(7° Examen sérieux et
bienveillant des difficultés que l’exécution des travaux des fortifications
d’Anvers a soulevées, dans le but de trouver une solution qui, sans changer le
système de défense adopté et sans diminuer la force de la place d’Anvers,
permettrait : a) de ne pas dépasser, pour les travaux entrepris, les limites
des dépenses prévues et annoncées ; b) de faire cesser les inquiétudes qui se
sont manifestées dans la population anversoise
(8° Faculté laissée au Cabinet
de déplacer des fonctionnaires dans l’intérêt de la marche régulière de
l’administration et de révoquer ceux qui se montreraient ouvertement hostiles.
Le Cabinet n’userait de cette faculté qu’avec toute la réserve commandée par le
respect des droits des fonctionnaires et par la politique de modération qu’il
chercherait à faire prévaloir ;
(9° Dissolution des Chambres.)
(page 473) Cependant le
cabinet démissionnaire occupait toujours le pouvoir. M. Rogier, peu désireux de
le conserver dans des conditions aussi difficiles, insista pour que le Roi,
revenant sur sa décision, discutât en détail, au lieu de le repousser in globo, le programme de M. Dechamps.
Léopold Ier fit alors appeler Malou. A la demande de Rogier, écrit M. Discailles (DISCAILLES, Charles Rogier, t. IV, pp. 225 et suiv.),
Malou accepta de servir d’intermédiaire entre le Roi et M. Dechamps. « Ma
mission, dit Malou au Sénat, dura ce que durent les roses, quarante-huit
heures.
Malou eut, le 10 mai, avec M. Van Praet, un entretien au sortir duquel
il soumit à M. Dechamps les modifications que le Roi désirait voir introduire
au programme de l’administration dont il « considérait comme opportun
l’avènement au pouvoir… et agréait complètement le personnel. »
Dans la pensée du chef de l’Etat, il y avait lieu :
1° De supprimer entièrement les n°1 et 2 du programme ; (page 474) il ne fallait pas de
changement dans le mode de nomination des bourgmestres, pas d’abaissement du
cens électoral] provincial ou communal ;
2° De rédiger le n° 5 en termes plus nets ;
3° D’annoncer par le n° 7 (fortifications d’Anvers) l’intention
d’instituer une commission spéciale ;
4° De ne pas inscrire au programme le n° 8. Les autres points, en
particulier la faculté de dissolution immédiate ou prochaine, ne soulevaient
pas d’objections de la part du Souverain.
Malou transmit aussitôt à ceux de ses amis qui étaient désignés pour
faire partie de la nouvelle combinaison ministériel le les désirs manifestés
par le Roi. Il fut décidé, après une longue discussion, qu’il y serait déféré
autant que possible ; quelques points essentiels furent seuls maintenus au
programme.
Dès le lendemain, Malou rendit compte de sa mission à M. Van Praet. Dans
une note au Ministre de la maison du Roi, datée du 13 mai, il a consigné, comme
en un procès-verbal, les résultats de ses diverses et importantes démarches ;
celles-ci aboutirent à un refus du Roi d’admettre aucun abaissement du cens
électoral provincial ou communal ; M. Dechamps et ses amis, de leur côté,
estimèrent qu’ils étaient liés à cet égard par des engagements formels.
Malou n ‘eut plus qu’à acter le dissentiment :
« Je me suis empressé mon cher ministre, écrivait-il le 13 mai à M,
Van Praet. de me mettre en rapport avec mes amis politiques, membres de
l’administration dont le personnel était agréé, me faisant auprès d’eux
l’interprète complet des intentions et aussi, dans la mesure la plus large qui
me paraissait possible, le défenseur de la pensée de Sa Majesté, car je tenais
à bien remplir, par dévouement pour Elle et pour le pays, la mission que le Roi
daignait me confier. »
(page 475) « A la suite
d’une longue et mûre discussion, mes honorables amis, par déférence pour les
désirs du Roi, admirent et m’autorisèrent à vous communiquer les modifications
suivantes
« N°1. Nomination des bourgmestres par le Roi, dans le sein du
conseil, la députation permanente entendue, Nomination des échevins par le
conseil communal. Maintien de la législation en vigueur quant aux nominations
des bourgmestres en dehors du conseil.
« N°2. Il aurait été convenu que le cens électoral, pour les
provinces, n’aurait pas été réduit au-dessous de 30 francs ou même, si tel
était le vœu du Roi, au-dessous de 35 francs.
« Pour les communes, tout en maintenant le principe d’une
réduction, on aurait consulté les députations permanentes sur la quotité de
cette réduction.
« N°5. Le changement du paragraphe financier dans le sens que vous
aviez indiqué était admis.
« N°7. En maintenant la rédaction proposée, on ajouterait ces mots
« au besoin, nomination à ces fins d’une commission spéciale ».
« En vous communiquant, mercredi 11 mai, ces propositions, pour les
soumettre à l’appréciation du Roi, je vous fis remarquer que la discussion
ouverte aujourd’hui avait lieu après la publication du programme considéré, par
une partie de la droite, sinon comme insuffisant, du moins comme un minimum
constituant une sorte d’engagement et que, dès lors, des modifications
profondes présentaient, au point de vue de nos amis, plus de difficultés
qu’elles n’en eussent offert peut-être si la discussion avait précédé la
publicité.
« J’ajoutai que, malgré cette circonstance, mes amis, en renonçant,
comme ils le faisaient, à plusieurs points qui, d’après leur conviction, sont
importants. si pas essentiels, tenaient surtout à témoigner à Sa Majesté leur
sincère désir d’entrer dans ses vues, même au prix du sacrifice d’un intérêt
politique évident.
« J’expliquai, enfin, quelle était, dans leur pensée, le double et
efficace complément de l’abaissement du cens provincial.
(page 476) « Vous m’avez
informé, jeudi matin, que Sa Majesté n’admettait aucun abaissement du cens
provincial ou communal. J’ai aussitôt fait connaître à mes amis cette
appréciation du Roi : ils ont cru qu’il ne leur était pas possible d’admettre
la suppression complète du n° 2 du programme proposé.
« Tel a été le point sur lequel s’est établi le dissentiment.
« Permettez-moi d’ajouter que, selon mon opinion personnelle, rues
honorables amis ne pouvaient aller plus loin.
« Ayez la bonté, je vous prie, de me faire savoir si, comme je
l’espère, j’ai correctement reproduit les faits principaux relatifs à cet
incident. » (M. van Praet confirma le rapport fait par Malou :
« J’ai reçu, lui écrivit-il le 13 mai, la lettre en date de ce jour dans
laquelle vous rappelez le message que je vous ai porté de la part du Roi et ce
qui s’est passé entre nous pour être rapporté à Sa Majesté au sujet de l’entrée
aux affaires d’un Cabinet formé dans la droite de
(Le souvenir que vous avez
conservé et retracé des conversations que j’ai eues avec vous au nom du Roi est
parfaitement d’accord avec celui que j’en ai conservé moi-même. Vous établissez
d’une manière claire et exacte les points sur lesquels il y a entente entre
(Le Roi me charge de vous
remercier de l’obligeant empressement que vous avez mis à intervenir à la
demande de Sa Majesté dans ces pourparlers et des nouveaux témoignages que vous
avez donnés à Sa Majesté, dans cette circonstance, de votre bon vouloir et de
votre dévouement. »)
Le refus du Roi de consentir, celui de M. Dechamps et de ses amis de
renoncer au projet d’abaisser modérément le cens électoral provincial et
communal entraînèrent l’abandon des négociations entre la droite et
Il a été reproché à l’une comme à l’autre des parties en cause de s’être
arrêté à un prétexte insuffisant pour provoquer une rupture définitive ; il est
bien difficile d’émettre un jugement sans connaître l’ensemble des (page 477) raisons qui pesèrent sur la décision
de Léopold Ier et sur celle des hommes politiques auxquels le Roi fit appel à
deux reprises.
Les membres les plus éminents du parti conservateur furent unanimes à
déclarer qu’il ne pouvait être question d’abandonner le principe de
l’abaissement du cens électoral, après l’engagement formel pris dans le
programme.
Malou exprimait à cet égard son opinion personnelle à M. Van Praet ; M.
Dechamps, de son côté, écrivait à Malou, le 11 mai : « Mon avis est qu’il ne
faut pas céder sur le principe de la réduction du cens électoral pour la
commune. Notre concession sur les bourgmestres paraîtra déjà une reculade. On a
dit que notre programme était excessif, prenons garde de le rendre ridicule, ridiculus mus ;
n’oublions pas que le programme a été publié ; il ne nous appartient plus. Nous
devons faire un pas vers le Roi : ne pas
laisser croire que nous avons voulu être refusés ; mais il ne faut pas non
plus laisser croire le contraire. »
L’opinion exprimée par le baron d’Anethan
était d’autant plus significative qu’elle n’émanait pas d’un partisan aussi
convaincu que l’étaient MM. Malou et Dechamps de l’opportunité d’une réforme
électorale : « Personnellement, écrivait-il, le 11 mai, à Malou, je ne tiens
pas à l’abaissement du cens ; mais l’énonciation de cette réduction se trouvant
dans le programme publié, on ne peut abandonner tout à fait le principe ; il
faut au moins s’en tirer honorablement pour le cas où le Roi ne se rendrait pas
à nos raisons. »
Le Roi estima qu’il ne pouvait céder et invita les ministres
démissionnaires à rester en fonctions.
Plus de doute, écrit à ce propos M. Discailles
dans sa biographie de Charles Rogier, les catholiques ne voulaient (page 478) pas du pouvoir. Cette
affirmation appelle des réserves. Rien n’obligeait la droite à retirer le
ministère de la fondrière où il s’était embourbé ; avant de se sacrifier, elle
avait le droit de poser ses conditions ; celles-ci étaient devenues, du fait de
leur publicité, une manière d’engagement vis-à-vis des catholiques. Une
reculade sur un point essentiel du programme parut impossible. Les chefs de la
droite firent de loyaux efforts pour arriver à une transaction et concilier les
intérêts de leur opinion. l’honneur de leur parti et les devoirs du
patriotisme. L’accord ne se fit pas.
On peut se demander s’ils eurent tort de se montrer inflexibles sur un
point, même capital, de leur programme. Cette question d’opportunité fut
tranchée en mai 1864 par les chefs de la droite en un sens qui a été beaucoup
discuté. Une chose est certaine : les catholiques eurent fort à se repentir
d’avoir laissé les libéraux se ressaisir du gouvernement, qu’ils conservèrent
pendant six ans. Qui dira s’ils n’eussent pas regretté davantage une occupation
prématurée du pouvoir.
Le ministère Rogier-Frère, investi à nouveau de la confiance royale, se
représenta le 31 mai devant
Avant l’ouverture de ce débat, Malou invita instamment son ami Dechamps
à ne point accepter la discussion sur un autre objet que le motif réel qui
avait déterminé la droite à refuser le pouvoir :
« Le 12 mai, lui écrivait-il, je fus informé que Sa Majesté (page 479) n’admettait aucun abaissement
du cens provincial et communal : vous avez cru qu’il n’était pas possible
d’admettre la suppression du n° 2 du programme.
« Le dissentiment s’est établi sur ce point.
« Tâchez de ne point vous laisser entraîner par des questions en
dehors de ce cadre, notamment en ce qui concerne Anvers. Le mot commission militaire a été prononcé, il
est vrai, mais incidemment, peut-être comme on lance un ballon d’essai.
« En constatant le dissentiment sur le n° 2, on n’a plus échangé
d’inutiles explications sur les autres points. Telle est la vérité historique :
n’en sortons pas, et si, suivant leur louable habitude, nos doctrinaires se
dressent comme des points d’interrogation plus ou moins crochus, dites que,
toujours prêt à expliquer complètement vos actes, vous n’êtes point chargé
d’interpréter les intentions du Roi ; ramenez-les, en les interrogeant
eux-mêmes, à s’expliquer sur le n° 2. En retirant actuellement leur démission,
après que le dissentiment s’est établi sur l’abaissement du cens, ils acceptent
la responsabilité du rejet de ce paragraphe. »
Il semble que Malou, en ce moment, regrette de ne pas se trouver à
« Je ne sais si je me trompa, poursuit-il, mais il me parait que la droite sera cruellement mystifiée et presque
ridicule si on vote le complément des budgets et si la session se clôt ensuite
en douceur, sans que rien ait été fait. Au mois de novembre les griffes
momentanément rentrées pour faire patte de velours reparaîtront ; vous serez
sous le coup d’une dissolution hivernale, dans l’alternative d’en affronter les
chances ou de vous amoindrir, sinon vous humilier.
« Cette tactique est, je le reconnais, difficile à déjouer
complètement, puisqu’ils tiennent le pouvoir et peuvent, à leur gré, clore la
session lorsqu’ils auront les budgets. »
(page 480) Malou était
partisan de m’offensive ouverte et immédiate :
« Je me suis demandé pourquoi la droite ne formulerait pas
immédiatement en proposition de loi les n°1 et 2 de votre programme. Il est
aisé de provoquer la prise en considération avant le vote des budgets. S’ils
laissent passer, c’est pour vous une victoire ; s’ils combattent la prise en
considération, ils risquent une défaite et, lors même qu’ils entraîneront toute
la gauche à l’unanimité à voter contre l’extension des franchises communales et
contre l’extension du droit de suffrage, vous avez dans l’opinion tous les
profits de la bataille, quoique vaincus en apparence.
« Méditez ce projet. Si j’étais de
« Je sus cent fois de votre avis (le 28 mai
1864) : il faut un acte
et un vote, » répondit M. Dechamps, en conviant Malou à venir conférer, la
veille de la reprise de la session parlementaire, avec le comte de Theux et les membres du Cabinet échoué.
Dans la discussion qui suivit au Sénat, Malou s’attacha à ne pas sortir
des limites qu’il avait lui-même tracées.
« Je puis à bon droit, disait-il (Voir Annales parlementaires, 5 et 7 juillet
1864), avoir la
conviction, d’après la manière dont les choses se sont passées, que, si mes
honorables amis avaient consenti à la suppression complète (page 481) du n° 2,
le Cabinet aurait été formé, et il ne se serait plus agi que de s’entendre sur
la rédaction des autres points...
« L’admiration est une chose qui ne se commande pas ; il est
parfaitement libre à l’honorable ministre de s’extasier devant ce magnifique
système (d’électorat communal). Mais, pour moi, je trouve que mes honorables
amis ont eu parfaitement raison d’en proposer la réforme. Aujourd’hui le cens
communal n’est pas établi d’après les règles du sens commun.
« Il faut de trois choses l’une : ou bien compter l’impôt communal,
ou bien établir le cens uniforme pour les communes, ou bien réduire le cens
pour toutes les communes. C’est à ce dernier système que nos amis se sont
arrêtés.
« Par un de ces effets d’acoustique qui se produisent quelquefois
dans notre salle, j’entendais, l’autre jour, un honorable membre dire à son
voisin que le but de la proposition était d’augmenter le nombre des électeurs
dans les campagnes.
« Je crois que l’effet de la proposition aurait été tout à fait
contraire. La raison en est simple. Tout le monde est imposé dans les villes ;
dans les communes, au contraire, lorsqu’il faut un cens très bas, ou l’on n’est
pas imposé, ou l’on atteint facilement le cens de 15 francs, qui est minime et
que l’on aurait réduit à 10 francs...
« Je n’aurais pas la moindre peur de voir réaliser cette réforme.
« Si quelqu’un a des motifs de craindre l’abaissement du cens
électoral, si l’on peut nous prouver que cette réforme doit nous faire glisser
fatalement sur la pente du suffrage universel, car c’est là l’épouvantail que
l’on a agité contre cette réforme, aucun progrès n’est plus possible.
« Que fera-t-on si l’on n’ose plus espérer une réforme naturelle,
légitime, utile, de peur que cette réforme n’en entraîne une autre qui serait
absurde ? »
M. Frère-Orban se chargea de la réplique. Il aborda tous les thèmes
d’actualité : la crise ministérielle, le (page
482) programme de M. Dechamps, la question constitutionnelle,
l’enseignement, les cimetières.
« Messieurs, répondit simplement Malou, je ne puis suivre
l’honorable ministre des finances dans tous les développements où il est entré.
Ainsi, je n’ai pas besoin de faire l’apologie de l’enseignement donné par les
Jésuites. Il y a tant de libéraux qui mettent leurs enfants chez les Jésuites,
que je les supplie de me remplacer dans cette tâche et de faire l’éloge des
professeurs qu’ils donnent à leurs enfants...
« Nous avons, dit-on, trois programmes : un programme de l’avenir,
un programme de transition et un programme du passé.
« Je ne sais si je dois suivre l’honorable ministre dans cette
partie du débat.
« Je demande si, dans aucun pays. il a existé un parti où il n’y
eût pas de tendances différentes. Je demande si, dans l’état actuel du parti
libéral, il n’y a pas de désirs, ni des aspirations différentes. Dès lors à
quoi bon discuter ?
« Il suffit que le parti au pouvoir prenne la moyenne vraie, la
moyenne patriotique, nationale, dirais-je, des tendances de son opinion pour
pouvoir gouverner. »
Le Sénat se prononça à son tour en faveur du ministère et lui donna sept
voix de majorité.
M. Dechamps fut la première victime de ce revirement électoral. Il
échoua à Charleroi, à la grande surprise de ses amis et de ses adversaires. «
La peur d’un ministère catholique, enfantant des émeutes et une révolution, (page 483) a été l’idée dominante dans
le Hainaut, écrivait-il à Malou ; tous nos amis me pressent de rentrer ;
Charles de Merode, Nothomb, Charles Vilain et du
Bois, d’Anvers, m’offrent généreusement leurs sièges. Je ne puis accepter. Je
veux profiter du décret de