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Note
d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 365) Le 10 novembre 1857, au début de
la séance de l’entrée de
Quelle attitude les conservateurs allaient-ils prendre à l’égard du
Cabinet reconstitué du 12 août 1847 ? Fallait-il répondre à l’arrêté de
dissolution par l’abstention ou par d’énergiques efforts d’organisation et de
combat ?
Les membres de la majorité dissoute furent unanimes (page 366) à protester contre la
dévolution du pouvoir à la minorité libérale de
L’accord cessa d’exister entre eux lorsqu’il fut question, en manière de
protestation, d’une abstention de la majorité aux élections du 10 décembre.
Cette idée, émise et défendue par quelques-uns des membres présents à la
réunion, fut combattue par Malou et par son ami Dechamps. Ils se prononcèrent,
l’un et l’autre, pour la lutte. Malou proposa d’en donner le signal par un
manifeste de protestation adressé au pays. On applaudit à cette proposition et
on ne se sépara qu’après avoir décidé de lutter aux élections du 10 décembre et
de s’occuper, sans retard, d’enrégimenter les forces conservatrices.
Auteur du premier manifeste conservateur, qui parut en 1852, signé par
la plupart des membres de la droite, Malou se chargea de rédiger et de lancer
le nouvel appel des conservateurs au pays. Adressé spécialement aux électeurs,
le manifeste parut le 19 novembre 1857 :
« Aux électeurs.
« La violence avait
fermé, il y a quelques mois, les portes du Parlement ; nous attendions
impatiemment que
« Mais la dissolution de
« Ce silence, auquel le
ministère nous condamne, notre droit et notre devoir sont de le rompre, en nous
adressant directement à votre conscience et à votre raison.
« Nous avons résolu, dès
le mois de juin dernier, de poser, à l’ouverture de la session, un acte en
rapport avec les antécédents (page 367)
de l’opinion conservatrice, qui a toujours su faire de patriotiques sacrifices,
quand les intérêts élevés du pays les réclamaient.
« Le roi Léopold, dans la
lettre du 13 juin, indiquait à la majorité de
« Ce conseil, donné par
une bouche auguste et toujours respectée, nous étions décidés à le suivre et le
pays ne l’a pas ignoré. A la proposition d’ajournement que le Cabinet précédent
aurait faite à la majorité, la majorité aurait répondu par la demande du
retrait formel d’une loi travestie dans son but et son caractère, mais qui
était devenue une arme aux mains de passions dangereuses et un prétexte pour
entretenir l’agitation d’une partie du pays.
« Le ministère ne nous a
donc pas permis d’accepter la noble position que Sa Majesté nous conseillait de
prendre et de poser l’acte qu’elle avait réclamé de notre sagesse et de notre
patriotisme ; il conserve l’arme et le prétexte ; il ferme la tribune
parlementaire en laissant le doute et l’erreur interpréter notre silence forcé.
Il permet ainsi que la dissolution de
« Ce n’est pas que la
majorité ait une rétractation ou un désaveu à faire. Tous les hommes éclairés
et impartiaux savent que la loi avait été conçue exclusivement en faveur des
pauvres et non pour ressusciter des privilèges impossibles du passé.
« Le Roi, qui a témoigné
de la grande loyauté et de l’entière
bonne foi du ministère qui a présenté la loi, en son nom, a déclaré qu’il n’aurait jamais consenti à donner sa place,
dans notre législation, à une loi qui aurait eu les funestes effets qu’on
redoute.
« A ce haut témoignage
que personne n’osera récuser, nous avons le droit d’associer celui que nous
portons sur nos propres intentions, en déclarant, forts des antécédents de
notre vie politique, que nous aurions repoussé une loi qui aurait eu le
caractère que les passions lui ont prêté.
« Il est impossible
désormais de contester que les principes
de cette loi, (page 368) conformes aux maximes fondamentales du droit
et aux traditions de l’histoire, sont admis et pratiqués par presque tous les
Etats civilisés de l’Europe chrétienne.
« On ne peut plus nier,
depuis l’arrêt de la cour suprême, que le projet de loi, n’était que la
consécration formelle du principe de la législation qui régit
« Il n’est pas permis de
prétendre désormais qu’une loi en harmonie avec les principes des législations
étrangères et avec nos traditions nationales, puisse être en opposition avec le
droit et la civilisation modernes. L’ignorance seule peut le croire et la
passion seule peut l’affirmer.
« Nous avons donc le
droit d’affirmer à notre tour que cette loi, cause factice d’agitation et
prétexte d’opposition, n’avait rien qui justifiât la résistance qu’elle a
rencontrée, les orages qu’elle a soulevés et les colères qui l’ont accueillie.
« Mais nous savons aussi
qu’il est des émotions contagieuses avec
lesquelles il est quelquefois plus sage de transiger que de raisonner. En
prenant la résolution de demander le retrait de la loi, c’est cette transaction
que nous avons acceptée et qui devient une force qui élève, au lieu d’être une
faiblesse qui humilie.
« Au-dessus de la loi sur
les fondations charitables qui a disparu, il y a la situation. On pouvait ne pas
s’entendre sur la loi ; on aurait dû s’entendre sur cette situation, sur
l’autorité des lois et des pouvoirs à maintenir ou plutôt à relever, sur le
respect des majorités à rétablir, sur le grand échec du pouvoir légal et de la
liberté constitutionnelle à réparer, sur
« Une loi votée par une
majorité régulière et considérable est déchirée dans la rue ; l’émeute poursuit
cette majorité de ses outrages, après avoir ébranlé la tribune parlementaire ;
à l’agitation de la place publique succède l’agitation entretenue par les
adresses de quelques conseils communaux ; un arrêté royal destiné à conserver à
l’armée ses droits et sa force et à remettre en honneur les principes d’ordre
public imprudemment contestés, est dénoncé aux préjugés de l’opinion. On
alimente partout les défiances, les mensonges qui (page 369) irritent, la fièvre, qui égare, au moment même où le
Roi, s’adressant au pays troublé, recommande à tous le calme, la prudence et la
modération. Cette majorité menacée par la force, la dissolution la disperse, et
cette dissolution, c’est la minorité qui s’en empare.
« La majorité que l’on
traduit comme un accusé devant l’opinion, on prétend qu’elle est factice et ne
représente pas le pays. Voyons comment la majorité conservatrice s’est formée,
comment elle a grandi et à quels moyens extrêmes l’opposition doit recourir
pour essayer de la vaincre.
« Lorsque, en 1847, nos
adversaires sont arrivés au pouvoir, ils ont usé, avec une persévérante
énergie, de tous les moyens politiques qui leur paraissaient de nature à fixer
la suprématie de leur opinion : des destitutions jusqu’alors inusitées et que
les conservateurs n’ont imitées, la réforme électorale détruisant, sans
compensation, l’équilibre établi par le Congrès, la réforme parlementaire, la
dissolution des Chambres et le renouvellement des conseils et des
administrations communales au milieu des préoccupations nées des dangers
extérieurs, plus tard la dissolution du Sénat, la loi décrétant d’immenses
travaux publics, une vaste organisation électorale combinant son action avec
l’organisation administrative, une constante pression exercée sur tous les
ressorts du gouvernement parlementaire...
« Malgré tant et de si fortes
précautions prises contre l’avènement d’une majorité nouvelle, les
conservateurs revinrent au pouvoir, en quelques années, par le seul mouvement
de l’opinion publique, par des élections successives et régulières,
naturellement, sans secousses, sans surprises, sans dissolution et sans
violences.
« Jamais majorité
parlementaire n’eut une origine plus légitime, plus constitutionnelle, et ne
représenta plus fidèlement le pays. Quand le calme règne dans les esprits,
l’opinion conservatrice s’élève et grandit, parce qu’elle vit de calme et
s’adresse à la raison du pays. Quand l’agitation est soulevée et que les
populations sont troublées, l’opposition naturellement triomphe, parce qu’elle
s’adresse aux passions et qu’elle en vit. Cette majorité, constitutionnelle
dans son (page 370) origine et sa
formation, et modérée dans sa conduite, par quels moyens, s’ils réussissaient,
serait-elle renversée ?
« Le ministère, en
imposant la dissolution immédiate, comme une condition de son avènement, en a
pris toute la responsabilité. La dissolution, que la gauche seule a toujours
faite, depuis 1831, et dont la droite n’a jamais eu besoin, est destinée, dans
des cas extrêmes, à rétablir l’équilibre entre les pouvoirs et ne doit jamais
servir à les rompre ; elle est une arme réservée à la royauté, libre aux yeux
de tous, et non un instrument à l’usage d’un parti pour vaincre l’autre.
« Le Cabinet du 9
novembre applique un système électoral injuste dans des conditions plus
injustes encore ; il fait un appel au pays en ouvrant des élections générales à
une époque où l’accès de l’urne électorale est difficile et souvent impossible
aux populations rurales. La loi électorale de 1848, c’est le privilège organisé
contre les campagnes ; l’appel au pays dans de telles conditions, c’est leur
exclusion.
« Une dissolution ainsi
faite par une minorité à l’aide de pareils moyens, avec des chances aussi
inégales, ce n’est plus la pratique loyale et sage des institutions
constitutionnelles, c’en est l’altération et le renversement ; c’est le despotisme
des minorités érigé en système de gouvernement.
« Dans une pareille
situation, qu’aucun antécédent ne justifie, la première pensée que les
circonstances exceptionnelles légitimeraient est l’abstention générale et
absolue, le refus d’accepter la lutte dans des conditions auxquelles la
sincérité manque : c’est de compter sur la prompte réaction des consciences
qui, en Belgique, peuvent se tromper quelquefois, mais ne s’égarent pas
longtemps ; c’est de s’en remettre à l’avenir du soin de venger les injustices
du présent.
« Cette pensée n’a pas
prévalu.
« La retraite du parti
conservateur pourrait amener une grave perturbation nationale. Son attachement
à nos libres institutions, son inaltérable dévouement à la royauté et son amour
pour la nationalité lui imposent le devoir d’accepter la lutte électorale, avec
les armes inégales qu’on lui laisse et sa protestation actuelle qui restera.
« La nationalité belge
repose sur trois forces conservatrices : les (page 371) institutions constitutionnelles, le catholicisme et la
royauté.
« Si l’une de ces forces
nationales venait à faiblir, si l’une de ces bases de notre indépendance
nationale venait à être ébranlée ou ruinée, si la liberté belge perdait ce
caractère chrétien qui en est le soutien et le salut, l’œuvre de 1830 serait
profondément altérée et le pays courrait vers les écueils où la liberté
politique de tant de peuples a échoué.
« Quel que soit le sort
que l’avenir réserve aux partis en Belgique, l’opinion conservatrice
maintiendra le caractère et les traditions nationales. Elle restera au service
de la cause belge, de la cause de
« Adopté à la réunion du
13 novembre 1857.
« Les délégués :
« Comte de THEUX ; Comte
de MUELENAERE ; A. DECHAMPS ; J. MALOU ; DE NAEYER ;
Comte DE LIEDEKERKE. »
(page 367) C’était, en même
temps qu’un exposé succinct des événements récents, une protestation contre le
silence imposé à la droite par l’arrêté de dissolution. « On fait un appel au
pays légal avant que nous ayons pu lui parler pour justifier notre conduite
calomniée et nos (page 368)
intentions méconnues. » Malou rappelait les conseils de modération donnés à la
majorité « par une bouche auguste et toujours respectée », au lendemain des
journées de mai. Ces conseils, la majorité se fut fait un devoir de les suivre
si le loisir lui en avait été (page 369)
donné. « A la proposition d’ajournement que le Cabinet précédent aurait faite à
a majorité, la majorité aurait répondu par la demande du retrait formel d’une
loi travestie dans son but et son caractère, mais qui était devenue une arme
aux mains des passions (page 370)
dangereuses et un prétexte pour entretenir l’agitation d’une partie du pays. »
De cette façon, le ministère avait permis «que la dissolution de
(page 371) L’auteur du
manifeste revendiquait pour la majorité et le ministère le respect d’intentions
qui avaient été généreuses et loyales, et le mérite d’une transaction acceptée
librement dans l’intérêt supérieur du pays. Jamais majorité ne s’était montrée
plus digne du pouvoir, « jamais majorité parlementaire n’eut une origine
plus légitime, plus constitutionnelle et ne représenta plus fidèlement le pays
». Cette majorité, la gauche s’acharnait à la détruire et, pour atteindre à ses
fins, elle recourait à cette arme dont elle seule avait fait usage depuis 1831
et dont la droite n’avait jamais eu besoin la dissolution. Et cette
dissolution, dans quelles conditions se produisait-elle ? A une époque de
l’année « où l’accès de l’urne électorale est difficile et souvent impossible
aux populations rurales ». Qu’est-ce donc qu’une dissolution faite par une
minorité à l’aide de pareils moyens, avec des chances aussi inégales ? « Ce
n’est plus la pratique loyale et sage des institutions constitutionnelles, (page 372) c’en est l’altération et le
renversement ; c’est le despotisme des minorités érigé en système de
gouvernement. »
« Dans une pareille situation, qu’aucun antécédent ne justifie,
ajoutait enfin Malou, la première pensée que les circonstances exceptionnelles
légitimeraient est l’abstention générale et absolue, le refus d’accepter la
lutte dans les conditions auxquelles la sincérité manque. » A ce moyen, la
droite avait refusé de recourir « Cette pensée n’a pas prévalu. La retraite du
parti conservateur pourrait amener une grave perturbation nationale. Son
attachement à nos libres institutions, son inaltérable dévouement à la royauté
et son amour pour la nationalité lui imposent le devoir d’accepter la lutte
électorale avec les armes inégales qu’on lui laisse et sa protestation actuelle
qui restera. «
Un seul reproche fut fait à l’auteur du manifeste par les avancés de la
presse conservatrice : celui d’une trop grande modération ; on trouva qu’il
péchait par l’excès même de ses qualités. Il ne semble pas que ce reproche fût
mérité.
Aussi bien les chefs du parti conservateur n’hésitèrent ils pas à
contresigner le manifeste. Seul M. Dechamps s’y refusa ; il fallut
véritablement faire violence à ses résistances.
(page 372) M. Dechamps était profondément
découragé.
Depuis sa mission à Rome, les événements s’étaient précipités. Il
n’avait été possible ni à M. de Decker, ni à la majorité de prendre, à la rentrée
des Chambres, l’attitude de patriotique abnégation dont M. Dechamps attendait,
comme une conséquence naturelle, un revirement de l’opinion.
(page 373) Dans l’entre-temps
le ministère de Decker avait cessé de vivre ; le Roi, à qui M. Dechamps avait fait
savoir, par l’intermédiaire de M. Van Praet, qu’il était disposé à assumer la
charge du pouvoir, ne l’avait même pas consulté (voir note, p.
364).
Quoi qu’il en fût, la première pensée de M. Dechamps avait été pour la
résistance et l’acceptation du combat. Il s’était trouvé, le 10 novembre, aux
côtés de Malou pour repousser l’idée d’une abstention aux élections générales
du 10 décembre.
Le lendemain de la réunion des conservateurs, M. Dechamps était parti
pour sa propriété de Scailmont ; il voulait se rendre
compte de l’état des esprits dans l’arrondissement de Charleroi, dont, depuis
plusieurs années, il avait été l’élu.
Sa candidature s’y trouvait fort menacée. Jusqu’alors, les questions
d’intérêts matériels avaient primé les questions politiques ; pendant
longtemps, l’arrondissement de Charleroi avait été représenté à
Un revirement récent s’était produit ; une Association libérale s’était
fondée à Charleroi au mois de juin 1857 ; son action s’était étendue et
fortifiée à la faveur de l’opposition fomentée et habilement entretenue contre
la « loi des couvents ».
Après la dissolution de
Tandis que s’organisaient leurs adversaires, les conservateurs, qui les
avaient mollement regardés faire, perdaient un à un leurs anciens appuis.
Découragés, leurs candidats songèrent à renoncer à la lutte ; l’on vit, en
novembre 1857, à Charleroi, ce qui s’était vu naguère à Ypres : des libéraux
offrir à un ancien ministre du Cabinet des Six-Malou l’aumône d’une modeste
place sur leur liste et sous le couvert de leur patronage : « Une députation de
libéraux est venue me trouver pour me proposer une transaction, écrit M.
Dechamps à Malou (Lettre à Malou, 17 novembre 1857) ; celle de me laisser porter comme
troisième candidat par l’Association. Je n’ai pas accepté cela, comme vous le
pensez bien. »
Tout en repoussant ces offres humiliantes, M. Dechamps sentait faiblir
ses énergies combatives. « Je me retire, ajoutait-il ; au lieu de parler,
j’écrirai ; je tâcherai de faire quelque bien dans mon petit cercle et je
m’occuperai de ma famille. C’est que le bon Dieu trouve que cela vaut mieux. »
Songeant à renoncer, au moins pour quelque temps, à la vie politique, M.
Dechamps ne croyait pas pouvoir se joindre aux signataires du manifeste. « Dans
cette position, vous comprenez, écrivait-il encore à Malou, que je ne puis plus
signer notre manifeste... Je ne puis pas faire partie non plus, me semble-t-il,
du comité de l’Association. »
Combien Malou dut se sentir affecté de voir l’abattement gagner et pousser
à une quasi-désertion celui qui avait été jusqu’alors le plus fidèle de ses
compagnons de lutte !
(page 375) Une lettre lui
parvenait encore le 18 novembre ; elle s’ouvrait par cette épigraphe funèbre : Moriturus te salutat ! Le tableau
qui suivait n’était pas moins sombre : « Le clergé et les électeurs des
campagnes ont peur des huées et des coups de bâton. Une véritable terreur règne
ici partout, écrivait M. Dechamps. C’est une déplorable décomposition. Les
éléments de succès existent, mais je suis à peu près seul disposé à leur faire
appel. Je pourrais me présenter seul et
réussir ; les libéraux eux-mêmes reconnaissent qu’ils ne pourraient pas
m’abattre. Mais accepter cette lutte seul et en faire seul les frais, c’est un
effort au-dessus de ma santé et de ma bourse. »
N’est-il pas affligeant, ce spectacle d’un des chefs du parti
conservateur obligé de renoncer à la lutte dans un arrondissement où des
sympathies anciennes et nombreuses l’assurent de la possibilité du succès,
parce que le concours de ceux qui eussent dû être ses appuis naturels lui
faisait défaut ? Y a-t-il lieu d’être surpris des défaites d’un parti qui
abdique à ce point ? Ne commande-t-elle pas d’autant plus l’admiration,
l’énergie persévérante de Malou, qui poursuivra, eu dépit de tous les
obstacles, l’œuvre ingrate de la réorganisation des conservateurs ?
Son ami Dechamps, pour qui, décidément, tout était bien noir, cherchait
vainement à le gagner à l’idée de l’abstention, après l’avoir combattue ; il
reprochait à Malou le manifeste, après en avoir applaudi le projet :
« Assistez, écrivait-il à Malou (Le 18
novembre 1857), à
l’agonie de l’opinion conservatrice et peut-être à la fin de cette Belgique,
hier si belle, si robuste... Je crois, de plus en plus, que nous avons commis
une grande faute et manqué une magnifique occasion, en ne nous ralliant pas à
l’abstention générale... Le vent souffle (page
376) contre nous ; une terreur plane sur les électeurs conservateurs ; la
panique gagnera de proche en proche d’ici au 10 décembre ; ce sera une débâcle
et un Waterloo. Ce désastre sera grand, surtout parce que nous aurons accepté
la lutte par un manifeste dans des
conditions déloyales et impossibles... Dans le système de l’abstention, voici
ce qui serait arrivé, la majorité, en masse, déclarait ne pas accepter le
combat dans de pareilles conditions. Mais les électeurs restaient libres. A
Hasselt, ils réélisaient le comte de Theux ; à Thielt, de Muelenaere et vous, à
Roulers, Dumortier ; à Termonde, Saint-Nicolas, etc., de Decker, moi ; à Dinant,
à Namur, etc., Wasseige, de Liedekerke. Ces élections
spontanées ramenaient à
L’obstination de M. Dechamps à ne point signer le manifeste électoral se
heurta à l’obstination plus grande, à la ténacité plus ferme et mieux inspirée
de Malou. Celui-ci recevait, le 18 novembre, un second billet de M. Dechamps «
Je ne puis pas signer le manifeste, déclarait-il, sans être absurde et
ridicule. J’accepte tout devoir, excepté celui-là. Vous n’êtes donc pas
autorisé à signer pour moi, c’est entendu. » Malou ne le tint pas pour entendu
et s’en alla trouver, au couvent des Pères Rédemptoristes, à Bruxelles, le P.
Dechamps.
Celui qui devait être plus tard l’illustre cardinal Dechamps comprit
aussitôt ce qu’aurait de regrettable (page
377) l’abstention de son frère Adolphe. Il lui adressa un appel pressant,
l’engageant à venir revoir avec Malou « les quelques changements faits au
manifeste ».
Aucune réponse n’arriva de Scailmont. Sans
tergiverser, le P. Dechamps écrivit alors à Malou :
« Je crains qu’il revienne, en vous écrivant, sur le désir de ne
pas signer. S’il en était ainsi, j’en serais cause, et je vous prie de ne pas
l’écouter. je prends toute la responsabilité de la chose. Il est important que
tous les noms soient au bas de cette pièce... Je pense même, ajoutait-il, comme
je vous l’ai dit hier, que vous avez tort d’amaigrir nos signatures. M.
Delfosse, le pharisien du puritanisme, tient beaucoup à son titre de ministre d’Etat,
et soyez sûr que, si le libéralisme nous répond, toutes les qualités politiques
des signataires y seront. Ils auront raison. Le pays dit déjà des
révolutionnaires : Ce sont des ministres du Roi ! A votre place, je répondrais
:Et nous de même ! »
Ainsi le manifeste parut, revêtu, quand même, de la signature des chefs
du parti conservateur, y compris celle de M. Dechamps.
L’œuvre de Malou répondait pleinement à l’attente de ses amis. Un de ses
plus anciens collègues, le vénérable baron de Sécus, lui exprimait sa joie et
sa reconnaissance :
« Je viens de lire le manifeste que vous avez rédigé comme délégué
de l’opinion conservatrice. Il est impossible de lire cette magnifique
protestation sans être profondément touché de reconnaissance pour la personne
qui l’a écrite car on ne peut mieux dire, ni exposer plus lucidement la
déplorable position dans laquelle l’émeute de mai dernier et la lâcheté de MM.
Vilain et de Decker ont jeté notre malheureuse Belgique. »
(page 378) La réponse du
ministère au manifeste conservateur ne se fit point attendre. Dès le 23
novembre, elle parut sous la forme d’une circulaire adressée par le ministre de
l’intérieur, M. Rogier, aux gouverneurs des provinces.
Le chef du Cabinet du 9 novembre se retranchait avec complaisance derrière
les actes du ministère précédent ; il rappelait habilement certaines paroles de
son prédécesseur pour prouver que la religion n’était pas en péril, qu’elle
avait été compromise par la majorité et que le nouveau Cabinet ne ferait que
suivre la voie tracée par les ministres démissionnaires. Le Cabinet se flattait
« d’émaner de la prérogative royale agissant dans son entière liberté ». Il
restait prudemment muet sur son programme pratique.
Dans un manifeste publié au nom de la minorité libérale, M. Devaux, à
sou tour, exploita les divergences de vues qui s’étaient manifestées entre M.
de Decker et la droite.
« C’est l’extrême droite, écrivait-il, par l’organe de son rapporteur,
M. Malou, et pour désobliger le ministère, qui a demandé que la discussion (du
projet de loi sur les établissements de bienfaisance) fût mise à l’ordre du
jour. »
Malou, dans un article adressé à l’Indépendance
(Indépendance,
27 novembre 1857),
releva ce qu’il y avait d’inexact et de blessant dans cette insinuation du
publiciste libéral. Il négligea pour le reste de répondre à M. Devaux.
(page 379) Le manifeste était une
déclaration de guerre. De part et d’autre, les adversaires qu’il mettait aux
prises déterminèrent leurs positions. Les libéraux avaient préparé dès
longtemps la campagne et, depuis six mois, habilement remué l’opinion publique
; leur presse et leurs associations retentissaient des cris de ralliement : Guerre à la mainmorte ! A bas les couvents !
Depuis 1852, certaines villes possédaient des comités conservateurs. Il
s’en était fondé notamment à Namur, à Louvain, à Anvers. Mais ce beau mouvement
ne s’était pas généralisé. A la veille du 10 décembre 1857, les conservateurs
voulurent reprendre l’œuvre interrompue et constituer des comités là où ils
n’existaient pas encore.
Il était tard pour faire d’utile besogne. Malou, cependant, s’y attela
courageusement. Il fallut, pour commencer, rédiger de nouveaux statuts ; il
s’en chargea.
M. Dechamps lui adressa, à cette occasion, de prudents conseils :
« Je vous recommande bien dans le préambule des statuts de dire :
« 1° Que le seul programme
qui lie les membres est
« 2° Que chaque candidat conserve son indépendance dans cette
limite.
« C’est pour empêcher qu’on ne dise que nous refaisons les
associations libérales que nous avons tant bafouées, les mandats impératifs,
etc. Cela me paraît essentiel. »
Certains arrondissements entrèrent dans le mouvement ; aussitôt l’on y
vit renaître la vie et le courage ; à Charleroi, les conservateurs se réunirent
chez (page 380) M. Gendebien, se
constituèrent en comité central d’arrondissement et se subdivisèrent en comités
cantonaux
M. Dechamps rédigea un manifeste, et les conservateurs, qu’il
dépeignait, quelques jours auparavant, en proie à une véritable terreur, à une
déplorable décomposition, se décidèrent à présenter non pas un, mais trois
candidats aux électeurs de l’arrondissement. « On a ouvert une souscription
électorale, on est plein d’espoir. La plupart croient au succès des trois
candidats. D’antres pensent que deux triompheront. Ma candidature paraît
certaine. Voilà notre bulletin. » (Lettre de M. Dechamps à Malou,
26 novembre 1857).
Combien différentes, ces nouvelles, de celles qu ! parvenaient à Malou huit
jours auparavant !
Par ses amis politiques, Malou est tenu au courant du travail qui
s’effectue dans tons les arrondissements. Les nouvelles affluent, mais, hélas !
sauf celles de Charleroi, elles sont, la plupart du temps, peu encourageantes !
A Gand trois candidatures sont ouvertes par la retraite de trois
conservateurs sortants. « Nous nous sommes constitués, écrit M. Solvyns, nous avons fait les fonds, et nous nous sommes mis
en quête de candidats. »
De même qu’à Bruges et à Tournai, en 1848 et en 1852, il y a, à Gand, en
1857, pénurie de candidats ; « Malgré les chances favorables de réussite, que
je vous ai exposées dans ma dernière lettre, nous frappons en vain à la porte
des catholiques gantois. Ils reculent tous, les uns pour raisons de santé, les
autres pour motifs de famille, d’autres, enfin, parce qu’ils n’osent s’exposer
aux insultes de nos crieurs de l’Avenir.
» La lettre est du 22 novembre, vingt jours avant les élections ! Aussi M. Solvyns invite-t-il Malou à se laisser porter candidat à la
fois à Ypres et à Gand. M. Dechamps est (page
381) l’objet de sollicitations analogues de la part de M. de Hemptinne.
« A Bruxelles, écrit Malou le 30 novembre, on n’est encore arrivé à
rien. Les meilleurs candidats refusent : on continue d’en chercher. » (Lettre
de M. Malou à Mgr Malou, 30 novembre 1857).
Tandis qu’attentif aux échos qui lui parvenaient de tous les points du
pays, Malou adressait de Bruxelles des conseils et des encouragements à tous
ses amis, il était lui-même, à Ypres, l’objet de vives attaques de la part des
conservateurs.
On lui reprochait d’avoir accepté un compromis avec les libéraux ; peu
s’en fallut qu’on ne l’accusât de trahison et qu’on ne l’abandonnât.
Malou eut-il tort ou raison, au surlendemain des journées de mai, au
lendemain de l’avènement d’un ministère choisi dans la minorité et de l’arrêté
de dissolution, de traiter pacifiquement avec M. Alphonse Vandenpeereboom,
candidat libéral et signataire du manifeste de M. Devaux ? Il faudrait, pour en
juger, se rendre compte exactement des chances que les catholiques, livrés à
leurs seules forces, auraient eues de triompher de leurs adversaires. En
négociant un accord, Malou crut-il qu’il était préférable d’éviter la lutte à
Ypres et de ménager toutes ses énergies pour l’action et la direction générale
du parti conservateur ? La supposition est permise. Les conservateurs d’Ypres
ne s’accommodèrent pas de l’arrangement et se plaignirent amèrement de n’avoir
pas été consultés. (« Je ne saurais vous dépeindre la tristesse qui a
accueilli cette fâcheuse combinaison et le découragement qu’elle a produit
parmi nous, » écrivait à Malou le président d’un comité conservateur de
l’arrondissement d’Ypres. « Les catholiques, répondit Malou, ont, à Ypres, deux
représentants et un sénateur, les autres un représentant. Trois contre un. Nous
avons cru, M. van Renynghe et moi, que, si
l’Association dite libérale ne portait qu’un seul candidat, nous pouvions
demander à nos amis de n’en porter que deux : c’est là tout ce qui s’est fait
en 1857, comme en 1850 et en 1854, à Ypres et ailleurs, notamment à Hasselt,
pour le comte de Theux. »)
(page 382) La journée du 10 décembre 1857
fut une débâcle pour les conservateurs.
Les libéraux gagnèrent vingt-six voix et rentrèrent à
MM. Dechamps, de Sécus, Osy, della Faille
comptèrent parmi les victimes du 10 décembre.
La leçon fut profitable ; les conservateurs eurent conscience des périls
qui menaçaient leur opinion ; ils furent unanimes à reconnaître que l’une des
causes principales de leur défaite était dans l’absence d’organisation et de
direction des forces de leur parti. Pénétrés de ces craintes, convaincus de
l’évidence de cette constatation, ils firent enfin mieux que de s’en tenir à de
bonnes résolutions.
(page 383) Il fallait, de toute nécessité,
empêcher les vaincus d’abandonner la lutte.
Malou s’efforça de relever leur courage : « J’écris aux victimes les
plus notables ; je les supplie toutes de
rester unies de cœur et d’action avec les combattants qui sont condamnés par
les électeurs à rester sur la brèche... Quand je repasse la liste des vivants,
je me sens un peu effrayé, je l’avoue, de la difficulté et des désagréments qui
les attendent et qui m’attendent plus que tout autre. Toutefois, je me hâte de
vous le dire, je ne suis nullement découragé, je ne désespère pas. »
Dans une réunion qui se tint chez M. Barthélemy Dumortier, les principaux
membres de la droite décidèrent l’attitude à prendre à l’égard du nouveau
ministère. Malou se prononça en faveur d’une politique d’expectative : « Je ne
suis pas d’avis, écrivait-il à l’évêque de Bruges, qu’il faut, dans l’état
actuel de l’opinion, le pousser à outrance (le ministère) et lui faire une
guerre à mort sur toutes choses. Voyons, d’abord, avec un peu de patience, si
l’effet ordinaire de la victoire, la division, ne se produira pas : évitons de
resserrer les liens de la coalition, le tout, bien entendu, sans abdiquer ni
les principes, ni la dignité de notre opinion. » (Lettre à Mgr
Malou, 11 décembre 1857).
Mais l’essentiel n’était ni de panser les blessures des vaincus, ni de
combiner un plan de défensive : il importait surtout de reconquérir le terrain
perdu et de préparer la revanche de la journée du 10 décembre.
L’échec de M. Dechamps à Charleroi avait prouvé, une fois de plus,
l’inefficacité d’un travail hâtif d’organisation ni extremis, l’inutilité de
comités créés de toutes pièces à (page
384) la veille des élections. Sans un labeur de longue haleine, aucun
résultat réel et durable ne pouvait être acquis. Il n’avait pas suffi de
l’activité et du dévouement de quelques hommes, s’improvisant commandants en
chef des hordes errantes des conservateurs, pour imprimer de l’unité à leur
action. La double nécessité s’imposait d’un organisme central et de comités
locaux, à l’imitation de ceux que les libéraux possédaient depuis dix ans.
Et cependant certains catholiques, même des plus éminents, craignaient
encore de suivre l’exemple que leur avaient donné leurs adversaires !
A en croire ces hésitants, la dignité des conservateurs leur commandait
de ne pas s’inspirer des associations libérales, après les avoir trop longtemps
combattues. Ils conseillaient encore plus de prudence que d’énergie dans
l’action.
Sans s’attarder à ces considérations, Malou écrivait, dès le 11
décembre, à son frère : « Que faut-il faire maintenant ? De toutes parts, on
souhaite une organisation forte et permanente. Une grande association étant
publiquement fondée, ayant son budget, groupant tous les individus, les
intérêts, et combinant toutes les ressources qui existent pour le bien, les
malheurs de ces derniers temps seront assez promptement réparés. »
Les meilleures nouvelles lui arrivèrent bientôt de la province. Dans les
grandes villes, les conservateurs s’organisaient. « Le comité de Gand, lui
écrivait-on, s’occupe de la réorganisation de l’opinion conservatrice de cette
ville. » C’est à Anvers surtout que la réaction fut vive : la liste
libérale tout entière avait passé, mais M. Rogier ne l’avait emporté que de
deux cents voix sur le baron Osy. « Jamais échec n’a donné à Anvers d’aussi
grands et d’aussi heureux résultats, écrivait à Malou l’un des candidats
évincés, M. della Faille de Leverghem.
(page 385) Je suis au comble de la
joie : tout ce qu’Anvers possède en sève sociale vient de se former en un
faisceau et notre magnifique Association constitutionnelle conservatrice est là
debout, qui va régénérer la ville ; près de 700 membres vont, dans peu de
jours, sous la présidence du baron Osy, discuter leur règlement. C’est un vrai
gouvernement que nous allons organiser. » L’Association constitutionnelle
conservatrice d’Anvers se montra digne des espérances qu’elle avait fait naître
: il ne lui fallut que peu d’années pour triompher de ses adversaires et faire
passer la liste complète de ses candidats.
(page 385) « De toutes parts, constatait Malou,
on veut une organisation forte et permanente. » C’est à doter le parti
conservateur d’un organisme central, d’une direction permanente qu’il allait
désormais s’attacher, avec l’énergie persévérante que ses adversaires
connaissaient.
Ceux-ci, d’ailleurs, grisés de leurs succès, semblaient vouloir ajouter
de nouveaux avertissements à celui qu’avait été pour les conservateurs la
débâcle du 10 décembre. Le libéralisme s’orientait dans le sens de
l’exclusivisme le plus intransigeant.
Le choix de M. Verhaegen pour la présidence de
Les symptômes de cette orientation inquiétante hâtèrent la réunion des
conservateurs, qui se tint le 22 décembre (page
386) en l’hôtel de Merode, à Bruxelles. Un grand
nombre de représentants et de sénateurs, auxquels s’étaient associées « les
victimes du 10 décembre », s’y trouvèrent réunis. On y jeta les bases d’une
organisation centrale permanente de l’opinion conservatrice, chargée de
susciter partout des comités d’arrondissement. Un comité provisoire fut
constitué, avec la mission d’élaborer des statuts, de convoquer une assemblée
générale des notabilités du parti conservateur.
De ce comité provisoire, Malou fut l’agent exécutif et la cheville
ouvrière. Dieu sait ce qu’il lui en coûta de démarches et de correspondances
pour dresser la liste des convocations à cette assemblée des notabilités
conservatrices !
Dès lors avait germé dans certains esprits l’idée d’assemblées générales
périodiques des catholiques belges, à l’imitation de celles des catholiques
allemands. M. Jean Moeller, professeur à l’Université
de Louvain, qui fut mêlé de près au mouvement d’organisation des conservateurs,
soumettait à Malou l’idée « qu’à des époques fixes et périodiques toutes les
forces pussent se concentrer pour débattre les intérêts de l’opinion ». Malou
ne crut pas devoir faire part de ce projet à l’assemblée des notabilités
conservatrices ; il promit d’en saisir le conseil de l’Association. Le projet
formé par le professeur Moeller n’eût peut-être pas
trouvé en ce moment les catholiques belges suffisamment préparés ; cinq ans
plus tard, il était réalisé.
Convoqués, le 6 février 1858, Bruxelles, en l’hôtel du comte de Merode-Westerloo, les
conservateurs discutèrent les statuts du futur comité central, élaborés par les
membres du comité provisoire.
A cette réunion se trouvaient présentes ou représentées au delà de cinq
cents personnalités marquantes de (page
387) l’opinion conservatrice, résultat inespéré en ces temps d’inertie
politique des catholiques. Les adhésions étaient parvenues de tous les
arrondissements du pays. Les honneurs de la journée furent pour M. Dechamps et
Malou. Celui-ci s’attacha surtout, écrit-il, « à démontrer que l’opinion
conservatrice doit s’organiser au grand jour d’une manière forte et durable ».
II fut décidé que le comité central d’action porterait le nom d’Association
constitutionnelle conservatrice. « Le nom à donner à l’enfant né le 6 février,
dans des conditions parfaites de viabilité, n’est certes pas indifférent, »
écrivait Malou à M. Moeller.
A la tête de l’Association constitutionnelle conservatrice fut placé un
conseil d’administration, composé de quinze membres. Ce conseil fut chargé de
l’élaboration définitive des statuts, ainsi que de la rédaction du programme
qui en devait être le développement.
De « l’enfant né le 6 février 1858 » nous ne dirons pas que Malou fut le
père ; il en fut au moins le parrain. Mgr Malou, qui savait la somme de travail
qu’avait exigée la préparation de la réunion du 6 février. écrivait à son
frère, au lendemain de cette bonne journée : « Quel service vous avez rendu au
pays en poussant cette affaire ! »
Bien que, dans l’avenir, le succès n’eût pas répondu aux espérances d’un
début plein de promesses, la tentative du 6 février 1858 méritait mieux que
l’oubli total. Rien d’étonnant, cependant, si le souvenir ne s’en est pas conservé,
rien même de plus compréhensible. La prudence commanda aux promoteurs de la
réunion de s’entourer de précautions. Il fallait éviter d’augmenter les
craintes de catholiques pusillanimes et d’éveiller la vigilance de l’adversaire
; celui-ci ne devait pas avoir connaissance de ce qui se préparait. Les
journaux conservateurs reçurent une consigne sévère. Aucun d’eux ne (page 388) souffla mot avant la réunion
du 6 février et, au lendemain de celle-ci, à peine un bref entrefilet
signala-t-il que quelques conservateurs s’étaient rencontrés dans la demeure
hospitalière de l’un d’eux.
Autant les journaux conservateurs apportèrent de soin discret à ne rien
laisser transpirer des décisions prises à la réunion de la rue aux Laines,
autant la presse d’opposition s’efforça-t-elle de découvrir ce qui s’était
tramé. Et l’on juge si elle eut quelque scrupule de divulguer les
renseignements qui parvinrent à sa connaissance ! L’Indépendance (Indépendance,
8 février 1858)
rapporta, notamment, que MM. Dechamps et Malou surtout avaient été écoutés et
acclamés. « C’est à celui-ci que sont revenus les principaux honneurs de la
séance ; il a pris la parole à plusieurs reprises. »
Quelques jours plus tard, la presse conservatrice faisait connaître à
ses lecteurs le programme et les statuts de l’Association constitutionnelle
conservatrice, récemment fondée. On s’abstint de commentaires quelconques,
comme s’il fallait éviter avec soin toute complication. N’était-ce pas
suffisamment d’audace d’affirmer publiquement la volonté d’un sérieux effort
d’organisation ?
(Note du webmaster : l’ouvrage du
baron de Trannoy reprend en note de bas de page le programme et l’analyse
(officielle) des statuts de l’Association constitutionnelle conservatrice. Elle
est reprise ci-dessous.)
(page 388) « Association constitutionnelle conservatrice.
« I. - Programme
« L’opinion conservatrice
forme la majorité réelle et normale du pays. Il faut, pour parvenir à lui faire
perdre cette position, que la passion politique trouble et égare la raison
publique ; il faut alimenter cette passion par des calomnies aussi odieuses
pour ceux qui les répandent qu’humiliantes pour ceux qui les acceptent,
calomnies auxquelles une grande opinion, au nom de tout son passé, a le droit
de répondre par la protestation du dédain ; il faut, pour y parvenir, jeter un
doute injurieux sur notre dévouement constitutionnel ; nous attribuer l’absurde
intention de ressusciter les privilèges (page
389) ou les abus d’un passé que personne n’a la volonté, ni le pouvoir de
faire revivre ; provoquer ou exploiter ces émotions contagieuses qui mettent en
péril le régime représentatif.
« L’instrument le plus
actif des succès momentanés de nos adversaires, en 1852 et en
« Pour rétablir entre nos
adversaires et nous des conditions égales, il manque à l’opinion conservatrice
une organisation des forces dont elle dispose.
« L’association que nous
fondons est donc un acte de défense et non d’agression ; nous avons attendu,
pour le poser, que nos adversaires en fissent une nécessité.
« Ce que nous voulons,
c’est bien moins faire usage d’un droit constitutionnel dans un intérêt
politique qu’accomplir un devoir pour la conservation des principes sociaux.
« L’union a été le but de
notre politique ; elle reste notre espérance dans l’avenir. Mais, pour que nous
puissions voir rétablir cette belle devise nationale presque effacée, il faut
que l’on ne méconnaisse pas la force réelle du parti conservateur.
« La nécessité de cette
association est donc prouvée ; sa durée sera celle des associations libérales
elles-mêmes.
« Son but purement
politique est la défense de tous les intérêts conservateurs, par les moyens que
nos institutions légitiment, et spécialement par la presse et par les élections.
« Son seul programme est
« Nous revendiquons le
titre de conservateurs, qu’on nous
conteste, et celui de constitutionnels,
qu’on nous dénie, parce que nous ne reconnaissons à aucune opinion la mission
de défendre, mieux que la nôtre, l’œuvre nationale à laquelle nous devons
vingt-sept années de prospérité et de paix :
«
« La dynastie aimée qui
la couronne ;
« L’armée, qui en est le
soutien ;
« Le caractère religieux
des populations, qu’il ne faut pas laisser altérer ;
« Le droit de tout
citoyen catholique de ne pas se voir exclu des fonctions publiques, à cause du
nom qu’il porte ;
« L’intérêt de
l’agriculture et du travail national, que menacent d’aventureuses théories ;
« La cause de l’ordre
social, que les mauvaises passions compromettent.
« Nous faisons un appel
patriotique à tous les amis de cette cause, de ces droits et de ces
institutions pour unir leurs efforts aux nôtres.
« L’association dont nous
jetons aujourd’hui les bases ne peut alarmer aucun intérêt ; elle est fondée
pour les protéger tous : elle aidera à réaliser tout progrès compatible avec
nos institutions.
« Elle sera à la fois
conservatrice, constitutionnelle et nationale, c’est-à-dire modérée, juste et
forte, comme il sied à une grande opinion, fière de son passé et confiante dans
l’avenir. »
« Bruxelles, 12 février
1858.
« II. - Analyse des
statuts.
« Nous venons de dire que
le but de l’association est de soutenir et de propager les principes de
l’opinion conservatrice, d’en défendre les droits et les intérêts, d’assurer la
pratique vraie et régulière de toutes les libertés constitutionnelles.
« Son action s’étend à
toutes les provinces. Elle établit des rapports constants avec les associations
ou comités d’arrondissement.
« Ceux-ci ont leur
existence propre, leur initiative et se rattachent à la société centrale par
des actes qui définissent le mode et les conditions du concours mutuel.
« Les associations
centrale et d’arrondissement s’occupent spécialement de la révision des listes
électorales, des élections aux divers degrés et de tout ce qui s’y rattache,
des publications périodiques (page 391)
ou autres qui intéressent l’opinion conservatrice et généralement de toutes les
mesures qui tendent à réaliser le but de l’association tel qu’il est défini
ci-dessus.
« Les associations
n’imposent aucun mandat impératif. Les membres s’attachent à propager
l’association, à user, dans l’intérêt de l’opinion conservatrice, des
influences dont ils disposent, et à prêter, dans l’ordre politique, à leurs
coassociés leur concours et leur appui.
« Les voies et moyens de
la société se composent du revenu des capitaux versés par les actionnaires et
des cotisations volontaires, annuelles ou mensuelles, des associés.
« Le minimum de la
cotisation est de 5 francs. Chaque associé indique la somme et le terme pour
lesquels il s’engage.
« Les actions sont de
deux espèces : les unes, dites de fondation, de 1,000 francs, constituent
l’abandon du revenu et l’engagement du capital pour la durée de la société ;
les autres, dites de participation, sont de 500 francs, jouissent d’un intérêt
de 2 1/2 p. c. et sont remboursables au pair à des époques fixées, selon le
choix des preneurs, à vingt, vingt-cinq ou trente ans.
« Les capitaux seront
placés ; ils ne peuvent être ni entamés, ni engagés.
« Chaque année, par l’examen
des comptes et du bilan, les actionnaires constateront que le capital est placé
en valeurs solides et réalisables.
« Tout actionnaire est,
de droit, membre de l’assemblée générale.
« En font également
partie, les personnes qui s’engagent à verser annuellement au moins 50 francs
pendant dix ans.
« Les statuts rédigés
d’après ces bases ont été adoptés à l’unanimité, le 6 février 1858, par les
membres présents ou représentés, au nombre de 520.
« En attendant que les
bureaux de l’association soient établis, les adhésions, les souscriptions, soit
comme associé, soit comme actionnaire, (page
392) ainsi que les libéralités peuvent être adressées à l’un des membres du
conseil d’administration.
« Conseil
d’administration :
« MM. le comte de Theux ;
le baron d’Anethan : Ad. Dechamps ; le baron de Man dAttenrode
; le comte de Liedekerke-Beaufort le comte de Merode-Westerloo ; le comte de Ribaucourt
; Henri Dumortier ; Ph. Gillès de s’Gravenwesel ; J. Malou ; E. Mercier ; Louis Orban ; Richard
Lamarche ; t’Serstevens-t’Kint ; Frans
Vergauwen. » (Fin de la note.)
(page 388) Le programme
reconnaissait sans détours que l’instrument (page 389) le plus actif des succès des libéraux avait été
l’organisation puissante de leurs associations politiques ; cet élément de force
et cette condition de succès politique avaient jusque-là manqué à l’opinion
conservatrice. L’union avait été le but de la politique des conservateurs ; (page 390) elle restait leur
espérance dans l’avenir ; la nécessité présente était de défendre les intérêts
conservateurs par l’organisation des forces de l’opinion. Tel serait le but de
l’Association conservatrice. Sa nécessité était établie par l’existence même
des associations libérales ; (page 391)
« sa durée, ajoutait le programme, sera celle des associations libérales
elles-mêmes ».
Les statuts rappelaient le but de l’association, réglaient les rapports
entre l’association centrale et les associations d’arrondissement. Il était
expressément spécifié qu’aucun mandat impératif ne serait imposé. Pour procurer
des ressources à l’association, deux espèces d’actions (page 392) étaient créées, les unes dites de fondation, les autres
de participation ; celles-ci seules donnaient intérêt ; les membres payaient
une cotisation de 5 francs. Un conseil d’administration, composé de quinze
membres, devait présider à la direction de l’association et veiller à l’emploi
des fonds.
L’association, ainsi constituée, vécut, mais d’une vie brève et
précaire. Après cinq ans, elle était en complète liquidation.
Une conception aussi vaste que celle de grouper et de diriger dans une
voie nouvelle les forces d’une grande opinion court bien des risques à sortir
de toutes pièces du concert de quelques hommes politiques, quel que fût le
prestige reconnu de leur habileté et des services rendus.
La masse des conservateurs n’était pas préparée à subir une impulsion,
peut-être partie de trop haut pour l’agiter profondément. Le mérite est-il
moindre, parce que le succès ne couronna pas de généreux efforts ?