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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 92) Que les élections de juin 1845
dussent entraîner un retour offensif du libéralisme exclusif, rien n’était plus
certain. Malaisément contenus par M. Nothomb, les efforts de l’opposition
redoublaient à mesure que croissait l’impopularité du ministre de l’intérieur.
Manifestement peu enthousiastes des actes et de la politique du Cabinet, les
catholiques reconnurent, cependant, qu’il y avait antre chose en jeu qu’une
personnalité. Une débâcle ministérielle, c’était l’effondrement d’un système de
conciliation des partis, de la politique d’union que M. Nothomb et ses
collègues incarnaient an pouvoir. Tièdes « nothombistes
», les catholiques restaient unionistes fervents.
Devant le péril commun, les divergences s’aplanirent. L’on ne vit pas,
pour des dissentiments personnels, s’écarter de l’action les défenseurs
solidaires de l’unionisme menacé.
(page 93) A la vérité, l’exemple
vint du ministre lui-même. M. Nothomb, qui savait gouverner, voulut prévoir. Il
abandonna toute rancune et ne recula pas devant les plus énergiques résolutions
pour s’assurer le concours des modérés des deux partis.
Il fallait, aux endroits les plus menacés, placer en vigies des hommes
habiles à démêler le sentiment de l’opinion publique, capables de donner le
coup de barre et de franchir avec le bâtiment avarié du Cabinet mixte une passe
hérissée d’écueils.
L’engagement décisif devait se livrer à Anvers et les efforts des deux
partis convergeaient vers ce point culminant qu’occupait M. Rogier. Il
importait que le gouvernement fût représenté dans la place par un tacticien
habile, la politique conciliatrice par un partisan dévoué autant qu’averti.
Pour arriver à ces fins, M. Nothomb n’hésita pas à transférer du
gouvernement d’Anvers à celui de Liége M. Henri de Brouckère ; il fit appel,
oubliant tout ressentiment, à Malou, qui se trouvait en ce moment à Ypres,
parmi les siens.
« Il nous serait bien agréable, lui écrivait-il, de pouvoir, en même
temps (En même temps que la nomination de M. Henri de
Brouckère au gouvernement de la province de Liège), publier votre nomination. » Il ajoutait :
« Les relations que j’ai eues avec vous m’ont laissé un trop agréable
souvenir pour que je ne désire pas les voir se renouveler. » (M.
J.-B. Nothomb à Malou, 3 septembre 1844).
Dans un billet joint à la missive du ministre de l’intérieur, M.
Dechamps faisait appel à un sentiment avec lequel son ami, il le savait, ne tergiversait
pas celui du devoir. Sans ambages, il lui exposait ce que le Gouvernement
attendait de sa coopération « Sauver les (page
94) élections dans la province d’Anvers, c’est sauver les élections de
1845, c’est sauver la position parlementaire.» (M. Dechamps à
Malou, 3 septembre 1844).
Prévenant chez Malou les hésitations qu’il devinait, en présence
d’avances aussi inattendues, M. Dechamps ajoutait d’un ton pressant : « Je
connais par cœur le genre d’objections que la tentation, permettez-moi ce terme
un peu ascétique, va vous suggérer. Je les ai pesées à votre point de vue, en
ami sincère et, croyez-moi, elles ne sont qu’apparentes, en présence du devoir
impérieux et grave dont vous avez la responsabilité. Il est impossible que vous
permettiez que l’on dise : Vous avez pu tout sauver, vous avez laissé tout
perdre »
L’acceptation de Malou, sa nomination au gouvernement de la province
d’Anvers, parue le 5 septembre au Moniteur,
soulevèrent une tempête dans la presse. On accusa M. Nothomb d’avoir voulu
« faire d’une pierre deux coups», de s’être débarrassé, à Anvers de M.
Henri de Brouckere, d’avoir, en nommant à un poste élevé « M. Malou, l’Achille
d’une petite armée de mécontents dans le camp clérical, cherché à satisfaire le
parti théocratique, dont, au Parlement, MM. Dechamps, Malou et de Decker sont sans contredit les hommes les plus capables, »
(Journal de
Liége, 11 septembre 1844) d’avoir fait disparaître « un ennemi habile
et modéré jusqu’à la cruauté ».
Naturellement, à Malou on reprocha de représenter un gouvernement que,
quelques mois auparavant, il refusait de servir. On faisait prévoir un accueil
très froid et un échec complet.
Appelé au gouvernement de la province d’Anvers, (page 95) bien qu’absolument étranger à notre métropole commerciale
et nommé dans les conditions politiques les plus défavorables, Malou conquit
rapidement, par l’application à ses fonctions, par le souci des intérêts du
commerce anversois, par son activité toujours en œuvre, la sympathie et le
respect de ses administrés. Il passait, non sans raison, pour avoir peu de goût
pour la représentation ; mais les salons de l’hôtel provincial s’ouvrirent et
il se trouva réhabilité dans l’opinion de ceux qui l’avaient marqué de cette
tare. Pour faire face à la fois à ses obligations de député d’Ypres, de
législateur, d’agent exécutif du pouvoir central, il se multiplia véritablement
durant quelques mois, effectuant cette somme de travail qui déconcerte chez
certains hommes de grande action.
(page 95) Les préoccupations d’intérêt
local ne le détournaient pas de la politique générale. Il en aurait eu
momentanément la tentation que ses amis eussent tôt fait de l’appeler à la
rescousse. A la veille de la rentrée des Chambres, M. Barthélemy Dumortier lui
écrivait : « Nous ne voulons plus être menés par ce petit centre gauche si
pauvre, si minuscule et qui a pourtant la prétention de mener l’Etat. De deux
choses l’une, ou bien nous triompherons, et alors ce sera une grande leçon, ou
bien nous succomberons, et alors nos gens mous deviendront vigoureux. Il faut
que le Cabinet se découvre, afin que chacun sache qu’en penser. Fixez une
réunion ; qu’aucun ministre n’y soit convoqué ; surtout, ferme au poste et
l’œil au guet. J’y serai. » (M. Barthélemy Dumortier à Jules
Malou, octobre 1844).
(page 96) En vérité, il
n’exagérait pas. Fort des concessions que lui avait fait le ministère, le
centre gauche s’enhardissait. L’un de ses membres, le baron Osy, au cours de la
discussion politique soulevée par le vote du budget de l’intérieur, déposa un
projet d’adresse au Roi pour réclamer la démission du ministère. S’attaquant à
M. Nothomb, le député d’Anvers s’écriait dans le feu d’une argumentation
agressive et personnelle :
« J’ai toujours reconnu que M. le ministre de l’intérieur avait une
facilité et une activité extraordinaires pour les grandes affaires de l’Etat ;
mais, depuis un an, mon opinion s’est bien modifiée ! Je lui accorde toujours
la réputation de grande activité, mais nous avons maintenant la preuve évidente
que son grand talent consiste à trouver des expédients pour se tirer d’affaire,
mais sans calculer les embarras qu’il aura par la suite ou qu’il léguera à ses
successeurs ; peut- être aussi pour empêcher d’autres hommes de lui succéder
si, comme je le crains, les embarras sont trop grands et trop difficiles à
surmonter. »
Au nombre des expédients dont il accusait M. Nothomb d’alimenter sa
politique, le baron Osy rangeait la nomination de Malou au gouvernement de la
province d’Anvers :
« M. le ministre, dans l’espoir de sortir d’un embarras, s’est
adressé à un des chefs de l’opposition de la droite, qui commençait à se former
et qui pouvait devenir très redoutable pour son existence ministérielle. Je
connais assez le nouveau titulaire, sa franchise, sa loyauté, pour être
persuadé que ce n’est pas lui qui reniera aucun de ses principes politiques,
mais que M. le ministre devra les subir et que, s’il ne le faisait pas, nous le
verrions, comme dans une autre occasion très grave, reprendre à
Plutôt flatteur pour Malou, pour l’autorité et l’indépendance de son
caractère, le langage du député anversois l’était moins pour le ministre de
l’intérieur. Le gouverneur d’Anvers se trouva en fort délicate posture.
Convenait-il de relever ces paroles ? Fallait-il laisser au ministre le soin de
s’expliquer ? Malou prit le parti de dissiper lui-même tout malentendu et
demanda la parole pour un fait personnel.
Il répondit avec un heureux à-propos :
« Messieurs, si je laissais passer en silence quelques-unes des
expressions du discours de l’honorable préopinant, je fausserais ma position ;
je fausserais, je crois, aussi, la position d’un grand nombre de membres de
cette Chambre.
« Quelle est, en effet, messieurs, la doctrine qui, au milieu de
certains éloges que je ne crois pas pouvoir accepter, a dicté les paroles de l’honorable
préopinant ? C’est que des chefs d’opposition, suivant l’expression qu’il a
employée, se laisseraient absorber ici ; c’est que nous n’aurions pas tous ici
les mêmes devoirs et les mêmes droits.
« C’est cette position que je ne puis accepter pour moi-même, et
que je crois qu’aucun de vous n’acceptera.
« D’abord, en ce qui me concerne, je ne puis accepter la
qualification d’avoir été un des chefs de l’opposition dans cette chambre. Déjà
longtemps avant les faits auxquels l’honorable M. Osy a fait allusion, il
m’était arrivé de faire de l’opposition. Il m’était arrivé d’en faire à
l’occasion de ces faits ; il m’arrivera d’en faire encore probablement à l’
avenir.
« Et, en effet, messieurs, il y a deux oppositions : il y a
l’opposition qui s’attache à des actes qu’elle croit mauvais, qui les combat et
dit pourquoi. C’est celle-là que j’ai faite (page 98) dans toutes les positions où je me suis trouvé depuis que
je fais partie de cette Chambre. C’est celle-là que je continuerai à faire dans
toutes les occasions.
« Il y a une autre opposition, c’est celle qui combat un système.
Il y en a une troisième. peut-être, c’est celle qui combat un homme.
« L’opposition de système, je ne l’ai jamais faite et j’espère que,
de longtemps, je n’aurai pas l’occasion de la faire. En effet, messieurs, les
systèmes de politique qui nous ont divisés jusqu’à présent sont bien nettement
dessinés par les discussions de ces dernières années. L’un de ces systèmes est
celui qui, prenant acte de l’existence de deux partis, veut que l’un de ces
deux partis domine dans le pays, gouverne seul. L’autre système est celui qui,
sans tenir compte des hommes et des circonstances, veut qu’on ait égard aux
intérêts de deux opinions considérables dans le pays. Je crois n’avoir jamais
dit un mot, dans ma courte carrière politique, qui fût contraire à ce dernier
système, sans m’occuper des hommes qui, momentanément, peuvent être au pouvoir.
L’honorable membre m’a rendu justice quand il a dit que je ne
renoncerais pas à mes principes. Mais il a été trop loin lorsqu’il a ajouté,
qu’en me nommant, le ministère s’était obligé à adopter mes principes, à
marcher derrière moi, pour me servir de ses expressions. Ni si haut, in si bas,
messieurs ; nous avons tous conservé et nous conserverons toute notre liberté
d’action dans toutes les circonstances qui pourront se présenter.
« Je demande pardon à
« Ni si haut, ni si bas. » Ces deux mots caractérisaient la situation.
M. Nothomb, en appelant Malou à occuper un poste éminent, n’entendait pas se
l’asservir ; de son (page 99) côté,
sans faire siennes toutes les idées de M. Nothomb, Malou ne jouait pas, au
détriment du ministère, le rôle équivoque qu’on lui attribuait. Répudiant
l’opposition de système et aussi bien l’opposition à la personne du ministre,
il continuait de faire de l’opposition aux actes du gouvernement, quel qu’en
fût le chef, s’il les croyait nuisibles au bien supérieur de l’Etat.
(page 99) Le débat se prolongea dans le
cours de plusieurs séances. Il s’en fallut que tous les orateurs apportassent
en leurs discours une égale modération de langage.
Après M. Osy, M. Delfosse et M. Lebeau se signalèrent par la véhémence
de leurs attaques contre le ministre de l’intérieur M. Verhaegen l’accusa
d’avoir « voulu abattre toutes les têtes pour ne régner que sur des cadavres »,
et, dans la chaleur de l’improvisation, se laissant entraîner sans doute au
delà de sa pensée, M. Dumortier s’écriait :
« Que s’est-il passé dans les discussions depuis deux ans ? Le
ministère a eu souvent les votes de la majorité ; mais son appui moral l’a-t-il
est ? Non, messieurs, son appui moral lui a toujours manqué. L’appui moral de
la majorité, il ne l’a pas eu, il ne l’a pas, il ne l’aura pas... Ministère de
conciliation ! ajoutait-il. Mais, messieurs, singulière conciliation que celle
qui se fait au moyen de l’abandon de ses anciens amis ! Singulière
conciliation, vraiment, que celle qui vient s’appuyer des intérêts de la
majorité que l’on invoque aujourd’hui, pour jouer et cette majorité et cette
minorité !
« Le système, le véritable système de M. le Ministre de
l’intérieur, le voici c’est de faire considérer et la droite et la gauche comme
n’étant composées que d’exagérés et de se donner lui seul pour un homme modéré
; c’est de mettre, autant qu’il le peut, les partis aux prises, (et toutes les
fois qu’un ministre s’est levé dans cette discussion, ç’a
été pour chercher à mettre les partis aux prises) c’est de mettre, (page 100) dis-je, les partis aux
prises, afin de pouvoir triompher à son aise c’est de diviser pour régner.
S’adressant personnellement à M. Nothomb, il s’écriait :
« Oui, vous avez de grands mérites ; vous avez une vaste
intelligence ; vous énoncez fort bien vos pensées ; vous avez du talent. Mais
vous avez perdu de vue la première de toutes les pensées qui doivent dominer un
homme d’Etat, pensée sans laquelle il n’y a pas de gouvernement possible, de
gouvernement complet possible : on administre par la tête, on ne gouverne que
par le cœur. (Très bien ! très bien !)
Il n’hésitait pas à dire, en terminant : « Faites disparaître du pouvoir
cette rouerie qui ne peut rester longtemps sans compromettre notre
nationalité. »
Nullement décontenancé au milieu du feu de ces attaques, le ministre
répondit malicieusement à M. Dumortier :
« Je pourrais demander à l’honorable préopinant comment il se fait
qu’aujourd’hui il prenne la parole au nom de cette majorité qui a dirigé les
affaires du pays depuis 1830. De quel droit parle-t-il au nom de cette majorité
? A-t-il fait partie de cette majorité de 1831 à 1840 ? N’a-t-il pas harcelé,
poursuivi, accusé (je devrais, me servir d’une expression plus forte) tous les
hommes qui se sont succédé au pouvoir et qui étaient les représentants de cette
majorité ? (C’est très vrai !)
Puisqu’il m’annonce des successeurs, s’il m’était permis de laisser
arriver à moi une pensée récriminatoire, je dirais : je souhaite à cette
majorité qui a trouvé tout à coup un organe si fidèle dans l’honorable membre,
je lui souhaite, dis-je, que l’honorable membre soit au nombre de mes successeurs.
Ce serait ma seule vengeance ! »
(page 101) Avec un admirable
sang-froid, le ministre tenait tête au déchaînement de l’opposition. Après
vingt-deux séances, le moment arriva, pour
Malou, dans ce grand débat, n’avait pris qu’incidemment la parole ;
cependant, sans le chercher, sans le vouloir, il était devenu l’un des chefs de
la droite ; l’opposition s’étonnait qu’il restât muet à son banc. Le
gouvernement, qui n’échappait pas à ses critiques, était en droit de compter
sur son appui pour la défense de la politique d’union. Ces raisons le
décidèrent, dans la séance du 27 janvier, à prononcer un discours politique, le
premier :
« C’est la première fois, depuis que j’ai l’honneur de siéger dans
cette enceinte, que je prends part à un débat politique proprement dit. Je le
fais d’abord parce que j’entends émettre, sur la position des fonctionnaires
qui font partie de cette Chambre, d’étranges doctrines et, en second lieu,
parce qu’aujourd’hui on n’attend plus seulement de nous des votes silencieux
que nous accordons depuis quelque temps, mais qu’on nous demande une adhésion
morale. Une adhésion morale suppose des explications, parce qu’en l’absence
d’explications, il pourrait y avoir des malentendus déplorables. »
Deux questions se posaient : celle de l’indépendance des fonctionnaires
; celle, également délicate, pour les catholiques en particulier, de la
confiance à accorder au cabinet Nothomb. Malou, dans son discours, les abordait
de front :
« Quelles sont les doctrines émises dans cette Chambre sur la
position des fonctionnaires ? J’entends parler (page 102) d’absorption ; j’entends parler d’hommes dont on fait la
conquête... Eh ! messieurs, faut-il donc aller si loin pour trouver des preuves
de l’indépendance des fonctionnaires membres de la Chambre ?...
« La vérité des choses, c’est que le fonctionnaire a, comme tout
autre, les mêmes droits, les mêmes devoirs, qu’il peut exercer, qu’il doit
remplir sans se préoccuper de la crainte du lendemain. »
Après avoir ainsi déblayé une partie du terrain, il poursuivait :
« Quelle est donc, maintenant, la question posée devant la Chambre
? On veut l’appui moral de la majorité ! C’est là, un hommage rendu aux
véritables principes du gouvernement représentatif : il ne suffit pas, pour
faire utilement les affaires du pays, d’une majorité numérique, il faut une
majorité sympathique. On a le pouvoir pour le pays, et vraiment, si on n’avait
pas le pouvoir pour le pays, je ne sais pas pourquoi on l’aurait...
« Pour se rendre compte des intérêts de l’avenir, il faut se rendre
compte de ce qui est au fond de ce pays. Deux partis existent, je n’hésite pas
à le dire ; peut-être, leurs tendances sont-elles mal définies ; peut-être
n’ont-ils le sentiment ni de leurs devoirs, ni de leur avenir ; mais ces deux
partis existent, c’est un fait dont il faut tenir compte. Ces partis se
transformeront ; d’autres dénominations plus dangereuses peut-être pourront
leur succéder un jour, mais tant que les partis existent dans nos institutions,
leur rôle est bien déterminé : les uns ont nécessairement une tendance à
l’opposition, les autres ont nécessairement une tendance à la conservation, à
l’esprit de majorité, s’il m’est permis de parler ainsi.
« La position des partis définie, quelle est la position du pouvoir
? Le rôle du pouvoir, c’est d’exercer sur les éléments les plus sages des deux
partis une action modératrice, une (page
102) action qui atténue ce que leurs tendances auraient de dangereux.
« Espérer, dans l’état actuel des esprits, l’extinction ou la mort
des partis, ou la mort de l’un d’eux, c’est la plus grande, la plus dangereuse
illusion qui puisse exister. Les partis ne meurent point, ils se transforment
et, si l’un des partis qui existent venait à disparaître, un autre lui
succéderait, Admettre le contraire, c’est admettre que, la où les opinions sont
libres, elles peuvent être unanimes. Eh bien, cela est contraire à l’essence de
l’homme !
« La mission modératrice du gouvernement doit s’exercer en
adoucissant les tendances ; elle doit s’exercer non pas en leur demandant le
sacrifice de leurs intérêts, mais en donnant à ces intérêts des satisfactions
légitimes.
« Cette mission doit s’exercer par l’autorité morale du pouvoir et
cette autorité morale du pouvoir est une chose trop peu appréciée : c’est elle
qui force les hommes aux opinions extrêmes à ajourner leurs espérances, c’est
elle qui les calme... »
Tout en déclarant nettement « ne pas adhérer à toutes les observations
émises en faveur du ministère », Malou ne se croyait pas autorisé à refuser sa
confiance au gouvernement. Jugeant la situation d’un point de vue plus élevé,
il laissait dans l’ombre les questions de personnes :
« Je ne m’occupe pas d’un homme, disait-il ; peu m’importe qu’il
ait commis quelques erreurs ; ce qui m’émeut, c’est l’intérêt du pays, auquel
je sacrifierais le ministère et moi-même.
« La question que je me suis posée est donc celle-ci : Est-il de
l’intérêt du pays de renverser le ministère d’une manière violente ?
« J’ai répondu que tel ne me paraît pas être cet intérêt... Je
pense qu’il y aurait injustice à ne pas tenir compte au ministère des services
qu’il a rendus, je pense que l’intérêt qui domine tous les autres, c’est l’intérêt
du pays, c’est (page 103) l’intérêt
de l’avenir ; que, pour sauvegarder cet intérêt, il ne faut pas, sans nécessité
bien démontrée, recourir à des mesures violentes. »
Ce langage éclairé trouva de l’écho dans
(page 104) Malou, dans l’entre-temps,
n’oubliait pas la mission particulièrement délicate qu’il avait assumée : celle
de défendre la politique de conciliation contre l’un de ses adversaires les
plus en vue, Charles Rogier.
Les élections étaient fixées au 10 juin ; le 25 mai, rien n’était décidé
quant aux candidatures, ni du côté conservateur, ni dans le camp libéral. Seule
l’opposition (page 105) de M. Rogier
était assurée. M. Dechamps s’en plaignait à Malou et semblait lui on faire un
reproche. « Vous nous désespérez par l’indécision dans laquelle vous nous
laissez relativement aux candidats à accepter ;... le temps s’écoule, et si
dans deux jours nous n’avons pas une liste arrêtée, nous sommes perdus, et par
votre faute. » (Lettre de M. Dechamps à Malou, 26 mai 1845).
En réalité, si Malou temporisait, ce n’était ni indécision, ni inertie,
mais calcul ; il voulait ménager à la liste conservatrice l’appui d’un homme
qui jouissait en ce moment de la sympathie générale : le baron Osy. Adversaire
de la politique libérale exclusive, foncièrement unioniste et sincèrement
dévoué aux intérêts de la religion, le baron Osy se trouvait, malheureusement
pour le ministère, au nombre des libéraux modérés qu’avait mécontentés la
politique de M. Nothomb. Et il ne s’était pas fait faute de le manifester avec
une franchise peut-être dépourvue de mesure.
M. Nothomb n’avait pu l’oublier. Malou s’efforça vainement de lui
démontrer que s’attaquer au défenseur attitré des intérêts de la métropole, c’était
aller au-devant d’un échec, provoquer parmi les modérés une scission funeste.
Il se heurta à une volonté inflexible « La double exclusion de MM. Osy et
Rogier est à la fois légitime et nécessaire, lui écrivait le ministre de
l’intérieur. Cette double exclusion n’étant pas admise, notre conduite
manquerait de base et de raison. L’exclusion isolée de M. Rogier serait
inexplicable. » (Lettre de M. Nothomb à Malou, 28 mai 1845).
Ainsi se forma, composée d’éléments disparates, une coalition que Malou
qualifiait justement de moins anticatholique qu’antiministérielle. En présence
de ce mouvement (page 106)
politique, son embarras fut grand. Des idées d’unionisme et de modération, qui
étaient les siennes, se trouvaient être celles de bon nombre de partisans de la
liste qui se qualifia de libérale. « Prenons garde, avait-il eu soin de dire,
prenons garde de confondre quelquefois le ministère avec le gouvernement. Ce
serait un grand danger pour le pays. » Malgré ses efforts, cette confusion
s’était produite, par la faute peut-être du ministre qui allait en être la
victime.
Malou s’appliqua, dans la mesure du possible, à en atténuer les effets ;
il hâta la constitution d’une liste à opposer à celle de MM. Osy, Rogier, Loos
et Veydt ; il s’attacha principalement à combattre la
réélection de M. Rogier. L’échec de celui-ci eut été un succès suffisamment
éclatant. On lui opposa M. Cogels.
La campagne électorale s’ouvrit une dizaine de jours seulement avant
l’élection. Bien que l’arrondissement d’Anvers ne comptât pas deux mille
électeurs, le travail fut intense. L’on vit des ministres et des gouverneurs
s’y associer personnellement.
Il importe, pour l’intelligence de ce qui va suivre, d’opérer un retour
sur le passé, de se placer dans la situation des hommes politiques de 1845, en
présence d’un corps électoral singulièrement restreint, comptant, pour le pays,
environ quarante-cinq mille électeurs ; il faut considérer, qu’à raison de
l’absence d’activité politique organisée, à raison de la diffusion encore
restreinte de la presse, un tiers environ de ces électeurs constituait une
masse flottante, à la merci des courants déterminés par des questions d’intérêt
local, de sympathies ou d’influences personnelles. Il suffisait, en somme, à
l’un ou à l’autre parti, de rallier dans le pays quelques milliers de ces voix,
pour se maintenir au pouvoir ou le conquérir ; aussi comprend-on les
sollicitations dont les électeurs, (page
107) même individuellement, devenaient l’objet, la préoccupation des
détenteurs du pouvoir de ne rien négliger pour être exactement renseignés et
d’organiser, en quelque sorte, leur victoire comme les adversaires leur
préparaient la défaite.
« Il est probable, écrivait M. Nothomb au gouverneur d’Anvers, qu’à
l’occasion des prochaines élections l’on fera des écrits, des pamphlets ou
brochures ; je vous serais fort obligé de vouloir bien me procurer un
exemplaire de tout ce qui sera publié en ce genre. »
M. Nothomb, lui-même, adressait à Malou M. Briavoinne,
directeur de l’Emancipation, qui se
rendait à Anvers pour étudier le terrain et préparer la campagne de la dernière
heure que son journal allait mener. Le département de la guerre avait eu la
fâcheuse inspiration de procéder à des travaux qui pouvaient condamner l’accès
d’une des portes de la ville. Il fallait éviter que des électeurs tièdes n’en
prissent prétexte pour ne point voter, « J’aime à croire, écrivait Malou à M.
Nothomb, que l’on donnera immédiatement des ordres formels pour contremander ce
malencontreux avis ; s’il y avait péril, il faudrait consolider provisoirement
le pont et non pas nous fermer l’une des portes de la ville. » M. Smits, l’un
des candidats de la liste ministérielle, qui était gouverneur du Luxembourg,
s’alarmait d’avoir mécontenté des électeurs par un discours sur les tabacs ; il
se préoccupait d’influences capables de conserver leurs sympathies à la liste
conservatrice. Malou, naturellement, était en butte aux insinuations de la
presse hostile. « Il paraît, écrivait- il à M. Nothomb, que l’on m’accuse de
tout ce que je fais et, plus encore, de ce que je ne fais pas. »
L’opposition ne chômait pas non plus ; le gouverneur était averti que
des partisans de M. Rogier avisaient aux moyens de réunir des voitures et de
donner à dîner (page 108) aux
électeurs « afin de les tenir réunis et de faire échotier la candidature
de MM. Cogels et Smits ». Des agents électoraux de l’un et de l’autre
parti s’efforçaient d’embrigader les électeurs ; dans les communes rurales
circulaient des questionnaires aussi précis que suggestifs. (Nous
reproduisons ici la formule d’un de ces questionnaires : 1° Combien y a-t-il
d’électeurs dans votre commune ? 2° Indiquez leurs noms, profession, et devant
chaque nom votre appréciation de leurs votes ; 3° quelles sont les personnes,
soit propriétaires, soit autres, de la ville ou de la campagne qui, d’après
vous, auraient de l’influence auprès des électeurs douteux ; 4° Quels sont les
électeurs qui ne viendront pas aux élections, soit à cause de maladie, apathie
ou autres raisons ; 5° Quelles sont, dans votre commune ou dans les environs,
les personnes qui s’occupent ouvertement d’élections dans notre sens ? 6°
Quelles sont celles qui s’en occupent dans un sens contraire ? 7° Quelles sont
les démarches qu’ont faites ou que font, en ce moment, nos adversaires ? 8°
Quelles démarches devrions-nous ou pourrions-nous faire ? 9° Quels sont les
journaux, français ou flamands, qui sont lus dans votre commune ?)
Le ministre de l’intérieur, plus optimiste dans ses prévisions que ne
l’était Malou, escomptait le succès au moins partiel de la liste ministérielle
; le gouverneur d’Anvers se rendait compte que MM. Osy, Loos et Veydt s’étaient acquis le commerce anversois ; jusqu’au
dernier moment, cependant, il espéra un demi-succès par l’élection de M. Cogels
et l’échec de M. Rogier.
Le 10 juin réserva un désastre à la politique de M. Nothomb. A Anvers,
la liste libérale passa tout entière à une forte majorité (Elections
du 10 juin 1845. Anvers : électeurs inscrits, 1,991 ; votants, 1,802 ; Majorité
absolue, 902. Le baron Osy obtint 1,117 voix, et M. Rogier 1,064 voix, tandis
que M. Cogels n’en obtenait que
(page 109) Malou écrivait à
son frère, au lendemain de cette défaite :
« Comme d’habitude, beaucoup de bons et de très bons catholiques ont
donné en plein dans le panneau. C’est pour faire acte d’opposition contre le
ministère, qui n’est, après tout, qu’un prétexte et un accident, que ces braves
gens se sont unis à leurs adversaires intimes. Les mots candidats du commerce et de l’industrie ont exercé un immense
effet... Un autre fait a puissamment aidé à notre défaite. En groupant une
foule d’actes, j’allais presque dire de fautes, de la part du gouvernement,
l’on avait démontré surtout par l’exemple de Liége, que pour obtenir beaucoup
en faveur d’une localité, il fallait des députés de l’opposition... A Anvers,
je ne puis trop le redire, le mouvement n’a pas été anticatholique, il a été
antiministériel, dirigé contre M. Mercier et contre M. Nothomb. Si elle est
bien inspirée, l’opinion conservatrice (c’est le mot que j’ai voulu introduire
et faire prédominer ici, car je reconnais la puissance des mots) l’opinion
conservatrice, l’ancienne union entre tous les hommes modérés puisera dans les
faits accomplis des motifs pour agir avec plus d’ensemble dans les Chambres et
hors des Chambres. Nous souffrons aujourd’hui à cause des fautes que nous avons
commises ou laissé commettre, à cause de notre manque d’unité, d’organisation,
de cohésion. Si, au lieu d’un pouvoir toléré plutôt qu’appuyé, souffert plutôt
qu’estimé,
Une crise ministérielle s’ouvrait par suite des élections du 10 juin. A
qui le gouvernement allait-il être confié ? Serait-ce à un cabinet libéral
exclusif, semblable à celui de 1841 ? On bien serait-il fait appel à un libéral
unioniste, moins antipathique que M. J.-B. Nothomb En l’absence du Roi, la
crise se prolongea ; Malou se trouva encore gouverneur d’Anvers à l’ouverture,
en juillet, de la session du conseil provincial.
(page 110) Dans la situation délicate où le
plaçait l’échec que venait de subir le ministère, Malou se contenta, en un
discours d’ouverture très simple, d’attirer spécialement l’attention des
membres du Conseil, « représentants des intérêts de ces grandes subdivisions de
la famille belge, placées hors des agitations politiques, presque au-dessus
d’elles », sur les difficultés financières où se débattait la province.
Son premier soin fut d’équilibrer le budget, sans interrompre les
travaux en cours. Il soumit au Conseil une combinaison également favorable à
l’Etat et à
Malgré ses efforts pour retenir l’attention du Conseil sur les questions
d’intérêt exclusivement provincial, Malou ne put empêcher certains membres de
saisir leurs collègues d’une matière d’ordre politique général : la législation
sucrière.
Le baron d’Anethan, ministre de la justice,
qui remplissait intérimairement la charge de ministre
de l’intérieur, exprima son mécontentement au gouverneur qui n’avait pu
empêcher que la question fût portée à l’ordre du jour.
« Les délibérations de ces assemblées sur des objets d’intérêt général, écrivait-il
à Malou, présentent plusieurs inconvénients, notamment celui de les faire
sortir de leurs attributions, et on ne peut méconnaître qu’il y aurait, de ce
chef, plusieurs motifs fondés pour faire prononcer l’annulation de tels actes.
»
Le ministre des finances, M. Mercier, partageait l’avis (page 111) du baron d’Anethan et émettait à son tour la crainte que l’envoi
proposé d’une adresse aux Chambres ou au Roi pour obtenir des modifications à
la législation des sucres ne constituât, en présence de l’article 31 de
La réponse que Malou adressa au ministre de la justice est intéressante,
à la fois, parce qu’il y donne son opinion motivée sur la compétence des
Conseils provinciaux en matière d’ordre général et parce qu’il y témoigne de
l’indépendance courageuse avec laquelle il défendait toujours la manière
d’apprécier qui était la sienne (Lettre de Malou au baron d’Anelhan, ministre de la justice, chargé par Intérim du
département de l’intérieur, 7 juillet 1845).
« La teneur de cette communication de M. le Ministre des finances
me fait craindre que le gouvernement ne vienne à me prescrire de soutenir d’une
manière absolue l’incompétence du Conseil. Qu’il me soit permis, à ce sujet, de
vous soumettre quelques rapides réflexions.
« Depuis l’institution des Conseils provinciaux, ils se sont
maintes fois ingérés dans l’examen de questions qui n’étaient pas exclusivement
provinciales. Je citerais, entre plusieurs, les pétitions relatives à la
réforme électorale, les démonstrations contre le traité (les 24 articles), des
résolutions nombreuses relatives à l’industrie, mesures de douane, négociations
internationales, etc. Je n’ai pas souvenance qu’une seule fois, bien que
l’objection d’incompétence ait été presque constamment élevée, l’on s’y soit
arrêté ; je ne crois pas non plus que jamais le gouvernement ait annulé de
pareilles résolutions en vertu de l’article 89 de la loi du 30 avril 1836. Si
l’exception d’incompétence eût été reconnue fondée, il eût fallu, sans aucun doute,
prendre cette mesure.
« L’opinion générale, en
« Dès le principe, les Conseils provinciaux ont, par leurs actes et
le gouvernement par son silence, interprété l’article 31 de
« La question d’incompétence doit, je pense, continuer de faire
l’objet d’une réserve expresse de la part des agents du gouvernement ; mais, je
n’hésite pas aussi à le dire, l’incompétence est devenue indéfendable en
présence des actes posés par les Conseils et par le gouvernement lui-même.
« Quelles que soient mes opinions individuelles, j’exécuterais vos
instructions, comme représentant du gouvernement, je me placerais sur ce
terrain au risque de ne pouvoir m’y défendre, si un intérêt quelconque exigeait
de tenter la lutte, mais l’intérêt bien entendu du gouvernement réclame le
contraire.
« Je m’inquiète peu de ma position personnelle, en tant qu’il ne
s’agit que de moi-même, parce que je sais que, avant tout, j’ai des devoirs à
remplir ; mais, après tout ce qui s’est déjà passé, ce n’est pas de moi, c’est
du gouvernement qu’il s’agit. »
Il écrivait le même jour au ministre des finances, avec la grande
liberté qu’il puisait dans la conscience du devoir à accomplir :
« La question d’incompétence est, en quelque sorte, jugée par des
précédents nombreux... L’expression d’un vœu du Conseil en faveur de
l’importante industrie du sucre exotique ne doit pas, ce me semble, être
combattue d’une manière absolue. Si vous désirez, monsieur le ministre, qu’une
autre marche (page 113) soit suivie,
je vous prie de me transmettre des instructions. Je ne vous dissimulerai pas
néanmoins combien, dans l’état actuel des esprits, il serait fâcheux, et pour
le gouvernement et pour la force de position dont j’ai besoin pour faire le
bien, de subir un échec sur cette question et, en tout cas, d’accréditer par
des actes l’accusation de mauvais vouloir, accusation à laquelle des intérêts
froissés ajoutent si facilement foi. »
Les ministres reconnurent le bien-fondé de ces observations et s’en
référèrent au jugement du gouverneur d’Anvers, confiants dans l’autorité qu’il
avait rapidement acquise au Conseil.
Malou, sans poser absolument la question d’incompétence, fit quelques
réserves sur l’intervention des Conseils provinciaux dans des questions
d’intérêt général, combattit la proposition de certains membres d’envoyer une
adresse au Roi et obtint que le Conseil, à l’unanimité, décidât de n’envoyer
l’adresse qu’aux deux Chambres et au ministre des finances.
Un conflit qui menaçait de surgir entre le gouvernement et le pouvoir
provincial fut ainsi heureusement étouffé par son intervention.
Le restant de la session ne fut plus marqué que par un incident provoqué
par une proposition de la section centrale et qui fournit à l’un des
conseillers l’occasion d’énumérer les griefs de la langue flamande (La
section centrale proposait de supprimer la traduction flamande de l’exposé de
la situation administrative de la province et d’employer, de préférence, le
subside alloué pour des encouragements à la littérature flamande).
La question de l’emploi de la langue flamande a souvent souffert de
l’exagération que l’on a apportée à sa défense ; toute violence amène une
réaction ; la proposition de la section centrale du Conseil n’avait, dans la (page 114) pensée de personne, le
caractère d’hostilité à la langue flamande que certains voulurent y découvrir.
Malou, qui aimait sa langue maternelle, qui la maniait avec aisance, s’efforça
toujours de rendre justice à de légitimes revendications des Flamands. Il
intervint donc au Conseil pour apaiser les esprits. Il fit comprendre qu’il ne
devait point s’agir d’établir entre le français et le flamand un antagonisme,
ni de susciter une lutte dans laquelle l’un ou l’autre devait succomber ; mais
que tout ce qu’il importait d’obtenir, c’était que, partout où il y avait
utilité réelle à ce qu’on employât la langue flamande, cette langue fût
employée.
Le langage du bon sens et de la raison fut écouté et la session de
juillet 1845 se clôtura sans orage. Malou ne devait pas en présider d’autre. En
effet, le 30 juillet, le gouverneur d’Anvers était mandé à Bruxelles, où, d’une
entrevue avec MM. Dechamps, d’Anethan et Van Praet,
il sortait ministre des finances.
(page 115) Malou ne passa guère plus de dix
mois dans la métropole commerciale de la Belgique. Il ne lui fallut pas
davantage pour y acquérir de vives sympathies, celles notamment d’éminentes
personnalités du monde des affaires. Accueilli à son arrivée avec quelque froideur,
il emporta, en quittant Anvers, les regrets de ses adversaires eux-mêmes. Avec
une aisance remarquable, il s’était adapté aux conditions nouvelles du milieu
où il s’était trouvé transporté. Des occasions s’étaient offertes à lui, assez
rares, il est vrai, en ce court espace de temps, de déployer ses qualités
éminentes d’administrateur et de juriste.
(page 115) Rarement il
hésitait à donner la solution de difficultés qui lui étaient soumises.
Les membres du Consistoire anglican vinrent un jour le trouver, fort
émus ; leur pasteur, révoqué par son évêque, refusait de remettre les clefs de
la chapelle où se célébrait l’office. Le cas était embarrassant pour le
représentant de l’autorité civile. Devait-il se récuser, se dénier le droit
d’intervenir dans une contestation relative au culte, renvoyer les parties
devant les tribunaux, ou bien ferait-il respecter les droits des religionnaires
du culte anglican et l’autorité de leur hiérarchie ?
Malou se rangea à cette solution : il fit notifier au pasteur révoqué
que si, à une heure déterminée, les clefs du temple ne lui étaient pas remises,
il ferait crocheter la serrure et en ferait placer une autre dont il remettrait
la clef au Consistoire. Le pasteur s’exécuta et le conflit se trouva apaisé.
Dans le cours de sa carrière, Malou a payé largement à la ville d’Anvers
une hospitalité de quelques mois. S’il n’eut, en somme, que peu de temps pour
lui rendre comme gouverneur d’éminents services, il eut maintes occasions, plus
tard, de prendre utilement et en pleine connaissance de cause la défense des
intérêts de la métropole commerciale de la Belgique.