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« Jules Malou (1810-1870) », par le baron de TRANNOY

(Bruxelles, Dewit, 1905)

 

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CHAPITRE III. - LES DEBUTS POLITIQUES. - L’UNIONISME (JUIN 1841-SEPTEMBRE 1844)

 

1. Le contexte politique général : l’unionisme et la Revue nationale de Devaux

 

(page 48) L’avènement du ministère libéral homogène Lebeau-Rogier serait, d’après l’historien éminent du règne de Léopold 1er, le fait capital de l’histoire politique contemporaine de nos provinces. (THONISSEN, La Belgique sous le règne de Léopold Ier, t. IV, p. 22. (Liège, 1857).)

En effet, la date du 18 avril 1840 marque, au lendemain du traité des vingt-quatre articles, l’aube de la période d’âpres luttes des partis.

A la lecture des discours des membres du Cabinet et même de la plupart des orateurs de la Chambre, apparaissent à peine quelques symptômes de cette importante évolution,

La déclaration ministérielle, lue le 22 avril par M. Liedts, ministre de l’intérieur, témoigne d’un respect apparemment sincère pour « toutes les opinions modérées et franchement constitutionnelles ».

Le ministre de la justice, M. Leclercq, ne pense pas (page 49) autrement : « Tous les hommes dévoués au pays devraient s’unir pour faire cesser ces divisions, ces classifications de catholiques et de libéraux…. qui n’ont aucun sens, en présence des grands principes de liberté qui sont consacrés par notre Constitution. »

Ce langage était-il celui de novateurs ? Etait-il d’un gouvernement constitué dans la pensée de rompre en visière avec la politique d’union ?

Sans doute, le Cabinet était libéral-homogène ! Mais les deux ministères du Régent n’avaient-ils pas été, aussi bien que le Régent lui-même, du libéralisme le plus avéré ? Le premier ministère de M. Lebeau en 1832 l’était-il moins que celui du 18 avril 1840 ? Et la Chambre où celui-ci trouvait une majorité était-elle composée d’éléments différents de ceux qui avaient soutenu ou combattu M. de Theux ? Qu’y avait-il donc de changé ?

Tandis que le ministère affectait dans son programme un respect au moins apparent des traditions unionistes et faisait appel aux éléments modérés des deux partis, un profond revirement se produisait dans la presse et dans l’opinion de nombreux électeurs.

Cette volte-face coïncide avec l’apparition, en 1837, de la Revue Nationale, fondée et principalement alimentée par Paul Devaux.

L’un des promoteurs, en 1828, avec M. de Potter, du rapprochement des libéraux et des catholiques, M. Devaux, s’était trouvé au premier rang des hommes d’Etat du Congrès national ; il avait mis son grand talent et sa remarquable perspicacité au service du pays aux heures difficiles des tiraillements diplomatiques et de la réorganisation intérieure ; son influence était considérable.

Libéral avant la révolution, M. Devaux se retrouva, au lendemain de la signature du traité des vingt-quatre (page 50) articles, le libéral et le polémiste d’antan. Dès ce moment, il se déclara l’adversaire résolu de la politique d’union qu’il avait servie dix ans. La Revue Nationale enregistra périodiquement ses violents réquisitoires contre MM. de Theux, Nothomb et Willmar.

La presse, à peu près entièrement acquise au libéralisme, annonçait à ses lecteurs impatients les articles de M. Devaux ; elle applaudissait à l’audace croissante de ses revendications exclusives ; elle en répandait par tout le pays des commentaires complaisants. Le drapeau du libéralisme flottait aux mains du député de Bruges. Si bien que l’on peut dire que l’apparition de la Revue Nationale fut l’un des faits capitaux de notre histoire politique au même titre que l’avènement du cabinet Lebeau-Rogier.

La crise ministérielle avait pris fin par l’accès au pouvoir du ministère homogène, que M. Devaux avait appelé de toute l’ardeur de ses vœux. Ce fut sa première victoire. Il n’entrait pas personnellement dans la combinaison nouvelle, mais l’heure n’était pas venue ; il avait semé, mais la moisson n’était pas mûre ; son arrivée au ministère eût peut-être tout compromis.

Que MM. Liedts, Leclercq fissent des déclarations rassurantes, qu’ils protestassent, de bonne foi, de leurs intentions conciliatrices, cela importait peu au polémiste de la Revue Nationale. Il avait acquis à son exclusivisme les deux têtes de l’administration nouvelle, MM. Lebeau et Rogier. Il suffisait pour l’heure. En réalité, M. Devaux menait le ministère : « On est convenu, disait M. Nothomb, d’appeler ce Cabinet : le ministère Lebeau-Rogier ; c’est une erreur ; il faudrait l’appeler : le ministère Devaux. »

Telle fut la véritable signification politique du 18 avril 1840 : ce fut le triomphe des idées exclusives (page 51) défendues dans la Revue Nationale. On entendit pour la première fois un chef de Cabinet déclarer à la Chambre « que ce qu’il fallait au pays, c’était un Cabinet homogène, dans lequel chacun professât les mêmes principes généraux de gouvernement » ; il se trouva une majorité pour le soutenir ; dès lors - ceci est capital - les libéraux n’eurent plus qu’une pensée : tout ministère d’union - on disait alors de compromission - est un anachronisme ; l’avenir appartient au libéralisme, à lui seul.

Les catholiques, pour toute riposte, s’abritèrent plus étroitement sous l’aile de l’unionisme. Plus avisés, ils eussent pris une position nette et répondu à l’exclusivisme. Il leur répugnait de réagir, d’opposer doctrine à doctrine. Bénévolement attachés à la politique d’union, ils se persuadèrent que, seule, elle pouvait assurer la prospérité du pays.

Tandis que les libéraux créaient dans tous les arrondissements des comités électoraux et préparaient de longue main le Congrès de 1846, où devait éclater leur puissance, la masse des catholiques flottait comme un chaland à la remorque des pilotes de l’unionisme. On ne vit point s’ériger en face du libéralisme exclusif le parti d’opposition qui eût dû s’appeler conservateur plutôt que catholique, puisque, dans le rang des libéraux, les uns professaient, d’autres affectaient une respectueuse sollicitude pour la religion et ses ministres, surtout pour le bas clergé.

La majorité du Sénat eut, cependant, en faveur de l’union qu’on brisait un geste énergique de protestation, qui suffit à renverser le ministère.

Dans une adresse au Roi, restée fameuse par la polémique qu’elle souleva, elle exprima en termes francs et clairs sa désapprobation de la politique nouvelle. Léopold Ier donna raison au Sénat contre le ministère et (page 52) (page 52) appela au pouvoir un membre éminent de la gauche unioniste et modérée, M. J.-B. Nothomb. (Le ministère était composé comme suit : Intérieur : M. Nothomb (libéral) ; Affaires étrangères : M. de Muelenaere (catholique) ; Justice : M. van Volxem (libéral) ; Finances : comte de Briey (catholique) ; Travaux publics : M. Desmaisières (libéral) ; Guerre : général Buzen (libéral)).

Du 13 avril 1841 au 12 août 1847, l’unionisme connut encore de beaux jours. Nous allons les vivre avec Malou.

 

2. Les élections d’Ypres de juin 1841

 

(page 52) Les élections pour le renouvellement par moitié de la Chambre des Représentants étaient fixées au 8 juin 1841.

Les députés d’Ypres étaient sortants. L’un d’eux, M. de Langhe, unioniste catholique, ne sollicitait pas le renouvellement de son mandat. Les neuf cents électeurs de l’arrondissement étaient profondément divisés. Deux camps se trouvaient eu présence. L’un groupait les catholiques et les libéraux modérés ; il arborait le drapeau de l’union. L’autre s’intitulait libéral tout court, ne représentait pas le tiers du corps électoral et avait pour organe le Progrès d’Ypres.

Le parti du Progrès était décidé à combattre des adversaires qui, s’ils triomphaient, allaient ramener le pays aux temps de la toute-puissance cléricale, aux temps de la dîme, des mains-mortes et des corvées : sur ce thème, qu’on pouvait malaisément qualifier de neuf, même à cette époque, se livra la polémique, non seulement à Ypres, mais aussi dans le reste du pays.

Les catholiques yprois devaient choisir un candidat qui recueillît avec M. de Florisone-Mazeman, l’élu des libéraux modérés, les voix unionistes. (page 53) En 1837, ils s’étaient adressés à Jules Malou ; celui-ci avait refusé ; mais, depuis lors, il avait gravi deux échelons dans la carrière administrative et la force des raisons qui avaient déterminé son refus s’était atténuée.

Si le mérite et le savoir sont des titres aux yeux d’un corps électoral, l’avancement rapide de Jules Malou, les aptitudes et le talent dont il avait donné des preuves, sa compétence en matière législative le désignait évidemment au choix de ses concitoyens.

Aucune incompatibilité légale n’existait entre la position de directeur au ministère de la justice et l’exercice d’un mandat législatif ; mais les convenances dictaient à Malou le devoir d’exposer à son ministre l’offre qui lui était faite.

Ici se place un incident significatif, consigné dans la correspondance d’un contemporain, M. François-Louis du Bus, et confirmé d’ailleurs par Jules Malou lui-même.

Dans une de ces lettres qu’il adressait presque journellement aux siens, pour les tenir au courant des événements parlementaires (Sous le titre : Le Congrès national d’après la correspondance de François-Louis du Bus, membre du dit Congrès, une partie de cette intéressante correspondance a été publiée récemment dans la Revue Générale (mai, juin, juillet 1904) par M. Léon du Bus DE WARNAFFE, à l’obligeance de qui nous devons la relation rapportée ci-dessus), M. du Bus rapporte l’incident en ces termes : « Je tiens l’anecdote suivante de notre nouveau collègue, M. Malou. Lorsque M. de Langhe eut annoncé en quelque sorte officiellement à la Chambre son intention de se retirer de la vie parlementaire, M. Malou, qui avait dessein de se mettre sur les rangs et qui est fonctionnaire supérieur au ministère de la justice, crut devoir consulter son chef, M. Leclercq, se réservant de donner au besoin sa démission, si la réponse était défavorable. M. Leclercq répondit qu’il devait en (page 54) référer au Conseil des ministres, et la réponse du Conseil des ministres fut négative. Le prétexte était qu’il était agent du gouvernement, immédiatement sous les ordres du ministre. Malou eut la franchise de dire qu’il n’était point dupe de ce prétexte, que cette exclusion avait sa cause véritable dans les opinions qu’il professait. Le ministre ne lui dissimula pas qu’il en était ainsi. » En effet, l’objection soulevée par M. Lebeau et M. Rogier, et qui avait prévalu dans le Conseil des collègues de M. Leclercq, s’appliquait avec une égale logique à tous les fonctionnaires ; cette raison n’était pas la véritable. « Elle n’a jamais servi, écrivait Malou, qu’à combattre ceux dont les opinions ne convenaient pas. Je dis franchement au ministre que je pénétrais bien le vrai motif qui dirigeait ses collègues, que l’exclusion s’adressait non à moi, mais à l’opinion qui m’offrait son appui ; je le remerciai, du reste, des témoignages d’estime et de bienveillance qu’il me prodiguait en son propre nom. »

Malou se trouvait placé dans l’alternative ou bien de renoncer à une candidature qui offrait de belles chances, ou bien de s’exposer à une démission nécessaire, si le ministère Lebeau-Rogier conservait le pouvoir.

« Je me trouvais repoussé du côté du ministère comme catholique, du côté des catholiques comme tenant au ministère par ma place. »

Dans l’attente des événements qui présageaient la chute du Cabinet, il se laissa porter candidat. « Je suis résolu à faire le sacrifice de la position que j’occupe actuellement, s’il est nécessaire, pour conserver mon indépendance et pour coopérer à l’œuvre à laquelle une partie notable des Chambres travaille avec tant de chances (page 55) de succès, c’est-à-dire à modifier la situation du pouvoir vis-à-vis des catholiques. »

L’arrivée au ministère, le 13 avril, de M. J.-B. Nothomb permit à Malou de conserver sa position et de demeurer candidat. Ce fut alors le tour des libéraux yprois de manifester leur méfiance. Quoi ? sous le prétexte d’un unionisme fallacieux, voter pour « un candidat qui s’engageait par sa position à approuver d’avance tout ce que les ministres présents et futurs pourraient proposer aux Chambres ! » (Le Progrès d’Ypres, 20 mai 1841) - « Le jour où mon indépendance cesserait d’être entière et absolue, répondit Malou, je résignerais les fonctions qu’une honorable confiance m’a toujours rendues chères à tant de titres. » (Lettre au Progrès d’Ypres, 21 mai). L’avenir prouvera que ce n’étaient pas de vaines paroles.

Même dans les rangs de son parti, Malou se heurta à une opposition personnelle. De bons Yprois lui reprochaient ses infidélités envers sa ville natale ; on le représentait comme ayant « à peine quitté les bancs de l’école » ; les purs blâmaient la promotion dont il avait été l’objet sous le ministère libéral de M. Leclercq. Il eut surtout à défendre son indépendance politique contre d’autres exigences. Au cours d’une assemblée préparatoire, certains électeurs émirent la prétention d’imposer à leurs candidats un mandat impératif. Malou refusa nettement d’engager la liberté de ses votes ; il préférait renoncer à toute candidature que d’être « le duplicata vivant de la profession de foi » qu’on lui demandait. « Si les professions de foi n’étaient que ridicules, il faudrait peut-être savoir s’y soumettre philosophiquement, mais elles tendent à vicier nos institutions. Le mandat est et (page 56) doit rester mandat de confiance et, s’il n’en est pas ainsi, pourquoi est-il révocable à courts termes ? »

« J’aimerais mieux, écrivait-il d’autre part à son frère, n’arriver jamais aux Chambres que d’y venir lié par une espèce de mandat impératif quel qu’il soit. J’espère que la Providence bénira mes desseins, je les forme avec l’espoir de faire quelque bien, d’être utile à mon pays, en même temps que je satisfais un goût bien naturel en entrant dans une carrière vers laquelle tous mes goûts m’appellent. » (Notes sur le mandat impératif, 1841).

Les électeurs mirent une sourdine à leurs exigences et Jules Malou fût proclamé candidat.

Le mardi 8 juin, une animation insolite régnait aux alentours de l’hôtel de ville d’Ypres, dans le cadre prestigieux des Halles et du Grand Marché. A neuf heures, les portes de la Salle Bleue s’ouvrirent, l’on procéda aux opérations électorales.

Les électeurs, nominativement appelés, furent invités à inscrire à la main sur des bulletins les noms des citoyens auxquels ils accordaient leurs suffrages. Ils remettaient ensuite ces bulletins au président, qui les déposait à son tour dans une boîte à double serrure placée sur le bureau électoral. Des deux cent soixante inscrits au bureau principal, pas un seul n’avait manqué à l’appel ; cette constatation n’est pas sans intérêt au point de vue des mœurs électorales. Le résultat du scrutin fut proclamé et les bulletins brûlés aussitôt en présence de l’assemblée.

Dans les trois autres sections où s’étaient trouvés répartis les électeurs, il fut procédé de la même façon.

Le total des votes émis, additionnés par le président de la section principale, attribuait à MM. de Florisone et Malou une majorité de près des deux tiers des votes émis (652 votes sur 908 votants). Ils furent proclamés élus.

 

3. Les personnalités marquantes de la chambre des représentants en 1841

 

Arrivant à l’âge de trente et un ans à la Chambre, Jules Malou n’y était pas un inconnu. Ses collègues savaient la part importante qu’il avait prise depuis cinq ans à l’élaboration des lois ; l’autorité du chef de la division de législation était reconnue, sa valeur, incontestée.

Peu de législateurs furent à meilleure école. Ce n’est pas l’endroit d’exposer les idées de Jules Malou au sujet de la compatibilité des fonctions administratives ou judiciaires avec le mandat législatif. Si de cette compatibilité, il recueillit personnellement le bénéfice, il en connut aussi l’inconvénient. Combien ne lui fallut-il pas de tact pour concilier durant trois ans l’indépendance de son attitude politique avec les devoirs de sa situation administrative !

Au moment où Malou y entra, beaucoup d’hommes distingués siégeaient sur les bancs de la Chambre ; le tiers de ses membres appartenait à la magistrature ou à l’administration ; on y rencontrait notamment la plupart des gouverneurs de province.

C’étaient les beaux jours de l’éloquence parlementaire, où l’on voyait à la flamme d’un discours se désagréger tantôt la droite, tantôt le centre où siégeaient les libéraux modérés, et se former des majorités de surprise.

Le chef de la droite unioniste catholique était le comte de Theux ; il venait de quitter le ministère, après (page 58) six ans de gouvernement ; la Belgique lui devait la paix définitive avec la Hollande ; d’avoir bravé l’impopularité pour atteindre ce résultat, l’avait grandi aux yeux de ses adversaires mêmes. C’était un parlementaire de vieille roche, les Anciens eussent dit un Sage. Ennemi des solutions extrêmes, c’était un temporisateur. Il refrénait les velléités belliqueuses de ses jeunes amis. Léopold Ier avait en haute estime ce ministre, toujours digne dans son attitude, ménager du pouvoir, et qui ne maniait la parole qu’avec prudence ; aussi bien ses discours ont-ils plus de qualités foncières, de sûreté et d’exposition que d’éclat. Droit toujours, ferme quand il convenait de l’être, conciliant jusqu’aux dernières limites, il en imposa toujours par le caractère, et il faut plus de caractère dans la conciliation que dans la défense d’idées extrêmes. Jusqu’à sa mort, il demeura le chef de la droite de la Chambre.

Les qualités qui distinguèrent si éminemment le comte de Theux manquaient peut-être à son collègue, le comte de Muelenaere.

Ministre des affaires étrangères et chef du Cabinet au moment périlleux de la seconde invasion hollandaise, en 1831, il fit partie aussi du second ministère de Theux et se retrouva encore aux affaires étrangères le 13 avril 1841. Dès le 5 août de la même année, il sortit du Cabinet Nothomb et reprit place à la droite de la Chambre. Malgré d’aussi brillants états de services, il n’exerça qu’une influence effacée ; on disait de lui qu’il était dans le camp catholique sans trop savoir pourquoi ; pour être un chef de parti, il manquait à la fois d’enthousiasme et d’action. C’était néanmoins un homme d’expérience et de conseil ; Malou, plus d’une fois, recourut à lui.

Bien différent était le comte Félix de Mérode, l’une (page 59) des plus sympathiques et des plus originales personnalités parlementaires de son temps, l’antithèse vivante du sceptique, catholique aux idées taillées d’une pièce, à qui nul ne reprochait la rude franchise de son langage et la hardiesse, souvent plaisante, de ses réparties, et de qui Lacordaire a dit qu’il avait dominé tous les Partis à force d’honnêteté.

Autour de ces anciens membres du Congrès national, la droite groupait des hommes d’Etat, plus tard venus à la vie politique. Parmi ceux-ci, M. Barthélemy Dumortier apparaissait auréolé de brillants succès. Orateur fougueux, il s’attachait avec passion, dans l’attaque ou la défense, à la cause à laquelle il se donnait. Il obtint la réduction de plusieurs millions de la dette belge envers la Hollande. Ce fut un beau et mérité triomphe. A la Chambre, il prenait fréquemment la parole ; c’était par excellence un improvisateur. Sa nature, très droite, n’admettait pas toujours les atermoiements de la politique et il se laissait aller à de généreux emportements, qui atteignaient parfois ses amis. Ceux-ci - Malou fut souvent du nombre - lui pardonnaient, car, en dehors de ses heures de boutade, M. Dumortier était le meilleur et le plus serviable des hommes.

Parmi les membres de la droite, de récents travaux et leur participation aux débats de la Chambre avaient mis en particulière évidence M. de Decker et M. Dechamps. Erudit doublé d’un écrivain de premier ordre, M. de Decker était peut-être moins un homme d’Etat qu’un académicien et un philosophe. Il parlait une langue châtiée, qu’animait un souffle généreux. Son esprit planait au-dessus des mesquineries de la politique ; il voulut en ignorer les rancunes, combattit ses amis et vota pour ses ennemis. Il demeura l’un des derniers défenseurs de la politique d’union.

(page 60) L’orateur le plus brillant de la droite était incontestablement M. Dechamps ; de l’orateur il possédait tous les dons de séduction : élégance, souplesse, variété, ampleur. La nature l’avait merveilleusement doué. Il lui manqua peut-être la trempe du caractère. Chargé, dans le cours de la session qui s’ouvrait, d’un rapport sur l’instruction primaire, il entra, quelques mois plus tard, avec M. d’Anethan, dans le ministère Nothomb.

Malou rencontra aussi sur les bancs de la droite M. Raikem, qu’il avait servi au ministère, magistrat et juriste plutôt qu’homme politique ; le baron de Man d’Attenrode ; M. du Bus, ancien membre du Congrès national, et M. Brabant, dont la proposition tendant à conférer à l’université de Louvain la qualité de personne civile allait faire couler des flots d’encre et remuer la diplomatie européenne.

Catholique d’éducation et de conviction, unioniste comme l’étaient sans exception alors tous les catholiques, unioniste aussi par tempérament, Malou avait une place marquée parmi ces parlementaires, dépositaires et défenseurs des traditions nationales. Ceux-ci accueillirent avec une joie empressée la recrue que le Cabinet libéral avait tenté de leur disputer ; ils savaient leur nouveau collègue rompu déjà au labeur législatif, attentif et consciencieux, tout à la tâche entreprise, doué d’une parole facile, claire dans l’exposition, prompte à la riposte. Au surplus, d’un esprit accommodant et d’une belle humeur volontiers communicative, Malou compta bientôt autant d’amis que de collègues parmi les membres de la droite.

Sur les bancs opposés de la Chambre s’échelonnaient tous les degrés du libéralisme (Voir CHARLES WOESTE, L’évolution anticatholique et radicale du libéralisme belge (Vingt ans de polémique, t. 1.)) : on y entendait à (page 61) l’extrême la voix de M. Verhaegen se mêler à celle de M. Delfosse pour rudoyer aussi bien M. Rogier et M. Lebeau, suspects de modérantisme, que les partisans de la dîme et des mains-mortes, et s’élever au nom d’un libéralisme intransigeant contre les empiétements du clergé et l’intolérance du parti épiscopal. Ni M. Verhaegen, ni M. Delfosse ne connurent les responsabilités du pouvoir ; ils jouirent d’une grande popularité dans les associations libérales dont ils incarnaient toutes les tendances ; celles-ci célébrèrent comme de retentissantes victoires leur arrivée successive à la présidence de la Chambre.

Plus gouvernemental, quoique de bon teint, était le libéralisme de MM. Lebeau et Rogier, dont la Revue Nationale demeurait l’Egérie.

Triumvirat de vrais hommes d’Etat, MM. Devaux, Lebeau et Rogier -ces derniers déchus depuis la veille du pouvoir - songeaient à reconquérir celui-ci au libéralisme exclusif. Leur autorité grandissait à mesure que s’organisaient successivement, dans la plupart des villes du pays, les troupes acquises au libéralisme par les efforts de la presse, à la faveur de l’inertie des conservateurs unionistes.

Le groupe des unionistes libéraux allait se désagrégeant d’année en année, et se survivait à lui-même, incarné en quelques personnalités de marque, telles que MM. Van Volxem, Mercier, H. et Ch. de Brouckère et le baron d’Huart, dont le passage au ministère avait heureusement raffermi le crédit de la Belgique. A ce groupe appartenait le chef du Cabinet, M. J.-B. Nothomb.

Homme d’Etat reconnu éminent par tous les partis, l’un des fondateurs de l’indépendance nationale, M. J.-B. Nothomb ne jouit cependant de la confiance (page 62) ni des catholiques, ni des libéraux à aucun moment de son ministère.

Nul n’accumula en aussi peu de temps autant d’inimitiés et de rancunes que ce grand ministre, à qui la Belgique est redevable d’une loi scolaire votée de l’accord presque unanime des membres du Parlement et demeurée en vigueur pendant près de quarante ans.

Il n’est pas de soupçons dont sa politique n’ait été l’objet, pas de fourberie dont on ne l’ait accusé et, lorsque, pour sa défense, il eut fait entendre au Parlement des accents d’une éloquence qui n’a pas été dépassée, il ne lui resta, après trois ans de carrière ministérielle, qu’à accepter de servir son pays à l’étranger (Th. JUSTE, le baron Nothomb, ministre d’Etat, deux volumes, 1874).

L’impopularité dont il pâtit, il la devait principalement à la politique d’union qu’il avait mission de défendre en ce moment. Toutes les mesures dont il proposa l’adoption s’inspiraient de la pensée de concilier et de satisfaire, par d’habiles transactions, les opinions en présence. Bien rarement les actes de son ministère, quels qu’ils fussent, nominations ou arrêtés ou projets de lois, échappèrent aux attaques de l’un et de l’autre parti.

Depuis 1839, d’ailleurs, les ministères mixtes apparaissent comme des places démantelées, sans troupes à opposer à des ennemis qui les cernent de toutes parts. Bientôt il n’y aura plus de ministère mixte viable que celui auquel une majorité composée exclusivement d’hommes d’une opinion prêtera son appui.

 

4. La proposition Dubus-Brabant sur la personnalité juridique de l’université de Louvain

 

(page 63) Une proposition due à l’initiative parlementaire de MM. du Bus et Brabant faisait, depuis quelques mois, les frais de discussions passionnées dans la presse et les cercles politiques. Déposée le 10 février 1841, sous le ministère de MM. Lebeau et Rogier, à la suite d’une pétition adressée à la Chambre et au Sénat par les évêques de Belgique, elle avait pour objet de faire conférer à l’université de Louvain la qualité de personne civile.

Le projet, très raisonnable en soi (L’université de Louvain, déclarée personne civile, était autorisée à acquérir et à aliéner des biens, au nom de son Recteur, avec l’autorisation spéciale du Roi pour chaque cas en particulier. Une taxe, équivalant à 4 p. c. du revenu cadastral des immeubles acquis, eût été payée annuellement, en outre des contributions ordinaires. En aucun cas, le total du revenu des capitaux amortis ne pouvait dépasser 300,000 francs, les biens immeubles n’y pouvaient figurer qu’à concurrence d’un revenu cadastral de 150,000 francs. Les bâtiments de l’université n’étaient pas compris dans l’estimation. Les comptes devaient être publiés et approuvés par le Gouvernement. Les précautions étaient prises pour prévenir les abus possibles), de MM. du Bus et Brabant avait rencontré d’emblée en Malou un chaud défenseur.

Succédant à M. Lebeau, M. Nothomb trouva le projet à l’ordre du jour de la Chambre. A la suite d’un rapport déposé le 4 mars 1841 par M. de Decker, la discussion en avait été ajournée jusqu’à la session prochaine. Dans l’entre-temps, partisans et adversaires s’acharnaient à qui mieux mieux sur la proposition.

Dès le 1er août, Jules Malou soumettait à son frère (page 64) - devenu le chanoine Malou - le plan détaillé d’une défense du projet de MM. du Bus et Brabant (Examen de la proposition de MM. du Bus et Brabant tendant à conférer à l’université catholique de Louvain la qualité de personne civile. (Louvain, Van Linthout, octobre 1841)).

Le travail parut en octobre. C’était une forte brochure sans nom d’auteur. Malou craignait vraisemblablement d’entraver sa liberté dans le débat public. Peut-être voulait-il éviter de passer pour le porte-parole de l’université de Louvain. Quelques personnes, toutefois, surent en confidence qu’il était le père de l’écrit anonyme.

Celui-ci eut dans tout le pays un grand retentissement et, dans la plupart des journaux, les honneurs d’une discussion en règle ; l’auteur témoignait de ses connaissances historiques par l’étude comparée des conditions d’existence des personnes civiles dans l’ancien droit et le droit moderne ; la discussion des objections de principe et des questions d’application que soulevait la proposition attestait un sens juridique très délié.

Hélas ! tant d’efforts devaient rester vains. En effet, une lettre du chanoine Malou (Lettre du chanoine Malou à Jules Malou (6 novembre 1841)) révélait bientôt qu’un revirement inattendu s’était produit. « Le mot d’ordre est de ralentir et même de battre en retraite. Aux adversaires du projet, les libéraux et certains catholiques pusillanimes, s’est joint le Roi qui, dès le mois d’août, a expédié à Malines, lors de la réunion des évêques, secrétaires, ministres, sénateurs, députés pour faire retirer la proposition. Il s’est adressé à Mgr Fornari et a réclamé vivement l’intervention du Souverain Pontife afin d’arracher aux évêques l’abandon de la proposition. Il paraît que M. Nothomb, de son côté, a remué ciel et terre en Allemagne ; il a écrit, dit-on, à M. Munch-Bellinghausen, (page 65) président de la Diète à Francfort et à M. de Metternich, pour les conjurer de travailler à Rome dans le même sens et obtenir du Saint-Siège un ordre qui obligeât les évêques à renoncer au projet.

« Mgr Fornari a exposé à Rome l’état des affaires aussitôt après la réunion des évêques et, dès le 25 août, il avait une lettre du cardinal Lambruschini qui lui déclarait que le Saint-Père voulait que la proposition fût retirée.

 « Le Souverain Pontife pouvait-il ne pas s’en rapporter à M. d’Oultremont, plénipotentiaire belge, aux diplomates allemands, mis en jeu, à son propre nonce apostolique, au Roi, aux ministres, etc., etc.

« La volonté du Souverain Pontife, déjà connue au mois d’août, a été communiquée au cardinal-archevêque le jour même où je me trouvais à Bruxelles, vers le milieu du mois d’octobre et, depuis lors, je n’ai rien pu découvrir de précis pendant dix ou quinze jours. Je croyais que les évêques avaient écrit eux-mêmes à Rome et donné un exposé des faits qui aurait pu modifier le premier jugement ; mais j’ai su depuis qu’ils avaient cédé, sans difficultés, mais à regret, aux exigences (il avait exigé) de Mgr Fornari, interprète du Souverain Pontife. »

Est-elle assez étrange la commotion révélée par cet intéressant document et ressentie par la diplomatie européenne, en présence d’un projet bien modeste dans ses moyens et bien inoffensif dans sa fin ? Comment l’expliquer, sinon par l’appréhension qu’avaient les chancelleries d’un mouvement libéral, prêt à surgir sous un prétexte quelconque pour menacer la sécurité de l’Europe ? Quant au roi Léopold Ier, il eut vraisemblablement la préoccupation d’étouffer un projet qui pouvait être l’occasion de complications politiques intérieures.

(page 66) Les évêques et le Souverain Pontife ne se montrèrent pas moins soucieux d’écarter toute cause de déchirements plus profonds des partis.

Les journaux ministériels furent, en conséquence, invités à faire prudemment machine en arrière. Restait une difficulté : obtenir de MM. du Bus et Brabant le retrait de leur proposition. Ils s’y refusaient.

Dans ces conjonctures, les évêques prirent eux-mêmes la résolution d’adresser à la Chambre une lettre où ils déclaraient, avec beaucoup de dignité, renoncer à demander la qualité de personne civile pour l’université de Louvain, « afin d’empêcher qu’on ne continue à alarmer les esprits et à troubler l’union. » (15 février 1842. - THONISSEN, La Belgique sous le règne de Léopold Ier et Notice sur la vie et les travaux de Mgr de Ram, Recteur de l’université, dans l’Annuaire de l’Université de Louvain, 1866).

La publication de ce document épiscopal mettait en fâcheuse posture l’auteur de la brochure d’octobre. Il avait deux partis à prendre : se taire ou s’expliquer c’est à ce second parti qu’il s’arrêta.

Le 20 février 1842, la Revue de Bruxelles publiait un article - toujours sans signature - intitulé Du retrait de la proposition de MM. du Bus et Brabant. Malou ne retirait rien de ce qu’il avait précédemment avancé ; le projet lui apparaissait aussi justifié, aussi défendable que par le passé ; il ne se prononçait pas sur la question d’opportunité.

Sa voix résonna comme le dernier écho d’une polémique trop retentissante. Peut-être les matériaux qu’il avait réunis pourront-ils être utilisés quelque jour ?

 

5. La chute du gouvernement Rogier-Lebeau et les « Lettres sur les affaires du temps »

 

Le ministère Lebeau-Rogier n’avait pu obtenir du Roi la dissolution du Sénat, et s’était retiré. Depuis la crise produite, suivant l’expression originale de M. de Loménie (M. Nothomb, par M. de Loménie, Galerie des contemporains illustres. Paris, 1843), par ce « coup de boutoir inattendu », depuis l’échec de la politique exclusive, M. Devaux ne cessait de clamer à l’illégalité, à l’inconstitutionnalité, à l’attentat aux droits sacrés de la nation. « En acceptant l’administration, écrivait-il, le Cabinet nouveau sanctionne les prétentions du Sénat. C’est, au fond, et à part les intentions, l’esprit du gouvernement royal et aristocratique, substitué à celui du gouvernement représentatif fondé en 1831. »

La presse libérale, naturellement, faisait chorus. A l’unisson, mille voix proclamaient que le pays était victime des salons aristocratiques.

Il importait de mettre les choses au point. Malou s’en chargea, en publiant, dans la Revue de Bruxelles, sa fameuse Lettre sur les affaires du temps, à M. le Directeur de la Revue Nationale. (Revue du Bruxelles, décembre 1841, 1ère Série.)

C’était l’âge d’or des luttes politiques à coups de brochures. Par le tour piquant et la poursuite serrée de la controverse, la Lettre sur les affaires du temps est un modèle du genre. C’est aussi un document : tous les faits politiques accomplis depuis l’avènement du Cabinet d’avril 1840 y sont passés en revue tour à tour : sa naissance, l’attitude de l’opposition, le vote du Sénat, la formation d’un Cabinet nouveau et d’une majorité (page 68) nouvelle, etc. Les récents événements suggèrent en outre au polémiste de la Revue de Bruxelles d’intéressantes considérations sur le droit public belge.

Il commence toutefois par s’en prendre directement au Directeur de la Revue Nationale :

« Monsieur,

« Admirateur sincère de votre talent d’écrivain politique, j’ai toujours suivi avec une avide curiosité les développements de votre pensée sur les hommes et les choses. Par un heureux privilège, vos articles sont presque des événements, toute une opinion divisée en mille phalanges, bariolée de mille couleurs, se pâme d’aise en vous lisant. Pour elle, votre écrit le plus récent est le plus remarquable, le plus excellent, et vous marchez ainsi de triomphe en triomphe… A Dieu ne plaise que je me place derrière votre char comme ces hommes qui, chez les Romains, rappelaient aux vainqueurs de la terre qu’ils n’étaient pas des dieux, mais de simples mortels. S’il m’est possible de pénétrer jusqu’à vous, au travers de la nuée d’encens qui vous entoure, ce sera, Monsieur, pour causer un peu de politique intérieure avec une franchise toute flamande, et sans doute vous êtes capable d’apprécier la franchise. Vous la prêchez si bien !

« Que de faits en quelques mois ! Que de discours en quelques semaines ! Ample matière à telles causeries, si vous le voulez permettre....

« Il a vécu bien peu, ce Cabinet auquel vous prédisiez d’autres destinées ; je ne remuerai pas la cendre des morts, je n’entonnerai pas, sur cette tombe à peine fermée, un lugubre quomodo cecidit potens... si de son existence et de sa chute ne résultaient de hautes leçons qui ne doivent pas être perdues. »

Des récents événements, Malou dégage les enseignements : d’être né libéral homogène, surtout d’avoir eu (page 69) M. Devaux pour parrain, le Cabinet Lebeau n’a pas eu à se féliciter :

« L’influence de l’homogénéité fut fâcheuse ; vos commentaires sur icelle aggravèrent le mal. N’aviez-vous pas entrepris de prouver non seulement que nous étions pour toujours en dehors du pouvoir (nous le sentions, du reste, pour le présent), mais qu’il était de notre intérêt bien entendu de conserver ce rôle négatif dans les affaires du pays ? Thèse hardie, s’il en fut jamais, qui obtint pourtant peu de succès parmi nous. Vous traitiez le ministère en enfant gâté, et vous nous traitiez trop rudement peut-être. Nouvel et funeste exemple de l’aveuglement de la tendresse paternelle, hélas

« Tant d’exemples fameux que l’histoire en raconte

« Ne suffisaient-ils pas sans la chute d’Oronte ?

« Les susceptibilités d’une opinion considérable s’éveillèrent ; l’opposition grandit, devint une, se groupa tout entière, car les partis politiques, comme les individus ont un instinct providentiel de conservation qui ne les abandonne pas à l’heure du danger. »

Cette opposition a-t-elle outrepassé ses droits dans l’attaque ou la défense ? Malou démontre le contraire et conclut :

« L’opposition était donc dans son droit, mais commit-elle, ainsi qu’on l’a maintes fois prétendu, des fautes énormes, de malheureuses imprévoyances, des erreurs si nombreuses que vous n’avez pu réussir à les énumérer toutes ? Les avertissements qu’à plusieurs reprises vous avez bien voulu nous prodiguer m’ont remis en mémoire la prière d’un grand ministre d’autrefois c’était, je crois, le cardinal de Richelieu. Mon Dieu, disait-il, je ne vous demande point de ne pas commettre de fautes, ce serait trop exiger, mais permettez que mes ennemis en fassent, et que je sache en (page 70) profiter. - Que n’imitez-vous le grand politique auquel on prête cette prière ? Pourquoi nous avertir ? Vous préviendrez, en le faisant, des fautes nouvelles qui vous seraient utiles ; laissez-nous en commettre avec toute liberté ; elles vous valent des succès ; ne sacrifiez pas vos intérêts pour nous signaler l’abîme où nous courons, rien ne vous y oblige : votre modération, votre franchise politique n’en souffriront pas. Plaignez-nous, si bon vous semble, mais ne nous blâmez pas, car c’est trop de moitié. »

Les lignes qui suivent s’inspirent de l’optimisme trop généreux des unionistes :

« Précurseur de je ne sais quel messie, vous annoncez depuis deux ans l’avènement définitif de l’une des opinions qui partagent le pays, la prépondérance lui appartient à vos yeux, et, entre autres motifs, elle lui appartient à cause de la force d’expansion sympathique qui décuple ses forces. L’autre opinion, moins expansive ou moins sympathique sans doute, vous ne lui laissez aucune part dans la direction active des affaires. Vous ne concevez le gouvernement représentatif en Belgique que sous la forme d’une lutte incessante des opinions et des idées, lutte à ciel ouvert, franche, digne, lutte éternelle dont le pouvoir est le prix. Votre système, c’est la guerre.

« L’opposition - est-ce le rêve d’hommes de bien ? - l’opposition croyait que les nuances modérées doivent avoir leur part directe au pouvoir, qu’elles peuvent l’exercer en commun sans se renier. Son système est le nôtre, c’est la paix, une paix honorable pour tous.

« Vous vouliez des ministères homogènes ; nous voulons des ministères de conciliation, mixtes, neutres...

« Et ne m’accusez pas, Monsieur, de propager le scepticisme politique, de semer à pleines mains la dissimulation et l’hypocrisie. Ce n’est pas la mort des partis que nous appelons de tous nos vœux ; il y aura toujours des partis, et malheur, je le dis avec vous, malheur au pays jouissant d’institutions (page 71) libres où les partis n’existeraient plus ! Mais nous voulons entre eux, au lieu d’une suite de victoires et de défaites, une série non interrompue de rapprochements qui seront honorables en eux-mêmes et dans leur but, parce qu’ils tendront au bien-être de la patrie.

« Jamais nous n’avons demandé le monopole du pouvoir, il nous suffit de n’en être pas exclus à perpétuité et par système.

« … La nationalité, vous l’avez dit plusieurs fois avec raison, est le but le plus élevé des efforts des hommes d’Etat de la Belgique. Elle ne sera sauvegardée qu’en effaçant peu à peu ces divisions que vous tracez chaque jour plus profondes. Dieu merci, il n’y a pas encore d’abîme à combler entre les nuances modérées des partis ; la distance qui les sépare est souvent faible ; la ligne de démarcation, malgré tous vos efforts, est encore mal tracée ; bien des soldats indisciplinés, et je serai du nombre, la franchissent chaque jour. L’existence de ministères mixtes, neutres, non homogènes, contribuera à faire disparaître, grâce au temps et au bon sens public, ces fatales divisions. »

Le Sénat surtout a servi de point de mire aux attaques de M. Devaux. Pour la première fois depuis 1830, le Sénat était intervenu pour dénouer une crise intérieure. En votant une adresse qui invitait la Couronne à aviser aux dangers de la situation, avait-il agi dans la limite de ses droits ? Fallait-il, avec M. Devaux, saper par la base l’institution sénatoriale ?

« En droit, vous avez créé, à l’occasion de ce vote, une théorie toute nouvelle des attributions du Sénat. C’est un contrepoids, un lest ajouté à la Chambre des Représentants ; il est la représentation d’un intérêt, d’une classe ; la Chambre est, avec des droits prépondérants, la vraie représentation de tous les intérêts et de toutes les classes du pays : il ne peut dépendre d’une dizaine d’hommes moroses conduisant une dizaine d’hommes sans opinion de prendre à leur gré la haute main sur les affaires. S’il en était ainsi, les hommes de sens et de prévoyance devraient se réunir pour appeler et préparer dans l’avenir la réforme du Sénat. Telle est ; si je l’ai bien saisie, votre opinion sur le Sénat...

« La nôtre est plus simple. Bonnes gens que nous sommes, nous disons que le Sénat est le produit direct de l’élection populaire ; que s’il représente, dans le jeu de nos institutions, l’élément de stabilité, il a des pouvoirs égaux à ceux de l’autre assemblée législative ; qu’il représente la nation ; que, s’il est conservateur et modérateur, ce n’est pas pour conserver tous les ministères, mais pour conserver les institutions nationales, ce n’est pas pour modérer, au besoin, seulement la Chambre des Représentants, mais pour modérer et ramener dans une bonne voie les agents responsables du pouvoir exécutif.

« Vous voulez réduire le Sénat à n’être rien ! Vous ébranlez le Trône parce qu’il ne s’est pas abaissé devant vous !

« Comment ne vous êtes-vous pas aperçu qu’en reprochant au Cabinet nouveau de s’être substitué à l’ancien, vos coups portaient plus loin et plus haut ? Vous méconnaissez la prérogative royale, vous détruisez par la base la monarchie constitutionnelle.

« Le Roi nomme et révoque ses ministres. Ce droit est indéfini et il doit l’être. S’il plaisait au Roi de demander ou donner leur démission à des ministres qui obtiendraient une adhésion presque unanime au sein des Chambres, nous pourrions, en fait, déplorer un tel acte ; mais, en principe, il serait posé rigoureusement dans les limites de la prérogative constitutionnelle. Pour que les exigences du gouvernement représentatif ne fussent pas méconnues, il suffirait que les ministres nouveaux obtinssent la majorité. Le Roi pouvait donc, à plus forte raison, révoquer son ministère, sans attendre le vote du Sénat : l’existence d’une opposition forte, compacte, irréductible, et la certitude acquise dès lors qu’un ministère nouveau, pris dans les centres, obtiendrait une (page 73) majorité suffisante dans les deux Chambres, auraient peut-être justifié en fait cette mesure, d’ailleurs irréprochable en droit. Le Roi pouvait l’adopter plus incontestablement encore, sans attendre un ultimatum, après que la majorité du Sénat s’était prononcée contre le Cabinet.

« La Couronne n’usa dans aucune de ces circonstances de son droit rigoureux ; elle refusa d’ordonner la dissolution ; elle ne voulut point subir la condition que le ministère avait posée ; mais elle lui laissa la liberté de rester au pouvoir. La retraite du Cabinet fut donc volontaire, ainsi que l’ont attesté M. Rogier dans une circulaire aux électeurs d’Anvers, et M. Lebeau dans le discours prononcé pendant la discussion générale des budgets…

« Eh quoi ! hommes gouvernementaux par excellence, hommes qui avez donné à la modération des garanties éprouvées de fermeté, de résistance, qui avez voulu donner beaucoup de force au pouvoir, parce que le pays a beaucoup de liberté, vous annihilez les prérogatives de l’une des Chambres législatives, parce qu’elle n’a pas plié devant vous ; vous ébranlez le Trône, parce qu’il ne s’est pas abaissé devant vous ! Le Sénat, réduit à n’être rien ; le Roi, forcé à subir les conditions que ses ministres imposent, et les ministres eux-mêmes qui les imposent ; il ne resterait plus debout en Belgique que les trois hommes prépondérants, à la tête de la Chambre prépondérante. C’est là, non intentionnellement, mais en réalité, tout autre chose que le gouvernement monarchique constitutionnel fondé en 1831, c’est la pire des républiques. »

A votre sens, écrivait-il encore, la dissolution des Chambres ou du moins du Sénat aurait dû être prononcée ! Mais la dissolution, répondait-il aussitôt, est une arme dont le pouvoir royal ne doit user qu’en des circonstances exceptionnellement critiques :

« La dissolution, surtout dans un pays où le mandat législatif est renouvelé à courts termes, n’est conseillable que dans (page 74) des circonstances très graves et tout à fait exceptionnelles ; la nécessité seule la justifie. Appliquée mal à propos ou inutilement, elle compromet les intérêts qu’elle paraissait devoir servir, elle use le ressort le plus puissant du gouvernement représentatif. Si nous consultons les annales des pays constitutionnels et même les nôtres, nous trouverons que la plupart des dissolutions, sinon toutes, ont mal réussi.

« La prudence la plus vulgaire ne conseille-t-elle pas d’attendre qu’une crise fébrile soit passée pour faire appel à la raison d’un peuple comme à celle d’un individu, et non à ses passions ?..

« Parce que la dissolution n’a pas été prononcée en cette circonstance, il ne faut nullement dire, avec le chef de l’ancien Cabinet, qu’elle ne le sera jamais, qu’il faut biffer l’article de la Constitution qui la permet. Elle pourra être ordonnée lorsque des faits la rendront nécessaire ou même seulement utile, et tel serait, par exemple, le cas d’un conflit sérieux sur une grave question, entre les Chambres législatives : la Royauté exercerait alors son influence modératrice, en adressant au pays un appel contre la décision de l’une d’elles, et le pays jugerait en souverain. Mais quelle était donc la question à lui poser, s’il avait été consulté au mois de mars ou d’avril dernier ? La voici dans toute sa simplicité : Voulez-vous, oui ou non, que messieurs les ministres conservent leurs portefeuilles ? Question grave, en effet… seulement pour vos amis ; car le pays, après tout, n’avait pas été trop mal gouverné avant l’avènement du Cabinet d’avril 1840, et il pouvait espérer de l’être encore passablement après lui.é

Parfois l’ironie est amère :

« Vous me direz peut-être, Monsieur, que ces hommes représentaient des idées ; mais, malgré ma sympathie pour les natures privilégiées en qui s’incarnent des idées, pour ces âmes vigoureuses et fortement trempées qui personnifient des principes, je crois qu’il eût été peu opportun ou plutôt très dangereux de transporter dans le pays, qui n’est point (page 75) trempé comme ces âmes exceptionnelles, la lutte déplorable que l’existence du Cabinet homogène-modèle avait suscitée. Ce n’est point sur des questions personnelles ou sur de vagues qualifications de parti, c’est sur des questions d’intérêts moraux ou matériels nettement posées et facilement comprises qu’il faut consulter au besoin le pays. »

Malou constate, en fin de compte, qu’il n’y avait aucun conflit entre le Sénat et la Chambre. La Chambre, sous le souffle de laquelle, disait-on, le nouveau ministère unioniste devait périr, l’avait soutenu, au contraire, d’une belle majorité. « La statistique parlementaire est fort de votre goût, je m’y plais aussi ; et certes, sous ce rapport, rien ne peut être plus instructif pour vous, plus récréatif pour moi, que l’analyse des votes dans lesquels l’opposition et la majorité ont mesuré leurs forces. J’en ai déduit cette formule que l’opposition est à la majorité comme 17 est à 46. »

La dernière partie de la brochure, où se reflète confusément la physionomie de la Chambre, n’est guère développée. « J’ai l’intention de revenir sur ce point, écrivait Malou à son frère, pendant les loisirs que pourront me laisser les vacances que la Chambre s’accorde habituellement à la Noël. » A M. J. Moeller, l’éminent professeur de l’université de Louvain, qui s’occupait activement de la Revue de Bruxelles et cherchait à en faire le contrepoids de la Revue Nationale, il annonçait des articles sur les partis politiques, les travaux de la session, etc.

Aussi bien, son premier essai de polémique avait-il été un succès tout à fait encourageant.

Les vacances parlementaires ne s’achevèrent pas sans que Malou adressât au directeur de la Revue Nationale une deuxième Lettre sur les affaires du temps (Revue de Bruxelles, janvier 1842, 2ème série, n°1).

(page 76) Avant de jeter un coup d’œil sur les événements de la première période de la session parlementaire, le polémiste se pose ce qu’il nomme une question préjudicielle grave autant que délicate : Comment faut-il définir les partis ? Quels sont leurs dissentiments ou les analogies de leurs tendances Qu’est-ce que le libéralisme ? Est-ce une immense négation de croyances et d’institutions religieuses dans l’ordre moral, une immense négation du pouvoir et du droit dans l’ordre politique ? « Oh ! s’il reste encore parmi vous quelques demeurants d’un autre âge, hommes du XVIIIème siècle, au milieu du XIXème, qui dénient au prêtre, parce qu’il est prêtre, les droits du citoyen et même parfois les droits de l’homme, s’il en est qui rêvent une religion sans ministres, et presque un Dieu sans culte, je ne dirai pas, sous quelque masque qu’ils se présentent, que ce sont là des libéraux...

« Si le maintien des libertés constitutionnelles et l’indépendance du pouvoir temporel sont les seuls articles de votre symbole, et je n’en ai pas trouvé d’autres expressément formulés, vous avez tort d’opposer sans cesse, comme contraires et incompatibles, l’opinion catholique et l’opinion libérale, de dire qu’elles ne peuvent honorablement siéger ensemble sur les bancs du pouvoir. En effet, en quoi votre respect de la Constitution est-il plus vrai, plus profond que le nôtre ? Quels sont ceux qui, dans les mémorables journées du Congrès, ont fait prévaloir la consécration la plus large de toutes les libertés, sinon les catholiques ? Ont-il jamais dévié de cette ligne de conduite ? Quels sont ceux qui n’acceptaient alors certaines libertés que sous bénéfice d’inventaire et avec de larges restrictions, sinon de soi-disant libéraux ?...

« Si c’est là, écrit-il, le libéralisme belge, il n’y a que des libéraux en Belgique Ne dites donc plus (page 77) désormais - ces lignes datent de 1842, - en mettant en opposition les libéraux et les catholiques, que le caractère distinctif des premiers, c’est de vouloir l’application franche et loyale de la Constitution. »

Revenu au point de départ, Malou invite M. Devaux à définir lui-même ces mots qu’on retrouve à chacune de ses pages : l’opinion libérale, l’opinion catholique.

Sans attendre la réponse du directeur de la Revue Nationale - réponse qui d’ailleurs ne vint pas - Malou passe en revue la première période de la session, la séance royale, les discussions politiques ; il apprécie le caractère et recherche le but de l’opposition et définit les rapports de la majorité avec le Cabinet.

 

6. La non-nomination en tant que secrétaire général du ministère de la justice

 

(page 77) La polémique avec M. Devaux en resta là, délassement de vacances auquel il ne convenait pas de sacrifier le labeur parlementaire. Dans l’entre-temps, d’ailleurs, des préoccupations d’un autre ordre assaillaient Malou : le poste très important de secrétaire général du ministère de la justice était vacant à la suite de la nomination de M. Paquet comme conseiller à la Cour de cassation. Les amis politiques de Jules Malou, MM. Dechamps, du Bus, Brabant, de Pélichy, et bien d’autres encore, le pressaient vivement de solliciter une place qui eût fait de lui un pro-ministre. Le comte de Theux y mettait une particulière insistance : « Ne faites pas la position trop belle à M. Van Volxem, » écrivait-il, et le baron d’Huart tenait le même langage. Le chanoine de Montpellier usait aussi de son influence de « vieil ami qui n’avait pas toujours vu de travers ».

Cependant, M. Nothomb, désireux d’une prompte (page 78) solution, chargeait M. Van Volxem d’offrir au jeune directeur de la législation cette place très enviée. « Pour l’amour de Dieu, ne nous créez pas d’embarras, » disait-il à Malou.

Celui-ci courut le jour même prendre conseil de son frère et de leur commun ami, le chanoine de Ram. L’un et l’autre l’engagèrent à accepter, sous peine de s’aliéner les sympathies et peut-être l’estime des membres les plus éminents de l’opinion catholique, de manquer à la cause commune, de se faire accuser d’ambition, parce que l’on croirait à de plus hautes visées.

En rentrant de Louvain, Malou trouva une lettre dictée par la sagesse de M. Malou-Vandenpeereboom : la nomination à de nouvelles fonctions, disait en substance la missive, entraînerait la nécessité d’une réélection, dont les chances seraient incertaines, et un surcroît de besogne, certain celui-là et écrasant. Mais déjà une décision était prise. « J’ai vu M. Van Volxem, écrit Malou, le 17 février, je lui ai dit que j’accepterais. Ce soir, il soumettra l’affaire à ses collègues, demain au Roi, et nous connaîtrons la décision. » Cependant la nomination ne sortit pas, parce que Malou voulait bien être fonctionnaire, mais sans abdiquer rien de sa personnalité.

En effet dans l’intervalle, la Chambre, constituée en comité secret, avait abordé l’examen d’un projet de loi réglant la question des indemnités à accorder aux victimes des événements de guerre de la Révolution. Au début de la discussion, Malou eut à se prononcer ; il se trouva d’un avis différent de celui de M. Nothomb. Il lui en coûta sa nomination « Je crois savoir que ma nomination devient de plus en plus douteuse. Un malheureux concours de circonstances se présente ; je suis obligé en conscience de voter, dans l’affaire des indemnités, contre le projet soutenu par le Gouvernement. J’ai fait en comité (page 79) secret un discours improvisé et m’en suis tiré avec plus de succès que je n’osais l’espérer : l’effet produit dans la Chambre contre le ministère a dépassé mon attente : c’était au début de la discussion ; depuis lors, je me suis contenté (et il m’en a beaucoup coûté) d’émettre des votes silencieux. Je sais que les ministres ont été mécontents. Nothomb m’a félicité de mon succès en grimaçant ou, comme l’on dit, en riant jaune » (Lettre au chanoine Malou, 16 mars 1842).

Le discours n’a pas été conservé ; mais le geste méritait d’être relevé. Il est d’une belle indépendance. Malou ne fut pas nommé secrétaire général du ministère de la justice.

 

7. Les « lois réactionnaires » (lois sur la nomination des bourgmestres et sur les fraudes électorales) et la loi sur l’enseignement primaire

 

Malgré l’habileté incontestée de M. Nothomb, malgré son vif désir de donner à tous les partis des gages de bon vouloir, les actes de sa gestion étaient accueillis avec une méfiance croissante.

L’opposition, impitoyable, fit au malheureux ministre un gros grief d’une proposition relative au mode de nomination des bourgmestres ; la première idée en revenait cependant à son prédécesseur libéral, M. Liedts ; elle fut imposée à M. Nothomb par la majorité, entraînée elle-même par Malou plus loin qu’elle ne semblait le vouloir.

Après avoir, en 1836, repoussé le mode traditionnel de l’élection directe des bourgmestres, les Chambres avaient admis par transaction la nomination par le Roi dans le sein du conseil communal. L’expérience de peu d’années avait amené cette constatation : la crainte de l’électeur empêchait des bourgmestres d’exercer avec (page 80) une pleine indépendance certaines de leurs attributions. Pour parer à cet inconvénient, avec son grand sens politique, M. Nothomb élabora un projet de loi permettant au Roi, pour des motifs graves, de nommer le bourgmestre hors du conseil communal, parmi les électeurs de la commune, après avoir pris l’avis de la députation permanente. Légitimée par de judicieuses considérations, cette proposition, qui ne mécontentait pas l’opposition, eût pu satisfaire les catholiques.

Ils s’efforcèrent de surenchérir en confiant au Gouvernement le droit de nommer le bourgmestre hors du conseil, à sa guise et sans prendre l’avis d’un corps électif. Chose curieuse, cette loi, dont les libéraux usèrent si largement, fut alors traitée par eux de « loi réactionnaire » ; les catholiques, au contraire, s’en firent les protagonistes ; Malou, dans une de ses lettres, paraît même revendiquer l’initiative de la loi du 30 juin 1842.

Dans sa pensée, les avantages d’un projet destiné à affermir l’autorité des bourgmestres en dépassaient notablement les inconvénients. Sa conviction était si vive et son langage fut si persuasif qu’il rallia à sa manière de penser la droite, qui, dans une réunion préparatoire, s’était prononcée presque à l’unanimité pour le projet Nothomb. A cette réunion assistaient une trentaine de membres de la majorité. S’adressant particulièrement à trois ou quatre d’entre eux qu’il savait partisans de mesures plus radicales, M. Nothomb parut les mettre au défi de formuler en projet de loi leurs idées centralisatrices. Malou se sentit piqué au vif. « La patience me manqua ; je blâmai vivement la présentation de cette loi, j’en critiquai les dispositions, j’indiquai les bases d’autres propositions... Après quelques observations, l’on m’engagea, quasi à l’unanimité, à présenter des amendements ; l’on promit de les appuyer. Je ne pouvais reculer, un refus eût été (page 81) lâche et inqualifiable, j’acceptai donc une sorte de mandat et il fut même convenu que M. Demonceau signerait les amendements avec moi. Plus tard, cet honorable membre tira son épingle du jeu, sous prétexte qu’il ne pouvait consentir au mode de nomination des échevins tel que je le proposais. J’allai donc seul en avant et j’en suis charmé aujourd’hui. »

Comme le chanoine Malou appelait l’attention de son frère sur l’usage que les libéraux arrivés au pouvoir pourraient faire de la loi amendée dans le sens de ses propositions, Malou répondait à cette objection : « Je ne m’y suis pas arrêté ; voici pourquoi pour abuser du droit accordé, le ministère devrait avoir le Roi pour complice ; les destitutions, même en des moments de fièvre et de crise, seront rares et difficilement obtenues, parce que ce moyen de gouvernement répugne aux idées du pays, parce qu’il blesse ceux qui en usent. »

Dans sa préoccupation de rendre le bourgmestre à la fois plus indépendant vis-à-vis de ses électeurs et plus fort par l’appui d’un collège nommé comme lui par le pouvoir central, Malou proposa un nouveau système, suivant lequel le Roi nommerait les échevins dans le conseil communal et le bourgmestre parmi les électeurs de la commune. Le bourgmestre cesserait, dès sa nomination, de faire partie du conseil. Vivement combattue par la gauche et par M. Dumortier, qui s’écria qu’on ne verrait jamais des députés envoyés par le peuple pour la défendre, lacérer eux-mêmes la charte des libertés du pays, la proposition de Malou fut appuyée à l’extrême-droite par MM. F. de Mérode, de Briey, Dechamps.

Il eut la surprise de voir le chef du Cabinet s’y rallier (Annales parlementaires, 3 juin 1842) comme il s’était rallié aux amendements que la (page 82) section centrale avait commencé par opposer à son projet ; le ministre se contentait de tenir celui-ci en réserve pour le cas où les amendements seraient rejetés. C’était pousser la condescendance presque jusqu’à se compromettre vis-à-vis des adversaires. « Il s’aplatit et se laisse aplatir, écrivait Malou,... tout cela n’est guère gouvernemental ! » Aussi bien, n’était-ce pas le cœur léger, mais entraîné par les fluctuations continuelles de sa majorité que le ministre consentait à ces abdications successives. Il se trouva cinquante et une voix pour voter, sans restriction, la première partie de l’amendement Malou, conçue dans les termes suivants :

« Le Roi peut choisir le bourgmestre parmi les membres du conseil ou les électeurs de la commune. » La tendance à accorder au pouvoir central le plus possible d’autorité exécutive dans la commune était si vive, qu’il ne fut plus question de motifs graves, ni d’une intervention quelconque des députations permanentes.

Le second paragraphe : « Le bourgmestre ne peut être membre du conseil communal, » ne fut rejeté qu’à parité de voix.

Telle fut la part de Malou dans l’élaboration de la première des lois qui brouillèrent M. Nothomb avec les libéraux modérés.

Le fossé se creusa plus profondément par le vote d’un projet sur le fractionnement en sections électorales des communes de plus de douze mille habitants et par le vote de la loi du 1er avril 1843, qui avait pour but la répression de certaines fraudes électorales.

Introduire dans le régime électoral la loyauté, l’honnêteté, en bannir progressivement toute fraude, a été l’un des soucis constants, l’une des principales préoccupations de Malou durant tout le cours de sa carrière politique.

(page 83) Qu’on est loin aujourd’hui du processus archaïque des opérations électorales d’il y a soixante ans ! Les ballottages donnaient lieu, dans les petits chefs-lieux d’arrondissement, à des fraudes pratiquées sans pudeur.

Aussitôt les opérations de dépouillement du premier scrutin terminées, le ballottage, s’il y avait lieu, était fixé à une heure quelconque de la journée ; les électeurs ruraux étaient retenus par des agents électoraux dans les cabarets ou s’en retournaient chez eux sans attendre l’heure du second scrutin ; quelques électeurs urbains décidaient du résultat de l’élection.

Le moyen frauduleux le plus généralement usité était l’inscription sur les listes électorales de faux censitaires. Il dépendait de personnes riches de faire des électeurs à peu près à leur gré : tel individu prenait une patente pour l’exercice d’une profession qui n’avait jamais été la sienne ; tel autre déclarait un cheval de luxe qu’il n’avait jamais possédé ; un troisième se gratifiait de deux ou trois domestiques imaginaires.

Il y avait accord unanime des partis pour réclamer une loi de répression des fraudes électorales. Énergiquement appuyé par Malou, M. Nothomb déposa un projet qui tendait, par une judicieuse réglementation, à prévenir plutôt qu’à réprimer la fraude. Nous n’avons pas à en faire connaître ici les dispositions, jugées trop modérées en leur teneur et vivement combattues par les membres de la gauche. Malou préconisa, dès lors, la création d’un papier électoral officiel ; son amendement fut qualifié de nouvelle intervention du Gouvernement dans une opération dans laquelle il n’avait rien à faire qu’à attendre le résultat, et il fut rejeté.

D’autre part, il fit prévaloir, malgré l’opposition de M. Nothomb, un mode de votation, sur un même bulletin, pour les candidats à la Chambre et au Sénat.

(page 84) Le passage de M. J.-B. Nothomb au ministère marque principalement par le vote de la loi de 1842 sur l’enseignement primaire.

Loi de transaction, fruit de concessions réciproques, elle admettait le principe de l’intervention de 1’ Etat dans l’organisation de l’enseignement primaire. Pour prix de leurs concessions, les catholiques obtenaient que l’enseignement donné sous la direction des ministres du culte professé par la majorité des élèves fût rendu obligatoire. A la discussion participèrent les membres les plus éminents de la Chambre et du Sénat ; le projet recueillit la quasi-unanimité des suffrages, ce fut, pour l’éloquent ministre, un beau succès de stratégie parlementaire.

Malou s’abstint de prendre part à ces grands débats ; il se contenta d’exprimer son sentiment dans un article, écrit sans enthousiasme, qui parut dans la Revue de Bruxelles peu de jours après le vote du projet de loi par le Sénat (Du projet de loi sur l’instruction primaire, septembre 1842 (sans nom d’auteur)). « Si, au point de vue politique, nous avons à nous féliciter, sous tous les rapports, de l’adoption du projet... dans un autre ordre d’idées et en songeant aux intérêts religieux et moraux des populations, nous avons à faire une réserve. La loi, sous ce rapport, ne pourra être jugée que par son exécution même. »

Parmi les collègues de Malou, plusieurs partageaient son sentiment et, dans le clergé, la loi de 1842 ne fut accueillie qu’avec méfiance (Pierre VERHAEGEN, La lutte scolaire en .Belgique. Introduction parue dans la Revue sociale catholique, mai 1904, p. 204. Voir aussi sur la loi du 23 septembre 1842 une note de la 4° édition de l’Essai historique et politique sur la Révolution belge, par Nothomb (Bruxelles, Mucquardt, 1876)). Mgr Delebecque, évêque de Gand, ne dissimulait pas son appréhension, lorsqu’il (page 85) disait à Malou, en lui parlant de la loi qu’il venait de voter : « C’est bien regrettable : car les catholiques, notamment dans les Flandres, ont fait des efforts héroïques pour organiser le service de l’enseignement. Nous allons abandonner tout cela, un jour on nous l’enlèvera, et nous devrons tout recommencer. » (Paroles rappelées par Malou dans un discours prononcé à la Chambre des Représentants. (Annales parlementaires, 13 mai 1879). Ces craintes, l’avenir ne devait que trop les justifier. (Malou prit une part importante à l’élaboration de lois d’intérêts matériels votées dans le cours des sessions législatives de 1842 et 1843. Il fut rapporteur d’un projet de loi réglant des questions relatives à des créances hollando-belges ; rapporteur aussi du projet relatif à la convention de l’Etat avec la ville de Bruxelles : les finances de la capitale se trouvaient gravement compromises depuis la Révolution ; la législature intervint ; M. Nothomb proposa l’acquisition par l’Etat des collections scientifiques et artistiques de la bibliothèque dite de Bourgogne et de divers immeubles appartenant à la ville, en échange desquels l’Etat eût inscrit au profit de la ville, au grand livre de la Dette publique, une rente annuelle de 400,000 francs. Le rapport de Malou concluait au rejet de cette proposition trop onéreuse pour l’Etat et qui eût constitué un précédent dangereux ; M. Charles de Brouckère (note du webmaster : il s’agit en fait d’Henri de Brouckère) sauva la convention en proposant d’abaisser à 300,000 francs la rente à verser par l’Etat en échange de ses acquisitions).

 

8. Les incompatibilités parlementaires, l’indépendance des fonctionnaires-députés et la démission de Malou

 

Même avant la loi de 1848, une incompatibilité de fait, sinon de droit, existait entre l’exercice de fonctions administratives et celui d’un mandat législatif. Il n’est pas sans intérêt de l’établir par l’exposé d’un cas concret.

Les heurts étaient inévitables, l’aboutissement fatal. C’était, ou bien l’annihilement du fonctionnaire, l’absorption de sa personnalité, l’asservissement aux idées des (page 86) détenteurs momentanés du pouvoir, ou bien le conflit toujours menaçant entre le Gouvernement et le député soucieux avant tout de demeurer fidèle à ses engagements et de sauvegarder l’intérêt de ses mandants situation particulièrement périlleuse et délicate pour un fonctionnaire d’ordre aussi éminent que le directeur de la législation au ministère de la justice ; pour un homme politique de la valeur et du caractère de Malou, fermement décidé - ne l’avait-il pas déclaré à ses électeurs ? - à résilier ses fonctions le jour où son indépendance cesserait d’être entière et absolue.

A plusieurs reprises, depuis son entrée au Parlement, il s’était trouvé en divergence d’opinion avec des membres du Cabinet ; il avait attaqué M. Desmaisières dans la gestion de son département des travaux publics (Notamment au sujet de la reprise par l’Etat du canal de Mons à Condé).quand fut discutée la convention entre l’Etat et la ville de Bruxelles, Malou s’était adressé directement au ministre de l’intérieur, pour lui demander s’il faisait de l’adoption de son projet une question de Cabinet, et sur la réponse négative de M. Nothomb, il avait combattu si bien la proposition, au nom de la section centrale, que celle-ci fut modifiée.

Plus délicate encore fut sa situation lorsqu’il se trouva aux prises avec son chef immédiat dans l’ordre administratif, le baron d’Anethan, et qu’il critiqua comme injustifiées des demandes de crédit (Crédits affectés au Palais de justice de Gand).

Tandis que les ministres, évidemment vexés, dissimulaient leur mécontentement et faisaient bonne mine avec une louable longanimité, la presse gouvernementale se répandait en propos acrimonieux et signifiait, (page 87) sans ambages, à Malou que, si l’honneur lui défendait de se taire, il devait, le désaccord une fois constaté, donner sa démission (Le Politique, 11 janvier 1844). Malou n’en fut pas ébranlé. Ces clameurs n’étaient pas étouffées lorsque, à l’occasion d’un arrêté relatif au libre transit du bétail hollandais vers la France (Annales parlementaires, 17 janvier 1844), le député d’Ypres, s’en prenant, cette fois, à M. Mercier, ministre des finances, démontra que le Gouvernement avait traité au préjudice des intérêts belges et au mépris des lois qui régissaient la matière. Le tollé fut général. A la presse ministérielle qui réclamait la destitution de cet audacieux fonctionnaire qui venait dénoncer le Cabinet auquel il avait engagé ses services, se joignit la presse d’opposition libérale, raillant l’impuissance du ministère.

Malou fut accusé d’hostilité systématique ; on lui reprocha de donner de fâcheux exemples d’insubordination. De son côté, il se rendait compte qu’il était impossible de cumuler avec l’exercice loyal et indépendant d’un mandat législatif celui de fonctions administratives, qui excluaient entre le Gouvernement et son fonctionnaire toute manifestation de désaccord.

Le projet de M. Nothomb sur le mode de nomination des jurys universitaires fut l’occasion de l’inévitable rupture. Une loi de 1835 avait confié au Roi et aux Chambres le choix des membres des jurys d’examens. Le projet attribuait au pouvoir exécutif le droit exclusif de procéder à ces nominations. Le ministre y voyait une garantie d’impartialité. Son projet était vivement appuyé par la gauche et défendu par la presse libérale, tandis que les catholiques s’effrayaient d’un nouvel empiétement du pouvoir central en matière d’enseignement.

(page 88) Vraisemblablement, si M. Nothomb avait prévu que son projet soulèverait une discussion de principes, provoquerait d’ardentes polémiques et surtout ne rencontrerait pas de majorité, il ne l’eût jamais déposé ; son collègue, M. Dechamps eût trouvé moyen de l’en empêcher.

L’opposition se manifesta dès le jour où M. Nothomb fit part à la Chambre de ses intentions. La démission du directeur de la législation en fut le premier acte. Sans attendre l’ouverture des hostilités, Malou écrivait, le 21 février, au Roi pour lui offrir sa démission, en ces termes : « Ayant acquis la conviction qu’il m’est désormais impossible de concilier entre eux les devoirs d’ordres différents que m’impose un double mandat, je viens vous prier, Sire, de vouloir bien m’accorder ma démission des fonctions de directeur au ministère de la justice. » M. d’Anethan, ministre de la justice depuis la retraite de M. Van Volxem, répondit, au nom du Roi, que la démission était acceptée. Exprimant à Malou les regrets que lui causait sa détermination : « J’espère, ajoutait-il, que nos rapports continueront à être marqués au coin de la même bienveillance ; des gens de conviction et de conscience ne doivent point, à cause d’une divergence d’opinion, plus apparente que réelle, cesser de se porter une mutuelle estime. »

Fidèle à l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis de ses électeurs de sacrifier, s’il était nécessaire, à la loyauté de ses votes les avantages de sa position, Malou aussitôt avait fait part aux Yprois de sa résolution, Il la communiquait aussi « comme une primeur » au chanoine de Ram. D’Ypres comme de Louvain lui vinrent des lettres hautement approbatives.

La nouvelle de cette brusque démission fit, dans les couloirs de la Chambre, l’effet d’un coup de théâtre. (page 89) M. Nothomb, averti par son nouveau collègue des travaux publics, M. Dechamps, avait supplié en grâce Malou « de ne point faire de cela une affaire puisque lui-même n’en faisait pas une question de Cabinet ». (Lettre de Malou à son frère, 25 février 1844). Malou se tint froid et inflexible dans sa résolution. Ce fut la brouille tout de bon avec le ministre de l’intérieur.

Malou n’avait pas vu sans chagrin son ami Dechamps associer sa fortune politique à celle, fort ébranlée, de M. Nothomb. Dégagé de cette qualité de fonctionnaire qu’on lui avait tant de fois jetée à la tête comme un reproche, il entreprit de rallier M. Dechamps à sa manière de voir.

Il s’en alla frapper au seuil du cabinet du ministre des travaux publics. « Pendant une heure et demie, j’ai employé toute ma rhétorique à lui persuader qu’il devait se retirer d’une position où il compromettait et lui- même et les siens. Je tiendrais la réussite pour assurée, s’il m’était permis de croire à la ténacité de caractère de mon interlocuteur. Un avenir très prochain nous éclairera, du reste, complètement sur ce point. » (Lettre du chanoine Malou à son frère, 26 février 1844).

Quelques jours après cet entretien, la Chambre assistait à un spectacle qu’elle n’a pas revu. Le chef du Cabinet, après avoir défendu ses idées avec son éloquence coutumière, venait de se rasseoir, lorsque son collègue, M. Dechamps, se leva à son tour, et, prenant place parmi les membres de la droite qui faisaient de l’opposition au projet, prononça un discours dont Malou eut plus à se féliciter que M. Nothomb.

Débarrassé des entraves administratives, Malou avait pris aux travaux de la session législative qui se clôtura (page 90) en juin 1844, une part importante et justement remarquée en juin 1844, une part importante et justement remarquée. (Malou prit, en qualité de rapporteur, une part importante à l’élaboration de la loi relative aux pensions civiles et ecclésiastiques et spécialement au projet d’une pension à allouer aux anciens ministres qui avaient exerce leurs hautes fonctions pendant deux ans au moins. Il se demandait si l’effet le plus clair de cette proposition ne serait pas de jeter la suspicion sur la dignité et de compromettre l’indépendance des ministres à la veille d’acquérir des droits à la pension. « Quelle sera donc la position d’un ministre qui sera en fonctions depuis un an et onze mois ?... Un homme sur le point d’acquérir ce droit (à la pension) sera-t-il libre ? La dignité du pouvoir, la dignité politique en général, où est-elle donc ? Je dis qu’elle est dans le désintéressement et qu’elle n’est que là. La dignité politique comme la dignité privée est précisément dans ce combat de l’intérêt et du devoir glorieusement soutenu dans toutes les positions de la vie. (Annales parlementaires, 24 juillet 1844.) Le rapporteur du projet admettait néanmoins certaines exceptions en faveur des anciens ministres, auxquels la loi s’appliquerait par un effet rétroactif cl qui avaient, pour la plupart, concouru à l’organisation de notre jeune nationalité, en faveur aussi des ministres, anciens fonctionnaires, qui avaient fait le sacrifice d’une situation laborieusement acquise. Le projet, amendé dans le sens de ces dispositions restrictives, fut voté par la Chambre. Cette loi des pensions ministérielles n’eut pas longue vie. - Elle fut enterrée le 27 février 1849). « Un jeune talent avait grandi durant cette session, » écrit M. E. Vandenpeereboom, que les divergences d’idées qui le séparaient de son parent ne doivent pas faire soupçonner de trop de complaisance, « soit sous l’influence que donnent les premiers succès à la tribune, soit par cette instinctive ardeur qu’inspire aux hommes de valeur la conscience de leur force. M. Malou, esprit fin et parfois caustique, homme aux connaissances étendues et au travail facile, orateur marchant droit au but quand il est dans le vrai, un peu tortueux quand il a une cause moins bonne à défendre, avait pris une (page 91) part très active aux travaux et aux discussions de la Chambre. Un tel homme pouvait devenir un puissant allié ou un redoutable adversaire. » (Ernest Vandenpeereboom, op. cit., chap. III, p. 116).

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