(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 471) (Présidence de M. Raikem, premier vice-président)
Le nombre des spectateurs est toujours aussi considérable. Celui des dames qui occupent les tribunes réservées semble même s'être accru. (M. B., 8 juiIl.)
La séance est ouverte à midi et demi. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
M. Édouard Cervantes, à Bruges, demande des lettres de naturalisation. (M. B., 8 juill., et P. V.)
- Renvoi à la commission des naturalisations (P. V.)
La dame Amélie Herchuel demande la grâce de son mari.
Plusieurs habitants d'Alost et de Verviers protestent contre l'adoption des dix-huit articles de la conférence de Londres.
M. Diepenbeek demande la révision immédiate de la solde d'attente. (P. V.)
- Renvoi à la commission des pétitions. (P. V.)
M. le président – Messieurs, la commission chargée de la vérification des pouvoirs a reçu ce matin les pièces relatives à l'élection de M. Étienne de Sauvage ; mais cette élection ayant donné lieu à quelques réclamations par lesquelles on en demande la nullité, la commission a cru devoir, avant de vous présenter un rapport, demander quelques renseignements ultérieurs. (M. B., 8 juill.)
M. Pirson – M. le président, je suis membre de cette commission, je suis étonné qu'on ne m'ait pas averti. (M. B., 8 juill.)
M. le président – Dès que j'ai su que les pièces étaient arrivées, j'ai donné à un huissier la liste des membres de la commission avec ordre de les convoquer. L'huissier a exécuté mes ordres, et il est revenu en disant qu'il n'avait pas trouvé M. Pirson. (M. B., 8 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, il me semble que la commission n'a pas fait ce qu'elle devait faire. Elle aurait dû nous faire un rapport quelconque ; ce n'est pas elle qui peut être juge de l'insuffisance des pièces, car, sous ce prétexte, elle pourrait retarder indéfiniment le rapport. Je crois que quelque consciencieuse que soit la détermination prise par la commission, il ne lui est pas permis de fermer l'accès de cette enceinte à un homme envoyé ici par le peuple. Je demande donc que la commission fasse un rapport, et si elle croit qu'il y ait lieu à ajourner l'admission, qu'elle prenne des conclusions dans ce sens : l’assemblée jugera, car c'est à elle, à elle seule, et non à la commission, qu'il appartient de prononcer. (M. B., 8 juill.)
M. le président – La commission a examiné scrupuleusement toutes les pièces envoyées ; elle a été d'avis d'attendre d'autres renseignements ; (page 472) cependant si l'assemblée désire un rapport, un quart d'heure suffira (M. B., 8 juill.)
M. de Robaulx – Je demande la parole. Et moi aussi, messieurs, je suis jaloux que les envoyés du peuple soient le plus tôt possible admis dans cette enceinte. Mais je m'étonne, je l'avoue, de la grande précipitation qu'on veut imposer à la commission. Les pièces sont arrivées dans la matinée ; la commission déclare qu'elles n'ont pas suffi pour éclairer sa religion, et on veut la contraindre à faire un rapport incontinent ; il me semble que la commission est nommée pour préparer les décisions de l'assemblée, et qu'elle est le meilleur juge du moment où elle est en état de le faire. Le motif invoqué par M. Lebeau pour que M. de Sauvage soit admis sans délai n'est pas fondé. M. de Sauvage a accès dans cette enceinte, il peut y prendre la parole quand il veut ; il a même le droit comme ministre de scinder nos discussions, de parler en un mot quand bon lui semble, et sous ce rapport nous jouissons de toutes ses lumières. Pourquoi donc tient-on tant à un rapport ? Les pièces sont arrivées ce matin, des réclamations se sont élevées contre l'élection, elles ont fait assez d'impression sur l'assemblée pour qu'elle ait cru avoir besoin d'un délai : reposez-vous-en sur elle du soin d'apprécier les pièces, et donnez-lui un temps suffisant pour s'éclairer. (M. B., 8 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je dois relever quelques erreurs de fait et de droit échappées au préopinant. L'erreur de fait consiste à dire que le député élu à Liége a son entrée dans l'assemblée, et que comme ministre il a le droit de prendre part à nos délibérations. Le fait est inexact : si le ministre est introduit, les convenances lui interdisent de prendre la parole dans une question constituante ; et en supposant le contraire, que serait pour lui la faculté stérile de parler, s'il n'avait pas celle de voter ? Les électeurs de Liége n'ont pas élu un député seulement pour parler, mais aussi pour venir déposer dans l'urne un vote consciencieux. J'ajoute qu'en droit l'erreur n'est pas moins manifeste : tous les jours en France on fait des rapports sur les élections, et la commission conclut, quand c'est le cas, à l'ajournement. Voilà ce qui se passe en France, j'en appelle ici au souvenir de vous tous. L'ajournement doit donc être décidé par l'assemblée comme juge souverain. La commission fera un rapport, elle le doit ; mais la décision à porter ne peut pas s'arrêter dans son sein. J'insiste, messieurs, parce que dans les circonstances solennelles où nous nous trouvons, il est à désirer que l'assemblée soit aussi complète que possible, et que tous les représentants du peuple prennent part à nos délibérations : plusieurs fois j'ai vu des pièces arriver dans la matinée et les rapports être faits immédiatement. Si vous laissez la commission juge du moment où elle devra faire le rapport, elle pourrait l'ajourner tant qu'elle voudrait, et quinze jours, un mois peut-être s'écoulerait sans que le député fût admis... J'entends dire derrière moi : Ce ne serait pas un grand mal. (M. B., 8 juill.)
M. Camille de Smet, placé derrière l’orateur – Je demande la parole. (M. B., 8 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Ce ne serait pas un grand mal ! Je dis, moi, qu’il serait grand, le mal, parce qu'on ne fait pas de lois exceptionnelles pour un seul homme. Je vous adjure donc de décider si ce n'est pas le cas de prier la commission de nous faire son rapport sans délai. (M. B., 8 juill.)
M. de Robaulx – Ce n'est pas ici une question de système pour l'opposition. Nous savons tous cependant que M. de Sauvage appartient au ministère, qu'il pourra donner son avis, qu'il pourra même donner sa boule ; peu nous importe. Puisqu'il a été parlé d'erreur de fait, il en est une contre laquelle M. Lebeau ne pourra pas se regimber. Un membre de la commission vient de nous déclarer qu'il n'avait pas été convoqué. Je soutiens qu'une commission qui n'a pas été régulièrement convoquée ne peut pas prendre de décision.
Si je suis bien informé, quinze cents, peut-être deux mille électeurs se trouvent sur la liste électorale du district de Liége ; un peu plus de deux cents électeurs ont pris part au scrutin d'où est sortit le nom de M. de Sauvage. Ce n'est pas là un triomphe si grand qu'il faille l'annoncer avec tant d'empressement comme on l'a fait hier. Je conçois qu'il tarde au ministre d'en jouir ; je ne vois pas que ce soit une raison pour négliger de nous entourer de lumières et de renseignements. (E., 6 juill.)
M. Lardinois – J'étais à Liége lorsqu’à eu lieu l'élection de M. de Sauvage. Une protestation été faite par huissier par des électeurs, comme n'ayant pas été convoqués. Le procès-verbal de l'élection et les pièces à l'appui ont été renvoyés, par le commissaire de district avec la protestation. Ainsi la commission a toutes les pièces qu'il lui faut pour faire son rapport. Du reste, l'orateur pense que l'élection de M. de Sauvage n'est pas due à l'approbation du système du ministère, mais qu'elle est un hommage rendu à son caractère personnel. (M. B., 8 juill.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Je demande que la commission fasse son rapport (page 473) demain. Je n'ajouterai qu'un seul mot à ce que j'ai déjà dit. Si les électeurs de Liége n'avaient pas été convoqués à domicile, ce serait la faute du gouvernement de la province (Non ! non !) ou du commissaire de district ; mais dans aucun cas la faute n’en peut être attribuée au ministère. J'ajouterai que si les électeurs ne se sont pas rendus à l'élection, ce n'est pas la première fois que cela est arrivé. Dernièrement les électeurs avaient été convoqués pour nommer un remplaçant à M. Dewandre. Il s'éleva des doutes sur la certitude de sa démission, les électeurs furent obligés de se retirer. Ils ne sont pas venus à la dernière élection parce qu'ils ont été plusieurs fois obligés de se déranger, et qu'ils sont fatigués de ces convocations multipliées. Ce qui se passe à Liége s'est aussi passé ailleurs, c'est un effet de la fatigue des électeurs. On ne peut pas, du reste, en tirer la conséquence qu'en a tirée M. Lardinois ; car si les électeurs avaient désapprouvé la combinaison du ministère, soyez certains que les opposants ne seraient pas demeurés dans l'inaction ; ils auraient fait tous leurs efforts pour envoyer au congrès un député opposé au ministère. Si les électeurs sont restés chez eux, on n'en peut donc rien conclure en faveur de cette prétendue impopularité que l’on s’efforce de jeter sur le ministère. (M. B., 8 juill.)
M. Van Snick fait quelques observations pour appuyer M. Lebeau. - Des conversations particulières couvrent la voix de l'orateur. (E., 8 juill.)
M. le président – La question est de savoir s’il y aura un rapport aujourd'hui ou demain. (Demain ! demain !) En ce cas je prierai les membres de cette commission de se réunir demain au bureau, une heure avant l'ouverture de la séance.
M. le président lit la liste des membres de la commission. (M. B., 8 juill.)
M. Pirson – Nous nous sommes réunis dernièrement dans une section ; je ne sais pas où est le bureau. (Hilarité générale.) (M. B., 8 juill.)
- On indique le bureau à M. Pirson. (M. B., 8 juill.)
M. Claes (de Louvain), rapporteur de la commission des pétitions – Messieurs, vous avez renvoyé à la commission des pétitions toutes celles relatives aux préliminaires en discussion. Sept pièces de ce genre ont été adressées au congrès ; d’abord une pétition de vingt-six habitants de Charleroy, une de vingt-sept habitants de Binche, et une de soixante habitants de Gand ; en second lieu, trois pièces signées par deux cent cinquante-deux habitants de Liége, parmi lesquels un grand nombre d'officiers de la garde civique ; enfin une pièce signée par cent huit habitants de Louvain. La pétition des habitants de Binche et de Charleroy est courte. Les signataires se bornent à dire : « Considérant que les dix-huit articles proposés par la conférence préparent la honte de la Belgique, nous, patriotes belges, ne pouvons pas y consentir ; nous vous prions de rejeter lesdits articles. » La pétition des soixante habitants de Gand, parmi lesquels ont compte beaucoup d'officiers de la garde civique, est précédée à peu près des mêmes considérants ; les pétitionnaires ajoutent que leur opinion est que nous ne pouvons sortir de la crise que par la voie des armes, et ils prient le congrès de déclarer la guerre à la Hollande. Les trois pièces envoyées de Liége reproduisent à peu près la protestation signée par quarante membres de cette assemblée ; ils la font précéder de quelques considérants, par lesquels ils manifestent la crainte de voir le provisoire se perpétuer, et que l'acceptation des articles n'engage encore le congrès dans des négociations interminables.
La commission a pensé à l'unanimité que si le congrès devait s'occuper des pétitions qui lui sont adressées, elle n'a pas à s'occuper de protestations ; en conséquence, elle vous propose de déposer les trois premières pétitions au bureau des renseignements, et de passer à l'ordre du jour sur les trois pièces de Liége, ainsi que sur celle de Louvain, qui est rédigée dans des termes inconvenants qui ne me permettent pas d'en donner lecture. (M. B., 8 juill.)
M. Van Meenen – J'ai eu occasion de prendre connaissance au greffe de la pétition des cent huit habitants de Louvain ; elle est écrite en termes d'une nature telle que je crois devoir en demander le renvoi au ministère de la justice, pour voir s'il n'y a pas lieu à ordonner des poursuites. (M. B., 8 juill.)
M. d’Elhoungne – J'ai quelques observations à faire pour écarter la proposition de M. Van Meenen. Je ne sais pas jusqu'à quel point les termes d'une pétition peuvent devenir l'objet d'une instruction judiciaire. La commission a manifesté l'opinion que la pétition de Louvain était conçue en termes inconvenants ; elle s'est bornée à ces conclusions, elle qui a pris connaissance de la pièce ; nous ne pouvons pas être plus sévères, nous qui ne la connaissons pas. Nous devons d'autant moins craindre les termes plus on moins inconvenants dans lesquels une pétition est (page 474) rédigée, que nous avons la faculté de nous refuser à en entendre la lecture publique. L'opinion exprimée de cette manière ne pouvant présenter aucun danger, il n'y a pas lieu de rechercher quoi que ce soit à cause de ce fait. Je demande qu'il ne soit donné aucune suite à la proposition de M. Van Meenen. (E., 8 juill.)
M. de Robaulx – Messieurs, je tiens ici la pétition des habitants de Liége, où est reproduite la proposition signée par quarante membres de cette assemblée, protestation dont, au reste, je déclare que je suis l'auteur, et que je déposerai si la question préalable n'est pas adoptée. La commission propose de passer à l'ordre du jour sur cette pétition ; mais je demande si ce n'est pas abuser des mots que de dire que cette pétition est une protestation, et n'est-il pas bien singulier que, judaïsant sur les termes de la constitution, on demande que vous passiez à l'ordre du jour, parce qu'on proteste et qu'on ne demande pas ? Mais une protestation est certainement une demande, et, dans cette circonstance, par exemple, que vous demande-t-on ? Que vous rejetiez les articles. Cela résulte implicitement de la protestation qu'on ferait, si vous les adoptiez. Quant à la pétition de Louvain, on demande aussi l'ordre du jour parce qu'elle est conçue en termes offensants. Mais, messieurs, cette pétition exprime un vœu, et c'est assez pour que vous ne la rejetiez pas. Passez à l'ordre du jour, si vous voulez, sur les expressions offensantes, comme vous l'avez fait dans une autre circonstance et pour une pétition qui demandait que l'on mît M. Chazal en accusation, mais rejetez l'ordre du jour sur le fond de la pétition, et ordonnez, comme je le demande, son dépôt au bureau des renseignements. (M. B., 8 juill.)
M. Van Meenen, répondant à M. d'Elhoungne, soutient que le renvoi au ministre de la justice ne porterait aucune atteinte au droit de pétition, puisque la pièce adressée par les habitants de Louvain a tous les caractères d'une protestation, et non d'une pétition. Il ajoute d'ailleurs que le renvoi au ministre de la justice ne préjuge rien ; il persiste à le demander. (M. B., 8 juill.)
M. Nothomb – Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission. Deux genres de pièces ont été adressées au congrès ; les trois premières sont des pétitions par lesquelles des citoyens, s'adressant à l'assemblée, lui font la demande de rejeter les articles de la conférence. Mais deux autres pièces nous sont adressées, et ces pièces sont tout à fait en dehors du droit de pétition. Ce sont, en effet, des citoyens qui s'adressent à nous pour protester contre des décisions que nous sommes en droit de prendre dans le cercle de nos attributions. Je ne connais qu'une espèce de protestation contre les décisions du congrès, c'est celle que chaque député peut faire en votant contre la décision, et en faisant consigner son vote au procès-verbal. Mais hors de cette enceinte, un député n'est qu'un simple particulier qui n'a pas plus de droit qu'un autre citoyen de protester contre nos décisions souveraines. Ici, on a protesté contre votre décision future ; mais on est allé plus loin : on a dit par quels moyens on soutiendrait cette protestation. Voici, en effet, comment on s'exprime... (M. B., 8 juill.)
- Plusieurs voix – C'est inutile ! ce n'est pas la question. (M. B., 8 juill.)
M. Alexandre Gendebien – Il semble, en vérité, que le salut de l'État dépende de ce que vous allez décider sur ces pétitions. (Agitation, tumulte.) (M. B., 8 juill.)
M. de Robaulx – Parlez de la pétition. (M. B., 8 juill.)
M. Nothomb – On est allé plus loin, On a non seulement… (Violents murmures. Interruption.) J'ai la parole, je dois être entendu. (M. B., 8 juill.)
M. Forgeur et M. Destouvelles – Je demande la parole pour une motion d'ordre. (Le bruit redouble.) (M. B., 8 juill.)
M. Nothomb – Vous n'avez pas le droit de m'interrompre. (M. B., 8 juill.)
M. Van de Weyer – Toutes les fois qu'un orateur demande la parole pour une motion d'ordre, il a le droit d'être entendu. (M. B., 8 juill.)
M. Nothomb – Comment voulez-vous statuer sur la pétition sans en connaître le sens, au moins indirectement ? (M. B., 8 juill.)
M. Destouvelles – J'ai demandé la parole pour une motion d'ordre. (M. B., 8 juill.)
M. le président – Vous avez la parole pour la motion d'ordre seulement. (M. B., 8 juill.)
M. Destouvelles – Messieurs, vous avez entendu M. Claes vous faire un rapport sur les pétitions. Il a demandé que l'assemblée passât à l'ordre du jour sur quelques-unes d'entre elles, et c'est sur ces conclusions que vous devez statuer. M. Van Meenen a demandé le renvoi de la pétition des cent huit habitants de Louvain au ministre de la justice. (Réclamations nombreuses : A la question ! à la question !') (M. B., 8 juill.)
M. le président – Il me semble que lorsqu'on a la parole pour une motion d'ordre on ne doit pas discuter le fond, mais seulement s'attacher à prouver que l'ordre n'a pas été observé soit par l'orateur, soit par le bureau. (M. B., 8 juill.)
M. Destouvelles – (page 475) C'est là que j'allais en venir. On propose l'ordre du jour sur la pétition comme inconvenante, et l'honorable M. Nothomb veut en lire à l'assemblée précisément les passages inconvenants. C'est à quoi je m'oppose, et vous voyez que c'est bien une motion d'ordre et que je suis dans la question. Du reste, je ne crois pas nous devions renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice, et je me borne à demander l’ordre du jour. (M. B., 8 juill.)
M. Nothomb – M. Destouvelles était dans l’erreur s'il croyait que je venais appuyer la proposition de M. Van Meenen. Je n'appuie pas la proposition, parce que pour autoriser un tel renvoi il faudrait non seulement que les paroles fussent inconvenantes, mais encore qu'elles fussent criminelles. Or, voici comment s'exprime… (Violents murmures. Réclamations générales. (M. B., 8 juill.)
M. de Robaulx – Je demande la parole. (M. B., 8 juill.)
M. le président – Pour la motion d'ordre ? (M. B., 8 juill.)
M. de Robaulx – Oui, M. le président, et pour que la parole soit maintenue à M. Nothomb. Si M. Van Meenen ne renonce pas à sa proposition, on a bien le droit de la combattre. Pourquoi craint-on de laisser parler M. Nothomb ? N'êtes- vous pas certains qu'il parlera en termes convenables ? Il faut bien, si on veut demander le renvoi au ministre de la justice, connaître s'il y a dans la pétition de quoi autoriser ce renvoi ; on a beau dire que le renvoi ne préjuge rien : ce renvoi est déjà une prévention contre les pétitionnaires, et il ne faut pas prononcer aveuglément une mise en prévention. Je déclare que, si l'on persiste, je demanderai lecture de la pétition entière. (M. B., 8 juill.)
M. Van Meenen retire sa proposition. (E.,8 juill.)
- Des voix – La clôture ! la clôture ! (M. B., 8 juill.)
- La clôture est mise aux voix et prononcée. (M. B.,8 juill.)
M. le président – Je vais consulter l'assemblée sur les conclusions de la commission. (M. B., 8 juill.)
M. de Robaulx – Je demande l'appel nominal (Oh ! oh !) Nous sommes cinq qui demandons l’appel nominal. (M. B., 8 juill.)
M. le président – Je vais successivement poser à l'assemblée les questions d'après les conclusions de la commission, et vous verrez s'il est nécessaire de voter par appel nominal. (M. B., 8 juill.)
- Les conclusions de la commission sont successivement mises aux voix et adoptées ; l'assemblée décide : 1° que les pétitions des habitants de Charleroy, de Binche et de Gand seront déposées au bureau des renseignements ; 2° qu'il sera passé à l'ordre du jour sur les pétitions de Liége et de Louvain. (P. V.)
M. Forgeur demande qu'il soit fait mention au procès-verbal qu'il a voté contre l'ordre du jour sur les protestations des habitants de Liége. (P. V.)
L'ordre du jour est la continuation de la discussion sur les préliminaires de la conférence de Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx et sur les propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P. V.)
M. Alexandre Gendebien continuant le discours qu'il a commencé hier – Voici comment on répond à l'argument que nous tirons de l'illégalité dont seraient entachés nos actes ; illégalité résultant de la part qu'y auraient prise les députés du Limbourg. Si après une guerre malheureuse nous étions dans la nécessité d'abandonner une portion de territoire, nos actes en deviendraient-ils illégaux ?
Je regrette que M. l'avocat Lebeau soit tombé dans cette erreur. Tout ce qui se serait fait antérieurement à la cession serait sans nul doute légal. Mais ici, remarquez-le, il faut que nous déclarions n'avoir jamais possédé. L'adoption des dix-huit articles établit que la possession de Guillaume n'a même pas été interrompue : n'en résulte-t-il pas que les députés du Limbourg n'auraient jamais eu le droit de siéger parmi nous ?
J'ai entendu faire ce raisonnement : Les provinces méridionales et septentrionales ont formé, en 1815, les Pays-Bas ; si vous voulez la Belgique de 1815 (provinces méridionales), il faut aussi admettre la dette reconnue par ce traité. Je réponds par ce dilemme : La réunion nous a été avantageuse ou désavantageuse. Si elle nous a été avantageuse, comme nous perdons l'avantage de la réunion, nous ne devons plus en supporter les charges. Si au contraire, elle nous a été désavantageuse, il n'y a pas de raison pour nous continuer le fardeau. Mais ramenons la question à sa plus simple expression.
Nous avons été joints à la Hollande par la force ; nous nous sommes disjoints, et nous avons le droit de nous replacer dans la position où nous étions en 1815.
(page 476) On a dit : En voulant être libres, sachons aussi être justes. Eh bien, moi aussi je vous fais le reproche de ne savoir pas être justes. N'y aurait-il pas injustice, pour nous constituer dans un bien-être qui ne serait d'ailleurs qu'apparent, de ne le faire qu'aux dépens de nos frères ? Oui, soyons justes, mais soyons justes envers nos concitoyens, avant de l'être, ou plutôt sans cesser de l'être envers la Hollande.
M. de Gerlache nous a assuré que lui et ses collègues, à Londres, ont fait tous leurs efforts pour faire entendre par tout le monde les limites de la Belgique comme elle les comprend. Plus loin il a ajouté qu'il n'adopterait aucun amendement, parce qu'ils sont contraires aux dix-huit articles dont on exige l'acceptation entière, sans réserve. J'en tire la preuve que toute négociation ultérieure est inutile. Par cet espoir de négociation on veut cacher ce que notre décision aurait d'odieux. Si nos députés, aidés du prince Léopold, aidés bien plus encore par la position de l'Europe, qui fait une loi à la conférence d'arranger nos affaires sans guerre ; si nos députés, dis-je, n'ont rien pu obtenir, c'est folie que de penser pouvoir arriver plus tard à quelque chose. C'est un leurre, et ceux-là qui nous disent : « Acceptez et on traitera ensuite, » savent que nous ne traiterons jamais.
M. de Gerlache nous disait aussi qu'il fallait traiter notre séparation comme un divorce dont la règle était dans les traités de 1790 ; il faut en subir les conséquences. Mais pourquoi partir de ce traité plutôt que de tel autre ! Dans le principe, la conférence appuyait les protocoles sur les traités de 1814 et 1815 ; nous avons tout repoussé, et quand nous avons fait voir le parti que nous pouvions en tirer, la conférence, dans son omnipotence, a eu recours aux conventions de 1790. Nous, nous les repoussons.
N'aurions-nous pas été heureux, nous a fait observer un de nos adversaires, d'accepter en septembre ce qu'on nous offre aujourd'hui ? Oui, sans doute, car je me rappelle que le 10 septembre, nous étions dans cette position de nous trouver en insurrection et contre Guillaume et contre nos propres représentants. Oui, nous aurions accepté ; mais alors, ni Venloo, ni le Limbourg n'avaient fait leur révolution : en est-il de même aujourd'hui ? Et ici, répondant aux mêmes collègues qui nous promettent que les négociations nous donneront et le Limbourg et Maestricht, je leur demanderai de dégager leurs raisonnements des peut-être, et de nous fournir des preuves. Qu'ils se convainquent bien que quand nous aurons reconnu les articles, et que nous serons las de négociations inutiles, nous ne pourrons plus recourir à la guerre, parce qu'on nous opposera que le congrès, par l'acceptation des préliminaires, a renoncé à tous droits de propriété ; parce qu'alors on nous accusera de vouloir faire une guerre de conquête.
Je reconnais à M. Lebeau du talent oratoire, une diction sonore, un certain prestige de tribune ; mais lorsqu'on dégage ses paroles de tout ce vernis d'éloquence, il reste bien peu de chose. Il y a chez lui de l'esprit, beaucoup d'esprit, trop d'esprit ; mais voyons la réalité.
M. Lebeau a commencé par convenir qu'il y avait inconstitutionnalité dans l'acceptation des dix-huit articles ; et puis il a dit le contraire. Ce changement prouve qu'il a porté deux jugements. Auquel s'en tiendra-il ? Le premier était fondé sur notre constitution, sur le décret du 1er février et sur celui du 3 juin. J'aimerais à savoir sur quoi est fondé son second jugement. Nous l'avons bien entendu adjurer ses commissaires à Londres de déclarer qu'il ne leur avait pas donné d'instructions violatrices de la constitution ; mais il n'en a pas moins manifesté dans cette enceinte l'opinion qu'il fallait la violer ; et je m'en tiens à cette première opinion de M. Lebeau.
Un ministre a bien osé nous dire qu'on trompait la nation quand on lui disait que les préliminaires étaient la reproduction des protocoles. Ah ! ceux-là bien plutôt la trompent qui, contre toute évidence, affirment le contraire. Oui, les dix-huit articles sont la reproduction éventuelle des protocoles. Vous ne pouvez sortir de ce cercle : en les acceptant vous adoptez les protocoles ; si vous les rejetez, vous retombez encore dans les protocoles, à moins que vous ne vouliez, comme nous vous y engageons, persister dans les protestations.
M. Lebeau, au sujet de la rive gauche et de quelques autres points, nous a demandé à qui doit revenir une propriété usurpée, quand l'usurpateur s'en dessaisit. La réponse est facile : au propriétaire. Mais quand il y a eu transaction, traité entre le spolié et le spoliateur, dans ce cas ce n’est plus à titre d'usurpation que possède le nouveau propriétaire. Eh bien, la France avait conquis sur la Hollande. Si elle était restée en possession en vertu de la conquête, pas de doute que la France se retirant, les territoires revenaient à la Hollande : mais un traité est intervenu ; aussi voyez les conséquences : en 1814, les puissances ont conquis à leur profit ; et plus tard, par traité, la France a cédé aux puissances, qui ensuite ont fait cession à la Hollande. Je n'ai suivi cette idée que pour faire voir combien le raisonnement de M. Lebeau, sur ce point, pèche contre la logique.
(page 477) Dans un autre passage de ses nombreux raisonnements, M. Lebeau convient que nous serons obligés d'offrir l'indigénat aux habitants de Venloo et du Limbourg. Nouvelle preuve qu'il reconnaît que l'acceptation des dix-huit articles entraîne violation de la constitution ; car si, par les dix-huit articles, nous ne reconnaissions pas avoir jamais possédé, nous ne serions pas obligés d'offrir l’indigénat à nos concitoyens.
La Belgique ne veut pas être réunie à la France, et ici je dois m'expliquer une fois pour toutes, de manière à n'avoir plus à revenir sur ce point, dont on a fait tant de fois un texte d'accusation contre moi. Dans diverses réunions à Bruxelles, les 7, 13, 15 et 17 août, réunions dont faisaient partie plusieurs des membres ici présents, et qui avaient pour but d'examiner le parti à tirer de la révolution française pour secouer le joug, nous étions tous d'accord, un seul excepté, que le seul moyen était la réunion à la France. Nous avions alors à combattre l'administration et l'armée hollandaises ; nous connaissions le pacte de famille entre la Prusse et la Hollande ; il n'y avait pas alors déclaration de la France du principe de non-intervention. Nous considérions la réunion comme moyen, mais jamais comme but.
La révolution a éclaté plus tôt que nous ne l'avions pensé. Vers le 5 ou le 6 septembre nous avons eu connaissance de la résolution du cabinet français de s'opposer à toute intervention. Dès lors nous avons compris que nous pouvions marcher sans la France ; dès lors il n'a plus été question de réunion. Et aujourd'hui, qu'avons-nous à désirer, si nous mettons à part les intérêts matériels de quelques provinces ? qu’avons-nous à envier à la France sous le rapport des intérêts moraux et des institutions ? Quant à moi, qui n'ai pas d'intérêt matériel, quel peut être mon désir ? Je crois avoir répondu à ce reproche banal que l'opposition était guidée par le désir de la réunion.
M. Lebeau, dans son ardeur belliqueuse, au futur contingent bien entendu, a dit que si on nous refusait nos enclaves, nous ferions la guerre. Ainsi, nous ferons la guerre pour conquérir un territoire au sein de la Hollande, pour joindre à nous les Hollandais qui ne veulent pas de nous, et nous craignons de la faire pour conserver nos frères ! En vérité, ce n'est pas sérieusement que le ministre a parlé de guerre.
Nous sommes, a-t-on dit encore, dans une circonstance grave qui décide de la vie ou de la mort. Oui, la circonstance est grave ; c'est pour cela qu’elle réclame de l'énergie, au lieu du calme qui n’est souvent que de l'égoïsme, et dans cette circonstance grave on nous propose de perdre d'abord l'honneur pour ensuite faire la guerre sur l'exécution d'un traité ! Je le répète, ce langage n'est pas sérieux.
M. Lebeau a dit que le régent ne se retirerait pas. Je sais qu'on a cru devoir faire intervenir le chef de l'État pour donner un démenti à l'opposition. C'est peu parlementaire ; c'est compromettre le nom du régent. Si on croit nous imposer silence par ce nom, si on veut nous donner un avant-goût de ce qu'on fera quand Léopold sera sur le trône, on pourra compromettre le nom du chef de l'État, mais on n'arrivera pas à son but. Ce que je sais, ce que j'affirme, c'est que le régent a déclaré, en présence de quinze à vingt députés et de plusieurs étrangers, c'est qu'il a dit qu'il ne signerait jamais la reddition de Venloo.
Je soutiens que la résolution que vous allez prendre est nulle. Au souverain seul appartient de faire les traités sous la responsabilité des ministres. D'après notre constitution, il est certains traités qui ne peuvent avoir d'effet que par votre ratification, mais il faut toujours que le traité préexiste. Il faut un traité signé par le régent sur la présentation faite par les ministres. Eh bien, soumet-on un traité à votre ratification ? Non. Il est arrivé dix-huit articles que le ministère n'ose même pas prendre sous sa responsabilité. Or, dans une circonstance où il s'agit des décisions les plus graves, vous n'avez pas le droit de suivre une marche qui enlève à la nation la responsabilité qu'elle peut faire peser sur les ministres. Et vous-mêmes, comment oserez-vous décider ? Toute cette affaire appartient à la diplomatie, qui ne vous communique rien ; et le ministère, qui doit être au courant, ne veut rien prendre sur lui.
Je le répète, toute décision que vous prendrez est nulle, nulle aussi longtemps surtout que vous la prendrez sur la proposition de MM. Van Snick et Jacques.
Au surplus, il y a un remède. Que le régent signe un traité, contresigné par les ministres ; vous délibérerez ensuite. Alors, si vous faites le malheur du pays, au moins l'aurez-vous fait légalement.
Je ne peux passer sous silence l'avantage que M. Lebeau voulait tirer hier, au profit de son système, de l'élection de son collègue M. de Sauvage. Et voilà qu'aujourd'hui nous savons qu'il y a à Liége quinze ou seize cents électeurs, que l'élection a été faite par deux cents ou deux cent soixante électeurs présents ; que les autres protestent contre la légalité. A tout cela encore je dois ajouter qu'il y a peu de jours, M. de Sauvage s'est (page 478) exprimé de manière à convaincre ceux qui l'ont entendu qu'il ne partage pas les opinions de son collègue M. Lebeau.
Je finis en rappelant qu'après l'élection du prince Léopold, lorsque M. de Gerlache, président, prononça la formule d'adoption, ce n'est qu'en insistant, ce n'est qu'en répétant deux fois l'obligation du prince de maintenir l'intégrité du territoire, qu'il obtint quelques applaudissements sur cette nomination. N'oubliez jamais cette circonstance. N'oubliez pas que l'adoption des dix-huit articles viole l'article premier de notre constitution.
M. Lebeau vous a adjurés de vous réunir à lui. A mon tour je vous adjure de ne pas vous séparer des hommes de septembre, par lesquels vous êtes ici. Pensez que sans eux vous seriez encore dans les antichambres de Guillaume. Jamais on ne m'y a vu. Quelques-uns peuvent désirer d'y retourner ; quant à moi, jamais on ne m'y verra. (Applaudissements.) (M. B., supp., 9 juill.)
M. le baron de Sécus (père) – Toutes les puissances sont armées. Leurs intérêts sont tellement opposés, qu'il ne faut qu'une étincelle pour allumer une guerre générale. Si la neutralité qu'on nous propose nous est garantie par cinq puissances qui s'entendent aujourd'hui et ne s'entendront peut-être plus demain, nous devons saisir promptement cette occasion de nous constituer. Par là seulement nous acquerrons une force capable d'assurer nos succès au dehors ; sinon nous serons réunis à la France, ou nous subirons une honteuse restauration. Nous avons dans la conférence de Londres deux ennemis déclarés, la Russie et la Prusse, et deux amis, l'Angleterre et la France. Les propositions qui nous sont faites sont des points de départ pour des négociations ultérieures. Le prince de Saxe-Cobourg ne prêtera pas serment avec l'intention de s'en tenir aux préliminaires. Je voterai pour l'acceptation des préliminaires. (J. B., 8 juill.)
M. Masbourg – L'art profond de comprendre en peu de mots les matières les plus vastes, et de réduire en dix-huit articles les points fondamentaux d'une nouvelle constitution politique dans ses rapports avec l'intérieur et l'extérieur, cet art ingénieux qui se révèle dans le nouvel acte de la diplomatie, nous avertit assez de l'importance d'un examen sévère, approfondi, de la nature des propositions et de leurs conséquences.
Admettre ces dix-huit articles sans en avoir bien étudié l'esprit, sans avoir mûrement pesé tous les principes qu'ils renferment, toute la suite et l'ordre des rapports nouveaux qui en dérivent, sans avoir saisi dans l'ensemble le plan et les vues des auteurs du projet, ce serait s'exposer à compromettre les intérêts les plus graves de la nation et à lui imposer des engagements d'autant plus dangereux qu'ils ne pourraient plus être révoqués que du consentement et avec le concours des cinq grandes puissances et de la Hollande ; et sous ce rapport, la tâche qui nous est imposée, messieurs, est bien plus redoutable que lorsqu'il ne s’agissait que de notre pacte national.
Aussi je ne conçois pas comment l'assemblée n'a pas ordonné le renvoi en sections de propositions aussi graves, aussi pleines de difficultés. Je sais bien que les membres du congrès qui ont vu des motifs péremptoires de rejet dans les premiers articles ont pu se croire dispensés de s'appesantir sur la suite ; mais les délibérations en section eussent en général été très utiles.
Les craintes de guerre, de conflagration générale, de partage, que l'on fait sans cesse retentir dans cette enceinte ; ces tableaux lugubres dont on veut effrayer les imaginations, en leur présentant l'avenir de la Belgique sous l'aspect le sombre en cas de rejet des préliminaires ; toutes ces harangues sur des dangers plus ou moins réels, mais qui sont au-dessus des prévisions humaines, devraient être moins prodiguées. L'expérience ne nous montre-t-elle pas tous les jours, messieurs, des événements qui viennent confondre tous les calculs de la sagesse des hommes ? Examinons sans nous laisser dominer par des passions ; méditons avec calme des questions qui embrassent d'aussi vastes intérêts, soumettons à une investigation sévère chacun de ces dix-huit articles ; car elle serait terrible la responsabilité qui pèserait sur nous, si nous admettions, sans une pleine et entière connaissance, des conditions dont les termes pourraient servir de texte et de fondement à des droits et des prétentions opposés au véritable intérêt de l'État.
La première, la plus importante question à résoudre, est celle de savoir si ces propositions sont compatibles avec l'honneur et la dignité nationale.
La négative ne me paraît pas douteuse. Je me bornerai à quelques observations pour motiver mon opinion.
Par la disposition de l'article premier, plusieurs milliers de nos compatriotes perdraient leur caractère politique. Avant de porter cet arrêt terrible qui les frapperait de proscription, examinons au moins quelle est la nature, quelle est l'origine de leurs droits, puisque l'on a révoqué ici en doute la justice de nos prétentions sur une partie du Limbourg, (page 479) et que des orateurs très distingués les ont même hautement condamnées comme manifestement iniques. Il importe, messieurs, de s'assurer si ces accusations sont fondées, car nous voulons être justes, et justes avant tout. Quel que soit mon patriotisme, la patrie ne sera jamais pour moi une idole à laquelle j'immolerai la vérité et la justice. Pour dissiper les nuages qui se sont élevés, et résoudre le point de savoir si la base énoncée dans l'article premier est ou n'est pas arbitrairement fixée, il est nécessaire de s'entendre sur les principes.
Partout où l'inamovibilité du pouvoir, ce dogme de l'absolutisme, prévaut, on n'accorde pas que la révolution, même la plus légitime, puisse constituer un droit ; de là cette différence dans la notion du juste et de l'injuste, qui se reproduit lorsqu'il s'agit de décider des questions par des principes qui dérivent du droit et du fait de notre affranchissement politique.
Si le pouvoir cesse d'être légitime par la violation des lois fondamentales et de tous les principes de justice, et si le peuple, après avoir vainement recouru à toutes les voies légales, a le droit de résister à l'oppression, il faut nécessairement admettre le principe de notre émancipation, et en reconnaître la légitimité. Le bienfait de cette émancipation ne peut être restreint au préjudice de l'une ou de l'autre partie de la nation qui l'a conquise. Elle embrasse évidemment tout le peuple qui a participé au mouvement qui l'a produite. Or, la révolution est l'ouvrage des populations des neuf provinces méridionales ; le droit qui en dérive n'appartient pas plus aux habitants de l'une que de l'autre ; ce droit est de la même nature, il a la même origine, il a pris naissance à la même époque. Prétendre déterminer par un traité de 1790 quels sont les Belges qui jouissent de droit acquis par la révolution de 1830, c'est méconnaître le principe et l'anéantir.
En condamnant, en vertu d'un traité qui est sans force en cette matière, une multitude de nos frères à être exclus de toutes les garanties constitutionnelles des Belges, on pourrait faire une juste application d'un article du Code du pouvoir absolu, qui ravale l'homme à la condition de la brute et en fait la propriété du souverain ; mais au tribunal de la souveraine justice, ne serait-ce pas, messieurs, un attentat à la nature morale de l’homme ? Le titre de souverain, le seul que le roi Guillaume avait sur les habitants du Limbourg comme sur nous, a été rompu, a cessé pour eux comme pour nous, et en même temps pour eux que pour nous ; et dès lors, le droit du roi Guillaume n'existant plus, comment peut-on soutenir qu'il serait injuste de ne pas souscrire à l'article premier ? Au surplus, je suis persuadé que ceux des honorables membres qui ont plaidé la cause de Guillaume, au nom de la justice, étaient dans l'erreur. Je me garderai bien de les confondre au reste avec ces ministres, ces hommes d'Etat de l'Europe légitime, qui ne sentent pas, comme le dit un célèbre publiciste de nos jours, la dignité de la nature humaine, qui ne s'en doutent même pas.
L'erreur où l'on est tombé provient de ce que l'on n'a peut-être pas assez distingué les lois de la justice de celles de la nécessité. Il est évident que si, dans une extrémité absolue, l'on est réduit à abandonner une partie de ses compatriotes, ou, en style diplomatique, une portion de territoire, c'est à l'empire de la nécessité que l'on cède, mais ce n'est pas un droit que l'on reconnaît.
On a argumenté, messieurs, du principe que dans le cas d'une séparation chacun reprend ce qui lui appartenait avant l'union ; mais les lois destinées à régler le droit de propriété sur des objets matériels seraient inapplicables lorsqu'il s'agit de régler le sort des peuples et des hommes, à moins qu'on ne les identifiât avec les choses. La même réponse peut servir de réfutation à l'argument que l'on a voulu tirer des dispositions relatives à la dette. J'admets que l'ancienne dette est supportée par la Hollande ; la conservation du Limbourg, appartenant antérieurement à ce pays, n'impose tout au plus à la Belgique que la portion très minime correspondant au contingent que ce pays aurait eu à supporter.
Vous le voyez, messieurs, toutes les objections viennent se briser contre ce principe immuable, que l'on ne doit pas régler le sort des hommes et des peuples par les mêmes dispositions que le domaine des choses, ou en d'autres termes, qu'il faut distinguer les êtres intellectuels des êtres matériels. Il est donc bien essentiel de se prémunir contre les dangers d'une alliance de la liberté avec les doctrines dégradantes de l'absolutisme. Voyez où les premiers pas dans cette carrière nous ont déjà conduits : n'avons-nous pas entendu d'honorables collègues faire un pompeux étalage des libéralités de la conférence, en nous annonçant qu'elle nous donnait la province de Liége, les cantons de Philippeville et autres qui avaient appartenu à la France ? Si elle nous les donne, vous reconnaissez donc qu'elle avait le droit d'en disposer ; qu'elle aurait pu soumettre toute la population liégeoise à d'autres lois que celles de la Belgique ? En préconisant ce système, on a rendu un hommage public à l'esprit qui a présidé à ces (page 480) traités de Vienne, source de tant de regrets et d'indicibles malheurs. Que l'on y prenne garde en s'engageant dans les voies de l'absolutisme, en proclamant ses principes, en les sanctionnant dans des traités, on ruine la liberté catholique, dont la voix puissante ne retentirait pas en vain dans les conseils des potentats, où la nature morale de l'homme est trop souvent méconnue.
C'est évidemment dans l'esprit des principes du pouvoir absolu qu'a été conçu l'article premier subversif de tous nos droits et de toutes les manières propres à légitimer notre émancipation.
Passant à l'article 2, on voit que la conférence persévère dans ses antécédents, relativement au Luxembourg ; il est retranché du nombre des provinces de la Belgique. La disposition est formelle ; la Belgique sera formée de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815.
Il vous a été démontré, messieurs, les traités à la main, que la province de Luxembourg ne faisait pas partie du royaume des Pays-Bas par ces traités ; par conséquent, vous la faites disparaître de votre constitution en acceptant les préliminaires. La constitution dit : La Belgique se compose de neuf provinces ; votre traité dira ; La Belgique se compose de huit provinces. Si vous admettez les principes de la conférence, que la province de Luxembourg, ayant été cédée à un autre titre à la maison de Nassau, n'a pu par cette raison acquérir les mêmes droits à son émancipation que le reste de la Belgique, vous l'admettez incontestablement, ce principe, en déclarant formellement, en termes non équivoques, que cette province n'est plus comprise dans la Belgique. Cette disposition est la conséquence immédiate de ce principe établi précédemment par la même conférence.
C'est ce que le congrès avait si bien compris, lorsqu'il opposait ce refus noble et énergique à la proposition d'adhérer aux protocoles. J'observerai au sujet de cette réponse au protocole, que l'on a beaucoup équivoqué sur cette partie. Mais au fond, de quoi s'agit-il ? de se lier par un engagement comme partie contractante, au lieu de se lier par une adhésion à des engagements à peu près de même nature.
L'article 3 du projet est le complément du précédent. Après avoir formellement reconnu par ce dernier que la province de Luxembourg ne fait pas partie de la Belgique, on proclamera en acceptant l'autre que la souveraineté en appartient au roi de Hollande, ou roi des Pays-Bas, sauf ses relations avec la confédération germanique. L'abandon immédiat de cette province eût indubitablement fait l'objet de l'article 3, comme conséquence du principe énoncé dans l'article 2 ; mais comme les Belges ont manifesté le vœu de l'acquérir moyennant une indemnité pécuniaire, la conférence offre ses bons offices pour obtenir le maintien du statu quo, pendant le cours des négociations relatives à cette acquisition.
Ne perdons pas de vue, messieurs, que la conférence ne garantit rien ; elle promet d'employer ses bons offices, mais elle laissera le roi Guillaume parfaitement libre d'agir d'après ses vues.
Si ce souverain, instruit par la catastrophe qui l'a frappé, venait à s'élever au-dessus des autres puissances contemporaines, en appréciant toute la dignité de la nature humaine, s'il repoussait l’or que vous voulez lui offrir, et qu'il vous exprimât une profonde horreur pour cet odieux trafic d'hommes, et s'il refusait par obstination, ou bien enfin s'il mettait des conditions impossibles à la cession, qu'arriverait-il ? Recourrait-on à la voie des armes ? Mais, après avoir reconnu la souveraineté dans un traité solennel, violerez-vous la foi de vos engagements ?
Remarquons aussi, messieurs, que le prince élu par le congrès ne prêtera le serment de maintenir l'intégrité du territoire qu'après l'acceptation des dix-huit articles. Or, dès que vous aurez adopté les articles 2 et 3, vous aurez changé, vous aurez restreint l'étendue du territoire, vous aurez créé une autre Belgique, le Luxembourg n'y sera plus compris. L'intégrité du territoire alors sera déterminée par votre traité, et ce sera cette nouvelle intégrité qui fera l'objet du serment du prince ; ce serment n'est pas une garantie à l’égard de cette province. Cette vérité est incontestable, et à cet égard je dois relever une erreur échappée à l'honorable M. Devaux. Il vous a dit, messieurs, pour vous rassurer sur les craintes qu'on éprouve à la lecture de l'article 3, que dans tous les cas il n'y avait pas de danger de perdre cette province, puisque le prince prêtera le serment fixé par la constitution, et que dès lors vous aurez une entière garantie. Oui, il prêtera le serment prescrit par la constitution, mais il le prêtera après le traité, à une époque où, aux termes de ce traité, cette province ne fera plus partie de la Belgique. L'honorable membre serait fondé à voir dans ce serment une garantie, si le prince le prêtait avant le traité, à cette époque où cette province n'aurait pas encore été retranchée de la Belgique, grâce à votre refus d'adhésion aux protocoles ; mais si le congrès fléchit, je ne vois plus aucune garantie résultant d'actes authentiques.
(page 481) C’est aussi une erreur dangereuse de conclure des termes de l'article 3, où l'on emploie le mot de négociations, que la conférence a révoqué ses précédentes décisions au sujet de la souveraineté du Luxembourg : pourrait-on voir dans ces expressions, par lesquelles elle promet d'employer ses bons offices pour obtenir le maintien du statu quo pendant le cours des négociations, une rétractation d'une décision déclarée irrévocable ? Les négociations à proposer au roi Guillaume ne sont relatives qu'à la demande d'acquérir, à celle de régler les conditions de l'acquisition. C'est dans ce sens et à peu près dans les mêmes termes que la conférence s'est expliquée dans l'un des derniers protocoles, en promettant également ses bons offices pour faire obtenir la cession de cette province à la Belgique moyennant une indemnité. Il ne s'agit donc plus d'un objet litigieux, et si le roi déclare formellement ne vouloir pas vendre le Luxembourg, force sera bien de le faire évacuer et de le lui restituer conformément à ce qui aura été reconnu par le traité.
S’il ne dépendait que du prince Léopold de conserver cette province à la Belgique, nul doute que cette affaire serait déjà conclue. La vive sollicitude que le prince nous témoigne, les efforts qu’il a déjà faits nous en sont de sûrs garants ; mais dès que l'on rend le roi Guillaume arbitre de son sort, comme il le sera par l'effet du traité, j’éprouve une répugnance invincible à souscrire à un pacte qui efface cette province de la liste des provinces belgiques.
On se défendra, dit-on, en invoquant le principe de la révolution ; mais ce droit, vous l'abdiquez en excluant, par votre traité, le Luxembourg de la Belgique. On fait aussi valoir, ajoute-t-on, la possession, mais vous ne possédez pas même la capitale.
Le seul rayon d'espoir, messieurs, qui peut encore nous tirer de tous ces nuages, offre aux habitants du Luxembourg la perspective d'un statu quo dont on n'a pas même la garantie. Ce statu quo, dont on est réduit à espérer le maintien comme une faveur, combien de temps durera-t-il ? peut-être plusieurs années, et quelle sera la position des habitants de la capitale pendant ce long intervalle ?
Si je ne souscris pas à ce traité, messieurs, j’espère qu'on ne m'accusera pas de manquer de confiance dans la parole du prince ; comme homme, j'ai confiance dans la parole du prince ; mais, comme vous représentant de la nation, la parole du prince n'a plus d'influence sur moi ; je trahirais mes devoirs, je violerais la constitution, si je me déterminais d'après d'autres garanties que les garanties constitutionnelles. Quel serait en effet le sort du serment que vous auriez prêté au prince, si sa parole devient équivalente, aux yeux d'un député et en sa qualité de député, à un serment ? D'ailleurs le prince n'a pas promis autre chose, et il n'a pu promettre autre chose, que ses efforts pour obtenir et conserver la province du Luxembourg à la Belgique. Il est lui-même incertain du succès ; et dans cet état de choses, moi, député du Luxembourg, membre du congrès, je ne puis souscrire à un traité qui exclut le Luxembourg de la Belgique ; je suis fidèle à la constitution. Je ne transgresserai pas mon mandat, et aussi longtemps qu'une garantie constitutionnelle ne m'apparaîtra pas, je repousserai un traité qui cède ma province à la Hollande, je repousserai un traité qui dépouille la Belgique de la province du Luxembourg.
Tels sont, messieurs, les motifs qui me déterminent à voter négativement. (M. B., 8 juill.)
M. Cartuyvels – En présence de la question grave qui nous est soumise, et qui doit avoir pour la Belgique des conséquences si importantes, puisque son repos, sa prospérité et son avenir même en dépendent, j'ai hésité, je vous l'avoue, messieurs, sur le parti que j'avais à prendre ; car si, pour sortir du provisoire qui, comme on l'a dit mille fois, nous mine et nous consume, pour satisfaire surtout à ce besoin pressant des populations qui demandent, quoi qu'on en dise, le repos et la stabilité, nous devons saisir avec empressement tous les moyens qui se présentent à nous, nous ne pouvons cependant adopter que ceux qui s'allient avec l'honneur et la dignité de la nation ; et je craignis d'abord que l'honneur, la dignité de la nation ne nous fît un devoir de rejeter les propositions de la conférence. Instruit par une fatale expérience, averti par le passé de ce que nous devions attendre de l'avenir, je ne pouvais me résoudre à négocier encore et à suivre les errements d'une diplomatie dont tant de fois déjà nous avons été les jouets, pour ne pas lire les victimes.
Mais un examen approfondi des propositions de la conférence, l'espoir d'éviter à mon pays des maux plus grands encore que ceux qu'il a soufferts et surtout cette voix intérieure, cette voix impérieuse qu'on ne doit jamais méconnaître, m'ont convaincu que nous pouvions discuter, sans déshonneur et sans honte, les préliminaires qui nous sont soumis, et même les adopter, eu y apportant les modifications dont ils sont susceptibles.
(page 482) Mais vous ne pouvez rien y changer, rien y modifier ! me crie-t-on ; la conférence l'a formellement déclaré, et vous devez ou les rejeter ou les accepter sans condition, sans restriction aucune. Telle n'est pas mon opinion, messieurs, et je pense, avec d'honorables membres de cette assemblée, que nous pouvons dire à la conférence : Le congrès belge, animé comme vous du désir de concilier les difficultés qui arrêtent encore la conclusion de ses affaires, mais fermement résolu de maintenir ses droits, accepte vos propositions, mais sous telle condition, sous telle réserve.
Rien ne s'oppose, ce me semble, à une semblable acceptation, car la conférence ne nous dit pas : Vous accepterez sans condition aucune ; elle dit seulement qu'elle considérera ses articles comme non avenus si le congrès belge les rejette en tout ou en partie. Or la conférence, il faut bien en convenir, a compris enfin que son rôle ne pouvait être que conciliateur, et fidèle cette fois au principe qu'elle a proclamé, elle ne prétend plus nous imposer impérieusement une volonté qu'aujourd’hui, comme en février, vous eussiez énergiquement repoussée. Mais la conférence nous présente des préliminaires de paix à discuter entre parties, et dont l'adoption doit avoir pour résultat immédiat l'acceptation de notre couronne par le prince de Saxe-Cobourg. Voilà, messieurs, comment j'envisage les propositions qui vous sont soumises, et les raisons qui peuvent déterminer mon adhésion.
Je ne m'attacherai pas, messieurs, à discuter les motifs, le but et la disposition des articles de la conférence. Cette question a été traitée ici sous tous les points de vue, et s'il est vrai qu'ils ne diffèrent guère, quant au fond, du protocole même du 20 janvier, il faut convenir cependant qu'ils contiennent des différences essentielles.
Car sans parler de la dette, qui est pour nous une question d'assez grand intérêt puisqu'elle dégrève notre budget annal de 12,000,000 de florins, nous avons plus que de l'espoir de conserver la plus grande partie du territoire contesté, et notamment le Limbourg.
La rive gauche de l'Escaut nous échappe, à la vérité, et avec elle notre commerce maritime perd un grand avantage, mais ses habitants ne se sont point associés à notre révolution, leurs députés ne siègent pas dans cette enceinte, et sur cette question territoriale on nous contestait et le fait et le droit ; et dès l'instant que l'écoulement des eaux des Flandres, l'usage des canaux, la libre navigation des fleuves nous y sont garantis, si ce n'est pas là tout ce que nous pouvions réclamer, il faut du moins convenir que c'est à peu près une grande part de tout ce que nous pouvions espérer.
La question du Luxembourg, à mon avis, n'est nullement douteuse. Cette province fait, elle a toujours fait, partie de la Belgique, elle s'est jointe à notre révolution, et quelle que soit notre destinée, elle sera la sienne, car la nation ne consentira jamais à l'abandonner. D'ailleurs, messieurs, il me paraît, d'après l'article 3 des propositions mêmes, que la conférence ne songe nullement à nous l'enlever, et vous savez que le prince de Saxe-Cobourg a positivement déclaré à nos commissaires que son intention était de défendre le Luxembourg par tous les moyens, si jamais on songeait à nous le contester. Peu nous importe donc que la conférence emploie ses bons offices pour maintenir le statu quo, ou nous le garantir ; nous le tenons, c'est le principal, et jamais il ne sera abandonné ; mais, quoique uni à la Belgique, le Luxembourg a des rapports politiques avec d'autres États, notre constitution même les reconnaît, nous devons les respecter. Et de ce chef il n'est pas étonnant que la conférence parle encore de négociations.
Mais avec toutes ces négociations, nous n'en finirons jamais ! me dit-on : je pourrais vous en compter dix séparées et distinctes, c'est un dédale à ne pas en sortir... J'avoue, messieurs, que les négociations seront longues, difficiles même, mais les moyens qu'on nous propose termineraient tout en un instant. Et croyez-vous qu'après une bataille il ne faudrait pas commencer par négocier encore ?
Quant au Limbourg, si l'on vous disait encore : Vous abandonnerez sans condition, vous livrerez à la vengeance hollandaise le pays de la généralité, la ville de Maestricht et la ville de Venloo ; et si vous consentiez, sans une nécessité absolue, à replonger sous le joug qu'ils ont brisé ces généreux habitants dont la cause est la nôtre et qui ont versé leur sang pour la défendre, alors, messieurs, je vous dirais aussi : L'honneur, la dignité nationale vous font un devoir de rejeter de pareilles propositions : les Limbourgeois sont Belges, vous n'avez pas le droit d'en trafiquer.
Mais ce pacte flétrissant n'est pas à craindre ; l'article 5 des préliminaires nous en donne l'assurance, en sanctionnant l'échange des enclaves, et il paraît constant que nous en avons assez pour racheter le Limbourg ou du moins la généreuse Venloo. Mais, si cette garantie des puissances ne vous paraît pas suffisante, alors, messieurs, nous devons en faire une réserve formelle, nous en avons le droit, car ce ne sont plus des ordres que (page 483) la conférence vient nous dicter, ce ne sont que des préliminaires de paix qu'elle soumet à notre sanction.
J'accepterais donc ses propositions, mais sous la condition expresse que Venloo nous sera conservée ; car, je le répète, je nie à la conférence le droit de nous imposer sa loi, et dans cette occasion solennelle nous devons lui prouver que nous sommes prêts, non pas à courber servilement la tête devant sa volonté, mais à traiter, sous sa médiation, d'égal à égal avec les Hollandais. Et cette médiation nous pouvons l'accepter sans honte, vous l'avez reconnu vous-mêmes en signant l'armistice, mais en nous soumettant à son arbitrage. Je soutiens que nous avons le droit de lui faire connaître à quelles conditions nous sommes résolus de traiter.
Dans tous les cas, notre acceptation conditionnelle ne pourrait jamais être considérée que comme un refus, et notre cause demeurerait telle que les préliminaires la déterminent, car, pour protocoles purs et simples, il ne peut plus en être question, la conférence elle-même l'a reconnu ; mais il lui faut une réponse aux propositions qu'elle nous a présentées, et je viens de vous indiquer, messieurs, comment je désirerais qu'elle fût donnée.
Il est facile, je le sais, de se laisser entraîner par les mots magiques d'honneur et de dignité nationale, et de repousser tout ce qui semblerait y porter atteinte. Mais gardons-nous de nous laisser éblouir et aveugler par un vain amour-propre, car l’amour-propre d'un peuple même doit céder à des intérêts plus graves, doit fléchir devant ses propres besoins, et c'est pour satisfaire à ces intérêts, pour répondre à ces besoins, que je me suis déterminé à donner mon vote aux moyens conciliateurs.
Et vous qui invoquez la guerre et ses terribles arguments, qui pour assurer le repos et l'indépendance de la patrie demandez la guerre à grands cris, en avez-vous combiné toutes les chances, calculé tous les résultats ? et ne craignez-vous pas que la guerre vous ravisse cette indépendance même qui est tout pour vous ? car prenez-y garde, le premier coup de canon tiré par vos ordres peut devenir le signal d'une lutte européenne, qui finirait peut-être par vous engloutir.
Mais j'accorde que les puissances restent étrangères à nos débats avec la Hollande ; je conviens également que notre jeune armée frémit d'impatience et n'attend que le signal pour voler au combat et cueillir de nouveaux lauriers.
Mais l'état du pays, les besoins de la nation nous permettent-ils de recourir maintenant à ces moyens extrêmes ?
Vous voulez la guerre, commencez donc par ajouter de nouveaux millions à ceux que vous avez votés pour l'entreprendre ; mais avant d'accabler le peuple sous de nouveaux impôts, voyez ce qui se passe autour de vous, consultez les faits, ils parlent plus haut que tous vos arguments.
Le commerce est aux abois, la guerre va l'achever ; l'industrie languit, la guerre va l'anéantir ; l'agriculture présente les plus belles espérances, et la guerre va porter le ravage au milieu des champs, et ravir aux populations, déjà exténuées, leurs dernières ressources, leurs dernières espérances !
Notre avenir même est soumis à la décision que nous allons prendre, car le rejet pur et simple des propositions de la conférence, entraînant la reprise immédiate des hostilités, repousse à jamais le prince que vous aviez appelé à régner sur la Belgique, nous refoule loin du port où nous allions entrer, et devenus de nouveau le jouet de la tourmente, nous voguons sans boussole et sans guide, sans prévoir seulement à quel rivage nous pourrons aborder. Si du moins, en nous demandant le rejet des propositions de la conférence on nous présentait une combinaison nouvelle, nous pourrions comparer et choisir ; mais ici le choix est impossible, car ceux mêmes qui rejettent les propositions ne nous présentent aucun autre système. Je me trompe, messieurs, un honorable membre nous a dit qu'il en avait un tout fait, tout tracé, c'est le système de M. le ministre des affaires étrangères, c'est le système qui n'a eu et ne pourrait avoir nul résultat avantageux ; mais quoi qu'il ait pour nous les conséquences les plus funestes, on voudrait le prolonger parce qu'il en a de plus désastreuses encore pour nos ennemis. Messieurs, quant à moi, je ne veux plus de ce système qui n'a duré que trop longtemps, il ne pourrait aboutir qu'à nous ruiner ; car, vous le savez, messieurs, les communications de M. Lebeau ont été accueillies à La Haye, comme ses commissaires à la conférence de Londres, et il en sera toujours de même aussi longtemps que nous ne serons pas constitués, aussi longtemps que nous n'aurons pas pris place au rang des nations, et que nous n'aurons pas un roi, pour qui, comme l'a fort bien dit M. Beyts, la diplomatie a toujours une oreille plus attentive que pour les droits du peuple. Il faut donc nous constituer ; et je n'en vois nul autre moyen que d'accepter la combinaison qu'on nous propose. Ah ! si l'on nous disait : Refusez, et vos destinées vont s'unir à la (page 484) France ; si dans le lointain du moins on nous montrait la France, je concevrais, messieurs, qu'on pût s'opposer encore à l'avènement de Saxe-Cobourg, car la France conserve de la sympathie en Belgique : il est des hommes qui, animés des intentions les plus pures, et guidés par l'amour de leur pays, désirent et cherchent encore la réunion à la France. Comme eux j'ai souhaité, j'ai rêvé cette réunion, parce que les vœux, les intérêts de mes commettants la réclamaient, parce que j'étais persuadé que ce n'était que là que nous pouvions trouver appui, force et prospérité.
Mais le rejet de notre couronne par le roi des Français détruisit cet espoir, et m'apprit que désormais toute réunion avec la France était devenue impossible, et la plupart de ceux qui s'opposent à l'avènement de Saxe-Cobourg disent aussi encore que la Belgique ne peut plus être réunie à la France, ou regardent cette union comme le plus grand malheur qui puisse nous arriver.
Cet espoir ne peut donc balancer à mes yeux les avantages que nous présente maintenant Saxe-Cobourg.
Voilà, messieurs, les principales raisons qui m'ont déterminé à ne point rejeter les propositions de la conférence de Londres ; car dans les circonstances où nous nous trouvons, il n'est plus question de détruire, il faut réédifier, et il le faut sans délai, car le fardeau est devenu bien pesant, et bientôt chaque jour ne suffirait pas à sa peine.
Mais nous aurons beau faire pour éviter la guerre, me dit-on, nous aurons beau nous soumettre à la conférence, signer concession sur concession, rien n'est fait, rien n'est décidé ; car pour assurer la paix, il faut encore l'assentiment du roi Guillaume, et vous ne l'aurez jamais.
Cette prévision est possible, messieurs, mais elle n'est pas certaine. Et s'il faut enfin recourir aux armes, s'il faut décider par le fer et le canon les questions du territoire, très bien ; en nous constituant, la guerre n'est plus pour la Belgique une question d'existence, ce n'est plus qu'une question de limites.
D'ailleurs, en nous donnant un chef qui rallie autour de lui tous les partis, qui nous assure la protection de la France et de l'Angleterre, n'assurons-nous pas à nos armes une victoire plus facile et plus certaine ?
Et je vous le demande, messieurs, si la guerre éclatait maintenant, quel parti nous mènerait au combat ? au profit de qui l'engagerions-nous, divisés comme nous sommes aujourd'hui ? Que Saxe-Cobourg arrive, il n'y a plus que des Belges, la puissance révolutionnaire se trouve concentrée dans la seule main qui la dirige, et marcher au combat, ce serait marcher à une victoire certaine.
Sachons donc différer un moment encore, et si la guerre devient inévitable, s'il faut enfin en subir le poids, les hasards, nous pourrons du moins nous dire : Nous avons tout fait pour l'éviter, et l'on ne pourra nous demander compte des biens ni du sang de nos frères.
Je voterai donc pour l'amendement de M. Van de Weyer, me réservant mon vote sur les propositions, si contre mon attente cet amendement était rejeté. (M. B., supp., 10 juill.)
M. Hippolyte Vilain XIIII – Il est des circonstances solennelles où chaque représentant de la nation doit à ses commettants l'explication de sa conduite et l'expression de son vote ; cette manifestation est surtout indispensable au moment où une question s'élève, question de vie ou de mort pour tout un peuple, et qui doit fixer ses destinées dans un long avenir.
Des préliminaires de paix sont offerts au congrès renfermant tout ensemble la délimitation de la Belgique, la reconnaissance en Europe de notre existence politique, et les facilités d'obtenir immédiatement au milieu de nous le chef de notre choix. Ces préliminaires ne présentent pas sans doute tous les avantages que la Belgique désirait, mais ils fixent sa dette d'une manière équitable, mais ils lui garantissent la libre navigation des fleuves, des rivières et même des canaux indispensables à sa prospérité, mais ils expliquent en sa faveur le système de neutralité, mais ils stipulent enfin dès leur adoption l'évacuation de notre territoire par les troupes ennemies, la délivrance d'Anvers et des forts sur l'Escaut. La condition du Luxembourg sera traitée à part et sans préjudice des autres provinces. Le prince la maintiendra. Les Belges sont admis à faire valoir, d'autre part, tous les droits de souveraineté que la Hollande ne possédait pas en 1790 ; finalement l'intervention des cinq puissances ne sera plus directe dans nos débats avec la Hollande, mais seulement officieuse. Tels sont en résumé les adoucissements portés aux précédentes stipulations, qui alors étaient des décrets et ne sont plus aujourd'hui que des propositions : ces propositions, libre à l'assemblée de les admettre ou de les rejeter, de consolider par leur adoption le principe vital qui doit faire de la patrie un État indépendant, qui lui a donné une constitution et un roi ; ou par le rejet, de remettre d'un seul coup en question toutes ces précieuses garanties, d'aventurer le sort de toute une nation, de sacrifier les richesses de nos belles (page 485) provinces, la sécurité de leurs habitants, les libertés de tous, et de perdre en un instant les espérances de trois siècles et les fruits de six mois d’insurrection. Son choix ne saurait être douteux. On se rappelle trop bien d'où nous sommes partis, la modestie de nos premières prétentions, les tempêtes que nous avons traversées pour ne point se réjouir de voir enfin approcher l'instant où le nom belge ne sera point un vain nom, et la Belgique la pâture du premier occupant. Par l'acceptation, j'aperçois le but, et la patrie respire ; par le refus, mes adversaires, habiles à renverser, sont désunis quant aux moyens d'exécution. Tout en attaquant la mesure, ils ne savent en proposer d'autres ni de meilleures dans la circonstance actuelle, oubliant que l'homme d'État, en cela bien différent de l'homme vulgaire, ne doit point sans cesse objecter ce qui lui répugne et ce qu'il ne veut pas, mais, comptable du salut de ses compatriotes, savoir ce qu'il veut et où il va.
En effet, à cette question si simple : Que voulez-vous ? les uns répondent que plutôt que d’accéder à de pareilles conditions, ils préfèrent garder le statu quo, faire aux ennemis une guerre d’inertie, et par une longue incertitude, l'entretien d'une armée coûteuse, les forcer à de justes concessions ; mais ces mêmes personnes s’écrient parfois que le provisoire tue la nation, qu’il faut en sortir à tout prix, que la Belgique a soif de paix et de stabilité ; d'autres proclament à grands cris la guerre, une guerre immédiate et d’extermination ; et il n'y a pas longtemps, on répétait que nous n'étions pas prêts à la guerre, que l’armée manquait de tout, qu'elle restait sans organisation, sans direction, sans chef ! La guerre, messieurs ? mais croyez-vous que la nation soit aussi disposée à faire la guerre qu'on veut bien nous le représenter ? Croyez-vous que le bourgeois, accablé d'impôts et d'emprunts forcés, la nuit harassé de gardes et de patrouilles, le jour sans débit, sans ouvrage, sans industrie, soit bien pressé de se inconsidérément dans la guerre, quand la paix lui est offerte ? Croyez-vous que le cultivateur, à la veille de recueillir une de ces riches moissons que la Providence accorde parfois dans les temps de grandes calamités politiques, comme pour indemniser l'homme des sacrifices qu'il fait à la liberté, croyez-vous que ce cultivateur ait hâte de voir ravager ses champs aux pieds des hommes et des chevaux, de voir saccager ses guérets et brûler ses granges par les hordes étrangères ? car ce cultivateur, dans son bon sens, sait que la guerre a ses revers comme ses succès, et qu'on peut la perdre comme la gagner : non, ni l'un ni l'autre ne la veulent. Loin de moi d'invoquer la guerre comme moyen, car la guerre est une calamité sociale qui tôt ou tard retombe sur la nation qui l'a provoquée sans nécessité ; elle est la ruine du commerce et de l'agriculture, surtout quand, au lieu de se convertir en engagement partiel, elle menace d'enflammer l'Europe dans toutes ses parties. Enfin, un petit nombre fait supposer une préférence pour une réunion forcée à la France. Je dis forcée, car la France ne peut nous posséder sans révolution intestine, si nous nous donnons à elle, malgré son gouvernement ; et sans guerre générale, s'il nous accepte. Singulier patriotisme que celui qui ne veut point céder un seul village à l'étranger et qui veut donner toute la Belgique à la France ! libéralisme tout nouveau que de vouloir sacrifier à une seule ville l'existence de tout un peuple ! Quoi ! messieurs, irions-nous après avoir pendant six mois travaillé à nous faire une constitution, conquis des couleurs, organisé une Belgique, pris rang enfin parmi les nations, irions-nous, dis-je, perdre en un jour de si grands bénéfices, et après une gloire rapide, mais brillante, ensevelir le nom belge dans le grand nom français ? Non, le congrès ne fera point cet acte, dont il ne sent dans le moment ni la nécessité ni ne possède le mandat ; ainsi point de solution raisonnable ni immédiate par le statu quo, ni par la guerre, ni par la réunion : elle ne se trouve possible que par l'adoption des propositions.
Pour amener le rejet de ces propositions, on a objecté que leur adoption serait une violation manifeste de la constitution. C'et une erreur grave et que plusieurs de mes collègues se sont empressés de relever. Bien plus, on a avancé que, par cela même que l'intégrité du territoire constitutionnel était mise en péril, la position du chef de l'État pouvait en être compromise. Mais on a donc oublié le sens de l'article 5 : ne dit-il pas que c'est aux représentants à fixer par une loi les limites de l'État, et que ce pouvoir est dans leurs attributions ? Et que faisons-nous dans ce moment, messieurs, si ce n'est une loi ? Le souverain jure l'intégrité du territoire tel que l'arrêtent les représentants de la nation. S'il en était autrement et que ce serment fût impératif et immuable, autant vaudrait dire que, ne pouvant diminuer le territoire, on ne peut l'augmenter, et qu'au moment où la conquête et la suite des négociations nous donneraient une extension de territoire, la constitution devrait être changée et le serment renouvelé par le roi.
On a cherché à vous émouvoir sur la position (page 486) incertaine de quelques districts du royaume ; mais, messieurs, si je voulais m'adresser aux sentiments plutôt qu'à la froide raison de l'assemblée, j'attirerais ses regards sur d'autres parties qui méritent aussi sa commisération : je demanderais si le sort des habitants d'Anvers sous le canon de la citadelle n'exige pas impérieusement un terme ; si ces belles communes de la Flandre, exposées aux excursions ennemies, ravagées par les inondations, ne méritent point qu'on termine leurs malheurs ; si tout le pays enfin n'a pas droit de demander qu'on le délivre avant tout de l'incertitude où il est plongé, et des maux toujours croissants qui l'accablent ? Notre mandat n'est point spécial et doit embrasser la généralité. Il m'ordonne d'examiner si l'instant est venu de constituer la Belgique sur une base solide, et de peser les avantages d'une prompte solution avec les désastres que pourraient occasionner de plus longs retards. Les nations ont des moments suprêmes pour se constituer, et, l'heure expirée, une longue suite d'années et de calamités s'écoule souvent avant qu'elles puissent en revenir au même point. Déjà deux fois la Belgique a pu conquérir son indépendance, et la fatalité d'abord, sous l'archiduc Albert, plus tard, des prétentions exagérées, ont privé nos ancêtres de ses doux fruits. Sera-t-il dit qu'une troisième fois pareille catastrophe incomberait à la Belgique, et que l'expérience aux nations comme aux hommes n'apporterait aucune leçon ? Je ne puis le croire. Envisageant de sang-froid tous ces ferments de guerre et de discorde qui bouillonnent autour de nous, vous saurez, messieurs, par votre vote affirmatif, en prévenir l'explosion sur le sol de la patrie. Instruits par le passé, vous fonderez pour elle un avenir heureux. Vous saurez enfin donner à la Belgique une constitution, un roi et la paix. J'ai dit. (M. B., supp., 9 juill.)
M. Claes (de Louvain) – Je n'examinerai pas la question préalable, ni la question d'honneur : elles ont été développées avec tant de force, tant de clarté, surtout la dernière, que personne, même les partisans des préliminaires, n'oserait disconvenir qu'il y aurait lâcheté d'abandonner ceux qui, depuis le commencement de la révolution et à notre demande, ont fait cause commune avec nous. Je vais examiner brièvement si, sous le rapport commercial, les préliminaires de la conférence sont acceptables : la négative ne sera pas difficile à établir.
Un honorable membre de cette assemblée a considéré les propositions comme un présent ; toutefois il s'en est méfié en présentant un petit amendement. Je suis loin de partager son avis, et, au lieu de trouver un présent dans les préliminaires, j'y découvre du poison ; leur adoption serait, à mon avis, le coup de mort porté à notre commerce maritime.
Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer que de tout temps la Hollande a cherché à contrarier toute combinaison commerciale en Belgique ; que ceux qui pourraient douter de cette allégation relisent les discours que prononcèrent, dans cette assemblée, MM. le comte de Celles et Werbrouck-Pieters, lors de la discussion sur la proposition de la déclaration d'indépendance de la Belgique ; ils pourront se convaincre.
Les préliminaires tranchent la question des colonies : Belges, vous n'y serez plus admis, vous perdrez ce commerce immense. Constructeurs de navires, armateurs, fabricants, négociants du haut commerce, expatriez-vous, fuyez le sol de la Belgique, les préliminaires vous enlèvent vos débouchés, vous n'aurez plus de colonies. Si le protocole du 27 janvier nous endossait une partie de la dette, il nous laissait au moins les mêmes droits qu'à la Hollande de commercer librement avec Batavia. Croyez-vous, messieurs, qu'il y ait avantage pour nous aux changements que la conférence a faits relativement à la dette ? Non, et si l'on devait faire un appel au commerce et à l'industrie, je suis intimement convaincu qu'on aimerait autant de payer la dette en gardant les colonies, que de les perdre avec affranchissement de cette même dette. Et en effet, messieurs, que nous importera la diminution des budgets, si hautement vantée hier par le ministre des affaires étrangères, si la diminution des ressources est encore plus sensible ; que me fera, à moi, de ne payer qu'un en impôts, si je ne gagne que deux ? Ma position ne sera-t-elle pas meilleure lorsqu'en gagnant cinq, je payerai trois ? Voilà où nous mèneront les brillantes propositions de la conférence.
En adoptant l'article premier des propositions de la conférence, vous replacez la Belgique dans l’état où elle était en 1790, et quel était cet état sous le point de vue commercial ? Vous le connaissez, messieurs : fermeture de l'Escaut par suite du traité des barrières, la Belgique sans commerce maritime aucun. Eh bien, l'article premier des préliminaires nous ramène à cet ancien ordre de choses, en laissant sur une étendue de dix-huit lieues environ les deux rives de l'Escaut en la possession de la Hollande ; non pas que je craigne que la Hollande ferait stationner une flottille à l'embouchure de l'Escaut pour empêcher le passage à tous les bâtiments qui voudraient monter le fleuve jusqu'à Anvers, ainsi que cela se pratiquait en 1790. L'article 7 des (page 487) préliminaires, mis en rapport avec le traité de Vienne, proscrirait trop ouvertement cette prétention ; la libre navigation est trop bien établie par ces dispositions pour que nous devions craindre la fermeture de tout passage ; mais ce qui n'est pas établi, ni par l'article 7 des préliminaires, ni par le traité de Vienne, c'est qu'il serait défendu à la Hollande d'y établir des droits de péage à son profit sur tous les navires qui remonteraient l'Escaut. La Hollande ne pourrait-elle pas dire, et plus tard elle le dira ; Je dois laisser passer vos navires, mais j'ai le droit incontestable de frapper un impôt sur les marchandises qui, dirigées sur un autre État, passent sur mon territoire ; ce droit ne m’a été enlevé par aucun traité, j'en use, et en l’appliquant je me rapprocherai le plus que je pourrai de l'état de 1790 ; je frapperai un impôt si exorbitant, qu'il équivaudra à la fermeture du fleuve. Ne devons-nous pas nous attendre à cette conduite de la part de la Hollande ? Qui pourrait en douter si nous consultons les antécédents. Le traité de Vienne, en garantissant la libre navigation des fleuves et rivières navigables, y avait certainement compris le Rhin. Eh bien, depuis 1815, la Hollande a tenu tête à toute la confédération germanique, composée d'États bien plus puissants que la Belgique ; et, malgré les garanties promises par les signataires du traité de Vienne, les gouvernements intéressés à avoir la libre navigation du Rhin sont encore à attendre, quoiqu'il y ait déjà plus de quinze ans qu'on réclame. Et notez, messieurs, que la Hollande n'avait pas cet intérêt matériel de contrarier les opérations commerciales de la confédération germanique, tandis que, quant à la Belgique, elle suivra à coup sûr son ancien système, celui d'en bannir tout commerce, et de forcer les Belges à aller prendre leurs provisions dans ses greniers. Pouvons-nous, avec un aussi effrayant antécédent sous les yeux, nous reposer sur l’article 7 des préliminaires ? Je vous laisse à résoudre vous-mêmes cette question. Pour moi, ce n’en est plus une. Je crois notre commerce perdu si la rire gauche de l'Escaut nous est enlevée. Il est vrai qu'à présent on laisse passer les navires sans percevoir d'impôt, mais la Hollande, qui sait aussi que nous formons des prétentions sur la rive gauche de l'Escaut, qui est peut-être convaincue de la justice de nos réclamations, se gardera bien de montrer aucune intention hostile dans ce moment. C'est probablement un piège qu'elle nous tend pour arriver à son but de 1790 ; mais finissez-en, donnez un acte à la Hollande en adoptant les préliminaires, que notre adhésion ait amené la dissolution de la conférence, et vous verrez : droits de péage, de convoi, visites, tourmentes, tracasseries, vous avez tout à attendre.
Mais l'article premier des préliminaires va bien plus loin : il donne à la Hollande les places et territoires qui nous sont indispensables pour ouvrir des communications avec le Rhin. Venloo et Maestricht au pouvoir de la Hollande, c'est détruire tout commerce avec l'Allemagne, et vous savez de quelle importance est ce commerce. Mais, nous a dit un honorable membre, nous aurons la moitié de Maestricht, et avec cette portion, vous serez maîtres de la Meuse pour arriver au Rhin ; mais faites attention, qu'en adoptant les préliminaires, l'article 4 confère la possession provisoire de Maestricht à la Hollande, et la possession provisoire, en fait de diplomatie, est tout comme du définitif, surtout quand on a affaire à des voisins, qui, depuis des siècles, ont fait tous les sacrifices pour consolider leur commerce, et ont constamment travaillé à détruire tous les établissements qui avaient pour but d'en reporter une portion ailleurs.
On peut se passer de Maestricht et Venloo pour arriver au Rhin, et communiquer avec l'Allemagne ; on fera, dit-on, comme en Angleterre, des routes de fer. Mais sait-on bien que le terrain de la Belgique, surtout là où elles devraient passer, n'est pas aussi aisé à les pratiquer ! Oublie-t-on qu'il y a au moins dix-huit lieues à parcourir de territoire étranger, avant de venir au Rhin, je fais la même observation quant à la possession provisoire pour les enclaves : quand les échanges s'opéreront-ils ? qui oserait en prévoir le terme ? Jamais on ne nous échangera les places qui pourraient nous procurer une communication avec le Rhin. La politique commerciale hollandaise s'y oppose, et c'est tout vous dire ; nous laissera-t-on naviguer par les eaux intérieures de la Hollande pour participer à la navigation du Rhin ? L'article 7 des préliminaires laisse entrevoir la possibilité et même la probabilité de ce passage, cela formera l'objet d'une négociation séparée, les cinq puissances y prêteront leurs bons offices. Une négociation séparée ! comptez sur cette négociation séparée : quand commencera-t-elle ? quand la finirez-vous ? quelles conditions opposera-t-on au passage ? quels droits aurez-vous à payer ? Cette promesse, à mes yeux, n'est qu'une véritable attrape.
L'article 6 des préliminaires ne me satisfait en aucune manière. Il ne fixe aucun délai pour l'évacuation des places, territoires et villes : jusqu'à quand les Hollandais resteront-ils à la citadelle d'Anvers ? qui peut en assigner le terme, je le demande ? (page 488) cette odieuse occupation peut-elle se prolonger davantage ?
Moi, plus que tout autre, habitant d'Anvers, y ayant ma maison et le siège de mes affaires, je dois désirer l'évacuation de la citadelle ; mais quand cette évacuation devrait amener l'anéantissement du commerce d'Anvers, et par conséquent celui de la Belgique, puisque la prospérité de la Belgique est nécessairement liée à celle du port d'Anvers, quand cette évacuation, dis-je, devrait être l'anéantissement du commerce, je n'y souscrirais jamais. Ne croyez pas que je demande qu'on fasse une attaque contre la citadelle d'Anvers ; cette attaque, quand même elle serait heureuse, ne nous procurerait que peu ou pas d'avantages. Si nous devons en finir avec la Hollande par les armes, c'est à la frontière qu'on doit chercher les moyens de délivrer notre territoire.
L'article 11 des préliminaires serait un motif suffisant pour ne pas donner mon adhésion aux propositions de la conférence. Savez-vous, messieurs, quelle condamnation porte cet article contre la Belgique ? vous n'y avez pas réfléchi peut-être. Eh bien, il vous condamne à ne pas avoir de marine pour faire respecter notre pavillon et venger les insultes qu'on pourrait y faire. Et vis-à-vis de qui contractez-vous cette obligation ? Vis-à-vis de la Hollande, pourvue d'une marine abondante, qui ne laissera échapper aucune occasion de nous contrarier quand il s'agit de protéger son commerce. Je sais que cet article est la répétition d'un autre article du traité de Paris, mais alors il n'était pas question de faire de la Belgique un État indépendant. On méditait alors la jonction de la Belgique à quelque autre État qui eût une marine. Les préliminaires donneraient les limites de la constitution, que je ne pourrais pas les accepter, lorsque le seul port pour construire et armer une marine, pour défendre et protéger le commerce, est exclu de cette faveur. Dire que le port d'Anvers ne sera qu'un port de commerce, c'est dire : Belges, vous n'aurez pas de marine et vous serez exposés aux tracasseries, aux insultes de vos voisins, des Hollandais.
J'ai dit que le seul port où l'on peut construire et armer des vaisseaux de guerre est le port d'Anvers. Ni le port d'Ostende, ni celui de Nieuport, ni même celui de Bruges, ne sont propres à la construction ; aucun d'eux n'est à l'abri d'un coup de main ; rien de plus facile que d'incendier tout ce qu'on pourrait y construire. Construira-t-on à Boom ? oui, quelques brigantins. Mais ce n'est pas avec des bâtiments de cette dimension qu'on fera respecter ses droits ; il faut au moins pouvoir se mettre sur le même pied que ses voisins, et vous savez que la Hollande a plus que des brigantins et des canonnières à nous opposer.
Nous sommes fatigués, je le sais, nous voudrions en finir à tout prix ; mais en adhérant aux propositions de la conférence, sommes-nous sûrs d’en finir ? non, rien ne le présage. Mais pour une fin même incertaine, sacrifieriez-vous le bien le plus important du pays, le commerce qui doit en faire et assurer la prospérité ? Pour moi, jamais je ne souscrirai à un pareil abandon ; et comme l’adoption des propositions de la conférence doit amener, d'après moi, l'anéantissement du commerce, je n’y donnerai pas mon adhésion. Je vote contre les préliminaires. (M. B., 8 juill.)
M. Barthélemy – Messieurs, vous avez entendu tour à tour les orateurs les plus distingués de cette assemblée ; tous les effets de la tribune sont épuisés ; il ne me reste plus que le langage de la froide raison, de celle qui parle à l'aide de calculs.
Cinq grandes puissances nous font l'honneur de nous proposer (murmures) des préliminaires de paix. J'entendais dire hier, par l'un de nos collègues, qu'il n’y voyait pas un contrat.
Non sans doute : ce sont des points de départ pour arriver à un contrat.
Il m'avait toujours paru fort simple de s'en passer, en se contentant de reconnaître pour limites à la Belgique et à la Hollande celles qui formaient la ligne de séparation entre les provinces du Nord et les provinces du Midi.
Mais on a objecté que cette démarcation n'avait pu aujourd'hui se régler sans égard à la question de savoir si tout ce qui se trouverait de chaque côté de la ligne était véritablement belge ou hollandais ; que ce qui eût été indifférent sous la même dynastie, lorsque l'intérêt de la défense du pays était confié au même chef, cessait de l'être en le plaçant sous deux dynasties qui pouvaient devenir hostiles ; qu'il y avait alors possibilité d'attaque d'une part et nécessité de défense de l'autre ; qu'il importait donc, si l'on se séparait comme on l'a fait en 1830, que chacun connût quel était son véritable territoire antérieurement.
Il paraît qu'on pensa de prendre pour maxime la règle, que la séparation replacerait les parties dans l'état où elles se trouvaient lors de leur réunion en 1815.
Il est fort heureux pour nous que cela n’ait pas eu lieu.
On remonta plus haut et l'on nous reporta en 1790.
On dit donc, article premier, à la Hollande : (page 489) Dépossédez-vous préliminairement de tout ce que vous ne possédiez pas en 1790 ; partez de là et dans cet état, allez transiger avec les Belges.
A ceux-ci l'on dit : Prenez l'état de 1814, ajoutez-y tous les acquêts faits par la Hollande depuis 1790 jusqu'à cette époque ; plus, tout ce qui a été donné au royaume des Pays-Bas, par les traités en 1815, et voyez si vous ne pouvez pas vous entendre.
Pour savoir s'il y a intérêt et avantage à transiger dans cette situation, il faut, me semble-t-il, se donner la peine de compter ; c'est ce que j'ai fait.
Vous savez tous ce que la Hollande possédait en 1790 : que vaut cette moitié de Maestricht avec ses dépendances et Venloo, comme objets d'échange territorial ?
51,710 hectares sur lesquels il existe 9,983 maisons, avec une population de 52,000 à 56,000 habitants (le cadastre de cette province n'est pas achevé en totalité) , comme le disent les documents le plus récemment publiés.
Voyons, d'un autre côté, ce que la Hollande n'avait pas en 1790 ; deux espèces de possessions : 1° celles acquises par elle de 1790 à 1814 ; 2° celles acquises en commun pendant l'existence du royaume des Pays-Bas, particulièrement par les traités de 1815.
Quant aux premières, par un traité du 5 janvier 1800, la Hollande a acquis des possessions de l'électeur palatin, savoir : dans le Brabant septentrional, la principauté de Ravenstein, Meghen, Boxmeer et autres lieux du pays de Cuyck ; dans la Gueldre, entre les deux bras du Rhin sur lequel Arnheim ct Nimègue sont placés, Huyssen, Malbourg, Hulhuysen, Sevenaar, etc.
Ce traité est confirmé à Berlin pour la partie de la Gueldre le 14 juin 1802, et par le traité de Vienne en 1815.
Pour le Brabant septentrional, par les traités de 1802, réglant les indemnités des princes d'empire.
Tous ces pays comportent 26,000 hectares, 4,600 maisons avec 20,000 habitants.
Quant aux secondes, le royaume a encore acquis, par les traités de 1815, huit cantons cédés par la France, annexés aux provinces de Hainaut et de Namur. Je n'en présente pas la valeur, parce ce que nous ne les échangeons pas ; nous les gardons. Plus la portion du département de la Roer, ci-devant pays de Juliers, longeant la rive droite de la Meuse, depuis Sittard jusqu'à Venloo. Je n'en calcule pas la valeur parce qu'il ne nous convient pas d'échanger cette partie, nous la gardons. De plus, encore toute la partie de la Gueldre prussienne, depuis Venloo jusqu'à Mook ; cette acquisition se compose de douze communes sur un territoire de 66,000 hectares avec 4,000 maisons et 26,000 habitants. Cette partie s'étendant au delà de Venloo sur une étendue d'au moins sept lieues, n'étant susceptible d'être gardée ni défendue par nous, je la comprends dans les objets d'échange.
J'ai donc 87,600 hectares pour en balancer 51,700 ; 8,600 maisons pour en balancer 9,983.
Voilà ce que nous possédons et que nous pouvons proposer pour balancer les réclamations de la Hollande.
Je demande, d'après cela, s'il y a lieu de s'inquiéter sur la possibilité d'arriver à une délimitation définitive, sans manquer à nos devoirs envers les habitants de Venloo !
Nous sommes les maîtres de traiter de cette manière, et pas autrement, parce que nous avons une balance territoriale dont le solde en étendue est en notre faveur.
Si l'on objecte que les valeurs ne sont pas les mêmes, nous ferons ce que l'on fait dans tous les partages, nous ajouterons l'appoint pour solde, en argent.
. Si l'on objecte que Venloo est une forteresse, nous répondrons que Sevenaar est au delà de toutes les eaux qui défendent la Hollande ; qu'une position semblable, où nous pourrions nous fortifier, est tout ce qu'il y aurait de plus vulnérable pour Utrecht et Amsterdam. En effet, messieurs, c'est celle que Louis XIV occupa, lorsque après avoir tourné Maestricht, il arriva à Nimègue pour faire la conquête de la Hollande, regardée comme inattaquable partout ailleurs que sur ce point. Je le répète, nous avons droit de conserver ce qui nous convient, et la possibilité de remplir nos devoirs vis-à-vis de nos frères. (M. B., supp., 9 juill.)
M. le président – On a demandé que la séance fût continuée à demain. (Oui ! oui ! Non, non, encore un discours. Un grand nombre de membres quittent leurs places.) (E., 8 juill.)
M. Charles de Brouckere – Je demanderai, messieurs, qu'on commence demain la séance à dix heures précises ; car nous venons à midi et demi quand les séances sont indiquées pour onze heures ; nous nous séparons avant quatre heures et demie : ce ne sont pas là des séances. (Appuyé ! appuyé !) (E., 8 juill.)
- On fixe la séance de demain à dix heures. (E., 8 juill.)
La séance est levée à quatre heures et demie. (P. V.)