Accueil
Séances
plénières
Tables
des matières
Biographies
Livres
numérisés
Bibliographie
et liens
Note
d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
Chapitre précédent Table des matières
Chapitre suivant
(page 168) Il semble que la Belgique n’ait
dû qu’au résultat assez inattendu des élections du 8 juin 1847 de n’être point
dotée par Malou d’un système d’assurances d’Etat. Une majorité libérale hostile
à l’unionisme remplaça brusquement la majorité unioniste de
La surprise fut grande, même pour les libéraux ; un tel succès dépassait
leurs prévisions ; ils étaient vainqueurs, notamment à Gand, où leur liste passait
tout entière, à Alost, à Tournai, à Soignies, à Verviers.
Du côté des unionistes, cependant, la campagne avait été menée avec
vaillance ; toujours sur la brèche, Malou avait pris part en personne à la
polémique électorale et, sous le couvert de l’anonymat, adressé de son cabinet
ministériel à 1’Emancipation douze Lettres électorales, dans le but de «
substituer au langage de convention usité entre les partis la vérité des faits
et des actes ».
La première de ces lettres, intitulée Les Partis factices, était un vibrant plaidoyer en faveur de
l’union.
« La distinction actuelle des partis, y lisait-on, est (page 169) arbitraire et fausse. Il n’y
a pas de dissentiment de principe entre un libéral et un catholique.
Homogène, le ministère avait en beau se montrer « plus modéré que s’il
eût été mixte, plus vraiment libéral que s’il eût été libéral de nom », (Septième
Lettre électorale) toute l’action avait été dirigée
contre lui.
De la part des uns, l’hostilité était causée par l’homogénéité même du
Cabinet ; d’autres lui reprochaient sa trop grande modération. Du nombre de
ceux-ci était M. Barthélemy Dumortier, battu à Tournai.
« Me voici toujours victime de l’appui que je vous ai prêté, écrivait-il
à Malou au lendemain de son échec. Vous devez comprendre, mon cher ami, quelle
faute ç’a été pour le Cabinet de ne poser que des
actes libéraux Il faut donc que les libéraux arrivent, qu’ils passent et qu’ils
s’usent. Les catholiques sont une bonne vieille lame de Tolède rouillée ; il
faut qu’ils passent sur la meule et qu’ils crient ! » (M.
Barthélemy Dumortier écrivait à Malou, le 12 une nouvelle lettre, où il disait
encore : « L’accusation de clérical n’avait pu m’abattre ; celle de soutien du
ministère m’a tué. On a dit : Ce n’est pas M. Dumortier qu’il faut écarter,
nous l’aimons tous, mais c’est le ministère ! et ce moyen a réussi. Je meurs
donc politiquement, victime de mon dévouement envers un parti qui m’a souvent
bien méconnu. Finir une carrière de seize années par une ignoble proscription
pour compte d’autrui, c’est un peu dur mais, d’un autre côté, après avoir reçu
dans ma vie de tribun toutes les manifestations populaires qu’un homme puisse
ambitionner, il me manquait l’ostracisme, qui n’a jamais fait faute aux hommes
de convictions fortes. »)
Ce n’est pas la dernière (page 171) fois
que Malou s’entendra reprocher par certains catholiques ses « actes libéraux ».
Cette fois, le comte de Theux en partage avec lui la responsabilité.
Bien que le ministère eût conservé au Sénat une majorité, en
considération de la signification morale du scrutin, M. de Theux et ses
collègues déposèrent leurs portefeuilles. La crise ministérielle dura deux mois
et se clôtura par l’avènement au pouvoir, le 12 août, d’un ministère
Rogier-Frère. Pressé par son jeune collègue d’exécuter les voeux
du Congrès libéral, M. Rogier renonça définitivement à la politique d’union
pour s’abandonner à ce qu’il appela « la politique nouvelle » (Dans
la circulaire adressée aux gouverneurs de province (Moniteur du 12 août 1847)). Le ministère une fois engagé dans cette voie, M. Frère y acquit
rapidement une situation prépondérante.
La session parlementaire s’ouvrit, le 9 novembre, par un discours du
Trône qui sortit peu de l’habituelle réserve. Le comte de Theux, devenu depuis
la retraite du Cabinet du 31 mars 1846 le chef de l’opposition, déclara, au
commencement de la discussion du projet d’adresse, que la droite s’abstiendrait
au vote et ne présenterait aucun amendement. La minorité était décidée à
conserver, d’après un mot de Malou, une attitude de bienveillance expectante.
Soucieuse, avant tout, d’exercer, dans l’intérêt supérieur du pays, un
contrôle parlementaire sérieux, l’opposition s’inspirait d’une conception très
haute de son rôle ; dédaigneuse de parti pris, elle voulait reconnaître même
les mérites de propositions émanées d’adversaires ; Malou se faisait, en termes
élevés, l’interprète des desseins de la minorité.
« Des opinions consciencieuses et fortes comme la (page 172) nôtre, peuvent être modérées, peuvent attendre : elles
ont leur force ; elles ont pour elles le sentiment même du pays ; pour elles,
c’est peut-être un bonheur de se retremper dans la minorité. Je dis la
minorité, je ne veux pas dire : l’opposition… Membre de la minorité, je pourrai
être amené à combattre certains actes, jamais je n’attaquerai ni les opinions
ni les tendances...
« Pourquoi, dès aujourd’hui, prendrions-nous une position
d’hostilité systématique contre le Cabinet ? Ce mot « politique nouvelle » ne
doit pas être le motif d’une hostilité systématique contre vous. »
Il s’attachait à démontrer qu’aucune question vitale ne divisait les
partis en Belgique.
Expliquant la portée du vote d’abstention que la minorité allait émettre
au sujet du projet d’adresse, Malou indiquait les motifs qui, « malgré le vif
désir » qu’il en avait éprouvé, l’avaient empêché de voter en faveur de ce
projet. « Notre vote, déclarait-il, signifie notamment que, si nous avions en
ce moment le pouvoir de renverser le ministère, nous nous abstiendrions de le
faire. »
Comme cette déclaration inattendue soulevait des interruptions, il la
justifiait en ces termes : « Le Cabinet il faut bien le dire, est né escorté
d’espérances magnifiques ; une partie du pays croit qu’il suffisait de
l’avènement du Cabinet actuel pour guérir en un jour toutes les plaies
sociales. Eh bien ! il faut qu’aux yeux du pays l’expérience qu’il fait en ce
moment soit complète et pleinement concluante... Si vous échouez, alors le
malentendu aura en grande partie disparu, alors les partis seront transformés,
et la lutte aura un caractère vrai, un but d’intérêt national. » (Annales
parlementaires, 17 novembre 1847).
La préoccupation de maintenir l’union ou d’y ramener ses concitoyens
caractérise l’opposition de Malou aux premiers actes du Cabinet du 12 août ; la
marche progressive de celui-ci dans la voie de la politique nouvelle devait,
après quelque temps, modifier le ton de cette opposition et en accentuer
l’énergie.
Or, dans cette voie, le ministère s’acheminait à grands pas.
(page 173) Un premier engagement se livra
autour des arrêtés et circulaires instaurant ce que l’on a appelé la jurisprudence de M. de Haussy
en matière de legs et d’institutions charitables.
D’un trait de plume, sans crainte de heurter une jurisprudence
séculaire, le ministre de la justice supprimait, comme contraires à la loi,
certaines clauses testamentaires expressément stipulées par la volonté des
fondateurs et attribuait aux bureaux de bienfaisance la disposition des
libéralités confiées par les fondateurs aux soins de personnes privées
nommément désignées.
Cette première escarmouche de la guerre de dix ans que les partis
allaient se livrer - ironie des mots ! - sur le terrain de la bienfaisance et
de la charité, commença en janvier 1848. Dès le début, Malou fut dans l’arène
« Quoi s’écriait-il en réponse à un discours de M. de Haussy, la libre disponibilité existe pour chacun de nous,
de manière que nous pouvons, quand il n’y a pas d’ascendants et de descendants,
disposer au profit d’un tiers, d’un étranger (de la totalité de notre fortune ;
la loi n’a aucun compte à nous demander ; nous avons usé (page 174) d’un droit civil si l’on veut, mais d’un droit positif,
reconnu par la loi.
« Si l’on admettait qu’on peut réduire de moitié la donation faite
à des pauvres, quelle serait la conséquence ? Nous pourrions tous profiter de
la totalité d’une donation, à l’exception des pauvres ; votre législation
aurait pour résultat de créer un privilège, un seul... au préjudice des
pauvres.
« Le système du gouvernement est contraire à une idée chrétienne, à
une idée de civilisation ; dans toutes les sociétés où l’homme s’appartient à
lui-même, vous avez, par une volonté providentielle, la charité... Prenons
garde, au milieu de nos luttes de parti, que des idées d’intolérance ne
viennent exclure de la charité légale la pensée religieuse. Qu’on ne substitue
pas à la charité chrétienne, sous prétexte que la bienfaisance publique est
laïque, une philanthropie dépouillée du sentiment religieux et qui ne
répondrait pas aux croyances et aux convictions de la nation ! Rappelons-nous
que la charité est d’origine chrétienne et doit conserver ce caractère. » (Annales parlementaires,
22 janvier 1848).
Digne prélude de l’admirable défense que devait soutenir, dix ans plus
tard, contre l’opinion déchaînée le rapporteur du projet de loi sur les
établissements de bienfaisance !
Cependant, le ministre de l’intérieur, de son côté, jugeait opportun de
remanier, après six ans, la loi de 1842 sur la nomination des bourgmestres. On
se souvient qu’au cours de la discussion de cette loi, Malou avait rallié
La modification proposée par M. Rogier appelait l’intervention de la
députation permanente dans la désignation des bourgmestres choisis en dehors du
conseil. Dans l’opinion de Malou, dont la pensée avait été, en 1842, de
fortifier l’autorité du premier magistrat communal, de le soustraire à un
assujettissement trop étroit au corps électoral ou au conseil communal, le
nouveau projet du ministre de l’intérieur avait le défaut capital de
compromettre la dignité du gouvernement, d’intervertir la hiérarchie administrative,
en plaçant les bourgmestres sous la dépendance d’un rouage entièrement distinct
des administrations communales.
Cet avis fut partagé, à la gauche extrême de
Malou déclara qu’il préférait se ranger à l’amendement Castiau plutôt
que de voir dénaturer la loi de 1843 et placer les bourgmestres sous la coupe
des députations permanentes. Il vota contre le projet de loi.
Tandis qu’à la Chambre belge Malou tendait la main au plus avancé des
députés de gauche, dans le but de garantir l’autonomie communale, en France des
événements graves se déroulaient. Le roi Louis-Philippe consentait, le 24
février, en faveur de son petit-fils, à une inutile abdication.
Heureusement de sanglants déchirements furent évités (page 176) à la Belgique ; elle échappa
aux bouleversements politiques qui remuèrent l’Europe continentale.
La révolution de février n’en eut pas moins pour notre pays
d’importantes conséquences politiques, financières et économiques.
Soutenu par l’union étroite et patriotique des partis, le Cabinet fit
voter d’urgence certaines mesures qui recueillirent l’unanimité des voix au Parlement
: autorisation de percevoir huit douzièmes provisoires de la contribution
foncière, loi électorale abaissant le cens au minimum constitutionnel. (26
et 27 février 1848).
Si
A la faveur des événements de 1848, se produisait, plus tôt qu’on ne
pouvait s’y attendre, la crise qu’il avait annoncée, qu’il avait cherché à
prévenir en rendant moins instable l’équilibre entre le budget des recettes et
celui des dépenses, par l’établissement d’un système d’assurances d’Etat. « Ce
système, que je voulais réaliser au pouvoir, disait-il, conséquent avec moi-même
je travaillerai de tous mes moyens, de toute mon énergie à le réaliser dans ma
position nouvelle. »
(page 177) Force nous est
d’exposer avec quelques détails les aspects variés que revêtit la crise
financière de 1848, paralysant la circulation métallique, rompant l’équilibre
budgétaire, précipitant le pays dans la voie de l’emprunt forcé, des émissions
de papier-monnaie, menant à deux doigts d’une suspension de payement le premier
établissement financier de
Les perturbations politiques ont habituellement pour conséquence de
raréfier la circulation du numéraire. Ce fut, dans nos provinces, le premier
résultat de la révolution de février.
D’accord avec le gouvernement, Malou proposa d’y remédier en donnant
temporairement cours légal à certaines monnaies étrangères. C’est ainsi que
souverains anglais, florins des Pays-Bas entrèrent momentanément dans la
circulation monétaire de notre pays.
Malgré ce palliatif, l’appauvrissement de la circulation métallique
continuait de provoquer du malaise dans toutes les couches de la société.
Interprète de l’industrie, du commerce, de la petite épargne, la direction de
Des esprits timorés firent aussitôt entendre des craintes qui ne
restèrent pas sans écho ; dans bien des familles le papier-monnaie avait laissé
de désastreux souvenirs : une parenté éloignée à la vérité, mais compromettante
cependant, avec l’assignat de ruineuse mémoire, l’escortait de méfiance et de
craintes.
Sans se laisser arrêter par l’émoi de l’opinion, plein de foi, au
contraire, dans l’avenir économique de
Ces mesures, quelque promptes qu’en eussent été l’initiative et
l’exécution, ne suffisaient pas pour faire face la crise. Le ralentissement
général des affaires, leur stagnation momentanée, avaient provoqué une
diminution de recettes pour le trésor, tandis que celui-ci avait à faire face à
un accroissement de dépenses nécessitées par les mesures d’ordre intérieur
qu’il avait fallu prendre en hâte. L’équilibre budgétaire fut rompu et la
balance pencha. C’était la crise prévue dès longtemps par les clairvoyants.
A quel artifice recourir ? Accroître encore, et dans de fortes
proportions, la dette flottante, on n’y pouvait plus songer ; contracter un
nouvel emprunt, lorsque le crédit public était ébranlé, c’était s’exposer aux
plus onéreuses conditions, sinon courir a un échec certain.
Et cependant il fallait de l’argent, il en fallait à tout prix et
beaucoup ! L’emprunt volontaire était difficilement réalisable, mais il y avait
l’emprunt forcé, dure rançon des époques de crise. Le gouvernement crut devoir
recourir à ce moyen extrême : il sollicita des Chambres l’autorisation
d’émettre un emprunt forcé de 40 millions à 5 p. c., à prélever sur les
contributions foncières et personnelles, sur les rentes hypothécaires, sur les
traitements et pensions payés par l’Etat. Cet emprunt devait permettre des dépenses
militaires (page 179)
extraordinaires et servir à l’exécution de grands travaux publics (Déjà,
le 31 mars, un crédit supplémentaire de 9 millions à prélever sur l’impôt avait
été voté en complément au budget de la guerre. Malou fut rapporteur de ce projet
de loi, dom l’urgence fut reconnue).
Cette fois, le ministère rencontra, au premier rang des adversaires de
son projet, celui qui, jusqu’à ce jour, lui avait généreusement tendu la main.
Inquiet de l’opposition qui se dessinait, le ministre avait réduit à 27
millions et demi l’import du crédit qu’il sollicitait. Malou n’en persista pas
moins à se déclarer adversaire d’un projet d’emprunt aussi considérable, qu’il
n’estimait pas nécessaire.
Il envisageait les conséquences reculées de cette mesure extrême « S’il
est un principe vrai, disait-il le 18 avril à
Malou ne croyait pas à la nécessité de recourir à un emprunt de 27
millions, nouvelle charge pour l’avenir, et d’autant plus lourde qu’elle
n’était que partiellement destinée à accroître le patrimoine des richesses
productives de la nation. Il s’était imposé comme règle de ne (page 180) jamais démolir d’une part
sans bâtir de l’autre ; il ne se contentait pas de l’art aisé de la critique,
mais recherchait une solution aux difficultés, même lorsqu’il voyait aux prises
avec elles des adversaires. De commun accord avec la majorité de la section
centrale, il proposa la réduction à 10 millions de l’emprunt forcé et
l’émission nouvelle de 16 millions de papier-monnaie.
A la lecture de cette proposition, Rogier sursauta :
« Je saurai, s’écria-t-il, résister aux excès du papier-monnaie, qu’il
s’appelât bons du trésor, bons de caisse, billets de banque ou assignats ! »
Malou, avec une confiance plus sereine, démontra qu’il n’y avait, pour la
résistance du crédit national, aucun danger à le charger de 60, voire de 80
millions de papier-monnaie ; sur ses reins souples,
Leur opinion ne prévalut point ;
(page 180) La raréfaction du numéraire, le malaise provoqué par le
prélèvement de l’emprunt forcé furent, certes, parmi les motifs des retraits
effectués en masse à la Caisse d’épargne de la Société Générale, dans le cours
des premiers (page 181) mois de 1848
; sans doute, les événements de février furent l’occasion de troubles
économiques dont l’on ne pouvait prévoir la brusque survenance. Mais il ne faut
pas chercher aussi loin l’une des principales causes des difficultés qui
menèrent
Bien que l’existence de notre premier établissement financier ne fût en
question à aucun instant, la crise fut angoissante pour les intéressés.
Malheureusement la direction de
La crise survenant au lendemain des événements de février,
(page 182) Des valeurs sûres,
réalisables la veille, ne rencontraient plus d’acheteurs ; les recouvrements se
voyaient paralysés par la même cause et les demandes de remboursement
affluaient à
Quarante mille déposants attendaient, anxieux. Pour le Gouvernement, la
responsabilité était lourde. La mesure proposée serait-elle efficace pour
Bientôt un nouveau recours fut nécessaire ;
Malou prit alors résolument la défense de
« Sans doute, messieurs, l’initiative qui appartient à tout membre
de
« On se préoccupe des inconvénients de la mesure, on signale des
moyens, le plus souvent incomplets, pour sortir de la situation où nous sommes
; mais, la solution la plus désastreuse de toutes, pour tous les intérêts,
serait un simple vote de rejet, parce que les conséquences, à mes yeux et à vos
yeux tout à l’heure, je l’espère, en sont incalculables…
«
« Non, messieurs, nous avons vaincu les difficultés politiques,
associons nos efforts pour vaincre les difficultés financières ; associons nos
efforts, non pour arriver à un vote qui serait un désastre demain, mais pour
arriver à un vote qui sauve tous les intérêts.
« Je le dis avec une conviction profonde, si vous pouviez
aujourd’hui émettre un vote négatif, vous auriez décrété par le fait la
faillite de
« Vous voulez faire des catégories parmi les déférants
; vous dites que le service de
« Vous feriez arbitrairement des catégories, mais quelles en seront
les conséquences ? Vous aurez détruit le plus grand établissement financier du
pays, vous l’aurez déclaré, par la force des choses, en état de sursis ou, pour
parler avec plus de vérité, en état de faillite.
« Et ce serait, en quelque sorte, à plaisir, sans nécessité bien
démontrée, que vous déclareriez aujourd’hui, dans la situation politique où
vous êtes, que le plus grand établissement du pays sera fermé ; c’est lorsque,
par une loi, vous avez donné à cet établissement le droit de battre monnaie,
lorsque vous l’avez, en quelque sorte, associé à la souveraineté nationale, que
vous déclareriez qu’il doit se fermer
« Je fais abstraction, en ce moment, des erreurs et des fautes du
passé : les intérêts publics ont leurs exigences impérieuses ; des
récriminations seraient stériles et vaines. En fait, cet établissement se trouve
aujourd’hui à la tête d’un mouvement d’un demi-milliard, il soutient l’immense
mouvement industriel qui s’est développé en Belgique ; depuis
(page 185) « Quelle est
la faute qu’à l’imitation d’autres institutions de même nature,
« On a donc tort de croire que les embarras actuels de
« Mais le jour où, par des mesures efficaces, on pourra réaliser
une partie de cet actif,
Mûri par deux années de pratique gouvernementale, Malou était en
possession de la plénitude de son talent. Lorsqu’il apportait à la défense
d’une cause menacée le concours de son autorité, grandie de l’éloquence, il
emportait bien des convictions.
Le projet qu’il avait défendu fut voté à une majorité des deux tiers de
A côté de Malou, il faut placer, parmi les défenseurs de
Celui-ci fut le dernier défendu à
(page 186) La loi des incompatibilités,
dernier acte de la session de 1847-
« Deux principes ont prévalu jusqu’à présent dans notre
organisation politique : la liberté électorale et la liberté parlementaire. D’après
le premier, sauf en ce qui concerne les membres de
« Le gouvernement pense que l’opinion publique, d’accord avec
l’intérêt bien entendu de l’administration, et la pratique sincère du
gouvernement représentatif réclament sous ce rapport un changement de système.
Tels sont, du moins, les motifs du projet qui vous a été présenté le 27 avril
dernier. » (Rapport présenté à
Ainsi s’exprimait le rapporteur du projet de loi. Ce rapporteur, désigné
par la section centrale, émanation elle-même de la majorité de chacune des
sections de la (page 187) Chambre,
était Malou. Le choix était significatif. On n’avait pas oublié la démission
retentissante de l’ancien chef de la direction de la législation. Et, comme si
l’on avait voulu à dessein donner plus de poids et d’autorité aux conclusions
du rapporteur, on avait choisi celui qui paraissait indiqué pour parler
d’expérience personnelle.
Malou était d’avis qu’il fût procédé une bonne fois à l’exclusion de
tous les fonctionnaires et employés salariés par l’Etat, à l’exception
seulement des ministres. Le projet du gouvernement admettait des exceptions en
faveur des lieutenants généraux, des gouverneurs élus dans une province qui
n’était pas celle où ils représentaient le pouvoir exécutif, des conseillers
aux cours d’appel.
Le rapporteur de la section centrale, qui, en se faisant l’interprète de
ses mandants, exprimait bien son opinion personnelle, rejetait les exceptions
admises par le projet gouvernemental ; il étendait la notion d’incompatibilité,
atteignant ainsi jusqu’aux agents du caissier général, aux commissaires du
gouvernement auprès des sociétés anonymes, aux avocats en titre des
administrations publiques.
« Le seul principe nouveau, disait-il, qui soit en harmonie avec la
réalité des faits, avec l’honneur du passé comme avec les exigences de
l’opinion publique, telles qu’elles sont reconnues par le gouvernement, c’est
d’exiger que désormais tous les fonctionnaires se vouent exclusivement à leurs
fonctions. Celle paraît être la pensée dominante des sections ; tel est le
point de départ de la section centrale. »
De nombreuses raisons avaient poussé le gouvernement et
« Plus le pouvoir judiciaire est indépendant, plus ses droits
constitutionnels sont étendus, plus, disait-il, nous devons éviter qu’il
intervienne dans la politique. Je conçois qu’on connaisse les opinions de
chaque membre de l’ordre judiciaire. La liberté des opinions existe pour eux
comme pour les autres citoyens. Mais il ne suffit pas que leurs opinions soient
connues pour qu’ils doivent intervenir dans les luttes de la politique. La
dignité de la magistrature pourrait y perdre. Les justiciables ne
pourraient-ils pas quelquefois penser, à tort sans doute, que l’homme politique
siège sous la robe du magistrat ? » (Annales parlementaires, 10 mai 1848).
Il n’était pas moins significatif d’entendre un ancien gouverneur
exprimer que « si l’on veut une administration active et bien constituée, il
est nécessaire, toute autre considération mise de côté, d’obliger les
gouverneurs à se trouver constamment à leur poste » et, pour cette raison,
repousser toute exception en faveur des gouverneurs de province.
Il s’appliquait surtout à faire ressortir l’impossibilité matérielle du
cumul des fonctions administratives ou judiciaires avec un mandat législatif.
Le fonctionnaire, fatalement, absorbant le député, ou le député le
fonctionnaire, le public en arrivait naturellement à conclure à l’inutilité des
fonctions elles-mêmes, et c’était là un nouveau danger.
(page 189) De toutes les
critiques qui furent émises contre le principe de la compatibilité, il en est
une dont Malou refusa de se faire l’écho, qu’il repoussa, au contraire, comme
injurieuse et calomniatrice : celle qui jetait sur les fonctionnaires-députés
un soupçon de vénalité. « Lorsqu’il s’agit de substituer au principe qui a régi
le pays pendant dix-huit aunées un principe nouveau, le point de départ ne peut
être la supposition, contre laquelle protestent les partis, que l’indépendance
du député de la nation, quelle que fût sa position personnelle en dehors de l’enceinte
législative, n’ait pas existé. » Personne n’était plus autorisé que lui à
ajouter : « L’indépendance, qui est au fond du caractère national et qui
l’honore, a été non seulement proclamée, mais pratiquée. »
Nous ne suivrons pas le rapporteur de la loi des incompatibilités
parlementaires dans le développement de sa démonstration de la
constitutionnalité du projet, qui n’est plus contestée aujourd’hui.
« Lorsque, disait-il en terminant, on proclame par la loi que le
fonctionnaire salarié ne peut être en même temps membre des Chambres, ou
n’atteint ni le droit de l’électeur, ni la capacité de tout citoyen d’être élu,
lorsqu’il réunit les conditions que
Le vote d’une loi des incompatibilités parlementaires s’imposait comme
une nécessité ; on peut se demander, toutefois, s’il fallait lui donner une
extension aussi générale. La réforme de 1848 eut certainement pour résultat
d’abaisser le niveau de la capacité et de la compétence de nos législateurs et
de priver le Parlement de (page 190)
précieuses collaborations. Malou était le premier à le reconnaître. « Il
suffit, disait-il, de consulter les Annales du Parlement belge pour se
convaincre que le concours des fonctionnaires de tout ordre, dans des
circonstances diverses et selon la nature des affaires, a été utile à l’œuvre
de la législation. » Les Chambres se trouvaient, en somme, dans la situation du
malade convaincu qu’une amputation est nécessaire et résigné à faire usage de béquilles.
La loi fut votée, crainte de perpétuer les abus et d’en faire naître.
Sans doute, écrivait encore Malou, cette règle admise,