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« Révolution belge de 1828 à
1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)
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Offres de secours pour la Belgique. -
Indolence des meneurs belges. - Mes efforts pour les stimuler. - Ils ne veulent
pas de moi. - Je m'engage à demeurer en France. - Projet de soumettre la
Belgique à Louis-Philippe.
(page 117) Depuis que la
nouvelle de l'insurrection bruxelloise était parvenue à Paris, il ne cessait de
se présenter à moi de nombreuses députations de Belges y exerçant une industrie
quelconque, et de Parisiens, pour la plupart du faubourg St-Antoine, qui
venaient m'offrir des milliers de combattants déterminés à vaincre ou à mourir.
Sans repousser positivement des secours qui pouvaient devenir fort utiles,
d'autant plus qu'ils auraient donné à la révolution belge
l'appui moral de la révolution de Paris, avec l'engagement pris, si ce n'est
par le gouvernement, du moins par le peuple français, de s'unir aux Belges pour
les délivrer de leurs oppresseurs, je faisais toucher du doigt à ces intrépides
volontaires qu'il y avait pour le moment impossibilité d'accepter leurs
services. En effet, le (page 118)
peuple ne s'était montré à Bruxelles qu'un moment, et sa vengeance satisfaite
sur les instruments les plus actifs du despotisme de Guillaume, il semblait
s'être retiré de la scène pour, comme le disaient ses chefs prétendus, rentrer
dans l'ordre. Et ces chefs, tantôt directeurs, plus souvent enrayeurs du soulèvement, ne paraissaient craindre autre
chose que de tomber dans la révolte ouverte, c'est-à-dire de trop bien réussir.
Aussi, répétais-je sans me lasser aux volontaires belges et parisiens, que leur
arrivée à Bruxelles serait le signe certain d'une guerre ouverte ; que par
conséquent elle contrarierait ceux qui y étaient momentanément à la tête des
affaires et qui, s'ils ne les menaient pas avec toute l'ardeur que nous
eussions voulu, avaient probablement pour cela des raisons que nous ignorions,
et n'agissaient en tout cas comme ils faisaient que dans les intentions les
plus pures. Je leur conseillais en conséquence d'attendre : mais aussi je les
priais de se tenir prêts à tout événement, le temps devant nécessairement
attirer en dernière analyse en Belgique sur la dynastie des Nassau, quoique
plus lentement qu'en France, le caractère national y étant aussi
énergique mais beaucoup moins vif, la même catastrophe qui avait mis fin à la
dynastie de la branche aînée des Bourbons.
Cependant, je ne laissais pas écouler un jour sans (page 119) donner avis à mes amis de Belgique de ce qui se passait à
Paris, de l'enthousiasme qu'y avait excité leur levée de boucliers, de
l'accusation de timidité et d'hésitation qu'on faisait peser sur eux, et des
offres qui de toutes parts m'étaient faites et dont il ne tenait qu'à eux de
profiter. Je leur demandais : « Voulez-vous les hommes qui se présentent pour
combattre avec vous et pour vous ? Belges, Français, Polonais, Allemands,
Italiens, Espagnols, tous mettent leurs bras et leur sang à votre service. Un
seul mot, et ils partent. Donnez-moi des instructions et elles seront suivies à
la lettre. » Je ne reçus ni instructions, ni réponse, ni même un simple accusé
de réception. Seulement, par un articule ! de quatre lignes inséré au Belge du
4 septembre, je sus que mes lettres étaient parvenues. Et vraiment, c'était
miracle ; car le monopole de la poste aux lettres était demeuré aux mains des
Hollandais, ainsi que la perception des contributions, et, sauf quelques commissions
de circonstance, toutes les autorités encore étaient hollandaises. Le Belge disait
que je ne demandais qu'un signal pour faire marcher, au secours de leurs frères
menacés, des milliers de Français et de Belges.
Une lettre écrite par M. de Gamond, défenseur
et ami de M. Tielemans (8 septembre) vint m'instruire
du (page 120) véritable état des
choses. On voulait, y était-il dit, rester dans l'ordre légal, comme si on n'en
était pas sorti depuis quinze jours. « Il paraît que les Belges qui se trouvent
en grand nombre à Paris, et qui n'attendent qu'un signal pour venir à notre
secours, ne recevront pas le mot d'ordre qu'ils désirent. Il y a ici quelques
personnes qui craignent le retour de M. de Potter avec eux, parce qu'il
suffirait à celui-ci de poser le pied sur notre sol pour être suivi à l'instant
de tout le peuple qui l'aime et qui met en lui une confiance sans bornes. Cet
entraînement déplairait fort à quelques gens qui veulent s'arranger, et
qui voient dans M. de Potter un obstacle à leurs arrangements. »
Dès lors, sans changer le moins du monde d'idées et de principes ; ne
voulant que le bien sans qu'il m'importât qui le ferait et comment ; n'ayant
pas plus l'amour-propre de prétendre que ce fût par moi, que l'ambition de faire
en sorte que ce fût pour moi que la Belgique reconquit son indépendance ; ne
doutant pas un instant d'ailleurs que cette indépendance ne fut la conséquence
de la révolution qui devait finalement résulter de la collision toujours
flagrante entre l'entêtement de Guillaume à vouloir maintenir son despotisme et
la ferme résolution du peuple belge à ne plus le subir : je fis tous mes
efforts pour rassurer et ménager les hommes que (page 121) leur position forcerait tôt ou tard eux-mêmes, soit de
diriger la révolution éclatée malgré eux, soit de pousser de bonne ou de
mauvaise grâce à en hâter l'explosion. Je craignais, en leur laissant la moindre arrière-pensée sur mon compte, de les
porter à entraver la marche du peuple et à comprimer son élan. A cet effet,
tout en pressant comme j'avais fait jusqu'alors la succession des événements et
en garantissant à mes amis qu'ils n'avaient qu'à préparer de l'argent et des
armes, que les hommes ne leur manqueraient pas, je me fis un devoir de terminer
toutes mes lettres par l'assurance formelle que je ne retournerais pas
en Belgique ; que je les laisserais librement faire ce qu'ils voudraient et
comme ils le voudraient ; que je ne les troublerais en rien, voulant me borner
à leur donner les conseils que je croirais utiles et les secours qu'ils me
demanderaient. « Ne craignez rien, leur disais-je (11 septembre) ; je
suis ici et j'y reste. Je vais à Lille le 20, mais c'est uniquement pour
prendre ma mère : je me m'arrêterai que douze à quinze heures au plus, sans
jamais sortir des portes de la ville du côté du nord... Je me tiendrai
tranquille comme vous le demandez, c'est-à-dire que je vous laisserai
tranquilles. » Je n'avais aucun souci des arrangements dont j'étais bien
sûr que Guillaume n'aurait pas consenti qu'ils se rendissent coupables (page 122) avec lui ; et, Guillaume
renvoyé, je ne prévoyais pas encore qu'il y aurait eu à s'arranger avec
personne.
Ce raisonnement était-il juste ou faux ? ce n'est pas de cela qu'il
s'agit ; ce fut le raisonnement que je fis. Je ne trace pas ici l'apologie de
ma conduite. Je dis seulement ce qu'elle fut et pourquoi elle fut telle.
Du reste, tandis que je répétais sous toutes les formes dans mes lettres à Bruxelles que je n'avais pas même l'idée
d'aller en Belgique, mes amis, comme s'ils n'eussent point été bien convaincus
de ma sincérité, m'exhortaient dans chacune des rares réponses qu'ils faisaient
à ces lettres, à demeurer en repos et où j'étais. « Vous devez, m'écrivait l'un
(je pourrais mettre les noms, car j'ai devant moi toute la correspondance :
mais j'ai pris sur moi de ne nommer personne que lorsque la chose est
absolument inévitable), vous devez griller d'être ici (6 septembre) ; mais
différez : c'est l'avis de tous ceux qui vous aiment, c'est-à-dire de tous ceux
que je rencontre. » - « Vous pourriez, me disait un autre (10 septembre), vous
porter à Valenciennes ou à Lille : un de nous s'y rendrait, pour s'entendre. »
- « Que M. de Potter reste aux frontières, c'est ce qu'on chargeait un
troisième de me signifier, et qu'il attende le signal (12 ou 13 septembre). » —
.... « Qu'il ne passe point le Rubicon ; car on ne veut pas la guerre. On
obtiendra (page 123) des concessions
légalement sollicitées, et tout sera dit. »
Enfin un des hommes le plus énergiques et les plus désintéressés,
pécuniairement parlant, de l'opposition mi-légale, mi-insurrectionnelle de mon
pays, celui dans l'influence duquel j'avais le plus de confiance, m'écrivit le
16 septembre, et sa lettre bouleversa toutes mes idées sur ce qui s'était fait
et devait se faire encore en Belgique. Il ne voyait, lui, que la France et
notre réunion à ce royaume, tandis que je savais fort bien et qu'on m'avait
récemment confirmé de Bruxelles : « que la volonté
populaire contraire à la réunion n'avait jamais été plus généralement ni plus
fortement manifestée. » L'ami en question n'en avait pas moins travaillé exclusivement
dans le sens de la France. « Le 2 ou le 3 août, me disait-il, j'ai demandé
à Paris qu'on s'expliquât sur les limites du Rhin, garantissant un succès
complet... Le 15 j'ai été mis en rapport direct avec un agent du gouvernement
français, qui m'a dit positivement qu'il fallait tout calmer et arrêter
toute explosion pendant une année ; confirmant la résolution du
gouvernement français de ne pas intervenir, lors même que les Prussiens
entreraient ici (à Bruxelles). Dans cet état de choses, force me fut de
tout calmer, et j'ai pris l'engagement de faire tout ce qui dépendrait de moi à
cet effet. »
(page 124) « Le 20 août (je
copie toujours la même lettre) plusieurs personnes m'ont pressé d'indiquer
l'époque prochaine pour le mouvement ; je suis parvenu à leur faire comprendre
l’intempestivité de leur zèle, et les ai invitées à
renoncer momentanément à tout projet. » Ayant ensuite parlé de l'échauffourée
du 25, mon ami ajoutait : « Beaucoup de ceux qui auraient pu diriger le
mouvement étaient absents ; les autres, fidèles à la consigne, ont voulu
l'arrêter : de là incertitude, défaut de direction, et par suite mouvement
désordonné de la part du peuple, qui eût agi merveilleusement s'il eût été bien
dirigé. »
L'ami me reparlait ensuite de ses efforts pour tout apaiser, et,
en donnant aux événements une couleur légale, pour en profiter, du moins dans
le sens d'obtenir le redressement des griefs. Une conversation qu'il eut avec
le ministre de l'intérieur à la Haye fut pour lui un trait de lumière : «
Je conçus dès lors, dit-il, le projet de la séparation du nord et du midi. » Ce
projet, je l'avais, moi, à qui cet ami s'adressait, énoncé plusieurs fois du
fond de ma prison ; je l'avais surtout publié d'une manière fort claire dans ma
Lettre de Démophile au roi, dès décembre 1829
; el je venais tout récemment encore (24 août) de donner au roi le conseil de
provoquer lui-même la séparation le plus tôt possible, s'il voulait continuer à
régner (page 125) sur les deux
parties du royaume. Quoi qu'il en soit, la lettre qui était fort longue
contenait après cela les prévisions les plus sinistres, et des imprécations
contre la France qui n'avait pas osé se montrer lorsque les circonstances
étaient favorables : « Elle trouverait encore aujourd'hui 200,000 Belges qui
défendraient la ligne du Rhin avec enthousiasme et fanatisme. Dans trois ou six
mois, lorsqu'elle sera forcée de faire la guerre, notre paix sera faite avec le
gouvernement, et elle aura 60,000 Belges à combattre. »
On le concevra sans peine : une pareille lettre me mit hors de moi. Que
pouvais-je espérer encore, quand celui que j'avais regardé comme l'âme du
mouvement belge n'avait voulu que faire servir la Belgique à arrondir
l'empire français, et que, faute du courage nécessaire au chef de cet empire
pour nous accepter, il ne voyait plus, lui, de salut pour sa patrie que dans notre
paix avec le gouvernement ?
Apres cela, une expression employée par mon correspondant, par légèreté
peut-être plus qu'avec intention, m'avait affligé profondément. En me rendant
compte du conflit qui s'était élevé entre les bourgeois qui ne voulaient que la
conservation de leur bien-être, n'importe comment ni sous qui, et le peuple qui
voulait l'indépendance et la liberté à tout (page 126) prix, entre celui-ci qui demandait des armes pour
combattre les Hollandais, et ceux-là qui les refusaient de peur que le peuple
ne pillât les boutiques, mon ami disait : « J'appris qu'on avait été obligé de
faire feu sur le peuple, et que nous avions ainsi perdu notre chair à canon.
» Ce mot qui, de la part même de Napoléon, m'a toujours paru d'une atrocité
plus révoltante que tout ce qu'ont pu dire de plus monstrueux les terroristes
de 93, devenait à mes yeux dans la bouche d'un aspirant homme populaire,
quelque chose d'inqualifiable sur quoi ma pensée refusait de s'arrêter
et qui me serrait le cœur.