Accueil
Séances
plénières
Tables
des matières
Biographies
Livres
numérisés
Bibliographie
et liens
Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
Chapitre
précédent Retour à la table des matières Chapitre suivant
A. LES PRODROMES DE
XII. La démarche auprès du Prince Frédéric à Vilvorde.
(page 239) Lorsque je fus certain du
succès, je courus chez M. d'Hooghvorst, je lui fis un tableau effrayant du conflit
qui allait s'engager et qui ne manquerait pas de réagir sur Bruxelles.
Je lui
fis facilement comprendre que la tranquillité de Bruxelles et les devoirs
d'humanité ne nous permettaient pas d'hésiter ; que nous devions nous rendre
chez le prince Frédéric à Vilvorde. Nous partîmes immédiatement.
(page 240) Je mis à mon chapeau et à ma
boutonnière d'abondantes couleurs nationales ; M. d'Hooghvorst avait les
siennes. Nous étions dans une voiture découverte. Arrivés entre Trois Fontaines
et Vilvorde, en face d'une grand'garde, un sergent
voulut nous faire rebrousser chemin.
Je lui
dis : « Nous sommes des ambassadeurs envoyés auprès du prince Frédéric », puis
je dis au cocher : « En avant ».
Le
sergent courut à notre poursuite, monta sur le marchepied et s'accrocha à la
portière. Je lui donnai un vigoureux coup de poing sur la poitrine, il alla
rouler sur un tas de pavés. - Je dis au cocher : « Au galop ». Nous arrivâmes
bientôt à Vilvorde.
Même
refus de nous laisser passer. Deux officiers de garde, un Hollandais et un
Belge, nous dirent qu'ils avaient pour consigne rigoureuse de ne laisser passer
ni drapeau ni cocarde tricolores. Une discussion s'engagea. L'officier belge
souriait. Un nombreux rassemblement, composé, sans doute, de Belges en
majorité, montrait des sympathies non équivoques, il criait : « Laissez-les
passer, laissez-les passer. » Tous parurent satisfaits, heureux que nous
eussions conservé nos couleurs.
Par
transaction, un des deux officiers de garde, nous fit escorter par 25 à 30
hommes qu'il commanda. Nous traversâmes ainsi Vilvorde dans toute sa longueur
au pas (le Prince était logé à l'autre extrémité de la ville).
Notre
marche, escortée par la troupe, attira la foule à laquelle je montrais avec
affectation mes couleurs ; j'agitai de temps en temps mon chapeau avec une
pantomime significative qui finit par provoquer à plusieurs reprises des cris
de « Vivent les Belges ! » et même quelques cris « A bas les Hollandais ! ».
Arrivés
au quartier général du Prince, nous eûmes une nouvelle lutte à soutenir avec
les officiers d'Etat-major. Un général, il ne portait pas d'épaulettes, mais je
crois que c'était un officier supérieur, porta la main sur les couleurs que je
portais à ma boutonnière ; de la main gauche, je lui saisis le poignet et je
portai la main droite sur ses décorations. Je lui dis : « Si vous ne lâchez pas
mes rubans, j'arrache les vôtres ».
- «Vous
m'insultez, Monsieur. » -« C'est vous qui avez pris l'initiative, mes rubans
valent bien les vôtres : ils ont fait reculer les couleurs françaises, il n'est
pas bien sûr que vos rubans en auraient fait autant. Au reste, Monsieur, pour
peu que vous y teniez, nous pourrions vider notre différend après le triomphe
de la révolution. »
Après
quelques explications, je lui dis que si le Prince se croyait offensé de nos
couleurs, je les détacherais pendant nos pourparlers ne voulant, par un défaut
de forme, faire manquer notre mission toute d'humanité.
(page 241) En abordant le Prince, je lui
dis : « Le prince d'Orange ayant reconnu la nécessité de la séparation des deux
parties du royaume, il me semble naturel et logique que Votre Altesse Royale ne
s'offense pas des couleurs que le prince d'Orange n'a pas repoussées à
Bruxelles. »
- «
Vous comprenez, frère Gendebien, (frère maçon) que dès l'instant que vous
n'avez pas l'intention de m'offenser, je ne dois pas attacher plus d'importance
à vos couleurs que je n'en attache aux rubans maçonniques, au-dessus du grade
de maître (Note de bas de page : Le prince veut dire par là
qu’il n’appréciait que la maîtrise maçonnique qui, elle, confère les droits
essentiels de tout franc-maçon.) Je suis censé ne pas voir vos
rubans, mais vous avez résisté à la consigne, à l'entrée de la ville ; vous
avez donné du scandale et fait presque une émeute, en faisant ostentation de
vos couleurs. Je désire qu'en retournant vous évitiez tout scandale. »
Je lui
dis l'objet de notre mission ; l'effervescence qu'avait produite à Bruxelles
l'occupation de Tervueren, par des troupes
hollandaises, contrairement à la convention agréée par le prince d'Orange. Un
rassemblement formidable marche sur Tervueren ; le
sang va couler et a probablement coulé déjà.
Il me
répondit qu'il venait d'envoyer un ordre de retraite aux troupes de Tervueren et à celles de Cortenberg.
Je le remerciai avant de le quitter. Je lui dis qu'à la grand'garde,
sur la route de Bruxelles, on nous avait molestés, on voulait nous faire
rebrousser chemin. Je demandai un sauf conduit, pour éviter de nouveaux
désagréments. Il nous en fit délivrer un qui nous fut très utile.
En effet : de si loin que le sergent nous vit venir, il fit sortir sa
troupe de la cabane qui l'abritait, et se mit en travers de la route.
Notre
cocher me demanda s'il fallait foncer : « Non, vous vous arrêterez. »
Le sergent n'eût pas le temps de se fâcher. Je lui montrai le sauf-conduit
qui l'étonna et produisit son effet.
Au moment de partir de Vilvorde, une pluie torrentielle nous arrêta pendant
25 minutes ; j'en profitai pour faire de la propagande.
Beaucoup
d'officiers s'étaient abrités chez Portaels. - Je dis
à quelques-uns que je reconnus comme Belges : « Voici désormais vos couleurs,
le prince d'Orange a proclamé la séparation des deux parties du royaume ; notre
armée sera toute Belge ; vous n'en serez pas fâchés, j'en suis sûr. Que le Roi
le veuille ou ne le veuille pas, nous serons Belges, uniquement Belges ». Tout
ce que je disais à ce sujet était accueilli avec beaucoup de sympathie. La
discipline était très relâchée ; car (page
242) MM. les officiers se gênaient peu pour exprimer par signes et même
par paroles, leurs sentiments patriotiques et leur dégoût pour le service
hollandais.