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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
VIII. Conversation avec un Anglais « républicain ».
(page 334) Tandis que je remplissais ma
seconde mission à Paris, M. B. anglais, s'était présenté deux fois chez moi et
avait laissé sa carte (Note de bas de page : Ce M. B.
doit être sir John Bowring, économiste de valeur,
homme politique à tendances radicales, qui vécut de 1792 à 1872. Il avait
rédigé l'Adresse des citoyens de Londres, pour féliciter le peuple
français de sa révolution. Il s'était abouché avec Lafayette et les hommes du
mouvement. Juste, dans ses Notes historiques et biographiques (Bruxelles,
1871), consacre quelques pages à ses relations avec Louis De Potter, que Bowring incitait à consentir à la réunion de la Belgique à
la France, sous la forme républicaine. Bowring, du
reste, facilita la mission de Van de Weyer à Londres. Ils quittèrent ensemble
Bruxelles le 1er novembre, dit Juste. Le rapprochement des dates rend assez
vraisemblable notre supposition. Firmin Rogier, qui le vit un peu plus tard à
Paris, le signale, dans une dépêche du 23 novembre, comme un ami très sincère
de la Belgique. Bowling fut quelque temps député des Communes. Il a laissé
d'assez nombreux écrits). Je ne (page 335) lui rendis
pas sa visite. Je me fis nier à sa troisième visite. Il s'en plaignit à mes
collègues. M. De Potter, qui s'était laissé éblouir par des professions de foi
démocratiques républicaines, m'engagea à l'accueillir. Je résistai et donnai
les motifs de mes répugnances. A mon insu on ménagea une entrevue. M. B., très
insinuant, montra beaucoup d'empressement et une grande cordialité dans
l'expression de son désir d'entrer en relations avec moi. Il ne tarda pas à
entrer en matière. Je suis républicain, me dit-il, la nation anglaise est
démocratique, elle ne tardera pas à être républicaine. Le plus sûr moyen, le
seul peut-être de conquérir les sympathies du peuple anglais, c'est de
proclamer la république en Belgique ; le seul moyen de conquérir les sympathies
et l'assistance des hommes d'Etat, des penseurs de la bourgeoisie d'Angleterre,
c'est d'ouvrir vos frontières et de faire de la Belgique un vaste entrepôt pour
le monde entier.
Je
donne l'analyse d'une assez longue conversation. Je lui répondis : « Faites de
la Belgique une île comme l'Angleterre, défendue de toutes parts par l'Océan et
par des côtes bien armées : je n'hésiterai pas à proposer la république à mon
pays, plus républicain qu'on ne pense et qu'il ne pense lui-même ; dans la
position si vulnérable de la Belgique, la république n'aurait pas six semaines
d'existence. Notre Indépendance succomberait avec elle ; toutes les puissances,
l'Angleterre elle-même, que vous appelez la sagesse des Nations, s'uniraient
pour nous écraser. Ce serait le meilleur prétexte que nous puissions lui donner
pour ramener les Nassau en Belgique.
Le
peuple français applaudirait, je pense, à la proclamation de la république,
dans l'espoir de la voir bientôt passer la frontière ; mais pour cette même
raison, la bourgeoisie française et bien plus encore le roi des Français,
l'écraseraient ou là laisseraient écraser par les puissances, préférant avoir,
à la frontière, l'avant-garde des alliés, plus facile à arrêter que la
république.
Nous
ne pouvons songer à l'établissement de la république que lorsqu'elle sera
proclamée en France ou en Allemagne ; la sagesse des Nations pourrait, sans
inconvénient pour elle, sans avoir à redouter les puissances étrangères,
proclamer la république ; elle ne le fera pas de sitôt. Elle le ferait que ce
ne serait, pour nous, ni un encouragement ni une sécurité :
Nous
ne pouvons pas davantage accepter vos conseils au point de vue du commerce et
surtout de l'industrie de notre pays : ouvrir nos frontières, nos ports au
commerce du monde, ce serait ruiner l'industrie belge qui n'est pas assez
perfectionnée pour soutenir la concurrence (page 336) des producteurs
étrangers et surtout des producteurs anglais. Vos conseils ouvriraient un
débouché précieux aux fabricants de l'Angleterre en ruinant nos fabricants,
sans compensation, puisqu'en ouvrant nos. ports, nous ne trouverions pas de
réciprocité chez vous.
Si
vos conseils sont bons pour nous, ils sont, à plus forte raison, excellents
pour l'Angleterre qui a peu à craindre de la concurrence et qui trouverait
d'amples compensations pour son commerce du monde dont elle est le véritable
entrepôt.
Donnez
donc à votre pays les conseils que vous nous donnez : lorsqu'il les aura
acceptés et mis en pratique ; lorsque l'Angleterre ouvrira ses ports à toutes
les productions du monde ; lorsqu'elle aura aboli ses douanes, nous aviserons
et nous serons, je l'affirme, très disposés à suivre vos conseils. »
- «
L'Angleterre, dit M. B..., ne peut, du jour au lendemain, supprimer ses douanes
sans jeter une grande perturbation dans le pays, elle se priverait du plus gros
de ses revenus, elle est, bien à regret, obligée de continuer encore pendant
quelque temps le régime actuel. »
- « Je vous comprends,
j'approuve la prudence de l' Angleterre, permettez-nous, M. B..., d'imiter la sagesse
des nations, et de conserver, comme elle, nos douanes et nos revenus. »
Je
ne parlerai pas de nos digressions sur le régime intérieur et extérieur de
l'Angleterre, sur sa trop puissante aristocratie, sur l'égoïsme du
gouvernement. Nous nous séparâmes convaincus, lui, que je n'étais pas un
auditeur bénévole, un interlocuteur complaisant, un admirateur quand même de
ses théories ; moi, que mes instincts de défiance ne m'avaient pas trompé. Il
conserva des relations avec mes collègues, mais il les cessa avec moi,
m'accusant de gallomanie.
Plus
tard, mes défiances furent justifiées : j'acquis la conviction qu'il était un
habile courtier du haut commerce anglais et un agent non moins habile de la
diplomatie. Il me fut, à plusieurs reprises, signalé comme un partisan très
actif du prince d'Orange, puis du prince Léopold de Saxe-Cobourg. Je n'ai pas
pris la peine de m'en procurer la preuve. Je ne m'arrêtais pas aux
individualités ; il y en avait d'autres plus dangereuses que celle-là. Je
surveillais les sommités ; c'est en les décapitant, bien entendu, sans
effusion de sang, que j'ai conjuré l'orage et vaincu la conspiration du mois de
mars 1831.
Une
preuve, une démonstration de la légitimité de mes défiances, de mes soupçons,
démonstration qui suffit et dispense de toute autre preuve : M. B...,
démocrate, républicain qui m'accusait de ne pas l'être, parce que je ne voulais
pas imposer la république à mon pays, (page 337) au mois d'octobre 1830
; le zélé, l'exalté républicain du mois d'octobre 1830, M. B..., fut un des
premiers et des plus zélés courtisans du roi Léopold !!
Afin,
sans doute, que personne n'en ignorât, il s'est montré au balcon royal à côté
du Roi. Aucune fonction, aucun titre officiel ne lui assignait cette place ; de
quel droit l'occupa-t-il ? Il était royaliste auprès de son compatriote
anglais, devenu roi des Belges ; comme il avait été républicain auprès du
Gouvernement provisoire, dont il flattait les instincts démocratiques ;
toujours dans l'intérêt commercial et diplomatique de son gouvernement.