(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 221) (Présidence de M. de Gerlache)
Jamais le public ne s'est montré plus empressé. De bonne heure, les portes du palais National étaient assiégées par la foule. Tontes les tribunes sont encombrées de spectateurs.
La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)
M. le baron de Pélichy van Huerne – Avant d'ouvrir la séance, je demande que M. le président donne lecture des articles du règlement relatifs aux tribunes publiques. Hier, nous avons été témoins de désordre... (I., 4 juin.)
- Une voix, dans la tribune publique - L'assemblée doit donner l'exemple. (I., 4 juin.)
M. le président – Attendez la lecture du procès-verbal. (I., 4 juin.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (C., 4 juin.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit une lettre de M. Buyse-Verscheure informant l'assemblée qu'une indisposition l'empêche depuis deux jours d'assister aux séances du congrès. (P. V.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
M. Fournelle, à Mons, demande une interprétation du décret du 8 avril dernier sur l'emprunt des 12 millions.
M. Lizoir, artificier à Paris, propose de venir établir en Belgique des batteries incendiaires de son invention, pour l'attaque et la défense des places fortes.
Onze tanneurs de Gand demandent que les droits (page 222) sur les écorces de chêne exportées soient augmentés.
M. Enckhausen, d'Aix-la-Chapelle, demande des lettres de naturalisation.
Six membres de la Légion d'honneur, à Mons, demandent le payement de l'arriéré de leur traitement. (I., 4 juin, et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées aux commissions compétentes. (P. V.)
M. Alexandre Gendebien rappelle qu'une pétition a été adressée au congrès il y a déjà longtemps par des légionnaires de Mons, pour obtenir le payement de la modique pension de retraite attachée à leurs brevets. Il voudrait que le congrès considérât cette affaire comme urgente et se fît faire le plus tôt possible un rapport de la commission qui en est chargée. (E., 4 juin.)
M. Van Snick parle dans le même sens. (E.. 4 juin,)
M. Frison parle aussi dans le même sens, et fait remarquer qu'une pétition de même nature a été adressée au ministre de la guerre ; il voudrait que le ministre donnât son avis. (E., 4 juin.)
M. le ministre des affaires étrangères et de la marine transmet au congrès le budget de ces deux ministères. (P. V.)
- L'assemblée en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi à l'examen des sections. (P. V.)
M. le baron de Pélichy van Huerne renouvelle sa demande tendant à ce qu'il soit donné lecture des articles du règlement relatifs aux tribunes publiques. Je demande, ajoute-t-il, lecture de ces articles, afin qu'ils soient mis à exécution si on trouble l'ordre, d'autant plus que, d'après certains journaux, les tribunes font autorité ici. Il ne faut pas laisser croire à pareille chose. Nous sommes ici représentants de la nation, ayant le droit d'exprimer nos opinions. Elles peuvent n'être pas toutes conformes, mais il faut que nous ayons droit de les exprimer librement. (I., 4 juin.)
M. le président – Messieurs, je me suis tellement associé à la dignité, à la gloire de cette auguste assemblée, que tout ce qui pourrait les compromettre m'affligerait profondément. Si la scène qui a terminé hier cette séance devait se renouveler, je croirais que la faute doit m'en être imputée, que vous vous êtes trompés dans votre choix, et je n'hésiterais pas, soyez-en sûrs, à m'exécuter moi-même. C'est à vous, messieurs, que j'en appelle pour venir à mon aide, à vous souverains législateurs, juges et juges uniques de ce grand procès qui se plaide devant vous et dans lequel nul autre que vous n'a le droit d'intervenir, sans qu'à l'instant la nature de votre mission soit altérée et le salut public compromis. Je vous en conjure, messieurs, maintenons dans toute son intégrité la liberté de nos délibérations ; mais épargnons-nous ces mouvements, ces expressions connues d'avance, qui provoquent l'approbation ou l'improbation de ceux qui n'ont à jouer ici qu'un rôle respectueux et purement passif. Il ne vous sera pas difficile, messieurs, de vous mettre à la hauteur de votre position ; vous y avez toujours été. Terminons donc, mes chers collègues, comme nous avons commencé. Faisons tout ce qu’il est possible à la sagesse humaine de faire. Dieu fera le reste. Bannissons les personnalités et les paroles amères qui en provoquent de plus amères. Bannissons le langage des passions. Nous n’avons tous qu'un but, le salut du pays, et qu'un moyen d'y parvenir, l'union. Je ne répondrai certes pas au reproche de partialité dont on m'a accusé dans certain journal, c'est à vous seuls à me juger. Alors le public des tribunes n'aura plus le droit d’oublier ce qu'il nous doit. Au surplus, s'il est qui l'oubliaient, je dois les prévenir que des mesures efficaces ont été prises pour que leurs tentatives soient à l'instant réprimées. (I., 4 juin.)
M. de Robaulx – Je demande la parole pour répondre aux paroles de M. le président. (Non ! non ! Rumeurs.) (I., 4 juin.)
M. le président – Je n'ai rien dit de personnel à M. de Robaulx. (I., 4 juin.)
M. de Robaulx – Mes paroles ont été quelquefois suivies d'applaudissements ; quelques orateurs ont vu leurs talents accueillis par des marques d'approbation, mais je ne crois pas que personne ait calculé d'avance l'effet de ses paroles ; quant à moi, si les paroles de M. le président contenaient quelque allusion qui me fût personnelle, je proteste contre ces paroles. (I., 4 juin.)
M. le président – J'espère que l'assemblée me rendra assez de justice pour croire que je n’ai fait allusion dans les paroles que j'ai prononcées ni à M. de Robaulx ni à aucun autre membre de cette assemblée. J'ai exprimé les sentiments pénibles que m'avaient fait éprouver les désordres (page 223) d’hier, et j'ai dit ce que je pensais qu'il fallait faire pour les éviter. (Assentiment.) (I., 4 juin.)
La discussion est reprise sur l'article 2 du projet de la section centrale relatif à un nouveau plan de négociation ; cet article est ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à ouvrir des négociations pour terminer toutes les questions territoriales au moyen de sacrifices pécuniaires, et à faire des offres formelles dans ce sens. » (P. V., et A. C.)
M. le président donne lecture d'une proposition faite à la fin de la séance dernière par M. Charles Rogier, qui demande la division du projet, en ce sens que l'article premier déjà adopté formerait un décret séparé, et que les trois autres articles formeraient un second décret. (I., 4 juin.)
M. le baron Beyts – M. Rogier perd de vue que plusieurs députés n'ont voté pour l'article premier que parce qu'il aplanissait la voie à un candidat qui négocierait plus avantageusement que tout autre, persuadés que son élection serait un gage de paix donné à la conférence. (J. B., 4 juin.)
M. d’Elhoungne combat la proposition de M. Rogier. (I., 4 juin.)
M. Pirson appuie cette proposition. (I., 3 juin.) .
M. Trentesaux – C'est lorsque nous aurons voté sur les articles que nous déciderons s'ils doivent être séparés de la disposition qui concerne l’élection. (J. B., 4 juin.)
M. Charles Rogier retire se proposition. (P. V.)
M. Alexandre Gendebien – Messieurs, je pense qu'il n'est pas inutile de vous donner lecture de l'article 2 qui est en discussion. Voici comment il est conçu : « Le gouvernement est autorisé à ouvrir des négociations pour terminer toutes les questions territoriales, au moyen de sacrifices pécuniaires, et à faire des offres formelles dans ce sens. » Hier, messieurs, en discutant cet article, je le considérais comme inutile et comme ayant pour but d'accorder un bill d'indemnité au ministère. La connaissance du protocole n°24 vous prouvera que j'avais raison ; que ce n’était pas un bill d'indemnité pour l'avenir, mais pour le passé. Ce protocole est du 21 mai 1831. C’est le procès-verbal tenu par la conférence de Londres au sujet des communications qui lui sont faites par lord Ponsonby, lequel a quitté Bruxelles après avoir reçu le protocole n° 23, et s'être chargé, comme le dit la note du général Belliard, de faire des propositions sur le duché de Luxembourg.
L'orateur donne lecture de cette note :
« Le général Belliard est heureux de pouvoir annoncer à M. le ministre des relations extérieures de la Belgique qu'il reçoit avis de son gouvernement que les propositions remises par lord Ponsonby ont été accueillies par la conférence de Londres, qui va ouvrir une négociation pour faire obtenir à la Belgique la cession du duché de Luxembourg, moyennant une indemnité.
« La Belgique verra sans doute dans cette résolution de la conférence une nouvelle preuve des dispositions bienveillantes des grandes puissances à son égard, et elle s'empressera sans doute d'y répondre en faisant connaître promptement, et d'une manière nette et conciliante, ses intentions relativement à l'indemnité, au moyen de laquelle elle doit désirer de s'assurer la possession du Luxembourg.
« Le général Belliard saisit avec empressement cette occasion d'assurer M. le ministre des relations extérieures de sa haute considération. »
Quand nous reçûmes communication de cette note, nous demandâmes de quelle nature étaient ces propositions, au nom de qui les faisait lord Ponsonby et qui devait en être responsable. On a refusé de nous répondre, ou plutôt on nous a dit qu'on n'avait chargé lord Ponsonby de rien.
Le protocole n" 24 est une pièce essentielle à lire, car elle nous révèle les démarches faites par lord Ponsonby et au nom de qui il les a faites.
Voici les termes de ce protocole :
« Lord Ponsonby ayant, après la réception du protocole n° 23, jugé de son devoir d'exposer en personne à la conférence l'état des choses en Belgique, a été entendu par les plénipotentiaires des cinq cours.
« Considérant qu'il résulte des renseignements donnés par lord Ponsonby :
« 1° Que l'adhésion du congrès belge aux bases de séparation de la Belgique d'avec la Hollande serait essentiellement facilitée, si les cinq cours consentaient à appuyer la Belgique dans son désir d'obtenir à titre onéreux l'acquisition du grand-duché de Luxembourg ;
« 2° Que le choix d'un souverain étant devenu indispensable pour arriver à des arrangements définitifs, le meilleur moyen d'atteindre le but (page 224) proposé serait d'aplanir les difficultés qui entraveraient l'acceptation de la souveraineté de la Belgique par le prince Léopold de Saxe-Cobourg, dans le cas où, comme tout autorise à le croire, cette souveraineté lui serait offerte ;
« Les plénipotentiaires sont convenus d'inviter lord Ponsonby à retourner à Bruxelles, et de l'autoriser à y déclarer :
« 1° Que les cinq puissances ne sauraient tarder plus longtemps à demander au gouvernement belge son adhésion aux bases destinées à établir la séparation de la Belgique d'avec la Hollande, bases auxquelles S. M. le roi des Pays-Bas a déjà adhéré ;
« 2° Qu'ayant égard au vœu énoncé par le gouvernement belge, de faire, à titre onéreux, l'acquisition du grand-duché de Luxembourg, les cinq puissances promettent d'entamer, avec le roi des Pays-Bas, une négociation dont le but sera d'assurer, s'il est possible, à la Belgique, moyennant de justes compensations, la possession de ce pays, qui conserverait ses rapports actuels avec la confédération germanique ;
« 3° Qu'aussitôt après avoir obtenu l'adhésion du gouvernement belge aux bases de séparation, les cinq puissances porteraient à la connaissance de la confédération germanique cette adhésion, ainsi que l'engagement pris de leur part d'ouvrir une négociation à l'effet d'assurer à la Belgique, s'il est possible, moyennant de justes compensations, la possession du grand-duché de Luxembourg ; les cinq puissances inviteraient en même temps la confédération germanique à suspendre, pendant le cours de cette négociation, la mise à exécution des mesures arrêtées pour l'occupation militaire du Grand-Duché ;
« 4° Que lorsque le gouvernement belge aurait donné son adhésion aux bases de séparation, et que les difficultés relatives à la souveraineté de la Belgique se trouveraient aplanies, les négociations nécessaires pour mettre ces bases à exécution seraient aussitôt ouvertes avec le souverain de la Belgique et sous les auspices des cinq puissances ;
« 5° Enfin que, si cette adhésion n'était pas donnée au 1er juin, lord Ponsonby, de concert avec le général Belliard, aurait à exécuter les instructions consignées dans le protocole n° 23, du 10 mai, et à faire connaître au gouvernement belge les déterminations que les cinq cours ont arrêtées, pour ce cas, par ledit protocole. »
Messieurs, il suffit de lire cette pièce pour en saisir l'esprit et pour savoir quelle sera la ligne de conduite que nous devrons suivre. Je dis que l'article 2 est un bill d'indemnité, l'article 4 du protocole dit que ce bill était pour le passe. Le gouvernement belge, y dit-on, a émis le vœu de s'assurer la possession du Luxembourg à titre onéreux ; maintenant on vous demande l'autorisation de négocier pour cela. Il résulte certes des mots du protocole que c'est le gouvernement qui a émis le vœu d'acheter le Luxembourg ; cela vous explique comment lord Ponsonby a pu en faire la proposition à la conférence de Londres. J'espère qu'on nous donnera à cet égard des explications catégoriques. Si on a besoin d'un bill d'indemnité, qu'on le dise franchement. Nous discuterons ce bill, mais qu'on ne vienne pas nous demander l'autorisation de faire ce qu'on a déjà fait, c’est-à-dire de proposer d'acquérir le Luxembourg en cédant le Limbourg, ou du moins d'acquérir ces provinces à prix d'argent, propositions au moyen desquelles on veut s'assurer, dans le congrès, d'une majorité qui ne se trouve aujourd'hui si considérable que par des menées antérieures. (Violents murmures.) Messieurs, vous me répondrez si vous voulez ; ne m'interrompez pas. Il faut, messieurs, qu'on pose les questions d'une manière nette. On vous propose aujourd'hui d'élire le prince de Saxe-Cobourg, et en même temps on vous demande d'autoriser le gouvernement à commencer des négociations, et lorsque deux ou trois mois se seront écoulés en négociations, on viendra vous demander si vous voulez acquérir le Luxembourg par le lâche abandon du Limbourg. Qu'on pose franchement les questions, je ne reculerai pas devant la solution. Qu'on le dise ! veut-on l'adhésion aux protocoles ? La nation répondra non. Voulez-vous acheter le Luxembourg en abandonnant le Limbourg ? La nation répondra non. Moi, représentant de la nation, je dirai non. Qu'on s'explique toutefois et qu'on ne nous traîne pas dans des négociations sans issue, je ne dis pas possible, mais pas même probable ! (I., 4 juin, et A. C.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, le ministère ne demande pas de bill d'indemnité, résultant de l'admission de l'article 2. Mais si le ministère a besoin d'un bill d'indemnité et si on ne le reconnaît, il en résulte que le ministère n'a pas le droit de faire les propositions de l'article 2. En effet, il a le droit ou il ne l’a pas. Si c'est son droit,. il n'a pas besoin d'un bill d'indemnité, il n'aura besoin que de rendre compte de ses négociations. Si ce n'est pas son droit, il faut que vous le lui donniez d'une manière (page 225) spéciale. Et quand le ministère vous demande l'autorisation spéciale de négocier, il ne demande pas un bill d'indemnité, mais que vous lui donniez des attributions qui sont en dehors de celles du pouvoir exécutif.
Mais, dit-on, le gouvernement n'a pas attendu jusqu'à ce jour pour négocier. Je puis le dire, messieurs, jamais le ministère n'a fait d'offres pour l’acquisition du Luxembourg. Mais dans le passé il se pourrait qu'on eût exprimé le vœu de s'assurer le Limbourg par des sacrifices. J'ai même la preuve que le gouvernement provisoire a émis formellement ce vœu. Je trouve cette preuve dans une pièce communiquée au congrès national et imprimée par ses ordres ; et remarquez que je n'en fait pas un reproche au gouvernement provisoire dont le préopinant faisait partie. Voici donc ce qui a été écrit, non pas sous le ministère, mais sous le gouvernement provisoire. « Il est indispensable que le gouvernement se prépare, le plus tôt possible, à traiter la question de la dette et des colonies, non pour conclure avec la Hollande, mais afin d'être à même de discuter quelle serait la portion de la dette que la Belgique accepterait, et d'offrir même aussi des indemnités pécuniaires pour la Flandre, Maestricht et ses enclaves, et le Luxembourg, territoires que nous n'acquerrons point sans sacrifices, et pour la possession desquels nous n'avons pas de compensations territoriales à offrir. » (Lettre du 10 janvier 1831, adressée par M. Van de Weyer à M. le comte de Celles, vice-président du comité diplomatique)
Vous voyez, messieurs, que le vœu est ici formellement exprimé d'obtenir la possession paisible du Luxembourg au moyen de sacrifices, et cette pièce connue de tous a pu très bien suffire pour autoriser lord Ponsonby à dire que le gouvernement belge désirait acquérir la possession du Luxembourg. Le ministère n'a pas fait cette proposition, il n'en a pas même exprimé le vœu. Ceux qui auraient pu en parler, ce sont les commissaires envoyés à Londres ; eh bien, je les adjure de dire si je leur ai donné de telles instructions, et si leur mission ne s'est pas bornée à pressentir le prince sur l'acceptation du trône s'il lui était offert. Puisqu'on semble nous faire un reproche du passé, bien que nous n'ayons rien fait, c’est une raison de plus de lui donner aujourd'hui le droit de faire les négociations voulues par l'article 2 ; sans cela, messieurs, le ministère restera inactif, et il ne fera pas d'offre, parce qu'il n'en a pas le droit, à moins que vous ne le lui confériez par une disposition particulière. (I., 4 juin.)
M. Alexandre Gendebien – Je demande la parole pour un fait personnel. (I., 4 juin.)
M. Charles Rogier – On n'a rien dit de personnel contre M. Gendebien, et je ferai remarquer que toute la séance d'hier s'est passée en explications étrangères à l'objet à l'ordre du jour. (I., 4 juin.)
M. de Robaulx – M. Lebeau a dit que l'honorable préopinant était membre du gouvernement provisoire ; c'était donc un fait personnel. M. Gendebien a donc le droit de répondre. (I., 4 juin.)
- L'assemblée décide que M. Gendebien sera entendu. (I., 4 juin.)
M. Alexandre Gendebien – On vous a dit, messieurs, qu'on avait la preuve que le gouvernement provisoire avait émis le vœu d'acheter le Luxembourg, et on l'établit par une lettre que M. Van de Weyer écrivait étant à Londres ; mais que dit cette lettre ? que nous ne pourrons pas obtenir le Luxembourg sans sacrifices, et il était entendu des sacrifices pécuniaires, car nous étions bien décidés à maintenir l'intégrité du territoire : aussi M. Van de Weyer vous le dit-il expressément, en écrivant que nous n'avons pas de compensation territoriale à offrir. Du reste, la lettre de M. Van de Weyer n'exprime que son opinion, et rien ne prouve que le gouvernement provisoire l'ait partagée ; pour le prouver il faudrait rapporter la réponse du gouvernement provisoire à M. Van de Weyer, ce dont je vous défie. (I., 4 juin.)
M. le comte Félix de Mérode – Comme député à Londres, je dois dire que, si nous avons parlé d'indemnité, ce n'a été que d'indemnité pécuniaire ; quant à faire un échange entre le Limbourg et le Luxembourg, nous avons dit que nous n'y consentirions jamais. Maintenant je vais parler sur l'article 2.
J'appuierai, messieurs, l'article 2 du décret qui nous est proposé par la section centrale, et le décret dans son ensemble, parce que je le crois utile dans le but d'obtenir la paix, comme préalable pour tenter les chances de la guerre. N'oublions pas qu'avant tout nous devons conserver le bon droit de notre côté ; nous réserver, comme notre plus puissant auxiliaire, cette force morale que personne n'attaque impunément. Or, il est certain que si nous faisons les offres les plus conciliantes possible à la conférence, et que ces offres soient appuyées par l'élection d'un prince dont aucune puissance n'ait lieu de craindre l'influence hostile, nous constituerons cette conférence en demeure, et, dussions-nous en définitive exposer le pays aux désastres qu'entraîne la guerre, nous (page 226) aurons du moins prouvé au monde que ce n'était pas sans avoir essayé tous les moyens de conjurer les malheurs d'une triste collision. Les deuxième et troisième articles du projet de la section centrale me paraissent très propres à satisfaire toutes les exigences tolérables de la conférence, et si je me permets de parler d'avance du troisième article, c'est que j'y trouve une connexité très avantageuse avec le second ; par celui-ci nous abandonnons de l'argent à la Hollande, qui en a grand besoin, pour avoir des hommes, dont elle n'a que faire, puisqu'ils ont pour elle une invincible répugnance ; et pourquoi ? parce que ces mêmes hommes, nos véritables compatriotes, sont à nous depuis trente-cinq ans, ayant fait partie des ci-devant départements français pendant vingt années, et pendant quinze autres des provinces méridionales des Pays-Bas, sous le titre de Belges, qui leur était donné et par les Hollandais et par le roi Guillaume lui-même.
Le troisième article, et je demande la permission d'en dire un mot très brièvement, attendu qu'il se lie au premier dans mon opinion, laisse à la Hollande et à l'Allemagne toutes les garanties désirables par la possession plus ou moins longue des murailles de Maestricht, remises à une garnison germanique. Les gouvernements jusqu'ici ont beaucoup compté sur les bastions et les remparts. En nous montrant faciles sur ce point, nous leur prouverons que les sentiments d'honneur, de fraternité, d'humanité, dirigent particulièrement nos efforts pour conserver l'intégrité des limites fixées, non par nous-mêmes, mais par la grande division des provinces méridionales et septentrionales du ci-devant royaume des Pays-Bas. Joignez à ces concessions simultanées l'élection du prince Léopold de Saxe-Cobourg, et vous aurez un ensemble de nature à agir fortement sur cette conférence composée d'hommes dont l'esprit, après tout, n'est point inaccessible aux impressions qui frappent vivement l'attention publique. Et croyez-vous que l'opinion du peuple anglais demeure sans influence sur son ministère lorsque vous aurez pris les résolutions qu'on vous propose ? Croyez-vous qu'il trouve bon que le ministère expose légèrement nos provinces à une nouvelle réunion à la France, parce qu'au lieu de créer une Belgique bien constituée, fière, satisfaite d'elle-même, animée par un véritable esprit national, il aura paralysé son énergie, étouffé son enthousiasme, fait pâlir son drapeau patriotique à côté des couleurs d'une grande nation voisine ? Non, messieurs, je ne puis me persuader facilement que leurs yeux restent toujours fermés à la lumière, lorsqu'elle se montrera plus vive que jamais dans la première ville du monde.
Et la probabilité de ce que j'avance ne se tire-t-elle pas de la conduite même de lord Ponsonby. ? Placé sur les lieux, il a enfin compris, depuis quelque temps, le système qui convenait à l'Angleterre et à l'Europe concernant la Belgique, système qui consiste à assurer son indépendance d'une manière stable et complète, système qu’il est impossible de méconnaître lorsqu'on a séjourné quelque temps parmi nous. Lord Ponsonby qui, je suis porté à le croire, avait d'abord pensé à une restauration de la maison de Nassau, a fini par se convaincre qu'il devait tendre à un autre but ; il a embrassé notre cause, non par sympathie, mais pour remplir son devoir comme agent éclairé de l'Angleterre ; il a vu que la Belgique, gouvernée par cette famille, ou mal limitée, ne promettait point d'avenir, et s'il n'a pas encore obtenu de la conférence des résolutions conformes à ses lumières personnelles, c'est qu'une conférence de diplomates, dont les cours sont placées à des centaines de lieues du centre de la réunion, est aussi difficile à mouvoir qu'un congrès national auquel il faut faire prendre une grande résolution politique.
Dans des conversations particulières, j'ai reçu de quelques membres de cette assemblée que j'honore particulièrement, le reproche d'avoir voté contre un terme imposé à l'acceptation du prince ; on m'a dit que les partisans les plus prononcés éloignent ainsi de leurs rangs des hommes qui voulaient une fin à nos affaires. Eh ! messieurs, qui plus que moi soupire après cette fin si désirable ? Depuis huit mois, je ne vis plus pour moi-même ; j'ai abandonné mon domicile ordinaire, ma famille, tous mes intérêts, pour ne m'occuper que des affaires de mon pays ; j'y ai sacrifié toute mon existence ; j'ai négligé mes devoirs de père pour remplir ceux de citoyen, et je n'ai refusé aucune démarche pénible : croyez-vous que ce soit sans répugnance et sans détriment, que mes collègues et moi nous ayons rempli à Londres notre dernière mission ? Et cependant lorsque nous cherchons à en recueillir les fruits, lorsque nous essayons de faire prévaloir la conduite sage et prudente qui convient à un peuple qui ne compte pas quatre millions d'individus resserrés, menacés par les grandes puissances de l'Europe ; lorsque nous ne voulons pas qu'on nous ridiculise en parodiant, en Belgique, la convention nationale de France appuyée par trente millions d'hommes ; on nous accuse, et malgré l'habileté avec laquelle on a su coudre une phrase incidente à une autre (page 227) phrase, je le répète sans récrimination, on nous accuse d'avoir laissé refroidir notre patriotisme. Non, messieurs, ce patriotisme est toujours le même, et c'est parce qu'il n'a pas changé, parce qu’il sent vivement les besoins du pays, qu'il apprécie sa situation, qu'il oppose tous ses efforts à des résolutions dont le résultat ne saurait se prévoir.
Et quels moyens emploie-t-on contre une majorité qui comprend cette situation ? Des appels nominaux ridiculement multipliés ; le mépris qu’on essaye de déverser sur la représentation nationale, parce qu'elle n'est pas enthousiaste de sièges et de combats, parce qu'elle craint de causer la ruine de l'habitant des chaumières, comme du propriétaire plus aisé ; parce qu'elle recule devant les désastres qui de nouveau pourraient frapper la première ville commerciale du pays ; parce qu'elle ne veut pas exposer légèrement la province du Limbourg aux malheurs qui la désoleraient, si elle supportait l'invasion militaire des Belges, des Hollandais et de ceux qui viendraient leur secours. Oui, messieurs, c'est plus particulièrement encore comme député du Limbourg que j'appuie l'article 2 du projet de décret proposé par la section centrale. En le combinant avec l’élection du prince de Saxe-Cobourg, c'est comme député de cette province, plus exposée que toute autre aux fâcheux résultats de la guerre, après laquelle elle serait peut-être livrée pieds et poings liés, et couverte de ruines et de misère, à la Hollande, que j'émets l'opinion que je viens d’énoncer.
En finissant, je dirai franchement ma pensée sur la manière de terminer nos difficultés avec la conférence de Londres, dans le cas où elle refuserait nos offres de conciliation après l'élection du prince de Saxe-Cobourg ; je dirai publiquement, comme je l'ai dit ailleurs en particulier, que personnellement je suis partisan de la réunion à la France : il m'est pénible de travailler contre les réunionistes, car un Français ne sera jamais pour moi un étranger ; mais, député au congrès belge, j’ai suivi la volonté la plus générale de mes commettants, et j'ai embrassé vivement comme un devoir la cause du prince Léopold.
Cependant, messieurs, si nous sommes forcés d’adopter le parti de la guerre, ne voulant point de système bâtard, de guerre de pygmées qui nous conduirait à l'envahissement du Midi ou du Nord, je conseillerais hautement à nos compatriotes de déclarer à la conférence que, si elle persiste à nous traiter comme elle l'a fait jusqu'ici, nous élèverons sur tous nos clochers le drapeau tricolore français, qui peut encore remuer l'Europe jusque dans ses fondements. C'est en vain que Louis-Philippe refuserait de nous reconnaitre, 35 millions d'hommes réunis prouveraient alors aux diplomates ébahis que l'on ne se joue point impunément au XIXème siècle de l'honneur et de la liberté des nations. (Ce discours est accueilli par les bravos de l'assemblée.) (I., 4 juin.)
M. le président – Messieurs, je vous en prie, pas de signes d'approbation ; nous sommes convenus de cela dès le commencement de la séance. Je rappellerai à l'assemblée qu'il y a sur l'article un amendement de M. d'Elhoungne. Cet amendement tend à la suppression de cet article et à autoriser le gouvernement à négocier en lui envoyant un message. (I., 4 juin.)
M. Jottrand combat l'article 2 et fait remarquer que le préopinant est déjà revenu à l'idée que la guerre pouvait devenir possible, si on insistait pour nous faire accepter les protocoles, après avoir, il y a quelques jours, parlé à peu près dans le sens de l'acceptation de ces protocoles. L'orateur rend justice à la bonne foi montrée par le préopinant dans le premier comme dans le second cas. Il diffère seulement d'avis avec lui sur les moyens à employer contre les alliés s'il fallait en venir aux extrémités. Jamais le peuple belge ne doit abandonner son drapeau. C'est sous ce drapeau que désormais il combattra le mieux. (I., 4 juin.)
M. le comte Félix de Mérode – Je n'ai pas dit que je voulais les limites de 1790 ; j'ai dit que c'était l'opinion de la conférence. (I.,4 juin.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt vote en faveur de l'article 2 ; c'est selon lui le moyen d'arriver à un heureux dénouement et d'obtenir une réponse catégorique de la part de la conférence : si les négociations échouaient et que plus tard il fallût se décider à la guerre, la nation ne l'entreprendrait qu'avec plus d'ardeur et d'énergie. (I., 4 juin.)
M. Alexandre Gendebien cède la parole à M. Van de Weyer. (I., 4 juin.)
M. Van de Weyer – Messieurs, je viens maintenir, non pas la rédaction de l'article, mais la proposition de M. d'Elhoungne, parce que le gouvernement doit être mis dans la position de conclure par des indemnités pécuniaires, des traités sur les questions territoriales, et je serai par là conséquent avec ce que j'écrivais de Londres, non pas comme on vous l'a dit au gouvernement provisoire, mais à un membre du comité diplomatique. On vous a lu cette lettre, elle accompagnait deux (page 228) notes verbales, l'une sur l'armistice, l'autre sur les limites, notes que j'envoyais au gouvernement provisoire, et je déclare que lorsque je vis cette lettre imprimée dans les journaux, j'éprouvai un vif chagrin, car c'était publier une pensée qui devait rester enfermée dans le sein du comité diplomatique. La conférence en effet, voyant que je conseillais de faire des sacrifices pécuniaires, ne s'est pas montrée disposée à céder comme elle l'aurait fait peut-être sans cela. Je regardai donc la publication de cette lettre comme intempestive. Du reste, elle ne prouve pas que nous ayons fait de proposition d'indemnité quelconque, elle prouve au contraire que nous étions sans instruction à cet égard.
Voyons maintenant l'article 2. La communication des protocoles ne change rien à mon opinion sur cet article ; du reste la communication n'a pas été, j'ai lieu de le croire, faite officiellement au ministère ; et l'eût-elle été, je déclare que je ne consentirai jamais au démembrement de la Belgique : cette opinion, je l'ai toujours manifestée comme député, comme envoyé à Londres ou à Paris, comme membre du gouvernement provisoire, comme président du comité diplomatique ; car je sais que le territoire, tel qu'il est défini dans la constitution, appartient bien à la Belgique. Mais quand je mets en balance d'un côté les sacrifices et le résultat d'une guerre qui, en supposant qu'elle fût heureuse, nous amènerait, quoi ? des négociations, car il faut toujours négocier après une guerre pour conserver ce qu'on a conquis ; quand, dis-je, je mets dans la balance les sacrifices qu'exigerait une guerre et ceux que nous serons obligés de faire pour obtenir nos limites, je ne balancerai pas un instant : mais je veux que les négociations soient faites sans délai, et que tout le temps qui s'écoulera tandis qu'elles auront lieu soit employé d'une manière telle, que la conférence soit bien convaincue qu'en cas de refus nous acquerrons à la pointe de l'épée les pays qu'on nous aura déniés. Je crois que, lorsque la conférence nous verra fermes et inébranlables, elle se rendra à nos justes réclamations ; je le crois par le désir qui se manifeste par des traités que l'on cherche à conclure pour un désarmement général, et par la certitude que les puissances ne voudront pas amener une conflagration universelle pour quelques villages et pour deux villes.. Si j'étais trompé dans mes prévisions, alors, messieurs, ce n'est pas sur nous que tomberaient les reproches, c'est sur les puissances. La postérité pourrait leur dire un jour : Vous pouviez conserver la paix par une transaction équitable, et pour deux villes et quelques villages vous avez versé des flots de sang humain. Voilà, messieurs, dans quelle position nous plaçons la conférence. Et puisqu'on qu’on a parlé de protocoles, contre lesquels je proteste aujourd'hui aussi énergiquement que jamais, de ce qu’on ne les a pas notifiés au jour fixé par la conférence, c'est pour moi non une certitude, mais un juste motif d'espérer que la conférence reviendra sur sa décision. Il faudrait aujourd'hui, pour qu’elle nous les fît communiquer, qu'elle fît un nouveau protocole pour fixer une nouvelle date. Du reste, comment ces protocoles nous sont-ils parvenu ? ils ont été imprimés par un journal connu par ses dispositions hostiles à la cause nationale.
- Plusieurs voix. - Le Lynx ! le Lynx !
M. Van de Weyer – Je ne nomme pas le journal, mais l'impression a eu lieu hier à deux heures, et l'opportunité de cette publication nous décèle assez quel était son but et quels en peuvent être les instigateurs. Ces protocoles, quoique publiés, sont pour nous comme non avenus, la publication ne change rien à notre position ; ils ne sont pas pour nous plus que le protocole du 20 janvier. Il est opportun, dirai-je en terminant, de signifier notre ultimatum à la conférence, et à cet égard, je reviendrai sur une opinion émise hier, lorsque vous avez décidé qu'il n'y aurait pas de fixation de délai pour l'acceptation. Bientôt un de mes honorables collègues vous fera la proposition de fixer un délai, afin que toute incertitude cesse. Nous voulons non pas faire la guerre, mais que les négociations ne traînent pas en longueur. Je demande donc que l'assemblée revienne sur sa décision, et je pense que le terme doit être le plus court possible. (I., 4 juin.)
M. le comte d’Arschot – J'aurai peu de chose à dire, messieurs, après les observations lumineuses de mon honorable ami M. Van de Weyer. Si je croyais que les négociations n'amenassent aucun résultat, je serais le premier à y renoncer. Mais je n'ai pas perdu l'espérance dans l'avenir, et fût-elle encore plus légère, je croirais ne pas devoir l'abandonner, plutôt que de jeter tout d’un coup mon pays dans les horreurs de la guerre. Pendant mon séjour à Londres, j'eus l'occasion de parler de la question du Luxembourg et je demandai que la conférence y fît renoncer la Hollande moyennant une indemnité pécuniaire. La veille de mon départ de Londres, il en fut question encore, et l'on repoussa cette idée de la manière la plus énergique. Aujourd'hui vous voyez qu'on parle de nous l'accorder moyennant des compensations. Je n'expliquerai pas, messieurs, dans quel sens on (page 229) entend ce mot ; pour moi les mots à titre onéreux ne signifient qu'indemnités pécuniaires, et non de territoire. Quant à la nécessité des négociations, cette nécessité reste même après la victoire, car la victoire comme la révolution n'est qu'un fait qui doit être sanctionné par les nations avec lesquelles on est obligé d'être en contact. Nous devons être ménagers du sang de nos concitoyens. La guerre est une funeste extrémité à laquelle il faut se résoudre le plus tard possible. Nos ennemis sont malheureusement assez près de nous pour que, si la guerre devient nécessaire, les hostilités puissent être reprises du soir au matin. Messieurs, on a beaucoup parlé de mystification. Ce mot a été souvent répété dans cette enceinte. Depuis quelque temps, il est apparu au milieu de nous comme la tête de Méduse. Le mot pouvait être piquant la première fois qu'il a été prononcé ; aujourd'hui il est usé et ne peut être que ridicule d'ailleurs. Messieurs, on ne parviendra jamais à ridiculiser la diplomatie, corps respectable et nécessaire, car elle est le seul lien qui existe entre les rois comme entre les nations. (I., 4 juin.)
M. Jaminé – Je voterai contre l'article en discussion. Quand un représentant de la nation abandonne le système qu'il avait suivi, il est nécessaire qu'il s'explique. Quelque bonnes que fussent les raisons que produisaient les adversaires du projet, je me plaisais, je l'avoue, à caresser l’idée que le prince Léopold serait pour nous un gage de paix, un abri contre les empiétements de la conférence.
Le bandeau que j'avais sur les yeux est tombé devant les protocoles, devant l'embarras de nos ministres, devant leur entêtement à ne pas définir un délai pour le terme des négociations.
En contestera-t-on l'authenticité ? Prétendra-t-on qu'il n'y a pas communication officielle ? Mais ils existent ; la lettre de lord Ponsonby en est un résumé trop fidèle ; et d'ailleurs il n’est donné à personne au monde d'imiter le style de la conférence. (Murmures d'approbation.)
Dès qu'ils existent, il est constant pour moi qu’on n'y renoncera pas. Mais on attendra l'élection du roi et la réunion de chambres nouvelles pour consommer un acte de déshonneur et d'infamie. (Adhésion.)
Messieurs, qui a donné aux provinces belges le droit à l'indépendance ? L'insurrection, la révolution. Eh bien, le Limbourg, comme le reste de la Belgique, a chassé les Hollandais. Excepté la malheureuse ville de Maestricht, le Limbourg comme toute la Belgique, a fait sa révolution. Le Limbourg a ici ses représentants. N'a-t-il pas un droit égal à l'indépendance !
Je dois répondre à un de nos collègues du Luxembourg (M. Nothomb) qui veut la continuation des négociations. Il dit : On nous cède le Luxembourg pour de l'argent, donc on nous cédera le Limbourg aux mêmes conditions.
Je me suis donné la peine d'étudier les pièces diplomatiques, et nulle part je ne vois rien qui me fasse partager son assurance pour le Luxembourg.
Dans un protocole, je lis qu'on ouvrira des négociations ; dans un autre qu'on tâchera de faire accepter des compensations. Mais rien de positif.
Quant à Maestricht, j'y suis né ; j'y ai été dernièrement enfermé pendant quatre mois, assez longtemps pour pouvoir juger des intentions des Hollandais. Eh bien, jamais la Hollande ne cédera Maestricht volontairement, parce que la perte de cette place portera un coup mortel à son commerce.
L'orateur examine ensuite la question du canal, qui le conduit à une conclusion semblable.
Mais, ajoute-t-il, laissez-moi jeter un coup d'œil sur d'autres intérêts. D'autres puissances que la Hollande attachent de l'intérêt à ce que cette forteresse demeure entre les mains de la Prusse, on en sent le motif. Et pour la Belgique, la possession de Maestricht est vitale. Nous sommes garantis sur la Meuse par Namur, Huy, Liége. Mais à quoi nous servent ces places sans Maestricht, qui est à vingt lieues de Bruxelles et par laquelle les Prussiens peuvent aider les Hollandais à entrer à Bruxelles dans deux jours. (Écoutez.) .
Ceci dit, je reviens aux négociations. Quand finiront-elles ? osera-t-on me dire le 20 juin ? Mais pendant six mois d'abord, pendant deux mois ensuite, ni le gouvernement provisoire, ni les ministres actuels n'ont rien fait. Ferez-vous donc, d'ici au 20 juin, ce que huit mois ne vous ont pas suffi à faire. Et encore il y a quelque temps on pouvait croire que l'état de l'Europe pousserait la diplomatie à quelques concessions ; mais maintenant, la Sainte-Alliance est reconstruite, vous êtes enlacés dans ses filets, vous ne ferez rien le 20 juin.
On viendra vous faire un rapport, on vous donnera une seconde représentation de notre comité général de l'autre jour, et on vous demandera de continuer les négociations. (Applaudissements.)
Hier, je reculais devant la guerre, aujourd'hui, je l'invoque presque comme un bienfait.
On nous dit que, même après la guerre, même après une guerre heureuse, il faudra toujours en (page 230) venir aux négociations. C'est vrai ; mais alors elles seront d'une autre nature ; mais alors, Anvers, Maestricht seront libres. Et vous négocierez six mois, un an, si tel est votre plaisir. (Bravo, bravo !)
Jusqu'à présent nous avons été dupes d'un leurre ; aujourd'hui, mes collègues et moi, qui tenons à honneur de représenter nos compatriotes, nous ne voulons pas qu'ils soient trompés plus longtemps.
On nous dit que nous pouvons être replacés en cas de revers sous le joug des Hollandais. Messieurs, quant à moi, ma résolution est prise ; je suivrai le sort de la Belgique, heureuse ou malheureuse. En déplorant le sort de mes concitoyens, je viendrai me réfugier au milieu de vous, parce que j'ai la confiance que vous ne me repousserez pas de votre sein.
L'orateur termine en disant que s'il faut succomber, il aime mieux périr violemment et tout d'un coup que de mourir à petit feu. (Bravos prolongés.) (E. et I., 4 juin.)
M. Barthélemy, ministre de la justice – J'ai entendu parler des protocoles, mais, parole d'honneur ! je ne les ai pas lus. (On rit.) Je sais seulement que nous avons des difficultés pour nos limites. Qu'est-ce que la Belgique ? existe-t-il un pays sous le nom de Belgique ? L'orateur examine la carte des anciennes principautés des Pays-Bas. Ainsi, dit-il, tout ce que nous devons examiner, c'est la limite du pays lors de notre séparation avec la Hollande. C'est l'ancienne limite des provinces méridionales que nous devons examiner. Car ces limites ont été reconnues par la Hollande elle-même lorsque les États-Généraux n'ont plus admis les députés des provinces méridionales.
L'orateur entre dans une longue discussion sur les limites des divers départements belges et hollandais et lit de longs extraits des procès-verbaux des députés commissaires réunis en 1814 à cet effet. Il conclut par dire que si l'on doit faire la guerre ou négocier, il préfère ce dernier moyen, et que le plus habile négociateur c'est le prince de Saxe-Cobourg, puisque ce prince est vu avec bienveillance par toutes les puissances. (C. M., 4 juin.)
M. le baron de Leuze – Un spectacle, une chose bien remarquable chez un peuple bon et paisible, c'est de voir un nouveau ministère reprocher à l'ancien de n'avoir pas fait la guerre, et celui-ci l'accuser de vouloir faire la paix. (Hilarité.) Quelle est donc cette fureur ? (On rit.) Moi qui ne la partage pas, je demande la paix ; je la demande à tout prix, moins l'honneur. Mais la Belgique ne sera pas plus déshonorée pour avoir abandonné Venloo…(Violents murmures, interruption) ; la Belgique ne sera pas plus déshonorée pour avoir abandonné Venloo que la France pour avoir abandonné la Belgique, l'Angleterre pour avoir abandonné la France, ou Rome pour n’être plus la maîtresse de l'univers. (Nouvelle hilarité.) L'honneur ! qu'est- ce que l'honneur ? (On rit.) Celui d'un particulier est de savoir se battre et d’être honnête homme. Celui des dames est d'être fidèles à leurs maris. (Hilarité générale et prolongée.) Mais l'honneur des nations, c'est la prospérité publique. Messieurs, si vous voulez la rendre à votre patrie, servez-vous du fil que j'ai mis entre vos mains, c'est le seul moyen de sortir du labyrinthe.
Vous ne pouviez en sortir avec un drapeau tricolore français, car les Français nous défendent de le déployer, ils ne veulent pas de nous. Mais ne nous donnons à personne, ne nous donnons qu’à notre postérité. Mais que dira-t-elle, si nous ne lui laissons qu'un monceau de cendres ? En accusera-t-elle la conférence de Londres ? Non. Elle vous accusera, vous, parce que vous voulez conserver un territoire qui ne vous appartient pas. (Nouveaux murmures, dénégations.) Ne voulant mourir ni tout d'un coup ni à petit feu, mais voulant vivre, je vote pour l'article 2. (I., 4 juin.)
M. Camille de Smet – Messieurs, dans une circonstance récente, M. Maclagan, ayant voulu parler du rappel du prince d'Orange, fut rappelé à l'ordre ; pourquoi n'en est-il pas de même quand on nous parle de violer la constitution en cédant Venloo ; pour moi, je proteste contre un pareil langage, et dussions-nous succomber, je demanderais la guerre plutôt que le déshonneur. (Bravos dans les tribunes.) (I., 4 juin.)
- Des voix – La clôture ! la clôture ! (I., 4 juin.)
M. le baron Beyts et M. d’Elhoungne parlent contre la clôture ; ils trouvent que la question n'est pas assez éclaircie. (I., 4 juin.)
- La clôture est mise aux voix et prononcée. (I., 4 juin.)
L'amendement de M. d'Elhoungne est rejeté.
On met aux voix l'article 2 du projet de la section centrale. (L'appel nominal ! l'appel nominal.) (E., 4 juin.)
Il est procédé à l'appel nominal.
190 membres y répondent.
150 votent pour l'article.
40 votent contre ; en conséquence cet article est adopté. (P. V.)
Ont voté contre : MM. Thonus, Jean-Baptiste Gendebien, Lardinois, Defacqz, de Selys Longchamps, Forgeur, de Robaulx, Camille de Smet, Jaminé, Vergauwen-Goethals, Gelders, Drèze, (page 231) Van der Looy, d'Martigny, Alexandre Gendebien, Seron, l'abbé Dehaerne, Eugène de Smet, Beaucarne, Blargnies, Nalinne, Bredart, Charles Coppens, Frison, l'abbé Van de Kerckhove, le baron de Meer de Moorsel, Roeser, de Tiecken de Terhove, Louis Coppens, Teuwens., Fleussu, Helias d'Huddeghem, Destriveaux, Meeûs, de Labeville, Speelman-Rooman, Charles de Brouckere, Jottrand, Alexandre Rodenbach, Wannaar. (I., 4 juin.)
La discussion est ouverte sur l'article 3, ainsi conçu :
« Art. 3. Il est également autorisé à consentir au besoin que, sans préjudice à la souveraineté de la Belgique, il soit mis temporairement dans la forteresse de Maestricht une garnison mixte ou une garnison étrangère quelconque, autre que hollandaise. » (I., 4 juin, et A. c.)
Il est donné lecture d'une proposition de
M. d'Elhoungne ainsi conçue :
« Attendu que l'occupation étrangère est inconciliable avec l'indépendance, l'honneur et la sûreté de la Belgique ;
« Attendu que l'occupation de Maestricht, en rompant la ligne de la Meuse, ouvrirait le pays aux invasions, menacerait la capitale, pour fixer le siège de toutes les guerres continentales dans nos provinces,
« Le député soussigné a l'honneur de proposer au congrès la suppression de l'article 3 du projet, comme attentatoire à l'indépendance et à l'honneur national et incompatible avec la dignité et la sûreté du pays.
« D'ELHOUNGNE. » (A.)
M. le comte d’Ansembourg et M. Destouvelles demandent la suppression de l'article 3. (A.)
M. Henri de Brouckere critique la forme de la proposition de M. d'Elhoungne. (E., 4 juin.)
M. le président – Les observations de M. Henri de Brouckere sont trop incidentelles pour que nous nous y arrêtions. (E., 4 juin.)
M. d’Elhoungne, développant sa proposition, répond d'abord aux objections faites contre sa forme, puis expose les motifs impérieux qui doivent faire rejeter l'article. (E., 4 juin.)
M. Destouvelles développe son amendement ; il dit que ce serait honteux pour la Belgique que de demander une garnison étrangère dans Maestricht. Nous sommes assez forts pour nous garder nous-mêmes, s'écrie l'orateur. Ce serait tout au plus si je consentirais, en désespoir de cause, que nous subissions un joug aussi humiliant : n'allons pas au-devant de l'infamie. (La clôture ! la clôture ! ) (I., 4 juin.)
M. de Robaulx demande que la discussion continue, il échange avec M. de Man de vives interpellations. (La clôture ! la clôture !) (I., 4 juin.)
M. le comte d’Ansembourg demande à développer son amendement. A peine a-t-il prononcé la première phrase de son discours que de tous côtés on lui crie : Assez ! assez ! la clôture ! tout le monde est d'accord. (Tumulte.) (I., 4 juin.)
M. Van Snick – L'article ne vaut pas l'honneur de la discussion. (I., 4 juin.)
M. Forgeur – L'orateur a la parole, personne n'a le droit de l'interrompre. (I., 4 juin.) ,
M. le comte d’Ansembourg prononce son discours. (I., 4 juin.)
M. Pirson propose de remplacer l'article 3 par une disposition ainsi conçue :
« Il ne pourra, dans les arrangements à prendre, consentir à ce qu'aucune garnison étrangère ou mixte occupe aucune forteresse belge. » (I.,4 juiu.)
- Cet amendement étant appuyé, M. Pirson monte à la tribune, pour le développer. (E., 4 juin.)
M. Cruts prend la parole pour faire une motion d'ordre. A peine a-t-il prononcé quelques mots qu'il est interrompu. (E.. 4 juin.)
M. de Robaulx, avec vivacité – Je demande s'il est permis de faire une motion d'ordre, quand l'orateur (M. Pirson) qui a la parole est à la tribune ? (E., 4 juin.)
M. Destouvelles proteste aussi contre cette interruption. (J. B., 4 juin.)
M. Cruts, au milieu du bruit, trouve que l'amendement de M. Pirson est une proposition toute nouvelle et que l'article doit avoir la priorité ; il échange avec M. de Robaulx de vives interpellations. (J. B., et I., 4 juin.)
M. le président, agitant la sonnette avec force – L'orateur a la parole, et personne n'a le droit de l'interrompre. (E., 4 juin.)
M. Pirson, qui pendant ces débats était resté à la tribune, s'exprime ainsi - Messieurs, je demande la suppression de l'article 3 : c'est une faute grave, c'est une imprudence qui peut porter des fruits amers, d'avoir soulevé la question de savoir si le gouvernement sera autorisé « à proposer que, sans préjudice à la souveraineté de la Belgique, il soit mis temporairement dans la forteresse de Maestricht une garnison mixte ou une garnison (page 232) étrangère quelconque, autre que hollandaise. »
Et ce serait nous qui ferions ces offres ! Quoi ! au moment peut-être de reprendre les hostilités, vous oseriez annoncer à notre armée que bientôt elle sera mêlée avec des Prussiens ! ou plutôt que les Prussiens (car la garnison ne pourrait jamais être mixte avec eux, il n'y a pas besoin de développements pour confirmer cette assertion), ou plutôt que les Prussiens, dis-je, seront les gardiens de nos libertés et de notre indépendance ! Eh ! sommes-nous donc vaincus ? rendrions-nous les armes avant de combattre ?
Le résultat affirmatif de cette proposition produirait deux grands effets, d'abord nous serions considérés comme prisonniers, du moins aux arrêts forcés, jusqu'à ce que nous nous fussions soumis à toutes les exigences de la contre-révolution, et puis nous redeviendrions les geôliers de la France.
Eh ! s'il fallait laisser garnison à Maestricht jusqu'à ce que toutes discussions de territoire et de dettes communes fussent terminées, je préférerais y laisser garnison hollandaise, non pas précisément parce que nous en aurions meilleur marché : nos braves, j'espère, ne craindraient point de se mesurer avec d'autres braves ; mais si, ce qui n'est pas impossible, il fallait absolument recourir aux armes pour en finir avec les Hollandais, nous aurions avec garnison étrangère à Maestricht à la fois guerre intérieure et guerre extérieure. Il ne faut pas se dissimuler, messieurs, une garnison étrangère à Maestricht serait à coup sûr auxiliaire pmu les Hollandais.
Le 30 mai, dans un discours assez long, j'ai eu l'honneur de vous faire connaître dans quelles vues et dans quelles intentions je me proposais de voter en faveur du prince de Saxe-Cobourg.
Je supposais à la conférence de Londres l'intention de revenir de ses préjugés à des sentiments plus impartiaux envers nous. Je pensais que la nomination du roi nous conduirait à cette transition favorable.
Mais une discussion lumineuse de trois pénibles séances ;
Le refus de fixer un terme après lequel toutes négociations nouvelles devraient finir, et même la nomination du prince être considérée comme non avenue ;
Cette proposition de garnison étrangère à Maestricht, qui sera ou ne sera pas rejetée, mais qui ne décèle pas moins les projets de la conférence.
Toutes ces circonstances déroulent à mes yeux le vaste plan de la grande conspiration des rois contre les efforts des peuples. On veut nous faire jouer la première scène de ce grand drame politique. .
D'après ces considérations, je retire le vote que j'eusse donné volontiers au prince de Saxe-Cobourg, si on s'était réservé les moyens de sortir de la diplomatie.
Je me rangerai du côté où le ministre a vu des dupes, et j'abandonne à d'autres les faveurs du prince, si toutefois il arrive jusqu'à nous.
L'orateur termine ainsi : je demande la suppression de l'article avec la majorité de l'assemblée, mais cette majorité ne m'est pas encore connue.
Je retire mon vote pour le prince de Saxe-Cobourg, parce qu'il nous est proposé par la conférence. (E., 4 juin.)
M. Van Meenen demande la suppression de l'article 3 ; il démontre ce que cet article a d’humiliant pour nous. La section centrale, dans sa rédaction, a oublié toute espèce de prudence, toute espèce de discernement. (Aux voix ! la clôture !) (E., 4 juin.)
M. de Robaulx – Nous avons eu des esprits qui se trouvent toujours assez éclairés ; quant à moi, comme il s'agit d'une question funeste, je ne veux même pas, avec l'honorable M. Destouvelles, qu'en désespoir de cause on puisse consentir à ce qui est demandé ; je ne veux pas d’arrière-pensées ; adoptez l'amendement, tout le monde se joindra à une précaution aussi naturelle. (E., 4 juin.)
M. Henri de Brouckere déclare ne point reculer devant ses œuvres ; signataire de la proposition, on me dit que l'article est mauvais : qu'on me le prouve, je voterai contre. Il soutient qu'il n'y a pas plus d'inconvénient à accepter une garnison étrangère à Maestricht, qu'il n'y en a eu à le faire pour Luxembourg. (Négations.) (E., 4 juin.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Puisque nous sommes d'accord sur le sort de la proposition, il y aura unanimité pour la rejeter. (E., 4 juin.)
M. Pirson – J'accepte l'unanimité si on peut me la montrer, et je retire mon amendement. (Applaudissements.) (E., 4 juin.)
M. de Robaulx – Je prends l’amendement en mon nom. (E., 4 juin.)
M. Destouvelles réfute ce qu'a dit M. Henri de Brouckere. On m'a reproché, dit-il, d'avoir employé des expressions trop fortes, trop énergiques ; non, je dirai qu'il y a pénurie de la langue pour exprimer ma pensée, mon indignation. (E., 4 juin.)
M. Van de Weyer – (page 233) L'article 121 de la constitution repousse la proposition. (E., 4 juin.)
- On réclame la clôture ; elle est prononcée. (E., 4 juin.)
M. le président – Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Pirson, repris par M. de Robaulx. (Tumulte.) (E., 4 juin.)
M. Pirson – Il a été soutenu que mon amendement était une proposition ; il me semble qu'il pourrait être mis aux voix après l'article. (J. B., 4 juin.)
M. de Robaulx s'y oppose. (J. B., 4 juin.)
M. le président – L'admission ou le rejet de l’article ne préjuge rien sur l'amendement. (J. B., 4 juin.)
M. de Robaulx – L'amendement va plus loin que le rejet de l'article : il défend au gouvernement de tolérer l'introduction de troupes étrangères. (J. B., 4 juin.)
M. Claes (de Louvain) fait observer que l'amendement de M. Pirson est inconstitutionnel, puisqu’il empêcherait le gouvernement de consentir à ce qu'une garnison étrangère occupât une forteresse, chose permise par cet article en vertu d’une loi : il demande la question préalable. (I., 4 juin.)
) La question préalable est mise aux voix et adoptée. (I., 4 juin.)
On met aux voix l'article 3. Toute l'assemblée se lève contre cet article. (I., 4 juin.)
M. de Robaulx – Je demande l'appel nominal. (Violents murmures.) (I., 4 juin.)
- De toutes parts – Non ! non ! Nous sommes unanimes. (I., 4 juin.)
M. de Robaulx, M. Helias d’Huddeghem et quelques autres insistent pour l'appel nominal. (Vive opposition.) (I., 4 juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Messieurs, le rejet de l'article sera voté unanimement. Cela étant, un appel nominal est tout à fait inutile. Ceux qui demandent ces appels nominaux ont pour objet de retarder la solution des graves questions qui se débattent ici. Je demande que les noms des membres qui ont réclamé l’appel nominal soient inscrits au procès-verbal. (A ces mots l'assemblée se lève tout entière et par un mouvement électrique ; des huées éclatent de toutes parts dans l'enceinte et dans les tribunes. - Tumulte des plus violents.) (I., 4 juin.)
M. Forgeur, au milieu du bruit qu'il domine sa voix, s'écrie avez feu : Je demande que mon nom y soit inscrit le premier. (I., 4 juin.)
M. Charles de Brouckere monte vivement à la tribune, et demande que M. Lebeau soit rappelé à l'ordre. (Le bruit va toujours croissant.) (I., 4 juin.)
M. Forgeur et M. Jottrand adressent de vives interpellations à M. Lebeau. (Le tumulte continue.) (I., 4 juin.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, leur répond. (Le désordre est à son comble.) (I., 4 juin.)
M. le président déclare la séance suspendue.
(Il est deux heures trois quarts.) (I., 4 juin.)
M. le comte Duval de Beaulieu – Pour cette fois, nous l'avons bien mérité. (I., 4 juin.)
- M. le président est descendu de son fauteuil. Les députés, dans une agitation incroyable, s'interpellent les uns les autres ; ils restent presque tous dans la salle : le public ne quitte pas les tribunes. (I., 4 juin.)
A trois heures et demie, la séance est reprise. (I., 4 juin.)
M. le président – En place ! en place ! on va faire l'appel nominal sur l'article 3. (I., 4 juin.)
On procède à l'appel nominal.
181 membres y répondent.
180 votent pour la suppression de l'article.
Un membre, M. le vicomte Charles Vilain XIIII, vote pour son maintien.
En conséquence l'article 3 est rejeté. (E., 4 juin, et P. V.)
Étaient absents lors de l'appel nominal : MM. le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, Defacqz, Jaminé, Ooms, Rosseeuw, le comte d'Ansembourg, de Labeville, Henri Cogels, l'abbé Boucqueau de Villeraie, Fendius, Olislagers de Sipernau. (J. F., 4 juin.)
M. le président donne lecture de l'article 4, ainsi conçu :
« Art. 4. L'arrangement qui pourra intervenir sur ces négociations sera soumis à la ratification du congrès ; et, dans tous les cas, il sera fait, au plus tard le 20 juin, un rapport à l'assemblée sur l'état des négociations. » (I., 4 juin, et A. C.)
M. Jottrand propose un amendement ainsi conçu :
« L'arrangement qui pourra intervenir sur ces propositions devra être conclu et soumis à la ratification du congrès au plus tard le 20 juin prochain. Passé cette époque le présent décret sera regardé comme non avenu s'il n'a pas amené un arrangement complet et définitif.» (A.)
M. Constantin Rodenbach propose un amendement conçu en ces termes :
« Si l'arrangement définitif n'est pas conclu le 1er juillet, et si le chef de l'État ne s'est point (page 234) prononcé relativement à son acceptation, son élection sera considérée comme non avenue. » (A.)
M. Van Meenen présente l'amendement suivant :
« Tout arrangement qui pourra intervenir sur des questions qui touchent l'indépendance ou le territoire sera soumis à la ratification du congrès ; et, dans tous les cas, il sera fait au plus tard le 20 juin courant, sur l'état des négociations, un rapport à l'assemblée, qui décidera immédiatement si les négociations seront continuées ou rompues, et statuera en même temps sur la confirmation ou la révocation de son décret d'élection du chef de l'État. » (A.)
M. Devaux demande de remplacer les mots : au plus tard le 20 juin, par ceux-ci : dans le mois de l'acceptation. (A.)
M. Jottrand – Vous avez rejeté hier des amendements qui avaient pour but d'assigner au prince à élire un délai fatal pour son acceptation. Il a paru à la minorité que cette décision a été principalement adoptée par des motifs de pure convenance et pour ne pas faire, à ce qu'on a dit, une différence entre le prince à élire aujourd'hui, et les ducs de Nemours et de Leuchtenberg, auxquels on ne parlait pas d'imposer des conditions.
Ce motif n'existera plus, messieurs, pour l'amendement que je vous présente actuellement. Vous pouvez dégager votre opinion de toute crainte de manquer aux convenances. Si votre opinion est que nous avons besoin de nous défier des ruses de la conférence, et de déterminer dès aujourd'hui un délai, passé lequel nous croirons avoir assez de motifs d'agir ; enfin comme si nous nous reconnaissions définitivement les dupes de la diplomatie, vous adopterez mon amendement. Au reste, pour en justifier la moralité, si je puis m'exprimer ainsi, je vous dirai que cet amendement était déposé sur le bureau même avant la discussion générale sur le projet. Ce n'est donc pas un moyen préparé par moi pour vous faire revenir indirectement aujourd'hui sur ce que vous avez décidé négativement hier. (I., 4 juin.)
M. Constantin Rodenbach invité à développer son amendement, dit – M. le président, mon amendement n'a pas besoin d'être développé. D'ailleurs, en parlant un peu moins, nous exécuterons mieux. (I., 4 juin.)
M. Van Meenen développe son amendement. (I., 4 juin.)
M. Devaux, ministre d’Etat, insiste sur la nécessité de donner un mois de délai pour arriver au terme des négociations, attendu que l'arrivée des députés à Londres le 10 juin, et leur retour qui devrait avoir lieu le 15 pour que leur rapport pût être fait le 20, ne laisserait que quatre ou cinq jours aux négociations. (E., 4 juin.)
M. de Robaulx réfute les arguments du préopinant, et trouve que M. Devaux a raison de dire que quatre ou cinq jours ne suffiront pas aux négociations. En effet, dit l'honorable membre, on fera des ouvertures, des propositions ; les plénipotentiaires auront besoin de demander des instructions nouvelles à leurs cours, on écrira à Saint-Pétersbourg, par exemple ; nous aurons besoin de plus d'un mois pour avoir une réponse, nous perdrons en lenteurs et en temporisation la saison la plus opportune pour la guerre, et je maintiens qu'il faut la faire actuellement.(Bravos, applaudissements dans les tribunes.) J'abandonne la parole. (E., 4 juin.)
M. Jottrand et M. Devaux sont entendus. (E., 4 juin.)
M. Van Meenen insiste sur son amendement. (I., 4 juin.)
M. Nothomb s'oppose aux amendements de MM. Jottrand et Constantin Rodenbach, et propose de rédiger ainsi celui de M. Van Meenen : « L'arrangement qui pourra intervenir sur ces négociations sera soumis à la ratification du congrès ; et, dans tous les cas, il sera fait le 30 juin un rapport sur l'état des négociations à l'assemblée, qui statuera immédiatement si elles doivent être continuées ou non. » Le congrès, dit l'orateur, ne doit pas se lier d'avance ; il n'est pas à la veille de sa dissolution, il entendra le 30 juin le rapport, et si rien n'est terminé il déclarera s’il le juge convenable, le décret d'aujourd'hui non avenu. Il faut laisser quelque chose au temps, il faut permettre aux événements de se développer et si le 30 juin il faut un jour de plus, l’assemblée en décidera. C'est ce que vous avez pensé en rejetant hier plusieurs amendements ; il y a chose jugée. (I., 4 juin.)
M. Alexandre Rodenbach – La diplomatie de Londres, ce cholera morbus politique et moral, nous mine et nous tue à coups de protocoles. Le ministre qui demande de longues négociations ne connaît pas l'esprit du pays. Deux mois de négociations amèneront la guerre civile en Belgique. (Rumeurs.)(I., 4 juin.)
M. Destouvelles combat les amendements. Il ne faut pas offrir au prince une couronne vacillante, il ne faut pas lui présenter un sceptre qui puisse être brisé pour cinq ou six jours de délai. (I., 4 juin.)
M. Nothomb propose de rédiger ainsi l’article 4 :
(page 235) « L'arrangement qui pourra intervenir sur ces négociations sera soumis à la ratification du congrès ; et, dans tous les cas, il sera fait, au plus tard le 30 juin, un rapport sur l'état de ces négociations à l'assemblée, qui statuera immédiatement si elles doivent être continuées ou rompues. » (I., 4 juin.)
- Après quelques observations, on demande la clôture, qui est mise aux voix et prononcée. (I., 4 juin.)
Une discussion s'élève sur la priorité des amendements. On met aux voix la priorité pour l'amendement de M. Jottrand : elle est rejetée. (I., 4 juin.)
L'assemblée accorde la priorité à l'amendement de M. Nothomb. (P. V.)
On vote sur cet amendement ; il est adopté. (P. V.)
Il est donné lecture d'un article additionnel proposé par M. Van Meenen ; en voici les termes : « Le gouvernement et les députés que le congrès déléguera pour porter au prince élu chef de l’Etat le vœu de la nation belge, seront chargés de lui représenter respectueusement, mais instamment : 1° que le congrès ne peut ni n'entend aucunement déroger à sa protestation du 1er février 1831, contre le protocole de la conférence de Londres du 20 janvier, et contre toute intervention étrangère dans les questions que la Belgique a à vider avec la seule Hollande et son gouvernement ; 2° que les circonstances difficiles où la Belgique se trouve, par un effet de sa déférence envers les puissances, sont telles que sans la solution, par des voies amiables, de toutes les questions qu'on a élevées relativement au territoire avant le 20 janvier, elle subira la triste nécessité de recourir aux armes pour la possession des portions de son territoire que le gouvernement hollandais occupe encore, et pour la défense des portions du même territoire qui sont menacées. » (A.)
M. Van Meenen développe cet article. (E., 4 juin.)
- Après un court débat, cet article est mis aux voix et rejeté. (P. V.)
On passe à l'examen des considérants. Après l'adoption du premier considérant, l'assemblée revient sur sa décision, et, à la demande de M. Forgeur, elle arrête que le décret ne sera précédé d'aucun considérant. (I., 4 juin, et P. V.)
On procède au vote par appel nominal sur l'ensemble du décret.
190 membres répondent à l'appel.
150 votent pour.
40 votent contre.
En conséquence le décret est adopté. (P. V.)
Ont voté contre : MM. Charles de Brouckere, Thonus, Alexandre Gendebien, Lardinois, d'Elhoungne, Defacqz, de Selys Longchamps, Forgeur, de Robaulx, Camille de Smet, Jaminé, Vergauwen-Goethals, Gelders, Drèze, Van der Looy, d'Martigny, Jean-Baptiste Gendebien, Seron, l'abbé Dehaerne, Eugène de Smet, Beaucarne, Blargnies, Nalinne, Bredart, Charles Coppens, Frison, l'abbé Van de Kerckhove, le baron de Meer de Moorsel, Roeser, Louis Coppens, Teuwens, Fleussu, Helias d'Huddeghem, Destriveaux, Pirson, de Labeville, Speelman-Rooman, Jottrand, Alexandre Rodenbach, Wannaar. (J. F., 4 juin.)
- Une discussion s’engage entre M. de Robaulx, d'une part, et M. Devaux, M. Van Meenen et M. le comte Duval de Beaulieu, de l'autre, sur la question de savoir si on doit s'occuper demain, ou de l'élection immédiate du prince de Saxe-Cobourg, ou de l'opportunité pour le moment de l'élection du chef de l'État. (E., 4 juin.)
M. de Robaulx établit, par le procès-verbal d'une des dernières séances, que la question à mettre maintenant à l'ordre du jour, c'est seulement l'examen de la question d'opportunité de la discussion. (E., 4 juin.)
- Après une vive discussion, dans laquelle M. de Robaulx a protesté contre la fausse interprétation que le congrès paraîtrait vouloir donner à une de ses précédentes délibérations, l'assemblée décide que l'ordre du jour de demain sera la discussion sur l'élection du chef de l'État. (E., 4 juin, et P. V.)
La séance est levée à 5 heures. (P. V.)