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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 349) Quel était désormais le but de la
gauche ?
Etait-ce le retrait du projet de loi ? En fait, elle l’avait obtenu. Etait-ce
la déchéance du ministère et la prise de possession du pouvoir ?
Les catholiques clairvoyants s’étaient bientôt rendu compte que les
efforts de l’opposition ne tendaient à rien moi.
«
Pour atteindre leurs fins, les libéraux réclamaient avec ensemble la
dissolution des Chambres et le sacrifice immédiat de M. Nothomb, en attendant
celui du gouvernement conservateur tout entier.
« Rien n’égale la mollesse des nôtres, il n’y a plus d’énergie
catholique que dans le seul clergé, » écrivait M. Dumortier à Malou en
1852 ; il eût pu en dire autant, (page
350) avec la même vérité, en 1857. Du clergé seulement arrivait aux chefs
de la droite quelques encouragements à résister aux rodomontades de
l’opposition. « Je n’ose croire que dans le pays il ne se trouverait pas six
Malou qui veuillent tenter un effort héroïque pour sauver le gouvernement
conservateur, » écrivait l’évêque de Gand à Malou, le 30 mai.
Mgr Malou aussi se montrait alarmé et douloureusement surpris « Le pays
est-il à la merci de l’émeute ? La violence remplace-t-elle le droit ?
Appartient-il à la minorité de gouverner le pays ?
Au lieu de repousser avec indignation l’idée même d’une dissolution,
qui, dans les conditions d’effervescence des esprits, ne pouvait que tourner au
détriment de la majorité, la presse conservatrice parut admettre la dissolution
comme un aboutissement fatal ; pis encore, elle se divisa sur le point de
savoir quel parti la droite aurait à prendre si les Chambres venaient à être
dissoutes !
M. Coomans, dans l’Emancipation, conseillait l’abstention en masse des électeurs
conservateurs aux prochaines élections, en manière de protestation. L’idée de
cette abstention irritait Mgr Malou au plus haut point.
« Si cette indignité doit avoir lieu (la dissolution des Chambres),
j’espère bien que l’avis de M. Coomans ne prévaudra
pas, mais que la majorité, au contraire, fera les derniers efforts pour
reparaître tout entière et pour se renforcer. La peur et l’abstention seraient
un vrai malheur...
« Peut-être pourrait-on éviter la dissolution si la droite envoyait
une députation officielle au Roi pour réclamer le pouvoir auquel sa majorité et
le droit constitutionnel lui assurent des titres incontestables. Le malheur de
la droite vient de ce qu’elle a consenti à gouverner par des personnes (page 351) interposées. MM. de Theux et
d’Anethan, par exemple, à l’intérieur et aux affaires
étrangères, en conservant Nothomb, Mercier, Greindl,
mettraient tout en ordre... » (Lettre à Malou, 3 juin 1857).
Il serait injuste, cependant, de ne s’en prendre qu’à la presse
conservatrice. L’ajournement des Chambres avait aussi jeté le désarroi parmi
les membres brusquement dispersés de la majorité. Ils s’étaient quittés sans
mot d’ordre. De plus, entre le ministère et la droite régnait un certain froid,
causé par la surprise de l’arrêté du 30 mai.
Il fallut quelques jours pour se ressaisir ; le 8 juin les membres de la
droite furent convoqués à une réunion qui se tint en l’hôtel du comte de
Mérode-Westerloo. Quarante-sept membres étaient
présents, des soixante que comptait la majorité ; aucun ministre n’y assistait.
Après un mûr examen, l’assemblée reconnut, d’un accord unanime, que la
situation constitutionnelle écartait l’idée d’un changement de gouvernement, la
majorité n’étant pas entamée.
Il fut décidé qu’une démarche de sympathie serait faite auprès du
ministre de la justice, qui avait soutenu avec autant de talent que de courage
une laborieuse discussion.
La droite se trouva divisée lorsqu’il fut question du retrait et de
l’abandon du projet de loi sur la charité. Malou émit l’avis que, dans l’état
présent des esprits, il serait opportun de le retirer (Lors de la
première réunion des Soixante chez M. de Merode, M.
Malou proposa une adresse des Soixante dans le but de proposer ou de conseiller
le retrait de la loi. On a cru cette proposition inopportune aujourd’hui, c’est
le seul plan à suivre. » (Extrait d’une lettre de M. Dechamps à M. de Decker, Rome, 26 octobre 1857.)) et de s’en tenir à l’application (page 352) de l’article 84 de la loi
communale ; celui-ci accordait, d’après l’interprétation de
L’auteur de cette proposition eût désiré, en outre, que la droite, non
contente de ne point protester contre le retrait du projet, prit une position
plus franche, en réclamant elle-même cette mesure de pacification en vue de
l’intérêt supérieur du pays. L’opposition, déroutée, eût perdu tout prétexte
d’agitation ; cette attitude eût peut-être amené un revirement d’opinion en
faveur (le la majorité, épargné une crise ministérielle ou un changement de
gouvernement.
Qui sait si Malou n’avait pas raison ? Un retour de l’opinion publique
provoqué par le retrait du projet de loi n’eût-il pas évité que l’on donnât aux
élections communales d’octobre 1857 cette signification d’hostilité à la
politique générale, qui entraîna la chute du cabinet ?
Nous ne pouvons affirmer, n’en ayant pas la preuve certaine, que Malou,
en faisant sa proposition à la réunion des Soixante, ait agi conformément à un
plan arrêté la veille au cours d’un entretien avec le Roi. Un billet de M. Van
Praet, adressé à Malou le 7 juin, permet de le supposer. («
Le Roi, en m’exprimant la vive satisfaction que lui avait donnée Son entretien
avec vous, m’a dit qu’il était convenu avec vous que nous resterions en
communication, vous et moi, sur les actes poser avant leur
accomplissement ».)
Malou paraît s’être engagé vis-à-vis de Léopold Ier à ne poser, en ce
moment critique, aucun acte politique sans en avoir conféré, au préalable, avec
M. Van Praet. (page 353) Il est
vraisemblable d’avancer que la proposition de retrait du projet de loi sur la charité,
faite en vue d’apaiser l’opinion publique et d’amener un retour en faveur des
conservateurs, ne fut formulée, le lendemain de l’entrevue de Malou avec
Léopold 1er, qu’avec l’assentiment de celui-ci.
L’opinion de Malou rencontra, parmi les Soixante, une vive opposition (Le Journal de Bruxelles a
reproduit, le 12 juin 1857, un compte tendu sommaire de cette réunion ; ce
compte rendu émanait de l’Ami de l’Ordre) ; il fut combattu par MM. de
Theux, Wasseige, Dumortier, mais finit cependant par
remporter un demi-succès M. Dechamps fut chargé, avec quatre de ses collègues,
de rendre compte de la réunion aux ministres. Il leur remit, en même temps, un
projet de manifeste que Malou avait rédigé.
M. de Decker et ses collègues se rallièrent
aux idées émises par le rapporteur du projet de loi sur la charité. Peu de
jours après, le manifeste paraissait au Moniteur, sous la forme d’un rapport
présenté au Roi par le ministre de l’intérieur.
L’entrevue entre les ministres et les délégués des Soixante est
rapportée à Malou, dans une lettre que lui adressait, le 9 juin, son ami
Dechamps :
« La journée d’hier est une bonne journée, grâce à votre sens droit
et à votre coup d’oeil juste. Nous sommes entrés chez
de Decker, Coomans, van Overloop, de t’Serclaes, Snoy et moi. Nous avons rendu compte impartialement de
cette séance vraiment belle et patriotique. t’Serclaes
a développé le thème de Theux qu’il avait défendu ; j’ai développé le vôtre.
Les ministres ont écouté et j’ai cru comprendre qu’ils inclinaient vers nos
idées. L’incident Nothomb a fait un grand effet ; Nothomb en a été ému
jusqu’aux larmes ; je le (page 354)
crois décidé à ne pas se séparer, en aucun cas, de ses collègues et à leur
communiquer de sa fermeté. J’ai revu de Decker après
le conseil pour lui, il est tout à fait de notre opinion, Il vous remercie de
la communication du projet de manifeste et compte en tirer un grand profit. Il
croit que le Roi n’hésitera pas à approuver le rapport ce serait d’un immense
effet, mais cela mérite un examen très réfléchi. »
Le rapport au Roi parut au Moniteur
du 14 juin, précédant un arrêté royal de clôture de la session de 1856-1857.
Les ministres, tous signataires du rapport, proposaient l’ajournement du projet
de loi sur les établissements de bienfaisance jusqu’à l’ouverture de la session
prochaine. Ils s’exprimaient ainsi :
« Nous avons la conviction qu’au milieu de l’effervescence des passions
politiques momentanément surexcitées, toute discussion parlementaire pourrait
devenir une source d’embarras pour le pays. Dans cette conviction, nous avons
l’honneur de proposer à Votre Majesté la clôture de la session législative de
1856-3857.
» Cette mesure suspend la discussion du projet de loi sur les
établissements de bienfaisance. Le gouvernement en proposera l’ajournement à
l’ouverture de la session prochaine. En agissant ainsi, vos ministres, Sire,
obéissent à un grand devoir. »
Le Roi répondit au rapport du Cabinet par une lettre remarquable,
publiée au Moniteur du même jour :
« Pour la première fois, disait la missive royale, depuis vingt-six ans
que je me suis dévoué à
Le Monarque rendait hommage en termes élevés à la loyauté et à l’entière
bonne foi de ses ministres. Il les engageait, en présence d’une de ces émotions
rapides, contagieuses, se propageant « avec une intensité (page 355) qui se constate plus facilement qu’elle ne s’explique, »
à prendre le parti le plus sage : transiger plutôt que raisonner.
Il terminait par un appel à la modération et à la réserve des partis -
et par un conseil à la majorité de
« Je lui donne le conseil de renoncer, comme vous le lui proposerez, à
continuer la discussion du projet de loi. C’est à la majorité qu’il appartient
de remplir ce rôle généreux. »
Quoique fort partagés d’opinion, les conservateurs s’inclinèrent devant
les paroles du Souverain s’interposant entre les partis, se découvrant pour
couvrir le Cabinet et conseiller l’apaisement. Seule, la presse conservatrice
de province continua de faire entendre des plaintes à l’endroit du ministère.
Il y avait là une menace de désunion nouvelle des catholiques : c’était
un danger à écarter au plus tôt. Une nouvelle réunion des Soixante fut convoquée, le 25 juillet, dans le but de s’occuper
spécialement de la presse. « Le mécontentement qu’excite la conduite de
certains ministres s’y est fait jour sous des formes plus ou moins vives,
écrivait Malou à l’évêque de Bruges (Le
26 juillet 1857). L’on était, du reste, peu nombreux et, par conséquent,
l’on n’a rien pu arrêter de décisif et de complet. Nous disions, en sortant, à
l’un des ministres qui ont de l’énergie et qui viennent à nos réunions (les
autres n’y viennent pas) que le Cabinet ne devait pas se créer d’illusions, que
la majorité de la majorité désapprouvait beaucoup de choses, notamment le refus
de la (page 356) candidature de
Saint-Nicolas. (Par suite de la nomination de comte de t’Serclaes de Wommersom au
gouvernement du Limbourg, un vide s’était produit dans la députation de
l’arrondissement de Saint-Nicolas. La presse conservatrice invita les électeurs
de cet arrondissement a faire un choix significatif en appelant M Alphonse
Nothomb à occuper un siège à
(page 356) L’attitude de Malou, lors de la
première réunion des Soixante à l’hôtel de Merode,
continuait à faire l’objet de vifs commentaires. Certains catholiques, même de
ses amis, ne pouvaient comprendre que après avoir défendu avec une courageuse
ténacité le projet de loi dont il avait été le rapporteur, Malou se fût chargé
d’en proposer le retrait.
(page 357) « Tous nos amis,
lui écrivait-on de Liège, ont été tristes de vous voir faiblir à la réunion
chez le comte de Merode.
Malou s’en consolait auprès de son ami Dechamps, qui l’avait soutenu et
avait approuvé sa tactique.
« Je ne suis pas encore tout à fait un transfuge, un renégat, mais,
lui écrivait-il, peu s’en faut, d’après l’opinion d’un grand nombre de
conservateurs, que je n’aie passé l’arme à gauche. Vous n’êtes point, je le
sais, de cet avis. Après la célèbre réunion, vous m’avez témoigné verbalement
et par écrit une vive et flatteuse adhésion. Cet assentiment, si franchement
exprimé à plusieurs reprises, suffit, sans doute, pour me consoler de bien des
attaques.
« Toutefois, autant je néglige aisément les appréciations injustes
ou injurieuses venues des rangs de nos adversaires, autant je tiens compte des
opinions de nos amis. Placés parfois au premier rang, sous le feu même de nos
batailles, nous ne pouvons, en effet, coopérer au bien dans la mesure de nos
facultés qu’a la condition de conserver la sympathique estime des nôtres.
Triste chose, hélas ! que la vie politique, mon excellent ami, puisque après
tant de travaux et de peines, après avoir même été honoré des huées et du jet
de pavés libéraux, je suis réduit à écrire mon apologie ! »
La politique d’apaisement avait eu pour principaux défenseurs, dans les
réunions de la droite, Malou et M. Dechamps, et, au sein du ministère, M. de Decker. Ils avaient rencontré, auprès du Roi, l’appui
efficace d’une haute collaboration.
Leurs efforts avaient abouti à un succès momentané ; une accalmie
s’était produite, à la faveur, faut-il ajouter, de l’ajournement des Chambres.
Mais il était à redouter qu’à l’occasion des élections communales d’octobre
et de la rentrée du Parlement, le conflit se ne rouvrit, si le projet de loi
n’était définitivement (page 358)
retiré. M. de Decker craignait une vive résistance
des évêques. Il résolut de solliciter officieusement l’intervention de
M. Dechamps, qui se trouvait à Vienne pour des affaires personnelles,
prit le chemin de l’Italie dans la seconde quinzaine d’octobre. Il était
porteur d’une lettre autographe du Roi « pour faire donner une leçon de modération
aux évêques de Gand et de Bruges. » (Lettre de Mgr
Malou à Jules Malou, 12 novembre 1857).
Malou ignorait que M. Dechamps eût été envoyé à Rome. Il ne l’apprit que
par une lettre que son ami lui adressa de cette ville, le 26 octobre :
« J’ai été étonné, écrivait celui-ci, de voir combien on
connaissait exactement ici ce qui se passe chez nous et combien on appréciait
notre situation de haut,.. En disant cela, je fais allusion surtout au cardinal
Antonelli, esprit rare et élevé. L’esprit qui domine ici, c’est la prudence,
mais une prudence qui est de la force et non de la faiblesse. Nos impatients de
la presse sont loin d’être approuvés ici. »
A la suite de ses entretiens avec Pie IX et le cardinal Antonelli, M.
Dechamps adressa à M. de Decker une lettre
importante, dont il envoya la copie à Malou :
« Voici une pensée et un plan que je vous propose il y aura,
paraît-il, un discours du Trône. Peut-être eût-il mieux valu qu’il n’y en eût
pas, en ce sens que nous aurons, si on n’y prend garde, deux discussions
politiques au lieu d’une l’une à propos de la proposition d’ajournement que
vous (page 359) ferez l’autre à
propos de l’adresse, sans compter une troisième sur l’affaire de Gand.
« C’est entrer dans le jeu de l’opposition que chercher à
multiplier les débats politiques et à entretenir l’agitation du pays. Il eût
mieux valu faire une session courte, modeste, d’intérêts matériels, concentrant
le débat politique sur la proposition d’ajournement et sur l’affaire de Gand.
« Mais ce conseil est tardif. Je me place donc au point de vue d’un
discours du Trône et d’une adresse. Voici, selon moi, ce qu’il faudrait faire
pour empêcher deux débats politiques : le Roi devrait, dans une phrase
patriotique et habile, à l’adresse de tous, recommander au pays le calme et le
respect pour le régime représentatif, à l’opposition la modération, à la
majorité de suivre le conseil, donné dans la lettre royale du 13 juin, d’ajourner la loi. Il est essentiel que
la phrase ne soit pas une leçon à l’adresse de la majorité, qu’il faut soutenir
et relever, et qui a été victime des événements de mai.
«
« Quel beau terrain de discussion ! La violence, les excès, d’un
côté, la dignité,le calme, la modération et le
patriotisme, de l’autre ! Un pareil acte, bien pesé, bien soutenu, suffirait
peut-être pour donner aux esprits un autre courant. Mais, pour cela, il faut
l’accord et la conduite unanime. Il faut un programme arrêté entre le ministère
et la majorité, et auquel on tienne fermement.
« L’idée si simple que j’exprime n’est pas de moi : elle est de M.
Malou. Lors de la première réunion des Soixante chez M. de Merode,
M. Malou proposa une adresse des Soixante dans le but de proposer ou de
conseiller le retrait de la loi. On a cru cette proposition inopportune alors ;
aujourd’hui c’est le seul plan à suivre. M. Malou, en soutenant cette idée de
concert avec moi, triomphera des résistances que nous (page 360) rencontrerons. De cette manière, nous aurons un débat
politique, mais sur un magnifique terrain ; nous enlèverons à l’opposition son
acte d’accusation et son prétexte d’agitation.
« Il faut que M. Ma]ou, rapporteur de la loi de la charité et qui
l’a si courageusement défendue, soit le rapporteur de l’adresse pour en
demander le retrait, au nom de la paix du pays. Ce serait superbe :
Réfléchissez à ce plan, qui est simple et tout indiqué ; son succès est
infaillible. Ne vous laissez pas arrêter par des objections : il y en a
toujours ! »
Tel était le langage tenu à M. de Decker par
M. Dechamps. Ce qui ajoute à l’importance de ses conseils, c’est que ceux-ci
partent de Rome, où M. Dechamps vient de s’entretenir avec le Pape et le
cardinal Antonelli
Ou nous nous trompons fort, ou ils renferment une approbation absolue de
la politique prudente de Malou. Ses idées sont reprises par M. Dechamps, et son
plan apparaît comme le plus praticable et le plus avantageux pour la sauvegarde
de la dignité de la droite.
« Je suis bien sûr, écrivait encore M. Dechamps à Malou, que cette
pensée que je vous ai empruntée vous sera revenue : faites-la prévaloir, je
vous en prie, auprès de M. de Theux et de mes amis. Je serai, le 10, à
Bruxelles. Préparez une réunion pour le 10 ou le 11, au soir. Mettons-nous
d’accord, vous et moi, et tâchons de sauver le pays, que l’on pousse vers les
abîmes. » (Lettre de M. Dechamps à Malou, Rome, le 26
octobre 1857).
Si M. Dechamps obtint à
(page 361) Dans l’entre-temps, en Belgique,
les événements s’étaient précipités.
Le 18 octobre s’était tenu un conseil des ministres. « Le parti libéral,
écrit M. Woeste (Charles WOESTE, Vingt ans de
polémique, t. I, Etudes politiques. Le roi Léopold Ier, sa politique), annonçait avec bruit l’intention
de donner aux prochaines élections communales une signification politique.
« Jamais, jusque-là, on n’avait admis que le choix des mandataires
communaux pût influer sur la marche des affaires de l’Etat. D’ailleurs, les esprits
étaient encore trop excités pour qu’il fût possible d’attendre d’eux un verdict
réfléchi. Tel était le sentiment du Roi, et, dans le conseil du 18 octobre, «
il fut d’avis, rapporte M. Juste, contrairement même à l’opinion de M. de Decker et de quelques-uns de ses collègues, qu’ils devaient
ne pas attacher trop d’importance aux prochaines élections communales ».
Celles-ci eurent lieu le 17 octobre. Les villes importantes donnèrent la
majorité à l’opposition, comme elles l’avaient fait aux élections antérieures ;
bien avant cette époque, Bruxelles, Liége, Anvers, Bruges, Mons, Tournai,
Louvain, etc., étaient administrés par des bourgmestres libéraux ; M. Delehaye
avait, il est vrai, été battu à Gand ; mais, outre que les fluctuations
d’opinions étaient fréquentes dans cette localité, son (page 362) échec n’avait pas une portée suffisante pour amener un
changement dans les destinées du pays.
A la nouvelle des résultats électoraux, deux opinions se manifestèrent
parmi les ministres. Certains d’entre eux, spécialement le vicomte Vilain
XIIII, préconisèrent la retraite du Cabinet ; d’autres, son maintien. Le 30
octobre, les premiers envoyèrent collectivement leur démission au Roi. Le
lendemain, les deux autres ministres, MM. A. Nothomb et Mercier, démissionnèrent
à leur tour, uniquement pour ne pas se séparer de leurs collègues, non
toutefois sans réfuter, dans une lettre très remarquable, les raisons alléguées
par ceux-ci pour justifier leur retraite.
« Ses antécédents, comme les règles du gouvernement représentatif,
écrit encore M. Woeste, faisaient au Roi l’obligation
de s’opposer énergiquement à la démission de ses conseillers ; d’investir, si
M. de Decker persistait dans sa détermination, MM.
Nothomb et Mercier de la mission de former un nouveau cabinet, et, dans le cas
où ceux-ci ne consentiraient pas à se séparer de leurs collègues, de remettre
aux chefs de la droite, MM. de Theux, de Muelenaere, Malou, Dechamps,d’Anethan,
etc., la succession des ministres démissionnaires. Et qu’on ne dise pas que ces
démarches eussent échoué : un fait indubitable et que je suis en position
d’affirmer, c’est que M. Dechamps eût accepté le pouvoir.
« Chose extraordinaire le Roi se borna à insister auprès de M. de Decker pour qu’il revint sur sa résolution. Il ne s’adressa
ni à MM. Nothomb et Mercier, ni à aucun des chefs de la majorité. Il y a plus,
- et ce détail est, je crois, peu connu, - M de Decker,
bien qu’il n’eût pas répondu d’une manière absolument affirmative aux
sollicitations du Roi, comptait ouvrir les Chambres, et ses amis ne
désespéraient pas de le déterminer à retirer sa démission. Tout à coup, dans la
matinée du 8 novembre, pendant qu’il délibérait avec plusieurs hommes
politiques sur l’attitude à prendre le (page
363) lendemain, M. Van Praet vint lui annoncer qu’un Cabinet libéral était
formé. Le Roi s’était brusquement retourné vers MM. Rogier et Frère et il les
avait autorisés à dissoudre
En l’absence d’une explication certaine de ce revirement du Roi, M. Woeste hasarde une conjecture. Le chef de l’Etat aurait
cédé à un sentiment de lassitude et de découragement, causé par l’abandon de
ses conseillers. L’éminent publiciste ajoute que les événements subséquents
portent à croire que le Roi réclama des chefs de la gauche, en échange du
pouvoir, l’adhésion à ses vues militaires.
M. Discailles (DISCAILLES, Charles Rogier, t. III, pp. 31-32) nie qu’un accord de ce genre soit
intervenu entre le Roi et le Cabinet du 9 novembre.
Une lettre, intéressante à plus d’un point de vue - nous la reproduisons
plus loin (voir p. 397) - adressée, le 8 août 1858, par Malou à M. Dechamps, sans contenir
d’affirmation certaine, confirme cependant la conjecture émise par M. Woeste : un engagement pris par M. Rogier et ses collègues
de déposer dans le cours de la session prochaine un projet nouveau de
fortification de la place d’Anvers n’aurait pas été étranger à l’avènement
inattendu du Cabinet libéral. « Le brusque revirement de droite à gauche, en
octobre 1857, ne s’explique pas tout à fait par la peur d’une révolution,
écrivait Malou à son ami. Nous avons tous été convaincus, vous le premier, que
la promesse de résoudre la question d’Anvers, (page 364) dans le sens des désirs du Roi et pendant la session
actuelle a été la cause déterminante pour laquelle on est passé, sans même
entendre les voeux ou l’opinion d’aucun de nous, de de Decker à Frère, en oubliant,
par une fatalité, d’ouvrir votre lettre (M. Dechamps
avait adressé à M. Van Praet au moment de la retraite de M. de Decker, une lettre dans laquelle il se déclarait disposé à
assumer la charge du pouvoir. La lettre ne fut pas communiquée au Roi. M. Van
Praet feignit de l’avoir égarée et retrouvée seulement après l’avènement au
pouvoir du Cabinet Rogier-Frère), que telle a été aussi la cause de l’obstination avec laquelle tout
délai a été refusé. »
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