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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 48) L’avènement du ministère libéral
homogène Lebeau-Rogier serait, d’après l’historien éminent du règne de Léopold
1er, le fait capital de l’histoire politique contemporaine de nos provinces. (THONISSEN,
En effet, la date du 18 avril 1840 marque, au lendemain du traité des vingt-quatre articles, l’aube de la période
d’âpres luttes des partis.
A la lecture des discours des membres du Cabinet et même de la plupart
des orateurs de
La déclaration ministérielle, lue le 22 avril par M. Liedts, ministre de
l’intérieur, témoigne d’un respect apparemment sincère pour « toutes les
opinions modérées et franchement constitutionnelles ».
Le ministre de la justice, M. Leclercq, ne pense pas (page 49) autrement : « Tous les hommes
dévoués au pays devraient s’unir pour faire cesser ces divisions, ces
classifications de catholiques et de libéraux…. qui n’ont aucun sens, en
présence des grands principes de liberté qui sont consacrés par notre
Constitution. »
Ce langage était-il celui de novateurs ? Etait-il d’un gouvernement
constitué dans la pensée de rompre en visière avec la politique d’union ?
Sans doute, le Cabinet était libéral-homogène ! Mais les deux ministères
du Régent n’avaient-ils pas été, aussi bien que le Régent lui-même, du
libéralisme le plus avéré ? Le premier ministère de M. Lebeau en 1832
l’était-il moins que celui du 18 avril 1840 ? Et
Tandis que le ministère affectait dans son programme un respect au moins
apparent des traditions unionistes et faisait appel aux éléments modérés des
deux partis, un profond revirement se produisait dans la presse et dans
l’opinion de nombreux électeurs.
Cette volte-face coïncide avec l’apparition, en 1837, de
L’un des promoteurs, en 1828, avec M. de Potter, du rapprochement des
libéraux et des catholiques, M. Devaux, s’était trouvé au premier rang des
hommes d’Etat du Congrès national ; il avait mis son grand talent et sa
remarquable perspicacité au service du pays aux heures difficiles des
tiraillements diplomatiques et de la réorganisation intérieure ; son influence
était considérable.
Libéral avant la révolution, M. Devaux se retrouva, au lendemain de la
signature du traité des vingt-quatre (page
50) articles, le libéral et le polémiste d’antan. Dès ce moment, il se
déclara l’adversaire résolu de la politique d’union qu’il avait servie dix ans.
La presse, à peu près entièrement acquise au libéralisme, annonçait à ses
lecteurs impatients les articles de M. Devaux ; elle applaudissait à l’audace
croissante de ses revendications exclusives ; elle en répandait par tout le
pays des commentaires complaisants. Le drapeau du libéralisme flottait aux
mains du député de Bruges. Si bien que l’on peut dire que l’apparition de
La crise ministérielle avait pris fin par l’accès au pouvoir du
ministère homogène, que M. Devaux avait appelé de toute l’ardeur de ses vœux.
Ce fut sa première victoire. Il n’entrait pas personnellement dans la
combinaison nouvelle, mais l’heure n’était pas venue ; il avait semé, mais la
moisson n’était pas mûre ; son arrivée au ministère eût peut-être tout
compromis.
Que MM. Liedts, Leclercq fissent des déclarations rassurantes, qu’ils
protestassent, de bonne foi, de leurs intentions conciliatrices, cela importait
peu au polémiste de
Telle fut la véritable signification politique du 18 avril 1840 : ce fut
le triomphe des idées exclusives (page
51) défendues dans
Les catholiques, pour toute riposte, s’abritèrent plus étroitement sous
l’aile de l’unionisme. Plus avisés, ils eussent pris une position nette et
répondu à l’exclusivisme. Il leur répugnait de réagir, d’opposer doctrine à
doctrine. Bénévolement attachés à la politique d’union, ils se persuadèrent
que, seule, elle pouvait assurer la prospérité du pays.
Tandis que les libéraux créaient dans tous les arrondissements des
comités électoraux et préparaient de longue main le Congrès de 1846, où devait
éclater leur puissance, la masse des catholiques flottait comme un chaland à la
remorque des pilotes de l’unionisme. On ne vit point s’ériger en face du
libéralisme exclusif le parti d’opposition qui eût dû s’appeler conservateur
plutôt que catholique, puisque, dans le rang des libéraux, les uns
professaient, d’autres affectaient une respectueuse sollicitude pour la religion
et ses ministres, surtout pour le bas clergé.
La majorité du Sénat eut, cependant, en faveur de l’union qu’on brisait
un geste énergique de protestation, qui suffit à renverser le ministère.
Dans une adresse au Roi, restée fameuse par la polémique qu’elle
souleva, elle exprima en termes francs et clairs sa désapprobation de la
politique nouvelle. Léopold Ier donna raison au Sénat contre le ministère et (page 52) (page 52) appela au pouvoir un membre éminent de la gauche unioniste
et modérée, M. J.-B. Nothomb. (Le ministère était composé comme suit
: Intérieur : M. Nothomb (libéral) ; Affaires étrangères : M. de Muelenaere
(catholique) ; Justice : M. van Volxem (libéral) ; Finances : comte de Briey
(catholique) ; Travaux publics : M. Desmaisières (libéral) ; Guerre : général
Buzen (libéral)).
Du 13 avril 1841 au 12 août 1847, l’unionisme connut encore de beaux
jours. Nous allons les vivre avec Malou.
(page 52) Les élections pour le
renouvellement par moitié de la Chambre des Représentants étaient fixées au 8
juin 1841.
Les députés d’Ypres étaient sortants. L’un d’eux, M. de Langhe,
unioniste catholique, ne sollicitait pas le renouvellement de son mandat. Les
neuf cents électeurs de l’arrondissement étaient profondément divisés. Deux
camps se trouvaient eu présence. L’un groupait les catholiques et les libéraux
modérés ; il arborait le drapeau de l’union. L’autre s’intitulait libéral tout
court, ne représentait pas le tiers du corps électoral et avait pour organe le Progrès d’Ypres.
Le parti du Progrès était
décidé à combattre des adversaires qui, s’ils triomphaient, allaient ramener le
pays aux temps de la toute-puissance
cléricale, aux temps de la dîme, des mains-mortes et des corvées : sur ce
thème, qu’on pouvait malaisément qualifier de neuf, même à cette époque, se
livra la polémique, non seulement à Ypres, mais aussi dans le reste du pays.
Les catholiques yprois devaient choisir un
candidat qui recueillît avec M. de Florisone-Mazeman,
l’élu des libéraux modérés, les voix unionistes. (page 53) En 1837, ils s’étaient adressés à Jules Malou ; celui-ci avait
refusé ; mais, depuis lors, il avait gravi deux échelons dans la carrière
administrative et la force des raisons qui avaient déterminé son refus s’était atténuée.
Si le mérite et le savoir sont des titres aux yeux d’un corps électoral,
l’avancement rapide de Jules Malou, les aptitudes et le talent dont il avait
donné des preuves, sa compétence en matière législative le désignait évidemment
au choix de ses concitoyens.
Aucune incompatibilité légale n’existait entre la position de directeur
au ministère de la justice et l’exercice d’un mandat législatif ; mais les
convenances dictaient à Malou le devoir d’exposer à son ministre l’offre qui
lui était faite.
Ici se place un incident significatif, consigné dans la correspondance
d’un contemporain, M. François-Louis du Bus, et confirmé d’ailleurs par Jules
Malou lui-même.
Dans une de ces lettres qu’il adressait presque journellement aux siens,
pour les tenir au courant des événements parlementaires (Sous
le titre : Le Congrès national d’après la correspondance de François-Louis du
Bus, membre du dit Congrès, une partie de cette intéressante correspondance a
été publiée récemment dans
Malou se trouvait placé dans l’alternative ou bien de renoncer à une
candidature qui offrait de belles chances, ou bien de s’exposer à une démission
nécessaire, si le ministère Lebeau-Rogier conservait le pouvoir.
« Je me trouvais repoussé du côté du ministère comme catholique, du côté
des catholiques comme tenant au ministère par ma place. »
Dans l’attente des événements qui présageaient la chute du Cabinet, il
se laissa porter candidat. « Je suis résolu à faire le sacrifice de la position
que j’occupe actuellement, s’il est nécessaire, pour conserver mon indépendance
et pour coopérer à l’œuvre à laquelle une partie notable des Chambres travaille
avec tant de chances (page 55) de
succès, c’est-à-dire à modifier la situation du pouvoir vis-à-vis des
catholiques. »
L’arrivée au ministère, le 13 avril, de M. J.-B. Nothomb permit à Malou
de conserver sa position et de demeurer candidat. Ce fut alors le tour des
libéraux yprois de manifester leur méfiance. Quoi ? sous le prétexte d’un unionisme fallacieux, voter pour « un
candidat qui s’engageait par sa position à approuver d’avance tout ce que les
ministres présents et futurs pourraient proposer aux Chambres ! » (Le
Progrès d’Ypres, 20 mai 1841) - « Le jour où mon indépendance
cesserait d’être entière et absolue, répondit Malou, je résignerais les
fonctions qu’une honorable confiance m’a toujours rendues chères à tant de
titres. » (Lettre au Progrès
d’Ypres, 21 mai).
L’avenir prouvera que ce n’étaient pas de vaines paroles.
Même dans les rangs de son parti, Malou se heurta à une opposition
personnelle. De bons Yprois lui reprochaient ses
infidélités envers sa ville natale ; on le représentait comme ayant « à peine
quitté les bancs de l’école » ; les purs blâmaient la promotion dont il avait
été l’objet sous le ministère libéral de M. Leclercq. Il eut surtout à défendre
son indépendance politique contre d’autres exigences. Au cours d’une assemblée
préparatoire, certains électeurs émirent la prétention d’imposer à leurs
candidats un mandat impératif. Malou refusa nettement d’engager la liberté de
ses votes ; il préférait renoncer à toute candidature que d’être « le duplicata
vivant de la profession de foi » qu’on lui demandait. « Si les professions de
foi n’étaient que ridicules, il faudrait peut-être savoir s’y soumettre
philosophiquement, mais elles tendent à vicier nos institutions. Le mandat est
et (page 56) doit rester mandat de
confiance et, s’il n’en est pas ainsi, pourquoi est-il révocable à courts
termes ? »
« J’aimerais mieux, écrivait-il d’autre part à son frère, n’arriver
jamais aux Chambres que d’y venir lié par une espèce
de mandat impératif quel qu’il soit. J’espère que
Les électeurs mirent une sourdine à leurs exigences et Jules Malou fût
proclamé candidat.
Le mardi 8 juin, une animation insolite régnait aux alentours de l’hôtel
de ville d’Ypres, dans le cadre prestigieux des Halles et du Grand Marché. A
neuf heures, les portes de
Les électeurs, nominativement appelés, furent invités à inscrire à la
main sur des bulletins les noms des citoyens auxquels ils accordaient leurs suffrages.
Ils remettaient ensuite ces bulletins au président, qui les déposait à son tour
dans une boîte à double serrure placée sur le bureau électoral. Des deux cent
soixante inscrits au bureau principal, pas un seul n’avait manqué à l’appel ;
cette constatation n’est pas sans intérêt au point de vue des mœurs
électorales. Le résultat du scrutin fut proclamé et les bulletins brûlés
aussitôt en présence de l’assemblée.
Dans les trois autres sections où s’étaient trouvés répartis les
électeurs, il fut procédé de la même façon.
Le total des votes émis, additionnés par le président de la section
principale, attribuait à MM. de Florisone et Malou une majorité de près des
deux tiers des votes émis (652 votes sur 908 votants). Ils furent proclamés élus.
Arrivant à l’âge de trente et un ans à
Peu de législateurs furent à meilleure école. Ce n’est pas l’endroit
d’exposer les idées de Jules Malou au sujet de la compatibilité des fonctions
administratives ou judiciaires avec le mandat législatif. Si de cette
compatibilité, il recueillit personnellement le bénéfice, il en connut aussi
l’inconvénient. Combien ne lui fallut-il pas de tact pour concilier durant trois
ans l’indépendance de son attitude politique avec les devoirs de sa situation
administrative !
Au moment où Malou y entra, beaucoup d’hommes distingués siégeaient sur
les bancs de la Chambre ; le tiers de ses membres appartenait à la magistrature
ou à l’administration ; on y rencontrait notamment la plupart des gouverneurs
de province.
C’étaient les beaux jours de l’éloquence parlementaire, où l’on voyait à
la flamme d’un discours se désagréger tantôt la droite, tantôt le centre où
siégeaient les libéraux modérés, et se former des majorités de surprise.
Le chef de la droite unioniste catholique était le comte de Theux ; il
venait de quitter le ministère, après (page 58) six ans de gouvernement ;
Les qualités qui distinguèrent si éminemment le comte de Theux
manquaient peut-être à son collègue, le comte de Muelenaere.
Ministre des affaires étrangères et chef du Cabinet au moment périlleux
de la seconde invasion hollandaise, en 1831, il fit partie aussi du second
ministère de Theux et se retrouva encore aux affaires étrangères le 13 avril
1841. Dès le 5 août de la même année, il sortit du Cabinet Nothomb et reprit
place à la droite de
Bien différent était le comte Félix de Mérode, l’une (page 59) des plus sympathiques et des
plus originales personnalités parlementaires de son temps, l’antithèse vivante
du sceptique, catholique aux idées taillées d’une pièce, à qui nul ne
reprochait la rude franchise de son langage et la hardiesse, souvent plaisante,
de ses réparties, et de qui Lacordaire a dit qu’il avait dominé tous les Partis
à force d’honnêteté.
Autour de ces anciens membres du Congrès national, la droite groupait
des hommes d’Etat, plus tard venus à la vie politique. Parmi ceux-ci, M.
Barthélemy Dumortier apparaissait auréolé de brillants succès. Orateur
fougueux, il s’attachait avec passion, dans l’attaque ou la défense, à la cause
à laquelle il se donnait. Il obtint la réduction de plusieurs millions de la
dette belge envers
Parmi les membres de la droite, de récents travaux et leur participation
aux débats de
(page 60) L’orateur le plus brillant de la
droite était incontestablement M. Dechamps ; de l’orateur il possédait tous les
dons de séduction : élégance, souplesse, variété, ampleur. La nature l’avait
merveilleusement doué. Il lui manqua peut-être la trempe du caractère. Chargé,
dans le cours de la session qui s’ouvrait, d’un rapport sur l’instruction
primaire, il entra, quelques mois plus tard, avec M. d’Anethan,
dans le ministère Nothomb.
Malou rencontra aussi sur les bancs de la droite M. Raikem, qu’il avait
servi au ministère, magistrat et juriste plutôt qu’homme politique ; le baron
de Man d’Attenrode ; M. du Bus, ancien membre du Congrès national, et M.
Brabant, dont la proposition tendant à conférer à l’université de Louvain la
qualité de personne civile allait faire couler des flots d’encre et remuer la
diplomatie européenne.
Catholique d’éducation et de conviction, unioniste comme l’étaient sans
exception alors tous les catholiques, unioniste aussi par tempérament, Malou
avait une place marquée parmi ces parlementaires, dépositaires et défenseurs
des traditions nationales. Ceux-ci accueillirent avec une joie empressée la
recrue que le Cabinet libéral avait tenté de leur disputer ; ils savaient leur
nouveau collègue rompu déjà au labeur législatif, attentif et consciencieux,
tout à la tâche entreprise, doué d’une parole facile, claire dans l’exposition,
prompte à la riposte. Au surplus, d’un esprit accommodant et d’une belle humeur
volontiers communicative, Malou compta bientôt autant d’amis que de collègues
parmi les membres de la droite.
Sur les bancs opposés de
Plus gouvernemental, quoique de bon teint, était le libéralisme de MM.
Lebeau et Rogier, dont
Triumvirat de vrais hommes d’Etat, MM. Devaux, Lebeau et Rogier -ces
derniers déchus depuis la veille du pouvoir - songeaient à reconquérir celui-ci
au libéralisme exclusif. Leur autorité grandissait à mesure que s’organisaient
successivement, dans la plupart des villes du pays, les troupes acquises au
libéralisme par les efforts de la presse, à la faveur de l’inertie des conservateurs
unionistes.
Le groupe des unionistes libéraux allait se désagrégeant d’année en
année, et se survivait à lui-même, incarné en quelques personnalités de marque,
telles que MM. Van Volxem, Mercier, H. et Ch. de Brouckère et le baron d’Huart,
dont le passage au ministère avait heureusement raffermi le crédit de
Homme d’Etat reconnu éminent par tous les partis, l’un des fondateurs de
l’indépendance nationale, M. J.-B. Nothomb ne jouit cependant de la confiance (page 62) ni des catholiques, ni des
libéraux à aucun moment de son ministère.
Nul n’accumula en aussi peu de temps autant d’inimitiés et de rancunes
que ce grand ministre, à qui
Il n’est pas de soupçons dont sa politique n’ait été l’objet, pas de
fourberie dont on ne l’ait accusé et, lorsque, pour sa défense, il eut fait
entendre au Parlement des accents d’une éloquence qui n’a pas été dépassée, il
ne lui resta, après trois ans de carrière ministérielle, qu’à accepter de
servir son pays à l’étranger (Th. JUSTE, le baron Nothomb, ministre d’Etat, deux volumes, 1874).
L’impopularité dont il pâtit, il la devait principalement à la politique
d’union qu’il avait mission de défendre en ce moment. Toutes les mesures dont
il proposa l’adoption s’inspiraient de la pensée de concilier et de satisfaire,
par d’habiles transactions, les opinions en présence. Bien rarement les actes de son ministère, quels qu’ils fussent, nominations ou
arrêtés ou projets de lois, échappèrent aux attaques de l’un et de l’autre
parti.
Depuis 1839, d’ailleurs, les ministères mixtes apparaissent comme des
places démantelées, sans troupes à opposer à des ennemis qui les cernent de
toutes parts. Bientôt il n’y aura plus de ministère mixte viable que celui
auquel une majorité composée exclusivement d’hommes d’une opinion prêtera son
appui.
(page 63) Une proposition due à l’initiative
parlementaire de MM. du Bus et Brabant faisait, depuis quelques mois, les frais
de discussions passionnées dans la presse et les cercles politiques. Déposée le
10 février 1841, sous le ministère de MM. Lebeau et Rogier, à la suite d’une
pétition adressée à
Le projet, très raisonnable en soi (L’université
de Louvain, déclarée personne civile, était autorisée à acquérir et à aliéner
des biens, au nom de son Recteur, avec l’autorisation spéciale du Roi pour
chaque cas en particulier. Une taxe, équivalant à 4 p. c. du revenu cadastral
des immeubles acquis, eût été payée annuellement, en outre des contributions
ordinaires. En aucun cas, le total du revenu des capitaux amortis ne pouvait
dépasser 300,000 francs, les biens immeubles n’y pouvaient figurer qu’à
concurrence d’un revenu cadastral de 150,000 francs. Les bâtiments de
l’université n’étaient pas compris dans l’estimation. Les comptes devaient être
publiés et approuvés par le Gouvernement. Les précautions étaient prises pour
prévenir les abus possibles), de MM. du Bus et Brabant avait rencontré d’emblée en Malou un chaud
défenseur.
Succédant à M. Lebeau, M. Nothomb trouva le projet à l’ordre du jour de
Dès le 1er août, Jules Malou soumettait à son frère (page 64) - devenu le chanoine Malou -
le plan détaillé d’une défense du projet de MM. du Bus et Brabant (Examen
de la proposition de MM. du Bus et Brabant tendant à conférer à l’université
catholique de Louvain la qualité de personne civile. (Louvain, Van Linthout, octobre 1841)).
Le travail parut en octobre. C’était une forte brochure sans nom
d’auteur. Malou craignait vraisemblablement d’entraver sa liberté dans le débat
public. Peut-être voulait-il éviter de passer pour le porte-parole de
l’université de Louvain. Quelques personnes, toutefois, surent en confidence
qu’il était le père de l’écrit anonyme.
Celui-ci eut dans tout le pays un grand retentissement et, dans la
plupart des journaux, les honneurs d’une discussion en règle ; l’auteur
témoignait de ses connaissances historiques par l’étude comparée des conditions
d’existence des personnes civiles dans l’ancien droit et le droit moderne ; la
discussion des objections de principe et des questions d’application que
soulevait la proposition attestait un sens juridique très délié.
Hélas ! tant d’efforts devaient rester vains.
En effet, une lettre du chanoine Malou (Lettre du
chanoine Malou à Jules Malou (6 novembre 1841)) révélait bientôt qu’un revirement inattendu
s’était produit. « Le mot d’ordre est de ralentir et même de battre en
retraite. Aux adversaires du projet, les libéraux et certains catholiques
pusillanimes, s’est joint le Roi qui, dès le mois d’août, a expédié à Malines,
lors de la réunion des évêques, secrétaires, ministres, sénateurs, députés pour
faire retirer la proposition. Il s’est adressé à Mgr Fornari
et a réclamé vivement l’intervention du Souverain Pontife afin d’arracher aux
évêques l’abandon de la proposition. Il paraît que M. Nothomb, de son côté, a
remué ciel et terre en Allemagne ; il a écrit, dit-on, à M. Munch-Bellinghausen, (page
65) président de
« Mgr Fornari a exposé à Rome l’état des
affaires aussitôt après la réunion des évêques et, dès le 25 août, il avait une
lettre du cardinal Lambruschini qui lui déclarait que
le Saint-Père voulait que la
proposition fût retirée.
« Le Souverain Pontife pouvait-il
ne pas s’en rapporter à M. d’Oultremont, plénipotentiaire
belge, aux diplomates allemands, mis en jeu, à son propre nonce apostolique, au
Roi, aux ministres, etc., etc.
« La volonté du Souverain Pontife, déjà connue au mois d’août, a
été communiquée au cardinal-archevêque le jour même où je me trouvais à Bruxelles,
vers le milieu du mois d’octobre et, depuis lors, je n’ai rien pu découvrir de
précis pendant dix ou quinze jours. Je croyais que les évêques avaient écrit
eux-mêmes à Rome et donné un exposé des faits qui aurait pu modifier le premier
jugement ; mais j’ai su depuis qu’ils avaient cédé, sans difficultés, mais à
regret, aux exigences (il avait exigé) de Mgr Fornari,
interprète du Souverain Pontife. »
Est-elle assez étrange la commotion révélée par cet intéressant document
et ressentie par la diplomatie européenne, en présence d’un projet bien modeste
dans ses moyens et bien inoffensif dans sa fin ? Comment l’expliquer, sinon par
l’appréhension qu’avaient les chancelleries d’un mouvement libéral, prêt à
surgir sous un prétexte quelconque pour menacer la sécurité de l’Europe ? Quant
au roi Léopold Ier, il eut vraisemblablement la préoccupation d’étouffer un
projet qui pouvait être l’occasion de complications politiques intérieures.
(page 66) Les évêques et le Souverain
Pontife ne se montrèrent pas moins soucieux d’écarter toute cause de
déchirements plus profonds des partis.
Les journaux ministériels furent, en conséquence, invités à faire
prudemment machine en arrière. Restait une difficulté : obtenir de MM. du Bus
et Brabant le retrait de leur proposition. Ils s’y refusaient.
Dans ces conjonctures, les évêques prirent eux-mêmes la résolution
d’adresser à
La publication de ce document épiscopal mettait en fâcheuse posture
l’auteur de la brochure d’octobre. Il avait deux partis à prendre : se taire ou
s’expliquer c’est à ce second parti qu’il s’arrêta.
Le 20 février 1842,
Sa voix résonna comme le dernier écho d’une polémique trop
retentissante. Peut-être les matériaux qu’il avait réunis pourront-ils être
utilisés quelque jour ?
Le ministère Lebeau-Rogier n’avait pu obtenir du Roi la dissolution du
Sénat, et s’était retiré. Depuis la crise produite, suivant l’expression
originale de M. de Loménie (M. Nothomb,
par M. de Loménie, Galerie des contemporains illustres. Paris, 1843), par ce « coup de boutoir
inattendu », depuis l’échec de la politique exclusive, M. Devaux ne cessait de
clamer à l’illégalité, à l’inconstitutionnalité, à l’attentat aux droits sacrés
de la nation. « En acceptant l’administration, écrivait-il, le Cabinet nouveau
sanctionne les prétentions du Sénat. C’est, au fond, et à part les intentions,
l’esprit du gouvernement royal et aristocratique, substitué à celui du
gouvernement représentatif fondé en 1831. »
La presse libérale, naturellement, faisait chorus. A l’unisson, mille
voix proclamaient que le pays était victime des salons aristocratiques.
Il importait de mettre les choses au point. Malou s’en chargea, en
publiant, dans
C’était l’âge d’or des luttes politiques à coups de brochures. Par le
tour piquant et la poursuite serrée de la controverse,
Il commence toutefois par s’en prendre directement au Directeur de la Revue Nationale :
« Monsieur,
« Admirateur sincère de votre talent d’écrivain politique, j’ai
toujours suivi avec une avide curiosité les développements de votre pensée sur
les hommes et les choses. Par un heureux privilège, vos articles sont presque
des événements, toute une opinion divisée en mille phalanges, bariolée de mille
couleurs, se pâme d’aise en vous lisant. Pour elle, votre écrit le plus récent
est le plus remarquable, le plus excellent, et vous marchez ainsi de triomphe
en triomphe… A Dieu ne plaise que je me place derrière votre char comme ces
hommes qui, chez les Romains, rappelaient aux vainqueurs de la terre qu’ils
n’étaient pas des dieux, mais de simples mortels. S’il m’est possible de
pénétrer jusqu’à vous, au travers de la nuée d’encens qui vous entoure, ce
sera, Monsieur, pour causer un peu de politique intérieure avec une franchise
toute flamande, et sans doute vous êtes capable d’apprécier la franchise. Vous
la prêchez si bien !
« Que de faits en quelques mois ! Que de discours en quelques
semaines ! Ample matière à telles causeries, si vous le voulez permettre....
« Il a vécu bien peu, ce Cabinet auquel vous prédisiez d’autres
destinées ; je ne remuerai pas la cendre des morts, je n’entonnerai pas, sur
cette tombe à peine fermée, un lugubre quomodo cecidit potens... si de son
existence et de sa chute ne résultaient de hautes
leçons qui ne doivent pas être perdues. »
Des récents événements, Malou dégage les enseignements : d’être né
libéral homogène, surtout d’avoir eu (page
69) M. Devaux pour parrain, le Cabinet Lebeau n’a pas eu à se féliciter :
« L’influence de l’homogénéité fut fâcheuse ; vos commentaires sur
icelle aggravèrent le mal. N’aviez-vous pas entrepris de prouver non seulement
que nous étions pour toujours en dehors du pouvoir (nous le sentions, du reste,
pour le présent), mais qu’il était de notre intérêt bien entendu de conserver
ce rôle négatif dans les affaires du pays ? Thèse hardie, s’il en fut jamais,
qui obtint pourtant peu de succès parmi nous. Vous traitiez le ministère en
enfant gâté, et vous nous traitiez trop rudement peut-être. Nouvel et funeste
exemple de l’aveuglement de la tendresse paternelle, hélas
« Tant d’exemples fameux que l’histoire en raconte
« Ne suffisaient-ils pas sans la chute d’Oronte ?
« Les susceptibilités d’une opinion considérable s’éveillèrent ;
l’opposition grandit, devint une, se groupa tout entière, car les partis
politiques, comme les individus ont un instinct providentiel de conservation
qui ne les abandonne pas à l’heure du danger. »
Cette opposition a-t-elle outrepassé ses droits dans l’attaque ou la
défense ? Malou démontre le contraire et conclut :
« L’opposition était donc dans son droit, mais commit-elle, ainsi
qu’on l’a maintes fois prétendu, des fautes énormes, de malheureuses
imprévoyances, des erreurs si nombreuses que vous n’avez pu réussir à les
énumérer toutes ? Les avertissements qu’à plusieurs reprises vous avez bien
voulu nous prodiguer m’ont remis en mémoire la prière d’un grand ministre d’autrefois
c’était, je crois, le cardinal de Richelieu. Mon Dieu, disait-il, je ne vous
demande point de ne pas commettre de fautes, ce serait trop exiger, mais
permettez que mes ennemis en fassent, et que je sache en (page 70) profiter. - Que n’imitez-vous le grand politique auquel on
prête cette prière ? Pourquoi nous avertir ? Vous préviendrez, en le faisant,
des fautes nouvelles qui vous seraient utiles ; laissez-nous en commettre avec
toute liberté ; elles vous valent des succès ; ne sacrifiez pas vos intérêts
pour nous signaler l’abîme où nous courons, rien ne vous y oblige : votre
modération, votre franchise politique n’en souffriront pas. Plaignez-nous, si
bon vous semble, mais ne nous blâmez pas, car c’est trop de moitié. »
Les lignes qui suivent s’inspirent de l’optimisme trop généreux des
unionistes :
« Précurseur de je ne sais quel messie, vous annoncez depuis deux
ans l’avènement définitif de l’une des opinions qui partagent le pays, la
prépondérance lui appartient à vos yeux, et, entre autres motifs, elle lui
appartient à cause de la force d’expansion sympathique qui décuple ses forces.
L’autre opinion, moins expansive ou moins sympathique sans doute, vous ne lui
laissez aucune part dans la direction active des affaires. Vous ne concevez le
gouvernement représentatif en Belgique que sous la forme d’une lutte incessante
des opinions et des idées, lutte à ciel ouvert, franche, digne, lutte éternelle
dont le pouvoir est le prix. Votre système, c’est la guerre.
« L’opposition - est-ce le rêve d’hommes de bien ? - l’opposition
croyait que les nuances modérées doivent avoir leur part directe au pouvoir,
qu’elles peuvent l’exercer en commun sans se renier. Son système est le nôtre,
c’est la paix, une paix honorable pour tous.
« Vous vouliez des ministères homogènes ; nous voulons des
ministères de conciliation, mixtes, neutres...
« Et ne m’accusez pas, Monsieur, de propager le scepticisme
politique, de semer à pleines mains la dissimulation et l’hypocrisie. Ce n’est
pas la mort des partis que nous appelons de tous nos vœux ; il y aura toujours
des partis, et malheur, je le dis avec vous, malheur au pays jouissant
d’institutions (page 71) libres où
les partis n’existeraient plus ! Mais nous voulons entre eux, au lieu d’une
suite de victoires et de défaites, une série non interrompue de rapprochements
qui seront honorables en eux-mêmes et dans leur but, parce qu’ils tendront au
bien-être de la patrie.
« Jamais nous n’avons demandé le monopole du pouvoir, il nous
suffit de n’en être pas exclus à perpétuité et par système.
« … La nationalité, vous l’avez dit plusieurs fois avec raison, est
le but le plus élevé des efforts des hommes d’Etat de
Le Sénat surtout a servi de point de mire aux attaques de M. Devaux.
Pour la première fois depuis 1830, le Sénat était intervenu pour dénouer une
crise intérieure. En votant une adresse qui invitait
« En droit, vous avez créé, à l’occasion de ce vote, une théorie
toute nouvelle des attributions du Sénat. C’est un contrepoids, un lest ajouté
à
« La nôtre est plus simple. Bonnes gens que nous sommes, nous
disons que le Sénat est le produit direct de l’élection populaire ; que s’il
représente, dans le jeu de nos institutions, l’élément de stabilité, il a des
pouvoirs égaux à ceux de l’autre assemblée législative ; qu’il représente la
nation ; que, s’il est conservateur et modérateur, ce n’est pas pour conserver
tous les ministères, mais pour conserver les institutions nationales, ce n’est
pas pour modérer, au besoin, seulement
« Vous voulez réduire le Sénat à n’être rien ! Vous ébranlez le
Trône parce qu’il ne s’est pas abaissé devant vous !
« Comment ne vous êtes-vous pas aperçu qu’en reprochant au Cabinet
nouveau de s’être substitué à l’ancien, vos coups portaient plus loin et plus
haut ? Vous méconnaissez la prérogative royale, vous détruisez par la base la
monarchie constitutionnelle.
« Le Roi nomme et révoque ses ministres. Ce droit est indéfini et
il doit l’être. S’il plaisait au Roi de demander ou donner leur démission à des
ministres qui obtiendraient une adhésion presque unanime au sein des Chambres,
nous pourrions, en fait, déplorer un tel acte ; mais, en principe, il serait
posé rigoureusement dans les limites de la prérogative constitutionnelle. Pour
que les exigences du gouvernement représentatif ne fussent pas méconnues, il
suffirait que les ministres nouveaux obtinssent la majorité. Le Roi pouvait
donc, à plus forte raison, révoquer son ministère, sans attendre le vote du
Sénat : l’existence d’une opposition forte, compacte, irréductible, et la
certitude acquise dès lors qu’un ministère nouveau, pris dans les centres,
obtiendrait une (page 73) majorité
suffisante dans les deux Chambres, auraient peut-être justifié en fait cette
mesure, d’ailleurs irréprochable en droit. Le Roi pouvait l’adopter plus
incontestablement encore, sans attendre un ultimatum, après que la majorité du
Sénat s’était prononcée contre le Cabinet.
«
« Eh quoi ! hommes gouvernementaux par excellence, hommes qui avez donné
à la modération des garanties éprouvées
de fermeté, de résistance, qui avez voulu donner beaucoup de force au
pouvoir, parce que le pays a beaucoup de liberté, vous annihilez les
prérogatives de l’une des Chambres législatives, parce qu’elle n’a pas plié
devant vous ; vous ébranlez le Trône, parce qu’il ne s’est pas abaissé devant
vous ! Le Sénat, réduit à n’être rien ; le Roi, forcé à subir les conditions
que ses ministres imposent, et les ministres eux-mêmes qui les imposent ; il ne
resterait plus debout en Belgique que les trois hommes prépondérants, à la tête
de
A votre sens, écrivait-il encore, la dissolution des Chambres ou du
moins du Sénat aurait dû être prononcée ! Mais la dissolution, répondait-il
aussitôt, est une arme dont le pouvoir royal ne doit user qu’en des
circonstances exceptionnellement critiques :
« La dissolution, surtout dans un pays où le mandat législatif est
renouvelé à courts termes, n’est conseillable que dans (page 74) des circonstances très graves et tout à fait
exceptionnelles ; la nécessité seule la justifie. Appliquée mal à propos ou inutilement,
elle compromet les intérêts qu’elle paraissait devoir servir, elle use le
ressort le plus puissant du gouvernement représentatif. Si nous consultons les
annales des pays constitutionnels et même les nôtres, nous trouverons que la
plupart des dissolutions, sinon toutes, ont mal réussi.
« La prudence la plus vulgaire ne conseille-t-elle pas d’attendre
qu’une crise fébrile soit passée pour faire appel à la raison d’un peuple comme
à celle d’un individu, et non à ses passions ?..
« Parce que la dissolution n’a pas été prononcée en cette
circonstance, il ne faut nullement dire, avec le chef de l’ancien Cabinet,
qu’elle ne le sera jamais, qu’il faut biffer l’article de
Parfois l’ironie est amère :
« Vous me direz peut-être, Monsieur, que ces hommes représentaient
des idées ; mais, malgré ma sympathie pour les natures privilégiées en qui
s’incarnent des idées, pour ces âmes vigoureuses et fortement trempées qui
personnifient des principes, je crois qu’il eût été peu opportun ou plutôt très
dangereux de transporter dans le pays, qui n’est point (page 75) trempé comme ces âmes exceptionnelles, la lutte déplorable
que l’existence du Cabinet homogène-modèle avait suscitée. Ce n’est point sur
des questions personnelles ou sur de vagues qualifications de parti, c’est sur
des questions d’intérêts moraux ou matériels nettement posées et facilement
comprises qu’il faut consulter au besoin le pays. »
Malou constate, en fin de compte, qu’il n’y avait aucun conflit entre le
Sénat et
La dernière partie de la brochure, où se reflète confusément la
physionomie de
Aussi bien, son premier essai de polémique avait-il été un succès tout à
fait encourageant.
Les vacances parlementaires ne s’achevèrent pas sans que Malou adressât
au directeur de
(page 76) Avant de jeter un coup d’œil sur
les événements de la première période de la session parlementaire, le polémiste
se pose ce qu’il nomme une question
préjudicielle grave autant que délicate : Comment faut-il définir les
partis ? Quels sont leurs dissentiments ou les analogies de leurs tendances
Qu’est-ce que le libéralisme ? Est-ce une immense négation de croyances et
d’institutions religieuses dans l’ordre moral, une immense négation du pouvoir
et du droit dans l’ordre politique ? « Oh ! s’il reste
encore parmi vous quelques demeurants d’un autre âge,
hommes du XVIIIème siècle, au milieu du XIXème, qui dénient au prêtre, parce
qu’il est prêtre, les droits du citoyen et même parfois les droits de l’homme,
s’il en est qui rêvent une religion sans ministres, et presque un Dieu sans
culte, je ne dirai pas, sous quelque masque qu’ils se présentent, que ce sont
là des libéraux...
« Si le maintien des libertés constitutionnelles et l’indépendance du
pouvoir temporel sont les seuls articles de votre symbole, et je n’en ai pas
trouvé d’autres expressément formulés, vous avez tort d’opposer sans cesse,
comme contraires et incompatibles, l’opinion catholique et l’opinion libérale,
de dire qu’elles ne peuvent honorablement siéger ensemble sur les bancs du
pouvoir. En effet, en quoi votre respect de
« Si c’est là, écrit-il, le libéralisme belge, il n’y a que des
libéraux en Belgique Ne dites donc plus (page
77) désormais - ces lignes datent de 1842, - en mettant en opposition les
libéraux et les catholiques, que le caractère distinctif des premiers, c’est de
vouloir l’application franche et loyale de
Revenu au point de départ, Malou invite M. Devaux à définir lui-même ces
mots qu’on retrouve à chacune de ses pages : l’opinion libérale, l’opinion
catholique.
Sans attendre la réponse du directeur de la Revue Nationale - réponse qui d’ailleurs ne vint pas - Malou passe
en revue la première période de la session, la séance royale, les discussions
politiques ; il apprécie le caractère et recherche le but de l’opposition et
définit les rapports de la majorité avec le Cabinet.
(page 77) La polémique avec M. Devaux en
resta là, délassement de vacances auquel il ne convenait pas de sacrifier le
labeur parlementaire. Dans l’entre-temps, d’ailleurs, des préoccupations d’un
autre ordre assaillaient Malou : le poste très important de secrétaire général
du ministère de la justice était vacant à la suite de la nomination de M.
Paquet comme conseiller à
Cependant, M. Nothomb, désireux d’une prompte (page 78) solution, chargeait M. Van Volxem d’offrir au jeune
directeur de la législation cette place très enviée. « Pour l’amour de Dieu, ne
nous créez pas d’embarras, » disait-il à Malou.
Celui-ci courut le jour même prendre conseil de son frère et de leur
commun ami, le chanoine de Ram. L’un et l’autre l’engagèrent à accepter, sous
peine de s’aliéner les sympathies et peut-être l’estime des membres les plus
éminents de l’opinion catholique, de manquer à la cause commune, de se faire
accuser d’ambition, parce que l’on croirait à de plus hautes visées.
En rentrant de Louvain, Malou trouva une lettre dictée par la sagesse de
M. Malou-Vandenpeereboom : la nomination à de
nouvelles fonctions, disait en substance la missive, entraînerait la nécessité
d’une réélection, dont les chances seraient incertaines, et un surcroît de
besogne, certain celui-là et écrasant. Mais déjà une décision était prise. «
J’ai vu M. Van Volxem, écrit Malou, le 17 février, je lui ai dit que
j’accepterais. Ce soir, il soumettra l’affaire à ses collègues, demain au Roi,
et nous connaîtrons la décision. » Cependant la nomination ne sortit pas, parce
que Malou voulait bien être fonctionnaire, mais sans abdiquer rien de sa
personnalité.
En effet dans l’intervalle,
Le discours n’a pas été conservé ; mais le geste méritait d’être relevé.
Il est d’une belle indépendance. Malou ne fut pas nommé secrétaire général du
ministère de la justice.
Malgré l’habileté incontestée de M. Nothomb, malgré son vif désir de
donner à tous les partis des gages de bon vouloir, les actes de sa gestion
étaient accueillis avec une méfiance croissante.
L’opposition, impitoyable, fit au malheureux ministre un gros grief
d’une proposition relative au mode de nomination des bourgmestres ; la première
idée en revenait cependant à son prédécesseur libéral, M. Liedts ; elle fut
imposée à M. Nothomb par la majorité, entraînée elle-même par Malou plus loin
qu’elle ne semblait le vouloir.
Après avoir, en 1836, repoussé le mode traditionnel de l’élection
directe des bourgmestres, les Chambres avaient admis par transaction la
nomination par le Roi dans le sein du conseil communal. L’expérience de peu
d’années avait amené cette constatation : la crainte de l’électeur empêchait
des bourgmestres d’exercer avec (page 80)
une pleine indépendance certaines de leurs attributions. Pour parer à cet
inconvénient, avec son grand sens politique, M. Nothomb élabora un projet de
loi permettant au Roi, pour des motifs graves, de nommer le bourgmestre hors du
conseil communal, parmi les électeurs de la commune, après avoir pris l’avis de la députation permanente. Légitimée par
de judicieuses considérations, cette proposition, qui ne mécontentait pas
l’opposition, eût pu satisfaire les catholiques.
Ils s’efforcèrent de surenchérir en confiant au Gouvernement le droit de
nommer le bourgmestre hors du conseil, à sa guise et sans prendre l’avis d’un
corps électif. Chose curieuse, cette loi, dont les libéraux usèrent si
largement, fut alors traitée par eux de « loi réactionnaire » ; les
catholiques, au contraire, s’en firent les protagonistes ; Malou, dans une de
ses lettres, paraît même revendiquer l’initiative de la loi du 30 juin 1842.
Dans sa pensée, les avantages d’un projet destiné à affermir l’autorité
des bourgmestres en dépassaient notablement les inconvénients. Sa conviction
était si vive et son langage fut si persuasif qu’il rallia à sa manière de
penser la droite, qui, dans une réunion préparatoire, s’était prononcée presque
à l’unanimité pour le projet Nothomb. A cette réunion assistaient une trentaine
de membres de la majorité. S’adressant particulièrement à trois ou quatre
d’entre eux qu’il savait partisans de mesures plus radicales, M. Nothomb parut
les mettre au défi de formuler en projet de loi leurs idées centralisatrices.
Malou se sentit piqué au vif. « La patience me manqua ; je blâmai vivement la
présentation de cette loi, j’en critiquai les dispositions, j’indiquai les
bases d’autres propositions... Après quelques observations, l’on m’engagea,
quasi à l’unanimité, à présenter des amendements ; l’on promit de les appuyer.
Je ne pouvais reculer, un refus eût été (page
81) lâche et inqualifiable, j’acceptai donc une sorte de mandat et il fut
même convenu que M. Demonceau signerait les amendements avec moi. Plus tard,
cet honorable membre tira son épingle du jeu, sous prétexte qu’il ne pouvait
consentir au mode de nomination des échevins tel que je le proposais. J’allai
donc seul en avant et j’en suis charmé aujourd’hui. »
Comme le chanoine Malou appelait l’attention de son frère sur l’usage
que les libéraux arrivés au pouvoir pourraient faire de la loi amendée dans le
sens de ses propositions, Malou répondait à cette objection : « Je ne m’y suis
pas arrêté ; voici pourquoi pour abuser du droit accordé, le ministère devrait
avoir le Roi pour complice ; les destitutions, même en des moments de fièvre et
de crise, seront rares et difficilement obtenues, parce que ce moyen de
gouvernement répugne aux idées du pays, parce qu’il blesse ceux qui en usent. »
Dans sa préoccupation de rendre le bourgmestre à la fois plus
indépendant vis-à-vis de ses électeurs et plus fort par l’appui d’un collège
nommé comme lui par le pouvoir central, Malou proposa un nouveau système,
suivant lequel le Roi nommerait les échevins dans le conseil communal et le
bourgmestre parmi les électeurs de la commune. Le bourgmestre cesserait, dès sa
nomination, de faire partie du conseil. Vivement combattue par la gauche et par
M. Dumortier, qui s’écria qu’on ne verrait
jamais des députés envoyés par le peuple pour la défendre, lacérer eux-mêmes la
charte des libertés du pays, la proposition de Malou fut appuyée à
l’extrême-droite par MM. F. de Mérode, de Briey, Dechamps.
Il eut la surprise de voir le chef du Cabinet s’y rallier (Annales parlementaires,
3 juin 1842) comme il
s’était rallié aux amendements que la (page
82) section centrale avait commencé par opposer à son projet ; le ministre
se contentait de tenir celui-ci en réserve pour le cas où les amendements seraient
rejetés. C’était pousser la condescendance presque jusqu’à se compromettre
vis-à-vis des adversaires. « Il s’aplatit et se laisse aplatir, écrivait
Malou,... tout cela n’est guère gouvernemental ! » Aussi bien, n’était-ce
pas le cœur léger, mais entraîné par les fluctuations continuelles de sa
majorité que le ministre consentait à ces abdications successives. Il se trouva
cinquante et une voix pour voter, sans restriction, la première partie de
l’amendement Malou, conçue dans les termes suivants :
« Le Roi peut choisir le bourgmestre parmi les membres du conseil ou les
électeurs de la commune. » La tendance à accorder au pouvoir central le
plus possible d’autorité exécutive dans la commune était si vive, qu’il ne fut
plus question de motifs graves, ni d’une intervention quelconque des
députations permanentes.
Le second paragraphe : « Le bourgmestre ne peut être membre du conseil
communal, » ne fut rejeté qu’à parité de voix.
Telle fut la part de Malou dans l’élaboration de la première des lois
qui brouillèrent M. Nothomb avec les libéraux modérés.
Le fossé se creusa plus profondément par le vote d’un projet sur le
fractionnement en sections électorales des communes de plus de douze mille
habitants et par le vote de la loi du 1er avril 1843, qui avait pour but la
répression de certaines fraudes électorales.
Introduire dans le régime électoral la loyauté, l’honnêteté, en bannir
progressivement toute fraude, a été l’un des soucis constants, l’une des
principales préoccupations de Malou durant tout le cours de sa carrière
politique.
(page 83) Qu’on est loin aujourd’hui du
processus archaïque des opérations électorales d’il y a soixante ans ! Les
ballottages donnaient lieu, dans les petits chefs-lieux d’arrondissement, à des
fraudes pratiquées sans pudeur.
Aussitôt les opérations de dépouillement du premier scrutin terminées,
le ballottage, s’il y avait lieu, était fixé à une heure quelconque de la
journée ; les électeurs ruraux étaient retenus par des agents électoraux dans
les cabarets ou s’en retournaient chez eux sans attendre l’heure du second
scrutin ; quelques électeurs urbains décidaient du résultat de l’élection.
Le moyen frauduleux le plus généralement usité était l’inscription sur
les listes électorales de faux censitaires. Il dépendait de personnes riches de
faire des électeurs à peu près à leur gré : tel individu prenait une patente
pour l’exercice d’une profession qui n’avait jamais été la sienne ; tel autre
déclarait un cheval de luxe qu’il n’avait jamais possédé ; un troisième se
gratifiait de deux ou trois domestiques imaginaires.
Il y avait accord unanime des partis pour réclamer une loi de répression
des fraudes électorales. Énergiquement appuyé par Malou, M. Nothomb déposa un projet
qui tendait, par une judicieuse réglementation, à prévenir plutôt qu’à réprimer
la fraude. Nous n’avons pas à en faire connaître ici les dispositions, jugées
trop modérées en leur teneur et vivement combattues par les membres de la
gauche. Malou préconisa, dès lors, la création d’un papier électoral officiel ;
son amendement fut qualifié de nouvelle
intervention du Gouvernement dans une opération dans laquelle il n’avait rien à
faire qu’à attendre le résultat, et il fut rejeté.
D’autre part, il fit prévaloir, malgré l’opposition de M. Nothomb, un
mode de votation, sur un même bulletin, pour les candidats à
(page 84) Le passage de M. J.-B. Nothomb au
ministère marque principalement par le vote de la loi de 1842 sur l’enseignement
primaire.
Loi de transaction, fruit de concessions réciproques, elle admettait le
principe de l’intervention de
Malou s’abstint de prendre part à ces grands débats ; il se contenta
d’exprimer son sentiment dans un article, écrit sans enthousiasme, qui parut
dans
Parmi les collègues de Malou, plusieurs partageaient son sentiment et,
dans le clergé, la loi de 1842 ne fut accueillie qu’avec méfiance (Pierre
VERHAEGEN, La lutte scolaire en .Belgique. Introduction parue dans
Même avant la loi de 1848, une incompatibilité de fait, sinon de droit,
existait entre l’exercice de fonctions administratives et celui d’un mandat
législatif. Il n’est pas sans intérêt de l’établir par l’exposé d’un cas
concret.
Les heurts étaient inévitables, l’aboutissement fatal. C’était, ou bien
l’annihilement du fonctionnaire, l’absorption de sa
personnalité, l’asservissement aux idées des (page 86) détenteurs momentanés du pouvoir, ou bien le conflit
toujours menaçant entre le Gouvernement et le député soucieux avant tout de
demeurer fidèle à ses engagements et de sauvegarder l’intérêt de ses mandants
situation particulièrement périlleuse et délicate pour un fonctionnaire d’ordre
aussi éminent que le directeur de la législation au ministère de la justice ;
pour un homme politique de la valeur et du caractère de Malou, fermement décidé
- ne l’avait-il pas déclaré à ses électeurs ? - à résilier ses fonctions le
jour où son indépendance cesserait d’être entière et absolue.
A plusieurs reprises, depuis son entrée au Parlement, il s’était trouvé
en divergence d’opinion avec des membres du Cabinet ; il avait attaqué M.
Desmaisières dans la gestion de son département des travaux publics (Notamment
au sujet de la reprise par l’Etat du canal de Mons à Condé).quand fut discutée la convention
entre l’Etat et la ville de Bruxelles, Malou s’était adressé directement au
ministre de l’intérieur, pour lui demander s’il faisait de l’adoption de son
projet une question de Cabinet, et sur la réponse négative de M. Nothomb, il
avait combattu si bien la proposition, au nom de la section centrale, que
celle-ci fut modifiée.
Plus délicate encore fut sa situation lorsqu’il se trouva aux prises
avec son chef immédiat dans l’ordre administratif, le baron d’Anethan, et qu’il critiqua comme injustifiées des demandes
de crédit (Crédits affectés au Palais de justice de Gand).
Tandis que les ministres, évidemment vexés, dissimulaient leur mécontentement
et faisaient bonne mine avec une louable longanimité, la presse gouvernementale
se répandait en propos acrimonieux et signifiait, (page 87) sans ambages, à Malou que, si l’honneur lui défendait de se taire, il devait, le désaccord une
fois constaté, donner sa démission (Le Politique, 11 janvier 1844). Malou n’en fut pas ébranlé. Ces
clameurs n’étaient pas étouffées lorsque, à l’occasion d’un arrêté relatif au
libre transit du bétail hollandais vers
Malou fut accusé d’hostilité systématique ; on lui reprocha de donner de
fâcheux exemples d’insubordination. De son côté, il se rendait compte qu’il
était impossible de cumuler avec l’exercice loyal et indépendant d’un mandat
législatif celui de fonctions administratives, qui excluaient entre le
Gouvernement et son fonctionnaire toute manifestation de désaccord.
Le projet de M. Nothomb sur le mode de nomination des jurys
universitaires fut l’occasion de l’inévitable rupture. Une loi de 1835 avait
confié au Roi et aux Chambres le choix des membres des jurys d’examens. Le
projet attribuait au pouvoir exécutif le droit exclusif de procéder à ces
nominations. Le ministre y voyait une garantie d’impartialité. Son projet était
vivement appuyé par la gauche et défendu par la presse libérale, tandis que les
catholiques s’effrayaient d’un nouvel empiétement du pouvoir central en matière
d’enseignement.
(page 88) Vraisemblablement, si M. Nothomb
avait prévu que son projet soulèverait une discussion de principes,
provoquerait d’ardentes polémiques et surtout ne rencontrerait pas de majorité,
il ne l’eût jamais déposé ; son collègue, M. Dechamps eût trouvé moyen de l’en
empêcher.
L’opposition se manifesta dès le jour où M. Nothomb fit part à
Fidèle à l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis de ses électeurs de
sacrifier, s’il était nécessaire, à la loyauté de ses votes les avantages de sa
position, Malou aussitôt avait fait part aux Yprois
de sa résolution, Il la communiquait aussi « comme une primeur » au chanoine de
Ram. D’Ypres comme de Louvain lui vinrent des lettres hautement approbatives.
La nouvelle de cette brusque démission fit, dans les couloirs de
Malou n’avait pas vu sans chagrin son ami Dechamps associer sa fortune
politique à celle, fort ébranlée, de M. Nothomb. Dégagé de cette qualité de
fonctionnaire qu’on lui avait tant de
fois jetée à la tête comme un reproche, il entreprit de rallier M. Dechamps
à sa manière de voir.
Il s’en alla frapper au seuil du cabinet du ministre des travaux
publics. « Pendant une heure et demie, j’ai employé toute ma rhétorique à lui
persuader qu’il devait se retirer d’une position où il compromettait et lui- même
et les siens. Je tiendrais la réussite pour assurée, s’il m’était permis de
croire à la ténacité de caractère de mon interlocuteur. Un avenir très prochain
nous éclairera, du reste, complètement sur ce point. » (Lettre
du chanoine Malou à son frère, 26 février 1844).
Quelques jours après cet entretien,
Débarrassé des entraves administratives, Malou avait pris aux travaux de
la session législative qui se clôtura (page
90) en juin 1844, une part importante et justement remarquée en juin 1844,
une part importante et justement remarquée. (Malou prit,
en qualité de rapporteur, une part importante à l’élaboration de la loi
relative aux pensions civiles et ecclésiastiques et spécialement au projet
d’une pension à allouer aux anciens ministres qui avaient exerce leurs hautes
fonctions pendant deux ans au moins. Il se demandait si l’effet le plus clair
de cette proposition ne serait pas de jeter la suspicion sur la dignité et de
compromettre l’indépendance des ministres à la veille d’acquérir des droits à
la pension. « Quelle sera donc la position d’un ministre qui sera en fonctions
depuis un an et onze mois ?... Un homme sur le point d’acquérir ce droit (à la
pension) sera-t-il libre ? La dignité du pouvoir, la dignité politique en
général, où est-elle donc ? Je dis qu’elle est dans le désintéressement et
qu’elle n’est que là. La dignité politique comme la dignité privée est
précisément dans ce combat de l’intérêt et du devoir glorieusement soutenu dans
toutes les positions de la vie. (Annales parlementaires, 24 juillet 1844.) Le
rapporteur du projet admettait néanmoins certaines exceptions en faveur des
anciens ministres, auxquels la loi s’appliquerait par un effet rétroactif cl
qui avaient, pour la plupart, concouru à l’organisation de notre jeune
nationalité, en faveur aussi des ministres, anciens fonctionnaires, qui avaient
fait le sacrifice d’une situation laborieusement acquise. Le projet, amendé
dans le sens de ces dispositions restrictives, fut voté par