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d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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A. LES PRODROMES DE
XIII. Gendebien essaie d'empêcher le départ des députés belges pour
(page 242) A Bruxelles, l'effervescence
avait grandi depuis notre départ ; le cri « aux armes ! » se faisait entendre, des
rassemblements très animés se formaient partout ; on se fût cru à la veille
d'un siège.
M. de
Celles et mon beau-père Barthélemy qui étaient du parti qui voulait rester à
Bruxelles, me dirent que le mouvement désordonné de la journée amènerait une
majorité pour aller à
Le
soir, Van de Weyer et moi, nous nous rendîmes à la réunion des députés chez M.
de Sécus. Une bombe, tombant au milieu d'eux n'eut pas fait plus d'effet que
notre arrivée. La discussion fut longue, fut vive. M. de Sécus qui présidait
l'assemblée fut le seul qui nous répondit et très laconiquement.
Il y
avait évidemment résolution prise de ne pas discuter.
J'interpellai vivement M. Ch. De Brouckère qui se cachait derrière M. de
Sécus : «Vous avez dit hier soir, en présence de M. Claes, que si, contre votre
attente, vos collègues se rendaient à La Haye, vous résisteriez, fussiez vous
seul ; vous avez vivement protesté contre le projet de quitter Bruxelles.
«
Vous ne dites rien aujourd'hui pour appuyer les raisons que nous avons données
pour démontrer la nécessité de rester au poste que vous avez accepté librement,
spontanément ? que ceux qui ne se sentent pas (page 243) le courage de rester, quittent la partie, soit ; mais que
tous nous quittent, après des promesses solennelles, c'est, ce me semble,
impossible.
Que dix
ou douze députés restent, nous n'en demandons pas davantage pour sauver
Van de
Weyer soutint avec énergie et beaucoup de talent que nous quitter, c'était
nécessairement tuer la révolution et tous ceux qui en avaient pris
l'initiative, aux grands applaudissements de la plupart des membres présents et
de son honorable président.
Réfléchissez
donc après les engagements solennels que vous avez pris, que nous quitter,
c'est reconnaître, proclamer l'impuissance de la révolution, c'est la
condamner, c'est la tuer. Si vous n'aviez pas ostensiblement, solennellement
pris part à la révolution, si vous nous aviez laissés seuls, nous pourrions
continuer seuls, sans grand inconvénient ; il nous suffirait de ne pas
désespérer du succès. Mais aujourd'hui dans quelle position nous mettez-vous ?
Dans la position insoutenable de révoltés contre le Roi Guillaume et contre nos
représentants, contre les représentants légaux de la nation ; c'est-à-dire en
un mot « Nous devenons des révoltés contre
Indigné,
je dis : « Réfléchissez-y bien, Messieurs, votre départ sera considéré comme
une fuite honteuse, comme une trahison devant l'ennemi et une désertion à
l'ennemi. Si
« Je
vous en supplie, Messieurs, réfléchissez aux conséquences de votre départ, pour
nous et pour vous. » Même silence qu'après le discours de Van de Weyer.
Mêmes
paroles de M. de Sécus : « Nous délibérerons. »
Dans
mon indignation, une idée diabolique me traversa l'esprit.
«
Puisque vous délibérerez, leur dis-je, je ne désespère pas que vous vous
décidiez à rester à Bruxelles ; mais si vous nous quittez, il est de votre
intérêt comme du nôtre que votre départ ne soit pas considéré comme un abandon,
comme une rupture avec nous et avec la révolution. Je vous prie donc et je vous
supplie de venir tous demain à l'hôtel de ville. Cette démarche solennelle qui
aura pour but avoué d'assurer le bon ordre et la tranquillité pendant votre
absence aura pour effet réel (page 244)
de neutraliser les funestes conséquences de votre départ, cette démarche le
fera considérer comme le résultat d'un commun accord. »
L'assemblée,
consultée par M. de Sécus, décida, à l'unanimité, qu'elle se rendrait, le
lendemain, à dix heures du matin, à l'hôtel de ville.
Nous
prîmes congé. Je dis à Van de Weyer mon projet que voici : « Si les députés
viennent en majorité, soit 27 ou 28 je les retiendrai en charte privée jusqu'à
ce qu'ils prennent l'engagement de rester à Bruxelles ; en attendant, nous
prendrons des délibérations, des arrêtés avec mention que c'est de leur avis ;
de plus, nous les menacerons d'émeutes et d'un soulèvement général qui pourra
tout compromettre, y compris leurs personnes, s'ils ne se soumettent pas au
régime de la séquestration ou à l'engagement de rester à Bruxelles. »
« Ils ne
viendront pas en nombre, dit Van de Weyer ; d'ailleurs cela me paraît un peu
illégal, me dit-il ; si cela n'était qu'illégal ; mais cela me paraît peu
praticable. » - « En temps ordinaire, cela serait absurde, cela serait criminel
; mais il s'agit de sauver la révolution et nos têtes. Vous l'avez si bien
démontré tout à l'heure : « Nos députés à Bruxelles, ou la mort de la
révolution ». Nous renouvellerons votre démonstration aux timides qui nous
blâmeront ; nous serons approuvés, applaudis, par les patriotes qui dominent
aujourd'hui la situation. »
Le
lendemain, 7 septembre, à 10 heures, une vingtaine de députés se rendirent à
l'hôtel de ville, ce n'était pas assez pour mettre mon plan à exécution.
Dans
son Histoire du royaume des Pays-Bas, 3e édition, tome 2, page
« Les
exaltés de Bruxelles (Van de Weyer et moi) qui avaient leurs vues sur nous, la blâmèrent
hautement (la résolution d'aller à La Haye) ; ils voulaient forcer les membres
les plus marquants de l'opposition à prendre en mains la direction des affaires
et à se constituer en gouvernement provisoire. »
Cela
n'est précisément exact : dans la réunion de quelques députés, dans la nuit du
2 au 3 septembre, j'avais, il est vrai, proposé la réunion, à Bruxelles, des
députés belges aux Etats-Généraux et j'avais proposé la désignation de trois ou
cinq membres pour administrer provisoirement les affaires des provinces belges.
Ce qui ne fut pas agréé, mais ajourné jusqu'à la réunion plus complète des
députés méridionaux.
Dans la
réunion chez M. de Sécus, la veille, 6 septembre, Van de Weyer et moi ne
demandâmes point la constitution immédiate d'un (page 245) gouvernement provisoire. Nous leur demandions simplement
de rester à Bruxelles, sans leur imposer aucun rôle déterminé.
M. de
Gerlache continue : « On convoqua, à cet effet, une réunion nombreuse à l'hôtel
de ville, où plusieurs d'entre nous assistèrent. Nous combattîmes l'idée d'un
gouvernement provisoire, d'abord pour les raisons que nous avions alléguées
précédemment pour engager nos collègues à se rendre à La Haye, et nous y
ajoutâmes d'autres qui nous semblaient de nature à frapper les esprits. » - «
L'élection immédiate d'un gouvernement provisoire à Bruxelles, disions-nous, c'est
la guerre ! Or, désirez-vous la guerre ? où sont vos moyens pour la faire ? où
sont vos soldats, vos généraux, vos munitions, vos forteresses, vos finances ?
Vous n'avez rien de tout cela ; tout est aux mains des Hollandais ! »
Je lui
répondis : « Tout cela peut être la cause déterminante de votre départ, de
votre fuite, de votre abandon, je dirai presque de votre trahison. Mais ce
n'est pas une raison pour nous livrer, pieds et poings liés, aux vengeances du
roi Guillaume et de ses satellites. Malgré l'inégalité de la position, - toute
ressource nous manquant - nous sommes forcés de nous défendre et ce devrait
être, pour vous et vos collègues, un puissant, un impérieux motif de nous aider
à la défense et non pas de nous décourager, en quittant la partie dans laquelle
vous vous êtes engagés avec nous. »
M. de
Gerlache continue : « Quant à nous, nous remplirons notre mandat, notre devoir
! Notre avis est qu'il faut aller à
Ces
paroles ne plurent guère à nos auditeurs dont plusieurs étaient venus armés de
blouses et de grands sabres et annonçaient des intentions très belliqueuses
pour le moment. Toutefois, ils ne répondirent rien ! ! « Je vous ai répondu
très énergiquement ; bien d'autres, avant et après moi, vous ont confondus et
vous ont dit entre autres choses : Vous avez décidé d'abord, de rester à
Bruxelles, parce que vous avez eu peur d'aller à
« Il
est impossible que vous ayez oublié ce petit incident si gracieux pour vous :
quelqu'un demanda à haute voix : Qu'est ce qui rime avec Gerlache ? - On
répondit spontanément par un adjectif qui rimait admirablement avec Gerlache. »
On vous
a dit encore : « Vous allez remplir un devoir à La Haye ; il (page 246) sera temps encore de recourir
à la force, dites-vous, si vous ne réussissez pas. Lâche hypocrisie, quand vous
aurez échoué à La Haye, vous ne trouverez plus que des tombeaux en Belgique, si
A la
fin de cette discussion, M. Moyard, ancien militaire,
proposa la nomination d'un gouvernement provisoire et la nécessité de le
prendre parmi les représentants de la nation. C'est la première fois, quoi
qu'en dise M. de Gerlache, que la proposition fut catégoriquement faite.
M. de
Sécus lui répondit : « Vous avez mieux qu'un gouvernement provisoire, vous avez
la dictature. » Dénégations. - « Vous êtes tous des dictateurs. »
M. Moyard répliqua : « Parlez-vous sérieusement, M. le baron ?
»
«
Certainement » dit M. de Sécus. - « Sommes-nous sérieusement, réellement des
dictateurs ? » - « Sans aucun doute, dit M. de Sécus. »
- « Eh
bien, puisque nous sommes des dictateurs sérieux, je vous ordonne à tous, je
vous somme, Messieurs les membres des Etats-Généraux, de rester à. Bruxelles,
et de nommer dans votre sein ou en dehors de vous, un gouvernement provisoire.
Et si,
dans dix minutes, vous ne l'avez pas fait, je vous ferai fusiller tous sur
Voilà la dictature réelle et sérieuse, voilà comment j'entends la
dictature. »
M. de
Sécus qui était à côté de moi, me dit : « Ce Monsieur-là dit des bêtises.» - «
Non, Monsieur de Sécus, lui dis-je, c'est celui qui a parlé avant lui qui a dit
des bêtises et qui est responsable des conséquences qu'en a très logiquement
déduites M. Moyard. » (Note de bas de
page : M. de Sécus ne me pardonna jamais ces paroles dites à haute voix et
qui provoquèrent des rires peu flatteurs pour lui. Dès ce jour MM. de Sécus
père et fils furent pour moi des ennemis. Ils ne sont pas les seuls que ma
loyale et rude franchise a fait surgir. (Note de Gendebien.))
Ainsi
finit la prudente comédie de la légalité, honteuse apostasie, lâche abandon en
présence des dangers qu'ils avaient provoqués et dont ils avaient accepté la
solidarité ! ! !
A
chacun selon ses œuvres.