Accueil
Séances
plénières
Tables
des matières
Biographies
Livres
numérisés
Bibliographie
et liens
Note
d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
Chapitre précédent Table des matières
Chapitre suivant
(page 116) A Bruxelles, aussi bien qu’à
Anvers, les élections de 1845 s’étaient faites dans un sens nettement
antiministériel,
Dans les Chambres, la majorité néanmoins restait unioniste. La retraite
de M. Nothomb s’imposait ; l’avènement d’un Cabinet, unioniste comme le
précédent, mais d’une teinte plus accentuée de libéralisme, paraissait la
solution indiquée de la crise.
Le secrétaire du Roi, M. Van Praet, fit des ouvertures à M. Rogier. M.
Jules Van Praet intervenait à cette époque dans toutes les crises
ministérielles et « de ce chef, notait spirituellement M. Ernest Vandenpeereboom, il doit connaître de jolies choses sur le
cœur humain, puisqu’il a vu bien des ambitions en chemise ».
M. Rogier demanda que
Le Roi fit appel alors à M. Sylvain Van de Weyer. Les théories libérales
autrefois défendues par le ministre belge à Londres, les idées philosophiques
qu’il professait dans ses écrits, donnaient des gages aux fractions les plus
avancées de l’opinion ; tandis qu’aux yeux de la majorité unioniste la
participation active de M. Sylvain Van de Weyer aux luttes politiques d’où naquit
notre indépendance, les éminents services qu’il avait rendus à
Il semble, contrairement à ce que rapporte M. Thonissen
(
M. Dechamps fut, avec M. Van Praet, le négociateur de la nouvelle
combinaison ministérielle : il fut entendu que M. d’Anethan
resterait à la justice et le général Dupont à la guerre ; M. Dechamps prenait
les affaires étrangères ; un libéral, M. d’Hoffschmidt accepta les travaux
publics ; le portefeuille des finances fut offert à M. Depage,
qui refusa. Le 30 juillet, le gouverneur d’Anvers fut mandé à Bruxelles. Il eut
aussitôt une entrevue avec M. Dechamps, le baron d’Anethan
et M Van Praet, qui lui proposèrent les finances (Lettre de
Malou au baron d’Huart, 30 juillet 1845).
Craignant de s’associer aux idées du ministre de l’intérieur, bien
différentes des siennes, Malou montrait (page
118) de l’hésitation. M. Dechamps, mieux au courant des dispositions de M.
Van de Weyer, entraîna la détermination de son ami Malou accepta.
« Si, écrivait-il le même jour au baron d’Huart, M. Van de Weyer n’avait
pas répudié les idées de M. Devaux et manifesté tons les sentiments d’un ancien
unioniste de 1830 - ce sont les expressions de M. Dechamps - j’aurais persisté
dans mon idée primitive. »
A son acceptation, il mit toutefois une condition : l’entrée dans le
Cabinet, comme ministre sans portefeuille, du baron d’Huart, ancien ministre
des finances dans le cabinet de Theux, sur les conseils duquel il voulait
s’appuyer. Le baron d’Huart et le comte de Muelenaere furent nommés membres du
Conseil sans portefeuille.
Constitué le 31 juillet 1845, le ministère comptait quatre unionistes
catholiques : MM. Dechamps, d’Anethan, Malou et de
Muelenaere, trois unionistes libéraux MM. Van de Weyer, d’Hoffschmidt et
d’Huart. Le général Dupont était ministre de la guerre.
Composé de cette manière, écrit M. Thonissen,
le Cabinet offrait à tous les partis des garanties de probité, de capacité et
de modération.
Très franchement accepté par les catholiques restés tous unionistes, M.
Van de Weyer fut, dès son arrivée au pouvoir, l’objet des attaques les plus
véhémentes de la part de ses anciens amis déçus dans les espérances qu’avaient
fait naître leurs succès partiels d’Anvers et de Bruxelles. Avant que le
ministre de l’intérieur eût ouvert la bouche, la guerre lui était déclarée. Les
hostilités (page 119) s’échangèrent
surtout au cours de la discussion de l’adresse au Roi, occasion habituelle de
longs et oiseux débats.
Ceux-ci s’élevèrent, cette fois, au-dessus du niveau coutumier ; la question
des ministères mixtes se posa devant le pays. Ce système politique, défendu
pendant quinze années par des hommes d’Etat éminents fut mis en accusation. Le
verdict de
La discussion générale s’ouvrit le 17 novembre.
« Demain, écrivait Malou à son frère, en présence d’une nécessité
évidente nous poserons à
De concert avec le gouvernement, la commission de l’adresse avait inséré
à dessein dans le projet rédigé par M. de Decker, une
vague formule de confiance dont M. Van de Weyer devait se déclarer non satisfait.
En effet, prenant la parole au début de la séance du 17 novembre, le ministre
de l’intérieur réclama l’insertion dans le projet d’adresse d’un paragraphe
conçu dans les termes suivants
«
Rapporter toutes les passes de cette joute oratoire, l’une des plus
brillantes de nos annales parlementaires, serait faire de l’histoire générale,
au lieu d’une histoire spéciale. A plusieurs reprises, le ministre des finances
fut pris à partie avec un acharnement singulier.
« Quelle confiance avoir en M. Malou, s’écriait M. Delfosse, lui
qui, après avoir donné une démission motivée sur les vives répugnances que le
système suivi par M. Nothomb lui inspirait et après avoir, devenu plus libre,
blâmé ce système, a tout à coup consenti à accepter, de M. Nothomb, des
fonctions plus élevées que celles qu’il avait perdues volontairement, des
fonctions politiques qui le plaçaient sous la direction immédiate de M. Nothomb
? »
C’est ici que se place un incident mémorable de la carrière politique de
Malou. Cet incident, provoqué par M. Henri de Brouckere (Chambre
des représentants, 19 novembre 1845), a été souvent inexactement rapporté. S’exprimant avec une modération
qui contrastait avec de précédentes véhémences de langage, l’honorable député
de Bruxelles s’était déclaré prêt à appuyer un ministère qui fût véritablement
mixte ; mais, avait-il ajouté aussitôt, « je ne me montrerais pas facilement
disposé à appuyer un Cabinet composé de six messieurs Dechamps, moins encore un
Cabinet composé de six messieurs Malou ».
A cette affirmation, Malou répondit par une boutade qui lui fut souvent
opposée par la suite ; reprenant les termes dont s’était servi son
interlocuteur, il repartit :
(page 121) « Lorsque
l’honorable membre a dit qu’il n’était pas disposé à appuyer un ministère
composé de six messieurs Malou, il n’a pas été assez loin. Je vais plus loin :
s’il y avait devant nous un ministère composé de six messieurs Malou et s’il
était possible de le combattre, je le combattrais. Il ne m’appartient pas de me
prononcer sur les sentiments de conciliation qui animeraient un tel ministère ;
mais je crois que, par sa composition même, il serait réduit à une complète
impuissance ; je crois qu’il serait fatal au pays, comme on l’a dit, parce que,
tout en désirant que l’opinion à laquelle j’appartiens, à laquelle je ne fais
honneur d’appartenir, soit représentée, et convenablement représentée, je ne
désire, ni pour elle, ni pour le pays, qu’il y ait un ministère entièrement
composé de cette nuance. »
Malou s’est départi, en cette occurrence, de la règle qu’il semblait
s’être imposée d’éviter d’inutiles et souvent dangereuses affirmations de
principes. Peut-être eut-il lieu de le regretter ; ses adversaires s’en
souvinrent ; le jour où Malou entra dans le ministère homogène formé par le
comte de Theux - le ministère des six Malou, - ils relevèrent la contradiction
entre son langage et sa conduite. Cette contradiction n’était qu’apparente :
Malou avait parlé au présent, sans engager l’avenir.
Dans la période de tâtonnements que traversait la politique belge, ces
variations étaient dictées par les circonstances aux hommes assez clairvoyants
pour ne pas s’entêter en une attitude et s’immobiliser pour une déclaration mal
interprétée.
La majorité de
Ce fut un moment d’enthousiasme, peut-être hors de mesure, pour l’unionisme
renaissant. Dans une brochure politique, qui est un chef-d’œuvre du genre, M.
de Decker s’écriait avec un lyrisme éloquent : « Je
n’ai pu me défendre de voir quelque chose de providentiel dans cette apparition
soudaine d’un vétéran de notre liberté, qu’un orage vient de jeter parmi nous
comme pour nous rappeler que nous sommes tous frères, par le baptême, d’une
même régénération politique et pour nous ramener tous aux sources primitives de
nos inspirations nationales. » (Quinze
ans (1830-1845), par P. De Decker,
membre de
Au sortir d’une crise qui avait failli l’emporter, l’esprit de 1830
semblait revivre d’une vie nouvelle. Une véritable allégresse régnait dans les
rangs, encore compacts, des hommes modérés de l’un et l’autre parti.
« Où sont ces dissentiments graves ? Quel est ce fonds d’idées qui
constituent des partis hostiles ? demandait à son tour Malou. Quelle est la
partie du programme avoué des hommes modérés de l’une des opinions qui ne pût
être signée par ceux que l’on dit appartenir à l’autre ? Depuis longtemps je
cherche, sans le trouver, le mot de cette énigme. »
Et il ajoutait encore :
« Quels que soient les dépositaires momentanés du pouvoir (et l’on
ne fait guère que passer sur ce banc de douleur), je souhaite qu’ils trouvent
dans les Chambres une majorité mixte, animée de l’esprit qui a présidé à la
direction des affaires du pays depuis 1830 ; si une pénible expérience devait
se renouveler, si l’existence de ministères exclusif devait amener encore des
luttes violentes, si les divisions de (page
123) partis tour à tour vainqueurs ou vaincus, majorité ou opposition,
devaient se perpétuer, bientôt peut-être serions-nous amenés à considérer comme
un bienfait une crise politique au dehors, qui, par l’imminence du danger
commun, ferait cesser nos discordes intestines. »
C’était, hélas ! le chant du cygne ; l’échec de M. Van de Weyer, le
Congrès libéral de 1846 allaient détruire ces illusions d’un moment. Mais les
espérances vives que l’unionisme renaissant avait suscitées laissèrent dans
l’esprit de nombreux unionistes catholiques des traces profondes ; ils vécurent
de ces espérances et s’abandonnèrent à une quiétude trompeuse. Il fallut, pour
dessiller les yeux, des éclats comme ceux de 1857. Dix ans après le
rembarquement de M. Van de Weyer, les catholiques, toujours fidèles au principe
de l’union, ne possédaient que des embryons d’organismes politiques, tandis
qu’en face d’eux le parti libéral s’était puissamment organisé.
Appelé au ministère le 31 juillet 1845 comme homme politique, Malou en
sortit homme d’État.
Il semble que toute l’activité du cabinet Van de Weyer se soit
concentrée dans le ministère des finances. Tandis que le ministre de l’intérieur,
comme dépaysé, n’arrivait, après neuf mois de pouvoir, qu’à donner le jour à la
loi sur la chasse, Malou, au contraire, faisait voter successivement d’habiles
mesures pour parer à la crise alimentaire et au malaise économique,
d’importants projets de loi sur les entrepôts francs, la comptabilité générale
de l’État, l’organisation de
Le peuple, surtout le peuple des Flandres, voyait approcher avec effroi
l’hiver de 1846. Une crise économique sévissait, compliquée d’une crise
alimentaire. L’industrie linière qui, jusque vers 1840, avait nourri
Et, comme si tous les maux eussent dû fondre à la fois sur
(page 125) Le gouvernement n’hésita
pas à prendre, sous sa responsabilité, les mesures que l’intérêt du pays
réclamait. Les Chambres se réunirent du 16 au 24 septembre en session
extraordinaire. Les remèdes à apporter à la crise firent seuls les frais de la
discussion.
Le gouvernement, par l’organe du ministre des finances, présenta un
projet de loi avant pour but de régulariser les dispositions prises par un
arrêté du 5 septembre. Le projet établissait la libre entrée des denrées
alimentaires, froment, seigle, pommes de terre, etc., jusqu’au 1er juin 1846, sauf un léger droit de
balance. La sortie de ces denrées était prohibée jusqu’à la même époque. Enfin
il était ouvert un crédit de deux millions pour des mesures relatives aux
subsistances, notamment pour des primes à l’importation des pommes de terre.
Ces propositions si justifiées, si impérieusement dictées par la
nécessité, valurent au ministre des finances les sarcasmes de l’opposition.
L’année précédente, il est vrai, Malou avait réclamé avec le comte de Theux une
protection plus forte pour l’agriculture. Il était obligé, après quelques mois,
de revenir à résipiscence et d’accepter ce que M. Delfosse qualifiait de
mission expiatoire. Un Frère-Orban eût peut-être hésité ; Malou était tout
l’opposé d’un doctrinaire. Il ne se sentait nullement abaissé sous le joug
impérieux des circonstances et s’y soumettait de bonne grâce. Il répondit à M.
Delfosse par une profession de foi en l’opportunisme, sa grande règle en
matière économique « Prétendre que les principes généraux doivent être
maintenus dans toute espèce de circonstances, ce n’est pas tenir compte des
faits, entrer dans la vie réelle, mais se maintenir dans des abstractions. Il
n’y a nulle contradiction à avoir établi dans la dernière discussion certains
principes et à en suspendre (page 126)
l’application aujourd’hui, en présence de faits que personne ne pouvait
prévoir. » (Chambre des représentants, séance du 3 mai 1845).
Le projet de loi fut adopté d’urgence. Grâce à ces énergiques mesures,
les effets de la crise se firent moins durement sentir ; les prix du froment et
du seigle n’atteignirent qu’une semaine 25 et 20 francs l’hectolitre ; les
importations de denrées s’élevèrent à 433 millions de kilogrammes.
(page 126) Après la Flandre, sa terre
natale, ce fut aux Anversois, ses hôtes, que Malou témoigna de son intérêt et
de sa sollicitude.
Après les commerçants, ce fut le tour des raffineurs anversois de faire
entendre des plaintes. Depuis une dizaine d’années, la culture de la betterave
sucrière (page 127) avait pris de
l’extension ; des fabriques de sucre indigène s’étaient élevées, faisant aux
raffineries anversoises de sucre exotique une concurrence redoutable. Dès 1843
la question s’était posée de savoir s’il fallait maintenir les deux industries
; dès ce moment, la question des sucres avait fait dans la législation une
encombrante invasion. Trois ans s’étaient à peine écoulés lorsque Malou, de
nouveau dut saisir les Chambres du problème des sucres (Le
droit d’accise sur le sucre brut de betterave était fixé à 30 francs par
La question sucrière, dès lors, n’eut plus de secrets pour lui. Il put,
chaque fois qu’elle se présenta devant les Chambres, l’aborder avec la sûreté
et la compétence d’un technicien. (Le 8 mars 1847, Malou déposa
un projet de loi relatif à la surveillance des fabriques de sucre de betterave).
(page 127) Deux grands projets de lois,
déposés presque simultanément, et qui devinrent la loi organique de la
comptabilité générale de l’État du 15 mars 1846 et la loi organique de la Cour
des comptes du 29 octobre 1846, établirent la haute compétence financière de
Malou.
Le premier projet était d’une importance primordiale : il ne s’agissait
de rien moins que d’établir l’organisation budgétaire, la comptabilité des
recettes et des dépenses de l’Etat belge. L’analyse de cette loi nous entraînerait
à un exposé et à une discussion de tout notre régime financier. Nous n’avons
retrouvé, d’ailleurs, aucun (page 128)
document inédit relatif à l’œuvre législative capitale du premier ministère de
Jules Malou et nous nous permettons de renvoyer, pour le surplus, au compte
rendu des débats parlementaires et aux ouvrages spéciaux (Chambre
des représentants, séances des 26 et 27 février, des 2, 3, 4, 5, 6 et 11 mars
1846. Sénat, séance du 13 mai 1846. Voir Ernest DUBOIS, Etude sur le système belge en matière de budget de l’Etat,
Bruxelles, 1904)).
Le plus bel éloge qu’on puisse faire de l’œuvre de Malou, c’est quelle
subsiste encore. Une critique pouvait être faite à la loi de 1846 : elle
forçait le ministre des finances à déposer dix mois à l’avance, c’est-à-dire à
la fin de février, le projet de budget qui n’était discuté par les Chambres
qu’en novembre et décembre, souvent plus tard, toujours trop longtemps après la
préparation du projet et presque toujours hâtivement. Il est vrai que ce projet
de budget n’était que provisoire ; le budget amendé, que le ministre présentait
plusieurs mois après le premier projet, était seul réellement discuté. La
critique était d’ordre théorique plus que pratique. Depuis lors, il y a été
remédié (Loi du 24 juillet 1900). Le projet de budget est distribué avant le
31 octobre de l’année qui précède l’ouverture de l’exercice. Cette modification
à la loi de 1846 n’a toutefois ni accéléré, ni amendé le débat budgétaire
lui-même.
Il fut admis que
Le projet fut adopté à l’unanimité.
On se trouvait en pleine crise ministérielle lorsque s’ouvrit la
discussion du projet de loi d’organisation de (page 129)
La difficulté la plus lourde, à son sens, était de concilier
l’indépendance du contrôle préventif de
L’ensemble du projet de loi fut voté à l’unanimité ; il n’y a été
introduit aucune modification organique jusqu’aujourd’hui.
Deux succès aussi éclatants vengeaient amplement Malou des attaques dont
il avait été l’objet à propos de ce que l’on appela l’affaire Habets.
L’abbé Habets, cuvé de Sainte-Croix à Liége,
occupait une partie de l’ancien palais des princes-évêques de Liége et l’avait
converti en maison de refuge pour les filles repenties. Le gouvernement, en
quête d’un immeuble où il put loger l’administration provinciale, vendit à
l’abbé Habets, de la main à la main, l’ancien hôtel
provincial incendié. La gauche fit de cette opération un scandale ; elle accusa
le ministre des finances d’avoir prévariqué de ses droits en ne faisant pas une
vente publique, d’avoir fait un marché de dupe. Tour à tour, M. Rogier, M.
Verhaegen, M. Delfosse, M. Lebeau reprochèrent à Malou de n’avoir écouté que
ses sympathies pour la mainmorte. Cet incident, depuis longtemps oublié, remua
longtemps la presse et l’opinion publique.
Au conseil des ministres s’agitait, en ce moment, une question grave,
celle de l’enseignement moyen, sur laquelle l’entente était loin de se faire.
Le discours du Trône annonçait un projet de loi. A diverses reprises, au cours
de la discussion de l’adresse, les membres du Cabinet avaient affirmé
l’homogénéité de leurs vues. Le fondement de cet accord était le projet de loi
présenté naguère par M. Rogier.
Mais l’homogénéité était plus apparente que réelle ; le jour où il
fallut songer à l’application des principes admis en thèse générale, des
dissentiments profonds se firent jour.
Les idées que l’on prêtait à M. Van de Weyer n’étaient pas sans alarmer
les catholiques. Malou rassurait son frère : « Je ne puis vous dire qu’une
chose, c’est qu’il ne faut pas douter de moi. Je comprends l’importance (page 131) d’une bonne solution et
j’épuiserai tous les efforts les plus énergiques pour y arriver. » Hélas il ne
lui suffit pas de bon vouloir ; malgré des efforts poursuivis pendant de
longues années, il n’arriva jamais à la solution qu’il désirait.
Il semble, cependant, que M. Van de Weyer ait, au début, caressé l’idée
d’attacher son nom à une loi de conciliation semblable pour l’enseignement
moyen à celle qu’avec tant de succès Nothomb avait fait voter pour
l’enseignement primaire. Il semble même que cet accord eût pu se réaliser sur
la base du projet présenté, le 30 juillet 1834, par M. Rogier à
Mais M. Van de Weyer n’avait pas l’énergie de son prédécesseur. Ses amis
lui reprochaient son effacement, ses capitulations. Poussé vraisemblablement
par le désir de donner des gages de libéralisme, le ministre de l’intérieur
voulut compléter le projet de 1834 par « les développements indiqués par
l’expérience » (M. Van de Weyer proposait notamment les
modifications suivantes : création de dix athénées royaux au lieu de trois et
de douze collèges communaux ; défense d’adopter des établissements privés là où
il y avait des athénées ou des collèges communaux ; pas de subsides du
gouvernement aux établissements libres ; l’enseignement de la religion pouvait
être donné par les ministres du culte, mais l’action de l’autorité religieuse
était réglée par la loi.).
Il se trouva seul de son avis au sein du Conseil : M. d’Hoffschmidt présenta un
projet transactionnel ; les autres ministres s’en tinrent au projet de 1834. «
Si l’on ne (page 132) s’attachait
qu’aux principes constitutionnels et vraiment libéraux, écrivait à cette
occasion Malou (Notes
inédites sur l’enseignement moyen, 17 février 1846), les questions que soulève
l’organisation de l’enseignement moyen seraient très facilement résolues. Les
difficultés proviennent de ce que l’enseignement libre est considéré non comme
l’usage d’un droit, mais comme constituant une usurpation, un envahissement. «
Le clergé, ajoutait-il, de quelque religion que ce soit, est indépendant et
libre dans son action. Son concours ne peut être forcé. Il est seul juge des
conditions qu’il veut y mettre. » Le ministre de l’intérieur disait : Le clergé
a beaucoup d’établissements, donc créons-en beaucoup aux frais de l’Etat. Malou
répondait justement que la conclusion contraire lui paraissait seule logique et
bonne ; l’unique règle devait être de satisfaire aux nécessités. Il alla
cependant jusqu’à concéder qu’un athénée fût établi au chef-lieu de chaque
province ; il revendiqua, en même temps, le droit pour les communes d’adopter
et de subsidier comme il leur plairait les établissements libres. Il élabora un
projet de loi comportant les ultimes concessions qui pouvaient être faites.
Tous ces efforts échouèrent devant un désaccord de plus en plus
manifeste. Dans ces conditions, le 2 mars 1846, les ministres remirent leur
démission au Roi, qui chargea M. Van de Weyer de reconstituer un ministère sur
les bases de celui qui venait de démissionner (Les membres
du Cabinet du 13 juillet 1845 ont arrêté, en commun, des explications sur
l’objet de leurs dissentiments. Le départ de M. Van de Weyer rendait ces
explications nécessaires. Elles furent publiées en une brochure intitulée Dissentiment entre les membres du Cabinet
sur la question de l’enseignement moyen. Bruxelles, Deltombe,
1846).
(page 133) Si la formation
d’un nouveau cabinet Van de Weyer avait abouti, il est permis de croire que
Malou en eût fait partie. Il écrivait, le 16 mars, à son frère : « Ne croyez
pas aux bruits des journaux : ils prétendent que j’ai refusé de rester si le
ministère se complétait par MM. de Chimay, Orban et Prisse. (Sur
le refus de M. Louis Orban d’entrer dans cette combinaison, vo !r THONiSSEN, op. cit., t. IV, p. 168, note I). Ce n’est pas moi qui ai tremblé ; d’autres
n’ont pas osé, parce qu’un certain nombre de membres de la droite trouvaient la
combinaison ridicule et que le centre gauche, en grande partie, s’y trouvait
hostile.» Son frère lui donnait raison : « Tenez ferme, non seulement aux
principes, mais au portefeuille. Si quelqu’un doit céder dans le ministère, ce
n’est pas celui qui représente la majorité. »
Cependant, le « replâtrage » ne réussit pas et M. Van de Weyer s’en
retourna à Londres.