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« Révolution belge de 1828 à
1839. Souvenirs personnels », par Louis DE POTTER (Bruxelles, Meline, Cans et compagnie, 1839)
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Adresse au peuple belge. - République
fédérative de Belgique. - Des
députés croient avoir inventé la séparation de la Belgique avec la Hollande,
puis il l'empêchent. - Club patriotique belge à Paris. - Refus de passeport.
(page 127) Fidèle à la
résolution que j'avais prise de ne point franchir la ligne que je m'étais
tracée, ce fut par les journaux français que je manifestai à mes concitoyens
quelle était mon opinion sur leur position qui me paraissait fausse et sur les
seuls moyens qui me semblassent propres pour en sortir. Mon premier article fut
une Adresse au peuple belge (Tribune du 7 septembre). Après avoir
brièvement rappelé ce que j'avais demandé au nom des Belges lorsqu'il
paraissait encore presque impossible de l'obtenir jamais,
je les exhortai à profiter de leur victoire pour, puisqu'ils le pouvaient,
réaliser mes vœux qu'ils avaient bien prouvé être les leurs propres,
c'est-à-dire, à déclarer l'indépendance réelle, parlementaire et
administrative, de la Belgique. Et pour consolider leur nouvel édifice, je (page 128) suggérai la fédération
immédiate de toutes les provinces, dont les députés réunis à Bruxelles en congrès
constituant, jetteraient les fondements de la liberté belge, tandis qu'un gouvernement
révolutionnaire provisoire organiserait la défense du pays, et ne
négligerait aucun moyen pour que la lutte offrît toutes les chances possibles
de succès.
Peu après (9 septembre) je cherchai à les mettre en garde contre la
promesse royale d'une séparation à opérer par les états-généraux, qui,
mi-partie belges, mi-partie hollandais, auraient dû la prononcer à la majorité
des trois quarts des voix. Cette séparation, ajoutai-je, est un fait à
poser par la Belgique, comme la fusion a été un fait posé par la
Sainte-Alliance. Ce fait doit être suivi de la fixation par les Belges des
bases de leur loi fondamentale, qu'après cela ils présenteront au roi
des Pays-Bas, comme conditions de son règne futur sur eux ; et en les
proposant à son acceptation, ils lui diront franchement et énergiquement :
sinon, non. Le surlendemain je revins sur le même point ; je répudiai
entièrement l'ancienne représentation nationale dont les pouvoirs
étaient expirés de fait ; et si le roi repoussait les propositions de la nouvelle, c'est-à-dire s'il commençait la guerre, j'en
appelai, moi, au tocsin. Puisque les Belges, c'est ainsi que je
terminais mon article, ne veulent rien (page
129) de plus qu'échapper à l'exploitation d'un ministère sans
responsabilité, et qu'ils se soumettent encore en citoyens fidèles au roi qui
jurera le maintien de leur pacte social, que du moins on leur en sache gré.
Guillaume, en s'opposant à cette émancipation légitime, porterait seul la peine
de son obstination ; car il verrait immédiatement s'élever à côté de son royaume
batave, la république fédérative des provinces belges. La moitié de
cette prédiction s'est vérifiée : il n'a pas tenu à moi que l'autre moitié ne
se vérifiât de même. Cela aurait certainement eu lieu si la révolution avait
éclaté quelques années plus tard, c'est-à-dire lorsque le peuple, plus instruit
de ses intérêts réels, eût mieux connu ses véritables amis, et que ceux-ci eussent
eu le temps de se former à la lutte.
Le 12 et le 14 septembre je répétai mes avis, et je me plaignis avec un
peu de vivacité de ce que les feuilles belges n'osaient, ni les reproduire s'ils
les trouvaient bons, ni les rejeter s'ils les croyaient inexécutables. Je
démontrai l'urgence de s'emparer des revenus publics pour organiser la défense
de la patrie, de faire rentrer tous les Belges au service de l'étranger, et de
déclarer traîtres ceux qui coopéreraient de n'importe quelle manière aux
mesures à prendre contre la Belgique par l'ex-pouvoir néerlandais. (page 130) Le 15, je tournai en ridicule
la révolution légale, qui empêcherait toujours les insurgés de vaincre,
et ne sauverait pas les rebelles de l'échafaud s'ils étaient vaincus. Le but de
cet article était surtout de rappeler à mes amis que toute révolution doit
marcher vite, parce que les maux qu'elle entraîne à sa suite ne peuvent se
supporter longtemps. Le peuple a encore autre chose à faire, disais-je, qu'à
réformer l'ordre social ; il doit vivre, c'est-à-dire travailler : et s'il ne
travaille pas, il faudra qu'il pille ses ennemis ou ses amis ; choisissez.
Deux des anciens députés avaient été à Paris : MM. Ch. de Brouckere et de
Langhe. J'aurais beaucoup désiré de gagner ce dernier à la cause de la
révolution, que, s'il l'avait embrassée, il aurait servie en homme probe et
loyal. Mais il avait surtout peur d'aller trop loin, et cela l'empêcha même
d'aller. Nous discutâmes cependant longuement le point de la séparation du
nord et du midi, que ces messieurs, retournés à Bruxelles, inventèrent à
leur tour, et qu'ensuite ils entravèrent autant qu'il était en eux en se
rendant aux états-généraux du midi et du nord confondus. Ce fut ainsi
qu'ils montrèrent d'abord quelque velléité d'instituer un gouvernement
provisoire belge, et qu'en se portant après cela à la Haye ils rendirent cette
institution impossible, pour aussi (page
131) longtemps du moins qu'ils ne seraient point rentrés dans leurs foyers.
Le moment approchait de mon départ pour Lille, où je devais trouver ma
mère et l'emmener avec moi à Paris. Avant de partir, je fondai avec M. Tielemans, qui, depuis que notre arrivée à Paris et les
événements de Belgique semblaient m'avoir rendu quelque
importance, était redevenu à mon égard ce qu'il était avant l'exil, un club
patriotique belge. Cette société populaire devait s'entendre avec le
gouvernement, les commissions ou les clubs de Belgique, sur les mesures
à prendre dans les deux pays, pour que les Belges réussissent aussi
complètement à secouer le joug de la domination hollandaise que les Français
avaient réussi à briser celui des Bourbons.
A la légation de Hollande on avait refusé de viser mon passeport pour
Lille. Je m'adressai à la police française, qui m'accorda le visa nécessaire,
et après avoir protesté dans la Tribune contre l'arbitraire des
ministres étrangers qui, en France même, s'arrogeaient le pouvoir de séquestrer
leurs compatriotes quand bon leur semblerait, je me mis en route.