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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

 

XXXII. La situation à son retour.

 

(page 400) (Note de bas de page : Gendebien en a donné deux fois la relation, dans les Aperçus et les Révélations. Nous reproduisons la seconde version).

Le 8 janvier, à 9 heures du soir, je quittai Paris, très fatigué et vivement agité des luttes des trois derniers jours de ma mission ; l'inquiétude m'oppressait, la crainte de ne point arriver à temps me donnait la fièvre. La nuit fut un long cauchemar tout éveillé, car je ne fermai pas l'œil un seul instant. Il faut l'avoir éprouvé, pour comprendre les angoisses d'une longue nuit très obscure lorsqu'on est seul dans une voiture roulant sur une route déserte.

A mes angoisses venait se joindre un surcroît d'inquiétude pour ma voiture menacée sans cesse d'être brisée par la rapidité de la course.

(page 401) Le postillon qui m'avait pris à Paris avait sans doute appris à l'hôtel qu'il transportait l'envoyé belge, un membre du Gouvernement provisoire pressé d'arriver, car il brûla le pavé.

A chaque relais, le postillon en partant criait : Vive la Belgique ; le personnel de la poste assistant faisait de même. Cette ovation à mon pays m'était, sans doute, très agréable ; mais elle redoublait mes inquiétudes ; elle doublait les alarmes qu'avaient produites, dans mon esprit, les communications de mes amis.

Ce n'est point l'argent qui produisait l'ovation, car je payais les guides ni plus ni moins qu'un voyageur ordinaire. C'était bien le cri spontané des sympathies du peuple français pour notre révolution, pour notre glorieuse émancipation. Aussi, à chaque poste, je faisais d'amères réflexions sur l'égoïsme des gouvernants, si profondément en désaccord avec le sentiment noble et généreux du peuple.

J'arrivai à Mons sans accident ; j'y passai quelques heures. Je consultai les autorités civiles et militaires sur la situation matérielle et morale des populations, sur les menées des ennemis de la Révolution et des partisans de l'ancien gouvernement et surtout du prince d'Orange.

Le résumé des communications représentait la classe ouvrière dans un grand état de souffrance, mais résignée et dévouée à la Révolution, comme toute la population en général. Le commerce et l'industrie dans un état très précaire, surtout l'industrie charbonnière privée de ses débouchés en Hollande. L'excellent, l'honorable M. Depuydt, gouverneur, homme calme et réfléchi, me dit : « Il y a quelques égoïstes ou ambitieux qui regrettent ou feignent de regretter l'ancien gouvernement, mais ils n'oseraient lever la tête ; ils savent qu'ils succomberaient et seraient écrasés par l'immense majorité de la population.

Nous n'avons rien à craindre de ce côté, mais à la condition que le gouvernement fasse des sacrifices pour alléger les souffrances des travailleurs.

Il y a, en Hainaut, un parti puissant qui demande la réunion à la France ; s'il agissait, il trouverait un grand appui dans les sympathies des masses ; mais il n'agira pas, à moins qu'il ne reçoive le mot d'ordre du gouvernement français ; il sait que ce gouvernement ne veut ou ne peut prononcer la réunion de la Belgique à la France ; il n'y a donc rien à craindre de ce côté, quant à présent, mais si les populations étaient menacées d'une restauration, alors rien ne les arrêterait ; elles feraient explosion, elles seraient puissamment aidées par le peuple français et la réunion se ferait quand même. »

Mes amis politiques, avertis que le devais les voir, vinrent (page 402) successivement et leur premier mot fut : « Nous apportez-vous la réunion à la France ? » - « Non. » - « Alors au moins un Prince français ? » ­« Non. » - « Qui donc ? le prince d'Orange ou la République ? » - « Ni l'un ni l'autre. » - « Alors, qu'allons-nous devenir ? » - « Je n'en sais rien, l'essentie1 c'est de combattre le retour du gouvernement déchu dont personne ne veut, que l'immense majorité repousse énergiquement.

«  Il faut surtout surveiller les menées qui se font au profit du prince d'Orange ; préparez-vous à combattre énergiquement son retour ; n'oubliez pas que les puissances veulent le mettre sur le trône de Belgique ; qu'elles ne négligent aucune intrigue pour séduire les timides qui sont toujours en grand nombre et toujours disposés à accepter les plus mauvaises transactions. »

- « Les partisans du prince d'Orange ont-ils quelque chance de succès ? » - « Aucune, il suffira toujours au peuple de parler de la victoire de Bruxelles et au bombardement d'Anvers, pour neutraliser toutes les tentatives de séduction, de trahison ; la haine pour les Hollandais durera longtemps. » - « Puis-je donner ces assurances à mes collègues, à mes amis, aux bons patriotes de Bruxelles ? »

- « Sans aucun doute et nous nous en portons garants. »

Je ne donne ici que l'analyse de notre conversation qui se termina par une bonne et patriotique poignée de mains.

Je remontai en voiture, où je ne trouvai plus les soucis qui m'avaient accompagné depuis Paris. J'étais dans la situation d'esprit d'un homme qui, à son réveil, est heureux de constater que le cauchemar qui l'a tourmenté toute la nuit, est un rêve mensonger. Tout n'était pas mensonge, mais j'avais compris que rien n'était désespéré.

J'arrivai à Bruxelles vers trois heures du matin.

L'atmosphère me parut lourde, l'air moins respirable ; ma femme, qui était d'un grand sens et ne manquait pas d'énergie, était inquiète et très préoccupée de la situation ; Elle était sous l'influence de son père, Barthélemy, membre du Congrès, jurisconsulte distingué qui comprenait mieux Grotius que la Révolution ; il voyait tout en noir, maudissait la révolution et la croyait toujours à la veille d'une catastrophe qu'il croyait inévitable.

Je trouvai de nombreuses lettres, des dénonciations, des menaces, des injures, des calomnies anonymes ; sous ce rapport, je me retrouvais à Bruxelles dans la même situation qu'au 16 décembre, jour de mon départ peur Paris. Mais il résultait de l'ensemble des lettres, des dénonciations et des communications de ma femme, que la position était moins bonne qu'à mon départ, qu'elle n'était pas sans danger.

(page 403) A 8 heures, je me rendis au Comité du Gouvernement provisoire ; j'y trouvai Rogier et de Mérode ; Van de Weyer était à Londres. Je les trouvai très préoccupés, fort découragés. Ils connaissaient les menées de Ponsonby, les intrigues orangistes, les tentatives sur l'armée ; ils étaient dans une atmosphère chargée, troublée de rapports souvent exagérés, de dénonciations incessantes, de reproches et calomnies auxquels ils étaient. trop sensibles, au lieu de les mépriser. Je les rassurai, les encourageai.

Le même jour, j'ai eu la preuve du découragement, de l'hésitation de bien des hommes qui s'étaient montrés les plus dévoués à la conquête de notre indépendance.

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