(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 160) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
Le bureau est placé sur une estrade élevée de plusieurs marches au dessus du parquet ; conformément au nouveau règlement, une tribune destinée aux orateurs est sur le devant de cette estrade, au-dessous du bureau.
La séance s'ouvre à deux heures. (P. V.)
M. Nothomb, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. (E., 19 nov.)
M. Vandenhove fait une observation sur le procès-verbal. (E., 19 nov.)
M. Nothomb y répond. (E., 19 nov.)
- La rectification est admise et le procès-verbal adopté. (E., 19 nov.)
M. Toussaint, commis greffier au tribunal d'Anvers, fait hommage à l'assemblée d'un discours sur le veto et le sénat. (P. V.)
- Dépôt à la bibliothèque. (P. V.)
M. de Langhe, rapporteur de la septième commission de vérification des pouvoirs, demande qu'on invite les membres qui en font partie à se réunir.
- Adopté. (J. F., 19 nov.)
M. Morel-Danheel, rapporteur de la deuxième commission de vérification des pouvoirs, propose l'admission de M. Dayeneux, deuxième suppléant du district de Marche, en remplacement de M. Nothomb, optant pour Arlon. (P. V.)
- Ces conclusions sont adoptées. (P. V.)
M. Charles de Brouckere fait, au nom de la section centrale, un rapport sur cette proposition.
M. Pirson se plaint de ce que la section centrale n'a pas fait mention de son vote. Personne ici, dit-il ensuite, ne désire plus que moi l'indépendance de la Belgique, ma patrie ; mais c'est à une condition. Je ne consens pas à ce que le roi, que vous n'avez pas encore déclaré déchu, puisse la gouverner même séparément de la Hollande. Je ne consens pas à ce qu'aucun membre de la famille des Nassau puisse être appelé à la tête de nos affaires sous tel titre que ce puisse être. Si cela arrivait, ma répugnance serait tellement forte, que je ferais, s'il le fallait, le sacrifice de cette indépendance, pour me soustraire à un joug insupportable. Je ne suis point le seul qui pense de cette manière. Si le prince d'Orange a des partisans dans cette enceinte, qu'ils y pensent à deux fois ! Leur majorité même ne serait que factice et momentanée. Le peuple l'aurait bientôt brisée. (A l'ordre ! à l'ordre !) (J. F., 19 nov.)
M. le président – Je prie l'orateur de ne point chercher à effrayer le congrès par la menace d'une fraction du peuple belge. (U. B., 19 nov.)
M. Pirson – Laissez-moi expliquer ma pensée. (A l'ordre !) (U. B., 19 nov.)
M. le président – Le caractère bien connu de l'orateur doit persuader au congrès que sa pensée n'a rien d'hostile ; j'invite l'assemblée à l'écouter avec calme. (U.B., 19 nov.)
M. Pirson – Je m'explique bien vite, messieurs, afin que vous ne soupçonniez pas que je veuille soulever les masses. L'appel au peuple aurait lieu par un moyen très légal. La dernière loi fondamentale a subi cette épreuve. Il y aurait, (page 161) je crois, dans le cas présent, cette différence que la fraude et le mensonge ont décidé pour cette loi fondamentale, et que la franchise et la vérité décideraient contre le prince d'Orange.
La convention nationale de France a également soumis la constitution de la république française à l'acceptation du peuple français. Le consulat à vie a été soumis à la même acceptation. Je ne crois pas, messieurs, que vous pourrez vous refuser à suivre ces exemples. Du reste, ce n'est pas encore le moment d'en faire la proposition.
On veut éloigner, par des voies détournées, une discussion qu'on ne peut plus éviter. La discussion d'hier, certaine tactique d'ensemble concerté, me rendent soupçonneux ; d'un autre côté, notre collègue M. de Robaulx a parlé d'argent distribué.
Je suis bien certain que ce n'est pas à des membres du congrès. Mais ce dont je suis aussi certain, c'est que l'on a remis sous le manteau, dans cette enceinte, des lettres en faveur du prince d'Orange. Il n'y a, messieurs, aucun crime ni reproche à faire à cette dernière distribution. Je ne vous en parle que pour témoigner en faveur de la vérité de ce qui vous a été dit hier. Oui, messieurs, l'intrigue s'agite fortement ; repoussez-la bien vite, si vous ne voulez pas qu'elle produise des effets désastreux. Vous voulez nous faire peur, vont peut-être dire quelques-uns. Eh ! n'avez-vous pas voulu vous-mêmes nous faire peur, en nous menaçant de Chassé, du roi de Hollande, du roi de Prusse ? Mais calmons-nous tous, la peur serait une mauvaise conseillère, lorsqu'il s'agit d'indépendance nationale.
Je suspends mon vote sur l'indépendance de la Belgique, jusqu'à ce que le congrès ait prononcé la déchéance du roi des Pays-Bas et l'inaptitude de toute sa descendance à gouverner la Belgique, sous quelque dénomination que ce puisse être. (J. F., 19 nov.)
M. Charles de Brouckere – Je ne ferai qu'une observation pour justifier la section centrale, c'est que la proposition de M. de Celles était seule à l'ordre du jour, que c'était sur celle-là seulement que l'assemblée avait à se prononcer, et que toute autre proposition ne pouvait que compliquer inutilement la question. (U. B., 19 nov.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture d'une motion d'ordre de M. Destriveaux, ainsi conçue :
« Je prie le congrès national de demander au gouvernement provisoire communication de tous documents et pièces propres à éclairer l'assemblée sur l'état politique de la province de Luxembourg, afin de prononcer en connaissance de cause sur l'indépendance de ce pays." (U. B., 19 nov.)
- Cette motion d'ordre est appuyée. (J. F., 19 nov.)
- Plusieurs députés demandent la parole. (C., 19 nov.)
M. Le Grelle pense que la dixième section a prévu la proposition de M. Destriveaux. (J. F., 19 nov.)
M. de Robaulx dit que, d'après le règlement, la parole doit être à M. Destriveaux. (C., 19 nov.)
M. Charles Le Hon ne pense pas que la proposition de M. Destriveaux puisse être mise aux voix ; il faut d'abord prendre une décision sur les conclusions de la commission. (C., 19 nov.)
M. Thorn – Je n'aurais pas conçu qu'on pût sérieusement douter que le Luxembourg, qui de tout temps a fait partie des provinces belgiques, et qui, comme tel, avait été réuni à la France par la loi du 9 vendémiaire an IV, et a toujours continué à être administré comme tel, ne fît pas aujourd’hui partie de ces provinces, si un diplomate distingué n'avait récemment manifesté ce doute à la chambre des députés de France. Dans cet état (page 162) des choses, je crois devoir appeler l'attention du congrès sur cette importante question, les députés du Luxembourg ne pouvant prendre part à aucune délibération, si elle est décidée d'une manière opposée à leur opinion. (C., 19 nov.)
M. Charles Le Hon retire son observation. (C., 19 nov.)
M. le comte de Celles – On vous propose d'ajouter au premier paragraphe de ma proposition une déclaration relative à la province de Luxembourg.
Il est vrai que M. Bignon a élevé la même question, mais il ignorait l'existence de documents importants. Je ne me rappelle pas exactement les dates ; je sais qu'une loi, que je crois de 1818, a réglé tout ce qui regarde les droits de succession, moyennant une indemnité. J'ai toujours vu ici cinquante-cinq députés du midi, que j'ai toujours regardés comme Belges. Les documents qu’on demande sont sans doute nécessaires, mais je crois que cette communication ne doit pas faire ajourner ma proposition. L'article 2 de la loi fondamentale de 1815 a placé le grand-duché de Luxembourg sous la même souveraineté que les autres provinces. La commission de constitution, dans son rapport officiel, a fixé l'état de la province de manière à ne laisser aucun doute. Voici le passage du rapport :
« La province de Luxembourg, qui prend le titre de grand-duché et qui remplace dans la maison de Votre Majesté ses Etats allemands, devient pour le royaume un accroissement de la plus haute importance. »
Il est évident que c'est dire en d'autres termes que le grand-duché ne forme pas un Etat distinct du royaume.
La commission poursuit :
« Nous avons été informés, sire, des droits que (page 163) des pactes de famille avaient donnés sur les Etats de Nassau au puîné de vos fils ; nous n'avons pas méconnu les justes titres qu'a ce prince à une indemnité ; mais nous avons cru que c'est aux états généraux qu'il appartient de proposer, soit par la cession de domaines, soit de toute autre manière, la mesure qui satisfera le mieux à ce que l'équité commande, à ce que la reconnaissance de la nation lui prescrit. Nous osons, sire, exprimer respectueusement le vœu qu'il soit fait des dispositions de concert avec vos alliés pour que, dans aucun cas, le grand-duché de Luxembourg ne puisse cesser de faire partie du royaume ; ce vœu, qui est dans l'intérêt de l'État, nous paraît être aussi dans l'intérêt de l'Europe. »
Le vœu que la commission a manifesté était conforme aux véritables principes d'indépendance et d'unité nationale.
Ce vœu a été rempli par une loi ; j'insiste sur la première partie de ma proposition. Je vous ai dit dans quel sens je la faisais. La Belgique ne doit plus être un « accroissement de territoire » ni pour la Hollande, ni pour tout autre pays, la France notamment. Cette déclaration d'indépendance pourra être accompagnée d'une espèce de manifeste, d'un résumé de tous nos griefs. On nous a calomniés, messieurs ; le discours du roi d'Angleterre est connu de l'Europe ; nous savons fort bien nous-mêmes pourquoi nous avons fait notre révolution ; peut-être faut-il le redire à l'Europe. On nous a dit que nous étions des rebelles ; le mot est dur ; ce n'est pas nous qui avons rompu les premiers le pacte, qui avons manqué les premiers au contrat. Notre longanimité a été extrême. (C., 19 nov.)
M. Destriveaux – La proclamation de l'indépendance de la Belgique contient deux parties distinctes, l'une intérieure, l'autre extérieure. Je vous avoue que je regarde la première à peu près comme inutile ; s'il n'en était ainsi, nous n'aurions pas le droit d'être ici. L'assemblée du congrès est la déclaration la plus solennelle de notre indépendance. Tous les Belges sont d'accord ; je comprends sous cette dénomination tous les habitants du territoire belge, y compris ces Liégeois qui s'entendaient aussi en liberté. La deuxième partie de la déclaration de notre indépendance armera les puissances étrangères. A leur égard une explication formelle est peut-être nécessaire, elle doit être faite avec toute connaissance de cause. Sans doute nous sommes tous convaincus que le grand-duché fait partie de la Belgique, nous devons au besoin justifier cette conviction. Personnellement, je n'ai pas de doute sur la question. Depuis longtemps on connaît mon opinion, je l'ai publiée. (C., 19 nov.)
M. Nothomb – A une tribune voisine, où l'on ne prononce aucune parole qui ne retentisse en Europe, un diplomate distingué a tranché la question luxembourgeoise ; il l'a résolue contre nous avec une précipitation extraordinaire. N'imitons pas cette précipitation : la question a été posée dans les sections, elle est à l'ordre du jour avec celle de l'indépendance et se confond avec celle-ci. Nous ne pouvons nous rfuser à la résoudre ; une solution implicite, indirecte, ne peut même suffire. Nous devons une réponse à la tribune française. Il faut que la discussion s'ouvre immédiatement, et si nous avons besoin de nouveaux renseignements, nous ne devons pas hésiter à exiger des communications du gouvernement. C'est ainsi que procède le parlement anglais chaque fois qu'une question de droit externe s'élève ; le ministère met toutes les pièces diplomatiques sous les yeux des députés. Ce n'est pas que la question luxembourgeoise soit douteuse pour moi ; je suis certain que la solution sera favorable et unanime. C'est précisément parce que je crois le résultat certain que je voudrais que la discussion fût solennelle et complète. L'honorable M. de Celles, qui vient de quitter cette tribune, me permettra de rectifier la citation qu'il a faite ; la loi qu'il a citée est du 25 mai 1816 ; c'est un acte de la plus haute importance et qui renferme toute la question, telle que M. Bignon l'a posée. D'une part, par une fiction politique, le grand-duché a été considéré comme substitué aux Etats de Nassau ; d'autre part, la loi fondamentale de 1815, promulguée à la suite des traités de Vienne, a considéré le grand-duché comme partie intégrante du royaume ; il fallait concilier ces deux ordres de choses et prévenir tout démembrement. Le système de succession renfermait une cause de démembrement, on la fit disparaître. D'après le pacte de famille de 1785, le prince Frédéric devait hériter du grand-duché de Luxembourg, dès que son frère ainé parviendrait au trône des Pays-Bas ; il fallait anéantir les effets du pacte de famille et faire prévaloir le système de succession adopté par la loi fondamentale. L'article 67 du traité de Vienne permettait au roi (page 164) de faire ou de provoquer un arrangement en ce sens. Ce fut l'objet de la loi du 25 mai 1816 ; vous me permettrez de vous en lire le texte, il recevra par là une nouvelle publicité :
« Nous, Guillaume, etc., ayant pris en considération que les pays de Nassau, à la possession desquels nous avons renoncé dans les négociations du congrès de Vienne, devaient, aux termes de l'acte du 4 avril 1814, passer sous la souveraineté de notre bien-aimé fils le prince Frédéric des Pays-Bas, à l'époque où le prince d'Orange, son frère, serait parvenu à la souveraineté des Provinces-Unies ;
« Que la souveraineté éventuelle du grand-duché de Luxembourg, qui nous a été cédé en compensation de nos pays de Nassau, aurait pu indemniser le prince Frédéric de la perte de son expectative ;
« Et que comme nous avons trouvé convenable, pour l'intérêt général du royaume, d'y réunir le grand-duché et de le placer sous les mêmes lois constitutionnelles, la justice exige d'affecter la susdite indemnité sur les biens de l'Etat, dont cette réunion a augmenté les revenus et la puissance.
« A ces causes, notre conseil d'Etat entendu, et de commun accord avec les états généraux, avons statué comme nous statuons par les présentes :
« Art. 1er. Les biens domaniaux situés dans les arrondissements de Breda, etc., et dont le revenu net, y compris le produit des rentes, cens et autres redevances, s'élève à environ 190,000 florins, sont cédés à notre bien-aimé fils, le prince Frédéric des Pays-Bas, pour être possédés par lui et par ses légitimes descendants de mâle en mâle et par droit de primogéniture, sans cependant que jamais ou par aucun motif ils puissent être aliénés, engagés ou chargés d'hypothèques, etc. »
Cette loi résout nettement la difficulté. Si cette loi n'eût pas été rendue, on aurait pu soutenir que le grand-duché forme une principauté patrimoniale distincte, soumise à des droits particuliers de succession, par l'effet de la fiction de substitution. Cette loi est un droit acquis, et a irrévocablement mis le grand-duché, à l'égard de la Maison d'Orange, sur la même ligne que les autres provinces belges. Je n'entrerai pas plus avant dans la question ; cette explication peut suffire, puisqu’elle répond directement au seul argument que M. Bignon ait fait valoir. Je ne sais quel sera le sort de la motion de M. Destriveaux ; en l'adoptant, la déclaration de notre indépendance ne serait ajournée que de vingt-quatre heures ; demain, à l'ouverture de la séance, nous pourrions recevoir toutes les communications. (C., 19 nov.)
M. le comte de Celles a la parole pour un fait personnel – Je ne m'étais trompé que sur la date, je me rappelais très bien le fond de l'acte. Je remercie mon honorable collègue de sa rectification. (C., 19 nov.)
M. Nothomb – Mon intention n'était pas d'offenser M. de Celles. (C., 19 nov.)
M. le comte de Celles – Je le sais bien et n'en doute pas. (C., 19 nov.)
M. Lebeau – Je m'oppose à l'ajournement de la proposition de M. de Celles ; les orateurs qui m'ont précédé ont méconnu les effets de la déclaration de notre indépendance : je sais qu'à l'intérieur elle est superflue, mais il n'en est pas de même à l'extérieur. Remarquez d'abord, messieurs, que la déclaration de notre indépendance est exclusive de la réunion à la France ; par cela même elle amènera, de la part des membres qui désirent cette réunion, des explications qu'il importe d'entendre : que ces explications soient ou non convaincantes pour l'assemblée, la diplomatie sera officiellement informée de notre décision, et croyez-moi, cette déclaration aura une influence profonde sur notre destinée future. On vous a dit hier que le royaume des Pays-Bas avait été formé dans la préoccupation d'une idée, celle de s'opposer à l'esprit de conquête et d'envahissement de la France : eh ! qui vous dit, messieurs, que lorsque nous aurons solennellement déclaré notre refus d'être incorporés à cette puissance, cette idée n'engagera pas les grandes puissances de l'Europe à donner à la Belgique un accroissement de territoire tel, qu'elle soit capable de remplir seule le but qu'on s'était proposé ? Qui vous dit encore que, tant que (page 165) cette réunion ne sera pas définitivement rejetée, il ne se trouvera pas des hommes qui emploieront, pour y arriver, des moyens que nous repousserions tous ? Ne craignez-vous pas enfin, pour tout dire, que l'on ne cherche à nous pousser à cette réunion en nous plongeant dans l'anarchie ?
J'arrive à la question du Luxembourg, dont l'honorable député de Liége, auteur de la proposition d'ajournement, n'a pas dit un seul mot. La qualité de Belge est prouvée pour les Luxembourgeois comme pour les habitants de toutes les autres provinces ; hors de la portée du canon de la forteresse, les élections se sont faites librement pour le congrès, et l'indépendance du grand-duché a été proclamée en fait par l'admission de ses députés dans l'assemblée.
Messieurs, cessons d'ajourner les questions vitales que nous sommes appelés à résoudre : hier encore, par des considérations étrangères à la question, vous avez ajourné une question d'une haute importance ; cet ajournement, permettez-moi de vous le dire, est diversement interprété. Sans doute, si on lisait au fond de nos consciences, personne ne serait alarmé ; mais il n'en est pas ainsi, et nous ne devons pas donner prétexte à des accusations qui peuvent déconsidérer le congrès national et compromettre la tranquillité publique. (U. B., 19 nov.)
M. Gendebien (père) – Je suis monté à cette tribune pour vous rendre compte de ce qui s'est passé à La Haye en 1815 : je faisais partie de la commission de constitution. D'abord il n'y avait personne du pays de Luxembourg. Le roi nous a proposé de réunir le grand-duché au royaume ; cette proposition ayant été acceptée, M. d'Anethan de Luxembourg fut adjoint à la commission. La loi fondamentale fut faite pour le grand-duché comme pour le reste du royaume. Elle fut soumise à l'acceptation des notables dans le grand-duché comme dans le reste du royaume, et sans doute la part que les habitants de Luxembourg ont prise à l'acceptation de la loi fondamentale atteste qu'ils sont Belges. Leurs votes ont été compris dans le relevé général, et on a dû les y comprendre pour regarder la constitution comme acceptée. Avant qu'il ne fût décidé que le grand-duché encore occupé militairement serait incorporé aux Pays-Bas, on avait arrêté à La Haye que la deuxième chambre des états généraux se composerait de 110 députés. La Belgique ayant été incorporée au royaume, les Belges ont prétendu, dans le sein de la commission, qu'il fallait porter le nombre des députés à 114, en accordant 4 députés au Luxembourg ; les Hollandais nous répondirent unanimement que le nombre devait rester fixé à 110 ; que le grand-duché fournirait 4 députés, des 55 députés belges ; que l'égalité n'était pas détruite entre la Hollande et la Belgique, attendu que le grand-duché formait une des provinces belgiques. Voilà des faits que je puis attester. J'en conclus en toute assurance :
1° Que le grand-duché de Luxembourg faisait partie du royaume, puisqu'il a été placé sous la même loi fondamentale, sous la même souveraineté par la loi fondamentale ;
2° Que le grand-duché fait partie de la Belgique, puisqu'il a été considéré comme province belge lorsqu'il s'est agi de régler le nombre des membres de la représentation nationale.
Tout ceci s'est fait d'accord avec le roi, à qui les traités laissaient toute latitude à cet égard, et avec l'approbation unanime des Hollandais ; aucune réclamation n'a été faite. (C., 19 nov.)
M. Charles Rogier – Personne ici, je le présume, ne veut remettre en doute que la province de Luxembourg fasse partie du territoire belge ; je ne crois pas que ce soit là la question : nous avons à prononcer l'indépendance de notre pays. Ne trompons pas l'attente du peuple belge par d'interminables lenteurs.
Hier encore, l'exclusion des Nassau a été ajournée par des raisons étrangères à cette exclusion. L'épée de Damoclès suspendue sur Anvers et les cent cinquante bouches à feu qui menacent Maestricht n'auraient pas dû entrer en ligne de compte quand il s'agissait d'un principe général à établir. Aujourd'hui nous avons à proclamer l'indépendance de la Belgique, et on nous demande de retarder cette proclamation pour avoir le temps d'examiner la question du Luxembourg ; mais à quoi cela nous avancera-t-il ? Que risquons-nous à déclarer l'indépendance du pays tel qu'il est ou tel qu'il sera ?
Cette indépendance est un fait que ne peut détruire la diplomatie. Proclamons ce fait sans nous inquiéter des questions diplomatiques qu'il pourra faire naître. On nous dit que l'examen demandé ne retardera notre décision que de vingt-quatre heures ; sans doute, mais notre décision, quelque bien basée qu'elle soit, enchaînera-t-elle les opinions des diplomates ? Et si nous devons attendre que les diplomates l'aient approuvée, quand notre indépendance sera-t-elle proclamée ? car il reste à savoir si l'intérêt de la diplomatie n'est pas de prolonger notre situation actuelle, pour avoir plus tard meilleur marché de nous.
Il ne faut pas nous le dissimuler, nous sommes presque dans l'anarchie ; notre commerce, notre industrie, sont totalement suspendus : il importe de sortir promptement de cet état fâcheux.
(page 166) Je demande que, sans désemparer, on proclame l'indépendance de la Belgique, et que, dorénavant, on écarte toutes les questions incidentes par l'ordre du jour. (U. B., 19 nov.)
M. le baron Beyts – J'ai vu avec peine qu'un diplomate étranger, en traitant la question de Luxembourg, a passé sous silence l'acte qui nous était le plus favorable. Il vous a été donné des explications satisfaisantes à cet égard. On a dit que le grand-duché de Luxembourg était entré dans la maison d'Orange à titre d'échange. Le mot est impropre. La maison allemande de Nassau se divise en deux branches ; la branche d'Othon a été appelée en 1815 au trône des Pays-Bas ; la branche de Walram règne en Allemagne. En 1785, un pacte de famille a établi un droit réciproque de succession d'après la loi salique entre ces deux branches. La branche d'Othon avait les possessions héréditaires de Nassau-Dillenbourg, Hadamar, Siegen et Dietz ; en vertu du pacte de famille, ces possessions étaient érigées en fidéicommis en faveur de la branche de Walram. Le roi des Pays-Bas ayant renoncé à ses Etats héréditaires, non pas pour obtenir la province de Luxembourg seule, mais pour devenir roi des Pays-Bas, on voulut maintenir le pacte de famille et transporter ce fidéicommis sur une province belge ; c'est celle de Luxembourg qu'on choisit. D'après les règles de notre droit civil, la validité de cette transmission pourrait être contestée. Quoi qu'il en soit, l'éventualité ne peut donner à la branche de Walram un droit actuel d'intervention. (C., 19 nov.)
M. le baron d’Huart – La même loi fondamentale régissait la Belgique réunie à la Hollande, aussi bien que le grand-duché de Luxembourg ; je crois, messieurs, que l'on ne peut plus mettre en problème aujourd'hui si le contrat synallagmatique qui unissait ces pays, est rompu, et si le roi Guillaume a perdu ses droits sur nous. Cette question est résolue affirmativement par le fait ; or, les motifs qui l'ont décidée ainsi pour la Belgique ne sont-ils pas les mêmes pour le grand-duché de Luxembourg ?
Le duché, messieurs, entend continuer à faire partie de la Belgique, et il vient de vous le prouver à l'évidence, en envoyant ses députés au congrès national. Sa résolution à cet égard, guidée par ses anciens souvenirs, est formelle, et j'assume volontiers sur moi, comme député de Luxembourg, la responsabilité de cette déclaration que les Luxembourgeois sont décidés à mourir plutôt que d'être séparés des Belges, qui les reconnaissent ici pour leurs frères (applaudissements), sous la condition toutefois de respecter les traités de la confédération germanique concernant la forteresse de Luxembourg. (J. F., 19 nov.)
M. le président – Je rappelle aux tribunes que les applaudissements sont interdits. (C., 19 nov.)
M. Van de Weyer – L'incorporation de la province de Luxembourg est un fait consommé, c'est là toute la question. En 1815 on a disposé du Luxembourg comme du reste de la Belgique sans consulter ses habitants. La nation a détruit en 1830 l'ouvrage de 1815 ; elle l'a fait spontanément ; elle s'est réintégrée dans ses droits. La révolution a eu dans le Luxembourg comme ici le même but : destruction d'un ordre de choses imposé par l'étranger. Je concevrais qu'on élevât la question, si le Luxembourg fût resté inactif et que nous voulussions le conquérir ; mais le peuple luxembourgeois a fait son mouvement national. Il est rentré dans tous ses droits comme nous et avec nous. (C., 19 nov.)
M. Forgeur – L'honorable M. Van de Weyer vient de vous présenter la question sous son véritable point de vue. Le pays de Luxembourg faisait partie de l'ancienne Belgique ; quand même on l'en eût séparé en 1815. il aurait conservé le droit de s'y unir de nouveau. Si notre conduite est légitime, celle des Luxembourgeois l'est aussi. Si notre conduite est approuvée par l'Europe, celle des Luxembourgeois doit l'être aussi. La cause est la même. (C.. 19 nov.)
M. Destriveaux – D'après la discussion qui vient d'avoir lieu, je crois que l'assemblée est suffisamment éclairée sur la question, qu'une demande de renseignements est inutile ; je retire donc ma motion, en répétant que personnellement je n'ai jamais eu de doute sur la question. J'ai même fait connaître mon opinion dans les journaux. (C., 19 nov.)
M. de Robaulx propose d'ajouter à la proposition de M. le comte de Celles, les mots : « Sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique. »
L'adoption de cet amendement me paraît d'autant plus nécessaire que d'honorables préopinants ont paru laisser la possibilité d'un doute sur la question de savoir si le pays de Luxembourg est compris sous la dénomination de la Belgique.
La dixième section, dont je fais partie, avait pensé que cette addition devenait de toute nécessité pour que l'on sache que le congrès entend formellement que la déclaration de l'indépendance regarde le Luxembourg comme toutes les autres provinces belgiques.
Sous la dernière dynastie, les Pays-Bas étaient divisés en provinces septentrionales et méridionales ; dans ces dernières était compris le duché (page 167) de Luxembourg, qui concourait aux élections des députés du midi.
Les provinces méridionales, telles que je viens de vous les présenter sont en révolution complète ; elles ont, contre la force des armes, conquis leur liberté ; dès lors de fait elles ont établi leur indépendance.
Peu importent les droits, les titres d'échange, de vente, de succession, anciennement conférés au prince Frédéric sur le duché de Luxembourg. Tous ces titres sont nuls par eux-mêmes, parce que les peuples ne se vendent plus et ne sont pas dans le commerce.
Il est nécessaire de lever tout doute, il faut qu'aujourd'hui le congrès s'exprime de manière à faire sentir que la déclaration d'indépendance comprend le Luxembourg. Tel est le but de ma proposition. (E., 19 nov.)
M. Forgeur, secrétaire, donne lecture de l'amendement suivant de M. Destouvelles :
« La loi fondamentale déterminera l'étendue du territoire belge. » (J. F. et C., 19 nov.)
M. Destouvelles – Cet amendement concilie toutes les opinions. Il est urgent de déclarer notre indépendance ; réservons à la loi fondamentale le soin de définir ce que nous entendons par la Belgique. (La clôture ! la clôture !) (C., 19 nov.)
M. le président, sur la demande de dix membres, met la clôture aux voix. (C., 19 nov.)
M. Forgeur demande la parole pour un rappel au règlement – La proposition de M. Destouvelles replacerait les députés du Luxembourg dans l'incertitude ; c'est ce que personne ne veut ici. (C., 19 nov.)
- Il est décidé que l'amendement de M. de Robaulx sera seul mis aux voix. (De toutes part : La clôture !) (C., 19 nov.)
M. Van Meenen – Je demande que la discussion soit rouverte ; j'ai des pièces importantes à vous communiquer sur la question luxembourgeoise. (C., 19 nov.)
- Après une légère discussion, M. Van Meenen obtient la parole. (C., 19 nov.)
M. Van Meenen – Pour lever tous les scrupules, je vous rappellerai que l'article 2 de l'ancienne loi fondamentale était ainsi conçu : « Le grand-duché de Luxembourg, étant placé sous la même souveraineté que le royaume des Pays-Bas, sera régi par la même loi fondamentale, sauf ses relations avec la confédération germanique. » Ce sont ces dernières expressions que l'amendement reproduit textuellement. Il n'y a donc pas d'innovation même dans les termes. Le protocole de Londres, dont il vous a été donné lecture, comprend dans l'armistice toutes les provinces qui ont été ajoutées à la Hollande ; par le fait même qu'on n'en excepte pas la province de Luxembourg, on la considère comme partie de la Belgique ; j'insiste sur cette observation, qui me paraît très concluante. (C., 19 nov.)
M. Lebeau parle contre l'amendement de M. de Robaulx – En déclarant l'indépendance, on ne détruit pas les relations du Luxembourg avec la confédération germanique ; s'il convenait à l'Autriche, la Prusse ou la Bavière de changer leur régime intérieur, elles pourraient le faire. En adoptant l'amendement, on préjugerait le maintien de ces relations, tandis qu'il doit être libre au Luxembourg de conserver ou de détruire des liens qu'il s'est imposés à lui-même. (J. B., 19 nov.)
M. François – Je crois qu'il est de la loyauté de nous tous d'adopter l'amendement de M. de Robaulx. Nous devons fixer l'état de la province de Luxembourg, la comprendre dans la déclaration d'indépendance, sans rompre néanmoins, pour le moment, toutes les relations extérieures. (De toutes parts : La clôture !) (C., 19 nov.)
M. Devaux – Je demande que la clôture ne soit admise que sur l'amendement. La proposition de M. de Celles reste à discuter, elle ne l'a pas encore été. Le rapport de la section centrale nous apprend qu'il y a des partisans de la France. Qu'on leur laisse la liberté de s'expliquer.
- La clôture est mise aux voix sur l'amendement et adoptée (C., 19 nov.)
(page 168) L'amendement de M. de Robaulx est mis aux voix et adopté. (Mouvement général de satisfaction.) (C., 19 nov.)
M. Jottrand – Il n'y a eu que l'amendement de discuté, on ne peut donc passer au vote de la proposition sans continuer la discussion ; agir autrement ne serait pas régulier. (E., 19 nov.)
- Plusieurs voix – A demain. (E., 19 nov.)
M. le président – La discussion sur la proposition de M. de Celles reste donc ouverte. Je fixe la séance publique de demain, à une heure. (C., 19 nov.)
- Il est cinq heures et demie ; la séance est levée. (P. V.)