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Congrès national de Belgique
Séance du lundi 28 février 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)

(page 611) (Présidence de M. Destouvelles)

La séance est ouverte à midi. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

M. Henri de Brouckere, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes :

Les bourgmestres et cent quarante-sept habitants de Margraten, Bemelen, Cadier et Amby (Limbourg) supplient le congrès de ne pas abandonner ces communes à la domination tyrannique des Hollandais.


M. de Garde, à Goch, en Prusse, prie le congrès de faire donner suite à une plainte adressée par lui au procureur général, à Bruxelles, à charge du ci-devant gouverneur d'Anvers, M. Van der Fosse.


M. Jobard proposé un article additionnel à la constitution, par lequel le gouvernement s'interdirait tout monopole.


Deux élèves du collège philosophique présentent une requête, datée d'Eich, tendant à ce que le congrès s'occupe de leur sort et leur fasse ouvrir les séminaires.


Plusieurs propriétaires de Bruxelles demandent un changement dans la législation actuelle relative au déguerpissement.


La dame Catherine Cozyn, de Rolleghem-Cappelle, demande une gratification. (J. F., 2 mars, et P. V.)


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)


M. Dams demande que la commission des pétitions soit priée de faire le plus tôt possible son rapport sur la requête des deux élèves du collège philosophique, parce que c'est un objet d'une grande urgence. (J. F., 2 mars.)

- Il n'est pas donné de suite à cette demande. (J. F., 2 mars.)

Proposition de décret modifiant les dispositions du code civil sur les dispenses en matière de mariage

Lecture et développements

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture du projet du décret suivant, proposé par M. Raikem :

« AU NOM DU PEUPLE BELGE,

« Le congrès national,

« Considérant que l'article 162 du Code civil, prohibe d'une manière absolue le mariage entre personnes alliées au degré de frère et de sœur ; que cependant il peut être utile d'accorder des dispenses dans certains cas ;

« Décrète :

« Art. 1er. Il est loisible au gouvernement de lever, pour des causes graves, la prohibition consacrée par l'article 162 du Code civil, pour le mariage entre alliés au degré de frère et de sœur.

« Néanmoins, les dispenses ne pourront être accordées que lorsque le mariage est dissous par la mort naturelle de l'un des époux.

« Art. 2. Les dispenses accordées par le (page 612) gouvernement, dans les cas ci-dessus, sortiront leur effet. » (U. B., 2 mars, et P. V.)

- Cette proposition est appuyée. (U. B., 2 mars.)

M. Raikem la développe – Messieurs, sous le gouvernement français, le mariage entre alliés, au degré de frère et de sœur, était prohibé d'une manière absolue ; le motif de cette prohibition, au dire de Cambacérès dans son rapport au corps législatif, était que le mariage pouvant être dissous par le divorce, il était inconvenant et dangereux de permettre le mariage entre des personnes qui avaient eu des liaisons aussi intimes. Mais jamais on n'y aurait trouvé d'inconvénient si le mariage avait été dissous par la mort naturelle. Par la loi fondamentale de 1815, il était permis au roi d'accorder des dispenses en pareil cas ; mais aujourd'hui, la constitution étant promulguée et la loi fondamentale abolie, il est bon de renouveler l'autorisation d'accorder des dispenses : cette mesure est urgente, car le nombre des demandes de dispenses est considérable, et il faut mettre au plus tôt le gouvernement à même de les accorder. (U. B., 2 mars.)

M. Van Snick – C'est une mesure législative qu'on ne saurait improviser ; j'en demande le renvoi aux sections. (U. B., 2 mars.)

M. Berthels et M. Henri de Brouckere demandent la discussion immédiate. (U. B., 2 mars.)

- Le congrès décide qu'il sera passé outre à la discussion. (U. B., 2 mars.)

Discussion des articles

Articles 1 et 2

M. Henri de Brouckere fait observer que l'article 2 est inutile ; car le gouvernement provisoire a eu le droit d'accorder des dispenses jusqu'au moment de la promulgation de la constitution. (U. B., 2 mars.)

M. Raikem – Je consens au retranchement de l'article 2. (U. B., 2 mars.)

M. François trouve le projet de décret inutile. Le nouveau projet de Code civil autorisait le roi à accorder les dispenses. Ensuite une loi de 1828 ou 1829 le lui conféra de nouveau. (U. B., 2 mars.)

M. Destriveaux – Non ! non ! (U. B., 2 mars.)

M. François – Je m'engage à rapporter cette loi à l'instant. (U. B., 2 mars.)

M. Fransman – Comme M. François, dont j'appuie l'observation, je crois le décret inutile. La loi dont il vient de parler existe, et elle est encore en vigueur. (U. B., 2 mars.)

M. Charles Le Hon – Messieurs, il est vrai qu'une loi particulière a donné au roi le pouvoir d'accorder des dispenses dans le cas dont il s'agit ; mais voici dans quelles circonstances cette loi fut rendue : c'est, si je me le rappelle bien, sur la proposition de M. Beelarts. D'après la loi fondamentale de 1815, le roi pouvait accorder des dispenses quand les chambres n'étaient pas assemblées, mais à la charge d'en rendre compte à chaque session. Or, il arriva que de longues sessions eurent lieu ; les chambres, quelquefois, se trouvèrent réunies pendant cinq ou six mois, et on était obligé d'attendre pendant tout ce temps. Vous vous rappellerez qu'une partie intéressée voulut faire décider la question ; elle adressa sa demande à la chambre. La chambre prétendit qu'elle avait le droit d'accorder la dispense, et que le roi ne le pouvait que quand les chambres n'étaient pas réunies. Vous sentez ce que c'est qu'une chambre législative, délibérant sur une dispense de mariage, et examinant les causes et les motifs qui en démontrent la nécessité. Ce fut alors qu'un membre proposa de conférer au roi le pouvoir d'accorder les dispenses. Voilà, messieurs, qu’elle fut l'origine de cette loi et les circonstances dans lesquelles elle fut rendue. Quant à la proposition de M. Raikem, je l'appuie, car la nécessité en est vivement sentie. Si en France on a prohibé le mariage entre le beau-frère et la belle-sœur, c'est d'abord par le motif rappelé par M. Raikem ; mais il y a encore d'autres raisons : c'est que je crois me rappeler que le législateur français voulut ôter tout espoir d'union entre les personnes qui, par leur alliance rapprochée, pourraient être amenées à cohabiter ensemble, et afin de prévenir les suites de cette cohabitation. Mais dès longtemps on s'est aperçu que cette précaution n'a point prévenu le mal, et qu'elle n'a eu d'autre effet que d'en rendre impossible la réparation. (U. B.. 2 mars.)

M. Delwarde soutient que la loi rendue en 1829 est suffisante et que le décret est sans objet. (U. B., 2 mars.)

M. Le Bègue – J'appuie d'autant plus volontiers la proposition de M. Raikem, que j'ai lu dans un ouvrage d'un des plus grands jurisconsultes de l'époque (M. Merlin), que le roi des Pays-Bas n'avait pas le droit d'accorder des dispenses. (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 2 mars.)

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée. (U. B., 2 mars.)

Vote sur l'ensemble du projet

On procède à l'appel nominal sur l'article unique du décret.

110 membres répondent à l'appel.

94 votent pour

9 votent contre.

7 s'abstiennent de voter.

En conséquence le décret est adopté. (P. V.)

(page 613) Ont voté contre : MM. le baron de Pélichy van Huerne, le comte d'Arschot, le baron de Sécus (père) ; le baron de Woelmont, le comte de Bergeyck, Hippolyte Vilain XIII, l'abbé de Foere, de Coninck, Isidore Fallon (J. F., 2 mars.)

Se sont abstenus de voter : MM. Coppieters, Delwarde, Fransman, Van Snick, Wannaar, le comte d'Ansembourg, Teuwens. (C., 2 mars.)

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Louvain

M. Coppieters fait, au nom de la commission chargée de la vérification des pouvoirs des députés et suppléants élus par le Brabant, un rapport par lequel il propose l'admission de M. d'Elhoungne, suppléant pour le district de Louvain, en remplacement de M. Pettens, démissionnaire.

- Conclusions adoptées. (U. B., 2 mars, et P. V.)

Rapports sur des pétitions

M. Destriveaux fait, au nom de la commission des pétitions, un rapport sur quelques pétitions très urgentes ; entre autres sur celle de plusieurs cultivateurs des environs du Capitalen-Dam, qui se plaignent de la rupture de l'armistice par les Hollandais, et des pertes qu'ils leur font éprouver.

La commission propose le renvoi de la pièce au ministre des affaires étrangères et à celui de l'intérieur. (J. F., 2 mars.)

M. Le Grelle donne quelques explications. (E., 2 mars.)

- Le double renvoi est ordonné, et la chambre décide que MM. les ministres seront invités à faire le plus tôt possible un rapport sur l'objet de cette pétition. (P. V.)

Projet de décret provisoire sur les distilleries

Lecture, développements et prise en considération

M. Teuwens présente un projet de décret tendant à apporter quelques changements aux arrêtés du gouvernement provisoire sur les distilleries, en attendant qu'on ait discuté la nouvelle loi sur cette matière.

L'honorable membre en donne les développements. (J. F., et U. B., 2 mars.)

- L'impression du projet est ordonnée. (E., 2 mars.)

L'assemblée le renvoie à l'examen d'une commission spéciale, composée de MM. Teuwens, de Schiervel, Serruys, Dams, François, Berger, Jottrand, Vandenhove, Eugène de Smet. (P. V.)

Projet de loi électorale

Rapport de la section centrale

M. le chevalier de Theux de Meylandt fait le rapport de la section centrale sur les changements à faire à la loi électorale rejetée par le congrès et sur la proposition de M. le baron Beyts.

- L'assemblée décide que les changements proposés seront imprimés et distribués, et que la loi ainsi modifiée sera discutée immédiatement après la loi sur les fers. (P. V.)

Projet de décret relatif aux droits d'entrée sur les fers

L'ordre du jour est la discussion du décret sur les modifications à apporter au tarif des douanes relativement aux fers . (U. B., 2 mars.)

Discussion générale

M. le président – La parole est à M. Lecocq. (E., 2 mars.)

M. Lecocq – Messieurs, en me présentant à la tribune, mon intention n'est pas de traiter la matière sujette sous toutes ses faces ; je dois m'abstenir surtout d'entrer dans les calculs comparatifs des détails, calculs d'autant plus difficiles qu'ils sont souvent contradictoires entre les divers intéressés, en telle sorte qu'une première conclusion, qui d'abord a paru conséquente, ne se trouve plus la même par la dénégation d'un seul chiffre.

Mes connaissances ne vont pas jusqu'à pouvoir rencontrer les gens du métier sur toutes les catégories des nombreuses manipulations que subit le minerai ferrugineux ; je me borne à soumettre au congrès quelques considérations générales, en les rattachant aux vrais principes d'économie politique ; je veux dire aux principes, à mon sens, réellement praticables. Je ne fais que développer les motifs qui m'ont déterminé, dans le comité des finances, en faveur du projet au fond, et mes raisons sont applicables à plus d'une industrie.

Messieurs, j'avais eu l'honneur de vous parler, à propos de la première loi financière, de la diversité des opinions sur les systèmes si controversés de liberté ou de restriction dans le mouvement des importations et des exportations, matière grave, disais-je, et sur laquelle on crée souvent des utopies.

Cherchons aujourd'hui à nous en garantir dans l'examen des réclamations faites par les (page 614) propriétaires de hauts fourneaux et par les maîtres de forges.

Mais déjà j'entends invoquer le fameux laissez faire, déjà j'entends stigmatiser du caractère odieux de privilège un droit que nous appelons, nous, droit protecteur, alors qu'il est prudemment combiné.

Cette partie de l'économie politique ne nous a jamais paru pouvoir admettre des principes absolus ; elle nous a toujours paru au contraire devoir être subordonnée aux temps, aux hommes, aux choses et aux lieux.

Ami de la liberté illimitée, pourvu qu'il y ait réciprocité complète, nous n'avons jamais parlé douanes, prohibitions ou droits prohibitifs par esprit de prohibition, mais seulement comme mesures protectrices ou de représailles, nécessaires peut-être pour faire cesser les prohibitions.

Je me plais en cela à réitérer ici une profession de principes, à laquelle je suis resté fidèle chaque fois que depuis quinze ans je fus appelé à l'honneur de défendre les intérêts industriels, agricoles et commerciaux.

Vous savez, messieurs, combien il est facile de discourir sur l'économie politique ; les traités abondent, il ne s'agit que de lire et de compiler depuis Smith, appelé le père de la science, jusques et inclus le dernier venu : toutes les opinions, tous les systèmes trouveront là des arguments en leur faveur.

Mais ce n'est point dans les livres seuls qu'il faut étudier l'économie politique.

Et du reste ce célèbre Smith dont s'arment les partisans de la liberté illimitée, absolue, a-t-il bien toujours écrit de bonne foi ? Messieurs, l'Angleterre visait au monopole industriel, elle avait besoin de faire propager sur le continent des opinions économico-libérales qui lui ouvrissent tous les débouchés, tandis qu'elle renforçait chez elle le système prohibitif, et Smith était Anglais. Attachons-nous donc aux faits.

Au milieu des mémoires contradictoires qui ont passé sous vos yeux sur les questions maintenant soumises, reste démontrée une vérité majeure, c'est l'importance de la manipulation du fer, considéré comme matière première, sous le triple rapport de l'emploi des bras, de la houille et du bois.

Soixante et dix mille individus et au-delà trouvent l'existence dans le travail des extractions, des hauts fourneaux, des forges et des affineries.

Cette population actuellement fixée sur un sol ingrat pour tout autre produit, manipule annuellement de quatre-vingts à cent millions de kilogrammes de fontes créées avec un minerai, valeur morte aussi longtemps qu'il gît dans le sein de la terre.

Deux cents millions de kilogrammes de houille, un million et demi à deux millions de cordes de bois, viennent alimenter cent hauts fourneaux et cent soixante et dix feux d'affineries ! et voilà ce que j'ai entendu appeler avec quelque dédain de misérables intérêts privés.

Et dans les immenses productions, tout est indigène, tout est national !

Eh bien ! laissez faire maintenant, laissez arriver les fontes et les barres anglaises en libre concurrence avec les nôtres, sur lesquelles celles-là ont l'avantage du meilleur marché, par le concours des circonstances locales qui vous sont connues ! refoulez dans les entrailles de la terre ce minerai dont nous sommes riches avec exubérance ; annihilez ces bois et les houilles, alors sans autre emploi fructueux ; arrêtez les exploitations annuelles d'environ treize mille bonniers de bois, ce qui présente, d'après le terme moyen, une étendue d'environ trois cent mille bonniers dont vous condamnerez la production ; opérez donc ainsi par respect pour le principe de liberté illimitée, et des milliers d'individus vont errer sur leurs schistes et leurs rochers, sans travail, sans pain ! et la propriété aura immensément perdu de sa valeur. Tel serait particulièrement le triste sort de plusieurs localités d'une province déjà trop malheureuse, et qui demande toute notre sollicitude, je veux dire le grand-duché de Luxembourg.

C'est le cas de répéter qu'il ne faut pas, en pareille matière, opérer comme sur table nue, il faut tenir compte de ce qui est.

Mais l'intérêt du consommateur !... l’intérêt du consommateur, messieurs ?

Ce mot est devenu magique, il s'adresse aux masses et se trouve nécessairement accompagné du cri de Guerre au monopole ! toujours dirigé contre les producteurs.

Permettez-moi , messieurs, de reproduire ici les propres expressions dont je me servais, dans une occasion semblable, sous un régime qui n'est plus : « Quoi donc ! disais-je, qu'entend-on par consommateur ?.. ne semble-t-il pas qu'il existe dans la société, à entendre nos adversaires, deux classes bien distinctes et bien séparées : » l'une composée de tous individus qui exploitent, fabriquent, vendent sans consommer, et que, dans les termes de la science, nous appelons producteurs, l'autre composée de tous individus qui consomment sans exploiter, sans fabriquer, sans vendre, et que dans les termes de la (page 615) science, nous appelons consommateurs ? Ne semble-t-il pas qu'il y ait entre ces deux classes une ligne de démarcation très prononcée, qu'elles n'aient rien de commun l'une avec l'autre ? Ne semble-t-il pas que ce soient deux classes ennemies ? Qu'entendez-vous enfin par la classe des consommateurs ? Voudriez-vous ne pas y admettre ceux qui travaillent et qui consomment en travaillant, c'est-à-dire en produisant, qui conséquemment sont tout à la fois et consommateurs et producteurs ?

« Tous consomment ; tous, directement ou indirectement, par leurs moyens moraux ou leurs moyens physiques, tous produisent ou aident à la production.

« Où sera donc ce consommateur qui voudrait se ségréger de la grande famille pour se renfermer dans son étroit et dur égoïsme. Il le voudrait qu'il ne le pourrait pas. Existât-il ? ce consommateur ennemi du bien-être de sa patrie, ennemi de son propre bien, il ne mériterait pas que l'on s'occupât de lui.

« Tout se lie dans notre système ou plutôt dans l'ordre réel des choses. »

Que si, de hasard, tel consommateur paye certain produit national un peu plus cher qu'un produit étranger, c'est un sacrifice léger qui contribue au bien-être général et qui évite, de longue main, le plus grand des malheurs pour une société, la taxe des pauvres.

Messieurs, c'est le peuple ouvrier qui est le grand consommateur : car il ne thésaurise pas, lui ; il consomme tout ce que le producteur supérieur lui fait gagner, et il consomme au profit des mêmes industries qui mettent ses bras en action ; c'est une circulation perpétuelle qui donne la vie au corps politique : aussi est-il démontré, par des faits bien plus que par des raisonnements, que le premier de tous les marchés, pour une nation productrice, c'est le marché intérieur ; aussi voyez avec quels soins, avec quelle jalousie ce marché intérieur se trouve protégé, en Angleterre malgré les principes de Smith, malgré les beaux discours de leurs hommes d'État, et en France malgré les doctrinaires, malgré les libérales protestations ministérielles !

La France ! nous avons eu tout récemment la preuve de la fixité de son système protecteur ; nous nous rappelons à quoi se bornaient ses promesses au milieu des plus tendres épanchements de bienveillance et d'amitié : le retour au ministère, dans ces circonstances-là mêmes, de l'ancien président du bureau de commerce, n'est pas indifférent aux yeux de l'observateur.

C'est que la France tient à ses intérêts matériels ; c'est qu'elle apprécie toute la valeur de son marché intérieur ; malheureusement, en matière de douanes, son gouvernement donne parfois dans des extrêmes, il ne comprend pas bien le système d'échanges ; il veut forcer la production de tout ce que la France peut physiquement produire.

Si nous obtenons quelque chose de la France, un jour, ce ne sera point en nous abaissant, en nous humiliant ; ce sera en lui offrant des avantages réciproques : car entre les États, messieurs, l'affection prend sa source dans l'intérêt politique ; et une population de 4,000,000 d'hommes, consommant, à raison de leur aisance, en général autant que huit autres, peut compter pour beaucoup dans la balance des échanges avec ses voisins.

Continuons donc à favoriser notre marché intérieur, autant qu'il est en notre pouvoir, contre les envahissements de l'industrie étrangère ; cependant prenons pour bannière LIBERTÉ RÉCIPROQUE : présentons-la à tous les peuples, cette bannière libérale, et travaillons ainsi à une révolution toute de paix, qui aura pour heureux résultats, multiplication des moyens d'échanges et accroissement de consommation au profit de l'industrie, de l'agriculture et du commerce : l'honneur d'une révolution si belle nous est peut-être réservé.

Mais en attendant cette réciprocité, tenons-nous sur la défensive.

Nos principes ne peuvent effaroucher ce que l'on appelle le haut commerce... Lorsque au 28 décembre, nous lui faisions, par considération pour sa position critique, le sacrifice provisoire de l'impôt sur le café, nous disions et nous le répétons aujourd'hui : « Le haut commerce belge n'est pas égoïste ; d'accord avec nous dans la longue lutte contre les prétentions d'Amsterdam et de Rotterdam, le haut commerce belge avait compris que le système d'entrepôt bien organisé pouvait concilier tout ; enfin notre haut commerce sait que la Belgique doit être un État, et non pas un comptoir. »

Vous daignerez excuser cette petite digression, messieurs, elle n'est pas étrangère à la question sujette, et j'ai cru pouvoir saisir une occasion, qui ne se représentera plus pour moi, d'appeler du haut de cette tribune l'attention du législateur sur les vrais intérêts de l'industrie belge en général, dans la combinaison des dispositions de douanes ; espérons que ces intérêts seront également respectés dans les dispositions sur le transit car n'oublions pas là les dangers de la fraude ! Revenons aux fers.

Certes, nous ne voulons pas, en parlant pour (page 616) les hauts fourneaux et les forgeries, perdre de vue les intérêts particuliers d'une industrie pour laquelle le fer forgé devient matière première : je veux dire la clouterie.

Si la question devait se décider par l'importance relative de la clouterie comparée à l'importance des hauts fourneaux et de la forgerie, nul doute que celle-là ne dût céder déjà par quelques sacrifices ; mais si nous avons bien compris tout ce qui a été imprimé à ce sujet, nous pouvons croire que cette industrie ne souffrira pas d'une manière sensible par la légère augmentation de droits sur les fers étrangers : j'ai dit légère, car, à entendre d'autre part les propriétaires de hauts fourneaux et les maîtres de forges, l'augmentation serait insuffisante pour pouvoir être considérée par eux comme protection réelle.

D'ailleurs, ainsi que vous l'a annoncé M. le commissaire général des finances, le projet qui vous est présenté n'est point une œuvre complète ; ce n'est qu'une œuvre de circonstance ; l'on ne peut aujourd'hui que viser au plus pressé, et faire du transitoire sur les points d'urgence, sans avoir la prétention de frapper juste à toujours : s'il y a erreur, l'expérience la fera redresser.

Et puis, pas possible, comme je le disais encore dans la discussion des voies et moyens, pas possible de combiner prudemment des dispositions de douanes avec les besoins commerciaux, industriels et agricoles, avant que l'État n'ait acquis cette stabilité politique qui permet de compter sur des frontières déterminées, et conséquemment d'apprécier bien la nature de nos relations avec nos voisins.

On présente comme preuve de l'inutilité d'une augmentation de droits, la circonstance de la construction d'un grand nombre de hauts fourneaux sous le régime actuel.

D'autres orateurs, plus versés dans la connaissance des détails, répondront à l'objection ; ils démontreront comment et pourquoi les fers anglais se trouvent avoir acquis de nouveaux moyens de concurrence avec les nôtres, comment et pourquoi la plupart des nouvelles constructions de hauts fourneaux, considérées en elles-mêmes, n'ont pas répondu à l'espoir de l'industriel. On sait, messieurs, que l'industriel, en général plus généreux que le capitaliste, se laisse entraîner souvent par la passion des perfectionnements, et se hasarde facilement dans les essais.

Je me permettrai d'ajouter une observation puissante ; c'est que la fermeture du débouché sur la Hollande ayant diminué la consommation, il faut veiller d'autant plus sévèrement à protéger ce qui nous reste de l'ancien marché intérieur.

Telles sont les considérations qui me font persister dans l'opinion que les vrais intérêts des hauts fourneaux et de la forgerie exigent incessamment une plus forte protection au tarif des douanes contre les fers étrangers. Je me propose donc de voter pour le projet primitif, sans entendre cependant me refuser aux modifications que la discussion pourrait présenter être utiles, sur certains des dix-sept articles que la commission spéciale, créée dans votre sein, a jugé convenable d'amender ; sans entendre non plus consacrer des dispositions définitives, car les circonstances du moment entrent aussi pour quelque chose dans la formation de mon opinion.

Je termine en réitérant un vœu qui date de longtemps et que nos chambres de commerce ont souvent exprimé : c'est que le produit des douanes puisse un jour cesser de former une branche du revenu fiscal ; oui, et que le produit des douanes remonte désormais à sa source ; qu'il soit principalement consacré à favoriser l'industrie, le commerce et l'agriculture ! Caisses d'escompte à très modique intérêt ; importations de procédés nouveaux rendus publics ; dégrèvements divers dans certains cas, et surtout primes d'exportation... Voilà l'application naturelle de tous les droits d'entrée et de sortie, application qui portera son fruit sur les trois branches d'économie politique.

J'ai dit. (J. B., supp., 2 mars.)

M. le président annonce qu'il va être donné communication d'un message du gouvernement. (E., 2 mars.)

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture de deux messages de M. le ministre de la justice qui, d'après les ordres de M. le régent, transmet au congrès expédition de trois arrêtés, en date du 26 et du 27 février, relatifs à la composition du ministère.

- Pris pour notification. (P. V.)

On reprend la discussion. (U. B., 2 mars.)

M. Frison – Messieurs, ayant eu l'honneur de faire partie de la commission que vous avez chargée de l'examen du projet de changement au tarif sur les fers, je crois cependant devoir vous (page 617) soumettre quelques observations sur le rapport de l'honorable M. Zoude.

Un illustre publiciste, Gaetano Filangieri, a dit : « Une triste expérience ne nous a que trop appris combien un seul édit sur les finances a désolé de campagnes , en portant la stérilité à la source même de l'abondance, combien de milliers de citoyens il a enlevés à leur patrie, combien de ports il a fermés tout à coup, et combien de richesses il a fait transporter d'un Etat dans un autre. »

Cela est bien vrai, messieurs, et doit nous engager à mettre beaucoup de circonspection lorsqu'il s'agit de faire, en faveur d'un genre d'industrie, des changements à notre tarif de douanes.

Peu partisan des mesures prohibitives, ou des droits trop élevés en matière commerciale, je ne puis cependant me dissimuler qu'il est des cas où il faut momentanément en venir à des mesures semblables, soit pour soutenir, soit pour empêcher la ruine d'établissements existants, qui, par le grand nombre d'ouvriers qu'ils occupent, par les richesses et l'aisance qu'ils répandent dans les pays où ils sont placés, sont d'une utilité et d'une importance incontestables.

Les circonstances exigent-elles des mesures semblables en faveur de la forgerie ? Je n'hésite pas à répondre par l'affirmative, et suis convaincu qu'un changement au tarif ancien sur les fers est une nécessité du moment : je n'examinerai point si le changement proposé produira tout le bien qu'en attendent les maîtres de forges ; mais il satisfera la nombreuse population qui trouve ses moyens d'existence dans la forgerie. Il me semble que là est actuellement toute la question : évitons qu'une masse de fers étrangers, se répandant tout à coup dans le pays, puisse paraître la cause immédiate du manque de travail à donner aux ouvriers forgerons ; mais cherchons cependant à établir les droits nouveaux de manière à ce qu'ils nuisent le moins possible aux autres industries.

Le projet de votre commission atteint-il ce but dans toutes ses parties ? Je ne le crois pas. Je me bornerai à vous signaler, entre autres, quelques points sur lesquels il semble s'en être principalement éloigné.

Je ne m'occuperai pas de la question, en ce qui concerne la fonte en gueuses, plusieurs de nos honorables collègues se proposant de la traiter.

Le nouveau tarif désigne d'une manière générale, et fait deux classes des fers forgés, l'une soumise à un droit de 6 florins, l'autre à un droit de 8 florins.

Comment sortir de l'obscurité de cette désignation ? Jusqu'où vont les fers forgés en barres à fendre ou à marteler ? Où commencent les fers dits marchands carillons, etc. ?

Le douanier connaîtra-t-il ces divisions ? et ne faut-il pas qu'un tarif de douanes soit clair et précis ? Pourquoi changer à cet égard le projet présenté par l'honorable M. de Brouckere ? Personne au moins ne pouvait s'y tromper ; tandis qu'il est certain que, si l'on s'adressait à divers maîtres de forges, on obtiendrait des réponses différentes à ces questions.

Vous avez tous eu connaissance, messieurs, du mémoire qui vous a été remis de la part du comité de commerce et d'industrie de Liége : ce mémoire, bien raisonné, démontre à l'évidence de quelle importance est la clouterie pour la province de Liége ; il s'applique également à cette fabrication dans la province de Hainaut, où elle a acquis plus d'extension encore, car ce n'est pas exagérer que d'y porter ses produits au double.

Eh bien ! messieurs, le projet de votre commission ne tend à rien moins qu'à ajouter au bénéfice que doit nécessairement causer à la clouterie l'établissement d'un droit si élevé sur le fer : il anéantira totalement l'exportation des clous, qui, par suite du prix des fers, est déjà si restreinte, et nos fabricants, qui depuis longtemps ont peine à soutenir la concurrence sur les marchés étrangers, seront bientôt obligés de laisser à d'autres plus heureux le soin d'approvisionner en clous les villes de Brême, Hambourg, Lubeck, Copenhague et autres ports du Nord. Déjà, depuis quelques années, les commandes y sont diminuées de moitié : tous ceux qui peuvent avoir quelques connaissances en cette partie ne me taxeront point d'exagération ; c'est un fait que j'avance ici, fait que j'ai été à même de vérifier, ayant souvent parcouru ces contrées.

Le défaut de désignation précise permettra de classer le fer en verges parmi les fers dits marchands carillons, etc., et ce fer, qui d'ordinaire coûte moins que tous les autres, supportera un droit de 8 florins au lieu de 6.

Vous l'avouerez, messieurs, c'est être loin d'accueillir la demande qu'adresse le comité d'industrie de Liége, tendante à autoriser les fabricants de clous à faire entrer en franchise de droits le fer étranger, sous la condition de justifier de la réexportation d'une quantité équivalente en clous : demande contre laquelle, pour le dire en passant, je n'ai jusqu'ici entendu faire aucune objection solide, mais que je m'abstiens de développer davantage pour le moment.

Le projet que vous a présenté l'honorable (page 618) M. de Brouckere porte le droit sur l'acier à 2 florins ; votre commission l'a réduit à 1 florin 50 c. : cette réduction ne me paraît pas suffisante, et je voudrais que rien ne fût innové à cet égard sur l’ancien tarif, qui ne frappait l'acier que de 40 cents par 100 kilogrammes.

En effet, messieurs, il n'existe dans le pays que deux fabriques d'acier ;

1° Celle de M. Poncelet, à Liége, pour l'acier fondu ;

2° Celle de M. Hannonet-Gendarme, à Couvin, pour l'acier ordinaire.

La première s'est soutenue sous l'empire de l'ancien tarif, et la seconde, établie depuis peu, n'a jusqu'ici fourni que des essais... Et ce serait pour le soutien d'une fabrication en faveur de laquelle il ne nous est pas même prouvé que des droits plus élevés sur les produits étrangers de même genre sont nécessaires, que nous irions courir le risque de causer un préjudice certain à la coutellerie de Namur, Gembloux, etc., qui lutte même avec celle d'Angleterre !

Gardons-nous, messieurs, en voulant trop protéger et encourager, d'établir un monopole au profit de quelques fabricants, monopole qui serait bien plus dangereux que l'introduction de quelques milliers de livres de fer ou d'acier étrangers, en ce qu'il détruirait toute concurrence, par suite rendrait la forge rie stationnaire en faisant cesser toute émulation et tout perfectionnement, et produirait immanquablement la ruine totale de plusieurs branches de notre industrie. .

Je me borne pour le moment à demander ;

1° Qu'il ne soit fait aucune distinction entre les différentes espèces de fers en barres, verges ou carillons, c'est-à-dire que l'on maintienne la classification unique, ainsi que l'avait fait, dans son rapport, notre honorable collègue M. Charles de Brouckere ;

2° Qu’il ne soit rien innové à l'ancien tarif, pour ce qui regarde le droit sur les différentes espèces d'acier ;

3° Que, dans l'intervalle de la réunion des chambres, le gouvernement soit autorisé à modifier l'article 11 du projet de tarif de votre commission, s'il est adopté, en ce qui concerne la petite mitraille de fer battu, et s'il est reconnu que le droit de 2 florins porte trop de préjudice aux établissements de forgerie qui emploient exclusivement cette matière.

Ici j'ajouterai une observation que déjà j'ai faite dans le sein même de votre commission, et que l'honorable rapporteur a omise ; c'est que, pour éviter autant que possible que l'on ne fasse passer du fer neuf pour de la mitraille, il serait bon que le tarif ne permît l'entrée de cette dernière que sous la condition expresse qu'elle arrivât en vragt, c'est-à-dire non emballée, en tonneaux ou autrement : de cette manière, il sera beaucoup plus facile de reconnaître la fraude.

4° Je demande expressément que le nouveau tarif cesse, de plein droit, d'être en vigueur après une année révolue au plus, s'il n'est renouvelé par les chambres. (U. B., 2 mars.)

M. Charles de Brouckere demande la parole pour une motion d'ordre. Il désire que la discussion particulière ait lieu article par article ; et que pour le moment on se borne à des observations générales. (J. F., 2 mars.)

M. Jottrand s'y oppose. (C., 2 mars.)

- L'assemblée décide que la discussion sera continuée comme elle a commencé. (C., 2 mars.)

M. Pirson – Messieurs, avant de vous parler des intérêts de la forgerie indigène, je poserai quelques principes généraux qui doivent servir de règle à tout gouvernement pour assurer la prospérité du pays dont il a la direction.

Produire, consommer ses produits, vendre ou échanger son superflu à l'étranger, voilà, en thèse générale, tout le secret d'une balance commerciale avantageuse.

Les lois restrictives à l'entrée ou à la sortie d'un État ne doivent point avoir un but fiscal, mais protecteur de l'industrie, du travail et de tous les produits en général.

Cependant il y a telle position géographique où il n'est besoin d'aucune combinaison de douanes, où la plus grande liberté est l'âme et la vie du commerce, parce que là il ne consiste point à produire, mais bien à entreposer et colporter en tons sens les produits étrangers. Telle est encore aujourd'hui la position de la Hollande et de quelques villes libres. On a vu, dans les temps les plus reculés, de ces positions où des peuplades d'hommes libres ont prospéré et sont devenues formidables par un commerce sans entraves. Mais ce sont là des exceptions qui peuvent bien induire en erreur des hommes superficiels, dont le jugement ne va pas jusqu'à distinguer les circonstances des temps et des lieux.

Il y a, en fait de commerce comme en fait de politique, des ultra-libéraux, dont l'imprudence peut tout désorganiser et compromettre tous les intérêts nationaux.

N'y aurait-il pas une puissance à la solde de laquelle se trouveraient les uns et les autres ? Je suis loin toutefois de soupçonner les partisans (page 619) d'une sage liberté et de jeter le blâme sur eux.

C'est de l'Angleterre que partent toutes les provocations à la liberté du commerce ; mais là on veut de la liberté politique et des restrictions commerciales pour soi, de la liberté commerciale et des restrictions politiques pour les autres. Cela se conçoit : introduire la liberté politique chez les nations, c'est introduire la surveillance de leurs propres affaires. On en a meilleur marché avec le pouvoir absolu, occupé sans cesse de lui-même bien plus que de l'amélioration du sort de ses sujets.

Les provocations anglaises vers la liberté du commerce ont de l'écho partout où ce peuple a des entreposeurs ; et où n'en a-t-il pas ! Ces entreposeurs ont un bénéfice de commission auquel ils ajoutent celui de contrebande, s'ils sont placés à coté d'autres États dont le système soit restrictif. Cessons d'être à la fois contrebandiers et geôliers de la France ; un rôle plus noble nous attend.

Oh ! si les gouvernements anglais et français abolissaient en France et en Angleterre tout système prohibitif et restrictif, j'applaudirais à cette mesure de la plus haute et de la plus généreuse politique. Je l'adopterais pour mon pays, quoique d'abord il pût en souffrir.

Alors toutes les valeurs du monde connu, tous les produits de la nature, de l'industrie et des arts, feraient entre toutes les nations civilisées une masse commune, où chacun serait autorisé à puiser selon ses besoins et ses désirs, masse intarissable dont la circulation et le mouvement seraient animés par les échanges et tous les signes représentatifs connus.

Un tel accord mettrait fin à toutes les rivalités, il simplifierait la politique et l'art de gouverner ; mais c'est là un beau rêve comme celui de la paix perpétuelle.

Dans l'état actuel des choses, état dont sont éloignées de se départir les grandes nations qui nous avoisinent, ce n'est point sur un système trop libéral que nous devons baser notre tarif des douanes. Toute nation doit être égoïste en fait de commerce : la générosité serait duperie ; réciprocité, c'est tout ce que l'on se doit entre peuples indépendants.

L'argent et le change étant les signes représentatifs et convenus, de toutes les valeurs, entre les nations commerçantes, il s'ensuit que celle qui aura le plus d'argent et le moins de traites à payer sera dans la plus grande prospérité ; que celle dont les exportations balanceront tout juste les importations sera stationnaire, et que celle qui achèterait sans cesse à l'étranger, même à très bon marché, lui vendant peu ou point, finirait par débourser son dernier écu.

Ainsi, acheter le moins possible à l'étranger, lui vendre le plus possible, telle est l'impulsion que doit donner notre tarif à nos relations commerciales.

Je sais bien que ce grand principe échappe sous mille nuances différentes, que des intérêts se croisent en tous sens ; mais toujours on reconnaîtra si l'on fait bien de faciliter l'introduction de tel ou tel article de commerce, en suivant toutes les conversions qu'il peut subir par le travail, pour ressortir ensuite, ou du moins compenser la sortie d'autres objets qui nous resteraient sur place.

Tels sont les principes que je vais appliquer au tarif de nos douanes en ce qui concerne les fers.

Quatre provinces de la Belgique, qui en étendue font plus que moitié de tout le territoire, abondent en minerai de fer de toutes qualités ; il est avéré qu'à l'exception de l'acier, nos forges peuvent suffire à tous nos besoins : les essais les plus scrupuleux ont été faits par le gouvernement hollandais, qui, à coup sûr, n'était point animé de partialité en faveur de nos maîtres de forges. Des câbles de vaisseaux en fer, des canons ont résisté à toutes les épreuves. Mais nos fers ne peuvent encore se vendre au cours des fers étrangers, notamment de ceux qui proviennent de l'Angleterre, Depuis trois ans, nos meilleures qualités ont peine à s'écouler ; les secondes et les troisièmes restent en magasin. Un grand nombre de forges et fourneaux, dans le Luxembourg et sur le rivage de la Meuse, ont leurs feux éteints : ce ne sont point les événements actuels qui ont produit cet effet, mais bien l'introduction du fer anglais. Rien n'est plus urgent que d'arrêter ce débordement, si l'on veut conserver l'existence aux habitants de deux provinces, celles de Luxembourg et de Namur. Deux autres, le Hainaut et Liége, y sont aussi fort intéressées ; mais celles-ci ont d'autres ressources. Elles recèlent d'ailleurs des fabrications en fer, comme clouteries, ferronneries et armes, qui les mettent en opposition avec les maîtres de forges relativement à une augmentation de droits sur les fers étrangers. C'est cette opposition qui, sous l'ancien gouvernement, jointe au système de liberté commerciale qui dominait en Hollande, a nui considérablement à la prospérité de la forgerie indigène. Pour juger du mérite de ces réclamations opposées, et se décider en faveur de l'une ou de l'autre, il faut calculer leur importance réciproque. D'un côté, vous avez bien (page 620) quelques milliers d'ouvriers cloutiers, ferronniers, armuriers, dont le travail fait presque toute la valeur de l'objet ouvré.

Un fusil de luxe, par exemple, qui coûte 40 ou 50 florins et qui pèse au plus 5 à 6 livres des Pays-Bas, restera-t-il en magasin parce que le fer se vendra 1 ou 2 cents la livre de plus ?

Quant à la clouterie et à la grosse ferronnerie, l'effet est plus sensible sans doute ; mais quelle comparaison peut-il y avoir entre ces fabrications et la grande forgerie ? Les premières se soutiendront, quoi qu'on en dise, malgré une petite augmentation du fer, par une bonne raison : c'est qu'une forte partie de leurs objets se consomment dans le pays même. Mais calculez les effets de l'anéantissement de notre forgerie.

Nos vastes propriétés boisées, nos terrains à minières perdent toute valeur. Cent cinquante mille ouvriers (je renchéris sur mon collègue M. Lecocq, et cependant je n'exagère pas) cent cinquante mille ouvriers employés à l'extraction et au lavage des mines, à la coupe des bois, à la carbonisation, au service des fourneaux et des forges, au voiturage des mines, des charbons, des fers, des houilles, doivent émigrer ou se faire mendiants ; les propriétaires de houillères doivent aussi diminuer leur extraction. La plupart des communes qui avoisinent les forgeries, n'ayant de propriétés qu'en bois, perdent toutes ressources, et cependant on ne pourrait les défricher, ces bois ; le sol montueux, rocailleux, schisteux, sur lequel ils croissent, ne conviendrait point à la culture. Et ne voyons-nous pas, dans la vaste contrée des Ardennes, la moitié du sol couverte de mousse, de genêts, de bruyères et de fougères ?

Maintenant je mets toutes ces considérations à part, pour n'envisager que l'intérêt des consommateurs nombreux de nos riches provinces.

Eh ! mais ne sommes-nous pas tous consommateurs et producteurs à la fois ? Le cultivateur, le forgeron, le bûcheron, le fabricant de toiles, de draps, le distillateur, etc., sont tous producteurs et consommateurs.

Si le fabricant de toiles, de draps, le distillateur, le cultivateur refusaient de payer une légère augmentation de droits sur le fer, d'autres leur répondraient qu'ils se refusent aussi à payer des droits sur les toiles, les draps, les grains étrangers qu'ils pourraient se procurer à meilleur compte que ceux du pays.

D'après mes principes, je voterai pour tous droits qui auront pour but d'assurer sur nos propres marchés la vente de nos produits, quels qu'ils soient.

Soit dit en passant, je pense que la fabrication de nos toiles n'est pas assez encouragée ; car à Liége, Namur, et dans le Luxembourg, il se vend plus de toiles étrangères que d'indigènes ; les toiles de Silésie et de Lorraine y abondent. Mais j'en reviens à mon sujet, les fers.

Il est un fait incontestable, c'est que partout en Belgique, en face même de nos forges, il se vend quantité de fer anglais : c'est que les feux de nos fourneaux et de nos forges s'éteignent : il faut donc venir au secours de ceux-ci.

Nos maîtres de forges auraient désiré qu'on se rapprochât, par rapport à eux, le plus possible, du système français. Et en effet, ne sont-ils pas dans une position analogue ? Il y a cependant cette différence que la France, ne possédant pas tout le fer dont elle a besoin, semblerait pouvoir, sans trop de préjudice pour ses forges, se relâcher un peu de la rigidité de ses douanes à l'introduction du fer. Nous, au contraire, depuis notre séparation de la Hollande, nous en aurions surabondamment si nos forges obtenaient une grande protection. Il faut donc : 1° conserver pour notre forgerie le marché de notre propre pays ; 2° nous ménager un écoulement vers la France, qui n'a point de répugnance à recevoir nos fontes dites gueuses.

Pour atteindre le premier but, il faut repousser les fers étrangers par des droits d'entrée qui établissent au moins l'équilibre du prix entre les fers indigènes et les fers étrangers. Il vous a été soumis, par nos maîtres de forges, des calculs que je ne reproduirai pas : vous les avez imprimés sous les yeux. Il résulte de ces calculs que les droits proposés par M. le commissaire général des finances, ceux même un peu plus élevés, proposés par votre commission, seraient insuffisants. Mais comme il est prudent de ne point brusquer les choses, et que le temps pourra indiquer ce qu'il y a de mieux à faire, j'adopterai volontiers les conclusions de votre commission, sauf toutefois les changements que la discussion pourra indiquer.

On objecte qu'en élevant les droits sur les fers étrangers, on favorisera le monopole du fer au profit de nos maîtres de forges. Eh ! messieurs, comment pourrait-il s'établir un monopole entre eux ? N'a-t-on point toujours plus ou moins besoin de vendre ? N'y a-t-il pas assez de concurrence ? Y aura-t-il monopole entre les manufacturiers, si vous protégez et les fabriques de draps et les fabriques de toiles et les fabriques de coton ?

Deuxième but. Pour nous ménager un écoulement vers la France, il ne faut pas accorder aux (page 621) fers étrangers un transit gratuit. Quoi ! pour un modique bénéfice de commission et de transport, sur une quantité donnée de fer qui s'introduirait en France par notre territoire, nous renoncerions à la vente de cette même quantité qui, intrinsèquement, est tout bénéfice pour nous, puisque la valeur totale d'une gueuse de fer se compose de notre minerai, de notre travail et des moyens de fusion, qui sont aussi les produits de notre sol !

M. le commissaire des finances et votre commission ont omis de vous parler de ce transit, parce qu'ils ont pensé sans doute qu'il devait en être question seulement lorsque l'on discutera une loi générale sur le transit ; mais je pense, moi, que, quand on traite d'un objet de commerce sous le rapport des douanes, il faut le voir sous toutes les faces en même temps. Entrée, sortie et transit, voilà les trois faces. Il s'agit maintenant d'entrée et de sortie des fers. Faudra-t-il recommencer la discussion pour le transit dans un temps plus éloigné ? Pourquoi ne point coordonner en même temps toutes les mesures qui doivent compléter notre système de douanes relativement au fer ?

Messieurs, tirons tout le parti que nous pouvons de notre position. Nos mines sont inépuisables ; elles sont situées sur toute la frontière de France, qui n'a au Nord ni la quantité ni les qualités nécessaires. Elle veut bien recevoir nos gueuses, qu'elle considère jusqu'à un certain point comme matière première, et nous pouvons lui en fournir abondamment sans manquer à nos besoins.

De grands établissements sont commencés chez nous ; ils dépérissent en naissant. Ils auront, si vous le voulez, la vie sauve, et seront considérablement augmentés, Si vous prenez de bonnes mesures pour seconder un grand élan.

Croyez-moi, nous avons vraiment des mines de richesses : la houille et le fer. Favorisez surtout le fer de fonte, et bientôt vous verrez dans une grande activité des fourneaux au coke qui produiront des fontes non seulement pour nous, mais encore pour tout ce qui manque à la France depuis Avesnes jusqu'à Longwy. Elle-même s'en trouvera bien, parce qu'elle pourra convertir nos gueuses en barres dans ses forges qui, consommant moins de charbon de bois que les fourneaux, pourront ainsi s'alimenter en ménageant ses bois, dont le prix est infiniment plus élevé que chez nous.

Je vous prie encore de croire que, né et habitant dans le pays des bois et des minières, j'ai fait toutes les observations qu'indique la statistique en pareille matière ; que ces observations sont impartiales, puisque je ne suis ni propriétaire de fourneaux, de forges, ni d'établissement où l'on travaille le fer ; qu'il n'en est pas de même de tous ceux qui vous présentent des pétitions et des mémoires, chacun selon son intérêt.

Le cloutier, le ferronnier, l'armurier voudraient avoir le fer au plus bas prix possible ; leur intérêt n'est pas le même que celui du maître de forges et du propriétaire de fourneaux.

Celui du maître de forges battant fer est encore opposé à celui du propriétaire de fourneaux, parce que le maître de forges aussi voudrait avoir des gueuses au meilleur marché possible.

Le fer de fonte, messieurs, voilà le type de la forgerie, la source de toute prospérité en fait de fer. Comme je vous l'ai déjà dit, la valeur intrinsèque d'une gueuse est tout bénéfice pour le pays, puisqu'elle se compose d'un minerai qui resterait enfoui, d'un travail immense depuis l'extraction jusqu'à la fusion, et puis de la valeur du charbon employé à cette fusion, valeur qui resterait aussi morte dans nos bois et nos houillères, si nos fourneaux s'éteignaient.

D'après toutes ces considérations, après avoir fixé les droits d'entrée sur les différentes espèces de fer, je propose de les assujettir pour le transit au demi-droit d'entrée.

Il est probable que le commerce d'Anvers va se récrier ; tout le système hollandais est concentré là. Je ne dirai pas que, si les Anversois ont fait chorus avec les Néerlandais pour s'enrichir aux dépens de notre industrie, nous devons prendre notre revanche ; mais je dirai : Soyons justes sans acception de personnes et de localités, donnons la préférence au système qui conservera le plus d'argent dans le pays, et voyons si un bénéfice de commission doit l'emporter sur celui de toute une valeur intrinsèque.

Un préopinant, notre collègue M. Lecocq, a parlé de l'accroissement qu'avaient pris nos hauts fourneaux depuis quelques années, accroissement qui tout à coup tombe en décadence ; mais il ne vous a pas expliqué les causes de cet accroissement et de cette décadence subite,

La prospérité de notre forgerie date de l'époque où nous faisions partie de la France.

Lorsque nous avons été érigés en royaume avec la Hollande, le principe de liberté de commerce qui dominait ce dernier pays a facilité l'introduction des fers étrangers, et bientôt notre forgerie a décliné graduellement. Cet état de choses a duré jusqu'en 1821, époque à laquelle l'ancien gouvernement s'est emparé de nos bois domaniaux d'après une estimation qui ne peut détourner l’accusation de vol. Alors le gouvernement a cherché (page 622) à relever et le prix du fer et celui des bois. Pour cela il avait deux moyens : c'était de surveiller ses douanes, ce qu'il ne faisait pas toujours, et pour cause (on sait que dans la Hollande, depuis le chef jusqu'au dernier des maltôtiers. ils croyaient bien mériter de la patrie en favorisant la fraude), Le gouvernement a donc surveillé le payement des droits, faibles à la vérité, sur l'introduction des fers ; mais il a fait de grandes commandes, qui ont rendu la vie à notre forgerie : elle a pris un grand élan. Le gouvernement a vendu la propriété de ses bois, et depuis lors il a cessé toute commande, et il a laissé l'entrée libre ou à peu près libre aux fers étrangers. Voilà, messieurs, des traits d'un infâme monopole dont quatre provinces ont été les victimes.

J'observe que je n'ai parlé ici que sur la loi en général ; je me réserve la parole sur chaque article en particulier, à mesure qu'ils seront discutés. (U. B., 3 mars.)

M. Zoude (de Namur) – Sous l'empire français, les forges avaient atteint un haut degré de prospérité. La France les soutenait contre la concurrence étrangère et leur offrait chez elle 30,000,000 de consommateurs. Les maîtres de forges sentent que le retour à cet ordre de choses n'est plus possible. Mais ils se plaignent de devoir soutenir la concurrence avec l'Angleterre. Notre sol, riche à la vérité en fer, houille et bois, ne produit pas, par le même puits, les trois choses à la fois ; avantage qui permet aux Anglais de donner leurs fers à beaucoup meilleur compte sur les marchés étrangers.

L'avenir des provinces wallonnes dépend des mesures que vous allez prendre. Outre l'augmentation des droits à l'entrée sur les fers étrangers, je désirerais que l'on ne permît pas le transit, dont le but ne peut être que d'introduire en France les fers anglais et allemands. Ce ne sera qu'un prétexte de fraude. (J. B. 2 mars.)

M. Zoude (de Saint-Hubert), rapporteur, défend le projet de la commission ; il s'attache particulièrement à réfuter quelques réflexions de M. Kauffmann insérées dans le Courrier des Pays-Bas. (J. B. 2 mars.)

M. le vicomte Desmanet de Biesme – Notre but n'est que de soutenir cette branche importante d'industrie dans l'état critique où' elle se trouve actuellement. (J. B. 2 mars.)

M. Jottrand – Plusieurs intérêts sont à considérer dans la matière qui nous occupe. Les propriétaires de hauts fourneaux demandent que le fer brut étranger soit imposé et que l'on prohibe la mitraille, dont on se sert au lieu de fer brut. Les couteliers demandent au contraire que le fer étranger ne subisse pas de droit, parce qu’il est à meilleur marché. Les marchands de fer ont encore des intérêts différents ; ce n'est qu'avec la plus grande circonspection que nous pouvons prendre une détermination. (J. B., 2 mars.)

M. Van Snick – Messieurs, pour la première fois, nous nous voyons appelés à prononcer sur des intérêts manufacturiers et commerciaux ; et ce premier usage de nos attributions législatives sur la matière qui occupe en ce moment le congrès, est bien propre à faire trembler tout député consciencieux dans l'émission de son vote.

Des intérêts presque contraires, et qui tous nous sont également chers, sont en présence. Serons-nous assez heureux pour les concilier, et pour faire aux uns la part des avantages qu'ils attendent du nouveau tarif, sans imposer aux autres des sacrifices qui semblent ne devoir pas tarder à amener leur ruine ; d'un côté, les propriétaires de hauts fourneaux applaudissent aux modifications proposées ; ce sont eux, si nous en croyons l'honorable auteur du projet, qui réclament cette protection plus efficace pour leur industrie : ce sont eux qui soutiennent que les droits existants sont insuffisants pour lutter contre l'introduction des fers étrangers et particulièrement des fers anglais.

Cependant, ils ont soutenu jusqu'ici cette concurrence, on me l'assure du moins, avec succès et bénéfice. Ces établissements ne sont point appauvris ; il est au contraire prouvé qu'ils ont acquis un grand développement depuis le moment de leur création. Chose étonnante, messieurs, et qui plus que tout le reste semble déposer contre leurs assertions, c'est sous l'empire du tarif qu'il est question de modifier qu'ont eu lieu ces créations et ces accroissements !

Craignons donc bien que sous l'apparence d'une sollicitude qui n'a que la plus grande prospérité générale pour objet, les propriétaires de hauts fourneaux n'agissent que pour eux seuls : je veux croire que ces établissements souffrent en ce moment ; mais ces souffrances sont peut-être aussi, comme toutes les autres, le résultat des circonstances extraordinaires dans lesquelles nous nous trouvons, et qui, en tenant tous les capitaux enfouis, ont à la fois arrêté toutes les entreprises et frappé de mort toutes les industries.

C'est une simple crainte que j'ai exprimée..... je n'affirme rien. Je ne veux point inculper au hasard et sur des conjectures plus ou moins vraisemblables les intentions de qui que ce soit : mais il m'est impossible, dans l'état de la cause, si je (page 623) puis parler ainsi, d'émettre un jugement bien sûr et bien juste.

Les seules bases capables de servir d'appui à un pareil jugement nous manquent, M. l'administrateur des finances l'a reconnu lui-même.

« Le projet que j'ai l'honneur de vous présenter, nous a-t-il dit le 8 janvier, n'est pas, je l'avoue, appuyé des faits nécessaires pour frapper juste. Or, messieurs, frapper avec la certitude de ne point frapper juste, c'est frapper au hasard, et c'est là ce dont s'abstiendra, je pense, tout homme impartial et consciencieux, établi juge entre des industries rivales, pour ainsi dite, mais toutes dignes d'une égale bienveillance et d'une égale protection.

Vous avez entendu les plaintes des propriétaires de hauts fourneaux. Il est de toute justice d'entendre, par contre, celles des fabricants et des forgerons de diverses espèces.

Si nous les en croyons les uns et les autres, le premier, l'inévitable effet de l'adoption du projet de loi, sera de réduire à l'inaction les nombreuses forgeries belges, dont le travail est tout entier dans la manipulation de la mitraille.

Le droit dont la mitraille va être frappé ne permettra plus à ces établissements de lutter, comme ils l'ont fait jusqu'ici, contre les fabrications étrangères. Ce droit, aux yeux de ces industriels, est une véritable prohibition. D'innombrables fourneaux vont s'éteindre ; d'immenses ateliers, où se pressent des milliers d'ouvriers, vont se trouver déserts. Enfin, des populations entières vont se trouver en proie à la misère, à tous les maux, à toutes les horreurs qui ne manquent jamais de l'accompagner.

Messieurs, ce tableau est-il par trop rembruni, ces craintes sont-elles exagérées ? Jusqu'ici je n'en sais rien, tout ce que je sais c'est que ce langage est celui des industriels occupés de la fabrication des armes, de la grosse quincaillerie et clouterie, et tout à la fois des propriétaires de forges à mitraille, et que je ne vois pas trop bien, quant à présent, pourquoi nous serions portés à ajouter moins de foi à leurs prévisions qu'à celles des propriétaires de hauts fourneaux.

Impossible, répètent les premiers, de continuer des travaux qui doivent indubitablement amener notre ruine : le renchérissement infaillible des matières premières diminuera la consommation intérieure et nous exclura de tous les marchés de l'Europe : inaction, mort certaine pour nos forges, nos fabriques et nos manufactures !

Ainsi, messieurs, l'une et l'autre partie fait valoir en faveur de sa cause des motifs également puissants ; toutes deux plaident au nom de l'intérêt public, de la plus grande prospérité nationale possible et des populations auxquelles l'une et l'autre donnent la subsistance et le bien-être.

En présence d'assertions si diverses et si opposées, quel jury sévère, guidé par le seul amour du bien public, osera se décider sans le secours d'une enquête contradictoire ? Quant à moi, je ne me chargerai point de cette redoutable responsabilité.

Je respecte toutes les intentions, je les crois toutes pures d'égoïsme et de calculs exclusivement personnels ; mais c'est une raison de plus pour suspendre mon vote jusqu'à plus amples informations.

Je désirerais, suivant l'expression de M. l'administrateur des finances, pouvoir frapper juste ; mais aujourd'hui, je ne pourrais que frapper en aveugle, et donner la mort peut-être, lorsque je croirais rendre la vie.

Messieurs, mon vœu le plus sincère et le plus vif est de voir lever mes scrupules ; puisse la discussion les faire disparaître ! et dans ce cas seulement je voterai pour la loi. (E., 3 mars.)

M. Barthélemy – Il y a cinq ou six intérêts divers que l'on craint de froisser, les uns tiennent au sol, les autres sont purement industriels. Les intérêts des propriétaires des hauts fourneaux et de ceux où l'on convertit le fer en barres se réunissent. Ils emploient le produit du sol qu'ils font valoir avec d'autres produits du sol qui constituent la véritable richesse de quatre provinces. Il faut peu compter sur l'industrie qui n'emploie pas les produits du sol. Je doute fort que celle dont j'ai parlé plus haut ne puisse pas soutenir la concurrence. (J. B.,2 mars.}

M. Charles de Brouckere annonce qu'il a l'intention de parler sur l'article premier des conclusions de la commission ; il demande s'il y a encore des orateurs qui désirent prendre la parole sur l'ensemble du projet. (E., 2 mars.}

- La discussion générale est close. On passe à la discussion des articles du tarif. (U. B., 2 mars.)

Discussion des articles

Article premier, paragraphe premier

« § 1er. Minerai de fer, sortie et transit prohibés ; entrée 1/2 % de la valeur » (comme à l'ancien tarif). (A. C.)

M. Jottrand demande que ce tarif soit conservé, mais que la sortie et le transit du minerai soient permis. (U. B., 2 mars.)

- Cet amendement est appuyé. (U. B., 2 mars.)

M. Jottrand – Messieurs, le minerai est assez abondant dans notre pays, mais l'extraction s'en fait par des procédés plus grossiers qu'en Angleterre, et qui ont grand besoin d'être perfectionnés. (page 624) L'ancien tarif interdisait la sortie du minerai, parce qu'on voulait qu'il fût tout employé en Belgique. Nous sommes intéressés, comme l'a dit un des préopinants, à tirer le meilleur parti possible des produits de notre sol ; et je demande, s'il y a avantage pour les propriétaires à vendre leur minerai à l'étranger, qu'ils puissent en jouir. Ces avantages encourageront l'exploitation des mines, et les propriétaires de mines emploieront bientôt des moyens moins grossiers que ceux qu'ils ont employés jusqu'ici à l'extraction du minerai. (U. B.. 2 mars.)

M. Zoude (de Namur) – Je m'oppose à l'amendement de M. Jottrand. D'après un article de la loi de 1810, il est enjoint à tout propriétaire d'extraire le minerai qui est dans son sol dans les dix jours de la sommation qui lui en est faite, faute de quoi les propriétaires de fourneau sont autorisés à faire procéder- il l'extraction. Adoptez l'amendement de M. Jottrand, et cet article est illusoire ; car les propriétaires extrairont le minerai, mais ce sera pour le porter à l'étranger, et les hauts fourneaux en Belgique n'ont plus qu'à s'éteindre. (U. B., 2 mars.)

M. le comte de Quarré combat l'amendement. (U. B., 2 mars.)

M. Seron – La proposition de M. Jottrand est insoutenable : si elle est adoptée, tous les hauts fourneaux vont tomber. (J. B., 2 mars.)

M. Jottrand – Il est évident que les propriétaires de hauts fourneaux n'y trouveront pas leur compte ; mais ce n'est pas seulement leur intérêt qu'il faut consulter, c'est celui du pays ou du plus grand nombre. Par mon amendement vous donnez un nouvel élan à cette branche d'industrie : le minerai est à vil prix maintenant, et l'on conçoit fort bien que ceux qui l'achètent désirent la continuation de cet état de choses et des mesures prohibitives ; mais, encore un coup, ce n'est pas d'eux seuls que nous devons nous occuper. D'ailleurs, messieurs, si la sortie est permise, vous verrez des associations se former pour exploiter les mines autrement qu'elles ne le sont, et tout le monde y pourra trouver son profit. (U. B., 2 mars.)

M. Charles de Brouckere, ministre des finances – J'ajouterai une seule observation à celles par lesquelles on a combattu l'amendement de M. Jottrand : il nous promet des avantages qui résulteront des moyens moins grossiers d'extraire le minerai ; mais ce perfectionnement ne se fera qu'avec assez de temps, et je ferai remarquer que notre projet a pour but de venir instantanément au secours de la fabrication des fers et des propriétaires de hauts fourneaux. Adoptons la proposition de M. Jottrand , et, au lieu de les secourir, nous les ruinerons à l'instant même. (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 2 mars.)

- On met aux voix l'amendement de M. Jottrand ; il est rejeté. (P. V.)

Le paragraphe premier du projet du gouvernement est adopté. (P. V.)

Article premier, paragraphe 2

La discussion est ouverte sur le paragraphe 2, ainsi conçu :

« § 2. Fonte de fer en gueuses, quelle que soit sa forme et telle qu'elle se trouve immédiatement au sortir des hauts fourneaux, les cent livres, 1 florin. » (A. C.)

M. Jottrand propose de maintenir le droit de 25 cent., tel qu'il était établi par la loi antérieure. On ne se plaint, dit-il, qu'à cause des circonstances et nullement à cause du vice de la loi. (C., et J. B., 2 mars.)

M. Charles de Brouckere, ministre des finances – Messieurs, je viens répondre aux objections qu'a rencontrées, dans le sein de votre commission spéciale, le projet de décret que j'ai eu l'honneur de vous présenter, concernant quelques changements à apporter au tarif actuel des douanes, et réfuter les arguments produits dans la discussion sur le premier article du tarif.

Et d'abord, qu'il me soit permis de vous faire observer que les attributions, encore mal définies, des différents départements d'administration générale avaient imposé à la commission créée, près le département des finances, pour la confection des lois ou budget, la tâche de réviser ceux des articles du tarif qui excitaient le plus de plaintes, tandis qu'un comité d'industrie, de commerce et d'agriculture est attaché au département de l'intérieur. Je fais cette observation afin que vous ne perdiez point de vue que je ne suis pas l'auteur, mais simplement le coopérateur du travail que je suis appelé à défendre.

J'entre en matière. Parmi les changements proposés par votre commission, le principal est relatif aux fontes de fer en gueuses.

Jusqu'ici le droit d'entrée, sur ce produit, était de 25 cents : nous l'avions élevé à 1 florin ; votre commission veut le porter à 2 florins.

Il m'est difficile de pénétrer les motifs d'une augmentation aussi considérable ; je ne les trouve pas dans son rapport. Les raisonnements généraux qu'il présente ne sont appuyés d'aucun fait : la commission aura cédé, sans doute, aux allégations des maîtres de forges et des propriétaires de hauts fourneaux, consignées dans un mémoire (page 625) qui a été imprimé et distribué aux membres du congrès.

Ce mémoire est dirigé contre les motifs que j'avais fait valoir à l'appui du projet.

Je vous avais dit que les fourneaux ont été établis alors que le droit d'entrée n'était que de 25 cents.

On me répond que les constructions datent de 1825 et 1826, époque où la fonte anglaise était à un prix très élevé.

Laquelle de ces deux allégations est exacte ? Vous allez en juger.

Dix hauts fourneaux au coke existent sur notre sol, et leur construction a eu lieu aux époques suivantes, savoir :

1 appartenant à M. J. Cockerill, à Seraing, en 1824 ;

1 à M. Hannonet-Gendarme, à Couvin, en 1825 ;

1 à M. Huart, à Hauchy, en 1825 ;

1 à M. Priat, à …, en 1826 ;

1 à M. Warocqué, à Hourbesn en 1826 ;

2 à M. Huart et Comp., à Couillet, en 1829 ;

1 à M. Dupont, à Châtelineau, en 1830 ;

2 à M. Wilmar, à Châtelineau, en 1830.

Ainsi, messieurs, trois fourneaux, dont deux ne sont même pas encore en activité, datent de 1829 et 1830 ! Tous les autres ont été construits postérieurement à l'établissement du tarif, qui date de 1822.

Quant à ceux-ci, je dois vous faire remarquer que la hausse des fers en Angleterre s'est manifestée en 1825 qu'en 1826, les prix en étaient déjà considérablement réduits, et qu'en 1827 ils se vendaient au taux moyen des prix antérieurs. .

Les maîtres de forges étayent leurs raisonnements de faits erronés. Ils soutiennent que la fonte anglaise, dont le prix ordinaire serait de 7 1/2 à 8 liv. sterl. la tonne, se serait élevée, en 1825 et 1826, au prix de 15 et 16 livres : ils citent, à ce sujet, un rapport du ministre du commerce de France du 21 mai 1829.

Messieurs, voici ce que disait M. de Saint-Cricq, à la chambre des députés, le 21 mai, en parlant non des fontes, mais des fers forgés :

« Là aussi (il est question de l'Angleterre) et au même moment (c'était en 1825 et 1826) s'emparaient des esprits de téméraires entreprises, de hasardeuses spéculations. Le chiffre du droit sur les fers avait été posé en présence d'un prix de 7 livres 1/2 à 8 livres sterling la tonne, de ce même prix auquel l'Angleterre est maintenant revenue. Ce prix s'éleva à 15 et 16 livres. Si le prix habituel se fût maintenu, ou n'eût été que légèrement dépassé, les fers anglais seraient venus, au grand soulagement du consommateur, remplir sur notre littoral le vide né pour nous de besoins nouveaux auxquels la nouvelle fabrication tardait à satisfaire : la fabrication au bois, et par conséquent le prix du bois lui-même, se seraient maintenus dans leurs limites naturelles ; une grande perturbation eût été évitée. La loi de 1822 ne se trouva donc en défaut que par un de ces désordres qui échappent aux prévisions de toute législation : elle ne fut vaincue que par une de ces combinaisons extraordinaires qu'on peut, à bon droit, qualifier d'imprévues, par cela seul qu'elles ont été si passagères.

« Aujourd'hui, chez nous, comme en Angleterre, les choses sont rentrées dans leur ordre naturel ; seulement les consommations ont subi dans les deux pays une dépression expliquée par l'exagération qu'elles avaient momentanément obtenue. L'Angleterre offre de nouveau ses fers au prix de 7 livres 1/2, et même de 7 livres sterling la tonne. »

Le tarif suivant des prix des fers en barres à Cardiff, port d'embarquement pour les forges du pays de Galles, extrait d'Anisson (Enquête sur les fers), prouve à l'évidence l'erreur des maîtres de forges.

La tonne était cotée :

A 8 livres sterling en 1821,

à 7 en 1822,

à 8 en 1823,

à 7 ½ en 1824,

à 14 en 1825,

à 9 en 1826,

à 8 en 1827

à 7 en 1828.

Généralement, le prix de la fonte est à celui du fer en barres dans le rapport de 7 à 4 1/2. Eh bien ! suivant Villefosse, le prix de la fonte en 1825 n'était que de 5 livres sterling la tonne, et en 1826 elle était cotée au même taux, d'après Jouffroy.

C'est donc à tort, messieurs, qu'on se prévaut de la secousse de 1825 et 1826, d'abord parce qu'elle portait plus spécialement, comme je vient de le démontrer, sur les fers en barres ; en second lieu, parce que déjà, lorsqu'elle se fit sentir, trois fourneaux étaient en activité, et que trois autres ont été construits après que les effets en avaient cessé ; (page 626) enfin, parce qu'il n'y a pas coïncidence entre la hausse momentanée et la construction de deux hauts fourneaux sur dix. .

Une chose essentielle à remarquer, au surplus, c'est que les expressions ci-dessus citées de M. de Saint-Cricq sont contenues dans l'exposé des motifs d'un projet de loi, par lequel le ministre proposait une réduction de 3 francs sur les fontes destinées à la meulerie, et, sur l'exportation des fers en général, un décroissement d'un cinquième du droit, applicable par moitié en 1835 et en 1840.

Un des derniers orateurs, répondant à des opinions extraparlementaires, s'est appuyé d'une allégation contenue dans une pétition de M. Houyoux, il a fondé sur cette allégation l'insuffisance du droit que j'ai eu l'honneur de vous présenter. Un de nos collègues a lu la pièce sur laquelle se fonde M. Houyoux ; c'est une lettre d'un commerçant anglais qui lui déconseille l'achat de cette espèce de marchandise, et l'engage à en prendre à 7 livres. (L'orateur démontre qu'il n'y a pas de prime d'exportation en Angleterre.)

On a reproché à la commission du budget de ne pas avoir consulté les comités d'industrie, seuls à même de parler d'objets semblables avec connaissance de cause. Je conviens, messieurs, qu'il y a beaucoup de vrai dans ce que l'on dit de ces comités : mais, tout en avouant mon infériorité personnelle, je réponds qu'on ne peut pas avoir une égale confiance en eux tous.

Permettez-moi de vous citer encore, à cet égard, les paroles que prononçait le 25 mars 1825 M. Huskisson, en proposant au parlement anglais la réduction de ce tarif, paroles que les maîtres de forges de l'Entre-Sambre-et-Meuse ont puisées dans une traduction publiée à Paris en 1822, et qu'ils invoquent à tort comme une autorité :

« Tous les maîtres de forges que j'ai consultés sur cette mesure (disait M. Huskisson) m'ont représenté que la liberté du commerce était excellente dans toutes, les autres branches d'industrie ; mais que, pour le commerce du fer, un droit protecteur très élevé et l'assurance du monopole étaient indispensables à sa prospérité. »

Vous l'entendez, messieurs : droit élevé, monopole !... N'est-ce pas là le langage que tient chaque industriel pour son industrie, sans s'inquiéter de l'intérêt de ses consommateurs ? Aussi que fit le ministre anglais ? Il passa outre, et l'industrie continua à prospérer.

On dit que la commission des finances n'a pas consulté les comités d'industrie. Messieurs, ce reproche est peu fondé. La commission a examiné, avec une attention scrupuleuse, les rapports de tous les comités ; et un précis des opinions émises par ceux d'entre eux qui étaient le plus intéressés dans la question vous fera juger si elles ont été sans influence sur son travail.

Le comité de Liége, dans son rapport, qui est le plus étendu et le plus raisonné, conclut au maintien du droit sur les fontes, et à la majoration de 10 pour cent seulement de celui sur les fers en barres. La première résolution a été prise à la majorité de 12 voix contre 4 ; la seconde par 8 contre 7.

Le comité de Bruxelles s'est montré divisé sur la question des fontes : quatre membres ont voté pour qu'elles soient frappées, à l'importation, d'un droit de 50 cents ; cinq membres, pour que ce droit soit de 1 florin 50 cents ; deux, pour qu'on l'élève jusqu'à 5 florins. Mais des pétitionnaires de la même ville réclament pour le maintien du droit à 25 cents, et la libre entrée de la mitraille.

A Gand, le comité, considérant que nos fers ne remplacent pas encore ceux de l'étranger, surtout pour la construction des machines ; que le système prohibitif est contraire aux vrais principes, et qu'il convient de maintenir une concurrence qui oblige nos producteurs à suivre toutes les voies d'amélioration pratiquées chez les nations voisines, a été d'avis de proposer seulement une augmentation de 10 pour cent sur le tarif actuel pour tous les articles de fer.

Les comités de Mons et de Charleroy sollicitent les droits du tarif français : c'est, selon eux, le seul ou du moins le meilleur moyen de se mettre à l'abri de la concurrence de l'Angleterre, et d'obtenir un traité de commerce avec la France.

Le comité de Namur, en partageant le désir d'un traité avec la France, et en faisant observer qu'il devrait, autant que possible, être assis sur des bases telles que tous les produits de ce royaume fussent exempts de droits à l'entrée et réciproquement, ne demande cependant que le droit de 6 fr. par 100 kilogrammes à l'entrée sur les fontes. Il s'est rappelé sans doute qu'en 1819 le ministre du commerce de France avait proposé une diminution de 3 francs par 100 kilogrammes sur cet article.

Le comité de Huy est du même sentiment que celui de Namur, touchant un traité de commerce avec la France ; il provoque les mêmes droits, mais avec exception pour les fontes de l'Allemagne, qui resteraient assujetties au droit de 20 cents par 100 kilogrammes. M. Delloy, de Huy, a même, en son nom personnel, réclamé cette exception par (page 627) une lettre du 24 novembre, adressée à M. le gouverneur de la province de Liége.

Mais le comité de Mons, en ayant été instruit, déclare que la fonte du pays peut remplacer celle d'Allemagne, et dit que le tarif français ne fait pas de distinction pour cette qualité de fonte ; que, si elle était faite par le gouvernement de la Belgique, elle pourrait mécontenter les États envers lesquels elle constituerait une exclusion, etc.

Je me permettrai de faire observer en passant, contre l'assertion de ce comité, que les affineurs font venir à grands frais des fontes d'Allemagne, parce qu'ils trouvent de l'avantage à les mêler aux fontes indigènes pour produire du fer fort, dont la qualité s'améliore beaucoup par le mélange.

En résumé, on voit que, quoi qu'en aient dit les maîtres de forges et les propriétaires de hauts fourneaux de l'Entre-Sambre-et-Meuse, le comité de Liége n'a pas demandé l'adoption du tarif français ; ceux de Bruxelles et de Gand se montrent contraires à ce tarif, et enfin celui de Huy désire que les fontes de l'Allemagne jouissent du bénéfice d'une exception.

Dans ce conflit d'intérêts et d'opinions, que devions-nous faire ? Chercher à les concilier autant que possible. C'est à quoi ont tendu nos efforts.

Je répéterai ici ce que j'ai eu l'honneur de vous dire, messieurs, en vous présentant le projet : quand nous entreverrons la possibilité d'un traité de commerce avec la France également avantageux aux parties contractantes, il sera temps de prendre des mesures pour en garantir l'exécution. Vous sentirez parfaitement qu'il y aurait imprudence à faire croire à la France que nous avons besoin, pour notre propre conservation, de mesures restrictives que nous ne devrions prendre que pour obtenir les avantages d'un nouveau débouché.

J'oubliais, messieurs, de relever la première assertion présentée par les propriétaires de hauts fourneaux en faveur d'un droit plus élevé.

Ils allèguent qu'en Angleterre, la mine de fer alterne par couches avec la houille, et qu'il n'y a point de transport à opérer pour les deux matières. Cela est vrai ; mais ce n'est pas ce qu'il fallait établir : il fallait montrer la différence des prix des fontes eu tenant compte des droits d'entrée et des frais de transport.

Messieurs, le prix du minerai varie en Angleterre d'un comté à l'autre. Dans le pays de Galles, il n'est que de 12 francs ; il est de 15 dans le Straffordshire, et de 18 dans le Shropshire.

Chez nous le minerai extrait à Florenne ne coûte guère que 10 francs, prix que le transport double environ ; le minerai de Gourdine est d'une valeur moindre.

La houille en Angleterre revient au même prix que le charbon gailleteux de notre pays ; mais celui-ci contient moins de coke que celui de nos voisins. .

Au contraire, et ce qu'ont omis de dire tous les pétitionnaires., la castine ou le fondant revient à 7 francs à nos concurrents d'outre-mer, tandis que nos maîtres de forges l'obtiennent à 5 francs la tonne.

Je ne veux point tirer de là des conséquences rigoureuses que des connaissances pratiques peuvent seules autoriser ; mais il me paraît que ces données suffisent pour démontrer que la différence des prix de production ne peut pas être excessive ; qu'un droit de 1 florin 15, ou 2 francs 40 centimes, joint aux frais de transport d'une marchandise pondéreuse, garantit une protection suffisante à nos fontes.

Et ici, messieurs, ne vous laissez pas induire en erreur par ce que les pétitionnaires regardent comme une preuve péremptoire, savoir : qu'il en coûte moins pour transporter la fonte d'un port d'Angleterre dans les ports de la Belgique, que de nos hauts fourneaux dans ces mêmes ports.

D'abord nos fontes, pour être converties en fer, ne doivent être dirigées ni sur Anvers ni sur Ostende ; ensuite la fonte anglaise, parvenue dans ces deux villes, doit gagner les provinces wallonnes, et c'est le transport qui est onéreux. On est assez généralement d'accord qu'il coûte avec le fret 3 francs par 100 kilogrammes.

Tous ces éléments pris en considération, on reconnaîtra que l'avantage en faveur de nos hauts fourneaux est de 50 à 55 pour cent.

En effet, le prix moyen marchand de la fonte anglaise est de 4 1/2 livres sterling la tonne, ou 11 francs 20 centimes les 100 kilogrammes : qu'on y joigne le droit et les frais de transport, on obtiendra un prix de 16 francs 60.

Chez nous, le prix de production varie suivant les localités. A Seraing, il s'élevait à 12 francs 50, et dans les environs de Charleroy à 10 francs seulement, en 1829. Les circonstances au milieu desquelles nous vivons depuis six mois ne permettent pas de bien apprécier le coût actuel ; mais toujours est-il que la différence est plus que suffisante pour assurer le marché, avec bénéfice, à nos producteurs.

Je vais emprunter au mémoire même des maîtres de forges et des propriétaires de hauts (page 628) fourneaux un argument contre leurs prétentions et contre l'appui que leur a donné votre commission spéciale : ils ne récuseront pas leur propre autorité.

Ils y avancent que nous produisons annuellement 82 millions de fontes ; qu'en 1829 l'importation de la fonte et des fers en barres dans le ci-devant royaume des Pays-Bas s'est élevée à plus de 12 millions, et qu'ils ne craignent pas d'exagérer en évaluant au double, pour 1830, cette dernière quantité.

Toutes ces données sont évidemment forcées, mais je les admets. Le grand avantage de l'Angleterre est dans l'affinage : dans ses importations, la fonte n'entrait nécessairement que pour une faible part. N'importe : j'admets encore qu'elle versait dans la consommation des Pays-Bas dix millions de kilogrammes de fonte.

L'Angleterre, dont la production est immense, n'entrait donc en concurrence, sur notre marché, que pour un neuvième, tandis que les huit autres neuvièmes étaient fournis par nos producteurs ! Elle luttait donc péniblement contre nous, alors que le droit d'entrée était de 25 cents seulement, alors qu'il est généralement reconnu qu'en Hollande la surveillance était presque nulle, et que par suite la fraude y était aussi facile qu'active, comme nous l'avons plus d'une fois prouvé à la tribune par des faits !

Un orateur a dit, avec quelque fondement, qu'en 1822 le gouvernement ou plutôt le roi devint propriétaire d'une grande partie de nos bois, et que dès ce moment il protégea les forges et les hauts fourneaux pour augmenter la valeur de ses propriétés : le tarif, en effet, date de cette époque.

Depuis, a dit l'orateur, les bois ont été vendus : erreur ! les domaines de l'État, et non les propriétés du roi l'ont été ; ces dernières furent cédées à la banque où le roi était principal actionnaire. Toutefois, ce tarif protecteur est demeuré intact ; la fraude était donc le seul moyen de détruire les hauts fourneaux : notre séparation de la Hollande nous met à l'abri de ce fléau.

Si, malgré toutes les concessions gratuites que je viens de faire, il demeure évident qu'avec un droit de 25 cents nous avions une grande supériorité, peut-il rester dans vos esprits le moindre doute qu'en quadruplant ce droit nous demeurerons seuls maîtres de notre marché ?

Je vous l'ai dit à une autre séance, messieurs : il a fallu le concours des circonstances, où nous nous trouvons, le besoin de venir au secours de la classe ouvrière, la nécessité pour le gouvernement de prévenir les reproches les moins fondés de ne pas travailler activement à raviver les sources de notre ancienne prospérité matérielle, pour motiver le projet que j'ai eu l'honneur de vous présenter comme mesure simplement momentanée.

Les considérations qui précèdent me forcent de repousser le changement proposé par votre commission. Le résultat évident de l'augmentation qu'elle propose serait de faire hausser les prix de la fonte, aux dépens de nos ateliers de moulage et d'affinage. Ne perdez pas de vue que la fonte double de valeur, quand elle est convertie en ouvrages communs de moulerie ; qu'elle triple, quadruple, lorsqu'elle l'est en machines, et qu'ainsi le second producteur et le consommateur seraient lésés sans aucun avantage réel pour l'industrie première.

Le tarif, je le sais, messieurs, ne satisfera pas à toutes les exigences. On viendra vous dire que toutes les usines ne travaillent pas, ou du moins qu'elles n'ont pas repris leur ancienne action.

Aujourd'hui plusieurs petits fourneaux chôment dans le Luxembourg ; mais il n'est au pouvoir de personne de leur rendre une nouvelle vie : la qualité du minerai, les progrès de la fonte par le coke s'y opposent.

Nous produisons annuellement 70 millions de kilogrammes de fonte, quantité supérieure à nos besoins en temps ordinaire. L'écoulement de nos excédants se faisait en France, malgré la hauteur des droits de ce dernier pays, parce que les produits y étaient inférieurs aux besoins. Mais le nombre de fourneaux a augmenté successivement chez nos voisins du Midi : sept ont été construits récemment dans les départements limitrophes des Ardennes, de la Meuse et du Nord ; aussi, déjà en 1829, comme le déclarait le ministre du commerce dans le discours dont j'ai cité un passage, la France produisait suffisamment pour sa consommation. D'autre part, les dernières secousses politiques ont considérablement restreint la circulation des capitaux et les demandes de marchandises de tout genre ; et aussi longtemps que la confiance ne sera pas entièrement rétablie et chez nous et en France, on ne peut espérer que notre production reprenne toute son activité.

Je me suis permis, messieurs, d'entrer dans ces explications pour vous prémunir contre les fausses conséquences qu'on ne manquera pas de tirer de faits indépendants de la volonté du législateur et de celle du gouvernement.

lei se présente naturellement l'occasion de réfuter une objection grave présentée dans la discussion. Nous produisons au delà de nos besoins ; donc, quelque élevé que soit le droit d'importation, (page 629) la marchandise n'augmentera pas de prix.

D'après les renseignements que j'ai recueillis, il existe quatre-vingt-six fourneaux au bois, dont quarante dans la province de Namur, trente dans celle de Luxembourg, neuf dans celle de Liége, sept dans celle de Hainaut : dix d'entre eux sont hors d'activité ; en portant le taux moyen de production par jour à 1,800 kilogrammes par haut fourneau, la production totale annuelle sera représentée par 50,000,000 de kilogrammes.

Des dix hauts fourneaux au coke, huit seulement sont en activité ; chacun d'eux pouvant produire par jour, suivant les renseignements fournis par les propriétaires eux-mêmes, terme moyen, 6,400 kilogrammes, la production au coke sera représentée annuellement par 18,700,000 kilogrammes.

Cette production a été enflée, parce que l'on a compris dans les évaluations les hauts fourneaux depuis longtemps hors d'activité et ceux qui n'ont pas encore été mis en action.

Ainsi l'on est parvenu à une production de 82,000,000 ; et d'après des évaluations faites par les propriétaires, qui, sans doute, n'ont pas négligé de porter l'excédant de production au taux le plus élevé, l'exportation se serait élevée à 30 millions, tandis que, comparée à la production réelle, l'excédant ne peut atteindre 17,000,000.

Et remarquez-le, je ne tiens aucun compte des accidents nombreux qui interrompent les travaux des hauts fourneaux. Aussi, au lieu de 8 à 9 millions, l'état des exportations de fonte ne s'élève qu'à 825,842 kilogrammes pendant le second semestre de 1830. Je conviens que les événements ont ralenti les exportations, et que le chiffre indiqué par les livres de la douane est trop faible ; mais, en le doublant, nous n'arrivons pas encore à une exportation annuelle de 4,000,000 de kilog.

Messieurs, si maintenant nous descendons aux spécialités, si nous prenons en considération que les hauts fourneaux au bois ne peuvent soutenir, pour les qualités médiocres, la concurrence avec les fourneaux au coke, la production sera bientôt exploitée par un petit nombre d'industriels, et le monopole facile à établir.

Dans les grandes villes, l'autorité, même pour les professions où il y a le plus concurrence, doit prendre des mesures pour éviter les coalitions. Ainsi le pain y est taxé, parce que, besoin de tous les jours, la facilité de produire ne suffit pas pour assurer la subsistance d'une population agglomérée.

Dans des industries d'un autre genre, la possibilité de concurrence de l'étranger peut seule mettre un frein aux exigences des producteurs.

Les appareils nécessaires à la fonte exigent une mise de fonds si considérable que, sans une perspective de succès pour un période assez long, on n'engage pas de grands capitaux, alors surtout qu'il faut des années pour les mettre à fruit.

Par ces motifs, je considère le projet de votre commission comme prohibitif, et par conséquent contraire à l'industrie en général, et réclame la priorité pour le tarif que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. (U. B., 2 mars.)

On met aux voix l'amendement de M. Jottrand ; il est rejeté. (P. V.)

Le droit de 1 florin proposé par M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté, ainsi que le paragraphe. (P. V.)

Article premier, paragraphes 3 et 4

Les paragraphes 3 et 4 du projet du gouvernement sont ensuite adoptés sans discussion ; en voici les termes :

« § 3. Fonte ouvrée, ouvrages et ustensiles de fer coulé, tels que plaques de cheminées, poêles, poids, vases, enclumes, les 100 liv. 6 florins 50 cents.

« § 4. Fer mulet ou fonte épurée, façonnée ou en forme de gueuse brute, les 100 livres, 6 florins 50 cents. » (P. V.)

Article premier, paragraphe 5

« § 5. Fer forgé en barres, verges et carillons, les 1 00 livres, 6 florins. » (A. C.)

M. Frison propose de n'établir aucune distinction entre les fers forgés et les fers marchands. (C., 2 mars.)

M. Werbrouck-Pieters propose que les droits d'entrée sur les fers forgés, en barres, verges et carillons, soient maintenus au taux de 4 fl. 25 les 100 kilog. (A.)

- Au moment où M. Werbrouck-Pieters développe son amendement, M. le président s'aperçoit que l'assemblée n'est plus en nombre ; il lève la séance. (U. B., 2 mars.)

Il est cinq heures. {P. V.)