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« Aperçus de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)

 

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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

 

IX. L'Arbre de la Liberté.

 

(page 337) A l'époque de ma conférence avec M. B... et de sa propagande républicaine, je ne me rappelle pas précisément le jour, un excellent patriote vint, à sept heures du matin, me dire que, vers onze heures, les ouvriers du canal, endimanchés et enrubannés, viendraient planter un arbre de la liberté, en face du palais où siège le Gouvernement provisoire, que De Potter proclamerait la république.

Je me rendis, à l'heure ordinaire, au Gouvernement provisoire ; j'y vis arriver M. Plaisant pour les affaires de son département. Il resta après avoir fait son rapport, soit prévention, soit préoccupation. Je crus remarquer des allures, des intelligences, qui me paraissaient d'accord avec l'avertissement qui m'avait été donné. Un bruit se fit entendre dans le lointain qui parut leur donner une inquiète satisfaction.

On annonça l'arrivée de l'arbre de la liberté, accompagné, comme je l'ai dit plus haut. De Potter, d'un air triomphant, dit : « c.'est le peuple qui vient faire acte de souveraineté. »

Je lui répondis : « La souveraineté est ici et non dans la rue. »

Sur ce, De Potter se leva, marcha vers la Croisée donnant sur le balcon et posa la main sur la bascule pour l'ouvrir. Je lui saisis la main et lui dis : « Si vous proclamez la république, je vous... jette par-dessus le balcon. » Il me regarda effrayé, je lui serrai la main plus énergiquement, de manière à ne laisser aucun doute sur la menace.

Soit qu'il fût déconcerté, soit, ce qui est moins probable, qu'il n'eût pas le projet qu'on lui attribuait, De Potter salua le peuple, applaudit à la plantation de l'arbre, ce que nous fîmes aussi ; mais il ne dit pas un mot.

A la suite de cet événement, une longue et sérieuse explication eut lieu entre De Potter, Van de Weyer et moi. Elle se termina par ces (page 338) quelques mots : « Vous voulez la République, vous la voulez quand même, sans réfléchir qu'elle est impossible, qu'elle serait le signal d'une invasion qui n'attend que ce prétexte peur nous écraser. Je suis aussi républicain que vous, je suis meilleur républicain que vous ; j'aime la république plus que vous, puisque je ne veux pas l'exposer à un échec, une mort certaine, Je suis meilleur citoyen que vous, puisque je ne veux pas sacrifier l'indépendance, le bonheur de mon pays, à la satisfaction bien courte du triomphe éphémère de mes convictions, de mes idées les plus chères. »

Van de Weyer parla dans le même sens, il démontra que, sans s'en douter, De Potter jouait la partie des ennemis de la révolution.

De Potter nia avoir eu le projet de proclamer la- république ; il ne répondit pas à nos observations ; il conserva son idée fixe.

De nombreuses colonnes de La Liberté sont encore consacrées par Gendebien à cet incident. Il montre De Potter travestissant, dans ses SOUVENIRS PERSONNELS, « la scène par lui préparée de la plantation de l'ARBRE DE. LA LIBERTÉ ». Il rappelle diverses tentatives de dictature esquissées par lui, timidement d'ailleurs. Il traite de « mensonges », de « calomnies », les assertions de son ancien collègue représentant les membres du Gouvernement provisoire comme n'éprouvant ni pour les Hollandais, ni pour la famille royale l'aversion populaire, effrayés du moindre rassemblement, se voyant déjà chassés du Palais de la Nation.

Après avoir cité le passage où De Potter déclare : « Pour moi, qu'avais-je à craindre ? Je n'avais pas demandé à y venir ; je ne demandais pas à y rester ; et j'étais fermement résolu à ne pas faire la moindre concession pour y rester », Gendebien riposte que pas plus que lui, les collègues de De Potter n'avaient « demandé à venir au gouvernement ou à y rester. Est-il bien certain - ajoute-t-il - que De Potter y serait resté vingt-quatre heures, si on avait publié ses hésitations à Lille et à Valenciennes, ses refus obstinés de marcher au secours de Bruxelles, ses hésitations à y rentrer, même après la victoire du 26 septembre ? »

Plusieurs fois - remarque Gendebien - « De Potter a essayé... de se débarrasser de ses collègues, afin de régner et de gouverner SEUL, c'est-à-dire de se faire DICTATEUR !!! »

J'aurais dû mettre « sous clef» - avait écrit De Potter – « pour une semaine, MM. de Mérode, Van de Weyer et Rogier», A ce propos,  on lui avait reproché sa faiblesse, à ce qu'il prétend.

Quelle plaisanterie ! s'écrie Gendebien, « Je ne crains pas d'affirmer (page 339) que personne ne lui a adressé ce reproche, que personne ne lui a donné ce conseil.., »

Quand à l'aveu que Gendebien surtout le gênait, que lui « AVANT ­TOUT » aurait dû être mis «  sous clef », l'auteur des APERÇUS s'en glorifie. Il s'honore d'avoir dit à De Potter : « Vous ne poussez à la république que parce que vous espérez en être le président. Vous feriez un don funeste à votre pays et vous ne tarderiez pas à succomber sous le poids d'une magistrature qui vous vouerait bientôt à une impopularité écrasante. »

Gendebien assure que ses collègues, malgré leurs solides convictions républicaines de principe, partageaient son opinion « sur les dangers de proclamation de la république », repoussant, avec lui, « l'idée fixe de De Potter ».

Il explique sa ferme et constante opposition aux dangereuses illusions de ce théoricien de la république, et, rappelant les nombreux scrutins dont il est sorti vainqueur, oppose sa popularité de bon aloi à l'éphémère engouement que connut son adversaire.