(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 659) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à deux heures. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, et après lui, M. Liedts, secrétaires, présentent l'analyse des pièces suivantes :
Vingt-sept distillateurs de Bruxelles présentent des réflexions sur la distillation.
M. de Ciny réclame contre la composition de la commission centrale d'industrie.
M. Arpent présente des réflexions sur l'instruction publique.
Cent soixante-cinq négociants de Liége exposent au congrès l'état manufacturier de leur province. Cinquante exemplaires de cette pièce ont été distribués dans l'assemblée.
Le conseil de régence de Braine-le-Comte demande que le congrès remédie à la cherté des grains en faisant stater les distilleries.
Vingt-sept habitants de Gand demandent que le demi-kilogramme soit divisé en seize onces.
M. Gérard, d'Ixelles, demande la suppression du budget pour le culte.
M. Franclieu fait hommage au congrès d'une pétition à la chambre des députés de France.
M. Van Halen de Mol, de Bruxelles, s'étonne de voir porter dans le budget la somme de 2,500 florins à titre d'indemnité pour prétendus voyages, déplacements, etc., des états députés.
M. J. Van Haelen désire qu'on porte au budget une somme destinée à la liquidation de la dette active des créanciers de l'État.
M. F. Grenier adresse au congrès des observations sur le projet de budget.
M. le baron de Loen, administrateur des domaines du troisième ressort à Bruxelles, tâche de démontrer qu'il est utile de ne pas supprimer les places d'administrateurs des domaines, et pour le cas où le congrès juge que cette suppression doit avoir lieu, le pétitionnaire se met sur les rangs pour être nommé membre de la chambre des comptes (U. B., 29 déc., et P. V.)
- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
Les membres du comité de commerce à Anvers, adressent au congrès des observations concernant le projet de loi sur le transit. (P. V.)
- Cette pétition sera déposée au bureau des renseignements, vu la prochaine discussion du budget, et afin que MM. les députés puissent en prendre connaissance ; elle sera ensuite rapportée à son tour. (U. B., 29 déc.)
M. le comte François Vandernoot, à Bruxelles demande une place à la chambre des comptes.
Même demande de la part de M. de Quaita, receveur de l'enregistrement à Maestricht. (P. V.)
M. Senault, receveur a Mons, sollicite la place de greffier à la chambre des comptes. (C., 28 déc.)
M. Mangez, avocat et employé au comité central, sollicite la même place. (P. V.)
- Ces pièces sont également renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)
Il est fait hommage au congrès d'une brochure intitulée : Profession de foi d'un catholique belge. (P. V.)
L'ordre du jour est la suite de la discussion du titre II du projet de constitution : Des Belges et de leurs droits.
M. le président – La discussion est ouverte sur l'article 15, dont voici la teneur :
« Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se soumettant aux lois.
(page 660) « Aucune autorisation préalable ne peut être requise. » (U. B., 20 déc., et A. C.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire : Il y a deux amendements : le premier est de M. Van Meenen, il propose de remplacer les mots : en se soumettant aux lois, par ceux-ci : en se conformant aux lois qui pourront régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable.
Le second amendement est de M. de Langhe ; il est ainsi conçu :
« Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes. Il ne peut être requis d'autorisation préalable que dans les cas et de la manière à déterminer par la loi.» (U. B., 29 déc., et A.)
- M. Van Meenen se trouvant absent, M. de Langhe a la parole pour développer son amendement. (U. B., 29 déc.)
M. de Langhe – Je vois de plus en plus qu'une idée prédomine parmi nous ; c'est d'écarter à jamais la possibilité d'établir aucune mesure préventive. Ce principe, que j'adopte en général comme conservateur de nos libertés, me semble cependant devoir dans quelques cas être subordonné à un principe supérieur, le maintien de l'ordre public. Je crois par conséquent que l'article 15 tel qu'il est proposé par la section centrale présente un sens trop absolu, et qu'en certaines circonstances dont il est impossible de peser en ce moment la gravité, il faut donner à la loi la faculté de modifier et même de restreindre le droit qu'ont les Belges de s'assembler. On dira que s'il se commet des délits dans ou à l'occasion de ces assemblées, ils seront réprimés par la loi pénale. Mais comme elles peuvent être très nombreuses, s'élever même à plusieurs milliers d'individus, le mal qui en résulterait pourrait être de nature à ébranler la société jusque dans ses fondements ; et c'est à mon avis ce qu'il faut empêcher, fût-ce par des mesures préventives. Nous devons, ce me semble, messieurs, mettre tous nos soins à organiser une bonne législature et lui accorder quelque confiance sans trop la lier par notre loi fondamentale, car il arrivera de deux choses l'une : ou il faudra violer la constitution pour conserver le repos public, ce qui serait dangereux et du plus mauvais exemple, ou bien nous pourrions nous voir entraînés de désordres en désordres, et peut-être, après avoir passé par toutes les phases de l'anarchie, finirions-nous, fatigués d'une liberté excessive, par nous précipiter dans le despotisme ou la domination étrangère. C'est ce malheur que je voudrais éviter en nous réservant les moyens légaux d'y mettre obstacle.
Je n'ose espérer, messieurs, de vous faire partager ma manière de voir. Nous sortons d'un état d'oppression dont le souvenir nous fait embrasser avec transport tout ce qui a l'apparence de la liberté. Mais je pense que, par amour pour les principes, nous dépassons quelquefois les limites que la prudence devrait nous empêcher de franchir. Au surplus, je désire bien sincèrement que mes prévisions ne se vérifient pas. Mais elles m'ont paru si graves, elles m'oppressent tellement, que j'ai cru devoir vous les soumettre. (C., 29 déc.)
M. l’abbé Dehaerne – Messieurs, il me paraît que l'amendement proposé par l'honorable M. de Langhe tend à nous faire consacrer une exception au principe général de la liberté de se rassembler, et à nous mettre en contradiction avec nous-mêmes, Il tend à créer, dans certains cas, des mesures préventives, tandis que nous avons décidé, presque à chaque pas que nous avons fait dans la constitution, que nous n'en voulions pas. Ainsi en matière d'enseignement nous avons rejeté toute mesure préventive ; nous n'avons pas même voulu de la surveillance, par cette seule considération, que la surveillance ressemble à une mesure préventive. Ainsi quand nous avons déclaré que la presse serait libre, nous avons voulu la débarrasser de toute mesure propre à la gêner où à la rendre illusoire ; nous avons dit : Plus de censure, plus de cautionnement, et cependant, les inconvénients signalés par M. de Langhe pour les rassemblements, pourraient aussi bien résulter de la liberté illimitée de la presse. Dans l'exercice de toute liberté, nous le savons, se trouvent le bien et le mal, le pour et le contre ; mais la liberté illimitée porte avec elle son remède. Si, en vertu de la liberté de la presse, on voulait enseigner l'athéisme, pourriez-vous l'empêcher ? non, messieurs ; quand vous le pourriez, vous ne le devriez pas, et cependant, si l'athéisme n'est pas fatal à la société, qu'est-ce qui le sera ? La presse est le grand levier, au moyen duquel, aujourd'hui, on dirige tout dans le monde. Archimède ne voulait qu'un point pour soulever le monde, donnez-moi la liberté de la presse, et je dirigerai les masses à mon gré. On nous dit que les associations peuvent être dangereuses. Messieurs, tout a ses dangers, tout a ses inconvénients ; ce n'est pas pour moi une raison de déroger aux principes ; je veux que nous ayons des clubs, je veux que nous ayons des associations en tout genre : je ne crains ni les uns ni les autres ; car je veux en même temps que les délits, dont ces clubs ou ces associations se rendront coupables, soient punis par la loi. Contentons-nous de réprimer les délits ; mais, (page 661) je le répète, point de mesure préventive en rien : ces motifs me déterminent à voter contre l'amendement de M. de Langhe. (U. B., 29 déc.)
M. de Langhe – Je crois qu'on peut n'être pas ami des mesures préventives, et ne vouloir pas cependant les proscrire entièrement. Il est des cas où ces mesures sont nécessaires au salut de la société, qui est la loi suprême : eh bien ! je veux que dans ces cas on puisse en faire usage. Du reste, en proposant mon amendement, je n'ai pas eu en vue les clubs ; je ne les crois pas dangereux, mais j'ai voulu empêcher des rassemblements semblables à ceux de l'Angleterre, qui finissent presque toujours par des excès déplorables. C'est contre ces rassemblements que je ne veux pas laisser le pouvoir désarmé ; il le serait, messieurs, si nous posions dans la constitution un principe auquel il ne serait plus permis de déroger. Laissons quelque chose à faire aux législatures qui nous suivront ; ne leur lions pas les mains, et ne les rendons pas impuissantes à faire le bien qu'elles pourraient juger nécessaire. Je persiste dans mon amendement. (U. B., 29 déc.)
M. Alexandre Rodenbach – Je voterai contre l'amendement de M. de Langhe : je veux que l'on puisse s'associer ; car, sans les associations, les Irlandais seraient encore sous le joug de l'Angleterre. Voilà pourquoi je voterai contre l'amendement de M. de Langhe. (U. B., 29 déc.)
M. le baron de Sécus (père) – Je vote pour l'amendement de M. de Langhe ; je mets une différence trop grande entre le mal produit par la presse et celui que peuvent occasionner des rassemblements tumultueux. S'il est vrai que la presse puisse produire quelques maux, du moins elle les produit lentement : on a le temps de les prévoir, on peut se flatter de les empêcher, y réussir même ; mais les rassemblements tumultueux peuvent commettre des désordres, des meurtres, bouleverser la société, sans que personne puisse se promettre de les maîtriser. Je crois l'amendement de M. de Langhe propre à empêcher ces rassemblements, ou du moins à les rendre inoffensifs : je l'appuie de tout mon pouvoir. (U. B., 29 déc.)
M. Van Snick – Je désirerais qu'on fît une nouvelle lecture des amendements. (U. B., 29 déc.)
M. le président – On les a déjà lus deux fois. (U. B., 29 déc.)
M. Van Snick – Je viens d'arriver, nous étions encore réunis en sections. (U. B., 29 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, fait une nouvelle lecture des amendements. (U. B., 29 déc.)
M. le comte Duval de Beaulieu n'aime pas les mesures préventives, il appuie néanmoins l'amendement proposé par M. de Langhe ; il partage à cet égard l'opinion de M. de Sécus ; cet amendement n'a pour objet que de ne pas restreindre le pouvoir futur de la législature, de ne pas restreindre la liberté de prendre des mesures qui pourront devenir utiles, de ne pas ôter à la loi cette faculté. Pourquoi ceux mêmes qui toujours invoquent les libertés en tout, au nom de ces libertés veulent-ils les limiter à l'avance et sans motifs puissants, lier dès à présent la législature à venir ? (C., 28 déc.)
M. Charles Le Hon – Messieurs, partisan de toutes les libertés, et de la liberté de s'associer, et de celle de parler tout haut des affaires publiques, et de la liberté d'enseignement, je crois cependant être conséquent avec moi-même quand je viens appuyer l'amendement de l'honorable M. de Langhe ; c'est que la liberté pour moi n'est pas cette liberté indéfinie de mouvoir le levier sur les masses, qu'un des préopinants nous a dit pouvoir soulever avec la force du levier d'Archimède. Messieurs, nous sommes ici pour asseoir la liberté sur des fondements solides ; il faut prendre garde que les masses ne comprennent mal ce que nous voulons faire pour la nation : et ici, remarquez-le bien, l'article s'adresse aux masses rassemblées sur la place publique, et qui se meuvent sous l'impulsion d'orateurs populaires : ces masses peuvent devenir dangereuses à l'ordre social ; or, il est nécessaire que la sûreté publique soit garantie, car sans cela que deviendrait la société, que deviendrait la constitution elle-même, que vous voulez rendre si favorable au peuple ? Et à cet égard, je ferai une observation, qui m'a frappé plus d'une fois depuis que nous discutons sur les principes de liberté que nous voulons consacrer dans la constitution ; c'est que non seulement on proscrit toute mesure préventive, mais encore tout ce qui pourrait obliger plus tard à arriver à des mesures de ce genre. D'où vient cela, messieurs ? c'est de la préoccupation des dernières années. D'où est partie notre révolution ? d'un gouvernement semi absolu, qui ne voulait d'un gouvernement représentatif que les apparences. Or, que demandions-nous à ce gouvernement ? Quels étaient nos griefs ? Nous demandions que des arrêtés ne vinssent pas nous enlever nos libertés. Nous demandions que la loi déterminât les garanties de ces libertés consacrées dans le pacte fondamental. On demandait cela quand deux peuples étaient amalgamés, quand la nation était moitié protestante, moitié catholique. Aujourd'hui, messieurs, nous représentons un peuple dont il n'est pas besoin de faire (page 662) l'éloge, un peuple éminemment religieux, un peuple qui n'a plus qu'une seule vue, un seul intérêt, un seul but, et nous qui représentons la nation, nous qui sommes appelés à faire un pacte constitutif pour assurer son bonheur, nous croyons la servir en liant les législatures à venir ? Mais de quel droit mettez-vous en prévention ce peuple qui a versé son sang pour la liberté ? De quel droit enchaîner les corps législatifs qui nous succéderont ? De quel droit les soupçonnez-vous de vouloir moins que vous le bonheur, la gloire, l'indépendance, la stabilité de la nation ? Quoi ! vous voulez que la constitution, réglant les principes généraux des libertés publiques, empêche à tout jamais les modifications législatives que les circonstances pourront rendre indispensables ? Et vous croyez servir le peuple ? Songez-y bien, messieurs ; vous le placez dans l'alternative ou de se rassembler paisiblement sur la place publique pour obtenir le redressement de griefs que la loi pourra réparer, ou de faire une révolution pour les obtenir. Prévenez ce danger, sans vous laisser arrêter par l'idée de porter atteinte aux principes généraux de liberté ; car lorsque vous dites qu'il faut les conserver intacts à tout prix, c'est comme si vous disiez : Périsse la société plutôt que de la préserver par une mesure préventive ! Pour moi, messieurs, je condamne un pareil langage, et je ne conserverai jamais à ce prix des théories belles sans doute, mais au-dessus desquelles se place le bonheur de ma patrie. Les observations de M. de Langhe, à l'opinion duquel une expérience législative de plusieurs années donne un grand poids, m'ont frappé par leur justesse ; je désire que, comme moi, l'assemblée se rende à leur évidence. Oui, messieurs, je vous adjure au nom de la liberté et des droits de la nation, et de la société que nous représentons ; ne privons pas ceux qui nous suivront des améliorations nécessaires, ne nous défions pas des législations futures : pour moi je n'hésite pas à faire dans leurs mains le dépôt de nos libertés, bien certain qu'elles ne courent aucun risque en laissant à la loi le soin d'en régler l'exercice selon les besoins des circonstances. (U. B., 29 déc.)
M. Jottrand – Il me semble que le raisonnement de l'honorable préopinant va un peu loin. Si nous devons avoir une aussi grande confiance dans toutes les législatures qui nous succéderont, à quoi bon faire une loi fondamentale ? A quoi bon proclamer des principes qu'il suffirait de laisser appliquer annuellement, et selon les circonstances, aux chambres qui viendront après nous ?
Le droit de s'assembler peut être dangereux, il peut amener des délits. Mais, messieurs, c'est le droit de s'assembler paisiblement et sans armes que nous voulons consacrer. Les rassemblements qui seraient armés, ou qui ne seraient pas paisibles, seront par le fait même des délits punissables. La loi pourra toujours sévir à temps. D'ailleurs ce n'est pas une chose inouïe que le droit de s'assembler librement. L'Angleterre, l'Amérique offrent des exemples déjà anciens de l'existence de ce droit ; et dans ces pays, que notre Belgique vaut bien, on ne songe pas à tous ces dangers qui peuvent, dit-on, résulter du droit de s'assembler. Je ne voterai pas pour l'amendement de M. de Langhe, je m'en tiens à l'article proposé par la section centrale. (C., 28 déc.)
M. Van Meenen – Messieurs, je commencerai par répondre à M. Le Hon , qui a demandé si nous voulions priver les législatures qui suivront de faire des lois préventives et répressives. En pressant un peu les conséquences des arguments de M. Le Hon, il faudrait se borner à établir le droit électoral, et laisser tout à faire aux législatures à venir. Ce n'est pas ainsi, messieurs, que doit agir le pouvoir constituant, et, à ce propos, je ferai remarquer à ceux qui répètent sans cesse dans cette enceinte qu'il ne faut pas de liberté illimitée, je leur ferai remarquer, dis-je, que nous devons également prendre des mesures contre les usurpations du pouvoir.
- Après ce début, l'orateur développe son amendement. Le bruit des conversations particulières couvre la voix de l'honorable membre. (U. B., 29 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire – Voici un troisième amendement de M. Devaux :
« Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police. » (P. V.)
M. Blargnies – J'appuie l'amendement de M. de Langhe, et pour prouver sa nécessité, je ne ferai qu'une observation. Nous avons dans le Hainaut 60,000 ouvriers pour exploiter les houilles. Ces ouvriers se coalisent lorsqu'ils veulent faire hausser le prix de leurs journées, et font ce qu'ils appellent tenir bon. Si vous permettez aux citoyens de se rassembler sans autorisation, qu'arrivera-t-il ? C'est que quand le travail pressera le plus, ils se coaliseront sans craindre de pouvoir en être empêchés, et résisteront d'autant plus qu'ils sauront que l'autorité aura été désarmée par la constitution. De là, messieurs, la ruine des établissements précieux de notre province. Du reste, le Hainaut ne sera pas le seul point menacé par un tel ordre de choses. Tous les lieux où il y a de (page 663) grands établissements manufacturiers, et il y en a beaucoup en Belgique, seront exposés aux mêmes malheurs. Je dépose cette observation dans le sein du congrès ; elle est plus que suffisante pour me faire adopter l'amendement. (U. B., 29 déc.)
M. Charles Le Hon – Messieurs, deux des préopinants ont tiré de mes raisonnements des conséquences qu'ils ne comportaient pas : d'où vient leur erreur ? Elle vient de ce que les honorables orateurs les avaient changés ou ne les avaient pas compris. Je n'ai pas dit qu'il fallait laisser aux législatures futures le droit de changer ou de modifier la constitution, c'eût été une absurdité dont je ne me crois pas encore capable ; mais. j'ai dit que la préoccupation des actes de l'ancien gouvernement exerçait sur les esprits une influence funeste, et que, sous le prétexte d'empêcher le retour d'un semblable régime, on se mettait pour l'avenir en mesure d'empêcher la loi de faire ce qui serait jugé nécessaire pour le maintien de la société. Voilà ce que j'ai dit, ce que je répète, et ce que je crois la vérité. Qu'il me soit permis d'ajouter un mot pour répondre à une observation de M. Alexandre Rodenbach : le droit de s'assembler et de s'associer, nous a-t-il dit, a sauvé les catholiques d'Irlande de l'oppression. Je m'empare de ce fait en faveur de l'opinion que je soutiens, et je demanderai : A quelle époque, dans quelles circonstances les Irlandais se sont-ils rassemblés, associés ? Quand les portes de la législature étaient fermées pour eux. Ils étaient alors dans un état d'ilotisme complet sous la domination absolue de l'Angleterre. Quand les peuples sont opprimés à ce point, il faut bien qu'une voie soit ouverte à leurs plaintes ; ils n' en ont pas de meilleure que de les faire retentir sur la place publique. Les Irlandais ont fait la seule chose qu'il leur fût possible de faire ; nous, au contraire, nous allons former un peuple homogène, où les droits de tous seront égaux, où mille voies seront ouvertes aux réclamations du peuple : nous ne sommes pas dans la position où étaient les Irlandais ; nous n'avons pas les raisons qu'ils avaient de se rassembler, et l'exemple qu'on a voulu en tirer, loin de rien prouver contre nous, milite en faveur de notre opinion. (U. B., 29 déc.)
M. Van Snick – Puisque le peuple belge s'est montré calme en temps de révolution, nous ne devons pas craindre les assemblées en temps de paix, en temps ordinaire. J'admettrai l'article tel qu'il est. (J. B., 29 déc.)
M. l’abbé de Foere – Messieurs, je rends hommage à la bonne foi de ceux qui ont parlé contre l'amendement de l'honorable M. de Langhe, mais je pense que ces honorables membres n'ont pas compris la véritable acception du mot liberté et des mesures préventives contre la liberté. Je m'y opposerais et je serais le premier à combattre l'amendement de M. de Langhe ; mais c'est précisément pour sauver la liberté et pour la préserver de toute atteinte, que les précautions de l'amendement sont prises ; je ne vois donc pas pourquoi l'on s'y opposerait. On a cité l'exemple de l'Irlande, mais en Irlande le droit de s'assembler est soumis à des mesures préventives ; car, dans quelques cas, les lois défendent tous rassemblements, et dans d'autres, elles ne les permettent qu'en en réglant les conditions : l'exemple cité vient donc à l'appui du système de M. de Langhe, que j'appuie. (U. n, 29 Mc.)
M. Devaux – J'ai proposé un amendement pour que les rassemblements en plein air restent soumis aux mesures de police. Je crois que ce sera un moyen d'éviter les dangers que tout le monde redoute. (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx explique le fait allégué par M. Blargnies : il s'agit du Borinage près de Mons ; les ouvriers se sont réunis, et l'on sait dans quel but. (C., 28 déc.)
M. Blargnies – Ce n'est pas de ces rassemblements que j'ai parlé. (C., 28 déc.)
M. de Robaulx – Lorsqu'on discute de grands principes, on ne doit pas s'en référer à des exemples. Les citoyens doivent pouvoir se réunir comme en Angleterre, pour discuter leurs intérêts et adresser des pétitions aux autorités constituées. Le peuple a le droit de se réunir ; représentants du peuple, nous n'avons pas le droit de lui enlever ce droit. Les rassemblements tumultueux, à main armée, doivent seuls être réprimés. (Aux voix ! aux voix !) (C., 28 déc.)
M. Barthélemy – Messieurs, je crains que nous ne fassions une constitution beaucoup plus anarchique que libérale. Ces mesures si libérales, selon quelques-uns, et pour lesquelles on se prend d'une belle passion, pourraient bien un jour produire des résultats autres que ceux qu'on s'en promet.. C'est ce que je crains, messieurs, si vous déshéritez par anticipation les législatures à venir du droit de faire ce qui leur paraîtra conforme aux besoins de la nation. Car il arrivera que quand le législateur sentira le besoin de mesures préventives pour garantir la liberté elle-même, le peuple lui dira qu'il n'en a pas le droit. De là, des désordres, des troubles, des convulsions dans l'État. Eh bien, j'aperçois déjà dans la constitution des germes de tout cela. On vient de nous dire tout à l'heure qu'il serait souvent (page 664) nécessaire de se rassembler pour adresser des pétitions aux pouvoirs. Vous voulez qu'on se rassemble pour cela ? Dites-le, et la loi déterminera les formes à suivre en pareille circonstance. Mais ne me citez pas l'exemple de l'Angleterre, car là il n'y a pas de rassemblements pour lesquels on n'ait demandé l'autorisation du magistrat. Messieurs, jetons les yeux autour de nous ; voyons ce qui vient de se passer en France ces jours derniers ; 40,000 anarchistes se sont promenés pendant trois jours dans Paris, paisiblement et sans armes. Que serait-il arrivé si ces 40,000 citoyens paisibles et désarmés n'eussent été contenus par 72,000 hommes de gardes nationales ? Ce qui serait arrivé ? C'est que ces 40,000 anarchistes auraient renversé le gouvernement établi, et la constitution libérale qui régit la France. Voulez-vous que quand votre constitution déplaira, 40,000 citoyens paisibles et sans armes s'assemblent devant votre palais du corps législatif, sans qu'il vous soit permis de prendre des mesures pour les comprimer ? Voilà cependant, messieurs, à quoi vous vous exposez avec vos principes généraux poussés à l'extrême. C'est donc ce qu'il faut permettre au législateur de réprimer ; sans cela je ne garantis rien de votre ouvrage. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !) (U. B., 29 déc.)
M. Alexandre Rodenbach – Je demande l'appel nominal. (C., 28 déc.)
M. Le Grelle – Je demande qu'on lise les amendements de MM. de Langhe et Van Meenen, afin d'en connaître la différence. (U. B., 29 déc.)
M. de Langhe – Je vais vous en expliquer la différence. M. Van Meenen ne veut pas d'autorisation préalable ; moi je la crois nécessaire, pour le salut de la société. (U. B., 29 déc.)
M. Le Grelle – Je demande la priorité pour l'amendement de M. Van Meenen. (U. B., 29 déc.)
M. Van Meenen demande la parole. (Aux voix !) (C., 28 déc.)
M. Lebeau – Je demande que l'assemblée soit consultée sur la question de priorité. (Brouhaha.) (U. B., 29 déc.)
M. Van Meenen parle au milieu du bruit. (Les cris : Assez ! assez ! la clôture ! couvrent sa voix.) (U. B., 29 déc.)
M. Jean Goethals demande qu'on entende M. Van Meenen. (U. B., 29 déc.)
M. Van Meenen obtient enfin un peu de silence ; il explique la différence qui existe entre son amendement et celui de M. de Langhe. (U. B., 29 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donnant lecture des trois amendements :
M. Van Meenen demande de substituer aux mots : en se soumettant aux lois, etc., les mots : en se conformant aux lois qui pourront régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable.
M. de Langhe propose la disposition suivante : « Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes. Il ne peut être requis d'autorisation préalable que dans les cas et de la manière à déterminer par la loi. »
M. Devaux présente un amendement ainsi conçu :
« Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police. » (U. B., 29 déc., A. et P. V.)
M. le président – S'il n'y avait que deux amendements, la question de priorité serait facile à résoudre ; mais il y en a trois. (U. B., 29 déc.)
M. Devaux – Je ferai observer que mon amendement n'exclut pas celui de M. Van Meenen. (U. B., 29 déc.)
M. Destouvelles demande la priorité pour l'amendement de M. Devaux. (U. B.,29 déc.)
- D’autres membres demandent la priorité pour celui de M. Van Meenen (U. B., 29 déc.)
- La question de priorité est mise aux voix ; l'épreuve et la contre-épreuve n'offrent qu'un résultat douteux. (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx – L'appel nominal ! (U. B., 29 déc.)
M. Van Meenen – Je crois que l'amendement de M. Devaux a obtenu la priorité ; mais cela est d'autant plus indifférent que cet amendement n'exclut pas le mien. (U. B., 29 déc.)
M. Rodenbach et plusieurs autres membres – L'appel nominal ! l'appel nominal ! (U. B., 29 déc., et C., 28 déc.)
- Plusieurs députés échangent entre eux des interpellations. (U. B., 29 déc.)
M. Barthélemy prend la parole. (U. B., 29 déc.)
M. Nothomb, secrétaire, relit l'amendement de M. Devaux. (n. n., 29 déc.)
M. Le Grelle – Je demande la parole pour un rappel au règlement. Messieurs, on a mis aux voix la priorité pour l'amendement de M. Van Meenen, et l'assemblée s'est décidée pour cet amendement. (Non ! non !) (U. B., 29 déc.)
M. le président – Si vous aviez compris ce qui s'est passé, vous auriez entendu M. Vau Meenen lui-même dire à la tribune le contraire de ce que vous dites. (On rit. ) (U. B., 29 déc.)
M. Le Grelle se rassied. (U. B., 29 déc.)
On procède à l'appel nominal sur l'amendement de M. Devaux. (U. B., 29 déc.)
152 membres répondent à l'appel.
110 votent pour l'amendement.
42 votent contre. (J. F. 29 déc.)
(Note de bas de page : Ce résultat de l'appel nominal, que nous empruntons au Journal des Flandres, a été reproduit par tous les autres journaux ; nous ferons cependant observer que le Journal des Flandres qui seul a donné les noms et des votants pour et des votants contre, cite parmi les premiers cent onze membres et parmi les derniers quarante-deux, ce qui porte le nombre des votants à 153 au lieu de 152. Il est constaté par le procès-verbal de la séance que 154 membres avaient signé la liste de présence).
En conséquence l'amendement proposé par M. Devaux est adopté ; il forme le paragraphe 2 de l'article 15. (P. V.)
Ont voté pour : MM. Jean-Baptiste Gendebien, Liedts, l'abbé de Foere, Fendius, Van Innis, le baron Beyts, Joos, Lecocq, Ooms, Werbrouck-Pieters, de Rouillé, de Gerlache, de Man, Goffint, de Roo, Jacques, Destriveaux, Frison, Fransman, d'Hanens-Peers, Coppieters, Lefebvre, Peemans, le comte d'Arschot, le baron de Leuze, Du Bus, le baron Joseph d'Hooghvorst, Janssens, Vergauwen Goethals. de Langhe, le marquis d'Yve de Bavay, l'abbé Verbeke, Buyse-Verscheure, Destouvelles, Lebeau, Delwarde, Du Bois, Surmont de Volsberghe, Meeûs, le baron de Terbecq, de Decker, le vicomte Charles Vilain XIIII, Devaux, Gustave de Jonghe, d'Hanis van Cannart, Allard, Lardinois, Lesaffre, le vicomte de Jonghe d'Ardoie, de Behr, Dumont, Marlet, Pirmez, Bredart. Henri Cogels, Blargnies, le comte d'Ansembourg, Huysman d'Annecroix, Leclercq, Defacqz, Charles Le Hon, le vicomte Desmanet de Biesme, François, le baron Osy, Maclagan, Simons, Henry, Hennequin, le baron de Woelmont, Domis, le Bègue, Goethals-Bisschoff, le baron van Volden de Lombeke , Geudens, le comte Cornet de Grez, Charles de Brouckere, Barbanson, le baron de Sécus (père), Barthélemy, le comte de Bergeyck, Jean Goethals, le baron de Stockhem, le baron de Pélichy van Huerne, le marquis de Rodes, Verwilghen, Claes (d'Anvers), le baron de Viron, Dams, Camille de Smet, Charles Coppens, Mulle, Olislagers de Sipernau, Vandenhove, Van Meenen, le chevalier de Theux de Meylandt, de Sebille, Zoude (de Saint-Hubert), Thienpont, Théophile Fallon, Trentesaux, Raikem, Van de Weyer, le comte de Quarré, Claus, le baron de Coppin, le baron Frédéric de Sécus, l'abbé Boucqueau de Villeraie, le comte Duval de Beaulieu , Nothomb, le comte de Celles, le baron Surlet de Chokier.
Ont voté contre : MM. Alexandre Rodenbach, Thorn, Le Grelle, d'Martigny, Berger, l'abbé van Crombrugghe, Gendebien (père), de Robaulx, Jottrand, Pirson, Vander Belen, Eugène de Smet, Watlet, Constantin Rodenbach, l'abbé Andries, Blomme, Buylaert, l'abbé Dehaerne, Masbourg, l'abbé Van der Linden, Roeser, l'abbé Corten, Seron, de Nef, Vandorpe, l'abbé Joseph de Smet, l'abbé Pollin, de Coninck, Béthune, Peeters, le comte Werner de Mérode, l'abbé Wallaert, Le Bon, le comte de Renesse, le baron de Liedel de Weil, le baron de Meer de Moorsel, Beaucarne, Morel-Danheel , Van Snick, Annez de Zillebeecke, Helias d'Huddeghem, l'abbé Verduyn. (J. F., 29 déc.)
M. le président – Faut-il donner une troisième ou une quatrième lecture de l'amendement de M. Van Meenen ? (On rit.- Oui ! oui !) (U. B., 29 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, relit cet amendement ; il consiste dans le remplacement des mots : En se soumettant aux lois, etc., par ceux-ci : En se conformant aux lois qui pourront régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. » (U. B., 29 déc., et A.)
- L'amendement de M. Van Meenen est mis aux voix par assis et levé ; il est adopté à une assez forte majorité ainsi que l'article amendé. (C., 28 déc., et P. V.)
- Celui de M. de Langhe est considéré comme non avenu. (C., 28 déc.)
M. Charles Le Hon – Je demande qu'il nous soit donné lecture de l'article 15, tel que les amendements l'ont fait. (U. B., 29 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, lit l'article en ces termes :
« Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui pourront régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable.
« Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police.» (Rumeurs, chuchotements.) (U. B., 29 déc., et P. V.)
M. le président – Nous voilà sortis de l'article 15 ; voici maintenant l'article 16 :
« Les Belges ont le droit de s'associer. Ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive.» (U. B., 29 déc.)
M. Destriveaux – Avant d'aller plus loin, je demande à faire une observation. L'article 12, sur lequel nous n'avons pas encore voté, est en corrélation avec l'article 16, et le vote de beaucoup (page 666) d'entre nous sur le premier pourrait influer sur le vote du second ; je pense donc qu'il serait convenable, et je propose de suspendre toute discussion sur l'article 16, jusqu'à ce que nous ayons voté l'article 12. (U. B., 29 déc.)
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée. (P. V.)
M. le président donne lecture de l'article 17, ainsi conçu :
« Art. 17. Chacun a le droit d'adresser des pétitions signées par une ou plusieurs personnes aux autorités publiques.
« Les corps légalement constitués ont seuls le droit d'adresser des pétitions en nom collectif. » (U, B.. 29 déc.. et A. C.)
M. de Robaulx – Je dois faire une observation. Lorsque nous aurons voté sur l'article 16, et en supposant qu'il soit adopté, nous aurons des associations légales, des corps constitués légalement, reconnus par la loi. Je demande si ces corps pourraient présenter des pétitions en nom collectif ? C'est une question à laquelle je désire qu'on fasse une réponse ; si l'article 16 est adopté, nous aurons deux espèces d'associations : les unes seront considérées comme personnes civiles ; les autres ne le seront pas. Je désire savoir si les associations ne formant pas personnes civiles auront le droit de présenter des pétitions en nom collectif. (U. B., 29 déc.)
M. le baron Beyts – Je vais répondre à la question du préopinant ; lorsque nous discuterons l'article 16, je me propose de présenter un amendement tendant à ce qu'aucune association ne puisse être considérée comme personne civile. (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx – Mais votre amendement n'est pas encore adopté. (On rit.) (U. B., 29 déc.)
M. le baron Beyts – J'espère qu'il le sera. (U. B., 29 déc.)
M. Devaux – L'intention de la section centrale n'a pas été de donner le droit de faire des pétitions collectives aux associations collectives ; cependant, comme l'article porte : les corps légalement constitués, l'observation de M. de Robaulx est juste ; il faudrait effacer ces mots et dire : Les autorités constituées. (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx approuve ce changement. (G., 28 déc.)
- L'article ainsi modifié est adopté avec un autre changement de rédaction par suite duquel les mots : aux autorités publiques ont été placés à la suite du mot : adresser. (P. V.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire - M. Van Snick vient de déposer une disposition additionnelle ainsi conçue :
« Le ministre auquel une pétition aura été renvoyée devra, dans les six semaines, instruire le pétitionnaire de la décision à laquelle sa pétition aura donné lieu » (U. B., 29 déc.)
M. Van Snick retire aussitôt cette disposition qui pourra trouver place dans le titre : Des ministres. (C., 28 déc.)
M. le président donne lecture de l'art. 18 : « Le secret des lettres est inviolable. » (U. B., 29 déc., et A. C.)
M. de Robaulx – J'ai une ajoute pour cet article ; la voici :
« Une loi réglera la répression et rétablira la responsabilité des administrateurs des postes. »
Messieurs, il ne suffit pas de proclamer les principes, il faut aussi leur donner une sanction, en en assurant l'exécution et en portant des peines contre les infractions. Ainsi, quand vous avez dit : Le domicile est inviolable, vous n'avez rien fait, si celui qui violera le domicile n'est pas puni par la loi. Il en est de même pour le secret des lettres ; si, en le déclarant inviolable, vous ne déclarez pas que ceux qui se permettront de les ouvrir seront punis, c'est comme si vous n'aviez rien dit. Cependant, il est très essentiel qu'une pareille infraction soit sévèrement réprimée ; pour cela il faut savoir sur qui doivent porter les peines. On me porte une lettre décachetée, par exemple ; si le facteur l'a ouverte, il doit être puni ; mais il peut l’avoir reçue ainsi de son supérieur immédiat ; il faut qu'il puisse se faire garantir par lui, celui-ci par son supérieur, et ainsi de suite. C'est afin de donner une règle à cette responsabilité que j'ai proposé mon amendement, que je crois utile et indispensable d'adopter. (U. B., 29 déc.)
M. Le Bègue – Messieurs, je combats l'amendement de M. de Robaulx, parce que si la responsabilité est désirable, elle ne doit pas cependant trouver place dans la constitution. Lorsque nous avons dit : Le domicile est inviolable, nous n'avons pas ajouté : Celui qui le violera sera puni, parce que cela est par trop évident ; mais c'est l'affaire de la loi pénale. Cela est si vrai, que jusqu'ici nous n'avons ajouté aucune sanction aux principes que nous avons votés, parce qu'ils portent cette sanction avec eux, et qu'il est bien entendu que les lois pénales en puniront la transgression. (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx – Qui donc sera responsable ? (C., 28 déc.)
M. Barthélemy – Le Code pénal le dira. (C., 28 déc.)
M. Charles Le Hon – (page 667) Je suis tout à fait de l'avis qu'il faut une sanction aux principes que nous posons dans la constitution ; mais, j'en appelle au préopinant lui-même, ne serait-il pas dangereux de mettre une sanction à l'article 18, tandis que nous n'en avons pas mis aux autres articles, qui cependant consacrent des principes bien plus importants ? Ne pourrait-il pas arriver, si nous adoptions l'amendement, que l'on regardât les autres articles comme dépourvus de sanction, puisque celui-là serait le seul auquel nous l'aurions donnée d'une manière explicite ? Cette réflexion suffit sans doute pour démontrer l'inopportunité de l'amendement, et ici il est évident que ce sera l'objet de la législation pénale. L'honorable membre demande qui sera responsable. Pouvons-nous, nous corps constituant, décider d'ores et déjà que sera l'administrateur responsable de la violation du secret des lettres ? Non, sans doute. Mais il y a quelque chose qui domine ici la discussion : c'est qu'il y aura toujours une responsabilité, celle du ministre dans le département duquel se trouve l'administration des postes, car lorsqu'on parle de la responsabilité d'un administrateur, on entend sans doute une responsabilité autre que celle qu'il encourrait pour les actes qui lui seraient personnels. Je pense donc qu'il faut laisser encore en suspens cette spécialité, parce que le ministre des finances sera toujours responsable des actes de ses subordonnés, sauf la responsabilité personnelle de ces derniers pour les actes qui seront de leur fait. (Aux voix ! aux voix !) (U. B., 29 déc.)
M. Destriveaux – Il est inutile de dire que la violation des lettres sera punie ; le Code pénal la punit déjà. Ce serait faire croire qu'il n'existe pas de peine. (Aux voix !) (C., 28 déc.)
M. de Robaulx – Je demande la parole. (U. B., 29 déc.)
M. le président – Est-ce pour retirer l'amendement ? (On rit.) (U. B., 2. déc.)
M. de Robaulx – Non, M. le président, c'est pour répondre à M. Le Hon que je ne crois pas la responsabilité du ministre suffisante dans ce cas. Cette responsabilité peut être bonne de lui aux chambres ; pour la violation d'une lettre, je le crois placé trop haut pour répondre d'un pareil fait. C'est afin que la responsabilité soit déterminée et fixée sur quelqu'un, que j'insiste. (U. B., 29 déc.)
M. Alexandre Rodenbach – J'appuie l'amendement et voici pourquoi : sous Guillaume le Têtu on a vu des autorités judiciaires envahir les bureaux du Courrier des Pays-Bas, et ouvrir toute la correspondance. S'ils se permettaient des actes aussi arbitraires, c'est parce que les peines portées contre la violation du secret des lettres n'étaient pas assez sévères. Voilà pourquoi je vote pour l'amendement. (U. B., 29 déc.)
M. Van Meenen croit qu'en effet une loi doit désigner tous les agents responsables, mais il voudrait rédiger l'amendement en ces termes :
« La loi désignera les agents responsables de la violation des lettres. »
La poste est un monopole, nous lui accordons une confiance forcée. (C., 28 déc.)
M. Camille de Smet vote contre l'amendement, et répond à M. Alexandre Rodenbach, que nous ne sommes plus sous Guillaume le Têtu. (U. B., 29 déc.)
M. Trentesaux – M. de Robaulx nous a prouvé qu'il fallait une loi pour punir la violation du secret des lettres, mais il ne nous a pas prouvé qu'il fallût que cette loi se trouvât dans la constitution. Or, c'est la seule chose qu'il aurait dû nous prouver. Je vote contre son amendement. (La clôture ! aux voix !) (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx – Voici une nouvelle rédaction qui peut-être conviendra mieux :
« Une loi déterminera quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste. » (U. B., 29 déc., et P. V.)
Cette nouvelle rédaction est mise aux voix par assis et levé. (C., 29 déc.)
- L'épreuve et la contre-épreuve sont douteuses. (U. B., 29 déc.)
- Plusieurs membres – Il y a majorité. (U. B., 29 déc.)
M. le président – J'avoue que je doute. (U. B., 29 déc.)
M. de Robaulx – L'appel nominal ! (U. B., 29 déc.)
M. le président – Ah ! l'appel nominal ! le congrès veut-il me permettre de recommencer l'épreuve ? (Oui ! oui !) (U. B., 29 déc.)
- L'épreuve est renouvelée. (U. B., 29 déc.)
L'amendement de M. de Robaulx est adopté.
L'ensemble de l'article l'est également. (P. V.)
M. le président donne lecture de l'article 19, qui est ainsi conçu :
« Art. 19. L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi» (U. B., 29 déc., et A. C.)
M. Van Meenen propose l'amendement suivant :
« L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif pour les particuliers ; il ne peut être réglé que par la loi et qu'à l'égard des fonctionnaires non électifs. » (A.)
(page 668) - Cet amendement n'est pas appuyé. (C., 28 déc.)
M. Raikem propose un amendement ainsi conçu :
« L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif. Il ne peut être réglé que pour les actes de l'autorité publique et seulement par la loi. » (A.)
- Cet amendement est appuyé. (U. B., 29 déc.)
M. Raikem – Tout le monde est d'accord sur ce point, que l'emploi des langues est facultatif ; et, dans l'usage habituel, chacun sera le maitre de parler comme il voudra. Il faut qu'il en soit de même pour les actes qui ne règlent que des intérêts privés. Il est de ces actes contenant des conventions, comme les contrats notariés et les testaments, qui doivent pouvoir être écrits dans la langue que parlent ou que choisissent les parties ; car sans cela il serait par trop facile de les tromper. Mon amendement tend à consacrer ce droit. Pour les actes de l'autorité, la langue doit être unique, sauf la traduction à y ajouter dans les cas nécessaires. Voilà tout ce que j'avais à dire pour justifier mon amendement. (Appuyé ! appuyé !) (U. B., 29 déc.)
M. le président – Voici un sous-amendement de M. Devaux. Il consiste à ajouter aux mots : il ne peut être réglé que par la loi, ceux-ci : et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires. (Appuyé !) (U. B.,29 déc., et P. V.)
M. Devaux – Quand j'ai proposé cet amendement, j'ai eu en vue les plaidoiries qu'il faudrait laisser libres ; car il est arrivé plusieurs fois qu'un accusé, traduit devant ses juges, n'entendait pas la langue dans laquelle les plaidoiries avaient lieu, et il eût sans doute préféré entendre plaider dans la sienne. D'un autre côté, dans les lieux où il y a des avocats qui parlent la langue flamande et la langue française, les avocats qui ne parlent que cette dernière sont en butte aux tracasseries de ceux qui préfèrent plaider en flamand. Je voudrais qu'on laissât à la loi la faculté de prononcer à cet égard. (Appuyé !) (U. B., 29 déc.)
M. Van Meenen s'oppose au sous-amendement de M. Devaux, et trouve la rédaction des deux amendements vicieuse. (C., 28 déc.)
- La proposition de M. Devaux est mise aux voix et adoptée, ainsi que l'article 19 amendé qui est conçu en ces termes ;
« L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires. » (P. V.)
M. de Robaulx – J'ai l'honneur de proposer un article additionnel qui, provisoirement, porterait le n° 20 ; il est conçu en ces termes :
« Art. 20. La résistance aux actes illégaux des fonctionnaires ou agents de l'autorité est légitime. » (U. B., 29 déc., et A. C.)
- Cette proposition est appuyée. (C., 28 déc.)
M. de Robaulx la développant – Si une contrainte personnelle est exercée illégalement par un fonctionnaire, il faut pouvoir repousser la force par la force. (J. n., 29 déc.)
M. Destriveaux – La question tranchée par cet article est trop délicate pour être l'objet d'une discussion improvisée ; je demande qu'elle soit renvoyée aux sections, afin qu'elle y soit mûrie, et que la section centrale nous présente ses idées sur ce point. (Appuyé !) (U. B., 29 déc.)
M. Thorn propose la rédaction suivante :
« Les Belges ont le droit de refuser leur obéissance et, au besoin, d'opposer la force à tout acte illégal des autorités et à tout acte illégalement exercé.
« 2° Ils .peuvent poursuivre, en réparation des atteintes portées à leurs droits, tous ceux qui ont sollicité, expédié, signé, exécuté ou fait exécuter les actes dont ces atteintes sont résultées, et ce, à partir de l'auteur immédiat de ces actes et sans avoir besoin d'obtenir aucune autorisation préalable. » . (A. C.)
- Les deux propositions sont renvoyées à l'examen des sections. (C., 28 déc.)
M. le baron Beyts – J'ai aussi à proposer un article additionnel, mais c'est sur une tout autre matière que celui de M. de Robaulx. Mon article viendrait immédiatement après l'article 9 qui abolit la confiscation ; il est conçu en ces termes
« La pénalité de la mort civile est abolie ; elle ne peut être rétablie. » (U. B., 29 déc., et A. C.)
M. le baron Beyts – La peine dont je demande l'abolition a pris naissance chez les Romains. De la législation de ce peuple conquérant elle est passée dans la législation moderne, et finalement dans les lois françaises. Dans ma section je proposai mon article, il donna lieu à de longues discussions ; tout le monde convenait de l'odieux d'une pareille loi, qui déclare et considère comme mort un homme plein de vie, et chacun présentait les difficultés qu'il croyait attachées à l'exécution d'une peine aussi bizarre. Nous nous entretînmes, à ce sujet, du malheureux M. de Polignac et de sa femme. Nous demandions si la peine portée contre M. de Polignac permettrait à sa femme de se remarier, et si Mme de Polignac, devenue volage, pourrait se choisir un (page 669) autre époux. Des questions difficiles à résoudre se présentaient aussi quant aux biens et à l'administration des affaires du condamné à la mort civile. Nous avons été ainsi plusieurs jours à nous débattre, et toujours avec M. et Mme de Polignac (on rit) : et ce qui est résulté de plus clair de tout cela, c'est que la peine de la mort civile nous a paru aussi odieuse qu'inutile. J'en demande pardon aux législateurs modernes et aux Romains, mais je demande qu'on ôte cette fiction de nos lois, et que la peine de la mort civile soit abolie pour toujours. (Appuyé ! appuyé f) (U. B., 29 déc.)
M. Raikem appuie cette proposition et en demande le renvoi à l'examen des sections. (U. B., 29 déc.)
- Ce renvoi est ordonné. (P. V.)
Les propositions seront imprimées et distribuées. (J. F., 29 déc.)
M. le président – L'ordre du jour est épuisé. (U. B., 2.\ dec.)
- Quelques voix – Il faudrait entendre quelques rapports de pétitions. (U. Il., 2U déc.)
M. le président – Vous voyez que tout le monde a quitté sa place. Dans cet état l'assemblée me semble plus disposée à aller dîner qu'à écouter des rapports. (On rit.)
Demain la séance s'ouvrira à dix heures pour la discussion du budget. (U. B., 2U déc.)
M. Charles de Brouckere – Je demande qu'au nom du congrès M. l'administrateur en chef du comité des finances soit prévenu, afin qu'il se trouve à la discussion. (Appuyé !) (U. B., 2U déc.)
M. le président – On écrira à M. l'administrateur général des finances. (U. B., 2U déc.)
- La séance est levée à quatre heures et demie. (P. V.)