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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 janvier 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 455) M. Huveners fait l’appel nominal à 2 heures.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs propriétaires et fermiers à Cambron-Casteau et à Brugelette se plaignent du tracé qui a été adopté pour la construction du canal de Jemmapes à Alost. »

M. Lange. - Messieurs, avant notre séparation, un rapport a été fait sur des pétitions du même genre. La commission des pétitions avait conclu au renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics ; j'ai appuyé ce renvoi, en demandant en outre que M. le ministre fût invité à donner des explications. Cette proposition a été adoptée. Je demande que la nouvelle pétition soit renvoyée directement à M. le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Une administration communale demande une part dans les fonds alloués au gouvernement, pour subvenir aux besoins de la classe nécessiteuse. »

- Même renvoi.


« Le sieur Offergelt, ancien receveur des contributions directes et accises, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension de retraite. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Remagne prie la chambre de rejeter le projet de loi sur le défrichement des bruyères. »

« Même demande des administrations communales de Tournay (Luxembourg), Léglise, Nives, Villance, Orgeo, Straimont, Mellier, Jusseret, et des habitants de Wittemont. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la matière.


« Le sieur Constant Cachot, messager de l'administration des chemins de fer de l'Etat, né à Avesnes (France), demande la naturalisation ordinaire. »

« Le sieur Flicher demande qu'il soit pourvu à la restauration des tableaux de Rubens à Anvers et du tableau de Vandyck qui se trouve dans l'église métropolitaine à Malines. »


- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Melling, marchand-boucher à Namur, soumet à la chambre des mesures qui ont pour but d'améliorer le bétail et de changer le système de culture. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Blariaux, Heindryckx et autres demandeurs de la concession d'un embranchement de chemin de fer de Beaumont à la voie d'Erquelinnes, joignant la station de Thuin, réclament l'intervention de la chambre, pour qu'on accomplisse au plus tôt les formalités préalables à la concession.

- Même renvoi.


« Plusieurs débitants de boissons distillées demandent la révision de la loi du 18 mars 1838. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Sugny prient la chambre de s'occuper du projet de loi relatif à l'érection de Pussemange et de Bagimont en communes distinctes. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur la matière.


« Plusieurs habitants de Furnes demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher l'introduction en Belgique de la monnaie de cuivre, non décimale, de France. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs meuniers et fabricants à Vilvorde prient la chambre de décider si le fermier de la barrière de Trois-Fontaines, située à moins de 2,500 mètres de leurs usines, peut exiger le droit de barrière sur leurs voitures allant ou revenant de Bruxelles, avec des objets nécessaires au service de ces usines. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Rommershoren demandent que cette commune soit distraite du canton de Looz, et réunie à celui de Bilsen. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« La chambre de commerce de Namur demande la réduction des péages sur le canal de Charleroy et sur la Sambre canalisée. »

« Même demande de la chambre de commerce et des fabriques de Gand.»

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur Van Uze, major pensionné, prie la chambre d'allouer au budget de la guerre une somme pour l'indemniser des pertes qu'il a subies par suite de sa mise à la pension de retraite. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.


« La chambre de commerce et des fabriques de Gand prie la chambre de s'occuper du projet de code disciplinaire et pénal pour la marine marchande. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Le conseil communal d'Oombergen présente des observations contre le projet de loi sur la réforme des dépôts de mendicité. »

« Mêmes observations du conseil communal de Leeuwergen. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


Par divers messages, du 24, du 29, du 30 et du 31 décembre, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :

1° Le budget du département des affaires étrangères, 1847 ;

2° Le projet de loi qui proroge la loi du 18 juin 1842, relative au régime d'importation en transit direct et par entrepôt ;

3° Le projet de loi qui rectifie les plans de délimitation des communes de Molen-Beersel et de Kinroy, et de celles de Kessenich et d'Ophoven ;

4° Le projet de loi ouvrant un crédit provisoire de cinq millions de francs au département de la guerre ;

5° Le projet de loi contenant le budget des dotations pour 1847 ;

6° Le projet de loi qui autorise l'exemption de l'accise sur le sel employé à l'alimentation du bétail ou à l'amendement des terres ; .

7° Le projet de loi ouvrant un crédit provisoire de 2,215,962 fr. 07 c. au département des travaux publics ;

8° Le projet de loi relatif au droit de sortie sur les étoupes ;

9° Le projet de loi sur l'exportation des sucres bruts de betterave ;

10° Le budget du département de l'intérieur, exercice 1847 ;

11° Le projet de loi qui modifie les droits de douanes sur les cuirs et les peaux.

- Pris pour notification.


Par 22 messages en date du 29 décembre 1846. le sénat informe la chambre qu'il a donné son adhésion à 22 projets de loi de naturalisation ordinaire.

- Pris pour notification.


M. le ministre de la justice transmet, avec les renseignements relatifs à chacune d'elles, six demandes eu obtention de la naturalisation ordinaire.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. le ministre des affaires étrangères transmet des renseignements sur les pétitions relatives au droit de douane à l'exportation du bois de noyer.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le ministre de la justice transmet 95 exemplaires «le l'appendice du compte de l’administration de la justice civile.

- Distribution entre les membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre de l’intérieur fait parvenir à la chambre 97 exemplaires de l'Annuaire de l'observatoire royal de Bruxelles, année 1847.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.


Le président de la cour des comptes informe la chambre que M. Hubert, récemment nommé conseiller à la cour des comptes, a été installé dans ses nouvelles fonctions le 31 décembre dernier.

- Pris pour notification.

M. le président. - Messieurs, la chambre étant maintenant officiellement informée de l'installation de M. Hubert, en qualité de membre de la cour des comptes, il en résulte que la place de greffier de cette cour est devenue vacante.

Je demanderai à la chambre quel jour elle désire fixer pour procéder au remplacement de M. Hubert, comme greffier.

Des membres. - A aujourd'hui en 15.

D’autres membres. - A aujourd'hui en 8.

- La chambre consultée n'adopte pas la première proposition ; elle adopte ensuite la proposition tendant à fixer la nomination à jeudi prochain en 8.


La société des sciences, des arts et des lettres, du Hainaut, fait hommage à la chambre du numéro 1 du rapport de la commission du libre échange, instituée dans son sein.

Dépôt à la bibliothèque.


M. Weissembruch père fait hommage à la chambre du premier volume de l'Histoire de la Belgique en flamand.

- Dépôt à la bibliothèque.


(page 456) M. de Breyne informe qu'une indisposition de sa femme l'empêche d'assister, quant à présent, aux séances de la chambre.

- Pris pour notification.


Mme Zoude informe la chambre que la santé de M. Zoude, son beau-père, l'empêche de prendre momentanément part aux travaux de l'assemblée.

- Pris pour notification.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Tournay

Par dépêche du 8 janvier, M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) transmet à la chambre le procès-verbal de l'élection qui a eu lieu le 29 décembre 1846.

M. le président tire au sort les noms des membres de la commission qui sera chargée de vérifier les pouvoirs de M. Le Hon, élu à Tournay.

Le sort désigne MM. Cans, Pirmez, Jonet, Clep, Malou, de Saegher et de Bonne.

Projet de loi établissant une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux), après en avoir exposé les motifs, donne lecture du projet de loi ayant pour objet d'augmenter le nombre des représentants et des sénateurs. (Nous le donnerons ultérieurement.)

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture ; ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués aux membres ; si personne ne fait d'autre proposition l'examen ne sera renvoyé aux sections.

Projet de loi qui ouvre au département des finances un crédit supplémentaure destiné à l'acquisition d'immeubles à Bruxelles

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Malou). - Le Roi m'a chargé de présenter à la chambre un projet de loi tendant à autoriser l'acquisition des locaux et bâtiments de la Société belge de librairie, rue du Nord, à Bruxelles.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi qu'il vient de communiquer à la chambre.

Ce projet et l'exposé des motifs seront imprimés et distribués aux membres.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il est conforme aux précédents de la chambre de renvoyer les projets de cette nature à une commission ; je pense qu'il pourrait en être de même dans cette circonstance.

M. de Brouckere. - Est-ce pour les archives que vous proposez cette acquisition ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - En partie. Si on préfère le renvoi aux sections, je n'insiste pas sur ma proposition.

M. de Brouckere. - Je préfère l'examen en sections.

- Le renvoi aux sections est ordonné.

Motion d'ordre

Etat des corporations religieuses et des écoles tenues par celles-ci

M. Delfosse. - Dans la séance du 25 décembre, j'ai adressé à MM. les ministres la demande de quelques renseignements relatifs aux congrégations religieuses et aux écoles tenues par ces congrégations. Je prie MM. les ministres de nous dire s'ils sont prêts à déposer ces renseignements.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Delfosse, dans une séance précédente, a adressé à M. le ministre de l'intérieur et à moi différentes questions relativement aux congrégations religieuses. J'ignore si l'honorable membre a eu l'intention de demander ces renseignements relativement aux congrégations religieuses reconnues seulement, ou bien à toutes les congrégations qui existent dans le pays.

Quant aux congrégations religieuses reconnues, je ne fais aucune difficulté de déposer sur le bureau le tableau des différents arrêtés qui ont reconnu ces congrégations. Ce travail, chacun des membres de la chambre pouvait le faire. Il s'agissait uniquement de compulser dans le Bulletin officiel les différents arrêtés d'autorisation. Toutefois, j'ai fait dresser ce tableau, et je le déposerai sur le bureau.

L'honorable membre a demandé également quel était le nombre des personnes appartenant à ces congrégations. Il m'est impossible de répondre catégoriquement à cette question ; lorsqu'une congrégation est reconnue, ses devoirs à l'égard du gouvernement sont tracés par le décret de 1809 ; ils se bornent à devoir remettre le compte des revenus de la congrégation ; le gouvernement n'a pas le droit d'exiger davantage, et, par conséquent, de s'enquérir du nombre de novices ou de sœurs qu'on reçoit dans ces établissements.

Ainsi, quant au nombre de personnes qui compose les congrégations reconnues, je suis dans l'impossibilité de donner des renseignements positifs ; je pourrais bien en obtenir et en donner officieusement, mais je pense que les rapports des ministres avec la représentation nationale doivent se baser sur des renseignements officiels et non sur des renseignements officieux. Je ne pense pas que le gouvernement ait le droit de demander officiellement les renseignements dont a parlé l'honorable M. Delfosse.

Il en est autrement pour les institutions subsidiées par le gouvernement. Quant à celles-là, je ne fais aucune difficulté de donner les renseignements demandés par l'honorable membre, et que j'ai obtenus, je m'engage même à les compléter. En effet, quand le gouvernement accorde un subside, il doit en connaître la destination ; il doit s'assurer qu'il a été bien employé ; il a le droit de demander des détails sur le personnel auquel l'emploi des fonds est confié ; ainsi quant aux établissements religieux, en très petit nombre, qui reçoivent des subsides, je dépose un tableau indiquant le but des institutions, le nombre des personnes qui en font partie, et la hauteur des subsides.

En ce qui concerne les congrégations religieuses non reconnues, il est impossible de fournir à la chambre d'autres renseignements que ceux consignés dans l’Almanach royal, dont un exemplaire est distribué à tous les membres de la chambre.

Dans cet ouvrage, se trouvent indiquées les différentes congrégations existantes.

La demande de renseignements faite par l'honorable membre porte également sur les corporations enseignantes. Quant à ces corporations, mon honorable collègue de l'intérieur a donné, dans le rapport qu'il a déposé, tous les renseignements qu'il pouvait fournir. La chambre pourra les consulter, dès qu'il sera distribué.

M. Delfosse. - M. le ministre de la justice demande si mes questions portent sur les corporations religieuses reconnues ou sur toutes les corporations religieuses sans distinction. Il me semble que je me suis expliqué assez clairement. Le Moniteur a dû apprendre à M. le ministre de la justice que mes questions portent sur toutes les corporations religieuses indistinctement. M. le ministre de la justice nous dit qu'il est impossible au gouvernement de se procurer les renseignements que je demande en ce qui concerne les congrégations religieuses non reconnues et les écoles non subsidiées que ces congrégations dirigent. Je ne puis être de cet avis.

Le gouvernement a un moyen bien simple de connaître les faits qui se rattachent aux congrégations religieuses ; les administrations communales ne font-elles pas chaque année un recensement, qui doit donner sur ce point toutes les indications désirables ? Chaque année, la police vient me demander mon nom, ma profession, mon âge et d'autres choses encore ; elle adresse les mêmes questions aux personnes qui demeurent chez moi.

Il serait vraiment étrange que l'on montrât moins d'exigences et plus d'égards pour les congrégations religieuses que pour les représentants de la nation. Les corporations religieuses ne peuvent certes avoir la prétention d'échapper aux investigations de l'autorité publique, dors que les membres des deux chambres y sont soumis.

Le gouvernement nous donne, dans les statistiques qu'il publie, des renseignements extrêmement minutieux. Il nous apprend, par exempte, combien il y a eu de suicides et quel en a été le motif, tant par amour, tant par scrupules religieux, etc., etc. Le gouvernement sait tout cela à l'aide de sa police, à l'aide des agents nombreux qui sont à sa disposition, et il ne connaîtrait pas le nombre et la nature des congrégations religieuses qui existent dans le pays, et il serait dans l'impossibilité de répondre aux questions que j'ai formulées ; si les choses se passent ainsi, je le dis hautement, c'est que le gouvernement ne remplit pas son devoir.

Son devoir est de rechercher et de surveiller ce qui se passe dans tout le pays. Ce devoir est surtout impérieux lorsqu'il s'agit de congrégations religieuses, composées en grande partie d'étrangers ; j'ai demandé, entre autres choses, combien il y a d'étrangers dans les congrégations religieuses établies en Belgique, on croit généralement que le nombre en est considérable ; c'est là une question à laquelle M. le ministre de la justice serait inexcusable de ne pas répondre.

Les étrangers sont soumis à la surveillance du gouvernement ; on nous a fait voter une loi d'expulsion ; je ne suis pas partisan de cette loi ; mais enfin, elle existe depuis plusieurs années ; le ministère en a demandé le renouvellement, il en a proclamé la nécessité, comment pourrait-il l'exécuter d'une manière convenable, si les étrangers étaient libres de se soustraire à ses investigations, par cela seul qu'ils appartiennent à une congrégation religieuse ?

Si M. le ministre de la justice ne répond pas, on en conclura que mes questions le gênent. Je prévoyais son refus. Le gouvernement n'a que trop l'habitude d'entourer de mystère tout ce qui concerne le clergé ; il sait que la découverte de beaucoup de choses qui restent cachées augmenterait encore l'impopularité qui le poursuit.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, le gouvernement n'a rien à cacher et ne désire rien cacher relativement au clergé, pas plus que relativement à aucun des actes posés par le gouvernement lui-même.

Le gouvernement, messieurs, peut certainement savoir, et je l'ai dit tout à l'heure en répondant à la première interpellation de l'honorable M. Delfosse, combien il y a de maisons religieuses dans les communes du pays. Aussi je me suis empressé de dire à l'honorable M. Delfosse que la nomenclature de ces différentes maisons se trouvait dans l'almanach royal. Si l'honorable membre ou plutôt si la chambre désire que je fasse faire un extrait de ce livre pour le déposer sur le bureau, je m'empresserai de déférer à ce désir ; mais je déclare que je ne puis faire autre chose.

D'après les renseignements que j'ai pu obtenir, les indications de l'almanach royal sont exactes ; il n'y a pas d'autres maisons religieuses en Belgique que celles qui y sont indiquées.

Mais, messieurs, ce que je n'ai pas voulu faire, et ce que, je pense, je ne pouvais pas faire, c'est d'aller établir dans les maisons religieuses une espèce d'inquisition, c'est d'aller demander dans chacune de ces maisons quel est le rang des personnes qui s'y trouvent ; c'est d'aller m'informer. si l'une est sœur converse, si l'autre est novice, si une troisième est déjà entrée en religion.

(page 457) Je dis, messieurs, que je ne devais pas demander ces renseignements ; mais dans tous les cas, avant de les recueillir et surtout avant de les faire connaître à la chambre, il faudrait que la chambre m'invitât à le faire. Et cette invitation n'aurait pu m'être faite avant que l'honorable M. Delfosse eut indiqué d'une manière au moins sommaire quel était son but en posant ses questions. Or, ce but il ne l'a pas indiqué jusqu'à présent. Je pense donc qu'en l'absence d'un but indiqué, qui puisse faire apprécier l'utilité des questions qui lui étaient posées, le gouvernement ne devait pas et ne pouvait pas se livrer aux investigations dont a parlé l'honorable M. Delfosse.

L'honorable membre dit que je devrais au moins connaître les étrangers qui se trouvent dans le pays. Messieurs, le département de la justice possède une liste des différents étrangers qui se trouvent dans le pays. cette liste ne comprend pas seulement des prêtres et des religieux, elle comprend aussi des hommes de lettres, des personnes appartenant au commerce ou à d'autres professions. Rien, messieurs, n'est plus facile que de produire cette liste ; je puis la déposer si on le désire. Du reste, cette liste a déjà été déposée à différentes reprises sur le bureau de la chambre.

M. Delfosse. - M. le ministre de la justice me demande quel a été mon but en posant les questions auxquelles je désirerais avoir une réponse. Je demanderai, à mon tour, à M. le ministre de la justice quel est le but du gouvernement lorsqu'il publie des statistiques ? Il est certain qu'il y a dans les statistiques publiées par le gouvernement beaucoup de faits moins importants que ceux auxquels mes questions se rapportent. La connaissance des faits est utile pour nous guider dans l'examen des lois qui sont présentées à la chambre, ainsi que dans l'exercice du droit d'initiative qui nous appartient.

Le gouvernement ne peut repousser mes questions ni refuser d'y répondre, sans reconnaître l'inutilité des statistiques qu'il publie sur des objets moins importants, et alors il faudrait rayer du budget les sommes considérables qu'on vient nous demander chaque année pour la publication de ces statistiques.

M. le ministre de la justice se récrie contre l'espèce d'inquisition à laquelle je voudrais, selon lui, assujettir les congrégations religieuses. A ce compte, je pourrais aussi me récrier lorsque la police vient chez moi me demander toutes sortes de renseignements, je pourrais aussi dire que c'est de l'inquisition ; la loi doit être égale pour tous.

Si le gouvernement a pu scruter la conscience des citoyens, s'il a pu demander quelle est leur religion, et c'est ce qu'il a fait dans le dernier recensement, il peut certainement adresser aux congrégations religieuses les questions fort inoffensives que j'ai posées. N'ayons pas deux poids et deux mesures ; n'accréditons pas cette idée que le gouvernement, assez fort pour exécuter les lois lorsqu'il s'agit de laïques, n'ose rien entreprendre qui puisse déplaire au clergé.

Si le gouvernement le voulait, il n'est pas une de mes questions ou tout au moins il en est bien peu auxquelles il ne pourrait répondre. Je ne considère pas ce que M. le ministre de la justice a dit de l’Almanach royal comme sérieux. Quoi qu'il en soit, s'il persiste dans son refus, je sais que la majorité ne me viendra pas en aide. Je ne compte pas sur l'appui de la majorité dans cette circonstance ; les congrégations religieuses sont ici en faveur. Je n'insisterai donc pas, mais le public appréciera les motifs pour lesquels on refuse de me répondre.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable membre, en parlant des statistiques, semble ne pas en reconnaître toute l'utilité ; au moins il pense que la statistique qu'il a demandée serait beaucoup plus utile que plusieurs de celles qui ont été publiées jusqu'à présent. L'honorable M. Delfosse dit pourtant avec raison que les statistiques peuvent servir à éclairer les membres de la chambre, à leur faire apprécier, d'après les détails qu'elles contiennent, si le gouvernement remplit son devoir, s'il propose les lois que les circonstances et les faits constatés réclament.

Mais, messieurs, sous ce dernier rapport l'honorable membre ne justifie pas l'utilité des questions qu'il nous a adressées, car je suis persuadé que l'honorable membre n'a nullement l'intention de proposer une loi relative au droit d'association...

M. Delfosse. - Il n'est pas question de cela.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il connaît trop bien le Code constitutionnel pour chercher à entraver un droit consacré par le pacte fondamental.

Je ne conçois donc pas quel peut être le but de l'honorable M. Delfosse dans les questions qu'il pose.

L'honorable membre a invoqué le recensement, et il accuse le gouvernement d'avoir deux poids et deux mesures en demandant, d'un côté, aux simples citoyens, divers renseignements qu'il n'oserait pas, dit l'honorable M. Delfosse, demander aux congrégations religieuses. L'honorable M. Delfosse est complétement dans l'erreur : lorsqu'il s'est agi du recensement, les détails qui ont été demandés l'ont été aux membres des corporations religieuses, comme aux autres citoyens, et lorsqu'on publiera tous les détails du recensement, l'honorable membre verra que plusieurs des renseignements qu'il a demandés s'y trouvent compris. Mais il est fort difficile de demander à un individu certains détails, pour obtenir un recensement exact, dans un but légal déterminé, ou de demander les détails dans lesquels voudrait entrer l'honorable M. Delfosse. Ainsi, je me demande de quelle utilité il peut être de savoir combien il y a dans une association religieuse des sœurs converses ou des sœurs novices.

Pour établir l'utilité de recueillir les éléments d'une semblable statistique, il faudrait que le but vers lequel on tend fût défini et expliqué.

Pièces adressées à la chambre

Rapport sur les avantages et inconvénients d'une fusion de l'institut agricole et de l'institut vétérinaire

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un mémoire relatif à la question qui a été soulevée dans cette chambre sur les avantages ou les inconvénients que pouvait présenter la réunion, dans un même établissement, de l'institut agricole et de l'institut vétérinaire. Je demande que ce mémoire soit imprimé et distribué.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1847

Discussion générale

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lorsque nous arriverons au chapitre X du budget de la justice j'entretiendrai la chambre du crédit de 640,000 fr. demandé pour travaux de construction aux bâtiments des prisons de l'Etat ; le gouvernement demande entre autres 200,000 fr. pour la construction de prisons à Liège, à Verviers et à Louvain ; on ne donne pas le détail de la dépense pour chaque construction. Je demande que lorsque nous serons arrivés à cet article, M. le ministre de la justice veuille déposer sur le bureau :

1° La convention qui a été conclue avec la régence de Louvain, et dont il est parlé dans l'article 4 de l'arrêté royal du 25 août 1846 ;

2° La note des dépenses qui ont été faites en 1846, par suite de l'article 3 du même arrêté ;

3° Le devis des dépenses de construction de la prison qui doit être érigée en vertu de l'article premier du même arrêté ;

4° Le plan de cette prison. (Nous saurons par cette dernière communication s'il s'agit d'une prison cellulaire ou d'une prison en commun.)

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, des quatre pièces demandées par l'honorable membre, je ne puis fournir qu'une seule : c'est la convention qui a été faite avec la ville de Louvain, relativement à la cession d'un terrain pour une prison nouvelle ; je déposerai demain cette convention sur le bureau.

L'honorable M. Osy demande en second lieu la note des dépenses qui ont été faites à Louvain en 1846. Aucune dépense n'ayant été faite, il n'y a pas de note à fournir. (Interruption de la part de M. Osy.) Je déclare à l'honorable M. Osy, de la manière la plus formelle, qu'aucun centime n'a été dépensé en 1846 pour la nouvelle prison de Louvain.

Le devis n'étant pas entièrement terminé et le plan n'étant pas encore approuvé, je ne puis non plus fournir la troisième et la quatrième pièces qui ont été réclamées par l'honorable M. Osy.

Si l'honorable membre avait lu l'arrêté royal et le rapport au Roi qui précède l'arrêté, il aurait vu quel que soit le système qui sera adopté par la chambre, la prison, telle qu'elle sera construite à Louvain, pourra servir à sa destination.

M. Osy. - M. le ministre de la justice pense que je n'ai pas lu l'arrêté royal du 25 août 1846 ; c'est précisément parce que je l'ai lu que j'ai demandé communication du plan ; je crois que nous ne pouvons pas discuter cette dépense avant de connaître le devis et le plan. Aujourd'hui on nous demande un crédit global de 200,000 fr. pour les prisons de Liège, de Verviers et de Louvain ; nous avons déjà voté beaucoup d'argent les années précédentes, et, si je suis bien informé, on n'a encore rien fait à Verviers pour la prison. Nous suivons une marche irrégulière, on nous demande tous les ans des sommes très considérables pour les constructions, et nous ne savons jamais où ces dépenses nous mèneront ; ainsi, pour cette nouvelle prison de Louvain, nous ignorons ce qu'elle coûtera. Nous ne pourrons nous occuper de cette affaire, qu'après que nous aurons reçu communication du devis et du plan.

M. de Bonne. - Messieurs, à la session dernière, j'ai appelé l'attention de la chambre sui la position d'une classe de nos concitoyens, digne de tout notre intérêt (les curés succursalistes) : j'ai demandé des explications à M. le ministre de la justice sur l'exercice des droits de l'Etat ; mais, je le dis à regret, M. le ministre a répondu par des sophismes et des phrases à des raisons et à des textes, c'est-à-dire n'a rien répondu du tout.

D'autres ont voulu jeter du ridicule sur mes paroles en m'attribuant la prétention de venir faire ici de la théologie. Ces honorables collègues savaient fort bien eux-mêmes à quoi s'en tenir sur la valeur de leur allégation. C'était tout simplement un stratagème parlementaire pour faire rejeter ou du moins éloigner l'examen de la question.

Malheureusement ce stratagème n'a pas même le mérite de la nouveauté ; il y a plus de trente ans que Jérémie Bentham a enseigné l'art du sophisme dans sa Tactique des assemblées législatives. Je n'ai qu'un reproche à faire à mes adversaires, c'est de n'avoir pas cité leur auteur.

Non, messieurs, non et quoi qu'on ait dit, il ne s'agit pas ici de théologie. Signaler un oubli inconcevable des lois qui nous gouvernent, une violation flagrante de notre Constitution, un odieux despotisme exercé contre une classe nombreuse et importante de citoyens, contre celle qui influe le plus activement sur l'esprit des habitants de nos campagnes, (page 458) demander hautement et obstinément la réforme d'une pareille monstruosité dans un Etat constitutionnel, encore une fois ce n est pas de la théologie, c'est l'exercice d'un droit sacré, c'est l'accomplissement d'un devoir impérieux ; et ce devoir je le remplirai jusqu'au bout, en dépit des sophismes et des railleries ; c'est en un mot pour moi, un « delenda Carthago ». et malheureusement ce n'est pas la seule Carthage que l'incurie ou la coupable connivence du ministère laisse debout au milieu de nous !

Au reste, je ne viens pas reproduire mes observations de l'année derrière ; ne craignez rien, la matière n'est pas épuisée et voici du nouveau sur le même sujet.

J'avais demandé à M. le ministre de la justice, des explications sur la lettre pastorale d'un évêque au clergé de son diocèse relative à l'article 31 de la loi organique et sur le mode d'exécution que lui, ministre de la justice, donnait aux révocations des desservants par les évêques.

M. le ministre a répondu que « l'évêque avait pu interroger le Saint-Père sur l'existence de la loi organique ; que celui-ci lui avait répondu que cette loi devait encore être observée, qu'elle était conforme aux lois-canoniques, etc. ; que lui ministre rayait de ses registres un curé-desservant lorsqu'il était révoqué et remplacé par un nouveau curé-desservant ; qu'il croyait les tribunaux incompétents pour connaître des actions des desservants ; enfin il a terminé par nous dire que l'appréciation du mérite de l'acte qui nomme ou révoque un ministre des cultes n'est de la compétence ni de la chambre, ni du gouvernement, ni des tribunaux. » (Voir les Annales, séance du 12 février 1846.)

Eh bien, moi, messieurs, loin de partager l'opinion de M. le ministre je crois que l'appréciation de l'acte de l’évêque est de la compétence du gouvernement, des tribunaux, et médiatement des chambres : du gouvernement, parce qu'un tel acte peut être contraire aux droits de l'Etat ; des tribunaux, parce que, contraire à la constitution, il l'est encore aux principes et aux dispositions de la loi organique, et qu'il donne lieu à l’appel comme d'abus ; des chambres parce que tout en ne pouvant s'occuper de l'acte de l'évêque, s'il arrivait que le ministre abusant de son pouvoir et ne respectant pas les garanties assurées à tous les citoyens, en ordonnât l'exécution, il y aurait lieu de le renvoyer devant la cour de cassation en vertu de l'article 134 de la Constitution.

J'avais espère que, depuis la dernière session, M. le ministre aurait étudié la question, qu'il aurait reconnu son erreur, et serait revenu à des idées plus sages, plus constitutionnelles ; mais le procès du curé de Xhavée existant devant les tribunaux m'a convaincu qu'il persévère dans ses erreurs. C'est donc à nous à prendre en main la cause de la vérité qu'il ignore ou qu'il abandonne.

Avant de revenir sur les principes qui feront voir le vice des règles suivies par M. le ministre, qu'il me soit permis de rappeler succinctement les faits ; ils peuvent ne pas être présents à la mémoire de tout le monde.

Il y a environ 3,000 curés-succursalistes en Belgique : ils sont nommés et institués par les évêques. Ceux-ci en informent le gouvernement qui les inscrit sur ses registres, et leur paye le traitement fixé par la loi.

Mais parce que l'évêque seul a nommé le curé-desservant, il s'imagine avoir le droit de le révoquer, de le destituer, suivant son bon plaisir, sans daigner même exprimer les motifs de la révocation. C'est contre cet abus que nous nous élevons.

Le premier point à examiner, c'est le droit de l'Etat qu'on semble contester.

Pour former ces corps politiques que nous appelons Etats, il a fallu que chaque membre fût soumis a la domination d'un pouvoir unique et que la volonté d'un seul être physique ou moral, individuel ou complexe, fût la règle universelle de tous les citoyens.

La souveraineté est une de sa nature ; il est impossible de concevoir un Etat qui admettrait plusieurs souverainetés, indépendantes l'une de l'autre sous tous les rapports. Cet Etat ne serait plus un Etat, mais plusieurs Etats. Ce serait l'anarchie constituée.

La religion, quelle qu'elle soit, dès qu'elle sort du domaine de la conscience, dès qu'elle se manifeste au-dehors par des actes ou des intérêts matériels, rentre dans ce principe.

.Les affaires religieuses, a dit M. Portalis, ont toujours été rangées, par les différents codes des nations, dans les matières qui appartiennent à la haute police de l'Etat.

Un Etat n'a qu'une autorité précaire, quand il a dans son territoire des hommes qui exercent une grande influence sur les esprits et les consciences, sans que ces hommes lui appartiennent au moins sous quelques rapports.

.Les ministres des cultes, sujets de l'Etat, sont comme tous les autres citoyens soumis à toutes les lois qui le régissent. Ils ne sont indépendants que dans l’exercice du pouvoir spirituel, c'est-à-dire de celui qui a pour objet le salut des âmes, et qui se fait obéir par la crainte des peines spirituelles.

Voilà la distinction essentielle, capitale et sur laquelle on ne peut trop insister. Tant qu'il s'agit de doctrines, de récompenses, de peines spirituelles, l'Eglise a un pouvoir incontrôlable ; mais une fois que le moindre élément matériel, existence physique, peine corporelle, argent, subsides, impôts, acte public peuvent intervenir, l'Etat rentre dans tous ses droits et obéissance lui est due.

C'est en ce sens que la sainte Ecriture enseigne que les souverains (les gouvernements) sont établis par Dieu ; qu'on doit leur obéir, et que ceux qui leur résistent s’attirent la damnation ; « ipsi sibi damnationem acquirunt », dit saint Paul, Epitre aux Romains, ch. 13.

En autorisant l'exercice de tous les cultes, la Constitution a voulu que l'Etat fût obligé à en protéger l'organisation, la discipline et les ministres.

Mais comment voulez-vous que l'Etat remplisse l'immense devoir qui lui est imposé par ce mot de « protection », s'il n'a aucun moyen de s'assurer si les ministres du culte exercent leurs fonctions conformément : 1° aux lois de l'Etat ; 2° aux lois ou canons de leur propre Eglise.

Pour démontrer la sagesse de ce principe, je suppose que le nouvel apôtre Ronge ou Czerki fasse de nombreux prosélytes en Belgique, et que ceux-ci viennent demander des subsides pour leurs ministres - car le subside est, sous bien des rapports, la protection la plus efficace, - le gouvernement, avant d'accorder aucune allocation, n'aura-t-il pas le droit d'examiner les statuts, les règles de cette nouvelle église ? Bien certainement il aura ce droit ; il y a plus, ce serait un devoir pour lui et même pour nous ; car si des principes contraires à nos libertés, contraires aux droits de l'Etat s'y trouvaient établis, il devrait refuser de reconnaître ce culte.

Or, si le gouvernement, dans cette hypothèse, a le droit d'examen, par une conséquence nécessaire il a le droit de surveillance sur les cultes établis ; il a le droit de s'assurer que les cultes reconnus ne s'écartent ni des lois de l'Etat, ni de leurs propres principes et de leurs règles institutives.

Quant au culte catholique lui-même, le droit de surveillance et d'examen, celui d'intervention du pouvoir civil, résulte non seulement de ces principes éternels, mais positivement des articles 6, 7, 8, 16, 23, 24, etc. de la loi organique. La Constitution n'a pas affranchi le clergé de ses devoirs envers l'Etat. L'article 16 déclare uniquement que « l'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres du culte ».

Cet article a eu pour but d'abroger les articles 4 et 10 du Concordat qui reconnaissaient le droit de nomination des ministres du culte par le chef de l'Etat.

Mais de ce que celui-ci ne les nomme plus, en résulte-t-il que le gouvernement doit accepter, les yeux fermés, toutes les nominations ? Cette conséquence serait absurde.

Je suppose que le Saint-Père élève un étranger à l'épiscopat belge, qu'il veuille donner pour successeur à M. l'évêque de Liège un autre Hollandais ?

Devra-t-on l'admettre ?

Je suppose ensuite qu'il plaise à Sa Sainteté de faire six cardinaux de nos évêques ; allouerez-vous 180,000 fr. par an pour Leurs Eminences ? Non certainement. Or, si vous avez le droit de refuser ou d'accorder, vous avez donc le droit d'examen et de vérification.

Rien ici n'est en opposition à la Constitution. Le droit d'examen et de surveillance de l'Etat me semble suffisamment établi.

Je passe maintenant à la justification de mon assertion, qu'il y a violation des garanties données par la Constitution à l'égard des curés-succursalistes.

En devenant prêtre, un citoyen ne perd pas sa qualité ; un curé, succursaliste ou non, conserve tous ses droits civils et politiques ; il peut être électeur, éligible, devenir membre de cette chambre, du sénat, même ministre, car aucune loi ne s'y oppose, et nous avons des membres du clergé pour collègues.

Loin d'avoir moins de droits que les autres citoyens, le citoyen qui se fait prêtre acquiert des avantages, des privilèges que n'ont point les autres.

Les prêtres sont exempts du service militaire, de celui de la garde civique, ne sont pas soumis aux devoirs du jury, etc.

Si en devenant curé-succursaliste un citoyen n'a point perdu la nationalité, il s'ensuit nécessairement que les garanties données par la Constitution à tous les Belges lui sont conservées.

Parmi ces garanties se trouve celle de ne pouvoir être distrait contre son gré du juge que la loi assigne (article 8 de la Constitution.)

Quel est ce juge ? Ben certainement il ne peut être ici question que du juge civil.

Les ecclésiastiques ont encore d'autres juges, dira-t-on. Oui, mais, je viens de le prouver péremptoirement, ils ne peuvent prononcer de jugement qu'en matière spirituelle Et, comme vous le savez, ce jugement ne peut avoir aucune exécution, aucun effet civil, sans l'autorisation du pouvoir temporel.

Or, la privation d'un traitement payé, non point par l'Eglise, mais par l'Etat, est bien certainement un effet civil, une peine matérielle.

Les articles 14 et 16 de la Constitution, en établissant la libellé des cultes et la non-intervention du gouvernement dans la nomination et l'installation de leurs ministres, ne peuvent avoir pour effet de laisser tous les cultes sans règles et sans lois fixes.

Les législateurs de 1831 n'ont pas eu, n'ont pu avoir l'intention de constituer l'arbitraire, la licence, de laisser à perpétuité aux évêques le pouvoir de faire des lois pour l'Eglise de Belgique ; ils n'ont pu admettre que 3,000 de leurs concitoyens resteraient des parias, des ilotes, inévitablement soumis, même sous les rapports temporels, aux lois de l'arbitraire et du bon plaisir de six autres de leurs concitoyens.

En ne s'expliquant pas plus qu'ils ne l’ont fait dans l'article 16, en parlant du culte ou des cultes en général, ils ont renvoyé aux lois institutives et réglementaires de chaque culte.

Dans le concordat même, il n'est pas dit un mot des lois du culte qui régleront son exercice, il y est uniquement dit que la religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée en France dont alors (page 459) la Belgique faisait partie. (Article premier du concordat). Les principes et les règles de la religion étant invariables, il était donc inutile de les rappeler. Aussi M. Portalis, dans son discours sur l'organisation des cultes du 18 germinal an X, a-t-il dit : La religion en soi, qui a son asile dans la conscience, n'est pas du domaine direct de la loi, c'est une affaire de croyance et non de volonté. Quand une religion est admise, on admet, par raison de conséquence les principes et les règles d'après lesquels elle se gouverne. Ce qui explique pourquoi dans le concordat il n'a pas été dit un seul mot sur les principes de la religion catholique, dont il avait pour objet de rétablir le culte public, et ce qui explique aussi pourquoi, en traitant la question qui nous occupe, j'ai pu dire qu'il ne s'agissait pas de théologie.

Dans la loi organique, le gouvernement français n'a pas eu davantage l'intention de changer la discipline de l'Eglise, et le même auteur (M. Portalis) nous l'apprend dans le rapport qu'il fit sur cette loi. « Tous les pasteurs, dit-il, exerceront leurs fonctions conformément aux lois de l'Etat et aux canons de l’Eglise.

« Ceux d'entre eux qui occupent le premier rang n'oublieront pas que toute domination leur est interdite sur les consciences et qu'ils doivent respecter dans leurs inférieurs la liberté chrétienne si fort recommandée par la loi évangélique, et qui ne comporte entre les différents ministres du culte qu'une autorité modérée et une obéissance raisonnable. »

De tout ce que nous venons de rappeler, il résulte que la Constitution belge, en reconnaissant la liberté des cultes, a entendu qu'ils fussent régis et exercés d'après les principes et les lois de leur institution.

Or, d'après les principes et les lois du culte catholique, le curé-succursaliste (desservant) ne peut être soumis à l'arbitraire de l'évêque qui l'a nommé et institué, et c'est cette proposition qui reste à démontrer.

D'abord les lois et les canons de l'Eglise le défendent. Je l'ai prouvé surabondamment l'année dernière ; je ne reviendrai donc pas sur ce point que, en dépit des réponses de M. le ministre, je regarde comme admis. Mais j'ajoute que l'évêque ne pourrait révoquer le curé, quand même sa nomination porterait la condition de révocation. L'évêque, en effet, ne peut, contrairement aux canons, établir une condition que ceux-ci défendent.

Si l'évêque pouvait insérer dans la nomination une condition d'amovibilité de son inférieur, il se constituerait législateur, réformateur, et par un raisonnement « a pari », l'amovibilité de l'évêque pourrait également être inscrite dans sa bulle d'institution, et alors, adieu les lois de l'Eglise, elles n'ont plus de fixité, et l'arbitraire remplace la légalité !

Mais, disent ceux qui sont forcés de convenir du premier point, si l'amovibilité n'existe pas dans la loi canonique, elle a été introduite depuis dans Sa loi organique !

Non, messieurs, c'est une erreur, une prétention exorbitante avancée pour justifier un abus scandaleux.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire l'année dernière, l'article 31 ne concerne que les vicaires et les desservants nommés par les curés et approuvés par l'évêque : leurs fonctions ne sont que provisoires et par là même elles ne pouvaient être inamovibles, il y aurait contradiction dans les termes. Pour le devenir, ils doivent avoir charge d'âmes et bénéfice, et dans ce cas ce n'est pas le curé qui les nomme, mais l’évêque.

Pour se convaincre que l'article 31 de la loi organique ne peut être appliqué aux desservants des succursales, il suffit de lire attentivement son texte ; il est ainsi conçu :

« Les vicaires et desservants exercent leur ministère sous la surveillance et direction des curés.

« Ils seront approuvés par l'évêque et révocables par lui. »

Les desservants dont il s'agit ici sont donc ceux qui n'ont qu'un service provisoire, comme celui de l'annexe d'une chapelle dépendant d'une cure, c'est pourquoi le législateur a voulu qu'ils fussent sous la surveillance et la direction du titulaire, le curé.

L'alinéa suivant de cet article porte qu'ils seront approuvés par l'évêque et révocables par lui.

Deux choses sont à remarquer.

La première, le mot « approuvés » qui nous apprend que la nomination appartient aux curés. C’est conforme au droit canonique.

La deuxième, le mot « révocables », duquel il résulte que ces mêmes vicaires et desservants, nommés par les curés, sont cependant révocables par l’évêque, quoiqu'il les ait approuvés. On a voulu que, même contre la volonté du curé, ces prêtres pussent en tout temps être révoqués par l'évêque.

Cela ne forme qu'un seul et même article, et la disposition révocatoire ne peut s'entendre qu'à l'égard des personnes désignées dans ce même article.

Si le législateur eût voulu soumettre tous les desservants des succursales à la révocation de l'évêque, il eût fait un article séparé et distinct, qui eût alors compris un droit général de révocation.

Mais au contraire, il fait de ce droit la disposition secondaire d'un article qui spécifie une classe de desservants que l'évêque ne nomme pas, mais qu'il doit approuver et que cependant il peut révoquer.

Y avait-il rien de plus simple que d'ajouter deux mots à l'article 63, si l'on avait entendu soumettre à la révocation de l'évêque les desservants que lui seul nommait ? L'article 63, qui est si court et si clair, « les prêtres desservant les succursales, dit-il, sont nommés par les évêques » ; eût été augmenté de ces mêmes mots de l'article 31 « et révocables par lui ».

Le contraire ne devait pas être dit ; car l'irrévocabilité résulte de la nature des fonctions.

Je ne rappellerai pas les autres règles de doctrine suivies en matière d'interprétation, cela nous mènerait trop loin.

Je me bornerai à cet axiome vulgaire qu'en cas de doute, s'il pouvait en exister, « odiosa sunt restringenda », les dispositions odieuses doivent être restreintes.

C'est donc par une interprétation forcée, contraire à toutes les règles à tous les principes, que cette révocation est exercée.

N'est-on pas encore convaincu ? Qu'on lise le rapport de M. Portalis, auteur de la loi organique. Partout il manifeste de son respect pour les lois canoniques. Ce rapport du 5 complémentaire an XI a eu pour objet de répondre aux observations du Saint-Père insérées dans une protestation qu'il avait faite contre quelques dispositions des articles organiques. Que dit M. Portalis ? le voici :

« Les articles organiques de la convention passée entre le gouvernement et le pape Pie VII n'introduisent point un droit nouveau, ils ne sont qu'une nouvelle sanction des antiques maximes de l'Eglise gallicane.

« Des hommes peu éclairés, ajoute-t-il, ont cru voir dans ces articles des changements arbitraires et des atteintes portées à la discipline. Si ces hommes sont de bonne foi, il suffira de les instruire pour les détromper. »

Aussi lorsqu'il établit, un peu après, les principes généraux de la loi organique nous rappelle-t-il « que les fondements sur lesquels reposent les articles organiques sont l'indépendance des gouvernements dans le temporel, la limitation de l'autorité ecclésiastique aux choses purement spirituelles, la supériorité des conciles généraux sur le Pape, et l'obligation commune au Pape et à tous les autres pasteurs de n'exercer leur autorité ou leur ministère que d'une manière conforme aux canons reçus dans l'Eglise et consacrés par le respect du monde chrétien. »

Est-il possible de supposer que M. Portalis ait voulu changer la discipline dans un point aussi important ?

Peut-on supposer que Napoléon ait accordé aux évêques un pouvoir aussi arbitraire ? qu'il ait jamais pu consentir à laisser à ses évêques une omnipotence aussi dangereuse pour la tranquillité de l'Etat ?

Cette opinion n'entrera jamais dans l'esprit d'un homme réfléchi, d'un homme qui a la plus légère connaissance de l'administration publique.

Une des causes principales de l'erreur assez commune qui suppose aux évêques le droit de révocation qu'ils prétendant avoir, c'est que la nomination leur appartient. Celui qui nomme peut révoquer, dit-on ; mais c'est là un sophisme, une violation de la loi canonique et de la loi organique.

Un exemple va le prouver.

Le Roi nomme un officier dans l’armée, soit capitaine, soit colonel, etc.,. le peut-il destituer ? Non, c'est à la haute cour militaire à le juger et à le condamner s'il y a lieu.

Prenons un exemple dans le droit canonique. Ceux qui ont le droit de patronage en matière bénéficiale peuvent-ils révoquer le titulaire une fois nommé ? Le droit canonique est très explicite et nous répond par la négative.

Je soutiens que la révocation d'un desservant par son évêque doit être soumise à la justice civile avant de recevoir une exécution quelconque, et ici je ne fais que rappeler un principe presque aussi ancien que l'Eglise.

Je sais bien que M. le ministre de la justice ne partage pas ma manière de penser, et il nous a déclaré l'année dernière qu'une décision de l'autorité civile réformatrice de celle de l'épiscopat ne serait pas respectée par lui.

Mais peut-être reviendrait-il à une opinion plus sage, et examinera-t-il la question de plus près, lorsque j'aurai rappelé l'exemple d'un roi que l'Eglise a canonisé et dont il ne pourra contester ni la foi ni la piété. C'est de saint Louis que je veux parler.

Voici ce qu'il répondit à l'évêque d'Auxerre qui était venu, au nom de tous les prélats du royaume, lui faire de grandes doléances sur l'impiété du temps. L'évêque se plaignait de ce que l'excommunication ne fit plus aucun effet et il suppliait le Roi de venir en aide à l'Eglise, de contraindre les excommuniés, à se réconcilier avec elle sous peine de perdre tous leurs biens. Le Roi dit qu'il le ferait volontiers si on voulait l'instruire des motifs de l’excommunication, et lui prouver qu'elle avait été justement appliquée. L'évêque répondit (comme a fait M. le ministre) qu'il n’appartenait point au Roi de connaître les motifs d'un jugement ecclésiastique.

Alors Louis IX déclara « qu'il n'interviendrait point, car, ajouta-t-il, ce serait contre Dieu et contre raison, si je contraignais la gent à eux absoudre, quand les clercs leur feraient tort. » C’est-à-dire, à se soumettre au clergé qui leur nuirait. Voilà ce que nous rapporte Joinvilie dans son Histoire du saint Louis (p. 185, collection de mémoires de Petitot, vol. Il.)

Et voici ce qu'ajoute l'écrivain qui cite cet exemple : « La France, dit-il, n'a point dérogé, sous le plus chrétien de ses rois, au principe ancien qu'une peine spirituelle ne peut entraîner d'effets civils qu'avec le consentement du pouvoir séculier. » (V. Filon, Du pouvoir spirituel dans ses rapports avec l'Etat, p. 23.)

Ces mêmes principes étaient en vigueur en Belgique depuis des siècles ; et pour mettre un terme à mes citations je renverrai à un tout petit livre intitule « Notice sur les libertés de l'église en Belgique », Bruxelles, 1816 ; par M. Wyns de Raucourt, ancien conseiller du Conseil de Brabant. (page 460) Il contient bien des enseignements utiles en peu de pages. (V. Anselme, Codex Belgicus, V. Jurisdictie van de Werelt, etc., n° 18 et 19, etc.)

Je ne pense pas que sous l'administration de M. de Portalis, ministre des cultes, on puisse citer un seul exemple de la destitution pure et simple d'un curé-succursaliste.

J'ai consulté presque tous les ouvrages sur cette matière, et aucun ne rapporte une destitution semblable ; je n'en ai même pas trouvé avec la sanction ou approbation du gouvernement.

Ce n'a été que sous la restauration qu'a commencé la jurisprudence de ces sortes de destitutions, et l'on sait qu'alors les droits politiques et civils n'étaient guère respectés, quelles que fussent les garanties inscrites dans la Charte. Aussi les événements de 1830 n'ont-ils été que la conséquence du mépris et de la violation des libertés publiques.

Ce que je viens de dire a eu pour objet de rappeler le principe ancien. Maintenant il s'agit d'examiner si la loi organique, qui sert de règle à M. le ministre, a détruit, aboli ce principe.

L'article 6 de cette loi établit le droit d'appel comme d'abus contre la décision des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques : c'est la répétition des articles 79, 80 et 81 des libertés gallicanes.

L'article 15 soumet les décisions des évêques à l'examen des métropolitains. Ce n'est qu'après cet examen, que l’appel comme d'abus peut, je pense, être interjeté par l'ecclésiastique qui veut se plaindre.

Mais je dois surtout appeler l'attention de la chambre sur la disposition de l'article 8 qui dit : « Le recours comptera à toute personne intéressée. A défaut de plainte particulière il (l'appel comme d'abus) sera exercé d’office par les préfets (aujourd'hui les gouverneurs). »

Le législateur n'a pas dit « pourra » ; sa disposition est impérative, « sera exercé », dit-il ; donc ce n'est pas du ministre que dépend l'action d'appel comme d'abus. Aucune autorité ne peut l'arrêter, elle doit être mise en œuvre, la loi le veut.

Il semble que la Providence a guidé l'esprit du législateur et qu'elle ait voulu venir au secours du faible, et le garantir de l'arbitraire des forts.

Un autre motif de cette disposition, c'est que le législateur n'a pas voulu qu'une décision de l'autorité spirituelle, que l'Etat ne reconnaît pas comme une autorité, pût jamais recevoir une exécution quelconque si ce n'est volontaire, qu'avec l'autorisation de l'autorité temporelle et après vérification.

Les articles 6, 8 et 15 établissent des droits qui ne sont en aucune manière en opposition avec notre Constitution. La seule disposition contraire se trouvait dans l'article 6 qui soumettait les appels comme d'abus au conseil d'Etat. Mais cette juridiction a été remplacée par celle des cours d'sppel auxquelles le décret du 25 mars 1813 a renvoyé ces affaires.

On comprend qu'aussi longtemps que le supérieur ecclésiastique ne prononce que des peines spirituelles, qui n'ont aucune conséquence civile, l'autorité civile n'a pas à s'en occuper. Mais si la décision touche à des intérêts civils, alors celle-ci peut et doit en connaître, et ce sont les gouverneurs de province à qui ce soin est confié.

Ce que je viens de vous dire renverse un peu les prétentions de M. le ministre, qui soutient que ni le gouvernement, ni la chambre, ni les tribunaux ne sont compétents pour connaître des plaintes faites contre la décision des évêques.

Que le gouvernement s'obstine à maintenir son incompétence, la chose est probable tant que l'honorable M. d'Anethan tiendra le portefeuille de la justice. Mais j'espère que la chambre concevra mieux le sentiment de ses devoirs. Et quant aux tribunaux, M. le procureur général de la cour de Bruxelles a déjà estimé qu'ils sont compétents.

Cette question en effet s'agite en ce moment devant un de nos tribunaux : malheureusement quelques ecclésiastiques ont pris, ce me semble une voie fausse ; ils ont pensé que la juridiction ordinaire devait prononcer, tandis qu'il y a une juridiction exceptionnelle.

L'article 6 de la loi organique a été changé par le décret du 25 mars 1813, et l’article 5 de ce décret a renvoyé aux cours d'appel la connaissance des appels comme d'abus et de toutes les affaires qui résulteraient de la non-exécution des lois des concordats.

C'est donc devant ces cours qu'il faut porter les demandes en réformation des décisions des évêques.

Le démontrer est chose facile, mais j'abuserais de la patience de la chambre et je ne pourrais que répéter ce qu'a dit un grand magistrat dont l'opinion fait autorité et dont je m'honore d'avoir été l'ami pendant les vingt dernières années de sa vie. Qu'il me soit permis de dire que c’est à ma demande que M. Merlin a traité telle question de compétence. Je renvoie donc à ses « Question de droit. V. Abus. »

Messieurs, un abus en entraîne un autre. M. le ministre, sous le prétexte de ne pas intervenir dans les questions religieuses, refuse de s'occuper de la destitution des curés-succursalistes, en dépit des devoirs qui lui sont rigoureusement imposés. Eh bien ! si le Saint-Père destituait un évêque de son siège, le gouvernement exécuterait-il cet acte en ce qui le concerne ? C'est-à-dire refuserait-il le payement de l'allocation faite au budget ? Ne serait-il pas permis à cet évêque d'invoquer le bénéfice de l'article 6 de la loi organique (et du 25 mars 1815) pour faire prononcer la nullité de cet acte ?

Je pourrais multiplier les exemples, et citer des hypothèses beaucoup plus graves encore ; mais ce que j'ai dit suffira, je l'espère, pour vous prouver que, si le gouvernement persiste à marcher dans la mauvaise voie où il est entré, son silence, son inaction est une aliénation de ses droits, et qu'au moment où il devra les invoquer et les faire valoir on les lui contestera.

C'est un danger qu'il faut prévenir. La question que j'agite préoccupe la Belgique et la France : elle compromet non pas la religion mais l’épiscopat. Le bon droit, la saine raison, les principes et les lois sont pour nous : si l'on tarde davantage à reconnaître la légalité de nos réclamations, l'opinion publique en fera justice.

Je demande que, puisque la loi organique est encore en vigueur, le gouvernement l'exécute et la fasse observer ; qu'en cas de décision d’un évêque qui pût avoir un effet civil quelconque, il soit ordonné aux gouverneurs de province d'interjeter appel comme d'abus, conformément à l'article 8 de la même loi ;

Que le gouvernement n'abandonne pas le droit de surveillance et d'examen qui lui appartient comme Etat et qui résulte de son obligation de protéger tous les cultes et les citoyens qui les professent, ainsi que de l'article 1 du concordat ; qu'il exige l'envoi régulier du nom des personnel qui étudient dans les séminaires et se destinent à l'état ecclésiastique, conformément à l'article 25 de la même loi organique, etc., etc.

Remarquez, s'il vous plaît, messieurs, ces derniers mots et voici pourquoi :

Je dois faire observer ici que le privilège d'exemption du service militaire n'est accordé qu'aux ministres du culte des différentes religions (article 91 de la loi de 1817 sur la milice), et que l'article 25 de la loi organique ne parle que de l'état ecclésiastique.

L'état ecclésiastique est particulièrement celui qui concerne l'Eglise, l'administration des sacrements, en un mot le clergé séculier.

En s'exprimant ainsi, le législateur n'a pas entendu y comprendre l'état religieux, qui est tout autre chose.

Il en résulte que les jeunes gens qui entrent ou sont admis dans un ordre religieux, une association, ne sont pas libérés du service de la milice.

L'article 25 de la loi organique et l'article 91 de la loi de 1817 sur la milice ne leur sont ainsi pas applicables. L'article 91 litt. d n'exempte que les ministres des différentes religions.

Encore une fois, messieurs, ne croyez pas que la question que j'agite soit de peu d'importance. Je suis profondément affligé, tous les bons citoyens le sont comme moi, de voir notre pays, où l'immense majorité professe le culte catholique, divisé, depuis seize ans, en deux partis dont l'un s'arroge exclusivement le nom de catholique, comme si c'était une propriété acquise, et qui, à l'aide de ce titre, se croit le pouvoir d'interpréter à son gré les matières du culte et de la discipline ecclésiastique.

Je suis intimement convaincu que cet état de choses se modifierai' bientôt si l'on arrachait à l'omnipotence usurpatrice des évêques ce que l'on ose nommer le bas clergé.

Le bas clergé ! dénomination impropre, inconvenante, odieuse, comme s'il pouvait y avoir de hautes et de basses classes parmi les ministres de celui qui, en établissant une hiérarchie pour mieux pourvoir au gouvernement de son Eglise, n'a cependant pas voulu déroger au principe fondamental de l'égalité devant son divin père, et devant lequel celles qu'on appelle les basses classes sont précisément les plus dignes et les plus méritantes, car ce sont les classes les plus laborieuses, celles qui supportent toutes les rigueurs de la vie, toutes les inconstances des saisons, en un mot, toutes les privations.

J'insiste sur cette question, parce que je suis convaincu que l'indigne abandon par le ministère et des droits de l'Etat et de ceux du clergé, peut avoir, dans des circonstances graves, les conséquences les plus déplorables et pour l'Eglise et pour l'Etat.

Mes appréhensions ne sont, il est vrai, pas bien grandes dans ce moment ; car d'un côté, j'ai lieu de me rassurer en portant mes regards vers le centre du catholicisme même, pour y admirer le digne et savant Pie IX, que la Providence vient de placer sur le siège immortel du prince des apôtres. Les actes de ce vertueux pontife excitent l'admiration universelle et rappellent à l'Europe étonnée ces siècles ou l'Eglise, dissipant les ténèbres amoncelées par la barbarie, préludait à tous les progrès dont une partie est déjà réalisée ; ils me font espérer que dans sa sollicitude paternelle il daignera prendre en considération la position exceptionnelle de ce que l'on se plaît à appeler notre bas clergé.

Mais d'un autre côté je dois aussi avouer mes inquiétudes et l'histoire est là pour les justifier. Qui pourrait nous donner l'assurance que le bonheur dont l'Eglise commence à jouir se prolongera indéfiniment ? Qui pourrait nous garantir la durée d'une vie si chère à tous les hommes de cœur et de progrès ? Et ne serait-on pas prêt à faire tous les sacrifices afin de la conserver le plus longtemps possible pour le plus grand bien de l'humanité ?

Quoi qu'il en soit, je crois devoir prévenir le gouvernement que si les abus qu'il tolère, dont il se rend même complice, ne sont pas réformés, il doit s'attendre à ce que les fidèles, prenant l'initiative qui leur appartient, portent leurs réclamations respectueuses aux pieds du Saint-Père, à ce qu'ils lui demandent à faire justice de la violation des lois de l'Eglise.

Cette démarche de la part des membres de la communion catholique ne pourrait porter aucune atteinte aux droits de l'Etat, il y serait tout à fait étranger, et ses prérogatives seraient sauves et entières.

Le succès ne serait pas douteux, les plaintes sont générales, elles seront écoulées, et le père des fidèles aura la gloire au XIXème siècle de ramener l'Eglise à cette indépendance primitive qui peut s'accorder avec la hiérarchie et qui, à l'origine du christianisme, contribua si puissamment à son développement et à son triomphe.

- La séance est levée à 4 heures et un quart.