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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 393) La rentrée du Parlement, en
novembre 1857, s’était effectuée dans le plus grand calme. D’un commun accord,
écrit M. Discailles, on ajourna la discussion sur les
émeutes de mai et la chute du Cabinet de Decker.
Le ministère, son chef surtout, n’était nullement désireux de
s’abandonner à une politique trop exclusive. On se souvenait d’une précédente
expérience. En outre, le Roi et M. Van Praet agissaient auprès des ministres
dans le sens de la modération.
Mais tous les partis ont leur mauvaise queue, a dit M. Guizot. La
fraction avancée de la gauche s’affirmait de jour en jour plus remuante et
audacieuse. M. Rogier semblait avoir plus de mal à se défendre contre elle que
contre l’opposition de la droite. Celle-ci, en effet, s’abstint d’attaquer de
front le ministère. Elle jugea de meilleure tactique de laisser le gouvernement
aux prises (page 394) avec les
difficultés extérieures et les discussions intestines du parti libéral.
Au lendemain de l’attentat d’Orsini, le gouvernement impérial avait prié
le gouvernement belge de poursuivre les rédacteurs de petits journaux
démagogiques publiés à Bruxelles.
Au grand mécontentement des libéraux avancés et malgré les murmures de
la presse libérale, le ministre de la justice, M. Tesch,
fit voter un projet de loi autorisant la poursuite d’office, par les parquets
belges, des auteurs d’attentats contre la personne de souverains, sans attendre
la plainte des gouvernements étrangers. Un projet de loi sur la police des
étrangers fut également adopté sur la proposition du ministre de la justice, et
un certain nombre de républicains français furent invités à quitter le sol
belge.
Non contents de s’élever contre ces mesures, les avancés de la presse
libérale sommaient le gouvernement de dénoncer la convention d’Anvers et de
réviser la loi sur l’enseignement primaire. Un membre de la gauche, M. Wanderpepen, député de Thuin, envoya sa démission, « les
espérances que lui avait fait concevoir le mouvement électoral du 10 décembre
ne se réalisant pas ».
La question des fortifications d’Anvers, le vote des crédits nécessités
par le projet présenté par le gouvernement allaient provoquer un redoublement
d’opposition et compliquer davantage la situation déjà difficile du ministère.
Le vaste projet d’agrandissement de la ville et de l’enceinte fortifiée
d’Anvers déposé par le général Berten, ministre de la
guerre, prévoyait des dépenses d’ordre militaire et d’ordre économique ; elles
devaient être affectées, d’une part, à la construction de bassins, (page 395) d’autre part à celle d’une
ligne de forts dans la banlieue d’Anvers.
Défendu en section centrale par un commissaire royal, le général Renard,
le projet, au succès duquel le Roi s’intéressait vivement, rencontra une
opposition décidée ; la droite tout entière et la gauche en grande partie y
étaient hostiles. La députation libérale d’Anvers surtout n’en voulait à aucun
prix. Le crédit fut rejeté, par une forte majorité, le 4 août 1858. Toute la droite,
à l’exception de deux de ses membres, MM. de Decker et le vicomte Vilain Xliii, avait voté contre le projet de loi.
M. Rogier écrivit au Roi, offrant la démission du Cabinet. Le chef de
l’Etat estima que le vote n’intéressait pas la politique générale et maintint
au pouvoir le ministre de l’intérieur et ses collègues. Dans sa lettre au Roi,
M. Rogier ne dissimula pas le mécontentement que lui avait causé l’attitude de
la droite « Il avait été permis de croire, écrivait-il, que les membres
importants de la droite n’auraient pas poussé l’esprit d’opposition jusqu’à
voter contre un projet de loi qui se présentait comme exclusivement d’intérêt
national et gouvernemental. J’ignore si ces membres se sont suffisamment rendu
compte de la portée de leur vote ; je me borne à le constater et à leur en
laisser la responsabilité. »
Loin d’être la conséquence d’une irréflexion, ainsi que Rogier donnait à
l’entendre, le vote de la droite avait été mûrement délibéré. Malou s’empressa
de relever les insinuations du ministre de l’intérieur, dans une lettre
adressée le 8 août à M. Dechamps. Ce document, intéressant à plus d’un titre,
eût mérité d’être publié intégralement ; nous reproduisons ce qui en a été
conservé :
(page 396)
« Woluwe-Saint-Lambert, 8 août 1858.
« Mon cher Dechamps,
« On cite un mot ou un billet du Roi : « C’est bien dommage
que ce bon M. Dechamps ne soit pas à
« Je n’ai pu, malheureusement, m’entretenir avec vous avant ou
pendant la campagne qui vient de se terminer. Elle n’a pas été entreprise à
l’étourdie, sans, avoir pesé le pour et le contre.
« Pour le prouver, causons quelques instants. Il semble, au premier
abord, que les conservateurs, en se refusant à admettre des dépenses
militaires, des mesures de sécurité nationales, ont été infidèles à toutes les
traditions comme à tous les devoirs de leur parti ; qu’ils devaient braver
l’impopularité et s’immoler en holocauste pour couronner de lauriers M. Frère
et M. Rogier !
« Nous sommes trop vieux et trop instruits par l’expérience pour
être si simples et si niais.
« L’intérêt national n’était pas en jeu : il n’est nullement
démontré que le système défensif qui consiste à démanteler toutes les
forteresses, à livrer le pays, y compris la capitale, à l’invasion soit d’une
armée régulière, soit de quelques bandes d’un autre Risquons-Tout, à faire
d’Anvers un Gibraltar, un nid de vautours anglais difficiles à dénicher, il
n’est point prouvé que ce système soit belge, prudent et prévoyant.
« Supposant même cette preuve faite, il aurait fallu un projet
complet, définitif ou, pour être moins exigeant, un projet qui ne fût pas
absurde et, en outre absurdement défendu par ses auteurs.
« Le parti conservateur aurait heurté l’idée nationale, il aurait
été infidèle à ses traditions si, même en présence d’un projet ridicule, il
avait rejeté tout et donné à croire qu’il ne voulait rien faire pour la
sécurité et la défense du (page 397)
pays. Mais ses vœux se bornaient à l’ajournement ; il n’a voté le rejet que
comme contraint et forcé, parce que le Cabinet - c’est son affaire - a préféré
se faire donner un coup de massue sur la tête au lieu d’accepter une
chiquenaude bien méritée sur le bout du nez.
« Nous sommes donc restés dans notre rôle au point de vue national.
« Il y a dans le vote d’ajournement ou de rejet un petit échec au
Roi : mais est-ce notre faute ? Quels mauvais conseils l’ont entraîné à user
ainsi, en se mettant personnellement en cause, une popularité dont il aura
encore besoin ? On sert mieux le Roi en lui résistant, en pareil cas. Il n’est
d’ailleurs pas mauvais que, dans les hautes régions, on sache que les
conservateurs ne sont point machines à voter complaisamment ; les partis qui ne
savent ni se faire estimer ni se faire craindre abdiquent.
« Dans les circonstances actuelles, il y avait des motifs
particuliers d’être très indépendants et très fermes. Le brusque revirement de
droite à gauche en octobre dernier ne s’explique pas tout à fait par la peur
d’une révolution ; nous avons tous été convaincus, vous le premier, que la promesse
de résoudre la question d’Anvers dans le sens des désirs du Roi et pendant la
session actuelle a été la cause déterminante pour laquelle on est passé, sans
même entendre les vœux ou l’opinion d’aucun de nous, de de
Decker à Frère, en oubliant, par une fatalité,
d’ouvrir votre lettre (voir note p. 364), que telle a été aussi la cause de
l’obstination avec laquelle tout délai a été refusé. Au détriment de la
popularité du Roi et de la nôtre, on nous demandait donc d’acquitter à
l’échéance la promesse du joyeux avènement de ces messieurs, de voter l’absurde
et de nous discréditer, pour bien démontrer là-haut que l’on est assuré
d’obtenir par la gauche énergique tout ce que l’on veut, que la droite est
impuissante pour le faire elle-même et servile pour consolider, dans ces
régions élevées, la suprématie politique des autres.
(page 398) « En résumé,
sur ce point, il est utile pour l’avenir de prouver que nul ne dispose de la
droite sans elle ou contre elle.
« Dans le résultat comme il était poursuivi, c’est-à-dire par
l’ajournement, il y a un autre enseignement, non moins utile. Certains
ingénieurs militaires et certains généraux se sont longtemps habitués à
disposer des finances du pays à leur gré, bourdonnant sans cesse aux oreilles
du Roi, se donnant, au moyen de nos millions réclamés ou plutôt exigés chaque
jour en plus grand nombre, une importance toujours croissante et faisant voter
par un tas de pékins tout ce qui leur passait par la tête.
« Nous avions ici une occasion unique de fixer un point d’arrêt à
ce système si funeste pour nos finances. En effet, l’armée, loin d’être unanime
en faveur du projet, y était plutôt hostile : nous ne la blessions pas en le
rejetant, comme nous l’eussions blessée en rejetant la grande organisation à
100,000 hommes qui, dans ma conviction, a été une grande faute.
« L’opinion publique n’était point pour le projet. L’unanimité
était bruyante et explosive à Anvers ; partout ailleurs elle se présentait avec
d’autres caractères mais la pensée du pays n’était pas douteuse.
« Et
Ainsi l’intention des conservateurs était de voter non le rejet, mais
l’ajournement du projet de loi. Ils n’avaient (page 399) voté le rejet « que comme contraints et forcés » parce
que le Cabinet avait préféré « se faire donner un coup de massue sur la tête,
au lieu d’accepter une chiquenaude bien méritée sur le bout du nez ».
Malou reconnaît sans difficulté que le rejet a été un échec au Roi et le
regrette. Mais qui en fut la cause ? Si la droite est coupable, c’est d’avoir
cru mieux servir le Roi en résistant qu’en cédant. Elle avait d’ailleurs des
raisons très spéciales de montrer de l’indépendance et de la fermeté. Nous
avons déjà fait remarquer combien un passage de la lettre de Malou à M.
Dechamps confirmait la conjecture émise par M. Woeste d’un engagement, pris par
le Cabinet du 9 novembre 1857, de faire voter le projet de transformation du
système défensif d’Anvers. Encouragée par l’opinion publique, la droite eût
volontiers affirmé par un vote d’ajournement qu’elle n’était pas « machine à
voter complaisamment ». En somme, « tant que la chose a dépendu de la droite,
un plus ample informé était la solution. Ce sont les amis du Cabinet qui ont
voulu plus et qui l’ont fait. »
Plus persuadé que ne l’était Malou de la nécessité de faire d’Anvers le
centre de la défense du pays, M. Dechamps ne partageait pas entièrement les
idées de son ancien collègue. Peut-être, s’il eût été à
« Vous paraissez croire, lui écrivait-il, qu’il est bon et prudent
de faire d’Anvers un Gibraltar, un nid de vautours anglais difficiles à
dénicher. Cela convient aux Anglais et aux Autrichiens, leurs alliés
d’aujourd’hui ; mais nous autres, Belges, n’y avons pas le même intérêt, bien
au contraire.
« L’Empire, qui est officiellement la paix, finira par la guerre ;
cette carte est dans le jeu, mais elle sera jouée la dernière. Anvers, comme on
voulait le faire, eût été une provocation à la conquête et au partage. Quant à
dire que nous sommes une puissance militaire de deuxième ordre, c’est un conte
à dormir debout. Nous avons les 100,000 hommes et 100,000 gardes civiques
imprimés tout vifs chaque année dans l’Almanach de Gotha : ils ne sont que là
et nul ne l’ignore en Europe. Nous pouvons avoir 60,000 hommes de troupes
bonnes ou passables. Le reste est de la fantasmagorie pure ct
dispendieuse. » (Lettre à M. Dechamps, 24 août 1858).
Malgré les meilleures raisons, la droite ne cessa d’avoir grand tort au
regard de la presse libérale ; celle-ci blâmait sévèrement ce qu’elle
qualifiait de vote antipatriotique du 4 août. Répandues à l’étranger, ces
attaques étaient de nature à léser le parti conservateur.
Aussi Malou entreprit-il de mettre les choses au point en livrant à la
revue
Dans cet article, qu’il ne signa pas, Malou se demandait si le vote du 4
août n’avait pas induit les amis sincères que
Il n’en était pas ainsi ; la droite, répondait-il, se fût contentée d’un
ajournement, qu’elle estimait seul nécessaire : « Le projet était mal conçu,
mal présenté, et il a été plus mal défendu ; à bon droit, la majorité de
(page 401) Le ministère
repoussa toute proposition d’enquête ou de disjonction. Une demande
d’ajournement formulée par la droite échoua ; il ne lui resta plus qu’à voter
le simple rejet.
Malou était loin de penser que
« On croit, disait-il (Annales parlementaires, 29 décembre 1847), avoir tout dit lorsqu’on a proclamé que
« En étudiant l’histoire, surtout celle de nos provinces, je suis
demeuré convaincu que, dans certaines hypothèses, la neutralité armée de
« En consultant les enseignements de l’histoire, on voit que les
traités sont souvent violés dans les guerres, quand il n’y a pas un intérêt
supérieur. Or, cet intérêt supérieur, cette garantie que nous créons consistent
surtout dans la force dont notre neutralité sera accompagnée. »
(page 401) La conviction que
Malou possédait de la nécessité pour
« Une petite nation, écrivait-il, placée, comme la nôtre, entre de
grandes puissances militaires et, pour ainsi dire, sur leur chemin le plus
facile et le plus droit, ne doit ni s’abandonner à une trompeuse sécurité en ne
faisant rien, ni se mettre en danger en faisant trop s’annuler ou s’exagérer son
rôle est également mauvais.
« Ayons donc, quoi qu’il en coûte, une bonne et solide armée ;
sachons la conserver, même aux époques où la paix semble la mieux assurée... Et
quant au système défensif, qu’une enquête nationale soit ouverte et
vigoureusement poursuivie. Il est très essentiel que notre système défensif
soit belge, exclusivement belge, n’ayant pour but que la défense de notre
neutralité et de l’inviolabilité de notre territoire. Nous avons chance de
demeurer neutres de fait (en cas de conflit entre nations voisines de la nôtre)
si nous créons, pour qu’on respecte notre territoire, un intérêt supérieur à
l’intérêt qu’aurait l’ennemi à s’emparer de nos provinces. » (Quelques réflexions sur le vote du 4
août (dans
Après avoir ainsi répondu aux accusations d’antipatriotisme de la presse
hostile, Malou développait encore, le vœu exprimé par la droite, qu’une enquête
sérieuse établit la nécessité et l’éventuelle efficacité d’un système basé sur
le développement de la défense d’Anvers ; il réclamait un examen plus
approfondi de la question de savoir si Bruxelles ne devait pas être la base de
la défense nationale.
« Lorsque la lumière aura succédé au chaos actuel des systèmes et
des idées, que le ministère propose un projet complet ; qu’il le propose dans
sa simplicité, qui sera sa grandeur et sa force, sans y accoler ni canaux, ni
chemins de fer, (page 403) ni ports
de refuge, ni égouts ; qu’il le défende comme le meilleur, sinon le seul bon,
ayant pour lui la majorité des hommes spéciaux, la raison politique et la
raison militaire, le sentiment public qui ne fera jamais défaut aux choses
vraiment nationales ; qu’il ne refuse aucun renseignement, qu’il propose enfin
un plan financier acceptable et, dans ces conditions nouvelles, dont aucune
n’existait naguère, il n’aura pas besoin de faire fonctionner à haute pression
tous les organes de la machine constitutionnelle ; il trouvera dans les rangs
de la droite de nombreuses, sinon d’unanimes adhésions.
(page 403) Jamais Malou ne laissa échapper
l’occasion de combattre les abus qui étouffaient ou falsifiaient l’expression
vraie des volontés électorales. Doter en ce sens le pays d’une législation
honnête fut l’une de ses préoccupations constantes.
Dès 1842, nous l’avons dit (page 82-83), Malou préconisait, sans succès,
l’emploi de bulletins électoraux officiels et appuyait le projet de répression des
fraudes électorales présenté à
Les élections de 1857 avaient donné lieu à de véritables abus. Le vote
se faisait au chef-lieu d’arrondissement. Les électeurs étaient l’objet de la
pression la plus éhontée ; les candidats prenaient à leur charge tous les frais
de logement et de nourriture des électeurs étrangers au chef-lieu d’arrondissement.
Des sommes énormes étaient englouties à chaque élection. Les libéraux (page 404) avaient tout intérêt à
écarter des urnes les électeurs des campagnes ; le vote au chef-lieu
d’arrondissement les servait à souhait, surtout en cas de ballottage ; pressés
de regagner leurs foyers, les campagnards n’attendaient pas le résultat du
premier scrutin et ne prenaient point part au second scrutin, qui avait lieu
immédiatement, sans nouvelle convocation.
Quelques membres de la droite avaient profité de l’occasion de certaines
pétitions pour ouvrir, dans le cours de la session de 1857-1858, un débat sur
le lieu du vote. (Voir Annales
parlementaires, 9 février 1858).
Le remède semblait à première vue s’indiquer : le vote à la commune. MM.
Coomans, le comte de Theux, Barthélemy Dumortier se
déclarèrent partisans de ce mode de voter. Malou se sépara de ses amis,
accordant ses préférences au système du vote au chef-lieu de canton. Il
estimait que, dans la plupart de nos communes, le nombre d’électeurs était insuffisant
pour la formation de bureaux indépendants et l’exercice d’un contrôle sérieux.
La solution préconisée par ses amis lui paraissait trop brusque, trop radicale.
Ses préférences, dans des questions de ce genre, allaient plutôt aux
demi-mesures ; il pensait que, pour arriver au but, il ne fallait pas négliger
les relais ; d’ailleurs, constatait-il, « dans tous les pays où le gouvernement
repose sur les élections, l’examen des lois électorales est à l’état permanent
».
Fort de la division de ses adversaires, M. Rogier n’eut pas de peine à
écarter momentanément la question de l’ordre du jour de
Au cours de ce débat sommaire, - on disait alors beaucoup de choses en
peu de temps, - l’occasion fut donnée aux orateurs qui prirent la parole dans
l’un ou l’autre sens de faire connaitre leurs vues en
matière de (page 405) réformes
électorales. MM. Malou, de Theux et de Decker se trouvèrent d’accord pour
repousser l’idée d’un fractionnement des collèges électoraux. Malou se prononça
de façon très nette et très catégorique contre le système du scrutin
uninominal, « question, exposait-il, qui a été à l’ordre du jour il y a bien
longtemps et dont depuis longtemps aussi on ne s’occupe plus ».
« Je dirai bien franchement mon opinion sur le fractionnement des
collèges électoraux. Si, dans notre pays, on admettait l’unité du collège
électoral par 40,000 âmes, on créerait, au lieu d’influences politiques, des
influences personnelles ; et c’est là pour moi une raison décisive contre le
fractionnement des collèges électoraux. On ne pourrait être élu autrement qu’à
titre de propriétaire et non à titre de représentant d’une opinion ; ce système
nous rapprocherait de celui qui a été abrogé en Angleterre, où l’on était
propriétaire d’une circonscription électorale ; je repousserai à tout prix un
système qui fausserait à ce point nos institutions. »
Tenace à défendre une idée qu’il avait faite sienne, Malou saisit le
premier moment opportun pour poser à nouveau, le 29 janvier 1859, la question
du vote au chef-lieu de canton.
Trois mois plus tard, Malou reprenait pour la troisième fois sa
proposition, sous la forme d’un amendement quelque peu différent dans le fond
et dans la forme. Un projet de répartition nouvelle des membres des Chambres
législatives entre les divers arrondissements était venu en discussion. Malade
et empêché de se rendre à la (page 406)
Chambre, Malou ne put présenter et défendre en personne son amendement.
Il écrivait, le 7 avril 1859, au comte de Theux, qu’il avait réussi à
rallier à sa proposition, et lui adressait le texte de celle-ci :
(L’amendement était conçu dans les termes suivants :
(« Les collèges électoraux
seront divisés pour le vote en sections formées par communes les plus voisines
entre elles ou par fractions de communes, conformément aux dispositions
suivantes :
(« A. Dans les villes et
communes où le nombre des électeurs dépasse 600, la division se fait de manière
que chaque section comprenne au plus 600 électeurs et au moins 200 ;
(« B. Pour les autres
communes, la division se fait par circonscriptions ayant au maximum un rayon de
(« En cas de ballottage
il y aura une nouvelle convocation des électeurs. »)
« Voici la formule la plus simple que j’aie trouvée pour introduire
la réforme conservatrice. Nous commettons une faute énorme et irréparable si
nous ne saisissons pas cette occasion de poser et de soutenir la thèse du bon
droit, de l’équité et du bon sens.
« Je regrette infiniment de n’être pas sur pied aujourd’hui ; mais
suppliez nos amis de sacrifier au besoin quelques dissentiments sur des points
secondaires, en vue d’un grand résultat...
« La réforme proposée se réduira à ceci : nous ne voulons pas que
l’électeur ait à parcourir plus de deux lieues à l’aller et deux lieues au
retour pour exercer ses droits. »
Signé par MM. de Theux, de Nayer, de
Liedekerke et de
La révision du Code pénal, entreprise par
(« Les ministres des cultes
qui, dans des discours prononcés ou dans des écrits lus dans l’exercice de leur
ministère et en assemblée publique, auront fait la critique ou censure du
gouvernement, d’une loi, d’un arrêté royal ou de tout autre acte de l’autorité
publique, seront punis d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une
amende de 26 à 500 francs.)
Les catholiques n’étaient pas unanimes à repousser la proposition.
Quelques-uns d’entre eux, non des moindres, notamment le comte de Theux et
Malou, sans s’opposer en principe à des mesures d’exception, se bornaient à
réclamer un texte non équivoque. Des publicistes catholiques s’élevèrent, au
contraire, avec vigueur contre des dispositions qu’ils prétendirent
inconstitutionnelles ; Mgr Malou se rangea à leur opinion. A l’extrême opposé,
(page 408) M. Louis De Pré contesta
lui aussi, dans une pensée évidemment différente, la constitutionnalité du
projet.
Entre l’évêque de Bruges et son frère, il y eut, sur ce point, un
désaccord momentané que reflète leur correspondance.
Le conflit était délicat, tout en nuances.
L’évêque prit l’offensive, effrayé de voir le gouvernement s’armer
contre le clergé de mesures d’exception empruntées à l’arsenal de Joseph II et
de Guillaume Ier. Pourquoi ne s’en tenait-on pas au principe du Congrès
national et voulait-on, en matière de cultes, une législation spéciale ?
Pourquoi infliger au clergé l’outrage d’une loi spécialement édictée pour
prévenir des délits dont gratuitement on lui prêtait l’intention ? Le projet
était à la fois inconstitutionnel, menaçant pour la liberté et gratuitement
injurieux. (Lettre de Mgr Malou à Jules Malou, 3, 11 et 19
décembre 1858).
Sans doute, répondait Malou (Lettre à Mgr Malou, 5 et 12
décembre 1858), il ne
faut pas que le texte de la loi pénale soit vague et se prête à des tracasseries,
mais quand le fait est bien caractérisé, la loi civile doit ou peut le punir
différemment, selon le caractère et la position reconnue des auteurs de
l’infraction. Il ne s’agissait, en somme, que de la répression d’attaques
dirigées par un ministre des cultes, dans l’exercice de son ministère, contre
un acte de l’autorité publique, étranger aux intérêts de la religion ou de la
morale. Le soupçon avait-il quoi que ce soit d’injurieux à l’endroit des
ministres des cultes ? Pas plus que les dispositions du Code pénal en général,
qui ne présument pas que tous les Belges soient des voleurs ou des assassins. «
La liberté des cultes, ajoutait encore Malou, suppose pour le prêtre le droit
le plus illimité de la parole verbale et (page
409) écrite, pour tout ce qui touche la religion et la morale, les droits
et les obligations de la conscience. Mais, il y a lésion du droit de la société
si le prêtre, oubliant ses attributions et son caractère, attaque méchamment
l’autorité des lois, provoque à la désobéissance dans l’ordre civil ; ces faits
sont des délits. »
Mgr Malou comprit que l’opinion de son frère était faite ; il renonça
aux raisonnements et lui adressa cette prière : « Je vous demanderai une faveur
personnelle : c’est que vous ne
votiez pas ces articles, que votre nom, qui est le mien, ne leur serve pas
d’appui. Vous pouvez vous absenter. J’espère que vous ne me refuserez pas cette
grâce. » Malou eut égard à cette prière et promit de s’abstenir.
Le débat s’ouvrit le 8 février 1859. Dès le premier jour il en coûta
tant à Malou de se taire qu’il demanda à être délié de son engagement.
« Il a fallu subir les discours de MM. Jouret
et Ch. Lebeau, bazochiens de chef-lieu de canton, écrivait-il, rendant compte à
son frère de la discussion.
« Mais, à la fin de la séance, M. Pirmez a placé la question sur
son véritable terrain par un discours très habile et très net tout à la fois,
que l’immense majorité de
« Je vous rends votre parole, répondit l’évêque. Usez-en pour le moindre
mal ou pour le plus grand bien possible. » (Lettre à
Jules Malou, 10 février 1859).
(page 410) Dégagé de sa
promesse, Malou, dès le lendemain, intervint dans le débat, non assurément pour
défendre la thèse de l’évêque de Bruges, ni davantage pour prêter son appui au
projet ministériel. Si l’opposition du premier lui paraissait d’un radicalisme
excessif, la formule proposée par le ministre de la justice ne pouvait pas non
plus le satisfaire. Il réclamait, avec plus de précision, plus de garantie.
« J’ai longtemps hésité devant le problème de législation pénale
que nous discutons... Je me disais : Si
« Et pourquoi, messieurs, ces hésitations ont-elles cessé ? Je le
dirai franchement à
« Si cette impossibilité de trouver une formule qui laisse
subsister intact le droit venait à disparaître, aujourd’hui encore
j’accepterais la qualification d’un délit spécial mais aussi longtemps que
cette formule n’est pas trouvée, je réclamerai l’application du droit
commun. » (Annales
parlementaires, 11 février 1858).
Malou déposa un amendement aux ternies duquel les écrits lus par les ministres des cultes dans
l’exercice (page 411) de leur
ministère ne devaient pas tomber sous le coup de dispositions exceptionnelles ;
en effet, faire de la lecture publique d’écrits un délit spécial, c’était aller
au-devant de l’impossible : eût-on poursuivi tout le clergé belge s’il s’était
rendu coupable de lire en obéissant, sans intention mauvaise, à un ordre
supérieur, une lettre encyclique ou pastorale qui eût déplu à l’autorité
répressive ? Les mots critique ou censure du gouvernement étaient
également écartés de l’amendement Malou, parce qu’ils autorisaient des
poursuites pour les plus vagues allusions aux actes du gouvernement. Malou
voulait aussi que l’intention méchante comptât parmi les éléments constitutifs
de l’infraction visée. (Cet amendement était rédigé dans les
ternies suivants : « Tout ministre des cultes qui, par des discours en
assemblée publique, dans l’exercice de son ministère, aura attaqué méchamment
un acte de l’autorité publique étranger aux intérêts de la religion ou de la
morale, sera puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de
26 à 500 francs. »)
« En principe général, l’intention coupable, mauvaise, doit exister
pour qu’il y ait lieu à répression. En matière de délits d’ordre public, il
n’en est pas ainsi, à moins d’une disposition expresse de la loi. En effet,
l’atteinte à l’ordre public est portée par le fait seul, quand même il n’y
aurait pas eu intention mauvaise. C’est pour ce motif qu’il m’a paru essentiel
d’insérer dans l’article les mots attaques méchantes. » (Annales parlementaires, 19 février
1859).
La rédaction proposée par le ministre de la justice fut préférée à celle
de l’amendement Malou, rejeté par une forte majorité. La plupart des membres de
la droite, adversaires absolus des lois d’exception portées contre les
ministres des cultes, votèrent contre l’amendement, empêchant ainsi une
transaction acceptable de prévaloir contre une disposition dangereusement
imprécise, qu’ils ne purent empêcher la gauche de voter.
(page 412) Bien qu’il
déplorât le vote de « ces mesures liberticides », Mgr Malou se réjouissait de
ce que la droite ne se fût pas faite complice de cet étranglement d’une
liberté. « J’étais sous l’empire de la terreur et de la douleur les plus
sensibles, écrivait-il, lorsque je me représentais la droite votant, ses chefs
en tête, des mesures qu’il est impossible de concilier avec les principes de
L’évêque de Bruges ne vit pas, avant de mourir, l’article qu’il avait
tant combattu inscrit définitivement dans le Code pénal. L’article 268,
actuellement en vigueur, ne fut adopté qu’en 1866, à la suite d’une entente
intervenue entre le gouvernement et la droite ; le texte du Code pénal n’est
plus celui que défendait M. Tesch, et qui fut voté en
1859 par
(page 412) Les conservateurs recueillirent
aux élections de juin 1859 quelque fruit de leurs efforts. Leur minorité se
renforça de trois recrues à
Le candidat le plus favorisé de la liste conservatrice à Anvers, le
baron Osy, ne recueillait qu’une centaine de voix de moins que M. Rogier.
Celui-ci, par contre, était battu à Charleroi par M. Dechamps, le vaincu de
1857, et n’avait pas à se féliciter d’une incursion en pays électoral étranger.
(page 413) A Bruxelles, la
fraction remuante de l’Association libérale ne cachait pas le mécontentement
que lui causaient les atermoiements - on disait les « reculades » - du
ministère. La scission s’était produite entre « vieux » et « jeunes » libéraux.
Aux candidats « avancés » de l’Association libérale avait été opposée la liste
de
L’échec de Malou à Ypres fut l’événement marquant des élections de 1859.
Chacun en fut surpris, hormis Malou lui-même. Au début de l’année 1859, il
avait soumis à ses amis politiques le projet de quitter
Malou avait-il pressenti un échec ? On s’étonnerait, dans ce cas, qu’il
n’eût rien fait pour l’éviter. Il eut peut- être le tort de s’abandonner avec
une trop grande confiance à la loyauté de ses adversaires.
A plusieurs reprises déjà, Malou, distrait par la direction politique
générale du parti conservateur et par ses multiples occupations, s’en était
remis à ses collègues (page 414) et
à ses amis politiques du soin de préparer les élections dans l’arrondissement
d’Ypres. Depuis son mariage, il s’était fixé définitivement à Bruxelles, où M.
Malou-Vandenpeereboom était venu, lui aussi,
s’établir. Se trouvant en contact moins direct avec sa ville natale, peut-être
Malou ne s’était-il pas exactement rendu compte du mouvement des idées
politiques parmi ses anciens concitoyens.
Les membres de la députation d’Ypres se concertèrent, libéraux et
conservateurs, en vue de machiner à l’avance l’élection de 1859 et d’en
supporter en commun les dépens. Le baron Mazernan de Couthove remplacerait M. Malou-Vandenpeereboom
au Sénat. MM. Malou, van Renynghe et Alphonse Vandenpeereboom seraient réélus pour
« Jamais, lui écrivait, le 3 juin, M.van Renynghe,
dans notre arrondissement élection n’aura eu lieu plus paisiblement et plus de
commun accord que celle du 14 de ce mois... Je puis vous assurer qu’aucune
surprise n’est plus possible et que les efforts qu’on ferait pour faire arriver
les électeurs au scrutin ne pourraient inspirer que de la méfiance. Ainsi donc,
au lieu de s’entendre pour supporter en commun les dépenses qu’on voudrait
faire pour cette élection, on devrait être d’accord avec moi pour les
éviter... » Cela revenait à dire qu’une campagne électorale eût été plus
nuisible qu’utile, que toute propagande était superflue.
Eu effet, la confiance des électeurs, celle du moins des électeurs des
campagnes, dans les arrangements de leurs candidats fut si grande qu’ils ne se
dérangèrent pas pour prendre le chemin d’Ypres ; ni équipages, ni festins ne
les sollicitaient d’ailleurs de s’y rendre.
(page 415) Au premier tour,
M. Alphonse Vandenpeereboom seul fut élu. il manqua à
MM. Malou et van Renynghe seize voix pour atteindre
la majorité absolue. Un scrutin de ballottage s’ouvrit le jour même, dans
l’après-midi. Les rares électeurs venus des cantons ruraux pour appuyer les
candidatures conservatrices avaient quitté la ville. Les libéraux s’aperçurent
qu’ils étaient les maîtres du terrain. L’occasion était belle de jouer à
l’adversaire un tour auquel il ne paraissait guère s’attendre.
Par une manœuvre de la dernière heure, dont nous préférons ne point
apprécier la loyauté, les électeurs libéraux réussirent à faire prévaloir le
nom d’un des leurs. M. de Florisone fut élu, tandis que Malou ne réunissait
qu’une minorité de suffrages.
(Résultat des élections législatives du 14 juin 1859, à
Ypres : Votants 1,500 ; majorité absolue 751.
(Premier tour M. A. Vandenpeereboom, 1,020 suffrages, élu ; M. J. Malou, 735 ;
M. van Renynghe, 734.
(Scrutin de ballottage : M.
van Renynghe 820 suffrages, élu ; M. de Florisone,
667 ; M. J. Malou, 565.)
Ce fut pour les libéraux la stupéfaction d’un triomphe trop facile, pour
les catholiques un inutile dépit.
Malou, qui avait été seul à prévoir la possibilité d’un échec, fut aussi
seul parmi les conservateurs à ne point le regretter
« A mon point de vue personnel, écrivait-il, je suis très charmé d’être
mis dehors. J’ai loyalement tenu parole à mes amis ; je ne puis être porté
déserteur ni suicidé. Ils regretteront maintenant de n’avoir pas accueilli ma
proposition. Pour le Sénat, j’aurais passé comme une lettre à la poste ; je
leur avais dit, sachant (page 416)
combien le terrain était miné, que ma réélection à
Parmi les amis de Malou ce fut de la consternation : « Alphonse Vandenpeereboom devrait-il s’appeler à l’avenir Iscariote Vandenpeereboom ? » s’écriait avec sa fougue habituelle M.
Barthélemy Dumortier. « Toujours est-il que votre perte est irréparable et que
la tribune nationale perd en vous un orateur incomparable, le parti
conservateur un athlète hors ligne. » - « Je sais, écrivait de son côté, le
baron d’Huart, que vous aviez un profond dégoût pour la continuation de votre
mandat parlementaire et qu’il a fallu faire appel à votre dévouement pour que
vous consentiez à vous laisser remettre sur les rangs. Aussi ne viens-je pas
vous adresser un compliment de condoléance, je veux vous exprimer, comme bon
citoyen, toute la peine que me cause votre éloignement de
Malou se promit bien de ne plus jamais se représenter aux suffrages des Yprois ; bientôt après, il partit pour l’Allemagne, où il
allait enfin goûter un peu de repos.