(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)
(page 109) (Présidence de M. de Gerlache)
Les tribunes publiques et réservées sont remplies de spectateurs. (I., 20 mai.)
La séance est ouverte à midi et demi. (P. V.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 14 avril ; il est adopté. (P. V.)
M. Nothomb, secrétaire, lit trois lettres par lesquelles MM. Dehemptinne, Hagemans et Fabry donnent leur démission. (E., 20 mai.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. Roels, député de la Flandre occidentale, annonce que sa santé rétablie lui permettra bientôt de venir prendre part aux travaux du congrès. (Murmures.) (I., 20 mai.)
M. Alexandre Rodenbach – Il n'est pas encore venu une seule fois. (I., 20 mai.)
M. Nothomb, secrétaire – Voici une lettre en date du 7 novembre dernier et qui n'est parvenue au bureau que le 13 mai ; elle est de M. de Lamine, député de Liége, qui déclare ne pouvoir accepter les fonctions de membre du congrès. (I., 20 mai.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. Dams demande un congé. (P. V.)
- Un congé de dix jours lui est accordé. (P. V.)
Le bureau fait connaître à l'assemblée que MM. Marcq et le baron Verseyden de Varick ont été récemment élus députés par le district de Bruxelles, et M. Brabant par le district de Namur. (E., 20 mai.)
M. le président consulte l'assemblée pour savoir si elle veut passer tout de suite à la vérification des pouvoirs des nouveaux députés réunis dans la salle voisine, afin qu'ils puissent immédiatement voter pour le renouvellement du bureau. (E., 20 mai.)
- Cette proposition est adoptée. (E., 20 mai.)
Les commissions chargées de la vérification des pouvoirs se retirent pour préparer leur rapport. La séance est suspendue pendant un quart d'heure. (E., 20 mai.)
Les commissions ayant terminé leur travail rentrent dans la salle. (P. V.)
M. Pirson, M. de Man et M. le baron de Terbecq proposent successivement l'admission de M. le comte d'Oultremont, dernier suppléant du district de Liége, et celle de MM. Brabant, Marcq et le baron Verseyden de Varick, nouvellement élus, le premier par le district de Namur, les deux autres par le district de Bruxelles. (P. V.)
- Ces admissions sont prononcées. (P. V.)
L'assemblée charge son bureau d'informer M. le ministre de l'intérieur qu'il reste une place de député vacante pour le district de Liége. (P. V.)
L'ordre du jour est le renouvellement du bureau. (P. V.)
M. le président tire au sort quatre bureaux de scrutateurs pour le dépouillement des bulletins ; ils sont composés comme suit :
Premier bureau : MM. le marquis de Rodes, le baron de Meer de Moorsel, Blomme, Morel-Danheel.
Deuxième bureau : MM. Beaucarne, Henri Cogels, Meeus , le comte Werner de Mérode.
Troisième bureau : MM. Van Meenen, Cauvin, Demelin, le comte de Robiano.
Quatrième bureau : MM. Louis Coppens, Bisschoff, de Man, Jaminé. (P. V.)
Un huissier fait courir l'urne. M. Destouvelles, premier vice-président remplace M. de Gerlache au fauteuil.
(page 110) Le dépouillement du scrutin donne le résultat suivant :
Nombre des votants : 142.
M. de Gerlache a obtenu 86 suffrages
M. Gendebien, 33
M. Raikem, 21
M. Destouvelles, 2. (P. V.)
M. Destouvelles, vice-président – M. de Gerlache, ayant réuni la majorité absolue des suffrages, est proclamé président du congrès national. (P. V.)
On procède ensuite par un seul scrutin à l'élection des deux vice-présidents et des quatre secrétaires.
Le dépouillement du scrutin donne les résultats suivants :
Pour la vice-présidence,
M. Raikem a obtenu 126 suffrages.
M. Destouvelles ; 75
M. Gendebien, 47
M. Van Meenen, 16
En conséquence MM. Raikem et Destouvelles sont proclamés vice-présidents du congrès national. (P. V.)
Pour les fonctions de secrétaires,
M. le vicomte Charles Vilain XIIII a obtenu 133 suffrages.
M. Liedts, 111
M. Henri de Brouckere, 110
M. Nothomb, 108.
En conséquence ils sont proclames secrétaires du congrès national. (P. V.)
- M. Destouvelles cède le fauteuil à M. de Gerlache. (C., 20 mai.)
M. de Gerlache – Messieurs, appelé pour la troisième fois à l'honneur de présider cette auguste assemblée, j'éprouve de nouveau le besoin de réclamer la bienveillance de mes dignes et excellents collègues. Je ne puis attribuer qu'à une prévention favorable et à une sorte de respect pour vos propres antécédents, votre persévérance dans vos premiers choix, tandis qu'il s'est révélé parmi vous, dans le cours de cette session même, tant de patriotisme et de talents. La gravité des circonstances augmente encore, je l'avoue. mes appréhensions ; j'aime trop mon pays pour n'être pas ému de son avenir. Vous avez commencé par lui donner la constitution la plus libérale qui fut jamais ; vous songiez à achever cette grande œuvre par des institutions qui, doivent en consolider les bienfaits, lorsque la nécessité de fixer au plus tôt le sort de l'Etat par le choix de son chef a subitement saisi et préoccupe tous les esprits. Si nous sommes assez heureux, messieurs, pour nous constituer définitivement et promptement, aucun de nous ne regrettera les sacrifices qu'il a faits au pays ; s'il est besoin de persévérance et de nouveaux sacrifices encore pour ne pas perdre tout à coup le fruit d'une si longue attente, vous donnerez à vos mandants cette nouvelle preuve de sagesse et de courage. Mais si tout l'espoir dans lequel on nous avait entretenus jusqu'à ce moment s'évanouit, vous saurez prendre avec calme et fermeté le parti qui convient a votre dignité, à l'honneur et à l'intérêt de la nation. Chacun de vous prouvera qu'il est prêt à se sacrifier pour la patrie, mais qu'il ne sacrifie point la patrie à des opinions et encore moins à des passions. Là seulement est le devoir ; là est aussi la gloire. et la solide popularité, qu'il ne dépend de personne de donner ni de ravir. Mais n'oubliez pas, je vous en conjure, ce que vous avez déjà fait pour le pays ! Il tient de vous une charte qui n'est point un mensonge, mais une réalité.
Oui, nous voulons être libres, mais non pas à la manière de ceux de nos voisins chez lesquels il n'y a de liberté, de tolérance, de justice même que pour le parti qui est au pouvoir. J'en conclus que la Belgique ne peut devenir l'accessoire d’un autre pays, sans un affreux suicide. Mais, messieurs, pour atteindre le but, il ne suffit pas d'être déjà libres, il faut que la loi soit respectée et l'autorité soit forte. Vous seconderez donc de tous vos efforts ce gouvernement qui vous doit l'existence, et qui ne peut opérer le bien si son action n'est appuyée.
C'est l'union qui nous a fait ce que nous sommes : la désunion seule peut nous perdre : tout ce qui tend à nous désunir n’est point Belge, soyez-en certains, messieurs ! Vous pardonnerez ce peu de paroles, je l'espère, à un homme qui n'a rien de commun avec le pouvoir, qui considère le droit de le censurer comme la première de nos prérogatives constitutionnelles, mais qui pense qu’on doit proportionner la vivacité de cette censure à la force de ceux qu'on attaque.
Toutes les âmes pures et généreuses me (page 111) comprendront. La nation et l'Europe nous contemplent ; nous avons à nous venger de beaucoup de calomnies récentes ; et au dedans et au dehors. Vous y répondrez par vos actes, mes chers collègues, plus encore que par vos paroles. En implorant vos conseils et votre assistance, sans lesquels je ne puis rien, j'ai cru devoir vous faire connaître, sans nul détour, les sentiments qui m’animent, et qui n'influeront en rien sur l'impartialité et sur l'abnégation d'opinions qui convient à un président dans toute discussion entamée. Mais dans ce mandat une idée me domine : nous avons besoin plus que jamais de nous entendre et entre nous, et avec le gouvernement, et avec la nation. (Applaudissements nombreux et répétés.) (I., 20 mai.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit une lettre de M. d'Hane, ministre de la guerre, annonçant au congrès qu'il a donné démission à M. le régent, mais qu'en se retirant il a cru devoir rendre compte des mesures qu'il a prises dans le département qui lui a été confié ; il a adressé un rapport circonstancié au congrès. Si quelques membres avaient des éclaircissements à lui demander, il déclare qu'il est prêt à les donner par écrit. (I., 20 mai.)
- Pris pour notification. (P. V.)
M. le président annonce que deux exemplaires du rapport sont déposés sur le bureau. (J. F., 20 mai.)
- Plusieurs membres demandent que ce mémoire leur soit distribué. (J. F., 20 mai)
Un des secrétaires dit qu'on priera le ministre d'en donner un plus grand nombre d’exemplaires. (J. F., 20 mai.)
On procède par la voie du sort à la formation des sections pour le mois de mai ; elles sont composées comme suit :
PREMIÈRE SECTION.
MM. Claes (d'Anvers), le comte de Robiano, le baron de Viron, Maclagan, Mulle, Constantin Rodenbach, Davignon, de Gerlache, Doreye, le baron de Liedel de Well, le comte Félix de Mérode, de Schiervel, de Tiecken de Terhove, le vicomte Charles Vilain XIIII, le baron de Woelmont, Marlet, Simons, le baron de Coppin, le comte de Quarré, Du Bus.
DEUXIÈME SECTION.
MM. Jacobs, Demelin, Buylaert, le comte Duval de Beaulieu, le baron de Leuze, Lecocq, Charles Le Hon, Trentesaux, Charles Rogier, de Thier, Zoude (de Saint-Hubert), la vicomte Desmanet de Biesme, Henry, Seron, Brabant, Rosseeuw, Jaminé, Lebeau, de Selys-Longchamps, de Wandre.
TROISIÈME SECTION.
MM. Buyse-Verscheure, Béthune, de Coninck, l'abbé Wallaert, Beaucarne, Gendebien (père), Jean-Baptiste Gendebien, François Lehon, Pirmez, de Rouillé, le baron de Sécus (père), Van Snick, Deleeuw, Jacques, d'Martigny, Masbourg, Thorn, de Labeville, le baron Verseyden de Varick, le comte de Bocarmé.
QUATRIÈME SECTION.
MM. l'abbé Boucqueau de Villeraie, Henri Cogels, Domis, Du Bois, Ooms, le baron Beyts, l'abbé Corten, le baron Joseph d'Hooghvorst, Meeûs, Vandenhove, Van de Weyer, l'abbé de Foere, Roels, Blomme, Speelman-Rooman, Surmont de Volsberghe, Dumont, Goffint, François, Raikem.
CINQUIÈME SECTION.
MM. Bosmans, Albert Cogels, Geudens, Joos, Baugniet, Claes (de Louvain), Van Meenen, le vicomte de Jonghe d'Ardoie, Vandorpe, Delwarde, Le Bègue, Thienpont, le baron de Terbecq, l'abbé Van de Kerckhove, Cauvin, de Sebille, Defacqz, le marquis Rodriguez d'Evora y Vega, Collet, Cruts.
SIXIÈME SECTION.
MM. Le Grelle, le baron Osy, Jottrand, De Man, de Muelenaere, Vergauwen-Goethals, Verwilghen, Van Innis, Philippe de Bousies, Alexandre Gendebien, de Behr, Lardinois, le baron de Stockhem, le comte d'Ansembourg, Olislagers de Sipernau , le comte de Renesse , Berger, le baron d'Huart , de Robaulx, Fendius.
(page 112) SEPTIÈME SECTION.
MM. d'Hanis Van Cannart, Le Bon, de Nef, Peeters, Barbanson, Cols, Rouppe, le remplaçant de M. Dehemptinne à Nivelles (M. Berthels), Nopener, Vander Belen, Coppieters, l'abbé Dehaerne, Jean Goethals, de Lehaye, Hippolyte Vilain XIIII, le vicomte de Bousies de Rouveroy, Destriveaux , Henri de Brouckere, Gelders, Nothomb :
HUITIÈME SECTION.
MM. le comte d'Arschot, Barthélemy, de Ville, Lefebvre, d'Elhoungne, le baron Van Volden de Lombeke, le comte de Bergeyck, Louis Coppens, Van Hoobrouck de Mooreghem, Gustave de Jonghe, l'abbé Verduyn, Allard, Blargnies, le baron Frédéric de Sécus, le comte d'Oultremont, Teuwens, le chevalier de Theux de Meylandt, Isidore Fallon, Fransman, le remplaçant de M. Peemans à Louvain (M. Deswert).
NEUVIÈME SECTION.
MM. Devaux, Goethals-Bisschoff, Bischoff, Morel-Danheel, l'abbé Pollin, Alexandre Rodenbach, Charles Coppens, l'abbé Van Crombrugghe, l'abbé Joseph de Smet, Liedts, le marquis de Rodes, Forgeur, Fleussu, Charles de Brouckere, Destouvelles, Roeser, Watlet, Pirson, Marcq, Struye-Provoost.
DIXIÈME SECTION.
MM. Le baron de Pélichy Van Huerne, de Roo, Serruys, l'abbé Andries, Annez de Zillebeecke , Camille de Smet, de Decker, Eugène de Smet, le baron de Meer de Moorsel, d'Hanens-Peers, Helias d'Huddeghem, Van der Looy, Wannaar, Bredart, Frison, le comte Werner de Mérode, Nalinne , Drèze, Dams, Thonus.
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, fait un rapport sur l'état des relations extérieures de la Belgique.
(Le rapport qui suit a été repris dans le tome IV (pièces justificatives) de l’ouvrage d’E. HUYTTENS : il est repris ci-après, avec référence des pages à ce même tome IV).
(page 304 du tome IV) Je n'ai plus à faire ma profession de foi politique ; lorsque j'acceptai le portefeuille des affaires étrangères, j'avais arrêté le plan que je me proposais de suivre, et j'ai eu l'honneur de vous le faire connaître.
Dans les gouvernements représentatifs, c'est un grand avantage, pour les hommes chargés de la direction des affaires publiques, de pouvoir, avant de procéder à l'exécution des projets qu'ils méditent, exposer leur plan et consulter l'opinion de la majorité ; ce n'est plus du principe lui-même qu'ils ont à rendre compte, mais de son exécution. J'ai profité de cet avantage : le 4 avril, j'ai franchement déclaré mes intentions à cette assemblée, et je n'ai rien fait, rien tenté depuis, que je n'eusse clairement annoncé. Si alors la majorité s'était prononcée contre un plan qui n'était que conçu et qui depuis s'est converti en actes, je n'aurais pas hésité à me retirer.
Au 4 avril, je vous disais qu'il fallait faire marcher de front deux ordres de choses : les négociations et les préparatifs de guerre.
Quant aux négociations, dont je suis chargé par la nature de mes fonctions, j'ai pensé qu'il fallait persister à ne reconnaître à la conférence de Londres que le caractère de médiatrice ; renoncer à toute politique exclusive, entrer dans un système large, impartial, et revendiquer notre indépendance et l'intégrité du territoire, en nous appuyant sur les intérêts généraux de l'Europe ; établir des rapports officiels ou officieux avec d'autres pays que la France et l'Angleterre ; tenter de négocier directement avec la Hollande ; enfin, prendre des renseignements pour faciliter le choix d'un roi.
Je disais que le rôle de la diplomatie devait être court, très court ; qu'elle devait parcourir rapidement cette série de négociations. J'ajoutais que si le gouvernement, en suivant ce plan, n'obtenait pas un résultat conforme aux vœux du pays et à la dignité nationale, il ne restait d'autre moyen de solution que la guerre.
Je ne présentai donc pas la reprise des hostilités comme immédiate, mais comme subordonnée à l’issue de ces dernières négociations.
Ai-je été fidèle à mon plan de conduite ? Mes actions ont-elles répondu à mes promesses ?
(page 305) Ai-je conservé envers la conférence de Londres l'attitude noble et ferme qu'avaient prise le comité diplomatique et mon prédécesseur ?
Ai-je fait prendre à la Belgique au milieu de l'Europe la position qui sied à un peuple qui n'appartient qu'à lui-même, qui n'a d'autre devoir à remplir envers les puissances étrangères, qu'à maintenir son indépendance ?
Ai-je établi ou cherché à établir des relations officielles ou officieuses avec d'autres pays que la France et l'Angleterre ?
Ai-je commencé des négociations directes avec la Hollande ?
Ai-je cherché, en prenant des renseignements en mon nom, à mettre le congrès à même de constituer définitivement le pays par l'élection du roi ?
Telles sont les questions générales que chacun de vous est en droit de m'adresser. Je tâcherai d'y répondre en exposant l'ensemble des négociations.
Dans la séance du 4 avril, je disais que, depuis la notification faite au gouvernement du protocole du 17 février, relatif à l'exclusion des ducs de Nemours et de Leuchtenberg, la conférence de Londres ne nous avait plus rien fait signifier. Nous sommes restés dans les mêmes termes jusqu'aujourd'hui.
Le seul acte officiel parvenu au ministère, depuis que le portefeuille m'a été confié, c'est l'adhésion du cabinet français au protocole du 20 janvier. Vous savez tous, messieurs, que c'est le protocole du 20 janvier qui distrait de la Belgique le Luxembourg et une partie du Limbourg.
Dans la séance du 7 avril, j'eus l'honneur de vous informer que notre ministre plénipotentiaire près du cabinet de Paris m'annonçait avoir reçu de M. le comte Sébastiani l'avis verbal que le gouvernement français adhérait à ce protocole.
Je chargeai M. Le Hon de demander une notification officielle de l'adhésion annoncée.
Je vais mettre sous vos yeux cette adhésion. Elle nous a été notifiée à la suite des notes que j'ai chargé M. Le Hon d'adresser au cabinet français.
La connaissance de cette adhésion engagea le gouvernement à accélérer l'exécution des mesures qu'il avait résolues pour mettre le Luxembourg en état de défense : envoi de troupes régulières, organisation de volontaires, envoi d'artillerie, de fusils, mobilisation du premier ban de la garde civique. du Luxembourg, rien n'a été négligé.
Ce serait une erreur de croire qu'il n'existe plus de rapports d'aucun genre entre la conférence de Londres et le gouvernement belge ; nous vivons toujours sous l'empire de la suspension d'armes, et pour l'exécution des conditions qui y sont attachées nous sommes obligés de recourir à la conférence, intermédiaire entre nous et la Hollande. Cet état de choses ne cessera qu'au jour d’un arrangement définitif ou de la reprise des hostilités.
J'ai continué à dénoncer à la conférence les infractions partielles faites à la suspension d'armes ; je n'entrerai pas dans tous les détails de plaintes en quelque sorte quotidiennes, je ne citerai que quelques cas particuliers.
Le 30 mars dernier, les Hollandais ont débarqué à Calloo (district de Saint-Nicolas, Flandre orientale) et occupé le fort de Sainte-Marie qui borde l'Escaut. Le lendemain, ce fait a été porté à la connaissance de lord Ponsonby en termes que, sans doute, vous ne trouverez ni trop humbles ni trop obséquieux.
Vous savez que, quelques jours après, le fort Sainte-Marie a été évacué.
L'Escaut est ouvert depuis le 20 janvier, mais la Meuse reste fermée ; la conférence avait fait connaître à mon prédécesseur à quelles conditions la liberté de la navigation de la Meuse serait rétablie ; dès que ces conditions ont été accomplies, j'en ai informé la conférence.
Le gouvernement s'est, en outre, directement adressé au général Dibbets pour réclamer la liberté de la Meuse ; ce général a fait la réponse suivante :
« Réponse du général Dibbets à la lettre du général Daine.
« En réponse à votre lettre du 15 de ce mois, n°51, je vous informe, M. le général, qu’aussi longtemps que la forteresse se trouvera en état de siège, aucun changement ne sera fait dans les moyens de défense, et que, par conséquent, le passage des bateaux ennemis à travers la ville ne peut dans aucun cas être toléré.
« Au quartier général à Maestricht, le 17 avril 1831. »
J'ai fait part de ce refus à la conférence de Londres, mais jusqu'aujourd'hui, mes réclamations sont encore sans résultat. Mes devoirs et ma responsabilité exigeaient que je fisse connaître les démarches que j'ai faites, quoiqu'elles soient restées infructueuses.
A mon entrée au ministère, nous n'avions de relations officielles qu'avec le cabinet de Paris. Des communications officieuses étaient établies avec le cabinet de Londres. Il m'a paru que là ne devaient point se borner nos relations ; qu'il fallait tenter de donner à nos négociations un système plus large, plus européen, en conciliant toutefois les formes de ces relations avec ce qu'exige de réserve l'honneur du pays.
Habitué à ne reculer devant la publicité d'aucun de mes actes, prêt à en provoquer la responsabilité, je déclare n'avoir pas cru manquer à ce que (page 306) commande l'honneur national, en essayant d'accréditer auprès de la diète germanique un agent diplomatique.
Depuis le mois de décembre jusque vers la fin de février, un de nos compatriotes (M. Michiels) avait, d'après les ordres du gouvernement provisoire et du comité diplomatique, résidé à Francfort. La manière dont il avait rempli sa mission me détermina à la lui confier de nouveau dans les premiers jours d'avril.
L'envoi de cet agent ne pouvait blesser la dignité nationale. Un gouvernement qui arme au moment où tous les cabinets l'abandonnent à lui-même, un gouvernement qui annonce publiquement qu'il veut défendre ses droits, peut négocier en vue de prévenir l'effusion du sang. La politique, l'humanité lui en imposent le devoir. Quiconque présente à la fois l'épée et l'olivier n'a point à rougir de sa démarche, et commande jusqu'à l'estime de ses adversaires.
Notre envoyé, qui du reste n'était pas celui du chef de l'État, mais du ministre, n'avait pas mission de solliciter une reconnaissance ; il eut mandat de déclarer officiellement et, à défaut, officieusement, que la constitution belge avait respecté les liens du Luxembourg avec la confédération germanique ; que l'intention du pays et du gouvernement était d'observer avec loyauté cet engagement constitutionnel. Il fut chargé de déclarer, en outre, que la Belgique n'était disposée à abdiquer son indépendance au profit de personne, et de détruire ainsi une opinion trop accréditée en Allemagne.
Cet agent n'a pas été officiellement reçu, et je ne m'attendais pas à ce qu'il le fût. Mais il n'a essuyé d'affront nulle part, et réside encore à Francfort ; je vais mettre sous vos yeux la lettre qu'il a adressée au président de la diète, et la réponse qui lui a été faite.
« Lettre adressée par M. Michiels à M. le baron de Munch Belling-Hausen, président de la diète germanique.
« Monsieur le baron,
« J’ai l’honneur de transmettre, ci-joint, à Votre excellence, copie de la lettre de créance par laquelle le gouvernement belge m’accrédite en qualité de chargé d'affaires auprès de la sérénissime diète de la confédération germanique.
Désirant faire connaître préliminairement à Votre Excellence les vues conciliatrices de mon gouvernement, et son désir d'établir des relations amicales avec la confédération, j'ai l'honneur de vous prier, M. le président, de vouloir bien fixer le moment où je pourrais avoir avec Votre Excellence une conférence officielle relativement au but de ma mission.
« Daignez agréer, M. le baron, l'expression du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,
« De Votre Excellence, le très-humble serviteur.
« Francfort, le 19 avril 1831.
« T. MICHIELS. »
« Réponse de M. le baron de Munch Belling-Hausen à la lettre de M. Michiels,
« En réponse à votre lettre du 19 courant, je suis chargé, au nom de la diète, de vous dire que les conditions de l'existence politique de la Belgique faisant encore en ce moment l'objet des délibérations des envoyés des cinq puissances réunis à Londres, la diète a jugé convenable d'attendre le résultat définitif des conférences de Londres, avant de se résoudre, en sa qualité d'organe de la sérénissime confédération, à entrer en relations avec un agent diplomatique du gouvernement actuellement existant en Belgique.
« Recevez, monsieur, l'assurance d'une parfaite considération.
« Francfort-sur-Mein, le 21 avril 1831.
« Baron DE MUNCH BELLING-HAUSEN. »
Cette réponse m'a paru remarquable ; elle est loin de respirer cette ardeur aveuglément belliqueuse qu'on attribuait à l'Allemagne.
Une seconde destination fut assignée au même agent. Vous savez, messieurs, quel intérêt nous avons à conserver la libre navigation du Rhin, à laquelle Anvers surtout doit une si grande partie de sa prospérité commerciale. Déjà, dans la séance du 3 mars, plusieurs d'entre vous avaient déposé une proposition tendant à ce qu'il fût fait des démarches pour défendre nos droits à la libre navigation du Rhin. Après quinze ans de négociations, cette question a reçu, le 30 mars, une solution à laquelle nous n'avons pris aucune part indirecte ou officieuse.
Installé au ministère le 29, il m'était impossible de faire arriver à Mayence, siège de la commission rhénane, un agent diplomatique avant cette décision préparatoire. La décision suprême étant indéfiniment ajournée, il y a lieu d'espérer que les démarches de notre envoyé ne resteront pas sans fruit pour notre commerce. Nos droits dérivent, comme ceux de tous les autres États, du principe général de la liberté des rivières et des fleuves, principe devenu européen, non parce qu'il est inséré dans tel ou tel traité, mais parce qu'il est l'expression d'un état plus parfait de la civilisation et du commerce, qu'il consacre un immense progrès et satisfait un grand besoin social.
J'ajouterai que notre agent a eu la bonne fortune de trouver la plupart des États de l'Allemagne vivement irrités des prétentions que le roi de Hollande élève depuis quinze ans, et qu'il était parvenu à faire consacrer par le projet de règlement du 30 mars. C'est avoir des idées bien incomplètes des relations commerciales de la Belgique, que de reporter tout à la France ; depuis 1815, Anvers fait un immense commerce avec l'Allemagne, et en 1828, et 1829, ses exportations excédaient de beaucoup celles d'Amsterdam et de Rotterdam ; l'Allemagne et particulièrement la Prusse rhénane ressentirent les avantages de la concurrence entre les ports d'Amsterdam, de Rotterdam et d'Anvers ; la question du Rhin est commune à la Belgique et à l'Allemagne, et il importait de saisir cette occasion pour nous rapprocher de ce dernier pays.
Enfin, j'ai chargé cet agent de prendre sur les lieux mêmes les renseignements les plus propres à éclairer la représentation nationale et le gouvernement sur la conclusion de traités de commerce avec les États d'outre-Rhin.
Une mission de même nature que la précédente est également exercée auprès d'une des grandes puissances de l'Allemagne, avec laquelle d'ailleurs, les intérêts de notre industrie et de notre commerce commandent impérieusement de former des relations.
Il m'a paru d'une grande importance de préparer les voies à un arrangement commercial avec ce pays, au moment où le principe de la liberté du commerce y fait des progrès marqués : vous savez, messieurs, que le projet d'abolir les douanes élevées entre les divers États de l'Allemagne est prêt à triompher de toutes les préventions de la vieille école, tandis qu'en France l'appel ou le retour aux affaires de personnes connues pour être favorables au système prohibitif, semblent présager le maintien (page 307) et même le développement de ce système exclusif des principaux avantages commerciaux que nous pourrions espérer d'un traité avec nos voisins du Midi.
Remarquez encore une fois, messieurs, qu'il ne s'agit dans toutes ces tentatives d'aucune mission émanée du chef de l'Etat, de celui qui représente la nation au dehors. Ce sont les simples agents du ministre, remplissant des fonctions plus officieuses qu'officielles, fonctions qui se rapprochent plus de celles de consuls que de la dignité d'ambassadeur. Vous avez, messieurs, la preuve du sentiment qui m'a dirigé dans cette partie de mes devoirs, par le rappel de M. le comte d'Arschot, accrédité par mon prédécesseur comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire auprès de Sa Majesté Britannique.
Ainsi que j'en avais prévenu le congrès, M. le comte d'Arschot a reçu l'ordre de quitter l'Angleterre le 17 avril, parce que la prolongation de son séjour à Londres, dans la position où il dut se renfermer, me parut inconciliable avec la dignité de la nation belge et l'honneur de M. le régent. Je n'ai pu m'arrêter à la crainte de l'influence fâcheuse que cette mesure pourrait produire en Angleterre. C'était le cas, pour le ministère, de se montrer fidèle à la devise : Fais ce que dois, advienne que pourra.
Lorsque le portefeuille des affaires étrangères me fut confié, aucune tentative de négociation avec la Hollande n'avait été faite. Seulement mon prédécesseur s'était adressé, aux termes du protocole du 17 novembre, à la conférence, pour l'inviter à sommer le gouvernement hollandais de procéder à l'exécution de l'armistice.
Il faut reconnaître qu'il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de tenter avec succès des négociations officielles en Hollande. Dès les premiers jours de mon entrée au ministère, je sentis cependant la nécessité de nous mettre en rapport avec ce pays. Je m'arrêtai à l'idée d'une proposition à adresser au ministère des affaires étrangères de la Hollande ; mais les termes de cette proposition devaient nécessairement être subordonnés à l'état actuel des esprits dans les anciennes provinces du Nord. Les moyens d'obtenir à cet égard des renseignements précis n'étaient point d'une exécution facile et prompte. Aussi c'est depuis peu de temps que je crois avoir recueilli des notions suffisantes pour justifier la teneur d'une lettre qui déjà vous est connue.
Je regrette que les événements ne m'aient pas permis de faire remettre cette lettre par un agent diplomatique, et j'aime à déclarer qu'en suivant pour cette communication des formes inusitées, l'intention de manquer d'égards à la nation hollandaise, ou à son gouvernement, fut loin de ma pensée.
Ici se termine, à vrai dire, le rapport que j'avais à vous faire sur nos relations diplomatiques ; car la négociation dont je vais avoir l'honneur de vous entretenir se rattache plus à notre organisation politique intérieure, qu'à nos rapports avec les États étrangers.
Vous avez, messieurs, voté, à une grande majorité, la monarchie constitutionnelle. Ce vote, vous l'avez ratifié par l'élection du duc de Nemours, par la nomination d'un régent.
Toutefois le titre même de régent, déféré au chef actuel de l'État, prouve assez que vous n'avez pas entendu, au moyen de cette combinaison, constituer définitivement le pays.
Vous vous rappelez, messieurs, qu'immédiatement après l'élection de M. Surlet de Chokier et au moment où le congrès allait s'ajourner, j'eus l'honneur de vous proposer la nomination d'une commission permanente, chargée de prendre des renseignements propres à éclairer l'assemblée sur l'acte important qu'il lui restait à accomplir, le choix d'un chef définitif de l'État.
Cette proposition fut combattue par le motif qu'elle semblait indiquer une sorte de défiance envers le gouvernement dont la direction suprême venait d'être remise à des mains si pures. Bien que rien de semblable n'eût inspiré l'idée de la proposition, et qu'elle parût, à plusieurs membres de cette assemblée, dictée uniquement par les convenances, elle n'obtint pas l'assentiment de la majorité.
Le rejet et surtout les motifs du rejet de cette proposition traçaient au gouvernement la marche qu'il avait à suivre. En recevant une marque de votre confiance, il contractait un devoir. En renonçant, pour l'en investir, à la mission de faciliter les moyens de procéder à l'élection d'un chef définitif, vous lui imposiez une obligation grave qu'il ne pouvait ni méconnaître, ni négliger.
Dans des temps où le malaise, fruit d'un long provisoire et de plusieurs déceptions, provoque la défiance et l'inquiétude, les antécédents les plus honorables, le patriotisme le plus pur ne mettent pas toujours à l'abri du soupçon. Quelques esprits, crédules ou passionnés, en voyant le chef actuel de l'État apporter le moindre retard à s'occuper d'une négociation tendant à nous constituer définitivement, auraient pu aller jusqu’à voir dans ce retard le désir de reculer une abdication. Telle est la pente des esprits dans les temps de troubles politiques, qu'il n'eût pas été impossible de voir accuser (page 308) d'ambition l'homme vénérable qui, en acceptant le pouvoir, a fait à la patrie le sacrifice de ses goûts modestes, de ses habitudes et d'un repos que son âge lui permet de regretter.
Quelque insensés que fussent de pareils soupçons, c'était pour le ministère un devoir sacré d'en garantir M. le régent. Aussi, le cabinet auquel nous avons succédé l'avait-il parfaitement compris ; et dans les instructions données, tant à M. Le Hon qu'à M. le comte d'Arschot par M. Van de Weyer, la mission de s'occuper de la question du chef de l'État est-elle expressément indiquée ; et le prince désigné par mon honorable prédécesseur, comme paraissant devoir fixer particulièrement l'attention de nos ministres plénipotentiaires, est précisément celui dont j'ai cru devoir pressentir les dispositions.
Il faut bien, pour rassurer ici des susceptibilités honorables, mais exagérées, fixer le caractère de cette négociation.
Vous avez vu qu'elle était dans les devoirs du gouvernement, puisque le congrès la lui avait implicitement imposée. C'est au nom d'un ministre, et non sous celui de M. le régent, qu'elle s'est entamée.
Ensuite, ce n'est à aucun cabinet qu'on s'est adressé, bien que l'exemple même du congrès nous eût permis de croire que consulter sur cette grave question un cabinet voisin, ce n'est pas compromettre la dignité nationale.
Je n'ai jamais cru dans l'ordre de mes devoirs de manquer aux égards qu'observent entre eux les gouvernements des nations civilisées, et ces égards, personne, selon moi, ne les commande à un plus haut degré que les illustres soutiens de la réforme parlementaire. Mais la courtoisie diplomatique ne doit jamais aller jusqu'à effleurer l'honneur du pays.
Aussi, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, le séjour de M. le comte d'Arschot à Londres, envoyé au nom de M. le régent lui-même, en qualité de ministre plénipotentiaire, ne pouvant se prolonger sans humiliation pour la Belgique, j'ai signé ses lettres de rappel, au moment même où nos commissaires partaient pour Londres ; vous comprendrez dès lors qu'ils ne furent point accrédités auprès du cabinet britannique, avec lequel ils n'ont jamais traité, et que leur mission spéciale et exclusive fut de pressentir les dispositions du prince Léopold de Saxe-Cobourg, pour le cas où le suffrage libre du congrès l'appelât au trône de la Belgique, et de l'éclairer sur la situation intérieure et les relations extérieures du pays.
S'étonnera-t-on d'une pareille démarche ? Mais qu'on n'oublie pas de quel mécompte éclatant on eût préservé le congrès, si, au lieu de laisser procéder à l'élection du duc de Nemours, au lieu de laisser envoyer à Paris le président et dix membres de cette assemblée, en députation solennelle, on eût, par le moyen d'une mission officieuse et préalable, substitué à des renseignements erronés des notions certaines et précises sur les dispositions du roi des Français ?
Oublie-t-on encore que c'est pour ne pas avoir, faute d'une mission de cette nature, pressenti les véritables dispositions du duc de Leuchtenberg, qu'on a pu accréditer le bruit de son refus éventuel, lui enlever des suffrages et faire ainsi manquer une élection qui, à cette époque, aurait, dans mon opinion, constitué le pays ?
Nous fera-t-on le reproche de nous être adressés à un prince étranger ?
Mais oublie-t-on que le duc de Nemours est aussi un prince étranger ? Oublie-t-on, en outre, que la grande majorité du congrès s'est prononcée contre un prince indigène ?
Notre devoir était donc tracé par l'exemple du congrès, du dernier ministère, et par la nature même des choses. J'en appelle d'ailleurs à, chacun de vous : en s'ajournant naguère, le congrès n'a-t-il pas compté sur des négociations qui le missent en état de s'occuper de cette importante question, et ne serait-il pas en droit de nous adresser des reproches, si aujourd'hui nous venions lui dire : Le ministère n'a rien à vous apprendre sur ces graves intérêts, car il n'entre pas dans ses attributions de s'en occuper ?
Les conditions auxquelles un prince peut régner en Belgique sont fixées par notre loi fondamentale, et, pour toutes instructions, j'aurais pu me borner à remettre à nos commissaires un exemplaire de la constitution. Vous le savez, messieurs, on a cherché à éveiller des susceptibilités de plus d'un genre, à alarmer les esprits sur des questions qui se lient intimement à l'honneur et à la nationalité de la Belgique. Si j'avais cru un moment que le prince de Saxe-Cobourg ne pût être élu roi des Belges qu'avec l'acceptation pure et simple du protocole du 20 janvier, si j'avais cru qu'il y eût incompatibilité entre ce prince et le maintien des droits de la nation, j'aurais abandonné cette combinaison.
Il y a deux Belgiques, messieurs : la Belgique telle que les protocoles l'ont faite, et la Belgique du congrès ; ministre du régent, je ne connais, je ne dois connaître d'autre Belgique que celle du congrès.
Vous me permettrez, messieurs, de répondre à une imputation grave qui a été dirigée contre moi et qui sans doute ne trouvera pas d'écho dans cette enceinte. Ce n'est pas un bruit vague, mes accusateurs ont précisé la date et le lieu. Il a été dit que, le 11 avril, quelques jours avant le départ de nos commissaires pour Londres, la question de savoir s'il n'y avait pas lieu de proposer au congrès de modifier (page 309) la constitution, notamment dans les dispositions relatives au serment du roi et à l'étendue territoriale de la Belgique, a été débattue sur ma demande dans un conseil des ministres, sous la présidence de M. le régent, et que je me suis déclaré pour l'affirmative. Ce fait est faux, et j'en appelle à tous mes collègues du ministère. Et comment croire que moi, agent responsable, obligé de paraître tôt ou tard devant cette assemblée, je me mettrais, pendant votre courte absence d'un mois, en opposition avec votre volonté souveraine ? Est-ce de vous ou de la conférence de Londres que je suis justiciable ? Est-ce votre suffrage ou celui des diplomates étrangers qu'il me faut rechercher ? Ce qu'on m'a imputé n'est pas seulement une mauvaise action, mais c'est encore une absurdité.
En commençant une négociation dont mon prédécesseur (je me plais à le reconnaître) avait jeté les bases, j'étais guidé par quelques idées dont je vous entretiendrai un moment. Il y a cinq mois que, par l'acceptation de la suspension d'armes, le pays est entré dans la voie de la diplomatie ; la conférence, qui avait annoncé qu'elle n'avait pour but que d'arrêter l'effusion du sang et de faciliter la solution de nos questions politiques, ayant changé le caractère de sa mission primitive, le congrès a solennellement protesté contre cette marche ; mais votre protestation n'a pas été suivie de la reprise des hostilités ; la carrière des négociations est restée ouverte. Le gouvernement devait en sortir pour reprendre les hostilités, ou bien essayer d'une combinaison qui pût engager les puissances à revenir sur le protocole du 20 janvier.
C'est sous ce point de vue que j'ai considéré la candidature du prince Léopold ; c'est en quelque sorte un gage de réconciliation, un gage de paix offert à l'Europe. J'ai pensé que l'élection de ce prince devait assurer l'exécution prompte et paisible de notre constitution ; que ce prince devait apporter en dot à la Belgique la solution de toutes nos difficultés politiques, et clore la révolution d'une manière qui fût digne de la Belgique et qui ne fût pas hostile à l'Europe.
C'est dans ce sens que sont conçues les instructions que j'ai données à nos commissaires. J'ai pensé néanmoins que, tout en restant invariables sur les principes de l'intégrité territoriale, nous pourrions, sans manquer à l'honneur, faire quelques sacrifices à la paix, non en cédant une portion même minime de territoire, mais en accordant des indemnités. Cependant je n'ai fait à cet égard aucune proposition, aucune offre ; je n'en avais pas le droit ; j'ai énoncé une simple opinion, en m'en référant à la représentation nationale, arbitre suprême en cette matière.
J'aurais désiré, messieurs, de pouvoir rendre compte ici des détails de la mission dont se sont chargés plusieurs de nos collègues, mais la nature même de cette mission, purement officieuse, m'impose une réserve dont vous apprécierez la convenance. Le ministère n'avait point d'offre à faire, il ne pouvait que pressentir des intentions dans une hypothèse éventuelle et entièrement dépendante du congrès. Il ne peut y avoir de rapport public sur des entretiens officieux et en quelque sorte confidentiels. Toutefois le ministère, reconnaissant combien doit être vive votre sollicitude sur tout ce qui tient à l'importante question du chef de l'État, s'empressera de vous faire, en comité général, des communications sur une négociation qui ne sera terminée que dans quelques jours. Du reste, je puis déjà détruire ici quelques erreurs plus ou moins accréditées. Loin que, comme on l'a dit, les négociations n'aient jamais offert de chances de succès, chaque jour, au contraire, semble nous rapprocher d'un dénouement favorable à tous les intérêts. Le champ des difficultés se rétrécit. Je puis ajouter aussi que nous n'avons négocié avec qui que ce soit, ni sur des changements à apporter à la constitution, ni sur aucune mesure qui puisse porter atteinte à l'honneur national.
Messieurs, vous connaissez maintenant dans quel sens j'ai dirigé nos relations. J'avais dit que le rôle de la diplomatie devait être court, très court ; j'ai tout fait pour l'abréger, depuis le peu de semaines que je suis au pouvoir ; mais il y a des positions plus fortes que la volonté d'un seul : je ne suis maître au dehors ni des hommes ni des choses. La Belgique n'occupe pas seule la scène politique ; d'autres intérêts non moins graves agitent le monde, et je ne puis leur imposer silence. L'Angleterre accomplit majestueusement une révolution légale, et le jour même où nos députés arrivaient à Londres, Guillaume IV, par la dissolution du parlement, faisait un appel au peuple britannique. La France n'est pas non plus sans embarras intérieurs, et se prépare à de nouvelles élections. Dans des temps plus calmes, nous aurions pu compter sur un dénouement plus rapproché.
Bien à tort sans doute, l'Europe a cru que notre indépendance nous était à charge, et que nous n'aspirions qu'à l'abdiquer au profit d'un peuple voisin ; c'est préoccupés de cette idée fatale, que les plénipotentiaires réunis à Londres ont arrêté des protocoles contre lesquels vous avez énergiquement protesté. Mais cette protestation n'était par elle-même qu'un acte négatif ; elle ne contenait pas, elle ne préparait pas même de solution. Il fallait remonter plus haut, et imprimer solennellement à notre politique un caractère européen.
(page 310) Notre révolution n'est ni française, ni anglaise, ni allemande : elle est belge ; nous n'avons pas secoué la suprématie de la Hollande pour accepter celle d'un autre peuple, et quelque beau que soit le nom de Français, nous préférons celui de Belge. La conquête, et non pas notre libre arbitre, nous a réunis en 1795 à la France, en 1815 à la Hollande ; le jour de la restauration nationale s'est levé pour nous. Nous avions autrefois une place parmi les sociétés européennes ; cette place, nous la revendiquons aujourd'hui sans arrière-pensée.
C'est là ce qu'il fallait faire comprendre à l'Europe ; je ne sais si j'ai réussi ; mais dans tous les cas, ce n'était pas trop de six semaines pour détruire une erreur accréditée depuis six mois. Et si, après avoir présenté aux puissances étrangères une solution propre à concilier tous les intérêts et à fermer pour longtemps dans cette partie du continent la carrière des révolutions, nos intentions étaient encore une fois méconnues, et qu'on persistât à nous imposer d'inacceptables conditions, avant de faire un appel à la force, nous serions absous aux yeux de l'opinion publique. Quelques jours encore, et, je l'espère, le congrès connaîtra d'une manière positive l’issue des dernières négociations ; quel qu'en soit le résultat, le pays saura que le gouvernement n'a cessé, dans le cours de ces négociations, de se montrer fidèle il ses devoirs et jaloux de l'honneur national. (page 112 du tome II) (La lecture de ce rapport est écoutée dans un profond silence.)
- L'assemblée ordonne l'impression et la distribution du rapport et des pièces à l'appui. (P. V.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères, sur l'interpellation de quelques membres qui témoignent leur surprise de ce que le rapport ne rend pas compte de la négociation entamée auprès du prince de Saxe-Cobourg, fait remarquer de nouveau que la mission de Londres, étant officieuse et confidentielle, ne pouvait faire le sujet d'un rapport. Il déclare qu'en comité général il donnera au congrès tous les renseigne désirables. (I., 20 mai.)
M. de Robaulx – Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il n'y a pas d’autres pièces diplomatiques à nous faire connaître que celles qui sont jointes au rapport. (I., 20 mai.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Il n'y en a pas d'autres, si ce n'est ma correspondance. (I., 20 mai.)
M. de Robaulx – Cette correspondance sera-t-elle communiquée ? (I., 20 mai.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – En comité général j'en ferai connaître ce que je croirai nécessaire. (I., 20 mai.)
M. Alexandre Rodenbach – Je demande que le comité général ait lieu après-demain ; le peuple veut une solution prompte. (I., 20 mai.)
M. Lebeau, ministre des affaires étrangères – Rien n'empêche que le comité général ait lieu après-demain, quoique alors la négociation ne soit pas terminée ; nous ne devons en effet attendre une solution ou une réponse définitive que la semaine prochaine. (I., 20 mai.)
M. Destouvelles pense qu'il conviendrait d'attendre le retour de M. Hippolyte Vilain XIIII, qui est encore à Londres. (Agitation. ) (I., 20 mai.)
M. Henri de Brouckere – Si avant le comité général quelques membres veulent avoir des renseignements, M. de Mérode et moi, qui avons fait partie de la mission de Londres, nous sommes prêts à leur en donner officieusement. (I., 20 mai.)
- L'assemblée décide qu'il sera tenu après-demain un comité général. (P. V.)
La séance est levée à quatre heures. (P. V.)