(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 2)
(page 573) (Présidence de M. de Gerlache)
La séance est ouverte à midi. (P. V.)
Un des secrétaires donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. Liedts, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :
M. Arnaut, à Gand, se plaint de ce qu'on a conféré des grades dans l'armée à des personnes qui n'y avaient aucun droit.
M. Louis Waleff, juge de paix du canton de Bodegnée, demande à être réintégré dans la jouissance d'une pension qui lui était payée sous le gouvernement français.
Les bourgmestre et assesseurs de Mouscron prient le congrès d'établir dans leur commune le siège d'une justice de paix.
Le prince de Salm-Kyrbourg se présente comme candidat à la royauté belge (Note de bas de page : Sa requête ayant été distribuée aux membres du congrès, nous la reproduisons ici :
« Au peuple belge.
« Le duc de Nemours a été solennellement refusé à la Belgique qui s'était offerte à lui ; je viens m'offrir à la Belgique.
« Je ne me fais pas illusion sur la défaveur que les conjonctures semblent attacher à ma démarche. Mais pourrais-je être préoccupé de la crainte d'un refus, en présence de tous les fléaux prêts à fondre sur cette héroïque contrée, patrie de mon aïeule paternelle ? Non ; je n'éprouve que le besoin de me dévouer tout entier à son repos et à son bonheur.
« Des esprits ardents et généreux croient le moment opportun pour fonder la république. J'apprécie tous les bienfaits de cette forme du gouvernement. Né avec la glorieuse révolution française, les premiers battements de mon cœur ont été pour la liberté. Mais que de maux intérieurs la république n'attirerait-elle pas sur ce pays, et de combien de persécutions extérieures ne serait-elle pas le prétexte ! A peine décrétée, les factions déchaînées plongeraient les cités et les campagnes dans les horreurs de l'anarchie ; les souverains de l'Europe exposeraient, pour l'anéantir, leur dernier écu et leur dernier soldat ; la France elle-même établirait, sur ses frontières du Nord, un cordon sanitaire qui bientôt... Belge., c'en serait fait de votre précieuse indépendance.
« Les hommes expérimentés et réfléchis se rallient autour de ces institutions politiques consacrées par votre congrès national. Sous leur influence salutaire, le peuple doit recueillir les avantages de la république ; il les recueillera, si l'oisiveté, de quelque titre qu'elle se pare, cesse de dévorer la substance des classes laborieuses, et si le chef de l'État, pénétré de la nécessité d'alléger les impôts, donne le premier l'exemple que c'est plus avec l'honneur qu'avec l'argent que les fonctions publiques doivent être rétribuées.
« J'irai au-devant de toutes les garanties que les temps actuels doivent faire juger nécessaires, et que pourrait me demander ce congrès national dont les travaux et le dévouement patriotique lui ont acquis des droits impérissables à la reconnaissance de la nation et de tous les amis de la liberté.
« Prince catholique, je concilierai mes devoirs, comme membre de la grande famille chrétienne, avec les larges principes de cette tolérance religieuse proclamée par votre loi fondamentale.
« Les divers cabinets de l'Europe ne pouvant voir dans ma personne rien d'hostile à leurs intérêts respectifs, ne se refuseront pas à des traités de commerce nécessaires au développement de voire industrie et de vos manufactures,
« Je fus instruit au métier des armes par Napoléon ; ce grand homme m'honora d'une bienveillance toute paternelle ; j'étais à ses côtés à Friedland et à Wagram. Je saurai donc verser mon sang pour l'indépendance et l'intégrité de votre territoire. C'est, j'ose m'en flatter, un titre à la confiance du peuple et de l'armée.
« Fort de ces sentiments, que je m'applique à inculquer à mon fils, Belges ! j'aspire à devenir votre roi. Né souverain d'une principauté, j'ai marché l'égal des rois, j'ai vécu dans leur familiarité. Je n'ai jamais été touché de l'éclat extérieur des trônes ; je n'ai vu dans la royauté que la faculté accordée à un seul homme de faire le bonheur de tout un peuple : sous ce rapport, c'est la plus sainte des missions ; et ce n'est que la dernière des misères lorsqu'elle ne se propose que le despotisme, et qu'elle sacrifie les droits du peuple aux privilèges de quelques individus,
« Belges, si vous m'honorez de votre suffrage, ce n'est pas moi que vous couronnerez, mais la loi, dont je me ferai toujours gloire d'être le premier sujet.
« LE PRINCE DE SALM-KYRBOURG. » (C., 25 fév.)
Des habitants d'Athis prient le congrès de nommer (page 574) de suite M. le baron Surlet de Chokier régent du royaume.
Cent vingt habitants de Dour adressent la même prière au congrès.
Les fermiers des barrières de la route de Tournay à Courtrai et Menin demandent une diminution sur le prix de leur bail.
Même demande faite par les fermiers des barrières de la route de Gand à Coutrai et Audenarde. (U. B., 25 fév. et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
M. de Robaulx prévient le congrès qu'une indisposition le retient chez lui. (On rit.) (U. B., 25 fév.)
- Pris pour notification. (P. V.)
L'ordre du jour est la suite de la discussion des conclusions de la section centrale sur la proposition de M. Lebeau. (U. B., 25 fév.)
M. le président – J'ai reçu de M. Van Hoobrouck de Mooreghem, qui est indisposé, un discours écrit sur la question en discussion (L’ouvrage de HUYTTENS reprend ce discours en note de bas de page) ; je vais consulter l'assemblée pour savoir si elle veut en entendre la lecture, ou le déposer au bureau des renseignements. (J. F., 25 fév.)
- L'assemblée en ordonne le dépôt au bureau des renseignements. (P. V.)
M. le président – (page 575) M. Werbrouck-Pieters a la parole. (U. B., 25 fév.)
M. Werbrouck-Pieters commence par dire qu'il ne censurera pas la conduite du gouvernement provisoire. On connaît ses actes ; libre à chacun de les juger comme il lui plaira.
Ce n'est pas sans étonnement qu'il a entendu hier M. de Brouckere rappeler M. Osy à la question. Il ne faut pas supposer des arrière-pensées chez les honorables membres. A cet égard cependant il ne paraît pas que les députés d'Anvers jouissent d'une parfaite réciprocité. S'il voulait récriminer il y trouverait matière, car il paraît qu'on n'a pas renoncé à toute arrière-pensée de nous ramener vers la France.
Il déclare que s'il a voté contre le duc de Nemours, c'est parce qu'il a craint une guerre, et qu'il a considéré cette nomination comme une réunion indirecte à la France.
L'orateur arrive à la question du régent. Il votera pour les conclusions de la section centrale ; il y est déterminé par la nécessité de faire cesser l'état provisoire, et de soustraire le pays aux déceptions et aux mystifications de la diplomatie.
Qu'était-ce donc, dit-il, que ces communications officieuses qu'on faisait venir de Paris tout exprès et à point nommé par lettres qui d'abord nous étaient annoncées avec l'air du plus grand secret, pour piquer d'autant plus notre curiosité et nous porter à en demander et au besoin à en ordonner la lecture ? que ces insinuations officieuses et semi-officielles de mariages éventuels et de correspondances diplomatiques pour nous faire accepter pour chef un mineur que personne ne connaissait ? que les demandes du ministère français sur des éventualités passées et condamnées par décrets solennels ? Qu'était-ce donc et qu'est-ce encore tout ce qu'on nous a dit et communiqué relativement au Luxembourg ? que ces pétitions qu'on faisait arriver pour la réunion à la France ? que ces informations relatives au choix du duc de Leuchtenberg par lesquelles on voulait nous persuader que la France ne voulait pas que nous y songeassions, alors que dans le même instant on manœuvrait ouvertement pour l'élever sur le pavois ? Et qu'était-ce donc si ce n'est une déception ou des sornettes que les déclarations répétées en toute circonstance pour l'indépendance de notre pays par un de nos collègues diplomates et aujourd’hui ambassadeur, dans le moment même qu'il nous parlait de nous faire prêter un général français, qui serait resté au service de France tout en commandant notre armée ? que ces démentis donnés à un de nos diplomates qui, après cette équipée et cet esclandre, n'aurait pu demeurer un seul instant de plus à Paris comme représentant de notre nation ou de notre gouvernement, sans compromettre la dignité de l'une ou inspirer du mépris pour l'autre, et qui y est resté cependant et y est encore remplissant toujours les mêmes fonctions ? Et comment nommez-vous cette lettre mystérieuse de notre honorable collègue ambassadeur, écrite de Paris, par laquelle il annonçait d'une manière à ne pas pouvoir en douter, que le duc de Nemours aurait accepté, cette lettre dont la lecture se donnait avec une circonspection telle que c'était en apparence sous le sceau du plus grand secret qu'on la communiquait, mais avec l'intention manifeste que ce secret devînt celui de la comédie ? Oui, messieurs, voilà les motifs pour lesquels je vote pour la loi, parce que j' en espère ce résultat, que la nation sous un ministère que la constitution a créé responsable, ne sera plus traitée avec un tel dédain et une légèreté dont il n'y a (page 576) point d'exemple. (Murmures. Des marques d'impatience se manifestent dans l'auditoire.) Hier encore, messieurs, si j'ai bien compris, l'honorable orateur membre du comité diplomatique qui répondait à M. Osy, vous a annoncé avec son éloquence ordinaire, il est vrai, mais assez légèrement, me paraît-il, que vous ne seriez plus instruits de ce qui se passe que lorsque tout serait achevé et parvenu à une parfaite maturité. Ainsi, arrivera tel protocole, telle note, voire même tel manifeste de la part des puissances qui ne cessent de s'occuper de nous et de nos affaires ; attendez-vous alors à n'en être informés qu'après que les journaux ou des correspondances particulières les auront fait connaître au monde entier. (Bruits ! A la question ! à la question.) (J. A., 25 et 26 fév.)
M. le président – M. Werbrouck-Pieters, il me paraît que vous n'êtes point dans la question ; je vous engage à vous y renfermer. (C., 25 fév.)
M. Werbrouck-Pieters – J'ai voulu répondre à ce que M. Le Hon a dit hier. (C., 25 fév.)
M. Charles Le Hon – Vous voulez sans doute que je réponde encore à mon tour. (C., 25 fév.)
M. Werbrouck-Pieters – Nullement, nullement, monsieur. (On rit.)
L'honorable membre termine par dire qu'il votera purement et simplement pour les combinaisons de la section centrale, sauf à revenir plus tard sur… (L'orateur s'arrête, fait un mouvement de tête et descend de la tribune. - Hilarité générale dans l'assemblée.) (L’ouvrage d’E. HUYTTENS reprend un extrait du Journal d’Anvers du 26 février, contenant ce que Werbrouck-Pieters se proposait d’ajouter encore. Non repris dans cette version numérisée). (C., et J. F., 25 fév.)
M. Defacqz –Je me renfermerai strictement dans la question et m'abstiendrai de grands développements.
M. Lebeau avait proposé à l'assemblée de nommer un lieutenant général. La section centrale, après avoir examiné cette proposition, nous a présenté des conclusions pour la nomination, non d'un lieutenant général, mais d'un régent. La section centrale prend soin d'établir la différence qui existe, non dans les mots, mais dans les choses.
Avec un lieutenant général, notre constitution peut encore recevoir des modifications que l'expérience indiquera. Avec un régent, aux termes de l'article 84 de la constitution, aucun changement ne peut être fait à la constitution. C'est le motif pour lequel la section centrale a conclu pour un régent ; c'est pour ce même motif que je m'y oppose.
Si l'état des choses était définitif, j'adopterais sans hésiter la combinaison qui nous est proposée ; mais nous allons substituer du provisoire au provisoire existant encore : seulement nous changeons les noms.
Dans l'alternative entre deux provisoires, la prudence nous indique de donner la préférence à celle des deux voies qui ne nous lie pas pour l'avenir.
Avec un régent, nous nous imposons toutes les conditions inhérentes à cette fonction ; tout changement devient impossible. La forme monarchique est irrévocable. Nous ne pouvons plus tirer la nation du provisoire qu'en lui trouvant un roi à tout prix.
Avec un lieutenant général, notre position est la même, quant à l'élection d'un chef, que si nous prenons un régent. Mais il nous sera libre de faire encore à notre constitution tous les changements conseillés par l'expérience.
Ainsi donc, s'il arrivait que l'impossibilité de réaliser le système de la monarchie parmi nous fût bien démontrée, qu'il fallût substituer à ce système une autre forme de gouvernement, on pourrait facilement le remplacer par un autre plus propre à convertir le provisoire en définitif.
Je ne demande pas qu'on change dès à présent ; je ne dis pas qu'il faille attaquer immédiatement le décret du congrès qui a institué la forme monarchique ; mais je dis qu'il ne faut pas s'interdire d'une manière absolue une modification à nos institutions à laquelle la nécessité pourrait nous forcer.
Je donne donc la préférence à la proposition de M. Lebeau. Les conclusions de la section centrale nous condamnent peut-être à l'impossible : est-il sage de s'y exposer ?
Je viens d'envisager la question sous son point (page 577) de vue le plus général. Si je l'examine sous un aspect plus spécial, dans ses rapports avec le congrès, il y a nécessité de modifier les conclusions de la section centrale par la proposition de M. Nothomb en y introduisant ces mots :
« Le régent ne prendra part à l'exercice du pouvoir législatif que lorsque le congrès national aura été remplacé par la législature ordinaire. »
Je dirai même que cette modification est nécessaire, quelle que soit la proposition qu'on adopte. Il est certain que le congrès doit subsister jusqu'à ce qu'il ait rempli sa mission en établissant un pouvoir définitif. La constitution règle les rapports du régent avec les chambres ; mais ceux du régent avec le congrès, qui les réglerait ?
Il est un autre point à régler, moins important il est vrai mais sur lequel il est intéressant de s'entendre : c'est la liste civile.
On peut la fixer en prenant pour base du revenu, ou la dépense possible, et dans ce cas on ne saurait trop accorder ; ou les besoins réels, ce qui nous donnerait l'espérance de voir commencer la pratique de cette belle théorie de gouvernement à bon marché. L'exemple de l'économie serait d'autant plus salutaire qu'il serait donné par le premier magistrat du pays.
On s'est récrié contre un amendement par lequel je proposais de fixer ce revenu à quatre-vingt mille francs par an.
J'avais eu la bonhomie de croire qu'on pouvait vivre avec 100 florins par jour. Je me faisais une tout autre idée du régent que beaucoup de mes collègues paraissent en avoir. Je me figurais une espèce de président de république, un bon père de famille, ménager de l'argent du peuple. On veut en faire un haut et puissant seigneur, lui donner un brillant cortège de chambellans, de valets. Je me suis trompé. Ce ne sera pas trop apparemment, en prenant pour base un sénatus-consulte de l'Empire, de fixer la liste civile au quart du revenu qu'on allouerait au roi.
Je ne voterai pour les conclusions de la section centrale qu'après les explications que doivent provoquer mes observations. (U. B., 25 fév.)
M. Lardinois – Messieurs, après le refus que nous avons essuyé dans l'offre d'une couronne ; après avoir été dupes de la diplomatie étrangère, et indignement abusés par des protestations fallacieuses, dont certains hommes éhontés n'ont pas craint de se faire l'écho ; après que le congrès de Londres a décidé qu'il fallait nous faire périr de consomption, nous devons, messieurs, nous attendre à d'autres maux, et peut-être nous prémunir contre nous-mêmes.
Je ne comptais pas prendre la parole : le revers éprouvé par notre députation à Paris a tellement bouleversé mes sens et mes idées, que je suis à me demander si je ne dois pas désespérer du salut de la patrie. J'avoue, messieurs, que je n'ai pas l'âme assez héroïque pour envisager notre situation d'un œil tranquille. En effet, qu'on veuille bien me dire où nous en sommes, et où nous allons. Voyez la France, de qui nous attendions secours et protection : elle est dévorée par des dissensions intestines ; elle est sans force et sans action ; elle veut, et elle ne peut ; son gouvernement s'incline devant le droit divin, et pour expier son origine populaire, il offrirait en holocauste et la Belgique et la Pologne, et tous les États dont il fomente les révolutions.
Mais, si le ministère français parle et agit au nom de la France, il n'en est pas toujours le véritable organe. On a beau vouloir séparer les deux peuples, leurs intérêts sont identiques, ils sont unis par un lieu plus indissoluble que le principe même de leur révolution. Les événements se pressent avec une rapidité extrême ; et le moment n'est pas loin peut-être où notre sympathie sera invoquée, et alors notre poids dans la balance des destinées de l'Europe ne sera pas indifférent. Confions-nous donc, messieurs, aux événements ; notre sort futur, comme celui de la France, en dépend.
Le refus de S. M. Louis-Philippe nous place dans une position plus difficile que jamais, et nous n'en sortirons que par des efforts et des sacrifices dignes d'un peuple qui veut être libre.
D'abord, je me demande avec qui nous sommes en guerre. Je crois, messieurs, que notre plus mortel ennemi est le congrès de Londres. Il est patent qu'il veut à toute force intervenir dans nos affaires, et les arranger à son bon plaisir. Nous protestons, et il renvoie nos protestations. Eh bien ! il faut en finir avec ce congrès. Si vous reconnaissez son omnipotence, acceptez son ours et ses conditions ; dans le cas contraire, si vous déclinez sa compétence, dites à ses agents qui sont ici, que nous ne voulons plus avoir avec eux de relations ni officielles ni officieuses ; l'expérience que nous avons faite de leur amitié est trop funeste pour en désirer la continuation. Je vous engagerais également à rappeler notre envoyé à Paris : son rôle est fini ; il a assez joué le petit Talleyrand.
Alors nous n'aurons plus en face que le gouvernement hollandais ; nous tâcherons de regagner le temps perdu, soit en ouvrant des négociations directes, soit en poussant un cri de guerre et de combat. Nous ne pouvons plus rester dans cet état d'incertitude. Le calme et la tranquillité sont, il (page 578) est vrai, dans cette enceinte ; mais, sortez de ce palais, parcourez les provinces, et vous verrez qu'une sombre inquiétude règne dans tous les esprits, qu'on se plaint généralement de notre révolution, parce qu'on n'en voit pas l'issue : si elle ne change pas bientôt de caractère, on doit s'attendre à des réactions de tous genres, et je crains que nous ne finissions par être ramenés aux carrières.
Je ne viens pas, messieurs, orateur sinistre, vous présenter l'image des maux de la patrie, pour froisser à la fois et vos sentiments et vos opinions, parce que je voudrais accoucher d'un monstre : non, je déplore nos malheurs, et je cherche le moyen de les réparer en conservant la liberté et l'honneur.
La plaie la plus profonde de notre révolution est celle qui a été faite au commerce et à l'industrie ; le marasme dans lequel ils sont tombés augmente de jour en jour, et sous ces deux rapports nous ne tarderons pas d'offrir le même spectacle que la France, qui compte, depuis six mois, des faillites pour cinq cents millions. Voilà, messieurs, ce que craignent tous les négociants, sans exception. Cette crainte, il faut en convenir, amortit singulièrement l'ardeur de beaucoup de partisans de notre révolution. La tiédeur qui en résulte se fait principalement remarquer dans le commerce, qui a été sacrifié. Aujourd'hui il est divisé en deux camps : les uns, comme les négociants d'Anvers et de Gand, veulent le royaume des Pays-Bas ou le prince d'Orange ; les autres, comme ceux de Verviers, de Namur, de Luxembourg, de Mons, etc., désirent maintenant la réunion à la France. Mais les uns et les autres font abstraction des personnes, ils ne voient qu'un but pour sortir d'une crise qui menace d'emporter les derniers lambeaux de leurs fortunes.
Ces désirs, ces vœux sont-ils coupables, messieurs ? Je ne le pense pas, et même je les crois fondés et légitimes. Quoi ! un exploitant de mines voit non seulement ses bénéfices perdus, mais encore son capital anéanti, et l'on ne veut pas qu'il se plaigne ! Quoi ! le commerce maritime doit laisser pourrir ses vaisseaux, et les manufacturiers doivent fermer leurs ateliers, abandonner une population d'ouvriers sans subsistance, et vous croyez que leur patience, poussée à l'extrémité, ne dégénérera point en désespoir ! Détrompons-nous de cette idée, messieurs, le commerce et l'industrie ont le sentiment de leur dignité et de leur puissance, et ils feront énergiquement connaître leur volonté avant de consentir à leur ruine entière.
Nous avons été tellement joués par la diplomatie, que nous ne pouvons de sitôt songer à nous donner un gouvernement définitif. Cependant, c'est la pierre angulaire qui doit soutenir l'édifice de notre révolution. Le provisoire éloigne la confiance, au lieu de la ramener, et néanmoins le seul parti qui nous reste à prendre aujourd'hui, est de nous y enfoncer de nouveau en nommant une régence,
Ce gouvernement intérimaire doit être fort pour se soutenir. Je ne voudrais pas l'environner d'un conseil privé ; mais je suis d'avis qu'il ne faut pas faire peser la charge de l'État sur un seul homme, et qu'il serait convenable de composer la régence de trois personnes qui seraient chargées du pouvoir exécutif. Ensuite, la première loi à faire serait celle sur la responsabilité ministérielle : elle est de toute nécessité ; ce serait une garantie pour la nation, et un puissant levier pour la bonne direction des affaires.
Un des premiers soins de la régence devra être de prendre des mesures pour rendre progressivement la confiance au commerce et à l'industrie. Pour cela, il faut marcher à un résultat. Je sais que notre révolution a plus d'une phase encore à parcourir avant d'avoir atteint sa dernière limite ; mais il est nécessaire de la terminer le plus tôt possible, et je crois que nous ne parviendrons jamais à une fin quelconque qu'en entrant directement en négociations avec le gouvernement hollandais. Vous ne me ferez pas l'injure de croire, messieurs, que je veux plaider la cause ni du roi Guillaume ni du prince d'Orange ; ma langue se glacera plutôt. Mais les peuples ne peuvent rester toujours en hostilité, et le Hollandais comme le Belge soupire après la paix. Offrons donc la paix à des conditions justes, et si nos ennemis la refusent, déclarons la guerre, et armons les populations : nous avons les éléments nécessaires pour sortir victorieux de cette lutte.
On objectera que, recourant aux armes, nous allons indisposer contre nous les grandes puissances, et exposer notre pays à un morcellement. Vaine terreur, messieurs ! la situation de l'Europe garantit l'intégrité de notre territoire, et la France n'oserait jamais permettre notre partage, car de notre existence dépend sa propre existence !
Je voterai donc pour une régence, dans l'espoir qu'elle prendra une attitude ferme, qu'elle veillera sur les intérêts réels, qu'elle repoussera l'intervention étrangère, en un mot, qu'elle guidera notre révolution dans la voie des intérêts généraux. (U. B., 25 fév.)
M. Van de Weyer rappelle qu'il a déposé (page 579) hier un amendement pour réserver au congrès le droit de nommer ultérieurement le chef de l'État. Il demande pourquoi cet amendement n'a pas été imprimé avec la proposition de M. Nothomb. (U. B., 25 fév.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire – La proposition de M. Van de Weyer a été consignée au procès-verbal. Si elle n'a pas été imprimée, c'est que le congrès n'en avait pas ordonné l'impression. (U. B., 25 fév.)
M. Van de Weyer – Ce n'était pas une raison pour le laisser de côté. Je le reproduis aujourd'hui et j'insiste pour qu'il soit adopté tel que je l'ai présenté. (C., 25 fév.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture de la proposition de M. Van de Weyer :
« Je propose d'ajouter aux conclusions de la section centrale un paragraphe ainsi conçu :
« 4° De déclarer que le congrès entend bien se réserver le droit de procéder ultérieurement au choix du chef de l'État et n'en point abandonner l'élection aux chambres nouvelles. » (U. B., 25 fév. et P. V., 22 fév.)
M. Devaux – Les orateurs qui ont pris la parole avant moi ont presque tous parlé dans le même sens ; tous ont parlé pour un régent ou pour un lieutenant général. C'est avec défiance que je vais énoncer une opinion contraire et vous communiquer mes doutes sur l'opportunité de l'acte pour lequel nous sommes convoqués.
Je n'adresserai point de reproches au comité diplomatique. De grandes fautes ont été commises. La douleur dont doivent être pénétrés ceux qui s'en sont rendus coupables est un châtiment assez fort pour que je croie devoir m'abstenir de l'aggraver par de pénibles accusations.
Le parti qu'on vous propose, messieurs, est un de ces partis qui perdent les révolutions. C'est un parti timide et de temporisations. De quoi se plaint-on ? Des lenteurs du provisoire, de l'incertitude de notre avenir. Il n'y a plus de confiance, plus de crédit. La nomination d'un régent ne fera point cesser cet état des choses, car elle ne fera point cesser le provisoire. Elle laisse tout dans l'indécision, et ne tranche aucune question. Elle ne résout point le problème de notre réunion à la France, pas même celui de notre réunion à la Hollande.
A l'extérieur, comment terminer nos débats ? Qui traitera avec nous ? Sur quel pied négocierons-nous avec la Hollande ? Le roi Guillaume ne se résignera à traiter avec les Belges que lorsqu'il n'y aura plus d'espoir pour lui de récupérer ce qu'il a perdu ; or, le roi Guillaume conservera cet espoir tant que nous n'aurons pas établi un gouvernement définitif, et choisi un chef permanent et héréditaire.
Si vous nommez un régent, qui nommera un roi ? Le congrès, dit-on. Notre mandat nous en impose le devoir, et ce devoir nous ne pouvons le transmettre à nos successeurs ; mais nous ne pouvons pas rester réunis. Le congrès devra nécessairement s'ajourner. Qui le convoquera donc pour procéder à la nomination du roi ? Le régent. Vous lui accorderez donc la faculté de prolonger son pouvoir à volonté ? Et s'il retarde la convocation, que ferez-vous ?
Si vous vous dissolvez, et que vous laissiez aux deux chambres réunies, qui doivent nous succéder, la faculté de nommer le roi, songez qu'il faudra des élections nouvelles ; songez aux intrigues qui vont s'ourdir, aux tentatives de corruption qui vont se multiplier. Et puis dans un mois en serez-vous plus avancés qu'aujourd'hui ? On dit que nos diplomates de Paris ont un grand secret en portefeuille. Je n'y crois pas, messieurs. S'ils avaient un secret, ils auraient pris soin de nous le faire connaître.
C'est du définitif qu'il nous faut. Comment y pourvoir ? En choisissant un prince indigène. Il n'y a pas d'autre moyen de sortir du provisoire. Hors de là, nous resterons toujours dans l'alternative d'être réunis à la France ou à la Hollande. Je ne parle point de la république. La république, à mon sens, c'est le prince d'Orange, et le prince d'Orange, c'est la réunion à la Hollande.
Je sais que cette combinaison rencontre beaucoup d'obstacles. Des jalousies de castes s'agitent, dit-on, et cherchent à faire tourner à leur profit l'élection d'un prince indigène. Ce sont là des prétextes. Je déplore les craintes exagérées que l'on nourrit contre l'influence des catholiques. Ces craintes ont contribué à soutenir le pouvoir de Van Maanen ; ces craintes ont amené l'élection du duc de Nemours et entretiennent le parti français dans ses illusions.
Je voterai contre la proposition de nommer un régent, me réservant d'entrer dans quelques détails, si elle était adoptée. (C., 25 fév.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique – Messieurs, je me serais abstenu de prendre la parole si M. Devaux ne m'avait fourni l'occasion de relever quelques-unes de ses assertions. Je suivrai, dans ma réfutation, l'ordre adopté par le préopinant.
De grandes fautes, dit-il, ont été commises par le comité diplomatique. Il laisse à la douleur (page 580) dont les membres de ce comité doivent être pénétrés, selon lui, le soin d'en faire justice. Il ne veut pas l'aggraver par des reproches amers. Que l'honorable membre se tranquillise. Quant à ces fautes, son opinion constitue sa loi ; mais il reste à savoir si cette opinion sera consacrée par le jugement de la postérité, qui ne tardera pas à commencer pour nous. Il n'y a qu'une seule chose qui doive nous pénétrer de douleur, c'est d'avoir été déçus dans notre espoir, après la nomination du duc de Nemours.
J'aborde le fond de la question : la nomination d'un régent, a dit l'honorable membre, ne nous débarrassera point du provisoire. Mais ce sera le signal de la mise en pratique de nos institutions, ce sera le signal de l'organisation d'un pouvoir réglé et vraiment constitutionnel.
Elle nous retiendra toujours dans l'indécision ! mais, je le demande, ne sera-ce pas le meilleur moyen de faire disparaître, tout de suite, un pouvoir essentiellement provisoire ? En le remplaçant par un pouvoir qui agit en vertu d'institutions établies, on dissipe toutes les craintes sur notre avenir. Ce sera une déclaration nouvelle de vouloir rester indépendants.
Mais le roi Guillaume conservera ses espérances ! Mais il les conservera toujours : avec l'obstination et l'aveuglement qui caractérisent ce prince, il nous faut nous attendre à être traités de rebelles à tout jamais ; il faut nous attendre à ce qu'il n'abdique jamais le titre de roi des Pays-Bas.
Mais comment le régent parviendra-t-il à provoquer la cessation du provisoire ? Pour dissiper les craintes que pourraient faire éclore les dispositions peu rassurantes d'un régent, j'ai fait une proposition tendante à ce que le congrès se réserve expressément le droit de nommer un chef définitif. Qu'est-ce qui empêche, d'ailleurs, que le congrès s'ajourne et fixe un délai pour la nomination de ce chef ? Ma proposition a un autre avantage. Elle préviendra que la législature qui succédera au congrès ne dépasse ce qu'il a fait, et abolisse des décisions prises dans l'intérêt de la paix et de la dignité nationale.
Mais comment le régent traitera-t-il à l'extérieur ? Il traitera avec plus de chances de succès que ne pourra le faire un négociateur multiple, une commission de personnes provisoirement chargées de cette mission. Il inspirera plus de confiance aux puissances étrangères, parce qu'il aura plus de consistance politique ; et obtiendra avec d'autant plus de facilité la reconnaissance des cabinets d'Europe, qu'il pourra à bon droit se proclamer le véritable chef de la nation belge. A cet égard, je crois que le régent, immédiatement après son entrée en fonctions, devrait faire notifier son avènement à toutes les puissances.
On a parlé des secrets de la diplomatie. La diplomatie belge n'en a pas, et si elle en avait, le congrès les connaîtrait bientôt.
Pour échapper aux inconvénients du provisoire, l'honorable M. Devaux a proposé l'élection d'un prince indigène. Cette élection rencontre de grands obstacles, non pas dans des jalousies de castes, dans des antipathies catholiques ou libérales, qui s'effacent toujours devant les questions d'intérêt général, mais dans la crainte, plus fondée, que cette élection paralyserait nos négociations avec les puissances voisines.
Je voterai pour la proposition de M. Lebeau modifiée aux termes des conclusions de la section centrale et de mon amendement. Cependant je me prononce contre l'institution d'un conseil privé, pour les mêmes motifs qui ont déterminé notre honorable collègue M. Le Hon. (C., 25 fév.)
M. Barthélemy s'attache à réfuter quelques assertions de M. Devaux. Il ne craint pas la réunion à la Hollande. Les états généraux de Hollande même ont décidé qu'il y aurait séparation. D'ailleurs le congrès n'y consentirait jamais. Quant à la réunion à la France, comme elle amènerait une guerre générale, la France s'y opposera toujours. L'orateur examine les questions qui peuvent se rattacher à notre avenir, et les résout toutes en ce sens que la réunion à la Hollande est impossible. (C., 25 fév.)
M. Werbrouck-Pieters – Je demande si l'orateur est bien dans la question (hilarité) ; la justice doit être pour tous. (J. B., 25 fév.)
M. Barthélemy – Je suis dans la question élevée par M. Devaux. Je parle d'ailleurs dans l'intérêt général. (J. B., 25 fév.)
M. Werbrouck-Pieters – Je ne m'y oppose pas ; mais qu'une autre fois on me laisse parler. (J. B., 25 fév.)
M. Barthélemy démontre que les parties intéressées elles-mêmes ont jugé la question de la séparation des provinces méridionales et septentrionales. Et cette séparation s'étend même à la province de Luxembourg, car quand les députés de cette province se sont présentés aux états généraux, on leur a dit : Allez-vous-en. (Hilarité.) Je viens maintenant à la question. (Hilarité nouvelle.) C'est-à-dire, je suis dans la question. (Les éclats de rire continuent.) L'orateur se prononce pour la nomination d'un régent et pour l'amendement (page 581) de M. Van de Weyer ; mais il ne veut pas de conseil privé. (C., 25 fév.)
M. Van Meenen – En élisant un régent, nous faisons voir à l'Europe que nous avons voté une monarchie héréditaire avec l'intention de la réaliser. La régence ne nous conduira pas à la république, car pour y parvenir nous devrions changer toute la constitution.
Pour ce qui est de l'élection d'un prince indigène, je vous demanderai où est votre roi indigène. En est-il un parmi vous qui réunisse les conditions désirables ? Je me déciderai pour un régent, et comme on n'a pas parlé jusqu'ici de ses attributions, je proposerai le projet de décret suivant :
(L'orateur lit un projet en 8 articles sur les attributions du régent.) (J. B., 25 fév.)
M. Van de Weyer demande si c'est un amendement ou une proposition nouvelle. Si c'est une proposition, elle viendrait interrompre la discussion dont l'assemblée est saisie. (U. B., 25 fév.)
M. Van Meenen déclare que sa proposition ne doit être considérée que comme amendement. (U. B., 25 fév.)
M. le président en donne une seconde lecture. (U. B., 25 fév.)
M. Nothomb – Il me semble que la grande majorité reconnaît la nécessité de l'institution d'une régence ; une question préoccupe tous les esprits, c'est celle de savoir quelle sera la position du congrès après l'élection du régent : Fixons d'abord nos idées sur la nature de notre mandat. L'arrêté du 6 octobre porte qu'il sera convoqué un congrès chargé de fixer le sort du pays. En nommant un régent, fixerons-nous le sort du pays ? Non, messieurs, nous ne pouvons nous le dissimuler : le provisoire tel qu'il existe ne peut se prolonger, et nous sommes dans l'impuissance de produire du définitif. On a dit que le cas est prévu par la constitution ; je ne le crois pas. La régence que nous voulons instituer n'est pas dans la loi fondamentale ; l'existence du congrès investi du pouvoir constituant rend notre situation tout à fait exceptionnelle ; le congrès est à cet égard en dehors de toute constitution. Nous ne pouvons abdiquer le pouvoir constituant, ni le déléguer en partie. Nous sommes liés par notre mandat. La puissance législative doit rester concentrée dans cette assemblée. Le régent n'aura que le pouvoir exécutif ; le droit de grâce, le droit de faire les nominations civiles et militaires, peut-être le droit de paix et de guerre. Il pourra rompre l'armistice conclu par le gouvernement provisoire. Il ne pourra accorder la naturalisation. Il n'aura ni le veto, ni le droit de dissolution. Je lui attribue le pouvoir exécutif dans toute sa latitude ; je ne veux pas lui imposer de conseil privé ; ce serait autoriser les ministres à décliner toute responsabilité, et renouveler le gouvernement multiple que vous voulez détruire. Le conseil privé, nommé comme le régent par le congrès, se prévaudrait de cette origine commune ; le régent serait tiraillé dans des sens contraires par le conseil privé institué par le congrès, et par le conseil des ministres. L'unité d'action que vous cherchez vous échapperait encore, et votre régent ne serait que le président du conseil privé, qui à la longue doit l'emporter sur les ministres, Toutefois le régent peut s'entourer de conseillers autres que les ministres à portefeuilles, mais c'est à lui à les nommer. Il leur confiera spécialement les négociations diplomatiques qui exigent des recherches et des études au-dessus des forces d'un seul homme ; le ministre des affaires étrangères s'aidera de leurs lumières, de leurs travaux, il prendra leur avis, et restera responsable. (C.. 25 fév.)
- La clôture de la discussion sur l'ensemble des projets est mise aux voix et prononcée. (C., 25 fév.)
M. Deleeuw demande la priorité pour la proposition de M. Lebeau. (U. B., 25 fév.)
M. Jottrand fait la même demande pour la proposition de M. Van Meenen. (U. B., 25 fév.)
M. Alexandre Gendebien – Je pense, messieurs, que dans la discussion on est resté tout à fait hors de la question ; pour le démontrer, je me bornerai à citer les articles 83 et 85 de la constitution. En adoptant la forme monarchique, nous avons prévu le cas d'une régence. Que doit faire celui qui sera appelé à ces fonctions ? Remplir les obligations qui lui sont imposées par la constitution.
D'après l'article 83, la régence ne peut être conférée qu'à une seule personne. Admettre les propositions qui vous sont soumises serait inconstitutionnel, et je pense que vous ne voulez pas violer le pacte fondamental avant qu'il ne soit en vigueur. (U. B., 25 fév.)
M. Van de Weyer – Pour empêcher que la discussion ne se prolonge, il faudrait lire la proposition de M. Van Meenen, et placer à chaque article du projet de la section centrale l'amendement et le sous-amendement qui s'y rapportent ; (page 582) les dispositions ainsi présentées seraient adoptées ou rejetées. (U. B., 25 fév.)
M. Devaux ne partage pas l'opinion de M. Alexandre Gendebien : la première question à décider est de savoir s'il y aura une régence. Ensuite viendront les conditions de la régence. (U. B., 25 fév.)
M. Alexandre Gendebien donne de nouveaux développements à son opinion. (U. B., 25 fév.)
M. le président explique dans quel sens seront établis les votes. (U. B.. 25 fév.)
M. Devaux – Je propose qu'avant de voter sur la question de la régence, le congrès veuille bien voter sur l'amendement suivant :
« Le congrès national
« Décrète qu'il y a lieu de s'occuper du choix définitif du chef de l'État avant le 1er mars. » .
L'honorable membre annonce que sa proposition n'a pas besoin de développements ; elle est tout entière dans l'intérêt de la nation : il l'a faite comme accomplissement d'un devoir. J'ai mis, dit-il, le 1er mars, parce que mon projet est exclusif de la régence. (U. B., 25 fév. et
- Cette proposition est mise aux voix ; cinq membres seulement se lèvent pour la soutenir ; en conséquence elle est rejetée. (U. B., 25 fév. et P. V.)
L'article premier du projet de M. Nothomb (Note de bas de page : présenté dans la séance du 22 février, page 572), qui remplace le n°1 des conclusions de la section centrale, est mis aux voix et adopté à la presque unanimité ; il est ainsi conçu :
« M. N... est nommé régent de la Belgique. » (U. B., 25 fév. et P. V.)
On passe au premier paragraphe de l'article 2 de la proposition de M. Nothomb ; en voici les termes :
« La constitution décrétée par le congrès national sera obligatoire après l'entrée en fonctions du régent. » (A. C.)
M. Frison – Après, c'est trop tard, et une semblable disposition ne peut être admise. (U. B., 25 fév.)
On met aux voix l'article 4 de la proposition de M. Van Meenen, qui est ainsi conçu :
« A dater du jour de l'entrée en fonctions du régent, la constitution deviendra obligatoire dans toutes celles de ses dispositions qui ne sont pas contraires au présent décret. » (C., 25 fév.)
- Cette disposition est adoptée ; elle remplace le n° 2 des conclusions de la section centrale et le paragraphe premier de l'article 2 du projet de M. Nothomb. (P. V.)
Il est donné lecture des paragraphes 2 et 3 de l'article 2 de la proposition de M. Nothomb, et des article 2 et 3 du projet de M. Van Meenen :
« § 2. Néanmoins le congrès national continuera à exercer les pouvoirs législatif et constituant. »
« § 3. Le régent ne prendra part à l'exercice du pouvoir législatif que lorsque le congrès national aura été remplacé par la législature ordinaire. » (A. c.)
« Art. 2. Le régent, pendant la vacance du trône, exercera le pouvoir exécutif tel qu'il est réglé par la constitution.
« Art. 3. Le pouvoir législatif continue à être exclusivement exercé par le congrès jusqu'à sa dissolution comme pouvoir constituant. » (C., 25 fév.)
M. Jottrand propose de donner au régent sa part dans l'exercice du pouvoir législatif, et de laisser au congrès, jusqu'à sa dissolution, la part de ce pouvoir qui est attribuée aux deux chambres. Le congrès achèverait seulement encore, comme pouvoir constituant, la loi électorale et procéderait seul à l'élection du chef de l'État. De cette manière, on éviterait les inconvénients qui résultent de l'absence de l'initiative dans le pouvoir exécutif, et l'on se mettrait même en harmonie avec les principes de responsabilité ministérielle. (C., 25 fév.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt combat cette proposition. (C., 25 fév.)
M. Lebeau – Il me semble que la proposition de M. Nothomb doit avoir la préférence sur celle de M. Van Meenen. Celui-ci propose de ne donner au régent que le pouvoir exécutif ; il aurait moins que le gouvernement provisoire : vous lui enlèveriez le droit de grâce, le droit de paix et de guerre. Le droit de paix, il pourrait sans doute en être privé ; mais le droit de guerre, il faut le lui laisser : d'un moment à l'autre l'armistice pouvant être rompu, la guerre avec la Hollande est imminente. (U. B., 25 fév.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt propose une addition. (E., 25 fév.)
M. Van Meenen adhère aux paragraphes 2 et 3 de l'article 2 de M. Nothomb. (U. B., 25 fév.)
M. Devaux et M. Nothomb combattent la proposition de M. Jottrand. (C., 25 fév.)
M. Charles Le Hon présente quelques observations à l'appui de cette proposition ; il termine en disant – La durée du pouvoir du régent sera courte, je le pense ; mais les circonstances peuvent exiger des lois importantes, dont lui seul sentira la nécessité. Je pense donc qu'il faut l'admettre au concours du pouvoir législatif. (U. B., 25 fév.) ,
M. Lebeau persiste ; il refuse l'initiative au régent ; il lui semble qu'on ne lui fait pas une si mauvaise part en lui accordant autant de pouvoir qu'au roi d'Angleterre. Le veto est très dangereux, même pour un roi, et l'assemblée ferait un funeste présent au régent en le lui donnant. (U. B., 25 fév.)
M. le baron Beyts – Il ne s'agit pas de discuter si c'est du provisoire, si c'est du définitif que nous faisons ; c'est l'un et l'autre. (U. B., 25 fév.)
M. Van Meenen appuie la proposition de M. Nothomb. (U. B., 25 fév.)
M. Alexandre Gendebien pense, comme M. Charles Le Hon, qu'il faut faire participer le régent à l'initiative ; il n'a rien à ajouter à ce qui a été dit sur le veto.
- Les cris : Aux voix ! La clôture ! se font entendre de toutes parts. (U. B., 25 fév.)
M. Jottrand – Je n'ai que quatre mots à dire (aux voix !)... Si vous pensez que la question est assez éclaircie (oui ! oui !)... Je ferai cependant remarquer… (on rit.) L'orateur reproduit les arguments de M. Le Hon. (U. B., 25 fév.)
M. Devaux propose un changement de rédaction. (U. B., 25 fév.)
- Le paragraphe 2 de l'article 2 du projet de M. Nothomb, modifié dans sa rédaction ; est mis aux voix et adopté en ces termes :
« Le congrès national exclusivement continuera à exercer les pouvoirs législatif et constituant. » (P. V.)
Le paragraphe 3 du même article 2 est ensuite mis aux voix et adopté. (P. V.)
M. Charles Rogier propose d'ajouter au paragraphe 2 de l'article 2 :
« Néanmoins le régent pourra exercer l'initiative par l'intermédiaire de ses ministres. »
- L'honorable membre justifie son amendement. (U, B., 25 fév. et A.)
M. Lebeau l'appuie. (U. B., 25 fév.)
M. l’abbé de Foere – Messieurs, s'il faut adopter les opinions de M. Gendebien et de M. Rogier sur la responsabilité ministérielle, il faut renoncer à toutes les notions que nous avons acquises sur la théorie et sur les usages de cette responsabilité. Le premier, M. Gendebien, a dit qu'avec la responsabilité ministérielle, il n'y avait pas de danger d'accorder le droit de veto au régent. Mais le veto est une prérogative du chef de l'État ; or, la responsabilité légale des ministres ne peut jamais être engagée dans l'exercice des prérogatives royales. Le second, M. Rogier, croit que la responsabilité des ministres devient inutile si le chef de l'État n'a pas l'initiative des lois. Une loi proposée aux chambres l'a été ou par le chef de l'État ou par un membre de la législature ; dans les deux cas, les ministres ne peuvent être responsables ni de l'adoption ni du rejet de cette loi. Leur responsabilité est tout à fait en dehors de ces rapports de la législature ; elle ne s'étend qu'à l'inexécution ou à la transgression des lois, à la dilapidation des deniers publics, aux relations perfides que les ministres pourraient entretenir avec des ennemis de l'État, enfin à tout ce qui regarde l'exécution des lois, telles qu'elles ont été établies avec ou sans leur consentement. (J. F., 25 fév.)
- L'amendement de M. Rogier est mis aux voix et adopté. (P. V.)
M. Van de Weyer propose la disposition additionnelle suivante :
« Le congrès national se réserve le droit de procéder ultérieurement au choix du chef de l'État. » (U. B., 25 fév. et A.)
M. Jottrand s'oppose à cet amendement. (U. B., 25 fév.)
M. Van de Weyer pense que le préopinant l'a mal compris, et qu'il suffit de se reporter à l'article 85 de la constitution pour admettre sa proposition. (U. B., 25 fév.)
M. Le Grelle appuie M. Van de Weyer. (U. B., 25 fév.)
M. le comte d’Arschot propose un amendement qui n'est pas appuyé. (U. B., 25 fév.)
M. Devaux combat la proposition de M. le comte d'Arschot, comme chose très grave ; il appuie la proposition de M. Van de Weyer. (U. B., 25 fév.)
- La disposition additionnelle de M. Van de Weyer est mise aux voix en ces termes :
« Le congrès national se réserve le droit de nommer le chef de l'État. » (C., 25 fév.)
Cette disposition est adoptée et sera placée entre le paragraphe 1 et le paragrahe 2 de l'article 2. (P. V.)
On passe à l'article 3 du projet de M. Nothomb, et à l'article 6 du projet de M. Van Meenen.
L'article 3 du projet de M. Nothomb est ainsi conçu :
« Il est institué près du régent un conseil privé composé de cinq membres, nommés par le congrès.
« Ce conseil ne sera que consultatif. » (U. B.. 25 fév. et A. G.)
M. le baron Beyts (page 584) demande la question préalable sur l'article et sur les amendements. (U. B., 25 fév.)
M. Lebeau – Je ne pense pas que l'on puisse imposer au régent un conseil privé, pour l'administration intérieure ; mais je ne crois pas qu'il y aurait inconvénient à nommer une commission permanente, que j'appellerai comité d'enquête, chargé de prendre des renseignements à l'extérieur sur les questions relatives aux limites, au territoire et au choix du chef de l'État. (U. B., 25 fév.)
M. Van de Weyer, M. Charles Le Hon et M. Charles de Brouckere combattent cette proposition. (U. B., 25 fév.)
- L'article 3 du projet de M. Nothomb est mis aux voix et rejeté. (C., 25 fév.)
L'article 6 du projet de M. Van Meenen et le n° 5 des conclusions de la section centrale viennent par suite à tomber. (C., 25 fév.)
On passe à la discussion de l'article 4 du projet de M. Nothomb ; il est conçu en ces termes :
« Art. 4. Il est assigné mensuellement au régent une liste civile de 10,000 florins.
« Le régent habitera un des palais de la nation. Il lui est alloué une somme de 10,000 florins pour frais de premier établissement.» (A. C.)
M. le baron Beyts – Je propose que la liste civile soit réduite à 8,500 florins. (J. F., 25 fév.)
- Il s'élève une discussion tumultueuse. (U. B., 25 fév.)
M. le président, fatigué de réclamer le silence, dit – La sonnette ne suffit pas pour rétablir le calme ; il faudra faire venir une grosse cloche. (U. B., 25 fév.)
M. Charles de Brouckere, administrateur général des finances, accorderait volontiers les 10,000 florins par mois, mais ne peut consentir aux frais de premier établissement, les palais étant pourvus de tout. (U. B., 25 fév.)
M. Claes (de Louvain) propose d'allouer au régent 25,000 florins par mois, et 20,000 florins de frais de premier établissement. (U. B., 25 fév.)
M. Nothomb – On ma assuré hier qu'il manquait un grand nombre de meubles dans les palais. (J. B., 25 fév.)
M. Charles de Brouckere, administrateur général des finances – Je parle avec certitude, puisque l'administration des palais est dans mes attributions ; il ne manque rien dans les palais : il y a meubles, linge, et… (Hilarité. Bravo !) (U. B., 25 fév.)
M. Jottrand – Pour concilier les deux opinions, il faudrait dire qu'il est ouvert un crédit, et s'en rapporter au régent sur ce qui pourra lui être nécessaire. (U. B., 25 fév.)
M. Charles de Brouckere, administrateur général des finances, appuie cette proposition. (U. B., 25 fév.)
- La proposition de M. Claes (de Louvain) est rejetée. (U. B., 25 fév.)
M. Le Grelle – Vous allez disposer des sueurs du peuple. (Oh ! oh ! Longue interruption.) L'orateur, s'adressant à M. le président : Vous m'avez accordé la parole, veuillez me la maintenir. (U. B., 25 fév.)
M. le président – C'est une chose fort difficile dans ce moment que de vous accorder la parole. (U. B., 25 fév.)
M. Le Grelle parle de gouvernement à bon marché. (U. B., 25 fév.)
M. Charles Rogier propose 20,000 florins. (U. B., 25 fév.)
M. Alexandre Rodenbach – Le président des États-Unis n'a que 120,000 francs ; accorder au régent 10,000 florins par mois, c'est lui donner autant de florins que le magistrat américain a de francs. (J. F., 25 fév.)
M. Lardinois appuie les 20,000 florins. (U. B., 25 fév.)
M. Devaux parle dans le même sens. Il faut que la régence puisse balancer par ses largesses l'influence de l'or que nos ennemis répandent dans le pays. (J. B., 25 fév.)
M. Alexandre Gendebien – Voilà six mois que le gouvernement provisoire sert pour rien, pourquoi accorder tant au régent ? (J. F., 25 fév.)
M. Charles Rogier justifie sa proposition. (U. B., 25 fév.)
M. d’Hanis van Cannart la combat. (U. B., 25 fév.)
M. Van Meenen dit qu'il ne faut pas tant lésiner. (E., 25 fév.)
- La clôture est réclamée de toutes parts et prononcée. (U. B., 25 fév.)
La proposition de M. Charles Rogier est mise aux voix et rejetée. (U. B., 25 fév.)
M. Jottrand propose 15,000 florins. (U. B., 25 fév.)
- Cette proposition est également rejetée. (U. B., 25 fév.)
On adopte le premier paragraphe de l'article 4 du projet de M. Nothomb. (P. V.)
M. Henri de Brouckere propose de rédiger ainsi la première partie du deuxième paragraphe de l'article 4 :
(page 585) « Un des palais de la nation sera mis à la disposition du régent. »
- L'honorable membre dit qu'il fait cette proposition afin de ne pas gêner le régent dans le choix d'un autre domicile qu'il pourrait préférer. (U. B., et J. F., 25. fév.)
M. Charles Le Hon voudrait qu'il fût tenu d'habiter le palais qui lui serait assigné. (J. F., 25 fév.)
- La proposition de M. Henri de Brouckere est mise aux voix et adoptée. (P. V.)
- On met aux voix l'amendement de M. Jottrand à la deuxième partie du paragraphe 2 de l'article 4 ; il est ainsi formulé :
« Il lui est ouvert un crédit de 10,000 florins pour frais de premier établissement. (J. F., 25 fév.)
Cet amendement est mis aux voix et adopté, ainsi que l'ensemble de l'article 4 amendé, devenu article 3 du décret. (P. V.)
L'assemblée décide que l'élection du régent se fera demain 24 février, dans la forme déterminée par le décret du 28 janvier ; elle ordonne que cette décision soit insérée au procès-verbal. (P. V.)
On procède à l'appel nominal sur l'ensemble du décret de régence.
124 membres répondent à l'appel.
112 votent pour.
12 votent contre.
En conséquence le décret est adopté. (P. V.)
Ont voté contre : MM. l'abbé de Foere, de Rouillé, Devaux, Helias d'Huddeghem, Joos, Albert Cogels, Eugène de Smet, le baron de Liedel de Well, Van Snick, l'abbé Dehaerne, Claes (d'Anvers), Henri Cogels. (U. B., 25 fév.)
- La séance est levée à quatre heures et demie. (P. V.)