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Note
d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 484) Au Sénat, Malou
s’efforcera surtout d’opposer une digue à la marée montante de la politique
antireligieuse.
Les projets de loi successivement offerts comme des gages au radicalisme
impatient rencontreront en lui un adversaire irréductible.
Il interviendra dans la discussion de la loi des bourses d’études,
défendra le respect des sépultures et prendra une part active à la discussion
du projet sur le temporel des cultes.
Cependant la préoccupation primordiale de la défense des intérêts
religieux et moraux ne détournera pas son attention de débats plus paisibles et
d’ordre plus positif. (Malou prit une part importante à la
discussion du projet de loi instituant
L’opportunité de l’institution
fut peu contestée ;
(Malou se rallia au principe
du projet de M. Frère « Comme l’honorable ministre, disait-il, je désire le
développement des caisses d’épargne en Belgique ; je crois, comme lui, que
l’intervention de l’Etat est non seulement utile, mais nécessaire pour produire
ce développement. » Il se trouva en désaccord avec le ministre des finances
quant à la limitation du montant des dépôts « Si le principe du maximum n’est
pas adopté, exposait Malou, vous n’aurez pas voté une loi sur les caisses
d’épargne et je proposerai de donner à cette loi son véritable nom : Caisse de comptes
courants à intérêt sous la garantie de l’Etat… Rien ne serait plus
déplorable, dans un pays comme le nôtre, que d’encourager la paresse de ceux
qui veulent faire gérer par l’Etat le capital qu’ils ont entre les mains, Et,
au point de vue de l’Etat, rien ne serait plus déplorable que d’aboutir à un
système où le gouvernement serait le gérant d’une grande partie des fortunes
particulières ». - « Puisque la formation du capital est le but,
écrivait-il d’autre part, et que la caisse d’épargne est le moyen, il faut
provoquer sans cesse les déposants, dès qu’un capital est réuni, à le placer
eux-mêmes en valeurs mobilières bien garanties et donnant un intérêt fixe plus
élevé. Les fonds de I ‘Etat, les obligations des provinces ou des communes, les
innombrables obligations que les sociétés de chemins de fer ou d’autres
entreprises industrielles ont émises, offrent aujourd’hui, même aux capitaux
les plus modestes, des modes variés de placement… Je ne verrais pas un grand
inconvénient, disait-il en terminant, à accepter des dépôts de 4,000 à 5,000
francs. Mais, ce que je ne puis admettre, ce qui me paraît imprudent, c’est de
laisser une latitude illimitée pour accepter tous les dépôts, à quelque chiffre
qu’ils puissent s’élever. »
Le principe du maximum,
inscrit dans un amendement déposé par Malou, fut rejeté. Le projet du ministre
des finances l’emporta de quelques voix (28 décembre 1863).
t.a
Caisse d’épargne est arrivée, depuis, à une limitation indirecte, en réduisant
l’intérêt des dépôts supérieurs à 3,000 francs. (V. BURNY
et HAMANDE, Les
caisses d’épargne en Belgique, Bruxelles, 1902.)
(page 485) Ce chapitre et
ceux qui suivront relateront l’œuvre parlementaire de Malou, depuis son entrée
au Sénat, jusqu’à la retraite du ministère libéral à la suite des élections de
juin 1870.
(page 486) Nous n’omettrons pas de signaler
au passage diverses publications de haut intérêt économique ou financier.
La fondation de bourses d’études est, dans nos pays, une des formes
traditionnelles de la bienfaisance posthume. L’origine en remonte à plusieurs
siècles. Leur existence a été reconnue et leur légalité consacrée par tous les
régimes.
Même sous le gouvernement du roi Guillaume, personne n’avait songé à
porter atteinte aux volontés des fondateurs, ni aux droits des familles
bénéficiaires de leurs libéralités. (Voir A. BIEBUYCK,
Le régime légal de la personnification
civile en Hollande, 2ème partie. Bibliothèque de l’Ecole des sciences
politiques et sociales de Louvain, 1905).
Dès l’avènement de la « politique nouvelle », instaurée par le
Cabinet libéral du 12 août ‘847, une hostilité sourde commença à se manifester.
Les projets de fondations étaient accueillis avec mauvaise grâce et
souvent entravés par de hautes volontés administratives. Des plaintes s’étaient
élevées ; les ministres, M. de Haussy, M. Faider, s’étaient toujours défendus d’une hostilité
systématique.
Malou voulut en avoir le cœur net et fit part lui-même, le 10 janvier
1853, au ministre de la justice du projet d’une fondation au profit des jeunes
gens de l’arrondissement d’Ypres. (Malou projetait de capitaliser
les revenus de sa pension d’ancien ministre et le montant de ses indemnités
parlementaires et de les consacrer à la fondation, au profit des jeunes gens de
l’arrondissement d(Ypres, de bourses destinées à faciliter l’accès des
carrières civiles ou les études ecclésiastiques. Le fondateur se réservait, de
son vivant, l’administration et la collation des bourses. Les
administrateurs-collateurs devaient être, après son décès, ses deux plus
proches parents et l’évêque du diocèse de Bruges. Les bourses ne pouvaient être
conférées que pour la fréquentation d’établissements d’enseignement moyen ou
supérieur auxquels le clergé catholique prêtait son concours).
(page 487) « Avant de passer
l’acte authentique de la donation que je me propose de faire, j’ai jugé utile,
écrivait-il à M. Faider, de vous communiquer le
projet afin de savoir s’il ne soulève aucune objection du gouvernement et s’il
pourra être approuvé. Si, comme je l’espère, il en est ainsi, je vous prie de
vouloir bien m’en informer. »
Malou attendit vainement que le ministre accusât réception du projet
qu’il lui avait soumis ; décidé à provoquer une explication publique, il
écrivit après deux mois à M. Faider : « Si la
législation est insuffisante, incomplète, il faut en combler les lacunes ; s’il
n’est plus possible, depuis cinq ans, de fonder des bourses d’études, si de
nombreuses demandes de fondations sont tenues en suspens, il faut que ces
libéralités favorables aux classes inférieures soient permises... Je crois de
mon devoir d’user de mon initiative à cet effet et je ferai tous mes efforts
pour que la proposition soit votée dans le cours de la session actuelle. »
Le ministre annonça le dépôt d’un projet de loi sur les dons et legs
charitables, et Malou prit le parti de patienter. Mais le projet fut rejeté et
entraîna bientôt la retraite de ses auteurs.
Trois ans s’écoulèrent sans que le dessein de Malou reçut l’agrément du
gouvernement. M. Alphonse Nothomb, ministre de la justice dans le ministère de
Decker, lui fit enfin savoir, le 17 août 1857, qu’« après avoir examiné la
question de savoir si le gouvernement peut (page 488) légalement reconnaître des fondations nouvelles », il
avait admis une solution affirmative.
Tandis que ce revirement se produisait dans l’esprit de l’autorité
administrative, la révision du régime des bourses d’études était réclamée pour
la première fois, à
« Il s’agit, dit-il, de révolutionner un régime qui existe dans
notre pays depuis cinq cents ans et de dépouiller 781 familles de leur
propriété. Cette question, soulevée pour la première fois en Belgique (et je
regrette qu’elle le soit). mérite toute l’attention de
« J’espère bien, ajouta-t-il, que ce sera la seule fois qu’elle
aura jamais apparu au sein, des Chambres belges sous le régime de notre
Constitution. » (Annales parlementaires,
Chambre des représentants, 7 février 1857).
Malou voulait être optimiste. A vrai dire, l’amendement de M. Frère
rencontra peu d’appui, même parmi les libéraux. Les catholiques cependant ne se
firent guère d’illusions : ils savaient la ténacité de l’auteur de la
proposition.
Dès 1861 le doute ne fut plus permis ; les fondations de bourses
d’études étaient directement visées le discours du Trône l’exprimait clairement
: « On a reconnu la nécessité de combler les lacunes de la législation existante
tant pour les fondations et l’administration des biens affectés aux études que
pour la gestion et le contrôle de ceux qui sont consacrés aux cultes. »
(page 489) Cette déclaration,
suivie bientôt du dépôt d’un projet de loi spoliateur, alarma vivement Malou.
Assuré que le ministère ne s’arrêterait pas dans la voie où il était engagé, il
fit connaître au Roi, au cours d’un entretien (le 16
novembre 1861, à Laeken),
les justes appréhensions des catholiques.
Pour fixer le souvenir de cette conversation, il adressait, le soir
même, à l’un des familiers de Léopold Ier, le vicomte de Conway
(Le vicomte de Conway appartenait à une famille
d’origine irlandaise ; il fut longtemps intendant de la liste civile), une lettre vraisemblablement
destinée à être portée à la connaissance du Souverain et dans laquelle il
exposait les rétroactes de la question et signalait les conséquences du projet.
Le vicomte de Conway répondit en demandant à Malou un
exposé complet des objections de fait et de principe soulevées par le projet de
loi sur les bourses d’études. Cette note fut remise le 23 avril 1862.
L’un et l’autre de ces documents sont conçus en termes énergiques et
précis :
« Ce n’est pas assez, écrivait Malou le 16 novembre 1861, de
traquer les catholiques de toutes les manières dont on a usé et abusé jusqu’à
présent. Il faut, dans cette session : 1° rendre insupportable la vie du curé
dans l’église par la révision de la loi sur les fabriques ; 2° doter
l’instruction officielle des fondations d’études qui sont la propriété des
familles ; 3° ajouter de nouvelles injustices à la loi électorale.
« Ces étapes franchies, il ne restera plus que la réforme de la loi
de 1842 sur l’instruction primaire et de la législation des cimetières.
« On les franchira à leur tour probablement à la session suivante.
Alors le système sera complet. Les catholiques verront tous leurs droits violés
de leur vivant ; leurs consciences seront violées même après leur mort ! »
(page 490) La note du 23 avril 1862 est, à la fois, un
monument de jurisprudence administrative et un courageux plaidoyer. On y sent
vibrer l’accent d’une indignation émue que l’auteur de l’écrit ne cherche ni à
dissimuler ni à maîtriser.
Malou constate que l’état officiel publié en 1846 comprenait plus de 780
fondations de bourses reconnues comme personnes distinctes. Cette statistique
après quinze ans était encore exacte, car le gouvernement, depuis lors, s’était
refusé à autoriser de nouvelles fondations. Un très grand nombre des bourses
existantes étaient expressément destinées à faciliter les études théologiques,
beaucoup se trouvaient à la disposition de collateurs ecclésiastiques. Une idée
religieuse était à la base de la plupart des fondations.
« Le respect de la volonté des fondateurs est, à la fois, un devoir
de loyauté publique et un encouragement à de nouvelles libéralités.
« Nul, jusqu’en 1847, n’avait songé à ce système absolu qui prétend
soumettre toutes les volontés à quelques règles arbitraires et uniformes, tout
centraliser entre les mains de l’Etat ou de ses délégués et surtout exclure
complètement l’influence religieuse de toutes les fonctions sociales de l’ordre
intellectuel et moral... Le projet de loi tend à bouleverser tout ce qui existe
également en cette matière : les habitudes créées par une pratique constante
depuis plus de trois siècles, les droits consacrés et reconnus, les intérêts
matériels et moraux les plus respectables. Le droit du législateur s’étend-il
jusque-là ? »
Malou étudiait cette importante question et analysait les opinions
émises dans de récentes polémiques où les adversaires des fondations de bourses
se réclamaient du domaine éminent de la nation.
(page 491) « Quoi qu’il
en soit de cette controverse, et en supposant que la nation soit affranchie du
devoir imposé à tout honnête homme de respecter ses engagements, toujours
est-il que les dérogations aux droits reconnus sont illégitimes si elles ne
sont pas motivées par une nécessité sociale ou, du moins, par une incontestable
utilité.
« Cette excuse manque complètement au projet de réforme radicale
qui est aujourd’hui proposé... Avant de condamner à mort et d’exécuter ces
administrations de famille ou de dévouement, la plupart entièrement gratuites,
il faudrait, du moins, les accuser et prouver les faits énoncés en l’acte
d’accusation. Cet acte n’a jamais été dressé, il ne le sera pas...
« Le véritable motif des innovations proposées n’est point
l’intérêt des fondations ou des institués, mais un intérêt politique. Il
s’agit, sous ce rapport, comme bientôt pour les fabriques d’église (que l’on dit
aussi être des biens laïques), de dépouiller les membres du clergé catholique
de toute action, de toute intervention sociale dans la gestion du temporel. Il
s’agit encore de faire passer, autant que possible, à l’enseignement officiel
les fruits des libéralités faites par les catholiques...
« L’intérêt politique le plus immédiat est de maintenir, s’il se
peut, l’unité du parti dominant, en offrant une satisfaction à ceux qui se
disent les plus avancés. »
Qu’il y ait dans le projet, pour atteindre ce but, de grandes habiletés
de rédaction, Malou le reconnaît volontiers. Le danger n’en est que plus grande
et ses craintes plus justifiées. Il résume en une phrase son argumentation : «
Le droit de révolutionner le régime des fondations de bourses est donc au moins
douteux en fait, il n’y a point de motifs sérieux d’opérer cette réforme
radicale ; il faudrait, en tous cas, sauvegarder les droits et les intérêts de
tous. »
Mais que sert-il de raisonner lorsque des engagements ont été pris qui
ne permettent plus de rétractation ? Le (page
492) Roi lui-même peut-il revenir sur les termes formels du discours du
Trône, s’abstenir de combler les lacunes
que présente la législation existante... pour les fondations et
l’administration de biens affectés aux études, après en avoir reconnu la
nécessité ?
Convaincu que le ministère se disposait à mettre à exécution sans retard
ses funestes projets, Malou n’avait cependant d’autre espoir que de dissuader
le Roi de suivre jusqu’au bout les conseils de ses ministres.
Aussi ces dernières pages de la note au vicomte de Conwav
se font-elles plus pressantes, Malou semble s’adresser directement au Roi
lui-même pour le convaincre que le projet
va loin au-delà des engagements contractés par le discours du trône et même
au-delà des expressions de l’Adresse.
« Dessaisir les familles et les titulaires de fonctions laïques ou
d’offices ecclésiastiques de tout droit d’administration substituer la
juridiction administrative à la compétence des tribunaux, ce n’est point
combler les lacunes que présente la législation, c’est, au contraire, établir,
avec effet rétroactif, une législation tout à fait nouvelle fondée sur d’autres
principes...
« Si le Roi approuvait les principes du projet en ce qui concerne
les bourses d’études, il sanctionnerait implicitement les mêmes principes pour
les biens des fabriques d’église : le discours du Trône place les uns et les
autres sur la même ligne.
« Il semble qu’avant de s’engager p1us
qu’Elle le l’a fait par le discours d’ouverture de la session, Sa Majesté pourrait
demander un rapport détaillé et précis sur les abus constatés, afin d’apprécier
quelles lacunes présente la législation.
« Si des abus, des vices d’organisation ou des lacunes sont
prouvés, il y a lieu de fortifier la surveillance et le contrôle et d’introduire
des mesures pour assurer l’exécution fidèle de la volonté des fondateurs.
(page 493) « Tel doit
être le but des innovations, des seules qui soient légitimes.
« On ne peut, sous prétexte de réformer de prétendus abus,
confisquer les droits acquis et bouleverser de fond en comble un régime légal
auquel se rattachent tant d’intérêts...
« Si le ministère persiste à considérer le gouvernement comme
incompétent pour autoriser de nouvelles fondations de bourses, rien n’empêche
qu’il se fasse donner par le pouvoir législatif le droit de reconnaître ces
utiles institutions ; rien n’empêche non plus de soumettre les fondations
futures au système absolu de centralisation et d’administration purement
laïque. Cela n’aura d’autre mauvais effet que de restreindre les libéralités ;
mais il n’y aura dans une pareille loi ni blâmable rétroactivité, ni
spoliation.
« Le législateur a le pouvoir de tout faire ; il n’a pas le droit
de tout faire.
« C’est le cas de dire comme M. Frère, mais avec plus d’à-propos : Adopter ces mesures, ce serait décréter un
acte qui ferait condamner le Parlement belge par l’histoire. »
De telles pages honorent celui qui eut la courageuse indépendance de les
écrire. Elles le rehaussent plus que l’éclat de retentissants discours.
On sait que la discussion de la loi sur les bourses d’études ne fut que
retardée, que
Malou était préparé de longue date à la discussion, qui s’engagea en
novembre 1864. Ses protestations se joignirent à celles de MM. d’Anethan, Osy, della Faille. Il
engloba dans sa réprobation la politique générale du ministère :
« L’erreur fondamentale de cette politique, dit-il, c’est de
considérer, dans les fonctions sociales, la liberté non comme (page 494) une associée naturelle,
légitime, du gouvernement, mais bien comme une ennemie qu’il faut réduire,
qu’il faut amoindrir, puisqu’on n’a pas le droit de la détruire. Voilà l’erreur
de votre politique, votre projet n’a pas d’autre raison d’être. C’est pourquoi
je le combats.
« Déjà cette politique poursuit les intérêts religieux jusqu’au
delà de la tombe ; nous avons un ministre de l’intérieur, grand prêtre de
l’enseignement public, façonnant les jeunes générations ; bientôt, nous aurons,
puisque le projet vient d’être déposé, un ministre des cultes, grand sacristain
de toute
Deux amendements déposés dans le cours de la discussion, par Malou de
concert avec le baron d’Anethan, furent rejetés. Seul le vote de l’article 49
du projet, qui consacrait le principe particulièrement odieux de la
rétroactivité, souleva un incident et donna un instant aux adversaires de la
loi une lueur d’espoir. Cet article, en effet, fut rejeté par 28 voix contre 28
et une abstention.
Le Sénat s’était ressaisi. Mais il se trouva, au vote en seconde
lecture, deux sénateurs pour sauver le ministère, en se déjugeant à quelques
heures d’intervalle.
Vingt-huit voix données à ce triste projet, contre 26 autres et 3 votes
d’abstention permirent au ministère de demander la sanction royale, que Léopold
Ier n’accorda qu’avec répugnance, cédant
aux nécessités politiques. (Lettre du Roi au cardinal-archevêque
de Malines, 22 mars 1865).
(page 495) Au lendemain de la discussion de
la loi sur les fondations de bourses d’études, la mainmorte se retrouva
d’actualité. Le ministre de l’intérieur fit même dresser et publier une statistique
des biens de mainmorte en Belgique. (Documents parlementaires,
session de 1865-1866)
Malou se plut, dans
La presse mena grand tapage autour de son étude, parue sous le titre Quelques chiffres officiels sur la mainmorte
en Belgique, en décembre 1864 (Revue
générale, août 1866).
L’auteur se borne, en somme, à résumer dans ce travail les faits
constatés officiellement par la statistique ; c’est, tout au plus, s’il
agrémente les chiffres et les tableaux synthétiques de quelques considérations
de principe ou de quelques souvenirs rétrospectifs.
La commission de statistique avait étendu ses recherches aux biens de
mainmorte, pris dans leur acception la plus large, en comprenant sous cette
dénomination tout ce qui n’est pas propriété individuelle ou collective de
particuliers mainmorte de l’Etat, des communes, des établissements publics de
bienfaisance, des fondations de bourses, des établissements et des associations
religieuses.
Malou rappelait que, dès 1848, il s’était élevé contre l’augmentation de
la mainmorte de l’Etat, la plus mauvaise, la plus déraisonnable de toutes. « Je
n’ai point changé d’avis, en principe, quant à la mainmorte de l’Etat,
ajoutait-il. Qu’il possède, acquière ou construise tous les bâtiments
nécessaires aux services publics ; qu’il (page
496) ait des camps, des fortifications ; qu’il crée des domaines utiles,
productifs, tels que des canaux ou des chemins de fer, rien de mieux ; mais
pour les terres ou forêts, je n’en vois pas la raison. «
Les communes possédaient plus des sept dixièmes de la totalité des biens
de mainmorte, plus du dixième du sol imposable. Malou souhaitait la réduction
de la mainmorte communale dans l’intérêt, à la fois, du Trésor et de la
richesse générale.
Il remarquait que le Cabinet de Theux, en faisant voter la loi du 25
mars 1847 sur la vente forcée et le défrichement des terrains communaux
incultes, avait contribué plus que personne à réduire la mainmorte.
Abordant enfin l’examen des faits relatifs à la mainmorte des
associations religieuses, Malou notait que, « chose assez singulière, la
mainmorte des couvents, objet de tant de débats politiques, judiciaires et
autres, est la plus microscopique de toutes. » A la vérité, les associations
non reconnues échappaient au contrôle de la statistique officielle ; mais leurs
biens étaient-ils de mainmorte ? N’étaient-ils pas propriétés de particuliers,
grevés d’impôts, acquittant les droits de mutation à l’égal d’autres biens
immobiliers ?
Un aperçu sommaire de la situation des biens de mainmorte en France, en
Angleterre, aux Pays-Bas prolongeait l’exposé des chiffres officiels. L’auteur
abandonnait au bon sens public le soin de conclure.
Malou pouvait s’attendre à une violente prise à partie. Son article
subit l’assaut furieux de toutes les feuilles libérales ; l’Indépendance Belge, sans faire connaitre l’écrit à ses lecteurs, ouvrit ses colonnes
vengeresses à un correspondant qui réédita quelques accusations surannées à
l’endroit du rapporteur du projet de loi de 1857 et de Mgr Malou, auteur du
projet.
« M. J. Malou, écrivait le correspondant de l’Indépendance (M. T..., Lettre à M. le Directeur de
l’Indépendance, Bruxelles, le 13
septembre 1866), est,
assurément, un homme d’esprit ; mais on le retrouve dans cette polémique tel
qu’il a toujours été, tel qu’il est encore dans les discussions législatives,
grand amateur des paradoxes, soutenant du ton le plus sérieux du monde, en
apparence, les thèses les plus impossibles, si je puis ainsi m’exprimer. Son
but est de prouver la pauvreté des ordres religieux. Voici comment il procède
: il isole les congrégations reconnues
des autres congrégations, qui sont les plus nombreuses et les plus dangereuses
au point de vue de l’intérêt des familles ; il prend les statistiques des biens
de mainmorte et arrive à conclure que les couvents de la première catégorie ne
possèdent presque rien, à peine de quoi subsister. »
Peu de jours après, le correspondant de l’Indépendance put lire, dans le Journal
de Bruxelles, la plaisante réplique que Malou lui réservait.
« Vous me communiquez, écrivait-il, le 16 septembre, au directeur
du Journal, une lettre publiée par l’Indépendance au sujet de mon petit
travail de statistique sur la mainmorte en Belgique en 1864, et vous me
demandez s’il y a lieu d’y répondre.
La lecture de cette lettre, signée T..., m’a remis en mémoire une
vieille anecdote parlementaire. Après un discours fort long et même éloquent,
un collègue me dit : « Le règlement de
« J’ai réuni, groupé, condensé les chiffres officiels épars dans
une vingtaine de volumes plus ou moins lourds, publiés par ordre et avec
l’approbation expresse de nos excellents (page
498) ministres. Aucun de ces chiffres n’est contesté... J’ai parlé
statistique et raison. On me répond politique et passion... A quoi bon
répliquer ?...
« Le correspondant de l’Indépendance
assigne à perpétuité aux cléricaux,
dans le jeu de nos libres institutions, le rôle de ces personnages chargés de
servir de plastron et de donner la réplique à nos seigneurs et maitres. Par mon écrit sur la mainmorte, j’ai rempli de mon
mieux ce rôle modeste. Le lendemain du choléra, le besoin de nouvelles tirades
contre les couvents se faisant généralement sentir, j’en ai fourni l’occasion.
Encore une fois, de quoi se plaindrait-on ?
« J’avais songé d’abord à prier l’Indépendance, aux termes d’un certain décret de 1831, d’insérer un
extrait de mon opuscule, double en étendue de la lettre de son correspondant.
La réflexion m’a fait renoncer à cette idée. Il est clair, en effet, que l’Indépendance attaque mon travail sans en
reproduire une seule phrase : elle doit avoir de puissantes raisons de procéder
ainsi. Ce travail est sérieux, peut-être même un peu ennuyeux, comme le sont,
hélas ! beaucoup de choses officielles ; j’ai craint de manquer à la charité
chrétienne ou d’abuser du droit de légitime défense si j’infligeais à tous les
abonnés de ce journal, dans les cinq parties du monde, le désagrément de lire
ma prose belge, qui serait disparate ou paraîtrait dépaysée dans ses
colonnes. »
L’incident n’eut pas d’autres suites.
(page 498) La question des cimetières fut
portée pour la première fois à la tribune parlementaire par M. Verhaegen, en
1855.
« Il y proclama, écrit M. Woeste (Ch. WOESTE, La question des cimetières, p. 5.
Bruxelles, Devaux, 1865),
des principes qu’une fraction de son parti devait adopter plus tard. Mais, à
cette époque, aucun de ses amis ne consentit à le (page 499) suivre dans la triste campagne qu’il avait ouverte. Il
était impossible, en effet, de faire accepter immédiatement une thèse si
nouvelle et si manifestement contraire à la liberté religieuse. Aussi, M. Malou
n’hésita-t-il pas à s’écrier, au moment où la clôture de la discussion allait
être prononcée :
« Dans les précédents sur cette question, on peut dire que le
gouvernement a toujours suivi les mêmes principes, qu’il ne peut pas en suivre
d’autres, et les preuves qui vous ont été données par M. le ministre de la
justice, l’honorable M. Verhaegen a eu soin de n’en dire absolument rien.
Félicitons-nous de ce que, sur une question qui touche aux rapports de l’Eglise
et de l’Etat, nous puissions nous trouver d’accord quant à l’application des
lois et des principes, notamment avec M. Tielemans et avec M. de Haussy. Si une question est claire, c’est celle qui est
décidée de la même manière par des personnes d’opinions différentes sur tant de
points. II s’agit ici d’un principe qui, dans le gouvernement, quelles qu’aient
pu être les vicissitudes politiques, a toujours été appliqué dans le même sens,
d’une question jugée invariablement par l’opinion de tous, par le sentiment de
tous, par la conscience de tous. » (Chambre des
représentants, 29 novembre 1855)
M. Malou avait raison de le dire : la question était claire. L’article
15 du décret du 23 prairial an XII porte, en effet : « Dans les communes où
l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation
particulier, et dans les cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le
partagera par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu’il y a de
cultes différents. » Ce texte défie, par sa clarté, toute interprétation (page 500) contradictoire, et jamais,
avant 1855, on n’en avait contesté l’applicabilité en Belgique, pas plus depuis
1830 que sous le gouvernement hollandais.
Ce texte avait, en outre, l’avantage de respecter les ordonnances
canoniques de l’Eglise.
La session de 1861-1862 vit surgir à nouveau la question des cimetières.
M. Dolez, bourgmestre d’Uccle, avait fait enterrer, dans la partie bénite du
cimetière catholique, un officier qui avait repoussé à ses derniers moments les
secours de la religion. Le fait souleva à
Malou et le baron d’Anethan rencontrèrent, au Sénat, les arguments
développés par M. Frère.
« Partout, affirmait Malou, on a considéré comme inhérent au culte,
comme en faisant partie, l’inhumation religieuse… L’inhumation, d’après tous
les monuments de la littérature et de l’histoire, d’après tous les faits de
l’histoire universelle, fait partie du culte de chaque nation, parce qu’il y a
une croyance commune à l’immortalité de l’âme. »
L’article 15 du décret de prairial était en tous points conciliable avec
notre pacte constitutionnel ; n’avait-il pas été appliqué depuis 1830 d’une
manière constante et sans soulever de récriminations ?
« Messieurs, ajoutait Malou, si l’article 15 du décret du prairial
an XIIn’est pas votre législation, est-ce le décret
de frimaire (page 501) an II ?
Est-ce là ce que vous déclarez être obligatoire en Belgique ?
« Mais si cela est ainsi, soyez logiques adressez-vous à toutes les
localités où il y a divers cultes, dites-leur, en toute impartialité, qu’il y a
lieu de rendre communs tous les cimetières distincts que les cultes possèdent.
Faites cela vous agirez comme un gouvernement.
« Chaque époque a, en quelque sorte. mis sur les lois l’empreinte
de ses besoins, l’empreinte de ses passions.
« Quelle est, entre l’an II et l’an XII, quelle est historiquement,
philosophiquement, l’époque qui reflète le mieux l’esprit du siècle actuel ? En
l’an II, ce noble pays de France était un moment régi par cette assemblée
dominée tour à tour par quelques tyranneaux sanguinaires, assemblée que
l’histoire n’excusera pas pour avoir sauvé le sol de la patrie, car rien ne peut
excuser des crimes comme ceux qui ont souillé l’humanité à cette époque
néfaste.
« Après avoir abandonné Dieu pour les déesses,
« Un poète italien dit que Napoléon s’est posé arbitre entre deux
siècles armés l’un contre l’autre et auxquels il avait imposé silence. Eh bien,
messieurs, cette belle pensée est applicable surtout à l’histoire politique,
législative de l’époque à laquelle appartient le décret de prairial an XII. Ce
décret est contemporain des premiers livres du Code civil ; il est contemporain
de toutes les lois qui ont survécu à d’autres grandeurs de l’empire, à des
grandeurs qui étaient éphémères ou fausses. Il reste à l’Empire une gloire, une
gloire vraie, c’est d’avoir compris, à cette époque, quels étaient les besoins
réels de la société nouvelle, c’est d’avoir compris - et le jeune Empereur le
disait avec ce bon sens admirable qui tient du génie - qu’en fait de religion
il faut respecter ce qui est, il faut fonder sur les faits, sur les croyances
existantes.
« Aussi voyez avec quelle admirable ironie il éloignait de lui ces
libres-penseurs qui lui disaient : Ne faites point de concordat ; n’organisez
pas le culte ; laissez-nous au XVIII° siècle !
(page 502) Je crois que c’est
dans la législation de cette époque, c’est dans les principes qui ont rétabli
la société civile et la société religieuse que nous trouvons les bases des lois
qui font l’honneur et la force des peuples libres de nos jours. »
Après un exposé historique de la législation, sondant l’esprit de
«
« Et d’abord, je crois qu’il faut réformer quelque peu le sens
naturel des mots pour soutenir que la liberté des cultes implique un droit
individuel et non un droit collectif.
« Pour moi, j’ai toujours compris que le mot « culte »
exprimait une idée collective que l’exercice public d’un culte voulait dire «
l’action commune d’une réunion de citoyens , et non point « le droit
philosophique, le droit d’avoir telle ou telle opinion ».
« Evidemment, si l’on n’avait voulu dire que cela, on pouvait fort
bien supprimer la moitié de l’article 14 de
« Le Congrès a parfaitement compris que, s’il fallait assurer la
liberté, il fallait aussi reconnaitre les religions,
toutes les religions. Et comment les reconnaître ? Les reconnaître comme elles
sont, les reconnaître comme des faits.
« Personne n’a jamais prétendu que, dans un pays de liberté, dans
un pays de tolérance, la loi civile reconnût des vérités : non, la loi civile
et la loi constitutionnelle reconnaissent des faits, abstraction de la vérité
des doctrines elles reconnaissent à tous les cultes les mêmes droits, mais
elles ne disent pas : Je ne m’inquiète pas de votre culte, vous êtes tous pour
moi des citoyens. Avec cette interprétation, il n’y a plus de droits, il n’y a
plus de liberté. »
La question des cimetières demeura irrésolue. En mars 1865, elle
provoqua au Sénat une interpellation du (page
503) baron Osy. Au cours du débat, M. A. Vandenpeereboom,
ministre de l’intérieur, déclara que le gouvernement s’abstiendrait de prendre
parti dans les conflits qui surgiraient entre les ministres du culte et les
autorités communales, et laisserait à celles-ci le soin de régler à leur gré
l’ordre et la police des inhumations.
Malou s’éleva vivement contre cette déclaration :
« On chercherait vainement à trouver dans l’histoire parlementaire
un fait analogue à celui-ci un ministre qui vient vous dire L’opinion du
gouvernement sur telle loi consiste à n’avoir pas d’opinion Depuis que le
gouvernement parlementaire existe en Belgique, cela n’a pas encore eu lieu...
Il n’est pas permis au gouvernement de venir dire, lorsqu’il s agit de
l’application d’une loi : Il se produit quatre opinions sur tel article. Quant
à moi, j’ai bien une opinion personnelle, mais, comme gouvernement, mon
opinion, c’est que je n’en ai pas ! Cela n’est évidemment pas permis, puisque
c’est, de la part du gouvernement, l’abandon de la mission que la loi lui a
conférée..,
« Si vous croyez que l’article 15 de la loi de prairial an XII est
abrogé, dites-le.
« En ce qui concerne la décision du conseil communal de Malines, je
vous dirai : Annulez les décisions qui y sont contraires. En le faisant, vous
agirez comme doit le faire un gouvernement ; vous agirez d’une manière
raisonnable. Mais, permettez-moi de le répéter, l’attitude si triste que vous
prenez dans ce débat est inexplicable ; elle est injustifiable. Vous devez
savoir ce que vous voulez, vous devez maintenir les lois telles qu’elles sont.
Vos pouvoirs, vous n’avez pas le droit de les déléguer aux conseils
communaux » (Annales parlementaires,
15 mars 1865).
Le résultat de la discussion fut le dépôt d’une proposition de loi
signée par MM. d’Anethan, Malou et d’autres membres de la droite sénatoriale.
(page 504) Aux termes de
cette proposition, le paragraphe suivant eût été ajouté à l’article 15 du
décret du 23 prairial an XII : « Il y aura, en outre, dans chaque commune un
lieu spécialement destiné à l’inhumation des habitants qui ne sont réclamés par
aucune communion religieuse ou qui ont manifesté l’intention (dêtre inhumés par les soins exclusifs de l’autorité civile.
»
La proposition fut renvoyée aux commissions de l’intérieur et de la
justice.
Jusqu’en 1862, catholiques et libéraux avaient été d’accord pour
maintenir le partage des lieux d’inhumation. A partir de 1862, on laissa aux
bourgmestres le droit d’interpréter à leur guise le décret de prairial. Le
dernier pas allait être fait en 1879 : depuis cette date, on poursuit et on
condamne le bourgmestre qui maintient la séparation. (Abbé S. BALAU, Soixante-dix
ans d’histoire contemporaine de Belgique, p. 187).