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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 134) La question ministérielle ne fut
pas facilement résolue ; le nouveau ministère ne put se constituer qu’après
plusieurs avatars de combinaisons hétéroclites. Malou conservait ses sympathies
pour l’unionisme ; il estimait que le pays n’était pas mur pour subir le
gouvernement d’un parti « Nous allons encore tâcher de brasser du mixte,
écrivait-il au chanoine Malou ; le mixte médiocre, dans l’état actuel des
esprits, vaut mieux pour le pays que l’homogène excellent. J’ai, à cet égard,
une conviction entière. » (Lettre au chanoine Malou, 24 mars
1846).
Il avait été question, immédiatement après le départ de M. Van de Weyer,
de constituer un ministère des grandes villes. « Bruxelles, Anvers, Gand,
Liége, devaient nécessairement y être représentés, rapportait encore Malou ; le
refus péremptoire d’un député de (page
135) Gand, le refus d’un nouveau représentant d’Anvers (Il
est vraisemblablement question ici de M. Veydt), auquel on destinait le ministère
des finances ; l’impossibilité où l’on se trouva de prendre un représentant de
Liége, qui est le type de l’opposition extrême ; d’autres échecs essuyés dans
la capitale, ont fait échouer complètement cette première combinaison. »
Le Roi avait fait appel à M. Rogier. Celui-ci s’était mis en devoir
aussitôt de rechercher des collègues appartenant aux nuances variées du
libéralisme ; mais des dissentiments s’étaient fait jour : « L’on assure,
écrivait Malou, que les hommes les plus avancés mettent des conditions assez
dures à l’appui qu’ils donneraient au Cabinet nouveau. Deux ministres devaient
être choisis dans cette nuance prononcée, sinon l’Alliance se fâcherait et la
gauche serait divisée. L’opinion libérale modérée repousse ces conditions :
elle parait vouloir refuser d’avance son appui à un
Cabinet dans lequel entreraient les hommes de l’extrême gauche. » (Lettre
au chanoine Malou, 20 mars 1846).
Evidemment, M. Rogier se trouvait contrecarré dans ses démarches. Les
journaux, sans doute pour tenir le public en haleine, avaient annoncé la
formation d’un ministère libéral homogène Rogier-Delfosse.
Dans les milieux avertis, on n’avait pas ajouté foi à cette information
« Il me paraît impossible, écrivait Malou, que l’on nomme Delfosse ministre
dans l’état actuel des partis ; son temps n’est pas venu et Dieu veuille qu’il
ne vienne jamais » (Lettre au chanoine Malou, 22 mars 1846).
M. Rogier se présenta enfin au Roi avec un programme détaillé. Comme
conditions de son acceptation, il stipulait cette fois encore le droit de
dissolution éventuelle des Chambres et réclamait des moyens de défense (page 136) contre l’hostilité des
fonctionnaires publics. « Ç’eût été, disait Malou, un
ministère dictateur qui eût mené
C’est alors que Léopold Ier s’adressa au comte de Theux.
« La situation pouvait, dit M. Thonissen, se
résumer en quelques mots : impossibilité absolue d’organiser un ministère mixte
; impossibilité de former un cabinet libéral sans lui faire des concessions
incompatibles avec les droits de
« Placé dans l’alternative de subir les exigences de M. Rogier ou
de s’adresser à la droite, le Roi prit conseil des ministres démissionnaires ;
et ceux-ci, tout en regrettant l’abstention du libéralisme modéré, l’engagèrent
à avoir recours au comte de ‘Theux. Ce fut là le terme de la crise. »
Le 31 mars 1846, un ministère de Theux-Malou était formé. C’était un
ministère de droite, mais animé d’idées conciliatrices, décidé à maintenir la
politique d’union. Le cabinet était composé du comte de Theux, à l’intérieur ;
de M. Dechamps, aux affaires étrangères ; de M. Malou, aux finances ; du baron
d’Anethan, à la justice ; de M. de Bavay, aux travaux
publics, et du lieutenant- général Prisse, à la guerre.
Le comte de Muelenaere et le baron d’Huart, ministres d’Etat,
demeuraient membres du Conseil sans portefeuille.
(page 137) Malou avait eu à
un moment l’idée de « renoncer pour jamais à des portefeuilles bourrés d’épines
» ; il songeait à un retour au Barreau : « J’ai à moitié le projet de prendre
une position analogue à celle de Dolez, me faire avocat à
Sans s’arrêter davantage à ces projets, il resta au ministère, comme le
soldat au poste qui lui a été confié.
L’idée du devoir seule l’y retenait.
Si quelque ambition avait pu le pousser, elle n’eût pas résisté aux
épreuves successives qui lui déchirèrent le coeur. Il
avait été appelé le 3 janvier au chevet de sa mère, et Mme Malou-Vandenpeerebom n’avait survécu que peu de jours à cette
entrevue suprême . Trois mois s’étaient à peine écoulés, lorsqu’un nouveau coup
l’éprouva dans ses plus chères affections le 8 mars, son fils aîné, Jules, un
enfant de 6 ans, remarquablement intelligent, s’éteignait dans les bras de son
père
« L’image de mon pauvre petit Jules me poursuivait au milieu des
débats, des discussions, des Conseils, des combinaisons, » écrivait Malou à son
frère le 16 mars, comme s’ouvrait la crise ministérielle ; « j’ai surmonté mes
douloureuses préoccupations de famille, comprimé mes larmes pour achever la
tâche difficile que j’avais entreprise ces derniers temps. »
L’achèvement de l’œuvre entreprise, un souci plus qu’un désir, le retint
le 31 mars au ministère. Une nouvelle épreuve l’y attendait. Le 3 avril, Mme
Malou, devenue subitement malade, recevait le viatique des mourants (Mme
Malou-Vandenpeereboom décéda, à Ypres, le 17 janvier
1846).
L’âme navrée, Malou pouvait répondre à des adversaires que rien ne
désarmait « On vous parle sans cesse du (page
138) bonheur d’être ministre, de rester ministre ; eh bien ! je dirai très
franchement, très sincèrement devant cette Chambre que, pour moi, jamais
encore, depuis que je suis ministre, je n’ai ressenti ce bonheur. Je ne
resterai au pouvoir que comme on reste à son poste parce qu’on a un devoir à
remplir. Je ne connais pas au monde de plus misérable ambition que celle de
désirer le pouvoir, la conservation du pouvoir pour lui-même. »
Déçue dans ses espérances, la gauche libérale avait accueilli le nouveau
Cabinet par une débauche d’invectives. Chacun des ministres fut pris à partie ;
« cela ressemblait, a dit M. Ernest Vandenpeereboom,
à une visite an corps, telle qu’elle se pratique à la frontière ».
Malou ne fut pas épargné ; M. Castiau et M. Verhaegen revinrent sur le
passé ; l’un, le farouche républicain de Tournai, s’en prit à l’auteur des
brochures en faveur de la personnification civile de l’Université de Louvain,
au « défenseur de la mainmorte » ; l’autre, le fondateur de l’Université libre
de Bruxelles, reprochait à Malou de faire partie d’un ministère qu’il s’était
engagé à combattre ; puis ce fut le tour de M. Rogier d’attaquer le « ministre
malgré lui » et celui de M. Manilius de descendre jusqu’à l’injure et d’accuser
Malou de n’avoir naguère donné sa démission qu’avec une arrière-pensée
ambitieuse. Pour répondre à toutes ces attaques, Malou trouva de simples et
nobles paroles : « Si j’avais pu prévoir, répartit-il à M. Manilius, au
mois de février, lorsque j’ai donné ma démission des fonctions que j’occupais
au département de la justice, qu’au mois de septembre on déplacerait le
gouverneur d’Anvers, je concevrais que l’on m’accusât ; mais, lorsque j’ai
donné ma démission, cette démission a été sérieuse et lorsqu’un appel m’a été
fait, huit mois plus (page 139)
tard, j’ai regretté que cette interruption dans ma vie active ne fut pas plus
longue. »
Le Cabinet ne recueillit qu’une majorité de dix voix. Il lui fut pénible
de se voir refuser l’appui d’un membre de la droite, éminent par le talent et
le savoir, M. de Decker. Celui-ci, pour justifier son
abstention, déclara que le ministère n’était pas la conséquence logique des
événements déroulés depuis cinq ans, qu’il était un anachronisme, s’il n’était
un défi. (Annales
parlementaires, du 10 au 17 avril 1846).
Tandis que de semblables débats faisaient perdre à
La session s’acheva au milieu des préoccupations que causait au
gouvernement et au Roi, pour les finances du pays, pour l’avenir, cette
inquiétante manifestation politique. (Voir plus loin, p. 145).
L’été de 1846 fut marqué par une recrudescence de la crise alimentaire.
Cette fois, la récolte du seigle était manquée. Une disette de pain succédait à
une disette de pommes de terre. La misère devint telle que plus d’un tiers de
la population de
(page 140) Cependant les
ministres, en butte à ces attaques, cherchaient par tous les moyens à remédier
à la situation : le froment, le seigle, l’orge, le sarrasin, d’autres denrées
furent déclarées libres à l’entrée jusqu’au 1er octobre 1847.
Une intervention plus directe de l’Etat, par l’octroi de subsides ou de
primes à l’importation, était proposée par le baron d’Anethan.
Sa proposition rencontra, parmi ses collègues mêmes, un adversaire. «
L’intervention directe du gouvernement est, à mes yeux, écrivait Malou à M d’Anethan (le 8 janvier 1847), le système le plus dangereux et,
en même temps, le plus inefficace Le gouvernement anglais en est venu, malgré
lui, je suppose, à verser
Hélas la misère était si grande, les effets de la crise si désastreux,
qu’après avoir affecté un crédit d’un million et demi à des mesures relatives
aux subsistances,
Enfin, poussé par la nécessité dans la voie où l’avait précédé sir
Robert Peel, l’homme d’Etat anglais, le ministère proposait, le 28 avril, la
libre entrée des céréales et des pommes de terre jusqu’au 1er octobre 1846,
avec la faculté d’accorder, pour le même terme, la libre entrée des autres
denrées alimentaires et du bétail, et d’en prohiber la sortie.
Grâce à ces mesures énergiques, au sacrifice que (page 141) plusieurs membres du Cabinet firent de leurs préférences
théoriques pour le protectionnisme modéré,
(page 141) Le Cabinet des Six-Malou compte à
son actif une longue série de travaux utiles ; la plupart de ses propositions
législatives (Biographies
des membres des deux Chambres législatives (session 1857- 1858).
Bruxelles, Périchon 1858) ont été préparées par l’expérience pratique
ou appuyées par la voix éloquente du ministre (p. 142) des finances. C’est ainsi qu’il défendit le projet de loi
de répression des offenses envers la famille royale et intervint dans les
débats d’autres projets non moins étrangers à son département. Ses travaux
antérieurs lui avaient valu une compétence étendue en des matières très
diverses, Il prit une part prépondérante aux délicates négociations qui
aboutirent à la liquidation définitive des créances publiques entre
Le roi Léopold Ier stimulait l’activité de ses ministres. Le 9 mars
1847, il écrivait à M. de Theux : « Il y a trois points que je désire vivement
voir régler encore dans cette session par des lois. Les deux premiers auraient besoin
d’être votés par les deux Chambres réunies en une ; le troisième serait une loi
ordinaire en sa forme. » (Note remise par le Roi au comte de
Theux, ministre de l’intérieur (inédite)).
La triple proposition que le Roi soumettait à son ministre portait sur
les trois objets suivants : Léopold Ier considérait comme indispensable, pour
la sécurité de l’Etat, le vote d’une loi de régence désignant
Les ministres remplirent le délicat devoir d’opposer aux propositions du
Souverain une respectueuse fin de non-recevoir. Malou soumit à ses collègues un
projet de réponse, auquel fut préférée une note du comte de Theux ; elle
rappelait que
Quant à la troisième proposition, relative au douaire de
Dans le domaine administratif très vaste dont il avait la direction,
l’activité de Malou ne fut pas moindre. Il avait entrepris une réforme complète
des cadres surannés de son département et de l’administration qui en dépendait,
tâche hérissée de délicates difficultés, dont le ministre parvint cependant à
triompher ; il se vit même complimenté à cette occasion par un homme de
beaucoup d’esprit et de sens, qui fut souvent au nombre de ses adversaires, M.
de
Cependant nous n’avons encore rien dit de l’oeuvre
financière proprement dite de Malou. Là se manifeste encore davantage son
ingénieuse initiative, l’étendue de sa compétence, la sûreté de ses
connaissances techniques, sa puissance d’assimilation, ses rares qualités de
persévérance.
Nous consacrerons quelques pages à mettre en lumière le plan financier
que Malou avait conçu, dont il avait commencé l’exécution, qu’il eût peut-être
complètement réalisé, n’eut été la surprise du revirement électoral du 8 juin
et l’avènement du cabinet du 12 août 1847.
Si vingt-quatre mois ne suffirent pas à Malou pour achever son oeuvre, on ne lui reprochera pas de n’avoir point mis
largement à profit le temps qu’il passa au ministère des finances.
Durement éprouvée par les crises alimentaires de 1845 et 1846, la
Belgique pâtissait, en outre, du malaise général dont souffrait, en Europe, le
marché des transactions. Les fonds belges rencontraient de grandes difficultés
de placement le crédit national était menace.
Les causes de raréfaction de la circulation étaient diverses ; d’une
part, les demandes de capitaux se multipliaient ; les besoins croissaient
chaque jour par suite du développement excessif des entreprises de chemin de
fer ; (page 145) celles-ci
absorbaient en ce moment entre six et sept milliards ; d’autre part, dans
plusieurs pays, en Espagne, en Autriche, l’horizon politique s’assombrissait ;
les fonds publics étaient réalisés ; le numéraire sortait de la circulation.
Certaines causes, particulières à
A l’agitation politique s’était ajoutée la crise économique. Plus de 100
millions de capitaux avaient été exportés depuis le 1er janvier 1845 en vue de
l’achat de subsistances pour parer à la disette. Cet exode de capitaux
correspondait à une rentrée considérable de fonds belges sur le marché
national. Puis la conversion opérée en 1844 sur l’emprunt de 100 millions
faisait craindre pour l’avenir de nouvelles réductions d’intérêt ; une certaine
sécurité dans la jouissance de l’intérêt était nécessaire pour que le cours de
l’emprunt se maintînt favorable.
Des causes spéciales enfin à chaque emprunt, à ses conditions d’émission
(comme les clauses de non-remboursement insérées dans les contrats des emprunts
de 1840 et 1842) influaient sur les divers cours.
L’emprunt belge de 1840, converti en 4 1/2 p. c., était descendu en
dessous du pair (au cours de 99.25) et le gouvernement, d’après les
dispositions de son contrat, devait faire agir l’amortissement, si cette cote
se prolongeait durant un mois entier à
La situation était inquiétante ; Léopold Ier s’en montrait vivement
préoccupé. Au cours de divers entretiens qu’il eut avec son ministre des
finances, il rechercha les moyens de remédier à cet état de choses. Malou
s’efforça de rassurer le Roi. Sans doute, 372 millions de dette publique
consolidée restaient à amortir ; le service annuel de l’intérêt exigeait
26,004,051 francs ; mais le budget des voies et moyens ne devait être évalué
qu’à 144 millions ; à peine 23 p. c. des ressources de l’Etat (page 147) (un peu moins du quart du
revenu public), étaient absorbés par la dette.
A considérer les forces productives et les facultés imposables du pays,
c’était une situation relativement favorable ; elle présentait aux créanciers
une garantie suffisante et ne justifiait nullement le discrédit jeté sur les
fonds belges.
Malou indiquait au Roi les faibles moyens de relèvement dont disposait
le gouvernement sous un régime de publicité et de contrôle, ne possédant aucun
moyen d’intervention efficace, ni la libre disposition d’aucun fonds. Deux
banques rivales (
Dans une note qu’il remit au Roi le 1er décembre 1846, le ministre ajoutait
: «
L’idée que Malou caressait dès 1846, Frère-Orban eut l’honneur de la
réaliser, par une conception quelque peu différente, puisqu’il interdit à
Encore ne suffisait-il pas d’améliorer le crédit public (page 148) tant à l’intérieur qu’à
l’étranger, et fallait-il plus qu’une réorganisation des établissements de
crédit. Pour faire face à des besoins chaque jour grandissants, il fallait que
les ressources publiques acquissent un plus grand développement. Demeurer dans
une situation d’équilibre difficile à maintenir entre les ressources et les
dépenses, d’équilibre que la moindre crise à l’intérieur, la moindre dépense
imprévue pouvait rompre, dans une situation ne permettant aucune entreprise
grande et utile, n’était plus guère possible.
Si les travaux de la paix se trouvaient entravés par cet état de gêne,
quel ne serait pas l’effet d’une complication extérieure nécessitant un déploiement
de forces et réduisant, du même coup, momentanément les recettes du Trésor !
A la création de nouveaux impôts, Malou crut ne pas pouvoir penser, dans
la crainte de difficultés nouvelles, d’ordre économique aussi bien que d’ordre
politique. Recourir à un nouvel emprunt n’était possible qu’aux conditions les
plus onéreuses : ce moyen, comme le précédent, devait être repoussé. Il
n’entrait pas dans les habitudes de Malou de soulever un problème et de le
laisser sans solution. « Après un mûr examen des moyens d’améliorer la
situation, j’ai pensé, Sire, qu’il y aurait lieu d’introduire dans notre
législation une idée nouvelle, de procurer, en retour d’un sacrifice léger pour
chacun, un avantage certain et facilement appréciable pour tous. Je voudrais,
après les élections de 1847, proposer aux Chambres une loi qui décrétât le
système des assurances obligatoires de toutes les propriétés. L’on peut
admettre, qu’en réduisant notablement les primes exigées aujourd’hui par les
Compagnies belges et par les Compagnies (page
149) étrangères qui exploitent si largement le pays, l’Etat pourrait
couvrir toutes les pertes et se réserver un bénéfice, tous frais déduits, de 6
à 8 millions. » (Note au Roi. 1er décembre 1846).
Le programme financier de Malou, en 1847, s’objectivait en une trilogie
de réformes. Il fallait, en premier lieu, raffermir le crédit public à
l’intérieur et à l’étranger par les moyens d’application immédiate et
provisoire dont disposait le gouvernement ; il fallait ensuite, par la création
d’une banque nationale unique, doter le pays d’un instrument de crédit souple
et puissant ; il importait enfin de remédier à la situation d’équilibre
instable des recettes et des dépenses publiques par l’établissement de
l’assurance obligatoire par l’Etat.
Vaste programme qui fait ressortir toute l’initiative de ce ministre de
36 ans. Les vicissitudes de la vie politique devaient bien le contrarier dans
la réalisation de si grands projets ; à peine en put-il exécuter partiellement
la première partie ; son successeur allait réaliser la seconde ; quant au
projet d’assurance obligatoire, nous verrons bientôt ce qu’il en advint.
Pour raffermir le crédit public, à quel moyen recourir ? Il importait,
au premier chef, de rassurer les porteurs de fonds belges. Malou fit publier
dans l’Emancipation et déclara au
Sénat que le 5 p. c. ne serait pas converti en 4 1/2 p. c. Rien n’y fit : déclaration
et articles passèrent inaperçus on restèrent inefficaces.
Il n’était pas moins urgent de porter remède à l’engorgement de la
circulation métallique. Ce n’est pas ici l’endroit d’exposer les idées de Malou
sur la question (page 150)
monétaire. Il nous les fera connaître pins tard dans des brochures successives.
Il s’agissait, en 1846, de décider si
Le 24 janvier 1847 s’ouvrit à
(page 151) Toute la
discussion porta sur le poids à donner aux pièces d’or de 10 et de 25 francs.
Une légère altération de la valeur absolue des monnaies est aujourd’hui
admise à peu près partout. Il n’en était pas ainsi il y a quelque soixante ans
:
Malou, « voulant faire passer l’opposition du financier pour celle de
l’homme de parti » (Ernest Vandenpeereboom,
Du Gouvernement représentatif en Belgique,
p. 217), répondait
ironiquement au député d’Anvers : « Je ne m’arrêterai qu’un instant aux
considérations semi-politiques de l’honorable membre. Je ne croyais pas que
l’or eût une couleur catholique ou libérale ; je ne lui connaissais que sa
couleur naturelle. » (Annales
parlementaires, 24 janvier 1847). Le projet, plusieurs fois amendé, fut
adopté.
(page 151) L’une des causes du discrédit
dont souffrait la Belgique était l’incertitude entretenue dans le public par
les orateurs (page 152) et les
journaux de l’opposition sur l’état réel de la situation financière. Des
accusations de dilapidation avaient été lancées. Avant de passer à d’autres la
gestion des intérêts de l’Etat, Malou résolut de publier dans le Moniteur un exposé à la fois
justificatif et rassurant.
Le moment sera propice pour jeter un coup d’oeil
sur sa gestion. Ministre des finances à l’âge de 35 ans, il avait mis, comme
condition à son acceptation, l’entrée dans le Conseil, comme ministre sans
portefeuille, du baron d’Huart, ministre d’Etat et ancien ministre des
finances, alors gouverneur de la province de Namur. De la part du jeune
ministre, cette défiance de ses propres forces ne pouvait être blâmée. La
tutelle, d’ailleurs, semble n’avoir été que purement platonique. Doué d’une
puissance de travail remarquable et d’une égale facilité d’assimilation, Malou
avait été bientôt au courant des moindres rouages de son administration comme
de tous les détails de la situation et des nécessités financières du pays. Son
exposé inséré au Moniteur du 23
juillet 1847, en faisait foi. (Situation financière de
Malou divisait ce travail, qu’il appelait son « testament financier »,
en quatre chapitres, relatifs respectivement à l’impôt, aux recettes, aux
dépenses, à la dette publique. Considérés dans leur ensemble, les impôts, de
1830 à 1845, s’étaient plutôt trouvés réduits qu’augmentés ; aucune imposition
nouvelle n’avait été établie ; des révisions de détail avaient été introduites,
non dans une pensée fiscale, mais en vue d’une plus équitable répartition des
charges publiques, ou pour la garantie des intérêts agricoles ou industriels.
Le développement sans cesse croissant des recettes publiques ne pouvait donc (page 153) être du à de nouveaux impôts,
ni au changement des bases de perception. L’accroissement de la prospérité
nationale en était l’unique cause. Le commerce général avait plus que triplé et
le commerce d’exportation largement doublé. Sans doute, le mouvement
ascensionnel des recettes avait eu pour contrepoids un mouvement progressif des
dépenses publiques.
Il n’en demeurait pas moins, au 1er janvier 1845, tout compte fait, des
exercices de 1830 à 1844, un boni de 2,586,894 francs au moment où s’ouvrit la
gestion de Malou. Les années 1845 et 1846, années de disette que suivit une
année de crise financière, se soldaient, il est vrai, par un déficit de
1,300,961 francs ; mais, en somme, c’était un boni que le Cabinet léguait à ses
successeurs.
« Telle est, sous ce rapport, dans toute sa vérité, la situation des
finances du pays, disait Malou, en terminant cette partie de son rapport.
« L’on ne doit pas perdre de vue, dans l’examen de cette gestion
que
» Mais il n’en est pas ainsi : l’équilibre financier a été maintenu
malgré la crise. Dans des temps meilleurs, si les ressources du pays sont
ménagées avec prudence et habileté, il peut espérer un excédent des recettes
sur les dépenses, et même la création d’une réserve, dont l’utilité a été
maintes fois proclamée an sein des Chambres. »
(page 154) Malou terminait
son exposé par un relevé de la dette flottante et de la dette consolidée.
La dette flottante, créée sous la forme de bons du Trésor, s’était
accrue assez fortement sous son ministère. Ces bons du Trésor servaient à la fois
de moyen de trésorerie et d’emprunt provisoire ; comme moyen de trésorerie, ils
fournissaient à l’Etat des ressources en attendant la rentrée régulière des
produits ; comme emprunt provisoire, ils paraient momentanément à des dépenses
dont le capital devait un jour être couvert par l’emprunt définitif. Pour
l’émission de ces bons du trésor, un appel était fait aux capitaux disponibles
; les échéances se succédaient comme les versements. Le danger de cette
opération était la trop grande facilité d’émission ; un arrêté royal du 20 juin
1847 établissait un mode nouveau d’émission, dû à Malou, facilitant le
renouvellement à l’échéance et multipliant le nombre des preneurs ; l’article
10 de cet arrêté admettait même les bons du Trésor en payement des impôts,
pourvu que le payement égalât la valeur du bon, intérêts échus compris ; Malou
ne craignait pas de rendre l’Etat à la fois emprunteur et créancier.
L’opposition signala le danger des émissions multipliées et trop
facilitées des bons du Trésor (Nous ne discutons pas ici les dangers
de la dette flottante ; nous exposons les idées de Malou) ; la dette flottante semblait
grossir dans des proportions effrayantes : « C’est aux dépenses, causes des
émissions de bons du Trésor, et non à la dette flottante elle-même, répondait
Malou, qu’il est logique de s’attaquer, lorsqu’on se préoccupe des dangers qui
peuvent menacer les finances de l’Etat. » Or si, sous son administration, les
émissions, autorisées successivement par les lois, avaient atteint un (page 155) total de 28,950,960 francs,
il ne craignait pas, disait-il, de soumettre au jugement de l’opinion l’emploi
qu’il en avait fait, consacrant presque entièrement cette somme des travaux
d’utilité publique. (Il en avait été affecté : Au chemin
de fer : fr. 11,972,960 ; aux canaux, rivières, etc. : fr. 12,348,000 ; à des
objets divers (subsistances, défrichements, irrigations, acquisitions de
bateaux à vapeur, immeubles : fr. 4,630,000. Total : fr. 28,930,960).
Quant à la dette consolidée, enfin, elle s’élevait à un total de fr.
506,487,285-25, dont deux cinquièmes étaient la représentation non de dépenses
stériles faites en des temps d’adversité, mais de capitaux placés de manière
utile et productive .Mise en rapport avec l’ensemble du budget des voies et
moyens, la rente de la dette constituée n’en formait que les 229 millièmes ; il
n’y avait pas de quoi alarmer les porteurs de fonds publics belges.
Malou clôturait son exposé par une profession de « ferme confiance dans
l’avenir financier de
La presse libérale resta dans son rôle ; l’exposé du ministre des
finances fut traité de « plaidoyer officieux », d’ « apologie ingénieuse,
habile et pleine de finesse » ; à l’en croire, Malou « dresse une situation
financière comme le Père Loriquet fait de l’histoire » ; elle consent à
reconnaître qu’il est un habile homme, expert en l’art de grouper des chiffres,
« capable de faire voir blanc ce qui est noir ».
Mais elle n’en fut pas moins obligée de convenir qu’il fallait savoir
gré à Malou de cette publication ; elle dissipait l’inquiétude qui s’était
répandue dans le public et traduite à la tribune même par des accusations de
prodigalité et de dilapidation.
(page 156) Nous nous
garderons d’exagérations dans un sens ou dans l’autre. Un journal libéral
concluait : « En somme, nos finances, sans être dans un état aussi brillant que
voudrait le faire croire M. Malou, sont dans une situation satisfaisante… et le
crédit de
C’était là, à peu près, la note juste. Les budgets s’équilibraient, mais
péniblement. Malou lui-même, dans son exposé, ne dissimulait ses appréhensions
que pour rassurer les alarmistes.
En réalité, nous l’avons constaté, l’insuffisance des recettes le
préoccupait grandement. Il espérait trouver dans l’établissement d’un système
d’assurance obligatoire de toutes les propriétés par l’Etat un moyen
d’accroître annuellement de 4 millions le compte des rentrées.
Malou a rapporté lui-même la genèse de ce projet, qui eût sans doute
passé dans notre législation si les événements politiques n’en avaient décidé
autrement.
« C’est en cherchant quelle était la meilleure ressource à créer
pour subvenir aux besoins du Trésor que mon attention s’est fixée sur la
question des assurances d’Etat, » disait-il aux membres de
Il l’avait étudiée et y avait reconnu un élément productif et peu
onéreux de revenu. Il avait ensuite communiqué son projet à ses collègues ; il
fut décidé qu’il y serait donné suite par la présentation d’un projet de loi.
« Le Roi, ajoutait-il, que j ‘avais eu l’honneur d’en entretenir,
l’avait également accueilli avec faveur. »
(page 157) Léopold Ier
écrivait, en effet, à Malou, le 27 mars 1847 :
« J’ai lu avec grand intérêt les procès-verbaux des séances de
Cette appréciation du Roi méritait d’être notée.
Fort de l’appui de ses collègues et de l’approbation royale, Malou
soumit son idée au Parlement, avec une conviction bien arrêtée. « Pourquoi,
généralisant l’action protectrice du gouvernement, n’introduirait-on pas le
principe nouveau des assurances obligatoires par l’Etat ?... Pour moi, j ‘ai
longuement et mûrement réfléchi sur cette idée que je viens d’émettre ; je la
crois pratique ; je la crois dans la mission du gouvernement ; je crois que les
difficultés que sa réalisation présentera disparaîtront par suite d’un examen
approfondi... J’appelle donc tous les moyens d’examen ; j’espère que la session
de 1848 ne se passera pas sans qu’il me soit donné de faire entrer cette grande
idée dans le domaine des réalités. » (Annales parlementaires, 2 décembre 1846. Discussion du
budget des voies et moyens).
Des protestations, assez faibles, se firent entendre ; MM. Pirmez et
Osy’ s’élevèrent, au nom du libéralisme économique, contre le principe même de
l’assurance par l’Etat ; de la droite, aucune protestation ne surgit ; sur (page 158) certains bancs de la gauche,
la mise à l’étude du projet fut vivement appuyée.
Une Commission spéciale fut instituée par arrêté royal du 27 décembre
1846 pour étudier la question des assurances pour compte de l’Etat et pour
formuler un projet de loi.
Cette Commission tint quatorze séances, du 28 janvier 1847 au 8 décembre
de la même année. Les douze premières séances furent présidées par Malou. Après
la retraite du ministère de Theux et l’avènement du cabinet Rogier, le nouveau
ministre des finances, M. Veydt, représentant
d’Anvers, lui succéda à la présidence.
L’opposition a reproché à Malou d’avoir fait entrer dans cette
Commission sept partisans du monopole (MM. Brabant, Cans,
Ch. de Brouckere, Mast de Vries, Orban, Verhulst, Van
der Straeten) et de n’y avoir appelé qu’un seul adversaire, M. Cogels. Celui-ci
représentait particulièrement l’opposition de l’Association commerciale et
industrielle d’Anvers ; jugeant qu’avant même que
Il fut décidé que le gouvernement couvrirait seul et pour son compte
certains risques ; le système à primes, avec but financier pour l’Etat, fut
préféré au système d’assurance mutuelle obligatoire sons le contrôle de l’Etat
; l’Etat assurerait contre tous les risques d’incendie les bâtiments, meubles,
navires, marchandises commerciales, récoltes coupées ; contre la grêle, les
récoltes sur pied contre la mortalité, le bétail.
(page 159) Toutes ces
assurances, sauf celles des marchandises commerciales, seraient obligatoires.
Les assurances sur la vie, ainsi que l’établissement d’une Caisse
d’épargne et de prévoyance dont l’Etat aurait le monopole, feraient l’objet
d’un projet de loi spécial.
Cinquante-deux questions furent successivement soumises à
Il y aurait lieu à une expertise générale des immeubles ; les meubles
seraient estimés d’après la valeur locative multipliée par un coefficient à
déterminer ; les marchandises et les bestiaux, les récoltes coupées seraient
admis sur déclaration, sauf contre-expertise, les récoltes sur pied, d’après le
cadastre et la nature des produits.
Les primes seraient perçues en même temps que les contributions, par les
mêmes agents, et payables par douzièmes, sauf celles des assurances
facultatives, payables par anticipation.
Les réclamations seraient soumises, en règle générale, aux Députations
permanentes, sauf recours en cassation pour les questions de droit et devant
les tribunaux pour (page 160) les
contestations relatives à la liquidation des indemnités.
La mission de constatation des sinistres incomberait aux administrations
communales, dont le procès-verbal serait adressé à l’administration centrale ;
celle-ci liquiderait l’indemnité.
Pour les assurances obligatoires la réassurance serait interdite ;
interdiction absolue était faite d’exercer en Belgique la profession d’assureur
à l’égard des risques dont 1‘Etat se chargeait.
L’une des grosses questions était de savoir si une indemnité serait
allouée aux Compagnies à raison de leur suppression.
En ce qui concernait les Compagnies étrangères, il n’y avait pas de
difficulté, l’Etat n’ayant envers elles aucun engagement. La question était
plus délicate en ce qui concernait les Compagnies belges, autorisées par le
gouvernement pour un terme déterminé. Vingt-deux de ces sociétés existaient au
20 décembre 1846, avec un capital social de 43,892,856 francs, dont 6,818,610
francs seulement avaient été versés.
Pouvait-on limiter arbitrairement l’existence des Compagnies sans
froisser le droit que leur garantissait leur acte d’établissement ?
D’après Malou, toute la question était de savoir si la loi pouvait, dans
l’intérêt public, interdire telle ou telle industrie, même autorisée par un
acte du gouvernement, comme c’était le cas pour les sociétés anonymes. Pour
lui, la réponse affirmative n’était pas douteuse et M. Charles de Brouckere
alléguait à l’appui de cette thèse ce qui s’était fait en France lors de
l’établissement du monopole des tabacs. A plus forte raison, les Compagnies
d’assurance, simples associations de capitaux, ne subiraient-elles aucune
lésion qui pût motiver l’indemnité.
(page 161) Il fut donc arrêté
qu’aucune indemnité ne serait due à raison de la suppression des Compagnies. La
loi toutefois respecterait les contrats existants, qui seraient soumis à
l’enregistrement, pour avoir date certaine. Les Compagnies seraient autorisées
à se dissoudre en tout temps et à passer leurs risques à l’Etat. Les assurances
qu’elles possédaient à l’étranger seraient reprises par l’État, sauf le droit,
pour celui-ci, de se réassurer à des Compagnies étrangères.
Les discussions en étaient arrivées à ce point ; la présentation par le
ministre des finances d’un projet de loi semblait certaine ; il est même permis
de penser que le projet eût été voté par une de ces majorités mixtes qu’il est
souhaitable de voir appuyer tous les projets d’une importance considérable ;
mais, quelques semaines plus tard, la situation politique avait changé, les
élections de juin 1847 amenèrent à la Chambre une majorité libérale.
Le 12 août
Arrêté par
Il devait trouver au sein du Cabiuet tin
adversaire décidé et redoutable : M. Frère-Orban, ministre des travaux publics
le 12 août 1847, qui devint ministre des finances le 19 juillet 1848. Il allait
porter le coup de grâce au projet laborieusement échafaudé par
En effet, quelques mois après son entrée au ministère des finances, M.
Frère-Orban émettait publiquement et officiellement un avis défavorable au
système préconisé par Malou. (Quelques
considérations sur la question du monopole des assurances par l’Etat,
par le ministre des finances (novembre 1849)).
On ne peut nier que sa réfutation ait été à la foiscConcise
et nourrie. Il avait confié à une Commission spéciale, composée uniquement de
fonctionnaires supérieurs de son département, le soin de la préparer.
Résumons-la en peu de mots :
L’idée d’étendre le système des assurances par 1’Etat aux marchandises,
aux récoltes et aux bestiaux apparaît comme irréalisable ; il n’en est pas
ainsi de l’assurance d’Etat contre l’incendie, appliquée aux meubles et
immeubles. Cependant M. Frère repousse celle-ci comme constituant pour l’Etat
une occasion de charges et de pertes ruineuses, au lieu de la source de
recettes que les promoteurs de l’idée escomptaient : tout le revenu brut
s’engloutirait dans le montant total des sinistres à payer et des frais
d’administration. M. Frère-Orban estimait comme particulièrement onéreuse
l’obligation, qu’aurait eue l’Etat, d’assumer, en même temps que les bons
risques, les mauvais que les Compagnies n’acceptaient pas. Il s’étonnait « que
les hommes capables et réfléchis (page
163) qui composaient l’ancienne Commission, et qui avaient en quelque sorte
promis un produit de près de 4 millions, fussent tombés dans une aussi grave
illusion.
Il ajoutait, se plaçant au point de vue du principe même du projet, que
les monopoles d’Etat, d’après lui, ne se justifiaient qu’à la condition de
faire mieux et plus économiquement que l’industrie privée. Ce qui n’était pas
le cas, toujours à son sens.
La question du monopole de l’assurance par l’Etat, soulevée par Malou,
était définitivement enterrée par Frère-Orban.
En face de ce problème économique et financier, il semble bien que
l’attitude de l’un et l’autre des deux éminents ministres des finances ne leur
ait été dictée que par des convictions personnelles auxquelles la politique
demeura étrangère.
Malou, après la chute du ministère de Theux, conserva une foi entière
dans la nécessité et l’efficacité de son projet. Il disait à la Chambre : «
Dans mon opinion, que je maintiendrai, que je défendrai toutes les fois que
l’occasion s’en présentera, le seul impôt véritablement utile que vous puissiez
introduire en Belgique, c’est l’établissement du système des assurances, dans
son acception la plus large. » (Annales
parlementaires, 2 décembre 1847).
Son projet avait rencontré des partisans et des adversaires sur les
bancs les plus opposés de
M. Louis Orban, le jeune et très distingué député de Marche, auquel, en
mars 1846, le portefeuille des travaux publics avait été offert, écrivait à
Malou : « Je regrette, (page 163)
pour ma part, que vous ne soyez pas appelé à réaliser, comme ministre, cette
grande et utile conception. Toutefois les lumières dont vous l’avez entourée et
la part d’influence et, au besoin, d’initiative que vous conserverez toujours
dans les affaires du pays me donnent l’espoir qu’elle ne restera pas à l’état
de projet. » (Lettre à Malou (Laroche, 15 juillet 1847)).
M. J.-B. Nothomb comptait aussi parmi les partisans du monopole.
Au début d’un chapitre consacré au plan économique et financier de
Frère-Orban (M. Paul Hymans a publié dans
Nous ne contredirons pas M. Paul Hymans ; nous
lui demanderons seulement de s’accorder avec nous sur le sens qu’il convient
d’attribuer au mot déficit.
La situation du Trésor, au 1er septembre 1847, d’après l’exposé du
ministre des finances, était la suivante :
« Les exercices qui sont en cours d’exécution, de 1845 à 1847, disait M.
Veydt, nous laissent un déficit de 1,300,961 fr. 70
c.
» Les exercices clos de 1830 à 1844 nous donnent un excédent de
ressources de 1,944,656 fr. 51 c.
« La gestion des années antérieures à 1848 se présente donc, quant
aux recettes et aux dépenses portées aux budgets ordinaires, avec un solde
actif de 643,694 fr. 81 c.
« Et quant aux dépenses extraordinaires non comprises dans les
budgets ordinaires, elles s’élèvent à 23,500,960 francs. »
« Quelle est, demandait Malou à
« Messieurs, je dois l’avouer, lorsque je me suis fait produire,
d’après les livres de la trésorerie, d’après les documents officiels que j’ai
pu réunir, tous les chiffres qui concernent la gestion de ces dix-sept années
et lorsque je suis arrivé, moi aussi, à voir le solde de toute cette gestion
établi par quelques centaines de mille francs de boni, j’ai été surpris, le
doute m’a gagné. J’ai voulu vérifier par moi-même tous les faits.
« Je ne pouvais comprendre que nous eussions organisé à l’intérieur
nos forces militaires, que nous eussions maintenu pendant dix ans notre armée
sur pied de guerre, que nous eussions augmenté, dans le but de les rendre
productives, de les rendre plus utiles, toutes les dépenses que nous consacrons
aux services publics ; lorsque nous avions augmenté la dotation du clergé, de
la magistrature, de l’armée ; lorsque nos administrations centrales, nos
administrations dans les provinces avaient été réorganisées, et réorganisées de
telle manière que, bien souvent, on vient de l’étranger chercher des exemples
en Belgique ; je ne pouvais comprendre, dis-je, qu’en présence des
circonstances politiques, en présence des crises qui avaient accompagné la
naissance de notre jeune nationalité, nous fussions arrivés, après dix-sept
années, à avoir tout fait dans l’ordre matériel et dans l’ordre moral et à
avoir, en définitive, un boni comme résultat de cette gestion. »
Y avait-il donc ou n’y avait-il pas de déficit au 1er septembre 1847 ?
(page 166) « Pour moi,
disait Malou, il existe un déficit dans les finances de l’Etat, lorsque les
recettes et les dépenses ordinaires ne se balancent pas. C’est là, mais
seulement là, qu’il y a un déficit. Dans l’acception qu’on donne souvent à ce
mot, on est trop modeste en disant que le déficit ne s’élève qu’à 25 ou 50
millions : il faudrait dire que le déficit est de 586 millions. En effet,
messieurs, qu’importe qu’une dette soit constituée ou qu’elle soit flottante ?
Si toute espèce de dette est appelée déficit, vous devez appliquer la même
qualification de déficit aussi bien à la dette constituée qu’à la dette
flottante ; car, si vous raisonniez autrement, ce qui est aujourd’hui déficit
cesserait de l’être demain ; il suffirait pour cela de convertir la dette flottante
en dette consolidée. Le profit ne serait pas grand, puisque la dette consolidée
se serait accrue de toute la somme de la dette flottante que vous auriez
éteinte.
« Ainsi, si vous voulez donner au mot déficit le sens large que, par une erreur fondamentale, on lui
donne souvent, il faudra dire que le déficit comprend les 25 ou 30 millions de
la dette flottante, plus tous les capitaux dont vous êtes débiteurs, plus 586
millions de francs, capital de notre dette.
« Lorsque vous anticipez sur l’avenir, lorsque vous levez des
capitaux pour créer des travaux d’utilité publique, pour faire des acquisitions
d’immeubles, un emploi quelconque de capitaux, ce n’est pas réellement un
déficit que vous créez, c’est un capital que vous engagez, et toute la question
est de savoir si l’on ne va pas trop vite dans cet engagement de capitaux, si
l’on ne crée pas des embarras pour des circonstances difficiles ; la question
est encore de savoir si l’emploi auquel on affecte les capitaux est utile,
réellement productif soit d’une manière directe, soit d’une manière
indirecte... La question est donc double sous ce rapport. La destination donnée
aux capitaux pour travaux d’utilité publique est-elle justifiée ? Ces dépenses
sont-elles bonnes en elles-mêmes ? Et, enfin, le capital de ces dépenses
pouvait-il, devait-il raisonnablement être demandé à l’impôt ?
« Si vous me dites que l’emploi de ces capitaux est mauvais, (page 167) qu’on aurait pu donner à
cette partie du crédit public une application plus utile, vous qualifiez un
acte ; vous dites : « On a eu tort de faire telle ou telle dépense !» mais
vous ne dites pas que j’ai créé un déficit.
« Si vous reconnaissez, au contraire, et je pense que personne ne peut
le méconnaître, qu’on a utilement géré la fortune publique en créant le chemin
de fer, en développant notre système de communications, en perfectionnant nos
voies navigables, en rachetant des canaux, en affranchissant notre territoire
du ravage des eaux dans certaines localités, oh ! alors, il ne s’agit plus que
de savoir si ces capitaux devaient être demandés soit à l’impôt, soit à la
dette flottante, soit à la dette constituée.
Eh bien ! cette question ne comporte pas cinq minutes de discussion ;
tous les précédents de
« Il y a loin de là à un déficit, à cette espèce de fantôme
financier qu’il faut se hâter de faire rentrer dans les ténèbres. La dette
flottante doit être analysée non seulement quant à la nature des dépenses
qu’elle représente en quelque sorte, mais aussi quant au temps pendant lequel
on l’a créée. Et ici je touche à une question qui a été souvent agitée dans
cette enceinte : il y a du danger dans la dette flottante ; selon moi, le
danger existe lorsqu’on se lance précipitamment et étourdiment dans des
entreprises trop considérables.
« Sous ce rapport, examinez le tableau de notre dette flottante
actuelle et vous verrez qu’elle ne représente que la somme des travaux d’utilité
publique entrepris pendant les (page 168)
quatre ou cinq dernières années. Je fais des voeux
pour que, à l’avenir, on soit aussi prudent dans l’adoption des dépenses
nouvelles.
« Le chiffre de la dette flottante, d’après le mode d’émission
actuel, n’est pas, selon moi, disproportionné avec les facultés, avec la
situation du pays. »
En résumé, le legs des administrations antérieures au Cabinet du 12 août
comportait :
Quant aux recettes et aux dépenses portées aux budgets ordinaires,
l’équilibre avec un léger solde actif ;
Quant aux dépenses extraordinaires, couvertes par la dette flottante, un
passif de 23 millions et demi, représentant une somme égale de travaux
d’utilité publique.
Situation, en temps normal, parfaitement rassurante, mais qu’il importait
d’affermir en prévision de nouvelles années de crise, les années 1846 et 1847
s’étant soldées en déficit.
Malou avait recherché le moyen d’augmenter de deux millions au moins le
budget ordinaire des recettes ; il avait cru trouver dans l’établissement du
monopole de l’assurance par l’Etat la solution désirée, parce que l’assurance
n’eût pas constitué, pour les contribuables, de charge nouvelle, qu’elle n’eût
été que la rémunération d’un service public.
Lorsque, dans le même but d’accroître les recettes du budget ordinaire,
son successeur, deux ans plus tard, proposa l’établissement de nouveaux impôts,
notamment de l’impôt sur les successions en ligne directe, Malou considéra que
la nécessité absolue de l’accroissement n’était pas établie à suffisance. Il
combattit, avec une apparente contradiction, une mesure qui était, en réalité,
de nature radicalement différente.