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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 mai 1872

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1871-1872)

(Présidence de M. Thibaut.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1056) M. Reynaert procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Hagemans présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Le sieur Dwelshauwers-Dery demande que la loi consacre le principe de l'obligation en matière d'enseignement primaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi relative à l'enseignement primaire obligatoire.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Rupelmonde prient la Chambre d'accorder au sieur Dincq, la concession d'un chemin de fer de Sotteghem à Anvers.

M. Van Overloop. - Je demande que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport sur cette pétition.

- Adopté.


« Le sieur Verbruggen demande une loi réglementant l'usage du flamand ou du français dans les affaires judiciaires et devant les tribunaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale de Saint-Josse-ten-Noode transmet une protestation du conseil communal contre le projet de loi relatif à l'augmentation du personnel de la police de Bruxelles en tant qu'il confère autorité aux commissaires de police de cette ville pour instruire et poursuivre sur le territoire de la commune de Saint-Josse-ten-Noode. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« M. Verbist, missionnaire, fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de sa brochure intitulée : De Belgien in Canada. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. de Borchgrave, obligé de s'absenter, et M. Lelièvre, indisposé, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque Nationale

Discussion générale

M. Boucquéau. - Si, comme nous l'a dit l'honorable M. Frère en commençant son discours, il faut un volume de vérités pour réfuter une ligne d'erreurs, je me demande comment nous pourrions, au moment de clore notre session, réfuter les erreurs que l'on a accumulées pour soutenir le projet qui nous est présenté.

Et d'abord, messieurs, je relèverai ce paradoxe soutenu par l'honorable M. Frère que l'émission dont jouit la Banque Nationale ne constitue ni un monopole ni un privilège et qu'il semblerait, d'après lui, que le bénéfice qui en résulte est acquis bien plus à la communauté belge qu'à la Banque.

Il nous dit en effet :

« On ne voit en général qu'une chose dans l'institution : l'émission faite au profit de la Banque. On s'y attache parce que c'est le fait le plus apparent pour le vulgaire.

« Mais on ne voit pas ce qui se cache derrière l'émission fiduciaire ; on ne se rend pas compte du profit qui en résulte pour le public, pour la communauté ; c'est la communauté qui retire les plus grands avantages de ce que, à une circulation qui devait être d'or et d'argent, on substitue une circulation qui ne coûte presque rien.

« Voilà l'intérêt essentiel pour la communauté ; et cet intérêt est tellement considérable, que si vous supposez une circulation de 300 millions, un tiers étant conservé dans les caisses pour servir à assurer la convertibilité des billets, les deux tiers, environ 200 millions, pourront être appliqués par la communauté belge et ainsi donner un revenu qui serait l'équivalent de la moitié de l'impôt foncier. »

Ne croirait-on pas, à cette lecture, que ce bénéfice profite à la communauté belge ? Mais si l'honorable M. Frère écrit de manière que l'on puisse le croire, il se garde bien de le dire, car il sait parfaitement que ce bénéfice est pour la Banque, et que, quant à la communauté belge, ce ne sont que les prétendus bénéfices indirects qu'elle en retire.

Mais il n'en est pas moins acquis qu'aux yeux de l'honorable membre l'émission portée à 300 millions, au moyen d'une encaisse de cent millions, donne à la Banque un bénéfice équivalent à la moitié de l'impôt foncier.

Et encore, pour que le bénéfice ne soit pas plus élevé, faut-il que l'encaisse soit composée de fonds appartenant à la Banque. Si elle se compose en tout ou partie de fonds appartenant à des tiers, ses bénéfices augmentent d'autant.

Il faut avoir relu le discours de l'honorable M. Frère pour se rendre bien compte de ses efforts et de l'habileté qu'il a déployée pour tâcher de faire admettre que l'émission ne constitue pour la Banque ni monopole, ni privilège exclusif. (Page 987, paragraphe dernier, première colonne.)

Après avoir reconnu que la recevabilité des billets de la Banque seule dans les caisses de l'Etat constitue un avantage, M. Frère n'en revient pas moins à prétendre que l'émission des billets de banque en Belgique est libre. Il n'y a, dit-il, qu'une simple exception, elle concerne les sociétés anonymes.

Repoussant l'assimilation que l'honorable M. Demeur avait faite de notre Banque avec la Banque de France, l'honorable M. Frère y signale ces différences que : tandis que l'article premier de la loi de germinal an XI stipule en faveur de la Banque le privilège exclusif d'émettre des billets de banque, notre loi ne donne aucun privilège exclusif ; le mot de « privilège » ne s'y trouve même pas ; il en a été retranché, nous dit l'honorable M. Frère.

Comment ! l'interdiction à toute société par actions d'émettre des billets, la recevabilité des billets de la Banque seule dans les caisses de l'Etat ne constituent pas un privilège, parce que le mot n'est pas dans la loi 1 Mais qu'importe, si la chose y est !

Je préfère, quant à moi, un privilège nettement accusé qu'un privilège qui se dissimule sous les apparences de la liberté.

Les autres différences ne sont pas plus sérieuses.

Qu'importe aux rapports entre la Banque et le public et à l'utilité économique de la Banque que ses actions ne puissent être au porteur ou qu'elles puissent l'être et quant au chiffre minimum des coupures que l'article 4 de la loi de germinal an XI limitait à 500 francs et que notre loi de 1850, au contraire, fait descendre jusqu'à 20 francs, peut-on y voir autre chose qu'une question de détail qui peut avoir son importance au point de vue des facilités que peut procurer la monnaie de Banque, mais qui n'affecte en rien le principe même ?

Je crois, messieurs, que le billet à rente diffère tout autrement du réescompte du portefeuille de la Banque, auquel l'honorable M. Frère a prétendu l'assimiler.

Où. donc trouvera-t-il dans le billet à rente, d'un intérêt fixe, ce contrôle, ce correctif, ce régulateur de l'escompte dont le public serait armé par le moyen du réescompte, qui en suivrait toutes les fluctuations. Je ne connaissais pas le billet à rente, ni l'ouvrage de M. Paul Coq avant la citation qu'en a faite l'honorable M. Frère ; mais je connaissais l'idée analogue du billet à intérêt d'un centime par jour dont M. de Girardin, en 1864, émit l'idée.

(page 1057) Mais n’est-il pas étrange que, pour prétendre que c’est la même chose que le réescompte M. Frère doive comparer ces idées à quoi ? Non pas au réescompte, mais à des promesses que je n'ai admises que pour démontrer toute la fausseté des prétestes qu'on m'oppose, pour démontrer ce que vaut cette prétendue obligation pour la Banque de conserver le secret des négociants, de se considérer comme un confessionnal et autres hypocrisies de même sorte.

Mais où trouver dans l'une et l'autre idée ce régulateur de l'escompte que fournit le réescompte ? Ce qui, avec la mise en valeur de tout capital et la communication établie par l'intermédiaire de la Banque entre les prêteurs et les emprunteurs, se trouve signalé dans la première publication que j'ai faite de l'idée du réescompte.

Pourquoi, si l'idée n'a aucune valeur, prendre la peine de m'en contester la paternité ?

Du reste, cela ne me met que plus à l'aise pour dire que ce doit bien être la solution vraie puisque c'est la plus simple, la vente après l'achat, et qu'elle répond à tout.

N'est-il pas vrai, en effet, que le privilège de l'émission ne saurait être donné à plus juste titre qu'à celui qui s'engagerait à faire l'escompte et le réescompte avec le moindre écart ; c'est-à-dire à rétrocéder avec le moindre bénéfice les valeurs qu'il aurait achetées au moyen de l'émission ; et que l'on arriverait ainsi à permettre à tous les capitaux de s'employer, ce qui est incontestablement le plus sûr moyen d'abaisser et de régulariser le plus possible le loyer des capitaux ?

Supposons, en effet, le public armé du réescompte, dont le taux soit de 1 p. c. inférieur à celui de l'escompte, sera-t-il encore, comme il l'est aujourd'hui, malgré les dénégations contraires, livré à l'arbitraire de la Banque ?

Il lui dira : Fixez votre escompte comme vous l'entendez, c'est votre droit. Mais, par contre, vous devrez me céder les valeurs que vous achèterez avec un bénéfice déterminé.

Si vous portez votre escompte trop haut, si par conséquent vous voulez acheter à trop bon marché, vous ne gagnerez pas plus pour cela, vous aurez seulement plus d'amateurs pour reprendre l'affaire que vous aurez faite, et vous ne conserverez que le bénéfice fixe qui vous est attribué.

En bon tacticien et en présence d'une entente contre laquelle il n'y a évidemment rien à faire, je devrais m'attacher surtout à vous montrer les défectuosités du système incomplet qui va être prorogé, mais je ne suis pas un tacticien, je ne sais qu'aller tout droit mon chemin et je vais encore une fois vous faire toucher du doigt ce mécanisme qui remédierait au système boiteux et manchot qui règle notre marché, tandis qu'il devrait y être soumis ; qui impose sa loi à nos demandes, tandis qu'il échappe lui-même à la loi de l'offre.

Je viens de vous dire quelle serait la position du public vis-à-vis de la Banque, voyons ce qui en résultera en prenant pour exemple une traite de dix mille francs à trois mois dont elle fait l'escompte.

Son taux se trouve porté très haut, à 10 p. c, par exemple, ce qui, pour dix mille francs, fait tout juste mille francs par. an, et pour trois mois 250 francs. La Banque aura donc acheté cette traite pour dix mille francs moins 250 francs, soit pour 9,750. C'est à très bon marché et je prends à dessein l'exemple d'un escompte très cher, pour prouver que le remède agira d'autant plus énergiquement. Veuillez d'ailleurs remarquer que la Banque étant maîtresse de l'escompte, s'il lui plaisait de le porter momentanément à 10 p. c, il faudrait bien y passer.

Mais si, de son côté, elle doit céder son marché avec 1 p. c. d'écart à quiconque se présente, c'est-à-dire, dans le cas actuel, pour 9,775 francs, ce qui ne lui laisserait plus que 25 francs de bénéfice, elle y regardera à deux fois.

Le réescompteur qui dans ce cas aurait 9 p. c. pour lui, qui pour une traite de dix mille francs à trois mois ne devrait donner que 9,775 francs, serait puissamment attiré et la Banque devrait craindre, pour avoir voulu trop gagner, d'en être réduite à sa commission et au rôle d'intermédiaire.

Si, au contraire, nous supposons un escompte très bas, au lieu de 10 p. c, 1 p. c. par exemple, la Banque escomptera une traite de dix mille francs à trois mois pour 9,975 francs. Dans ce cas le réescompte ne sera attiré par aucun intérêt et la Banque pourra, avec son émission, acheter autant de valeurs à terme qu'il lui conviendra sans craindre de se les voir enlever par le réescompte.

Nous nous trouvons donc, messieurs, en présence d'un raisonnement mathématique, établissant les deux extrêmes d'un escompte très haut qui supprimera l'émission, en faisant passer immédiatement les valeurs du portefeuille de la Banque dans celui des particuliers, et d'autre part un escompte très bas qui ne laissera fonctionner que l'émission.

Ainsi d'une part, la Banque fixant son escompte trop haut, elle en est punie immédiatement ; son portefeuille de valeurs se vide, son émission est supprimée, elle est réduite au rôle d'intermédiaire. D'autre part, le fixant trop bas, le réescompte à son tour s'arrête, la Banque, réduite à ses propres ressources, va voir son portefeuille s'engorger d'autant plus rapidement qu'elle paye les valeurs à terme plus cher ; et à bon droit alors, elle pourra se dire forcée d'élever son escompte.

Il se trouvera donc entre ces deux extrêmes, d'un escompte très haut et d'un escompte très bas, un point d'une justesse mathématique qui fera entrer dans la circulation la quantité de monnaie fiduciaire qu'elle comporte, tout en permettant aux capitaux sans emploi d'entrer également dans la circulation par l'intermédiaire de la Banque, en laissant à celle-ci une commission légitime pour son intervention. Ne voit-on pas que par ce moyen le portefeuille de la Banque au lieu d'être une impasse où les emprunteurs finissent par ne plus trouver accès, devient une artère vivace où prêteurs et emprunteurs se rencontrent, de sorte qu'au lieu d'avoir à craindre l'obstruction et l'engorgement qui produisent l'apoplexie et les crises, on aura la circulation libre, facile et active qui produit la santé et développe les forces.,

Je ne comprends réellement pas, messieurs, comment l'honorable M. Malou peut voir une espèce d'expropriation dans cette faculté que je réclame pour le public de pouvoir reprendre contre espèces à la Banque et en lui laissant un bénéfice, les valeurs qu'elle a achetées avec la monnaie fictive, dont l'émission ne lui a été donnée que pour suppléer à l'insuffisance de la monnaie réelle et non pas pour la supplanter.

L'honorable M. Malou nous renvoie avec notre argent aux banques qui acceptent des dépôts. Mais ces banques ne font que ce qu'elles veulent, nous n'avons rien à leur imposer, puisque nous ne leur accordons pas de privilège et ce qu'elles font ne me vaut pas le réescompte.

Qu'y aurait-il donc d'injuste à dire à la Banque : Vous pouvez créer de la monnaie fictive ; vous seule, en fait, avez cet avantage, mais il est bien entendu que le substituant ne peut avoir la priorité sur le titulaire, sur le chef d'emploi ; car sans cela l'utilité publique disparaîtrait et il ne resterait plus qu'une faveur envers celui qui serait gratifié de l'émission et une injustice envers celui qui, par le fait de cette émission, verrait son capital réel privé d'un emploi auquel il aurait pu l'appliquer. Y aurait-il même injustice à ce que la substitution du capital réel au capital fiduciaire se fît sans commission ? Evidemment non, puisque l'Etat lui-même n'en accorde aucune sur les valeurs achetées avec les fonds du trésor, la Banque étant payée par le privilège de l'émission. Dans ces conditions et en absence d'autres charges, il ne manquerait pas encore d'amateurs pour se charger de l’émission, d'autant plus que, grâce à l'adjonction du réescompte, une banque d'émission pourrait fonctionner avec un faible capital métallique, mais un bon capital de garantie, et ce, sans que le public, ait à en souffrir. Ce qui n'est pas le cas dans lé système actuel, bien que l'honorable M. Frère prétende le contraire.

Je ne comprends donc pas, messieurs, que l'honorable M. Malou ait cru pouvoir s'adresser à votre cœur et vous émouvoir en faveur de cette pauvre émission qui serait, vous a-t-il dit, en quelque sorte expropriée des traites qu'elle aurait achetées si elle était obligée de les réescompter. Si, comme je vous l'ai déjà dit, la plupart des banquiers réescomptent rien que dans leur intérêt, serait-il juste que la Banque seule s'y refusât en se prévalant d'une faveur qui lui est accordée et la retournant contre celui de qui elle la tient ?

La sensibilité de l'honorable M. Malou s'est, dans ce cas, quelque peu fourvoyée et m'a rappelé ce spectateur qui déplorait le sort de...

« Ce pauvre Holopherne

« Si méchamment mis à mort par Judith. »

La Banque, en effet, ainsi que nous l'avons vu, aurait d'autant moins le droit de se plaindre qu'elle pourrait toujours, en abaissant son taux d'escompte, réduire et même annuler complètement le réescompte et par conséquent maintenir l'émission maîtresse d'un champ d'exploitation dont elle aurait chassé les capitaux réels ; si on lui prend son portefeuille, c'est qu'elle aura voulu le remplir à trop bon marché.

Pour prouver que le réescompte ne serait d'aucun effet, l'honorable M. Malou, dans l'exemple cité dans son discours (page 1017 des Annales), prend la Banque au moment où elle ne possède plus que 3 millions en numéraire au-dessus du quart fixé par les statuts. Le gouvernement, en supposant que la nouvelle loi mette la chose en son pouvoir, autorise la Banque à descendre en dessous du quart et à prendre 10 millions d'effets contre 10 millions d'écus.

L'émission n'a pas bougé, mais l'encaisse a diminué de 10 millions ; elle excédait de 3 millions la proportion voulue avec l'émission, elle se trouve donc maintenant inférieure de 7 millions à cette proportion.

(page 1058) Dans cette situation, M. Malou représente la Banque comme recevant des escompteurs 10 millions de billets de banque contre 10 millions d'effets, et il établit que, l'opération soldée, la Banque reste à 4 12 millions en dessous de son encaisse et cela malgré le réescompte.

Mais le réescompte aura du moins servi à réduire le déficit à 4 1,2millions, au lieu de 7 millions.

Et si les réescompteurs étaient venus prendre 28 millions au lieu de 10, ils auraient rétabli la Banque dans sa situation normale.

Supposons à notre. our que la proportion entre les engagements à vue et l'encaisse reste rigoureusement fixée au quart et qu'en aucun cas la Banque ne puisse être autorisée à s'écarter de cette limite.

Dans l'exemple cité par M. Malou, où la Banque ne possède que 3 millions en numéraire au-dessus du quart fixé par les statuts, les escompteurs venant prendre à la Banque 10 millions d'effets contre des billets de banque, lui permettront de disposer de 5 1/2 millions de son encaisse métallique au lieu des 3 millions auxquels elle était réduite.

L'exemple fixé par M. Malou prouve donc les avantages du réescompte.

On n'en finirait pas, messieurs, de vous signaler les prémisses hasardées ou complètement erronées, posées dans cette discussion par les défenseurs de la Banque Nationale.

C'est ainsi que l'honorable M. Frère vous représente comme un sacrifice imposé à la Banque l'interdiction de disposer de ses capitaux pour les jeter sur le marché et d'en tirer le plus grand profit pour elle-même (page 989, première colonne, paragraphe 10). « C'est quelque chose, messieurs ; des gens qui possèdent des capitaux s'élevant à cinquante millions pourraient bien vouloir en disposer librement. »

Ainsi s'exprime M. Frère. Mais qu'est-ce donc que ce quelque chose, quand on pense que ce capital de cinquante millions l'honorable M. Frère n'entend pas même qu'il soit improductif et que, en supposant qu'il le soit et séjourne sous forme métallique dans les caisses de la Banque, il donne droit à une émission de 150 à 200 millions de capital fiduciaire, applicable à l'un des emplois les plus sûrs et les plus productifs.

Il semble vraiment que, d'après l'honorable M. Frère, non seulement la Banque doive avoir le privilège de multiplier l'encaisse par l'émission, mais que, si le public veut avoir une émission de quelque importance, il faudrait encore qu'il se chargeât de constituer, par ses propres fonds, l'encaisse qui y corresponde. Il semble trouver dur que la Banque soit obligée à tenir un million en caisse en retour de quatre millions de billets qu'on l'autorise à émettre.

L'argument de l'honorable M. Frère prouve donc contre sa thèse ; car il n'est personne qui, ne consultant que son intérêt, ne consentirait aux restrictions imposées à la Banque dans l'emploi de son capital, moyennant de pouvoir disposer de quatre millions de billets de banque.

Messieurs, il faut se méfier des citations, comme des arguments tirés d'institutions fonctionnant à l'étranger.

C'est ainsi que l'honorable M. Frère peut dire que la Banque d'Angleterre fonctionne sans capital, que son capital est aliéné, tandis que je crois être beaucoup plus fondé à dire qu'elle n'a réellement pas d'émission puisque les 14 millions sterling de banknotes qu'elle peut émettre, en retour de pareille somme que l'Etat lui a empruntée et dont il lui a imposé le placement, ne représentent en quelque sorte que des titres à charge de l'Etat et dont tout l'avantage pour la Banque, en compensation de l'immobilisation qui les frappe, consiste dans le faible intérêt qu'ils reçoivent de l'Etat ; c'est donc, à vrai dire, l'Etat qui émet ces 14 millions sterling que la Banque lui escompte à faible intérêt, comme je l'ai dit, et qu'elle donne au public comme comptant. Quant au surplus de l'émission, on sait qu'il doit être représenté en espèces dans les caisses de la Banque ; qu'il n'y a donc là qu'une transformation opérée en vue des facilités du public, sans création d'un capital fictif et additionnel, qui est le propre de l'émission.

Permettez-moi de vous demander en passant, messieurs, si vous n'avez pas été quelque peu surpris après avoir entendu l'honorable M. Frère soutenir que la Banque n'avait ni monopole ni privilège, nous citer ce qu'au commencement de son existence elle avait pu faire, même après avoir aliéné son capital. Mais avec quoi donc a-t-elle pu alors faire tout ce que l'honorable M. Frère nous a rappelé ? Avec son crédit, nous dira-t-on peut-être ; mais, quel que pût être ce crédit, est-ce qu'avec un capital de 15 millions de francs, elle eût pu opérer des placements pour 23,800,000 francs et escompter 108 millions de valeurs, qu'elle a conservées en portefeuille jusqu'à échéance, notez bien cela, messieurs, si son émission n'avait été en fait un véritable privilège ?

Dans mon premier discours, j'ai dit à plusieurs reprises que le principal but à atteindre par l'émission, par l'institution de banques d'Etat était d'abaisser et de régulariser le plus possible le cours de l'argent. Cela n'a pas été contredit, Je dirai même que cela a été reconnu par les honorables MM. Pirmez et Frère ; mais comment se fait-il donc alors que l'honorable M. Frère paraisse trouver tout naturel que les fonds de l'Etat soient placés en valeurs étrangères, parce que l'Etat, dit-il, ne doit pas aller prendre des valeurs que la Banque prend elle-même. Ainsi donc, par cette première raison, il reconnaît positivement que le marché belge n'est pas, comme on l'a souvent prétendu pour justifier les hausses d'escompte de la Banque Nationale, sous l'influence des autres marchés ; s'il en était ainsi, placer au dehors ou placer ici, ce devrait être la même chose pour la Banque, et toutes les raisons données pour placer en valeurs étrangères les fonds du trésor ne seraient plus que des mensonges évidents.

Dans sa réfutation de ce qu'a dit l'honorable M. Dansaert de l'insuffisance du capital actuel de 50 millions dans les conditions et pour le terme prévus par le projet de prorogation, l'honorable M. Frère me paraît oublier un peu ce qu'il a dit au commencement de son discours du bénéfice pour la communauté belge d'un capital additionnel double du capital réel ou, si l'on veut, de la multiplication de celui-ci par trois et même par quatre au moyen de l'émission. Or, il est bien évident que la Banque n'étant en définitive en droit de compter que sur ce qui lui appartient, le bénéfice de cette multiplication sera d'autant plus grand que le coefficient à multiplier sera plus important.

Moins que tout autre, l'honorable M. Frère, qui prétend que sa position n'a rien de privilégié est en droit de compter pour la Banque sur des ressources fortuites et aléatoires, et n'est-il pas vrai dès lors, que dans son organisation actuelle un capital élevé est une garantie contre des crises qui ont leur source dans la disproportion de ses ressources limitées, en présence de besoins qui se développent dans des proportions illimitées.

Si l'honorable M. Frère le conteste, je le prierai de se mettre d'accord avec l'honorable M. Pirmez qui en est convenu dans son rapport et plus récemment encore dans son discours, si je ne me trompe.

Lorsque dans son organisation actuelle, qui ne donne à la Banque aucune puissance d'attraction sur les capitaux du dehors, l'honorable M. Frère prétend que son capital va être inutilement augmenté, il semble ne se préoccuper nullement des besoins du pays, mais d'assurer aux actions de la Banque les dividendes les plus élevés possible.

J'en suis arrivé à un point où je dois adresser des remerciements aux honorables MM. Frère et Malou, qui, en déclarant que l'idée du réescompte ne m'appartient pas, me mettent à l'aise pour réclamer, en faveur de son auteur, quel qu'il puisse être, la récompense nationale que méritera, selon l'honorable M. Frère, celui qui trouvera le moyen de mettre les banques de circulation à l'abri des crises. Ce moyen, c'est incontestablement, selon moi, et vraisemblablement selon l'honorable M. Frère lui-même, le réescompte du portefeuille de ces banques d'émission.

Quand il dit (page 991, 2e colonne, paragraphes 1 et 2) que l'Etat trouvera la réalisation facile et sans embarras, en temps de crise, de son portefeuille de valeurs étrangères, ne reconnaît-il pas la puissance du réescompte ? N'est-ce pas bien là ce que j'ai dit à vingt reprises différentes et ce qui est tout autre chose que ce qu'a dit M. Coq, l'emploi productif en même temps que la disponibilité constante du capital ? Est-ce que ce que l'on prétend vrai pour l'Etat s'adressant au dehors, peut ne pas être vrai pour la Banque, lorsque pour se procurer des ressources elle céderait son portefeuille ?

Comment se fait-il d'ailleurs que si les crises, comme le prétend l'honorable M. Frère, ne peuvent être conjurées, il vienne nous dire un peu plus loin (page 992, page 8) que, par suite d'une simple mesure prise par le gouvernement, une crise longue et intense cessa subitement à Hambourg, l'argent reparut en abondance et peu de jours après l'escompte retomba à 2 et 3 p. c. ?

Ne ressort-il pas de ce passage même qu'en faisant cesser la méfiance on fait cesser les crises, et lorsque vous nous dites à chaque instant que l'organisation des banques rend leurs risques presque nuls, lorsque nous savons tous que la confiance dont elles jouissent est en quelque sorte illimitée, que cette confiance serait encore plus forte dans des valeurs de commerce qu'elles auraient endossées que dans leurs billets au porteur, n'est-ce pas réellement nier l'évidence que de prétendre que le réescompte de leurs valeurs n'améliorerait pas la situation ? D'où vinrent donc ces capitaux qui reparurent en abondance à Hambourg avec la confiance ? Et lorsque ces capitaux, qui se cachent en temps de crise, ne demanderaient pas mieux que d'entrer dans la circulation par l'intermédiaire des banques fonctionnant sous le contrôle du gouvernement et inspirant une confiance entière, n'est-ce pas une hypocrisie odieuse de la part de celles-ci que de les repousser, tout en se targuant à l'occasion de dévouement à l'intérêt général ? Ne sait-on pas, messieurs, que la Banque de France, dans l'une (page 1059) des crises qui ont précédé l'enquête financière, escomptait à 8 p. c., alors que des capitalistes ne pouvaient placer leurs fonds à 2 p. c ?

L'honorable M. Frère nous dit qu'en supposant qu'on puisse mettre les banques de circulation à l'abri des crises, on ne saura les mettre à l'abri des crises politiques et financières, ni d'une disette qui bouleverse singulièrement le marché des capitaux et fait naître des perturbations considérables.

Dans une étude écrite en 1868 et qui ne fut pas publiée, je disais que, si le régime financier n'était pas modifié, nous arriverions fatalement à la guerre à cause du malaise qui existait et que l'on attribuait à tort à des causes politiques ; pour que l'on ne me reproche pas de vouloir être prophète après coup, je vous préviens que la question sociale deviendra de plus en plus menaçante, si vous ne vous appliquez pas à tirer du privilège que vous accordez aujourd'hui l'avantage en vue duquel les banques d'émission ont été instituées de régulariser et d'abaisser le cours de l'argent.

Ce n'est pas être un novateur bien dangereux que de vous demander que le tarif de l'argent soit réglé par une circulation libre des capitaux réels, facilitée par l'intermédiaire d'un établissement privilégié et non point par la volonté parfaitement arbitraire, comme on l'a démontré, de cet établissement.

Croirait-on par hasard que s'il n'en était pas ainsi la Banque de France eût laissé sans réfutation la déclaration de M. Schneider, consignée dans l'enquête, volume III, page 440, qu'il y a indépendance complète quant à la fixation de l'escompte entre elle et la Banque d'Angleterre ?

J'en arrive à un point du discours de l'honorable M. Frère qui suffirait à lui seul pour prouver combien le vote du projet qui nous occupe serait prématuré, puisqu'il prouve que l'on n'est pas d'accord sur le véritable but à atteindre, par l'institution d'une Banque Nationale.

« La Banque, dit l'honorable M. Frère (page 994, deuxième colonne), est instituée uniquement pour assurer au pays une bonne circulation fiduciaire et métallique. Elle a, comme moyen, l'escompte de bonnes valeurs commerciales. C'est là le point fondamental en cette matière, qu'il ne faut jamais oublier. »

J'avoue, messieurs, que je croyais le but plus vaste, plus humain, plus démocratique ; qu'il devait être surtout d'aider autant que possible au développement de la production et du bien-être, par l'abaissement et la régularisation du loyer de l'argent. J'avais, à l'appui de cette opinion, invoqué l'autorité de Turgot et de Jacques Lafitte ; l'honorable M. Frère est d'une opinion toute différente. Vous sentez-vous assez éclairé pour vous prononcer ?

Que sera-ce donc, messieurs, si après avoir montré l'honorable M. Frère en désaccord avec ces autorités respectables, je vous le montre, en quelque sorte, en désaccord avec lui-même et invoquant des arguments contraires à ce qu'il veut prouver ?

Que nous dit, en effet, l'honorable M. Frère pour démontrer que les bénéfices de la Banque n'ont rien d'exagéré ? Suivez bien ceci, messieurs, c'est instructif et nous montre les dangers de l'éloquence.

Voici ses propres paroles :.

« Maintenant les profits de la Banque diffèrent-ils de ceux qu'on fait dans des opérations de ce genre, bien entendu lorsque l'opération réussit, car on ne voit jamais que les opérations heureuses ? On ne voit jamais que ceux qui parviennent au haut du mât de Cocagne. Quant à ceux qui se rompent le cou ou qui tombent mutilés au pied du mât, il n'en est pas question. »

Ainsi donc, messieurs, l'honorable M. Frère va nous prouver que les avantages de la Banque n'ont rien d'exagéré parce que d'autres opérations ont réussi, parmi beaucoup d'autres qui y ont échoué, à gagner le haut du mât de Cocagne et sont arrivés ainsi à la hauteur où la Banque est arrivée par une rampe parfaitement adoucie. Qui donc perd de vue ceux qui sont tombés mutilés au pied du mât et peut-on dire qu'il y ait égalité si, à la hauteur où est arrivée la Banque par une voie sûre et infaillible, d'autres ne peuvent arriver que par l'ascension périlleuse d'un mât de Cocagne.

Eh bien, messieurs, tel est le prestige de l'éloquence que ce contre-argument de M. Frère a été l'objet d'approbations nombreuses. Un médecin de ma connaissance trouvait la comparaison des plus justes, parce qu'ayant été peut-être appelé à donner des soins à quelque malheureux tombé d'un mât de Cocagne, il a pu en apprécier les dangers. Seulement, je lui ferai observer que, dans l'image, de M. Frère, ce n'est pas l'actionnaire de la Banque Nationale qui court ces dangers.

Pour couronner son argumentation l'honorable M. Frère invoque que le public, par la cote à la Bourse, capitalise de 5 à 7 p. c. les bénéfices de 12 à 15 p. c. réalisés sur la valeur nominale des actions. Mais n'est-ce pas la preuve évidente que ces bénéfices sont exagérés ou, ce qui est plus conforme à ma manière d'apprécier les choses, qu'en retour des avantages faits à la Banque, on ne lui réclame pas, en faveur du public, des services suffisants ?

Cela ne va-t-il pas ressortir à toute évidence de la cote de la bourse aussitôt après le vote de la loi ?

Est-ce que le capital de 50 millions ne va pas immédiatement se coter à 80 millions, accusant ainsi, de la manière la plus incontestable, les avantages dont le nouveau projet aura gratifié la Banque ? C'est-à-dire que ces avantages, au lieu de représenter de 5 à 7 p. c. du capital de 50 millions, en représenteront à peu près 10 ; ce qui est évidemment beaucoup plus que ne doit donner une opération d'une telle sécurité.

Et lorsque, pour prouver que ce n'est pas trop, l'honorable M. Frère dit que les capitaux de certains charbonnages se vendent sur le pied de 5 à 6 p. c, alors que l'on sait que dans un charbonnage le fonds se mange avec le revenu, n'est-ce pas la preuve que dans une Banque Nationale, où le capital, au lieu de se manger, se multiplie au moyen de la réserve, les bénéfices ne devraient pas être aussi élevés, et que, contrairement à ce que veut prouver M. Frère, les avantages assurés à la Banque sont hors de proportion avec les services qu'elle rend ?

Aussi n'ai-je pas été peu surpris d'entendre l'honorable M. Frère prétendre qu'il y aurait iniquité de la part de l'Etat à s'attribuer, pour les adjuger à son bénéfice, les 25,000 actions nouvelles et à réduire en même temps de 5 à 4 1/2 le maximum d'escompte attribuable à la Banque, le surplus profitant à l'Etat.

Quelle incompatibilité y aurait-il donc entre ces deux mesures ? Vous nous prendriez, dit l'honorable M. Frère, le capital et la rente. Quel capital ? Quelle rente ?

Mais l'Etat pourrait parfaitement ne pas proroger le privilège, et par conséquent alors, ce ne serait pas seulement la moitié des actions qui dans l'avenir serait enlevée aux actionnaires actuels, ce serait la totalité. L'honorable M. Balisaux veut bien leur en laisser la moitié et n'attribuer à l'Etat que la moitié d'un avantage qui lui appartient tout entier ; et l'Etat ne pourrait, lorsqu'il s'intéresserait ainsi lui-même à la Banque, en réduire les avantages qu'il trouverait exorbitants, lui dire qu'elle ne pourra, à son profit, porter le taux d'escompte au delà de 4 1/2 p. c. Mais, messieurs, ces 4 1/2 p. c, par suite de l'émission que l'on paraît disposé à porter normalement jusqu'au quadruple de l'encaisse, n'élèveraient pas à moins de 18 p. c. le produit de l'encaisse de la Banque qui, d'après les idées de l'honorable M. Frère, ne doit pas même lui appartenir.

Comment du reste peut-on venir parler d'iniquité à propos de conditions que la Banque serait libre d'accepter ou de refuser ?

Je tiens cependant à déclarer que je ne pourrai voter l'amendement de mon honorable ami M. Balisaux, quant à l'attribution à l'Etat élu bénéfice à réaliser sur les 25,000 actions nouvelles ; non pas pour les raisons données par l'honorable M. Frère, puisque j'admettrais que sans aucune injustice l'Etat pourrait s'attribuer la totalité du capital de la société nouvelle, mais parce que si, comme l'honorable M. Frère l'a fait remarquer avec insistance, la législature pourra par la suite mettre fin au monopole que l'on va renouveler à titre de concession toute gracieuse, il n'en serait plus de même si l'Etat avait bénéficié de ce monopole en vendant à son profit une partie des titres.,

La valeur de ces titres, malgré toutes les stipulations et les réserves contraires, pourrait être calculée sur une exploitation de toute la durée prévue au contrat, et je compte bien qu'il n'en sera pas ainsi.

Mon abstention sur l'amendement de l'honorable M. Balisaux devra donc être comprise comme une protestation permanente contre l'institution que par votre vote vous allez vraisemblablement consacrer dans des conditions que je déclare contraires à l'intérêt général, et qui poussent la Banque, dans son propre intérêt, à agir contrairement à l'intérêt public en vue duquel elle a été créée.

Et l'honorable M. Frère va jusqu'à faire entendre qu'il pourrait bien avoir quelque envie dans l'opposition que la prorogation du privilège de la Banque soulève !

Quant à moi, je le déclare franchement, ce n'est pas de l'envie que j'éprouve, c'est de la colère, et l'on voudrait me donner le privilège de la Banque, que je ne l'accepterais qu'à la condition de le rendre équitable, de lui faire produire le plus de bien possible.

Comment ! De l'envie lorsqu'on réclame l'abolition d'un privilège ? Si l'honorable M. Frère eut fait partie du tiers Etat en 1789, eût-il admis (page 1060) qu'on l'accusât d'envie parce qu'il aurait réclamé, pour lui et les siens, l'égalité imprescriptible des droits de l'humanité ?

Il me resterait encore énormément à vous dire, messieurs' mais je sens que déjà mes objections sont à charge à la plupart d'entre vous ; si vous les avez supportées, c'est que vous sentez qu'elles viennent d'une conviction profonde.

Je me bornerai donc à vous faire part de quelques observations qui m'ont été suggérées par des faits depuis longtemps à ma connaissance, et par ce qui s'est dit, dans cette discussion, relativement à l'organisation des comptoirs dans les provinces.

Si, comme on l'a dit, les rapports de la Banque avec ses comptoirs ne regardaient qu'elle, si nous n'avons pas à nous inquiéter des conditions auxquelles elle se fait garantir par ces comptoirs les valeurs qu'elle en reçoit, on ne nous contestera pas le droit, tout au moins, de les examiner et d'en tirer les enseignements qu'ils comportent.

Vous le savez tous, messieurs, les places de membres de ces comptoirs sont extrêmement recherchées.

Or, quels sont les avantages faits à ces fonctions si désirées, en retour des risques dont elles garantissent entièrement la Banque ? L'abandon d'un quart du produit de l'escompte. Quelles sont donc les charges qu'il reste à la Banque comme prix du surplus ; c'est-à-dire pour les trois quarts de l'escompte qui lui sont attribués ? La peine de tenir les écritures centrales, d'envoyer au comptoir les billets ou les fonds dont il peut avoir besoin. Or, je vous le demande, messieurs, de ce simple rapprochement ne résulte-t-il pas qu'il y a là des répartitions de profit qui ne se justifient guère, et, si les profits attribués aux comptoirs sont tels que, malgré la garantie qui leur incombe, chaque place qui y est ouverte devient l'objet d'une véritable course au clocher, comment le triple de ce bénéfice, réservé à la Banque, dégagée de toute responsabilité, peut-il se justifier ?

Réfléchissez-y, messieurs, et vous verrez quel magnifique parti on pourrait tirer de la Banque si on la dégageait de tous ses éléments parasites.

L'élément essentiel, dans son fonctionnement, n'est-ce pas la garantie de payement des valeurs achetées ? Eh bien, messieurs, lorsqu'on voit à quel prix cette garantie peut s'obtenir, quand on sait, en outre, que la circulation et la convertibilité de l'émission peut s'assurer à bien peu de frais, n'est-on pas fondé à croire que l'organisation actuelle de nos banques n'est pas le dernier mot de la science économique et que l'avenir peut encore nous réserver quelque progrès ?

Projet de loi allouant des crédits spéciaux aux budgets des ministères des travaux publics et de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Royer de Behr dépose sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné une demande de crédits spéciaux aux départements des travaux publics et de l'intérieur.

M. Moncheur, ministre des travaux publics. - Je demande que cet objet soit mis à l'ordre du jour de la séance de vendredi.

M. Malou, ministre des finances. - A la condition que l'on en ait fini avec le projet de loi relatif à la Banque Nationale.

M. le président

- La proposition de M. Tack est adoptée.

Projet de loi allouant un crédit aux budgets des affaires étrangères et des travaux publics

Rapport de la commission

M. Van Iseghem dépose le rapport de la commission qui a examiné une demande de crédit de 650,000 francs pour les bassins d'Ostende.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la Chambre

M. Anspach. - Je n'en ai que pour quelques instants. Je viens avertir la Chambre et en même temps le pays d'un fait qui s'est passé ce matin et dont la gravité n'échappera à personne.

Ce matin, vers onze heures, nous avons reçu la convocation des sections pour l'examen du projet de loi relatif aux 100,000 francs pour la police de Bruxelles, convocation annoncée pour une heure et demie.

Je dis que, dans de pareilles conditions, l'examen en sections n'est plus chose sérieuse. Il y a un grand nombre de membres qui sortent de chez eux vers dix heures du matin et qui, par conséquent, ne sauraient se rendre à une convocation pour une heure et demie, arrivant seulement à onze heures du matin.

S'il s'agissait d'un projet de loi sans importance, je n'en aurais pas parlé ; mais il s'agit d'un projet de loi de la plus haute gravité, d'un projet de loi qui touche aux libertés communales et qui, nous l'espérons bien, ne passera pas sans discussion.

Je crois donc que la Chambre fera chose utile en considérant comme nulle et non avenue la réunion de ce jour et qu'on nous permette au moins de discuter sérieusement un projet de loi d'une importance aussi exceptionnelle.

M. Delcour, ministre de l'intérieur. - Je n'ai pas à m'occuper du retard apporté dans la convocation des sections, dont l'honorable membre vient de se plaindre. Mais je tiens à déclarer immédiatement que je proteste contre la qualification donnée au projet de loi par l'honorable M. Anspach.

Le projet de loi ne touche à aucune prérogative essentielle des communes ; l'autonomie de la commune reste entière, telle qu'elle a été établie par la loi communale.

Je tiens, messieurs, à ce que ma déclaration soit formelle et précise.

Le moment n'est pas venu de discuter le projet de loi ; mais je ne puis permettre qu'on égare l'opinion publique. Non, je ne saurais laisser passer la motion de l'honorable M. Anspach sans y opposer une énergique protestation.

M. De Lehaye. - Je tiens à faire remarquer que la sixième section, dont je fais partie, n'a pas été convoquée pour aujourd'hui, mais pour vendredi. Il n'est donc pas exact de dire que toutes les sections ont été convoquées pour aujourd'hui.

M. le président

M. Malou, ministre des finances. - Je demande qu'on ne perde pas de temps à cette motion. Les sections qui n'ont été convoquées que le matin, tardivement, pourraient être reconvoquées pour vendredi.

M. M. de Zerezo de Tejada. - Messieurs, je me suis plaint à M. l'huissier-chef de ce que les convocations n'avaient pas été distribuées plus tôt, et il m'a répondu que les messagers n'avaient pu partir qu'à 9 heures et un quart du matin, parce que c'est alors seulement que l'amendement de M. Dansaert est revenu de l'imprimerie et est parvenu à la Chambre.

Je reconnais que moi-même je n'ai reçu mon billet de convocation qu'à 10 heures, mais je puis affirmer, renseignements pris, qu'il n'y a eu aucune mauvaise volonté de la part de qui que ce soit. Le retard a pour cause les séances du soir, qui empêchent les messagers de distribuer les documents parlementaires à l'heure habituelle, et les obligent de remettre au lendemain les courses qu'ils doivent faire pour cet objet.

En un mot, messieurs, il y a eu, dans cette circonstance, un véritable cas de force majeure.

M. Wasseige. - Il me paraît complètement impossible de convoquer à nouveau les sections qui se sont réunies ce matin. La deuxième section, dont j'ai l'honneur de faire partie ainsi que M. Anspach, était ce matin plus nombreuse que ne le sont ordinairement les sections ; il y avait six membres présents et vous savez que, malheureusement, ce nombre n'est pas souvent atteint. Le principal intéressé, l'honorable bourgmestre de Bruxelles, s'y trouvait et le projet a été discuté par lui sans la moindre réserve, après qu'il eut fait remarquer la tardivité des convocations ; il a fait valoir toutes ses observations à diverses reprises et en toute liberté ; à plusieurs de ces observations je me suis rallié moi-même.

La discussion a donc eu lieu d'une manière complète : le rapporteur a été nommé et, dans des conditions semblables, il me semble impossible de revenir sur un fait accompli et régulièrement accompli.

M. Anspach. - Je me rallie à la proposition de M. Malou.

M. Guillery. - Messieurs, je croyais, qu'après les observations de M. le ministre des finances tout était terminé et que les sections allaient être reconvoquées. Mais M. Wasseige, qui a été nommé rapporteur de sa section, ne veut pas abdiquer. Nous ne faisons le procès à personne ; nous ne prétendons pas que le fait que nous signalons soit le résultat de la mauvaise volonté de qui que ce soit, mais ce qu'il y a de certain, c'est que les convocations ne sont parvenues chez la plupart des membres que vers onze heures ; or, la plupart des membres de la Chambre sont appelés en ville de bonne heure par leurs affaires et il faut évidemment que chacun de nous, en sortant de chez lui, sache s'il n'est pas convoqué en section.

Mais les députés de Bruxelles n'étaient pas prévenus. Les députés de Bruxelles qui sont sortis de chez eux à 10 heures et qui ne sont rentrés qu'après l'heure de la séance, ignoraient qu'ils auraient été convoqués.

L'article 52 du règlement dit que chaque section examine les propositions et les amendements qui lui sont renvoyés suivant l'ordre indiqué par la Chambre.

(page 1061) Pour moi, je n'aurais jamais cru qu'en présence de l'opposition qui s'était manifestée contre ce projet, - M. le ministre de l'intérieur prétend que la proposition ne viole pas la liberté communale ; non, elle la supprime, - on aurait été convoqué à l'improviste et on aurait voté sans discuter.

Nous demandons que le travail en section soit sérieux et qu'on ne nous étrangle pas sans nous entendre.

M. Cruyt. - Ce que vient de dire l'honorable membre n'est pas tout à fait exact.

J'ai été nommé rapporteur, aussi, et je prie l'honorable M. Guillery de croire que je ne tiens pas du tout à l'honneur de rester investi de ce mandat ; ce n'est pas dans ce but, mais dans l'intérêt de la vérité que je crois devoir contredire l'honorable membre.

Au moment où je suis entré dans ma section, la discussion était engagée et c'était précisément l'honorable M. Guillery qui portait la parole ; et, messieurs, c'étaient les membres de la gauche qui étaient en majorité. Ils étaient 3 contre 2. J'ai fait le sixième. Après moi est entré M. Vermeire ; et ainsi nous étions 7.

Nous avons si bien délibéré que l'honorable membre a proposé un amendement ; le procès-verbal en fait foi.

L'honorable M. de Clercq, à son tour, a proposé un sous-amendement. Moi-même, j'ai émis un vœu dont j'ai demandé l'insertion au procès-verbal.

On a donc bien délibéré ; et le membre qui a pris la plus large part à la discussion n'est autre que l'honorable M. Guillery lui-même.

M. Guillery. - L'honorable membre a la mémoire très courte. Il est arrivé à la fin de la séance et je ne parlais pas quand il est entré. J'ai pris la parole pour lui expliquer ce qui s'était passé ; par conséquent, je n'avais pas la parole. On allait aux voix et j'ai été le premier à demander, qu'on ne votât pas sans qu'on eût mis l'honorable membre au courant de la discussion.

Par conséquent vos souvenirs étaient parfaitement inexacts. A la démonstration que j'ai faite, que le projet constituait la violation des libertés communales, vous n'avez pas répondu, et vous ferez toutes les dénégations que vous voudrez, je le maintiens : on nous a condamnés sans nous dire pourquoi.

M. le président. - Je dois dire un mot quant à l'application du règlement auquel M. Guillery a fait appel. L'article 35 du règlement porte :

« Les propositions de loi adressées a la Chambre par le Roi et par le Sénat, après que la lecture en a été faite dans la Chambre, sont imprimées, distribuées et transmises, soit aux sections, soit à une commission pour y être discutées suivant la forme établie au chapitre V.

« La discussion ne pourra commencer dans les sections qu'au moins trois jours après la distribution, sauf les cas d'urgence, dont la Chambre décide. »

Le délai réglementaire pour la discussion en sections du projet de loi dont il s'agit a été respecté.

Quant à déterminer un jour fixe pour la réunion, personne n'en a fait la proposition à la Chambre. Les présidents avaient toute liberté.

M. Anspach. - Il y a un fait : c'est que nous avons été convoqués à onze heures pour une discussion qui devait avoir lieu à une heure et demie. Vous considérez cette discussion comme sérieuse ; je dis que personne dans le pays ne la considérera comme telle.

Puisqu'on a parlé de la deuxième section à laquelle l'honorable M. Cruyt appartient, je fais remarquer que cette section est composée de 20 membres. Il y en a eu 7 présents.

Dans ma section, nous sommes 20 membres ; 6 étaient présents.

M. le ministre des finances, frappé de la vérité de nos observations, vous a dit : Qu'on regarde comme non avenue cette réunion évidemment incomplète et qu'on renouvelle les convocations. Je ne comprends pas que la droite résiste à cette proposition.

Si, réellement, il n'y a eu mauvaise intention de personne, qu'on en revienne à l'application normale et régulière du règlement et qu'on nous accorde ce que nous demandons. Le projet de loi dont il s'agit est assez important pour justifier l'annulation demandée.

M. De Lehaye. - Ma section est complètement désintéressée dans la question. Elle n'a pas été convoquée et ne se réunira que vendredi.

Mais puisque ces honorables membres insistent beaucoup sur un appel nouveau, je demande ce qu'ils font du règlement. Le règlement a été parfaitement observé. Personne dans la Chambre n'a demandé que le jour de l'examen en sections fût fixé, ce sont les présidents des sections qui ont fixé ce jour ; quelques-uns ont convoqué pour aujourd'hui, d'autres ont convoqué pour vendredi et je suis de ce nombre.

Je dois faire une observation qui a dû frapper tout le monde, c'est que MM. Guillery et Anspach, qui protestent, ont tous les deux assisté aux sections ; peuvent-ils prétendre que la réunion n'a pas été sérieuse ?

Je maintiens qu'il faut respecter ce qui a été fait.

M. Malou, ministre des finances. - J'ai fait successivement deux propositions et je regrette beaucoup de ne pas avoir maintenu la première, qui était de terminer avant tout le projet de loi sur la Banque Nationale. M. Anspach a dit que l'affaire n'aurait pris qu'une minute et voila déjà une demi-heure que cela dure.

Tâchons, je vous en prie, messieurs, de ne pas échauffer ce débat ; personne n'accuse les intentions d'autres membres de la Chambre ; par un fait parfaitement expliqué, certaines convocations n'ont été faites que vers 10 heures ou 10 heures et demie.

M. Guillery. - La mienne n'est arrivée qu'à 11 heures.

M. Malou, ministre des finances. - Soit. Vous n'avez pas été favorisé.

Je le demande, lorsque des membres prétendent qu'ils n'ont pas été convoqués en temps utile, pourquoi ne pas recommencer l'épreuve ? Je n'y vois pas le moindre inconvénient. On se réunira à une heure qu'on peut fixer dès à présent, vendredi prochain, et personne ne pourra réclamer.

M. Wasseige. - Il est vraiment étonnant de voir les honorables députés de Bruxelles, qui tous les deux ont assisté à la délibération du projet de loi dans leurs sections, demander que tout ce qui a été fait soit annulé, alors qu'ils n'ont pas protesté là où ils auraient dû le faire...

M. Anspach. - Ma proposition est au procès-verbal.

M. Wasseige. -... alors surtout qu'après leurs observations sur la tardivité des convocations, ils ont discuté et voté sans la moindre réserve et qu'ils ont obtenu ce qu'ils désiraient, c'est-à-dire le rejet du projet de loi.

La réflexion a été pour eux mauvaise conseillère, et je n'entrevois pas la moindre anguille sous l'herbe cléricale.

Je ne comprends pas comment, en présence de ce fait, que l'honorable ministre des finances ne connaissait probablement pas lorsqu'il a fait sa proposition, ces messieurs viennent faire ici une opposition semblable à celle dont nous sommes les témoins en ce moment.

Je rends la Chambre attentive à ce qu'on lui demande. Si l'on convoquait de nouveau les sections, ce serait un précédent excessivement dangereux ; chaque fois que les délibérations des sections amèneraient un résultat contraire aux désirs de l'une des deux opinions que nous représentons, l'opinion vaincue pourrait prétendre tantôt pour telles raisons, tantôt pour telles autres, que les sections ont été subrepticement convoquées et qu'elles doivent être convoquées une seconde fois.

Le règlement a été strictement observé dans le cas qui nous occupe, aucune proposition d'ajournement n'a été faite en section, malgré la présence de ceux qui protestent aujourd'hui. Une nouvelle, convocation serait donc contraire au règlement.

Or, le règlement fait loi pour la majorité comme pour la minorité, et si j'insiste, ce n'est pas tant au point de vue du cas actuel, que parce que je considère ce précédent comme dangereux, et qu'il porte atteinte au règlement, qui est notre sauvegarde à tous.

M. Guillery. - Messieurs, il n'y a qu'un seul précédent qui serait dangereux : ce serait de permettre que les convocations se fissent au dernier moment ; si ce précédent était admis, on nous convoquerait tantôt à midi, tantôt à une heure, pour une réunion qui aurait lieu dans les sections à une heure et demie. (Interruption.)

Je demande comment la majorité ne comprend pas qu'elle est aussi intéressée que nous à ce que les convocations aient lieu la veille au soir pour une réunion en sections, surtout lorsqu'il s'agit d'objets importants.

M. de Kerckhove. - Messieurs, d'après ce que nous venons d'entendre, il me paraît évident qu'on veut faire croire à une intention politique dans cet envoi tardif des billets de convocation...

M. Anspach. - On a dit le contraire.

M. de Kerckhove. - Tant mieux, mais, pour moi, les paroles ardentes de l'honorable bourgmestre de Bruxelles indiquent parfaitement cette pensée.

Or, messieurs, voici les faits dans toute leur simplicité. Depuis que nous avons des séances du soir, toutes les convocations se font en retard et surtout pour les membres qui habitent la province. Ceux-là ne reçoivent plus guère leurs billets de convocation que le lendemain.

Cette fois même, quant à moi, je n'ai pas été convoqué du tout. Eh bien, puisque personne ne s'est plaint les jours précédents, je ne vois pas (page 1062) pourquoi on voudrait maintenant faire une exception et procéder à de nouvelles convocations.

Du reste, comme l'a fort bien dit mon honorable ami M. Wasseige, ce serait poser un précédent très dangereux.

Les membres qui ont cru que les sections n'étaient pas régulièrement réunies auraient dû protester immédiatement au sein même de leur section. Or, je ne pense pas - sauf pour une seule peut-être—qu'il y ait eu de pareilles protestations dans les sections.

- Des membres à gauche. - Si ! si.

M. de Kerckhove. - Et cependant, c’est bien là, je le répète, qu'elles auraient dû être faites, avant toute discussion sur le fond.

M. Jottrand. - Il était impossible de protester lorsque les faits n'étaient pas encore connus.

Je faisais partie de la quatrième section et j'ai été fort étonné de ne pas y voir des députés de Bruxelles qui en font partie. J'ignorais qu'ils n'avaient pas été convoqués ou qu'ils n'avaient reçu leurs convocations que tardivement. Je dois déclarer, à ce propos, que moi-même je n'ai reçu ma convocation que vers 10 heures, au moment où je sortais de chez moi pour me rendre au palais de justice.

Nous n'avons connu ce qui avait eu lieu que par les renseignements que nous venons d'obtenir à cette séance en demandant à ceux de nos collègues que leur devoir appelait en sections et qui ne s'y étaient pas rendus, les motifs de leur absence. Ces collègues nous ont répondu qu'ils ignoraient que les sections eussent été convoquées.

Force vous a été alors de formuler la protestation qui donne lieu à ce débat. Si l'on persistait à objecter que cette protestation aurait dû être faite en section et qu'elle ne l'a pas été, j'ajouterais qu'elle l'a été. ; M. Anspach a protesté dans sa section.

M. Anspach. - Et j'ai fait insérer ma protestation au procès-verbal.

M. Jottrand. - Dans ces circonstances, il est de toute équité d'adopter la proposition de M. le ministre des finances.

- Voix nombreuses. - Aux voix !

M. Anspach. - Je fais la proposition que l'on convoque les sections pour vendredi prochain, à 1 heure, à l'effet d'examiner ce projet de loi.

- Des membres. - Volons d'abord sur la proposition de M. le ministre des finances.

M. Wasseige. - La proposition de l'honorable M. Anspach indique un jour, elle est donc la plus complète et doit par conséquent être mise aux voix la première.

Je demande formellement la priorité pour cette proposition.

M. Anspach. - M. Wasseige veut m'isoler pour retirer M. le ministre des finances du mauvais pas où il le trouve engagé. (Interruption.)

Laissez-moi donc expliquer ma pensée.

Voici ce que l'honorable M. Wasseige veut faire ; il veut maintenant que l'on vote sur ma proposition, précisément pour m'écarter de celle de l'honorable ministre des finances à laquelle je me suis rallié tout à l'heure. J'ai dit assez haut pour être entendu, lorsque l'honorable M. Malou s’est levé, que sa proposition était loyale, honnête et que je m'y ralliais.

La droite ne veut pas de cela ; il lui est plus difficile de voter contre la proposition de l'honorable M. Malou que contre la mienne. Ne suis-je pas habitué aux votes contraires de la droite ?

Je demande donc que l'on vote sur la proposition de M. Malou, à laquelle je me suis rallié et je retire formellement la mienne.

M. Malou, ministre des finances. - Je regrette beaucoup que l'honorable M. Anspach, après ce qui vient de se passer, ait dit que l'honorable M. Wasseige a voulu me retirer d'un mauvais pas.

Je suis intervenu dans ce débat pour deux motifs : d'abord je le considère comme fâcheux en ce qu'il entrave une discussion que la Chambre désire finir aujourd'hui ; en second lieu, je me demande s'il est juste, en définitive, les convocations ayant été faites entre 10 et 11 heures du matin, de convoquer de nouveau les sections pour vendredi.

J'ai émis l'opinion qu'il faut les convoquer pour vendredi à une heure ou à telle autre heure que la Chambre fixera. Je ne puis être dans un mauvais pas, lorsque je propose une chose qui m’est suggérée par un sentiment de loyauté et de délicatesse.

M. le président. - Pour rester dans les termes du règlement, il serait, je pense, nécessaire de convenir que les membres nommés rapporteurs dans leurs sections conserveront leur mandat.

- Des membres à gauche. - Pas du tout.

M. le président. - Une nouvelle réunion des sections pourrait avoir lieu pour permettre à chacun de prendre part à la discussion et d'exprimer son opinion.

- Des membres. - L'appel nominal !

M. le président. - Puisque la Chambre ne partage pas mon appréciation, je vais mettre aux voix, par appel nominal, la proposition de M. le ministre des finances portant que les sections se réuniront vendredi à une heure.

- Il est procédé à l'appel nominal.

95 membres y prennent part.

70 répondent oui.

22 répondent non.

3 s'abstiennent.

En conséquence, les sections seront convoquées pour vendredi à une heure.

Ont répondu oui :

MM. de Vrints, Drion, Drubbel, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Houtart, Jamar, Janssens, Jottrand, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Magherman, Mascart, Moncheur, Muller, Nothomb, Pety de Thozée, Piedbœuf, Pirmez, Puissant, Rembry, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Schollaert, Tack, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Verwilghen, L. Visart, Warocqué, Anspach, Balisaux, Bara, Boucquéau, Boulenger, Coremans, Couvreur, Crombez, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, De Fré, Defuisseaux, de Haerne, Delcour, de Lexhy, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Theux et Dethuin.

Ont répondu non :

MM. de Zerezo de Tejada, Hayez, Jacobs, Mulle de Terschueren, Notelteirs, Simonis, Snoy, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Van Outryve d’Ydewalle, Vermeire. Wasseige, Wouters, Berten, Biebuyck, Cornesse, de Clercq, de Kerckhove, Delaet, De Lehaye et de Liedekerke.

Se sont abstenus :

MM. Cruyt, de Smet et Thibaut.

M. le président. - MM. Cruyt et de Smet sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Cruyt. - Je n'ai pas pu voter pour la proposition de l'honorable M. Anspach...

- Plusieurs voix. - Non ! non ! C'était celle de M. Malou.

M. Cruyt. - Je dirai que je n'ai pas pu voter pour la proposition des honorables MM. Anspach et Malou ; sommes-nous d'accord ?

- Voix diverses. - Non ! non ! de M. Malou !

M. Cruyt. - Je n'ai pas pu voter pour la proposition mise aux voix parce que je considère son adoption comme devant constituer un mauvais précédent ; je n'ai pas pu voter contre parce que, nommé rapporteur par ma section, je n'ai pas voulu paraître voter dans mon propre intérêt.

M. de Smet. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

M. le président. - Moi-même, messieurs, je me suis abstenu parce que je doute que la proposition soit autorisée par le règlement ; en la mettant aux voix, je me suis conformé à la volonté manifeste de la Chambre.

Projet de loi prorogeant la durée de la Banque nationale

Discussion des articles

Article premier, premier alinéa

La discussion générale est close.

M. le président. - Si la Chambre ne s'y oppose pas, nous procéderons par division et nous examinerons d'abord le n°1 de l'article premier.

L'honorable M. Dansaert a fait parvenir au bureau deux nouveaux amendements ainsi conçus :

« Les dérogations suivantes sont apportées à la loi du 5 mai 1850 :

« 1° A l'article 2, ajouter :

« A partir du 1er janvier 1873, les administrateurs de ces comptoirs et les membres de ces comités ne pourront être intéressés dans aucun autre établissement d’escompte.

« Amendement à l'article 8 de la loi du 5 mai 1850 :

« Ajouter, après le 4ème de l'article premier du projet :

« 5° A l'article 8, à la suite du paragraphe ainsi conçu :

« 4° A se charger du recouvrement d'effets qui lui seront remis par des particuliers ou des établissements.

« Le service des recouvrements des effets de commerce, dans toutes les communes du pays, sera organisé par la Banque Nationale dans le délai d'un an, à partir de la promulgation de la présente loi. »

M. le président. - M. Dansaert a la parole pour développer ses amendements.

(page 1063) M. Dansaert. - Messieurs, l'article 2 de la loi du 5 mai 1850 est ainsi conçu :

« La Banque Nationale établira des comptoirs dans les chefs-lieux de province, et, en outre, dans les localités où le besoin en sera constaté. »

« Un comité d'escompte sera attaché à chaque comptoir dans les villes où le gouvernement le jugera nécessaire, après avoir entendu l'administration de la Banque. »

Je propose de compléter cet article par la disposition suivante :

« A partir du 1er janvier 1873, les administrateurs de ces comptoirs et les membres de ces comités ne peinent être intéressés dans aucun autre établissement d'escompte. »

Messieurs, ainsi que. vous l'avez compris déjà, le but de ma proposition est d'obliger l'administration de la Banque Nationale à fonder les comptoirs dans des conditions de complète impartialité.

J'ai la conviction d'exprimer l'opinion de tous les membres de cette Chambre, en disant qu'il doit être interdit de la manière la plus absolue de détourner, au détriment de l'intérêt général et au profit d'un intérêt particulier, les moyens financiers que le commerce et l'industrie du pays fournissent à la Banque Nationale par le maintien en circulation de ses billets.

L'organisation des comptoirs de la Banque ne satisfait pas à cette pensée d'égalité de services.

Le défaut que j'ai signalé dans l'organisation du comptoir de la Banque à Gand se rencontre dans d'autres comptoirs, et il importe qu'il disparaisse entièrement.

Lorsqu'un comptoir est confié à un banquier ou à une société faisant des opérations d'escompte pour son compte particulier, cela donne lieu à trois sortes d'abus.

Premièrement, les administrateurs du comptoir se montrent on ne peut plus faciles pour les valeurs portant l'aval de leur maison de banque, et de cette manière, des valeurs, qui souvent n'ont même aucun caractère commercial réel, passent dans le portefeuille de la Banque Nationale.

Secondement, les maisons de commerce et les établissements d'industrie sont souvent, à tort, privés de l'avantage d'être admis à l'accès direct du comptoir, pour l'escompte de leur papier.

Il faut qu'ils passent par la banque privée du membre administrateur ou des membres du comité d'escompte. Il va sans dire que, moyennant le payement de la commission à la banque privée, ce papier est alors de toute première qualité pour être admis.

Troisièmement enfin, les autres banquiers de la circonscription du comptoir se trouvent dans une position d'infériorité pour le réescompte du papier de commerce de leur clientèle. Le réescompte de leurs valeurs par le comptoir de la Banque dépend de la volonté arbitraire d'une maison de banque concurrente.

Si, dans ces conditions, des abus, des froissements d'intérêts, toujours nuisibles aux affaires, se produisent en temps ordinaire, jusqu'où ce système vicieux d'organisation des comptoirs ne conduit-il pas dans les temps exceptionnels, pendant lesquels l'égalité devant les services de l'escompte devrait exister plus que jamais dans toute l'étendue du pays !

Qu'on ne dise pas qu'il y a des droits acquis pour les maisons de banque, qui depuis de longues années ont leur représentant dans les comptoirs d'escompte de la Banque ; s'il est vrai que l'intérêt public commande la information de cet abus, nous n'avons pas à nous arrêter devant des intérêts privés.

D'ailleurs, la loi qui va être votée crée une situation nouvelle et l'occasion ne se représentera plus pour nous, d'ici à longtemps probablement, d'imposer cette modification qui, en elle-même, doit être trouvée juste par tous.

Je demanderai à l'honorable ministre des finances qu'il veuille bien user de son influence pour obtenir de la Banque qu'elle fonde un comptoir d'escompte à Bruxelles.

Aujourd'hui les négociants de province se trouvent, vis-à-vis des comptoirs de leur localité, dans une position beaucoup plus favorable que le commerce de Bruxelles vis-à-vis de la Banque elle-même.

En province, le papier ordinaire à deux signatures est escompté sans difficulté par le comptoir qui lui donne la troisième signature et lui assure, par conséquent, les caractères voulus pour être admis au portefeuille de la Banque Nationale, sans autre formalité.

Il n'en est pas du tout de même pour le papier ordinaire des négociants de Bruxelles.

En l'absente d'un comptoir d'escompte, pouvant donner la troisième signature, le papier à deux signatures des commerçants de la capitale ne peut être admis au portefeuille de la Banque Nationale que moyennant l'autorisation de quatre directeurs et du gouverneur.

Cela résulte clairement du paragraphe 2 de l'article 9 des statuts ainsi conçu ;

« Pourront cependant être admis les effets à deux signatures si quatre directeurs et le gouverneur y consentent. »

On conçoit, messieurs, qu'il s'agit ici de papier de choix, et que c'est là une formalité qui, malgré tout le bon vouloir de l'administration supérieure de la Banque, ne peut profiter qu'à un très petit nombre de maisons et qu’en fait toute la masse de négociants, qui auraient accès direct au comptoir en province, et pourraient par suite escompter au taux réel du tarif de la Banque, sont obligés à Bruxelles de passer, pour obtenir la troisième signature, par les comptoirs des banquiers, et payer de ce chef des commissions qui augmentent sensiblement le prix de l'escompte.

Il y a là une anomalie très défavorable aux intérêts d'un grand nombre de commerçants bruxellois et je me permets d'insister auprès de l'honorable ministre des finances afin qu'il veuille bien contribuer de tout son pouvoir à la faire disparaître.

Qu'il me soit permis, messieurs, à l'occasion de l'article sur les comptoirs, de dire quelques mots au sujet du conflit dont j'ai eu déjà occasion de parler, et qui a surgi entre la Banque de Flandre et l'Union du crédit de Gand.

Ainsi que le disait l'honorable M. t'Kint de Naeyer, dans la discussion sur la Banque Nationale, « les unions du crédit donnent à une foule de petites valeurs le caractère qui leur manquera souvent pour être admises par la Banque Nationale. »

Permettez-moi, messieurs, de vous citer un exemple qui vous fera apprécier à quel genre de papier l'honorable représentant faisait allusion, et vous démontrer en même temps l'utilité réelle des Unions du crédit, pour rendre le crédit accessible à la grande masse des petits commerçants et industriels.

Messieurs, dans le moyen commerce, les acheteurs sont en général des petits commerçants et des petits industriels, sur lesquels on peut lancer des traites ayant un caractère de réalité incontestable. Mais il n'en est pas de même pour ces petits commerçants et ces petits industriels tels, par exemple, que menuisiers, serruriers, tailleurs, bottiers, modistes, lingères et détaillants de tout genre, qui ne peuvent faire traite sur leurs clients, bien que leur vente soit des plus réelles et que leurs clients eux-mêmes soient des plus solvables.

Dans ces sortes d'opérations, les rentrées ne se font généralement qu'une ou deux fois l'an, à des dates que les acheteurs choisissent et les payements se font contre simple quittance.

C'est ici que le service du crédit par l'Union vient prendre sa place et remplir ses fonctions, moyennant l'ouverture d'un crédit limité et garanti de la manière la plus sérieuse, soit par des cautions, soit par des garanties hypothécaires.

Dans l'intervalle des rentrées pour les fournitures et livraisons dont je viens de parler, les clients de l'Union, appartenant à cette catégorie de petits commerçants et de petits industriels, sont admis à réaliser leurs ventes par anticipation en déposant dans le portefeuille de l'Union les simples promesses qu'ils éteignent à des échéances correspondant aux époques de payement de leurs clients.

Le bordereau de 500,000 francs de l'Union du crédit de Gand auquel l'honorable M. Malou a fait allusion dans la séance du 25 avril dernier, et qui n'offrait, d'après lui, aucun caractère de réalité d'affaires faites, appartenait précisément à ces sortes de promesses, et la preuve, c'est que l'administration de l'Union du crédit de Gand, en demandant qu'elles fussent escomptées par la Banque Nationale, s'engageait formellement à ne pas en demander le renouvellement à l'échéance.

Il ne s'agissait donc, dans l'espèce, d'aucune sorte d'emprunt foncier, mais uniquement de promesses créées à l'occasion d'opérations de commerce dans les conditions que je viens d'avoir l'honneur de définir.

Ces explications modifieront, je l'espère, l'opinion que l'honoraire ministre des finances a exprimée dans cette Chambre et qui attribuait fort injustement le caractère de prêt financier à ce bordereau de 500,000 fr.

D'ailleurs, la manière prompte et facile avec laquelle l'Union du crédit de Gand a satisfait à toutes ses obligations, avant même l'expiration du sursis de six mois, sans avoir été obligée d'exercer aucune poursuite sérieuse et en répartissant 14 p. c. de bénéfices entre ses sociétaires, prouve surabondamment que cette société travaillait comme toutes les autres Unions du crédit.

Je persiste donc à croire, messieurs, que si la Banque de Flandre s'était trouvée, comme comptoir de la Banque Nationale, dans les mêmes conditions que les autres comptoirs, exerçant dans les villes dotées d'Unions du crédit, les faits regrettables dont j'ai parlé ne se seraient pas produits.

(page 1063) M. Dansaert. - Messieurs, l'article 2 de la loi du 5 mai 1850 est ainsi conçu :

« La Banque Nationale établira des comptoirs dans les chefs-lieux de province, et, en mitre, dans les localités où le besoin en sera constaté. »

« Un comité d'escompte sera attaché à chaque comptoir dans les villes où le gouvernement le jugera nécessaire, après avoir entendu l'administration de la Banque. »

Je propose de compléter cet article par la disposition suivante :

« A partir du 1er janvier 1873, les administrateurs de ces comptoirs et les membres de ces comités ne peinent être intéressés dans aucun autre établissement d'escompte. »

Messieurs, ainsi que. vous l'avez compris déjà, le but de ma proposition est d'obliger l'administration de la Banque Nationale à fonder les comptoirs dans des conditions de complète impartialité.

J'ai la conviction d'exprimer l'opinion de tous les membres de cette Chambre, en disant qu'il doit être interdit de la manière la plus absolue de détourner, au détriment de l'intérêt général et au profit d'un intérêt particulier, les moyens financiers que le commerce et l'industrie du pays fournissent à la Banque Nationale par le maintien en circulation de ses billets.

L'organisation des comptoirs de la Banque ne satisfait pas à cette pensée d'égalité de services.

Le défaut que j'ai signalé dans l'organisation du comptoir de la Banque à Gand se rencontre dans d'autres comptoirs, et il importe qu'il disparaisse entièrement.

Lorsqu'un comptoir est confié à un banquier ou à une société faisant des opérations d'escompte pour son compte particulier, cela donne lieu à trois sortes d'abus.

Premièrement, les administrateurs du comptoir se montrent on ne peut plus faciles pour les valeurs portant l'aval de leur maison de banque, et de cette manière, des valeurs, qui souvent n'ont même aucun caractère commercial réel, passent dans le portefeuille de la Banque Nationale.

Secondement, les maisons de commerce et les établissements d'industrie sont souvent, à tort, privés de l'avantage d'être admis à l'accès direct du comptoir, pour l'escompte de leur papier.

Il faut qu'ils passent par la banque privée du membre administrateur ou des membres du comité d'escompte. Il va sans dire que, moyennant le payement de la commission à la banque privée, ce papier est alors de toute première qualité pour être admis.

Troisièmement enfin, les autres banquiers de la circonscription du comptoir se trouvent dans une position d'infériorité pour le réescompte du papier de commerce de leur clientèle. Le réescompte de leurs valeurs par le comptoir de la Banque dépend de la volonté arbitraire d'une maison de banque concurrente.

Si, dans ces conditions, des abus, des froissements d'intérêts, toujours nuisibles aux affaires, se produisent en temps ordinaire, jusqu'où ce système vicieux d'organisation des comptoirs ne conduit-il pas dans les temps exceptionnels, pendant lesquels l'égalité devant les services de l'escompte devrait exister plus que jamais dans toute l'étendue du pays !

Qu'on ne dise pas qu'il y a des droits acquis pour les maisons de banque, qui depuis de longues années ont leur représentant dans les comptoirs d'escompte de la Banque ; s'il est vrai que l'intérêt public commande la information de cet abus, nous n'avons pas à nous arrêter devant des intérêts privés.

D'ailleurs, la loi qui va être votée crée une situation nouvelle et l'occasion ne se représentera plus pour nous, d'ici à longtemps probablement, d'imposer cette modification qui, en elle-même, doit être trouvée juste par tous.

Je demanderai à l'honorable ministre des finances qu'il veuille bien user de son influence pour obtenir de la Banque qu'elle fonde un comptoir d'escompte à Bruxelles.

Aujourd'hui les négociants de province se trouvent, vis-à-vis des comptoirs de leur localité, dans une position beaucoup plus favorable que le commerce de Bruxelles vis-à-vis de la Banque elle-même.

En province, le papier ordinaire à deux signatures est escompté sans difficulté par le comptoir qui lui donne la troisième signature et lui assure, par conséquent, les caractères voulus pour être admis au portefeuille de la Banque Nationale, sans autre formalité.

Il n'en est pas du tout de même pour le papier ordinaire des négociants de Bruxelles.

En l'absente d'un comptoir d'escompte, pouvant donner la troisième signature, le papier à deux signatures des commerçants de la capitale ne peut être admis au portefeuille de la Banque Nationale que moyennant l'autorisation de quatre directeurs et du gouverneur.

Cela résulte clairement du paragraphe 2 de l'article 9 des statuts ainsi conçu ;

« Pourront cependant être admis les effets à deux signatures si quatre directeurs et le gouverneur y consentent. »

On conçoit, messieurs, qu'il s'agit ici de papier de choix, et que c'est là une formalité qui, malgré tout le bon vouloir de l'administration supérieure de la Banque, ne peut profiter qu'à un très petit nombre de maisons et qu’en fait toute la masse de négociants, qui auraient accès direct au comptoir en province, et pourraient par suite escompter au taux réel du tarif de la Banque, sont obligés à Bruxelles de passer, pour obtenir la troisième signature, par les comptoirs des banquiers, et payer de ce chef des commissions qui augmentent sensiblement le prix de l'escompte.

Il y a là une anomalie très défavorable aux intérêts d'un grand nombre de commerçants bruxellois et je me permets d'insister auprès de l'honorable ministre des finances afin qu'il veuille bien contribuer de tout son pouvoir à la faire disparaître.

Qu'il me soit permis, messieurs, à l'occasion de l'article sur les comptoirs, de dire quelques mots au sujet du conflit dont j'ai eu déjà occasion de parler, et qui a surgi entre la Banque de Flandre et l'Union du crédit de Gand.

Ainsi que le disait l'honorable M. t'Kint de Naeyer, dans la discussion sur la Banque Nationale, « les unions du crédit donnent à une foule de petites valeurs le caractère qui leur manquera souvent pour être admises par la Banque Nationale. »

Permettez-moi, messieurs, de vous citer un exemple qui vous fera apprécier à quel genre de papier l'honorable représentant faisait allusion, et vous démontrer en même temps l'utilité réelle des Unions du crédit, pour rendre le crédit accessible à la grande masse des petits commerçants et industriels.

Messieurs, dans le moyen commerce, les acheteurs sont en général des petits commerçants et des petits industriels, sur lesquels on peut lancer des traites ayant un caractère de réalité incontestable. Mais il n'en est pas de même pour ces petits commerçants et ces petits industriels tels, par exemple, que menuisiers, serruriers, tailleurs, bottiers, modistes, lingères et détaillants de tout genre, qui ne peuvent faire traite sur leurs clients, bien que leur vente soit des plus réelles et que leurs clients eux-mêmes soient des plus solvables.

Dans ces sortes d'opérations, les rentrées ne se font généralement qu'une ou deux fois l'an, à des dates que les acheteurs choisissent et les payements se font contre simple quittance.

C'est ici que le service du crédit par l'Union vient prendre sa place et remplir ses fonctions, moyennant l'ouverture d'un crédit limité et garanti de la manière la plus sérieuse, soit par des cautions, soit par des garanties hypothécaires.

Dans l'intervalle des rentrées pour les fournitures et livraisons dont je viens de parler, les clients de l'Union, appartenant à cette catégorie de petits commerçants et de petits industriels, sont admis à réaliser leurs ventes par anticipation en déposant dans le portefeuille de l'Union les simples promesses qu'ils éteignent à des échéances correspondant aux époques de payement de leurs clients.

Le bordereau de 500,000 francs de l'Union du crédit de Gand auquel l'honorable M. Malou a fait allusion dans la séance du 25 avril dernier, et qui n'offrait, d'après lui, aucun caractère de réalité d'affaires faites, appartenait précisément à ces sortes de promesses, et la preuve, c'est que l'administration de l'Union du crédit de Gand, en demandant qu'elles fussent escomptées par la Banque Nationale, s'engageait formellement à ne pas en demander le renouvellement à l'échéance.

Il ne s'agissait donc, dans l'espèce, d'aucune sorte d'emprunt foncier, mais uniquement de promesses créées à l'occasion d'opérations de commerce dans les conditions que je viens d'avoir l'honneur de définir.

Ces explications modifieront, je l'espère, l'opinion que l'honoraire ministre des finances a exprimée dans cette Chambre et qui attribuait fort injustement le caractère de prêt financier à ce bordereau de 500,000 fr.

D'ailleurs, la manière prompte et facile avec laquelle l'Union du crédit de Gand a satisfait à toutes ses obligations, avant même l'expiration du sursis de six mois, sans avoir été obligée d'exercer aucune poursuite sérieuse et en répartissant 14 p. c. de bénéfices entre ses sociétaires, prouve surabondamment que cette société travaillait comme toutes les autres Unions du crédit.

Je persiste donc à croire, messieurs, que si la Banque de Flandre s'était trouvée, comme comptoir de la Banque Nationale, dans les mêmes conditions que les autres comptoirs, exerçant dans les villes dotées d'Unions du crédit, les faits regrettables dont j'ai parlé ne se seraient pas produits.

(page 1064) Je crois inutile, messieurs, d'entrer dans de plus longs développements pour justifier mon amendement.

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Dansaert ne me semble pas devoir être placé dans la loi. Dans la discussion générale, on a expliqué par quelle cause des banquiers se trouvent encore actuellement dans quelques comptoirs d'escompte. Ils y ont été admis à l'origine, mais aujourd'hui que la Banque trouve le moyen de constituer ses comptoirs sans y introduire des banquiers, elle pratique la règle tracée par l'amendement de l'honorable M. Dansaert.

Faut-il, par une disposition générale et précise, sans savoir quelles en seront les conséquences, décider par la loi qu'à date fixe ceux qui sont actuellement dans les comptoirs en seront exclus s'ils ont un intérêt dans une maison de banque?

L'opinion de l'administration de la Banque, qui l'a témoignée par des faits, est de ne plus admettre dans les comptoirs des personnes qui sont intéressées dans des maisons d'escompte et je me propose bien, lorsqu'on s'occupera des statuts et du règlement d'ordre, - car, en réalité l'amendement se rattache au règlement d'ordre, - d'examiner quelles sont les mesures qui peuvent aider à réaliser le but de l'amendement de l'honorable M. Dansaert, tout en respectant les positions acquises, et les intérêts de la Banque elle-même, c'est-à-dire en ne risquant pas de démembrer et d'affaiblir certains comptoirs d'escompte.

Mais je ne crois pas, messieurs, que cet amendement puisse ou doive passer dans la loi comme disposition impérative immédiatement applicable.

L'honorable membre demande que la Banque constitue un comptoir à Bruxelles. Je ne sache pas qu'aucune banque d'émission ait jusqu'ici délégué ses pouvoirs à un comptoir dans la localité où est établi son siège principal.

L'honorable membre croit que, sous ce rapport, le commerce de Bruxelles est moins favorisé que les provinces. J'ai fait faire, pour une période donnée, la répartition des escomptes en les divisant d'une part pour les comptoirs, d'autre part pour Bruxelles, suivant que les effets admis avaient deux signatures ou en avaient trois. Ce tableau, comme vous le voyez, est assez étendu, assez détaillé. Pendant la période qui a été prise comme période d'essai, c'est-à-dire du 28 mars au 13 avril, on a escompté 24,051 effets pour 20 millions à Bruxelles et 37,288 effets pour 49,700,000 francs en province. La proportion générale des effets à deux signatures a été de 54 1/4 du nombre total des effets escomptés ; la proportion pour Bruxelles est de 58 p. c. et celle des comptoirs n'est que de 48 1/2 p. c.

Sous ce rapport, je crois, et déjà la chose a été indiquée dans le rapport de la section centrale, qu'il y a des modifications à faire aux statuts de la Banque Nationale, en ce qui concerne l'admission des effets à deux signatures. Cette question sera examinée d'une manière approfondie lorsqu'il y aura lieu de procéder à la révision des statuts.

Il y a sous ce rapport, comme je l'ai indiqué dans une réponse que j'ai faite à la section centrale, plusieurs systèmes. Il en est un qui est pratiqué assez généralement : c'est de dresser des listes des maisons dont les effets sont admis avec deux signatures. Ce mode a été pratiqué en Belgique, de temps immémorial, avant l'établissement de la Banque Nationale.

Il y a un autre système : celui d'une majorité spéciale plus forte combinée avec une sorte de veto du gouverneur, mais lorsque les escomptes sont nombreux, il est extrêmement difficile que ce mode fonctionne réellement.

La question concernant les statuts, il est inutile d'entrer, à cet égard, dans de plus amples détails.

Dans les explications qui ont été échangées l'autre jour entre l'honorable M. Dansaert et moi, au sujet du comptoir de Gand, je me suis servi d'une expression dont la portée a été exagérée ; en parlant d'effets en l'air, j'ai eu en vue des effets qui n'étaient pas acceptables par la Banque Nationale aux termes de ses statuts : l'Union du crédit avait ouvert réellement des crédits, c'est-à-dire qu'elle avait fait des avances sur une seule signature doublée d'une hypothèque, et ce sont ces effets dont elle demandait l'escompte à la Banque Nationale et à la Banque de Flandre, lorsque déjà ces établissements étaient fortement à découvert envers l'Union du crédit.

J'ai ici le rapport qui a été fait le 7 mars 1871 et je demande à la Chambre la permission d'en lire quelques lignes :

« Un accord intervint aussi avec la Banque de Flandre, porteur de nos promesses réescomptées ; accord aux termes duquel cet établissement accordait le renouvellement desdits effets jusqu'à la fin du cinquième mois du sursis, c'est-à-dire jusqu'au 17 février dernier ; à charge qu'il lui serait attribué alors, sur la circulation qui resterait à cette époque un dividende égal à eux qui auraient été répartis précédemment aux autres créanciers.

« Cette convention reçut sa pleine exécution.

« En ce moment, et dès le 25 février dernier, la Banque de Flandre, dont la créance était portée au passif du sursis pour une somme de 1,779,852 fr. 23 c, a cessé d'être notre créancière. »

Ce n'est pas là le procédé d'un établissement qui chercherait à ruiner concurrent dans un moment de crise.

Ces explications suffiront, je l'espère, pour ôter à l'expression qui paraît avoir ému certaines personnes la signification exagérée qu'elles y avaient donnée et, en même temps, pour clore cet incident, qui ne se rattache, pas au débat d'une manière bien directe.

Je demande à la Chambre de ne pas adopter l’amendement, me réservant d'examiner, lorsqu'on fera les statuts et qu'on arrêtera le règlement d'ordre intérieur, quelles sont les dispositions qui peuvent réaliser nos intentions communes, sans rétroactivité, ni secousses, ni inconvénients.

M. Cruyt. - Messieurs, je crois de mon devoir de dire quelques mots à propos de ce que l'honorable M. Dansaert a avancé relativement au différend qui a existé un moment entre l'Union du crédit de Gand et la Banque de Flandre.

Lorsque l'Union du crédit de Gand a été obligée de suspendre ses payements, je suis intervenu, j'ai fait des démarches tout à la fois auprès de la Banque de Flandre, auprès du gouvernement et de la Banque Nationale, pour qu'on vînt au secours de cet établissement si intéressant, si utile au petit commerce.

Or, messieurs, loin,de rencontrer le moindre mauvais vouloir chez la Banque de Flandre, je dois attester qu'elle s'est montrée pleine de bienveillance envers l'Union. J'ai rencontré les mêmes sentiments, le même bon vouloir de la part de la Banque Nationale et du gouvernement. Et cela se comprend d'autant mieux qu'on m'avait représenté et que je présentais moi-même le salut de l'Union du crédit comme intéressant la position de la place de Gand tout entière.

Je parlais sous l'empire de la conviction que j'avais alors que, si cet établissement venait à suspendre ses payements, une crise intense devait en être la conséquence inévitable, certaine ; ces prévisions heureusement ne se sont pas réalisées, l'Union a suspendu temporairement et la crise, que nous redoutions, ne s'en est pas suivie.

Mais enfin, c'est sous l'empire de ces préoccupations que le gouvernement a été sollicité d'intervenir auprès de la Banque Nationale, et que celte Banque a examiné le papier de l'Union du crédit.

Or, elle a partagé l'opinion de la Banque de Flandre relativement au mérite ou plutôt à l'admissibilité dans son portefeuille du papier offert à l'escompte par l'Union du crédit, et elle a jugé que ses statuts ne lui permettaient pas de l'agréer.

La Banque de Flandre avait déjà à ce moment en portefeuille pour 1 1/2 million de ce papier et j'ai compris que la Banque de Flandre (erratum, page 1112) n'ait pas jugé prudent de s'engager plus avant.

Ce papier, sans doute, était sérieux, respectable, mais ce n'était pas du papier de banque proprement dit.

La majeure partie du portefeuille de l'Union, du moins du papier qu'elle offrait à l'escompte, était du papier garanti par hypothèque, mais qui était destiné à être renouvelé à l'échéance. C'est ainsi du moins que les deux banques l'appréciaient l'une et l'autre.

La Banque de Flandre prétendait être d'autant (erratum, page 1112) mieux en droit de se refuser àaccepter de ce papier au delà de 1 1/2 million qu'elle en possédait déjà et qu'elle consentait à renouveler à cause de la crise et malgré la crise, que depuis plusieurs années, disait-elle, elle avait pressé l'Union du crédit d'en diminuer l'importance.

Ne perdons pas de vue qu'elle avait à pourvoir à d'autres besoins de la place, et non à ceux de l'Union du crédit seuls.

Et elle s'est bien et largement acquittée de ses devoirs sous ce rapport.

Et, à ce propos, messieurs, je tiens à relever ici une autre erreur commise avec la meilleure foi du monde, du reste, par l'honorable M. Dansaert. L'honorable membre a dit, dans une précédente séance, que la Banque de Flandre avait dû elle-même solliciter et avait obtenu un secours de plusieurs millions de la Banque Nationale pour faire face à la crise.

Je crois pouvoir affirmer, messieurs, de la manière la plus positive qu'il n'en est rien, et que la Banque de Flandre a parfaitement pourvu à tout au moyen de ses propres ressources ; elle a conservé ses dépôts intacts et son crédit n'a pas été un seul instant mis en doute.

(page 1065) Le fait que l'honorable ministre des finances vient de constater tout à l'heure que la Banque de Flandre a consenti à postposer les payements que devait lui faire l'Union du crédit à ceux que cette institution avait à faire à ses autres créanciers, prouve à lui seul qu'elle était animée envers l'Union du crédit de Gand des meilleurs sentiments.

Lorsqu'il s'est agi de voter pour le sursis, la Banque de Flandre, de qui le sursis dépendait, n'a pas marchandé son appui.

D'un autre côté, l'Union du crédit de Gand a reconnu elle-même qu'il y avait un certain vice dans sa manière d'opérer, puisque aussitôt après et même pendant la crise elle a révisé ses statuts.

Je n'ai voulu, messieurs, que rendre un témoignage à la vérité en présentant ces quelques observations ; (erratum, page 1112) Je souhaite que les deux établissements que j'estime également, vivent en bonne harmonie entre eux ; c'est leur intérêt d'abord, et c'est l'intérêt du public ensuite ; après cela, j'ajouterai que je suis d'accord avec l'honorable M. Dansaert sur la question de principe ; je dis avec lui qu'il faut autant que possible écarter les banquiers des fonctions de commissaires près des comptoirs d'escompte.

Cependant ici encore je dois faire une réserve. Je ne sais pas si à Gand on a beaucoup à se plaindre de ce que la Banque de Flandre soit, elle, en même temps, le comptoir d'escompte ! Ce n'est pas ici un banquier qui puisse abuser, à son profit, de son immixtion dans les opérations du comptoir dans son intérêt exclusif ; l'établissement tout entier, société anonyme, forme à lui seul tout le comptoir ; or, je me demande et l'on s'est demandé si, pour garantir l'énorme masse de papier qui circule à Gand, il n'est pas utile au commerce qu'une société anonyme, et non de simples particuliers, donne son aval ? Une société anonyme, et c'est ce qui doit rendre la Banque de Flandre large et généreuse dans l'admission du papier, peut aller beaucoup plus loin que (erratum, page 1112) des personnes privées qui exposent leur patrimoine propre et celui de leur famille.

Je suis fondé à croire que cette situation n'a pas peu contribué à atténuer à Gand les effets de la crise de 1870, et peut être, si le comptoir d'escompte y avait été autrement organisé, le commerce et l'industrie gantois auraient-ils eu bien plus à se plaindre.

Je crois, du reste, savoir que lorsqu'on a voulu instituer à Gand un comptoir d'escompte ordinaire, on a trouvé tout au moins de l'hésitation chez les personnes notables qui devaient en faire partie, précisément à raison de cette grande responsabilité personnelle dont l'honorable M. Frère parlait l'autre jour.

Voilà, messieurs, ce que je croyais devoir dire en réponse à ce qui avait été dit contre le rôle joué par la Banque de Flandre dans la crise de 1870.

M. Drubbel. - J'avais uniquement demandé la parole pour confirmer les assertions de mon honorable collègue et ami, M. Cruyt, relatives à la conduite de la Banque de Flandre vis-à-vis de l'Union du crédit. Il est certain que cette conduite a été ce qu'elle devait être. Je dois cependant faire mes réserves au sujet de ce que M. Cruyt a dit de l'hésitation que l'on aurait rencontrée chez certaines personnes notables quand il s'est agi d'établir à Gand un comptoir d'escompte.

Je dois dire que cette hésitation, si je ne me trompe, provenait uniquement de ce qu'on voulait imposer, pour l'affiliation au comptoir d'escompte, des conditions spéciales, une responsabilité plus rigoureuse aux personnes étrangères à la Banque de Flandre qu'à celles appartenant à l'administration de cette Banque, et c'est précisément un point sur lequel je me suis permis d'appeler l'attention de M. le ministre des finances, le priant de ne pas perdre de vue cette question, alors qu'il s'agira d'arrêter les statuts et le règlement d'ordre de la Banque Nationale.

Mais en ce qui concerne la conduite de la Banque de Flandre vis-à-vis de l'Union du crédit, je ne puis que confirmer les explications données par mon honorable collègue et ami, M. Cruyt.

M. Dansaert. - En présence des engagements pris par M. le ministre des finances, je retire mon amendement.

M. le président. - Nous passons au n°1° de l'article premier.

A ce n° 1° se rattache l'amendement de MM. Demeur et Dansaert ; mais cet amendement formant une disposition additionnelle, la Chambre pourrait se prononcer d'abord sur le n°1°, ainsi conçu :

« La durée de la Banque Nationale est prorogée de trente ans, à partir du 1er janvier 1873. »

- Cette disposition est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Maintenant vient l'amendement de MM. Demeur et Dansaert ; il est ainsi conçu :

« A l'article premier, n° 1°, ajouter :

« Néanmoins l'institution pourra prendre fin ou être modifiée le 1er janvier 1883 s'il en est ainsi ordonné par une loi votée dans une des deux sessions qui précéderont cette époque. »

M. Malou, ministre des finances. - Je puis me référer aux explications données dans la discussion générale pour combattre cet amendement.

En fin de compte, on exige que la Banque développe ses services, qu'elle fasse d'énormes dépenses et, d'autre part, on ne veut lui donner qu'une existence de dix années. Ces deux exigences sont contradictoires ; il faut opter.

Un terme de trente ans, surtout avec l'éventualité de l'application de l'article 25, est le terme normal et de droit commun ; et je ne puis, par conséquent, me rallier à l'amendement des honorables membres.

M. Demeur. - Messieurs, j'ai eu l'occasion de développer cet amendement dans la séance d'hier soir devant vingt-cinq ou trente membres de cette Chambre et les Annales parlementaires contenant mon discours n'ont pas encore pu paraître.

Mon intention n'est cependant pas de répéter aujourd'hui ce que j'ai dit hier.

Je me borne à répondre à l'observation que vient de présenter l'honorable ministre des finances.

L'amendement que nous avons présenté maintient le principe du n°1° de l'article premier qui vient d'être voté ; c'est-à-dire que l'existence de la Banque est prorogée de trente ans.

L'amendement a uniquement pour but de réserver au pouvoir législatif la faculté d'une révision au bout de dix ans.

L'honorable ministre des finances vient de dire que la Banque avait besoin d'une longue durée pour développer ses services et que l'adoption de l'amendement en empêcherait le développement.

Evidemment le pouvoir législatif n'imposerait à la Banque des modifications à ses statuts ou ne mettrait fin à son existence que s'il y avait à cela des raisons d'intérêt public.

La Banque peut développer l'organisation de ses services en toute sécurité.

Ce ne serait que pour le cas où il y aurait un véritable conflit entre l'intérêt public et la Banque qu'il serait fait usage de la disposition que nous proposons d'insérer dans la loi.

Je ne veux pas insister davantage. Je regrette seulement que les honorables membres qui auront à voter sur ce point n'aient pu prendre connaissance des arguments que j'ai fait valoir dans la séance d'hier.

M. Couvreur. - A moins de croire qu'il y a parti pris de la part du gouvernement d'écarter tous les amendements, il me semble impossible que, pour repousser celui présenté de MM. Demeur et Dansaert, la Chambre se contente des arguments que vient de produire l'honorable ministre des finances.

Quels sont ces arguments ?

Que la Banque va devoir s'imposer de grands sacrifices pour réaliser toutes les améliorations que l'on nous promet en son nom.

Je voudrais bien que l'on précisât la nature et l'importance de ces sacrifices.

La Banque a-t-elle des capitaux à immobiliser ? Pas le moins du monde. Les avances qu'elle fera lui seront presque immédiatement remboursées avec des bénéfices suffisamment compensateurs.

Je comprendrais l'objection s'il s'agissait d'une entreprise aux résultats douteux, nécessitant une immobilisation de capitaux plus ou moins considérable. Une concession industrielle pour l'établissement d'une usine, d'un chemin de fer, doit se prolonger pendant un certain nombre d'années, vingt ans, trente ans et plus. Cela se comprend. Il faut bien que le capital engagé dans l'opération puisse se reconstituer. Mais ici, rien de pareil. Les avances à faire sont peu considérables et peuvent être limitées à volonté.

La Banque aura peut-être à louer ou à acheter quelques immeubles, à recruter quelques commis toujours révocables. Mettons 1 million, 2 millions. Cela peut-il justifier une concession trentenaire ?

A la rigueur, je comprendrais l'argument de l'honorable M. Malou s'il s'agissait de fonder la Banque ; s'il lui fallait organiser tous ses services, choisir et dresser son personnel, passer par une période d'essais et de tâtonnements, s'exposer à faire des écoles : elle devrait, dans ce cas, pouvoir compter sur une existence prolongée. Mais rien de pareil ne se présente aujourd'hui. La Banque connaît son personnel ; elle peut le compléter par les cadres inférieurs sans s'exposer à de grands risques ; elle connaît le pays, ses besoins ; elle a derrière elle une expérience de vingt années ; ses nouveaux services existent en germe ; elle n'a qu'à les développer.

Et remarquez, messieurs, que l'amendement ne retire pas la concession (page 1066) après la dixième année. Il dit seulement qu'après ce délai, le privilège pourra être soumis à révision.

Quant au second argument que l'honorable ministre des finances tire de l'article 25 de la loi de 1850 et du droit qu'il lui donne de provoquer la création d'une seconde banque d'émission, il ne me paraît pas plus probant que le premier. Cela revient à dire qu'il vaut mieux assassiner la Banque dans un moment d'irritation, que de l'obliger à venir, dans dix ans, à confesse auprès des pouvoirs publics.

C'est comme si le ministre de la justice venait nous dire : Je n'ai pas besoin d'un code pénal qui prévoie les crimes, les délits et les contraventions. Donnez-moi la peine de mort : cela me suffit pour assurer la sécurité publique.

L'article 25 met évidemment une arme très puissante, très redoutable entre les mains de M. le ministre des finances ; mais il n'en fera usage que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles.

On a failli le faire, en 1836 ou en 1837, vis-à-vis de la Société Générale, je le veux bien ; mais c'est qu'à ce moment, le gouvernement avait, contre la Société Générale, les griefs les plus sérieux.

Dans quelles circonstances le ministre se décidera-t-il à susciter une concurrence à la Banque ? Mais uniquement lorsqu'il aura à se plaindre d'elle au point de vue des intérêts du trésor. Les intérêts du public le laisseront beaucoup plus froid. Ira-t-il s'embarquer dans une très grosse lutte pour leur donner satisfaction ? Pour moi, j'en doute.

Par mille petits faits, la Banque peut-être en défaut vis-à-vis du public. Je prends le grief le plus insignifiant. Aujourd'hui, la Banque n'a ses bureaux ouverts que de 10 à 2 heures. (Interruption.)

Je choisis l'exemple à dessein, parce qu'il s'agit d'un détail qui gêne le public et où la Banque pourrait lui donner satisfaction. Supposons qu'elle s'y refuse obstinément. Est-ce que, de ce chef, le gouvernement ira lui susciter une concurrence et la législature décréter la création d'un second établissement d'émission, au risque de jeter une grande perturbation dans le crédit public ?

Je pourrais citer, messieurs, une foule d'autres cas où la Banque peut se montrer indifférente aux légitimes exigences du public, peu zélée à le bien servir, par la très bonne raison qu'il n'y a pas, à côté d'elle, des banques rivales. Le stimulant vers le progrès que donne la concurrence, je ne puis le trouver dans l'article 25 de la loi. Quel mal y aurait-il à l'introduire dans la loi par une disposition qui avertirait le banquier que, dans dix ans, nous pourrons revenir non seulement sur les principes de son organisation, mais aussi sur ses péchés mignons, et lui retirer son privilège si sa préoccupation constante n'est pas de l'exploiter moins au profit de ses actionnaires ou de l'Etat qu'à celui des intérêts du public ?

M. Malou, ministre des finances. - Je pense m'être conformé au désir de la Chambre en ne rappelant pas tous les arguments qui ont été produits sur cette question dans la discussion générale ; et en effet, il n'y a pas de question qui ait été traitée d'une manière plus complète que celle de la durée de la Banque Nationale.

Je n'ai donc pas présenté ces deux observations comme étant les seules, mais seulement comme deux des raisons qu'on peut donner.

J'ai parlé entre autres de l'organisation du service des dépôts libres. C'est une immobilisation considérable et non productive. C'est un service d'utilité publique. Pour que je puisse le demander à la Banque, il faut lui laisser le temps d'amortir le capital qu'elle aura à immobiliser.

Je n'espère pas convaincre l'honorable membre. Mais je m'en réfère encore une fois à la discussion qui a eu lieu.

L'honorable membre exagère et rapetisse tout à la fois le pouvoir qui résulte de l'article 25.

Dans la discussion, il a été maintes fois défini que la Banque a intérêt à bien remplir ses devoirs envers le public. Mais si elle y manquait, on peut parfaitement se servir de la menace ou de l'arme qui existe et une arme qui peut tuer, peut blesser aussi. Il n'est pas nécessaire précisément de dire que pour n'avoir pas voulu augmenter les heures de bureau, on supprimera la Banque Nationale. Ce n'est pas cela ; c'est complètement détourner les choses de leur sens naturel.

M. Pirmez, rapporteur. - Je ne veux présenter qu'une seule observation.

L'honorable M. Couvreur craint qu'on ne recule devant l'application de l'article 25 de la loi. Il dit qu'appliquer cet article, c'est prononcer la peine de mort contre la Banque Nationale ; il trouve donc le moyen mis à la disposition du gouvernement beaucoup trop rigoureux. Eh bien, ce que demande l'honorable M. Couvreur est identiquement la même chose.

Des deux côtés, la loi peut agir par les mêmes moyens et ne peut agir que par les mêmes moyens.

Si dans quelques années il s'élève des griefs contre la Banque Nationale, que pourra-t-on faire ? La menacer de créer une nouvelle banque, de lui retirer l'encaisse de l'Etat, de refuser ses billets. Et si l'avertissement ne suffit pas, on passera à l'exécution.

Mais, lors du terme de la révision proposée par l'honorable membre, qu'est-ce que la législature pourra faire, si elle est en dissentiment avec la Banque ? Mais user des mêmes moyens, sans plus et sans moins.

La différence entre ces deux situations est donc purement imaginaire ; elle n'a rien de réel.

M. Guillery. - L'idée de l'honorable M. Pirmez est celle-ci : Vous êtes armés du droit de supprimer la Banque Nationale.

Eh bien, messieurs, c'est un droit dont on ne fera pas usage. Mais si la prorogation n'est accordée que pour dix ans, la législature sera saisie, avant l'expiration de ce terme, et elle aura l'occasion de discuter de nouveau toutes les questions qui se rattachent à l'organisation de la Banque.

Quant à la question de l'existence de la Banque Nationale, la question de savoir si elle pourra continuer à exercer ses fonctions, il n'y a aucune espèce de doute ; mais ce qui me paraît être le mot de l'avenir, ce sont les améliorations à introduire dans le contrat ; or, je demande pourquoi l'on ne se réserverait pas toute liberté d'action quant à ces améliorations. On peut être bien convaincu que les intérêts du commerce et les intérêts de la Banque ne seront pas perdus de vue.

La Banque a d'autant plus de garanties à cet égard qu'elle est en possession de deux choses l'une : ou bien d'ici à dix ans, on n'aura pas trouvé d'améliorations, ou bien on en aura trouvé, comme on en a trouvé depuis que la Banque existe ; car le projet actuel constitue évidemment une amélioration, c'est que l'expérience nous a éclairés.

Tout ce que je demande, c'est que l'avenir soit sauf, c'est que les droits de la législature restent entiers et qu'elle puisse, sans recourir aux mesures rigoureuses qui sont indiquées dans l'article 25, introduire les améliorations, dont le temps aurait révélé l'utilité, dans le contrat, dans la situation de la Banque Nationale.

Cet amendement me paraît de nature à ne léser aucun intérêt, à rassurer toutes les opinions, puisqu'il leur donnera l'occasion de se produire encore La confiance même, qu'inspirent les principes admis aujourd'hui doit porter la Chambre à admettre l'amendement.

M. Frère-Orban. - Messieurs, il est difficile d'apercevoir la nuancé qui sépare la disposition de l'amendement d'avec l'article 25 de la loi.

On ne propose pas d'assigner un terme de dix ans à la Banque Nationale. Dans cette hypothèse, la question se présenterait nécessairement devant les Chambres dans un temps fixé.

On veut remettre seulement à la législature la faculté de décider, dans un délai déterminé, si elle veut innover quant à la Banque Nationale.

Or, l'article 25 donne, dans la réalité, un pouvoir semblable, non pas au ministre des finances, mais à la législature, qui peut en user sans être liée par aucun terme.

Faut-il conclure de l'amendement proposé que, pendant dix ans, on n'usera pas de la disposition de l'article 25 ?

Si l'amendement doit avoir ce sens, et l'indication du terme de dix ans autoriserait à le supposer, il serait restrictif du droit de l'Etat.

Je demande, moi, que la législature conserve le droit inscrit dans l'article 25, et qu'elle ne l'aliène ou ne l'énervé, ni pour dix ans, ni pour un an, ni pour un jour.

Si l'amendement proposé n'a pas pour objet d'ajourner pour dix ans toute innovation au sujet de la Banque Nationale, alors l'article 25 peut produire les mêmes effets que l'amendement.

Il faut donc s'en tenir à la législation actuelle.

M. Demeur. - Messieurs, l'argument tiré des immobilisations que la Banque peut avoir à faire me paraît tomber devant une simple considération ou plutôt devant un fait : la Banque a absorbé un capital important dans la construction d'un hôtel ; elle a dépensé pour cela plusieurs millions ; quand elle a fait cette dépense, la durée de son existence n'était plus que de dix ans ; elle n'avait plus la certitude de profiler du bénéfice de la loi que pour un délai de dix ans.

Eh bien, il est certain que, quelles que soient les dépenses que la Banque aurait à faire en ce moment, ces dépenses ne sauraient être aussi élevées que celles qu'elle a faites dans les conditions que je viens d'indiquer.

Je ne considère donc pas comme sérieux l'argument de M. le ministre des finances.

J'ajoute que si la Banque devait cesser d'exister, les immobilisations qu'elle aurait faites ne seraient pas perdues pour elle ; le cas échéant, la Banque céderait ses établissements à la banque qui la remplacerait.

(page 1067) M. Frère nous demande si l’amendement tend à empêcher la législature d’user du droit que lui accorde l’article 25, de créer une autre banque.

Evidemment non ; l'amendement n’a pas cette portée et il n'a pu entrer dans l'esprit de personne que l’amendement eût cette portée. L’amendement laisse subsister l'article 25 dans son entier ; désormais, dans les dix ans comme dans les trente ans, la législature aura le droit de créer une nouvelle banque de circulation. Mais l'amendement donne un autre droit à la législature. D'après l'article 25, la législature peut autoriser une nouvelle banque de circulation, mais la Banque Nationale subsistera à côté de cette nouvelle banque.

J'ai signalé hier les inconvénients d'une pareille situation.

Si jamais il y avait lieu d'ordonner la création d'une nouvelle banque, si jamais on voulait faire échec à la Banque actuelle, il faudrait avoir le droit de maintenir l'unité d'émission ; en d'autres termes, il faudrait pouvoir dire à la Banque Nationale : Si vous n'acceptez pas les conditions que proposent les pouvoirs publics, eh bien, non seulement on établira une nouvelle banque, mais encore cette banque prendra votre place.

Le texte de l'amendement que j'ai présenté - je tiens à le répéter - n'est pas de moi ; il n'est pas davantage de M. Dansaert.

Il reproduit le texte qui a été proposé en 1840, à la chambre des députés française, lorsque le gouvernement vint demander la prorogation, pour vingt-quatre ans, de la durée de la Banque de France. La commission chargée de l'examen du projet de loi a dit : Soit, la durée sera prorogée de vingt-quatre ans, mais, au bout de dix ans, le législateur aura le droit de modifier le privilège. Et le texte de l'amendement est absolument identique à celui qui a été adopté par les Chambres françaises, mot à mot, sauf que j'ai substitué au mot « privilège » le mot « institution. »

J'ai cité hier le rapport de M. Dufaure qui motive d'une manière très détaillée cette disposition. Elle a été admise par la chambre des pairs sur le rapport de M. Rossi.

Elle est devenue la loi de 1840.

Cette même disposition a été insérée en 1841 dans la loi qui a prorogé la durée de la Banque de Rouen. L'expérience est donc faite. La Chambre ne s'expose pas à se lancer ici dans des aventures.

On ne signale aucun inconvénient sérieux à l'adoption de notre proposition.

Elle réserve le droit du législateur, le droit du pays.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je déclare que la discussion est close sur l'amendement.

Je vais le mettre aux voix.

- Des membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé à l'appel nominal.

92 membres y prennent part.

53 répondent non.

38 répondent oui.

1 s'abstient.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu non :

MM. de Vrints, de Zerezo de Tejada, Drubbel, Elias, Frère-Orban, Funck, Houtart, Jacobs, Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Piedbœuf, Pirmez, Puissant, Reynaert, Royer de Behr, Sainctelette, Schollaert, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Verbrugghen, Warocqué, Wouters, Anspach, Bara, Biebuyck, Boulenger, Crombez, d'Andrimont, de Baets, de Clercq, De Fré, de Haerne, Delcour, De Lehaye, de Liedekerke, de Macar, de Moerman d'Harlebeke, de Muelenaere, de Rossius et de Theux.

Ont répondu oui :

MM. Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Janssens, Jottrand, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lefebvre, Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Pety de Thozée, Rogier, Simonis, Tack, Thienpont, Thonissen, Van Wambeke, Verwilghen, Léon Visart, Wasseige, Balisaux, Berten, Boucquéau, Coremans, Cornesse, Couvreur, Cruyt, Dansaert, David, Defuisseaux, Delaet, de Lhoneux, Demeur, de Naeyer, de Smet, Dethuin et Thibaut.

S'est abstenu :

M. Jamar.

M. le président. - M. Jamar est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Jamar. - Ma situation de directeur de la Banque Nationale et la part que j'ai prise aux négociations qui ont donné naissance au projet de loi dont la Chambre s’occupe en ce moment, m'ont obligé de m'abstenir.

Article premier, deuxième aliéna

M. le président. - Nous passons au n°2. Il est ainsi conçu :

« Le capital de la Banque Nationale sera porté à 50 millions de francs. »

Ici vient un amendement de M. Dansaert.

M. Dansaert. - Je le retire, M. le président.

M. le président. - Ici viennent les amendements de M. Balisaux se rapportant à ce numéro.

Ils sont ainsi conçus :

Ajouter au n°2° de l'article premier la disposition suivante : « Pour autant que l'extension des opérations l'exige et la direction de la Banque entendue, le gouvernement se réserve, en tous temps, la faculté d'ordonner l'augmentation dudit capital. »

Ajouter au n°2° de l'article premier la disposition suivante : « Les versements nécessaires pour porter le capital social de la Banque à cinquante millions de francs se feront par l'Etat qui recevra, en compensation, vingt-cinq mille actions semblables à celles des autres actionnaires.

« Les actions ainsi acquises par l'Etat seront aliénées publiquement au mieux des intérêts du trésor public. »

M. Demeur. - J'ai à parler pendant une heure environ sur cette disposition.

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, à l'heure où nous sommes arrivés, il est impossible d'en finir avec le projet de loi, d'autant plus que l'honorable M. Demeur nous annonce un discours assez long sur un seul point.

Faut-il une séance du soir ? Faut-il voter dans cette séance du soir ou préfère-t-on remettre la suite de la discussion a vendredi ?

Je désirerais, messieurs, comme l'ordre du jour est encore fort chargé, que la Chambre voulût bien se réunir ce soir, continuer la discussion et, s'il est possible, voter le projet de loi.

Voilà la proposition que je fais.

M. Defuisseaux. - On ne sera pas en nombre.

M. Malou, ministre des finances. -Si le vote a lieu ce soir, on sera en nombre.

M. le président. - M. le ministre des finances propose de se réunir ce soir et de voter, si c'est possible, le projet de loi aujourd'hui même.

La Chambre adopte-t-elle cette proposition ?

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. le président. - Il en sera donc ainsi.

- La séance «st suspendue à 5 heures et reprise à 8 heures et un quart.

M. le président. - La parole est à M. Demeur.

M. Demeur. - Je demanderai, M. le président, qu'on veuille bien attendre que la Chambre soit en nombre. Je crois qu'il n'y a que 29 membres présents. Hier j'ai parlé devant un nombre égal de membres. Cela n'est pas normal, puisque la Chambre doit voter après m'avoir entendu.

M. de Theux, membre du conseil des ministres. - Messieurs, je dois faire remarquer à la Chambre qu'il n'est pas d'usage pour la séance du soir, qui n'est que la continuation de la séance du jour, que la Chambre soit en nombre. On arriive successivement, peu à peu, et on finit par être,en nombre pour voter.

- La séance est suspendue pendant quelques minutes.

M. le président. - Je crois, M. Demeur, que vous pouvez commencer.

M. Demeur. - Je préfère, M. le président, ne pas parler que de parler devant 30 membres.

M. Muller. - Vous disiez que vous aviez parlé hier devant 29 membres.

M. Demeur. - C'est parce que j'en ai vu l'inconvénient que je ne veux plus recommencer aujourd'hui.

- La séance est de nouveau suspendue pendant quelques instants.

M. Demeur. - Messieurs, j'ai demandé la parole sur la disposition de l'article premier du projet, aux termes de laquelle le capital de la Banque Nationale sera porté à 50 millions, ainsi que sur l'amendement de l'honorable M. Balisaux tendant à ajouter à cette disposition : « Pour autant que l'extension des opérations l'exige, et la direction de la Banque entendue, le gouvernement se réserve, en tout temps, la faculté d'ordonner l'augmentation dudit capital. »

Mon intention est de justifier ces deux propositions.

(page 1068) Je n'ignore pas que la première disposition, celle proposée par le gouvernement, n'a pas besoin, aux yeux de la Chambre, de justification. Mais comme les raisons qui militent, selon moi, en faveur de l'augmentation du capital de la Banque exigent aussi que l'on se réserve le droit d'ordonner l'augmentation du capital pendant les trente ans de la durée de la Banque, je n'allongerai pas le débat en justifiant la disposition présentée par le gouvernement.

Cette disposition doit être mise en rapport avec celle qui permet à la Banque d'employer sa réserve autrement qu'en fonds publics, c'est-à-dire à réaliser les fonds publics qui composent cette réserve.

Elle doit être mise aussi en rapport avec l'article 4 du projet, aux termes duquel les fonds disponibles du trésor, excédant les besoins du service, seront placés désormais en valeurs commerciales, par les soins de la Banque, au profit du trésor public.

Il est acquis, dès à présent, par les déclarations de l'honorable ministre des finances confirmant les données que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre, que la Banque, depuis vingt et un ans, a employé, en moyenne, dans ses affaires, près de 50 millions provenant de l'encaisse de l'Etat ; cette somme a contribué depuis vingt et un ans à former l'encaisse métallique de la Banque et son portefeuille.

L'honorable ministre des finances a dit à tort que j'avais indiqué le chiffre de 70 millions de francs comme moyenne de l'encaisse de l'Etat depuis vingt et un ans ; le chiffre que j'avais indiqué, en prenant la situation au 31 décembre de chaque année depuis vingt et un ans, est de 49,800,000 francs et celui de l'honorable ministre des finances est de 47 millions.

Il est acquis aussi que le trésor public ayant une encaisse d'environ 50 millions, l'Etat pourrait faire placer par la Banque environ 30 millions en valeurs commerciales. C'est bien cela qui a été déclaré par l'honorable ministre des finances.

S'il en est ainsi, l'encaisse nécessaire aux besoins de la trésorerie se trouve être, comme je l'avais indiqué, d'environ 20 millions.

Mais, messieurs, l'encaisse du trésor n'est pas actuellement de 50 millions ; il est de 70 millions ; et en moyenne, depuis six ans, il a été de 70 millions.

La conclusion que je tire de ces chiffres, c'est que l'encaisse étant ce qu'elle est actuellement, l'Etat aura à retirer de la Banque, pour les faire placer par elle en valeurs commerciales, 50 millions.

Je suis d'avis que, grâce à l'augmentation du capital ordonnée par le projet de loi, grâce à l'autorisation de réaliser les fonds publics de sa réserve, la Banque trouvera dans ses ressources le moyen de placer ces fonds disponibles du trésor public excédant les besoins des services en valeurs commerciales étrangères.

En effet, la réserve actuelle est de 16 millions ; la portion du capital à fournir par les actionnaires, et qui n'est pas prise sur la réserve, est de 15 millions ; la Banque possède pour 5 millions de valeurs étrangères. Nous arrivons ainsi à un chiffre de 36 millions.

Il faut remarquer, en outre, que la disparition au passif de la Banque, d'une somme de 50 millions, du chef du compte courant de l'Etat, l'autorise à diminuer son encaisse du tiers environ de cette somme, et qu'ainsi elle pourra, au moyen de ses ressources actuelles, toutes choses restant pour le surplus ce qu'elles sont aujourd'hui, faire la somme nécessaire à l'exécution de l'article 4 du projet..

Ceci vous montre que l'augmentation du capital de la Banque était indispensable ; car, je le demande, où aurait-elle trouvé les ressources nécessaires pour exécuter la disposition de l'article 4 si le capital n'avait pas été augmenté ? Elle n'aurait pu le faire qu'en diminuant outre mesure son encaisse métallique ou bien en réduisant son portefeuille, c'est-à-dire en privant le commerce d'une portion notable des escomptes qu'elle est appelée à lui faire.

Le capital doit donc être augmenté rien qu'à ce point de vue.

Mais, remarquez-le, messieurs, aucune augmentation de capital ne nous est proposée, à raison de l'extension future des opérations de la Banque.

Après l'application des dispositions qui nous 'ont proposées, les ressources de la Banque seront ce qu'elles sont aujourd'hui ; son capital aura été augmenté, mais l'augmentation aura servi uniquement à restituer une portion des fonds du trésor public qu'elle emploie à son profit et qui sera appliquée désormais au profit du trésor.

Mais, messieurs, dans l'avenir il y aura inévitablement une augmentation des opérations de la Banque. Il n'est pas douteux que, dans la période de trente ans qui va s'ouvrir, le commerce augmentera considérablement ses escomptes ; il n'est pas douteux que l'émission de la Banque augmentera et que, pour l'exécution de ses engagements, la Banque devra avoir une encaisse plus grande que celle qu'elle possède aujourd'hui.

J'ai appelé l'attention de la Chambre sur la situation actuelle de la Banque Nationale ; j'ai dit : D'après son bilan de ces derniers jours, la Banque ne pourrait pas se voir réclamer 25 millions en espèces sans se trouver en dehors des dispositions de ses statuts.

Si on lui réclamait 25 millions en espèces, c'est-à-dire 7 p. c. du montant de son passif exigible, elle se trouverait dans des conditions qui aujourd'hui ne sont pas permises par ses statuts.

L'honorable M. Pirmez a trouvé cette observation étrange. Il a dit : Vous trouvez dangereux que la Banque Nationale n'ait qu'une encaisse de 30 p. c. de son passif exigible, mais il y a eu des circonstances dans lesquelles l'encaisse des autres banques est descendue bien en dessous de 50 p. c. et l'honorable membre a eu la bonté de m'apprendre qu'en 1864, par exemple, la Banque de France a vu réduire son encaisse à 16 p. c.

Mais, messieurs, il y a une chose que l'honorable membre n'a pas remarquée, c'est que dans l'état actuel des choses, dans l'état de choses que j'avais en vue au moment où je parlais, l'encaisse de la Banque ne peut pas, d'après ses statuts, descendre à 16 p. c. de son passif exigible. Elle ne peut descendre qu'à 25 p. c. au strict minimum. C'est cette situation que je signalais comme dangereuse.

Je disais : L'écart entre l'encaisse actuelle de la Banque et l'encaisse exigée par les statuts est réduit à une somme de 25 millions, qui dans un moment de crise serait bien insuffisante pour parer aux besoins, puisque, en quatre jours, on lui a demandé, en juillet 1870, le remboursement de 24 millions de billets.

L'observation de l'honorable M. Pirmez manque donc de base.

La Banque Nationale, dans ses conditions actuelles, ne peut pas faire ce que la Banque de France peut faire, c'est-à-dire descendre son encaisse à 10 p. c. L'encaisse ne peut être inférieure à 25 p. c. de son passif exigible. Cette disposition, que l'on a introduite dans les statuts de la Banque Nationale, ne se trouve pas dans ceux de la Banque de France.

M. Pirmez. - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Demeur. - J'aime mieux la réponse que m'a fait indirectement l'honorable M. Malou. L'honorable ministre a compris le danger de cette situation ; car il nous a annoncé que, parmi les modifications qu'il se propose d'introduire aux statuts de la Banque Nationale, figurera notamment la disparition de l'article 13 des statuts, en tant qu'il ne permet pas à la Banque d'avoir une encaisse inférieure au quart de ses engagements exigibles.

Nous ne nous retrouverons donc plus dans la situation de 1870, lorsque la Banque disait : Mais je suis chaque jour à la veille d'atteindre le minimum statutaire de mon encaisse, je ne pourrai plus marcher légalement si mon encaisse diminue encore de quelques millions !

Messieurs, je dois le dire, j'approuve la modification que l'honorable ministre des finances se propose d'apporter, sous ce rapport, aux statuts. La situation, telle qu'elle est réglée par les statuts de la Banque, est véritablement illogique. Voyez, en effet ; on dit à la Banque : Vous conserverez une encaisse qui représentera tout au moins, au strict minimum, le quart de vos engagements exigibles.

Pourquoi fait-on cela ? Evidemment pour avoir la garantie que la Banque Nationale remplira ses engagements, qu'elle sera en mesure de rembourser à la première demande ses billets et les sommes qu'elle doit en compte courant, mais en même temps on lui dit : Vous conserverez toujours au minimum cette somme en caisse, vous ne pourrez pas vous en servir !

II y a donc une véritable contradiction dans les statuts.

L'institution, dans les conditions où elle se trouve aujourd'hui, n'a pas l'élasticité nécessaire au mouvement des affaires, aux exigences du commerce, aux exigences qui naissent des demandes de remboursement en temps de crise.

Mais, messieurs, si j'approuve la modification qui est proposée, il ne s'ensuit pas qu'il y ait lieu, d'après moi, de maintenir, en temps normal, l'encaisse à un chiffre moins bas qu'aujourd'hui, qu'il faille descendre encore la proportion existante entre l'encaisse métallique et les engagements de la Banque.

Je comprends parfaitement qu'en temps de crise, il convienne de puiser à pleines mains dans ce réservoir de l'encaisse métallique, mais, en temps calme, il faut, autant que possible, conserver à un certain degré d'élévation le niveau de ce réservoir.

Messieurs, on m'a dépeint ici comme le partisan des encaisses (page 1069) exorbitantes, M. Demeur s'extasie, a dit M. Pirmez, devant l’encaisse de la Banque d'Amsterdam, qui est de 80 p. c. de son passif exigible, J'ai dit précisément le contraire.

J'ai dit qu'autant la situation de la Banque Nationale, surtout en présence de l'article 13 de ses statuts, me paraissait dangereuse lorsque son encaisse, en temps normal, descend à 30 p. c. de son passif exigible, autant il y a excès de prudence de la part de la Banque d'Amsterdam, lorsqu'elle conserve en caisse 80 p. c. de son passif exigible.

La nécessité de maintenir l'encaisse, en temps calme, à un niveau convenable est considérée par tous les économistes comme la première de toutes les garanties contre les éventualités redoutables qui peuvent résulter d'une crise commerciale, financière ou politique.

Voyez, messieurs, ce que nous dit un de nos compatriotes qui a écrit sur la matière un travail spécial. M. De Laveleye, dans son ouvrage intitulé : Le marché monétaire et ses crises depuis cinquante ans, recherche les remèdes contre les crises.

Tout un chapitre est consacré à démontrer que le premier remède, c'est la conservation d'un grand approvisionnement de numéraire surtout dans les caisses des banques !

Parlant de l'Angleterre, il dit :

« Les deux écoles économiques qui se partagent l'opinion au sujet de la circulation sont d'accord sur ce point. On sait ce qu'a fait l'école de Mac-Culloh par son représentant au pouvoir, Robert Peel, en vue d'assurer à la Banque une forte réserve. Tooke, le chef de l'école adverse, est aussi d'avis que les banques devraient toujours conserver un approvisionnement métallique très considérable. C'est le dernier mot de sa fameuse Histoire des Prix. »

Et M. Wolowski, rendant compte de l'ouvrage de M. De Laveleye dans la Revue des économistes, s'exprime comme suit : « Ainsi donc, éviter d'étendre d'une façon artificielle la circulation fiduciaire et conserver, dans les caisses des institutions de crédit, de larges approvisionnements métalliques, telle est la première mesure de prudence que conseille l'expérience du passé. Cette conclusion de M. De Laveleye nous paraît inattaquable. »

C'est à cette conclusion, messieurs, que j'ai aussi abouti et j'ai recherché les moyens de conserver à la Banque une encaisse métallique qui assure, en temps de crise, le remboursement de ses billets et le payement des sommes qu'elle doit en compte courant. Parmi ces moyens, j'ai indiqué la nécessité d'un capital élevé.

Mais ici, messieurs, je suis arrêté par M. Frère-Orban. M. Frère-Orban est d'avis qu'il n'y a aucune corrélation entre le capital de la Banque et son encaisse, il en a cherché la démonstration d'abord dans ce qui s'est passé lors de l'établissement de la Banque Nationale.

Voyez, dit-il ; la Banque Nationale s'installe ; son capital versé est de 15 millions ; mais ce capital disparaît aussitôt de la Banque, il s'évanouit.

En effet, en exécution des conventions qui ont préparé sa formation, la Banque Nationale devait ouvrir un crédit de 20 millions à la Société Générale, pour l’aider au retrait de ses billets à cours forcé ; ce crédit est réalisé à concurrence de 9 millions ; en même temps, l'Etat demande à la Banque de lui prendre des fonds publics pour 5,837,300 francs. Donc 9 millions d'un côté et 5,837,300 francs de l'autre, et il ne restait plus rien du capital de la Banque ; il n'est plus à la Banque, il a disparu.

Messieurs, je ne veux pas contredire les chiffres qui sont ici indiqués. Je note seulement que le crédit ouvert à la Société Générale a été réalisé, à concurrence de 5 millions et non de 9 millions. Mais je laisse de côté cette rectification ; je prends les indications données par l'honorable M. Frère-Orban.

M. Frère-Orban. - Voyez le compte rendu de la Banque.

M. Demeur. - Voici le compte rendu de la Banque sur l'année 1851 :

« Il avait été retiré, au 31 décembre 1851, pour 9,355,000 francs, de sorte qu'il restait à cette époque en circulation pour 10,645,000 francs.

« Sur ces 9,355,000 francs, la Société Générale a fait seulement débiter de 3,000,000 de francs le compte à 3 p. c. qui lui a été ouvert, en vertu de l'article 10 de la convention du 18 décembre et elle a remboursé 6,355,000 francs.

« Depuis cette époque, de nouveaux retraits ont été opérés pour une somme totale de 4,990,000 francs que la Société Générale a remboursés aussi, sauf 210,000 francs dont elle a fait débiter son compte. »

Le rapport sur les opérations de l'exercice 1852 constate qu'après avoir fait débiter son compte jusqu'à concurrence de 5 millions de francs, la Société Générale a repris ses remboursements et cette somme de 5 millions a été, d'après les rapports de la Banque, le maximum du crédit réalisé.

Mais je laisse de côté cette rectification ; je prends les chiffres de l'honorable M. Frère et je demande si nous trouvons là la démonstration qu'une banque peut s'installer et fonctionner sans capital.

L'honorable membre a oublié une chose : c'est que le 1er janvier 1854, lorsque la Banque Nationale s'est installée, elle a reçu de la Société Générale une somme de 14 millions, formant l'encaisse du trésor public. Or, c'est toujours là le nœud de la situation en ce qui concerne la Banque Nationale. La Chambre sait que le trésor public est intervenu pour une part beaucoup plus grande que le capital de la Banque, depuis l'origine da cet établissement et en permanence, dans les ressources de cette institution. L'encaisse du trésor public versée à la Banque le 1er janvier, au jour de son installation, était de 14 millions ; à la fin de l'année, il était de 23 millions.

L'honorable membre continue et il dit :

« Et voici bien plus fort : dans le cours de l'année, le gouvernement fait un emprunt de 26 millions, et à cette même Banque qui a ouvert un crédit de 9 millions qui a acheté des fonds publics pour 5,800,000 francs, le gouvernement vient proposer de prendre une partie de l'emprunt qu'il avait l'intention d'émettre.

« Et la Banque en prend pour 8 millions. Mais elle ne s'arrête pas là. Elle continue ses extravagances ; elle achète des fonds publics pour 5,600,000 francs. »

Mais, messieurs, l'explication de cette situation se trouve aussi dans la situation de l'encaisse du trésor.

L'Etat, au mois de janvier 1852, fait une convention avec la Société Générale, M. de Rothschild et la Banque Nationale pour l'émission d'un emprunt de 26 millions, et la Banque Nationale en prend pour 8 millions. C'est parfaitement exact, mais voici ce qui se produit : l'encaisse de l'Etat, qui n'était que de 14 millions au moment de l'installation de la Banque et de 23 millions à la fin de 1851, se trouvait être au mois de février 1852 de 34 millions, au mois de mars de 38 millions, au mois d'avril de 40, au mois de mai de 43 et au mois de juin de 45 millions, et vous comprenez parfaitement la situation : la Banque prête à l'Etat 8 millions moyennant intérêt, mais les fonds de l'emprunt ne sortent pas de sa caisse et, en définitive, c'est l'argent du trésor qui sert à prêter ces 8 millions à l'Etat !

M. Frère-Orban. - Et comment fait-on le service public ?

M. Demeur. - Il ne faut pas une encaisse de 44 millions pour le service du trésor public. (Interruption.)

Les chiffres que je viens de citer sont empruntés à un document fourni par le gouvernement, en 1870, lorsque, pour la première fois dans cette Chambre, j'ai protesté contre l'emploi abusif des fonds de l'Etat dans les opérations de la Banque.

On cherche un autre argument ; on dit : Voyez la Banque d'Angleterre ! la Banque d'Angleterre n'a pas un sou dans ses affaires ; son capital a été aliéné au profit de l'Etat ; elle opère uniquement avec son crédit.

Cet exemple aurait une force probante, si l'institution de la Banque d'Angleterre avait été le fruit d'une théorie raisonnée.

Mais, messieurs, tout le monde sait dans quelles conditions la Banque d'Angleterre a été fondée. L'Angleterre était en guerre et c'est précisément pour procurer des ressources à l'Etat que le privilège de la Banque a été octroyé.

C'est sous la pression de circonstances exceptionnelles que le capital de la Banque a été prêté à l'Etat à mesure que ce capital s'est développé ; ce n'a pas été dans l'intérêt de la Banque, ni dans l'intérêt du commerce. L'Angleterre subissait une nécessité impérieuse.

Autre considération. Les opérations de la Banque d'Angleterre sont bien loin d'être aussi importantes que celles de la Banque Nationale, toute proportion gardée.

Le portefeuille de la Banque d'Angleterre n'est actuellement que de 525 millions de francs, tandis que le portefeuille de la Banque Nationale s'élève à 250 millions !

J'ajoute qu'en Angleterre on a constamment critiqué cette situation. Les hommes les plus compétents ont attribué à cette situation les crises nombreuses qu'a subies la Banque d'Angleterre, et cela aussi explique les mesures qui ont été prises en 1844 et qui, en définitive, ont restreint le privilège de la Banque d'Angleterre.

En effet, si la Banque d'Angleterre peut émettre des billets d'abord pour 350 millions de francs, sans autre couverture que son capital de (page 1070) pareille somme prêté à l’Etat, il faut ajouter que, outre cette émission, elle ne peut émettre un seul billet sans qu'il soit couvert par du métal.

Voila la situation de la Banque d'Angleterre ; elle n’est pas comparable à celle de la Banque Nationale qui peut émettre des billets dans une proportion bien plus considérable.

Essayez donc d'appliquer les principes qui régissent la Banque d'Angleterre à la Banque Nationale.

Avec un capital de 50 millions, la Banque Nationale pourra émettre pour 50 millions de billets, et pour chaque billet émis ensuite elle devra avoir une encaisse correspondante. Son encaisse métallique actuelle étant de 100 millions, l'émission des billets ne pourrait dépasser 150 millions de francs, tandis que déjà aujourd'hui l'émission atteint près de 250 millions.

Vous le voyez, messieurs, l'émission de la Banque Nationale n'est pas limitée comme celle de la Banque d'Angleterre, et il n'y a aucune comparaison à faire entre les deux Banques à ce point de vue.

Enfin, messieurs, l'honorable M. Frère-Orban a tiré argument des services que la Banque Nationale a rendus au commerce en 1870 ; je ne veux pas revenir sur les détails de ce qui s'est passé à cette époque ; je me borne à rappeler qu'au moment où cette situation se présentait, la Banque Nationale avait à sa disposition 88 millions de fonds appartenant au trésor public. C'est donc, en définitive, avec les fonds du trésor qu'elle a pu rendre les services qu'elle a rendus au commerce.

Cette situation n'existera plus à l'avenir... (Interruption.) à moins qu'on ne dise que l'Etat continuera à fournir à la Banque le capital qui lui sera nécessaire. La situation sera tout à fait changée.

M. Pirmez, rapporteur. - Elle sera exactement la même. Je demande la parole.

M. Malou, ministre des finances. - Ce n'est pas là la discussion de l'article.

M. Demeur. - Je n'ai plus, sur ce point, que quelques mots à ajouter.

L'honorable M. Frère-Orban a soutenu que la thèse que nous défendons n'était soutenue par aucun économiste sérieux. Je tiens en mains un travail de M. Michel Chevalier, qui s'occupe du livre publié par M. Horn, et voici en quels termes il s'explique sur l'opinion défendue ici par l'honorable M. Frère-Orban. Il indique quels sont les paradoxes en matière de banque qui se trouvent réfutés dans l'ouvrage de M. Horn.

« Le second paradoxe, dit-il, auquel j'ai fait allusion, est celui-ci : qu'une banque n'a pas besoin d'engager son capital dans ses affaires, que le capital fourni par les actionnaires n'est qu'un cautionnement et ne peut avoir utilement d'autre destination. S'il y a une vérité élémentaire, c'est que, pour exercer une industrie ou un commerce quelconque, il est nécessaire d'avoir un capital qu'on engage dans ses affaires. Le porteur d'eau, le marchand d'allumettes ont un capital ainsi engagé ; sans cela, ils ne pourraient procéder à leur petit négoce. Il serait un peu fort, on en conviendra, qu'il fût possible d'exercer, sans y mettre du sien, une industrie aussi grande que celle des banques.

« Il est vrai que les grandes banques privilégiées, comme la Banque d'Angleterre et la Banque de France, et même des banques moindres, ont, pour faire leurs affaires, une ressource effective dans les fonds qui leur sont livrés en dépôt par les particuliers et même par les gouvernements.

« Ces dépôts, en effet, constituent une somme importante. Pour la Banque d'Angleterre, elle excède 300 millions, et pour la Banque de France, elle va communément à 200 millions. Mais cette ressource ne laisse pas d'être précaire. Les déposants peuvent retirer leurs fonds à volonté, et l'importance des dépôts est sujette à de fortes variations. Pour un grand établissement donc, ce n'est pas une base d'opération suffisamment affermie.

« La sagesse dit qu'une banque doit se servir dans ses affaires, pour la bonne marche de celles-ci, non seulement des sommes qui lui sont confiées en dépôt, mais aussi de son capital propre. Ainsi, les banques d'Ecosse reçoivent des dépôts d'une grandeur peu commune. M. Horn dit que la plus basse évaluation qu'on en puisse faire, c'est de les porter à un milliard de francs, c'est-à-dire qu'ils sont plus que triples de ceux qui échoient à la Banque d'Angleterre et quintuples de ceux de la Banque de France.

« Avec une si grande quantité de dépôts, les banques d'Ecosse n'en ont pas moins un fort capital, qu'elles emploient dans leurs affaires, qu'elles font manœuvrer pour le succès de leurs opérations. Si toutes les banques étaient organisées sur le même plan que celles de l'Ecosse, si elles avaient de même un fort capital, si de même elles s'arrangeaient de manière à y joindre une masse de dépôts que le public leur aurait librement confiés, elles feraient beaucoup de bien, parce qu’elles auraient beaucoup plus de puissance. Or, trop fréquemment leur impuissance a été flagrante.

« Beaucoup de personnes ont été jusqu'à dire que, par leur manière de faire, les grandes banques avaient provoqué des crises ; c'est ce qui a été imprimé cent fois contre la Banque d'Angleterre. Il est au moins vrai qu'elles ont été impuissantes à prévenir les crises ou à en empêcher les rigueurs. Il n'y a pas pour elles d'autres moyens de bien fonctionner et de rendre au public tous les services que l'institution comporte, que d'avoir de grands moyens d'action. Il est indispensable qu'elles aient des ressources considérables bien disponibles. La théorie du capital-cautionnement croule devant cette nécessité. » (Journal des économistes ? année 1866, tome III, page 354.)

Voilà, messieurs, l'opinion d'un économiste qui a toujours passé pour une autorité ; et je tiens ici l'opinion d'autres écrivains. Mais je ne veux pas fatiguer la Chambre par des lectures.

Je dis donc, messieurs, qu'une banque comme la Banque Nationale doit avoir un capital en rapport avec ses opérations, non pas au point de vue des risques, puisque nous sommes d'accord que la Banque ne doit pas courir de risques.

Au point de vue des risques, le capital serait inutile ; c'est au point de vue de l'engagement qu'elle prend de rembourser à vue ses billets et de rembourser ses comptes courants à la première demande.

Lorsque la Banque forme son encaisse à l'aide des dépôts, son établissement repose, ainsi que le dit M. Michel Chevalier, sur une base précaire.

En effet, cette encaisse peut lui être enlevée à tout moment.

La seule ressource permanente de la Banque, la seule qui ne puisse pas lui être enlevée, en temps de crise non plus qu'en temps ordinaire, c'est son capital, c'est la somme fournie par ses actionnaires. Je le sais bien : les grandes banques, comme la Banque Nationale, comptent, pour les circonstances périlleuses, sur l'intervention de l'Etat, c'est-à-dire sur l'intervention de l'argent des contribuables. Les actionnaires résistent à fournir le capital nécessaire. Il faut que les contribuables mettent dans la caisse de la Banque les sommes qui doivent lui éviter les périls.

Quelle est la grande objection que l'on fait au développement du capital ?

On dit : Mais le capital sera improductif, sauf en temps de crise ; à quoi bon laisser improductives, souvent pendant des périodes très longues, des sommes considérables ? La saine économie politique exige que les capitaux ne restent pas improductifs. Je m'étonne, messieurs, d'entendre cette argumentation dans la bouche de l'honorable M. Frère-Orban. Comment peut-il justifier le développement qu'il a donné à l'encaisse de l'Etat, alors qu'il était ministre ? Evidemment, l'Etat n'ayant pas besoin de 80 millions, ni même de 50 millions, pour le service de la trésorerie, l'encaisse n'a été élevée à ce taux que dans un seul but ;afin que, dans un moment de crise, au jour du péril, l'Etat ait sous la main une somme considérable pour parer aux événements..

Eh bien, je demande que les actionnaires de la Banque Nationale fassent éventuellement un sacrifice analogue ; puisqu'ils retirent la plus belle part des bénéfices, je demande qu'ils fournissent eux-mêmes à la Banque tous les fonds dont elle a besoin pour ses opérations.

L'amendement de l'honorable M. Balisaux, que je défends en ce moment, est pris textuellement dans la loi relative à la Banque d'Amsterdam. Par cette loi, le gouvernement s'est réservé en tout temps le droit d'augmenter le capital si les circonstances l'exigent.

C'est ce que nous demandons aussi ; nous demandons que, le cas échéant, si dans le cours des trente années la nécessité se fait sentir d'augmenter le capital, le gouvernement ait le pouvoir d'ordonner cette augmentation et que le pays ne soit pas livré à la discrétion des actionnaires.

M. Malou, ministre des finances. - Il n'entre pas dans les habitudes de la Chambre de rouvrir la discussion générale à propos de chaque article.

Le discours que vous venez d'entendre est véritablement un discours de discussion générale ; la Chambre comprendra que je trouve superflu, maintenant surtout que les convictions sont formées, de suivre l'honorable membre dans les développements qu'il vient de donner de nouveau.

Le capital de la Banque Nationale, malgré le développement de ses opérations, est aujourd'hui suffisant, étant fixé au chiffre de 25 millions.

(page 1071) Nous proposons de le doubler et, successivement, il s’accroîtra par la dotation assignée à la réserve.

Faut-il plus et autre chose ?

C'est ce qu'il fallait démontrer et c'est ce que l'honorable membre a oublié de démontrer.

Cette question, messieurs, a été agitée précédemment.

Le rôle du capital dans le mécanisme d'une banque d'émission a été défini et, en consultant l'expérience et ce qui existe dans toutes les banques d'émission qui fonctionnent régulièrement, il est bien démontré que la circulation venant même, dans la suite des temps, a être doublée, c'est-à-dire à être portée à 500 millions, le fonctionnement de la Banque Nationale serait parfaitement facile et régulier, moyennant le capital de 500 millions que nous proposons, de par le projet, de lui attribuer.

Or, messieurs, il resterait démontrer que cela n'est pas, pour pouvoir soutenir l'amendement.

L'honorable membre, se faisant l'avocat d'office de l'amendement de l'honorable M. Balisaux, a, je le répète, oublié de nous fournir cette preuve. Il est rentré, à tous égards, dans la discussion générale, qui est close.

A défaut de cette preuve, je demande à la Chambre de rejeter l'amendement. Je crois même que l'honorable M. Balisaux ne s'en plaindra pas trop vivement.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Demeur. - Hier on avait demandé la clôture de la discussion générale. Comme mes observations s'appliquaient uniquement à la question du capital, je les ai réservées pour le moment où l'article relatif à cette question devait être discuté.

Je ne comprends donc pas que l'honorable M. Malou prétende que j'aurais dû produire mes observations dans la discussion générale.

L'article s'occupe du capital et je n'ai pas parlé d'autre chose.

M. le président. - Nous passons au vote sur le n°2 de l'article premier. C'est ici que viennent les amendements de M. Balisaux.

M. Balisaux. - Je les retire.

M. Demeur. - Je demande la parole.

Puisque M. Balisaux retire ses amendements, je propose l'amendement suivant : « L'augmentation du capital pourra, si l'extension des opérations l'exige, être ordonnée par la loi. »

M. le président. -Je mets d'abord aux voix le n°2 ; il est ainsi conçu :

« 2° A l'article 4 : Le capital de la Banque sera porté à 50 millions. »

- Adopté.

M. le président. – C’est ici que vient l'amendement proposé par M. Demeur.

- Cet amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.

« 5° A l'article 6 : La retenue pour constituer la réserve sera de 15 p. c. des bénéfices excédant 6 p. c. »

- Adopté.


« A l'article 7 : Le quart du même excédant est attribué à l'Etat. »

M. le président. - C'est ici que vient l'amendement de M. Julliot ; cet amendement consiste à ajouter au n°4 les mots suivants : « qui aura en plus un 1/2 p. c. sur l'émission fiduciaire dépassant 250 millions. »

M. Julliot. - Messieurs, après avoir écouté les discours pour, contre et sur la Banque Nationale, comme ceux qui ont été semés, sans espoir de récolte, à côté de cette question, je conclus que cette Banque est une charade à chiffres qu'on manie comme les pièces d'un échiquier, une espèce de Colin-Maillard où chacun tâtonne pour saisir la vérité, et la discussion finira en laissant à chacun ses convictions.

Je conviens que mes deux amendements réunis peuvent paraître un peu roides. Mais des financiers pratiques,, se basant sur le passé et le présent de cette Banque, lui promettent un avenir de prospérité très considérable et c'est à ce point de vue que je veux faire participer l'Etat à cette bonne aubaine.

La Banque doit conserver une haute confiance, et si mes amendements pouvaient nuire sous ce rapport, je ne les aurais pas présentés, mais il n'en est rien.

Messieurs, l'honorable M. Malou, avec l'autorité de parole qu'on lui reconnaît, a fait un de ces discours complets et imagés qui font toujours fortune, et, pour en finir tout de suite, l'honorable ministre a choisi l'heure la plus propice aux influences, car il a parlé après dîner.

L'honorable M. Malou a assez malmené mes deux amendements et un peu ma personne.

Mais mon admiration pour les hommes d'esprit est telle, que quand je me trouve atteint par leurs plaisanteries bien placées, je ne m'en fâche même pas, et la preuve, c'est qu'en sortant de cette séance, je disais à l’honorable M. Boucquéau : Ne vous semble-t-il pas que M. Malou nous a embobinés un peu tous les jours ?

Mais l’honorable membre ne voulait pas en convenir.

L'honorable ministre m'a honoré d'une longue réfutation ; ce qui ferait croire qu'il a pensé que mes propositions auraient pu être agréées par un certain nombre de membres ; aussi quand un factum est long, c'est que l'exacte vérité n'est pas facile à démêler.

Je trouve donc toujours que cette Banque, qui fait onze cents francs de prime par action, n'est pas tant à plaindre et n'a rien à craindre.

Messieurs, j'ai développé mes amendements dans mon premier discours, par mon premier amendement, je propose d'attribuer à l'Etat un demi pour cent sur l'émission fiduciaire dépassant 250 millions et l'honorable M. Malou, évaluant le surplus de l'émission à 50 millions, a reconnu que de ce chef l'Etat percevrait un revenu annuel de 250,000 francs ; mais, messieurs, l'émission en présence du doublement du capital ne s'arrêtera pas là et plus l'émission s'étendra, plus considérable sera le bénéfice des actionnaires ; ceci du moins est clair dans cette affaire, et le décompte avec l'Etat sera facile à faire.

D'ailleurs je ne suis pas le premier coupable. C'est dans un discours de l'honorable M. Pirmez que j'ai pris l'idée, quand, à cette Chambre, il a dit, dans la séance du 1er mai :

« Il me paraît que pour cette éventualité d'une grande circulation fiduciaire, il pourrait être ajouté quelque chose à ce projet et c'est ce que moi je fais. »

J'espère que l'honorable M. Pirmez, qui est la cause involontaire de mon embarquement, ne me laissera pas voguer seul, mais qu'il mettra la main au gouvernail, et je maintiens cet amendement.

Quant au second amendement, je le retire, non pas parce que je ne laisserais rien à la Banque, comme l'a dit l'honorable ministre, mais parce qu'on ne doit pas trop demander à la fois.

Je dois cependant dire que ma proposition n'est qu'une proportionnalité vis-à-vis le projet qui accorde à l'Etat le quart des bénéfices au delà de 6 p. c ; eh bien, j'aurais pris pour attribuer la moitié au delà des 10 p. c., une base identique à celle du projet de loi ; je maintiens donc le 1/2 p. c. et je retire le second amendement.

M. Pirmez, rapporteur. - Messieurs, je voterai l'amendement de l'honorable M. Julliot.

Je tiens à déclarer qu'en le défendant, je le fais en mon nom personnel et non comme rapporteur de la section centrale.

C'est pour moi un devoir impérieux de défendre l'amendement, parce que je le crois juste et parce que le rapport de la section centrale contient, sur ce point, une omission qu'il est de mon devoir de réparer.

Messieurs, j'ai approuvé complètement la marche suivie par M, le ministre des finances dans les négociations qui ont eu lieu : il est arrivé à un résultat satisfaisant. Mais je crois que M. le ministre des finances, comme la section centrale, a plutôt apprécié la situation actuelle de la Banque qu'il n'a tenu compte des éventualités qui peuvent se présenter pendant la période de trente années. Or, il me paraît qu'il est nécessaire de prendre la disposition qu'a indiquée l'honorable M. Julliot, si l'on ne veut pas, dans l'avenir, voir rompre complètement l'équilibre du système du projet.

Je considère donc cet amendement comme un complément plus que comme une modification du projet.

Messieurs, le système de partage des bénéfices de la Banque entre cet établissement et l'Etat peut se formuler de la manière suivante :

Les actionnaires reçoivent d'abord 6 p. c. du capital nominal, ce qui équivaut, à peu de chose près, à 5 p. c. du capital réel : le capital nominal est de 50 millions, le capital réel sera de 58 millions, et il doit s'accroître par la réserve.

Le surplus des bénéfices, la part de la réserve réduite, doit se partager entre la Banque et l'Etat.

Il est vrai que la loi attribue les trois quarts de ces bénéfices à la Banque et un quart seulement à l'Etat, mais il ne faut pas oublier que l'Etat retire de la Banque, sous diverses formes, des valeurs qui ne figurent pas dans les bénéfices.

Ainsi, le service du caissier de l'Etat qui, avec le payement des agents du trésor, vaut au moins 500,000 francs ; l'excédant du produit de l'escompte au delà de 5 p. c. évalué à 180,000 francs d'après la moyenne antérieure qui sera probablement dépassée, la garantie du placement de l'encaisse, et je pourrais ajouter l'intérêt des trois millions que l'Etat retirera de l'anticipation du nouveau contrat sur le terme primitif de la Banque, balancent la quotité inégale des bénéfices répartis, jusqu'à un certain point.

Ainsi supposons 10 p. c. de bénéfices, soit 5 millions.

(page 1072) Il restera, après payement des intérêts du capital, 2 millions, qui, après déduction de la réserve, se réduiront à 1,700,000 francs et qui sont à répartir.

Les actionnaires toucheront 1,275,000 francs, l'Etat 423,000 francs, mais si l'on ajoute à cette dernière somme les avantages que je viens d'énumérer et dont profite l'Etat, on verra qu'approximativement l'équilibre se rétablit.

Je ne fais entrer en ligne de compte ni la patente, ni le droit du timbre des billets qui sont des impôts, ni le produit de l'encaisse disponible qui est distrait des affaires de la Banque.

On conçoit très bien que si cet équilibre existe dans les limites des bénéfices que je viens d'indiquer, il doit cesser au-dessus. En effet, ces avantages assurés à l'Etat sont pour la plupart des valeurs fixes qui ne croissent pas avec les bénéfices.

Il en résulte qu'au delà des 10 p. c., par exemple, l'Etat, qui ne trouve plus de compensation en dehors des bénéfices, est réellement réduit au quart, tandis qu'il devrait avoir moitié.

C'est cette éventualité de grands sacrifices futurs qui, comme je l'ai signalé dans mon premier discours, me paraît n'avoir pas été prise en suffisante considération.

C'est ce qui a déterminé l'honorable M. Julliot à présenter deux amendements, dont l'un attribue à l'Etat moitié des bénéfices au delà de 10 p. c. et dont l'autre lui attribue 1/2 p. c. sur les émissions excédant 250 millions.

L'honorable ministre des finances, très habile comme toujours, s'est emparé de ce que ces amendements se cumulaient ; profitant de ce qu'ils avaient ainsi d'excessif, il s'est gardé, ce qui était son droit, de les séparer, et il nous a dit : Vous voyez bien qu'ils sont trop gros pour passer.

Je crois effectivement qu'il y aurait exagération à agir cumulativement, comme le proposait d'abord l'honorable M. Julliot, mais autant je crois qu'il faut repousser cet excès, autant je suis convaincu que séparément l'un ou l'autre de ces amendements doit être accueilli.

Je suppose, messieurs, une émission supérieure de 100 millions à l'émission actuelle, c'est-à-dire que l'émission soit portée à 350 millions, - et certes personne ne trouvera extraordinaire qu'avant trente ans l'émission de la Banque Nationale atteigne ce chiffre, - quelle sera la situation ?

J'ai indiqué et prouvé, par un calcul basé sur le dernier exercice, que le produit net des fonds employés par la Banque est de 2 1/4 p. c ; mais quand il s'agit de l'émission, il ne faut pas oublier qu'un tiers est à déduire du chef de l'encaisse métallique nécessaire. Le produit de l'émission se réduit donc à 1 1/2 p. c.

Remarquons qu'il n'y a pas, comme pour les premières centaines de millions de l'émission, de prélèvement à faire pour rémunérer le capital. Le capital n'étant pas accru et étant rémunéré, l'excédant de l'émission produit réellement le revenu de 1 1/2 que j'indique.

Donc sur les 100 millions que je suppose, la Banque aura un bénéfice d'un million 500,000 francs.

Voyons comment la répartition se fera ; je laisse de côté la réserve que la Banque obtiendra facilement parles bénéfices de ses autres opérations.

D'après le projet, l'Etat aurait 1/4, soit 375,000 francs ; les actionnaires auraient 3/4, soit 1,125,000 francs.

Si l'on adopte le premier amendement de l'honorable M. Julliot, qui attribue moitié à l'Etat, l'Etat aura 750,000 francs et les actionnaires même somme de 750,000 francs.

Si l'on prend le second amendement de M. Julliot qui alloue à l'Etat 1/2 p. c. sur l'émission au delà de 250 millions en conservant le quart des bénéfices à l'Etat, le résultat se chiffre comme suit : l'Etat prend 1/2 p. c. sur 100 millions, soit 500,000 francs ; il a, en outre, le quart du surplus, soit 250,000 francs ; eu tout 750,000 francs, de sorte qu'il reste aux actionnaires aussi 750,000 francs.

On voit que ces deux systèmes arrivent exactement au même résultat.

M. Muller. - M. Julliot les cumulait.

M. Pirmez. - M. Julliot les cumulait, oui, et c'est ce que je n'admets pas. Mais, en faisant ce cumul, M. Julliot n'est pas cependant tombé dans l'exagération que lui a prêtée M. le ministre des finances.

Voici les conséquences des deux amendements réunis pour le bénéfice de 1,500,000 francs.

L'Etat prend d'abord 500,000 francs pour le 1/2 p. c. ; il a ensuite la moitié du surplus, soit 500,000 francs et il reste aux actionnaires 500,000 francs.

Eh bien, je trouve également excessif d'attribuer aux actionnaires les trois quarts, conformément au projet, et de ne leur attribuer qu'un tiers, comme le veut le cumul des amendements de M. Julliot ; mais je demande si c'est trop de prendre pour l'Etat la moitié ? (Interruption.)

Je crois avoir assez montré, dans le cours de cette discussion, que je n'ai nullement l'intention de pousser les prélèvements de l'Etat à un excès peu équitable, je suis d'avis qu'il faut être modéré et laisser une bonne position aux actionnaires ; ce que je propose est dans cette juste mesure.

J'ai écarté toutes les raisons qu'on avait invoquées pour attribuer des bénéfices exorbitants à l'Etat ; j'ai réduit ses droits à ce qui concerne l'émission ; mais j'ai constaté qu'à cet égard l'Etat fai tun véritable apport dans la société ; qu'il donne à la Banque un avantage de très grande valeur.

Ce point est incontestable ; qu'on appelle cet avantage privilège ou autrement, peu importe. Il reste évident que, sans parler même de la faculté d'émission des billets accordée à la Banque, société par actions, la réception des billets dans les caisses de l'Etat constitue une des bases de la circulation fiduciaire et je dis que si, par suite, l'Etat prend la moitié du bénéfice de l'émission, il ne prend pas trop. (Interruption.) L'Etat, qui contribue si puissamment à la cause du bénéfice, peut bien avoir la moitié. Ce n'est que justice.

Je demande donc à la Chambre de consacrer ce système.

Faut-il le faire par le premier ou par le second des amendements de M. Julliot ?

Je n'attache pas une importance décisive au choix à faire. Cependant, il me paraît plus conforme à la nature des choses de faire porter directement sur l'émission une part du prélèvement pour ne pas trop affecter les opérations de la Banque, sur lesquelles l'Etat n'a aucun droit.

Je propose donc de prendre 1/2 p. c. sur l'encaisse excédant 250 millions, sans augmenter la quotité des bénéfices fixée par le projet.

Quelle sera par cet amendement la position faite aux actionnaires ?

Elle sera certainement au moins aussi bonne que si on avait porté de 1/4 à 1/2 la part des bénéfices revenant à l'Etat, au delà de 10 p. c. Or, dans cette hypothèse, qui se prêté mieux à la comparaison avec les calculs que j'ai donnés dans mon rapport, le prélèvement nouveau ne commencerait que lorsque les actionnaires auraient touché 85 francs environ par action nouvelle, sans la réserve, et environ 90 francs avec la réserve. Or, ces chiffres représentent déjà l'intérêt à plus de 7 1/2 p. c. sur le capital réel et à 5 p. c. du prix de l'action au cours de la Bourse. La moitié du bénéfice pour l'Etat au delà de ce revenu est certes chose admissible.

M. le ministre des finances s'est demandé ce que chaque million de bénéfice rapportera encore par action.

Le calcul est très simple. Si l'on suppose la réserve, qui, du reste, est au profit des actionnaires, prise en dehors, ils auront 500,000 francs par million, soit 10 francs par action.

Le revenu sera donc de 15 francs par action pour une émission de 100 millions qui, d'après ce que nous avons dit, doit procurer un revenu d'un million et demi.

Or, si l'on veut capitaliser à 5 p. c. la somme de 750,000 francs qui reviendra dans cette hypothèse aux actionnaires, on trouve qu'il y aura un accroissement de capital de 15 millions. De sorte que si l'éventualité que je prévois et que je discute, d'une augmentation de cent millions d'émission, se réalise, la plus-value de chaque action sera de 500 francs.

Vous voyez, messieurs, que ce que j'indique ne doit pas nous alarmer sur la situation des actionnaires.

Si on me disait que la Banque ne doit durer que cinq ans, je n'attacherais pas la moindre importance à l'amendement ; j'y renoncerais volontiers.

Mais nous reconstituons un établissement qui doit vivre de longues années, il est du devoir de la Chambre, il est sage de prévoir toutes les éventualités et de réserver à l'Etat un revenu légitime que les éventualités peuvent lui procurer.

Je comprends très bien que l'honorable ministre des finances ne puisse pas se rallier à cet amendement. Il est engagé ; mais je crois que si l'amendement est adopté, il ne devra pas s'en plaindre. Je crois même que, dans l'avenir, il s'en réjouira comme nous nous en réjouirons. Il nous a dit avec beaucoup de raison qu'il espérait que tous ceux d'entre nous qui émettront un vote affirmatif auront à se féliciter des résultats qu'ils auront contribué à réaliser.

Telle est ma conviction comme à lui. Mais je ne veux pas qu'il lui reste un regret, pas plus que je ne veux moi-même en avoir un. Or, nous en aurions un si nous voyions, dans un avenir plus ou moins éloigné, une somme considérable acquise à la Banque Nationale, par le concours de l'Etat, sans que l'Etat en ait sa juste et légitime part.

(page 1073) M. Jacobs. - Je veux présenter à la Chambre quelques considérations à propos du numéro où nous sommes arrivés et en même temps motiver mon vote sur l'ensemble de la loi.

Si l'amendement de M. Julliot, appuyé par M. Pirmez, est adopté, - et je le voterai pour ma part, - les intérêts de l'Etat auront, à mon avis, été parfaitement sauvegardés dans cette affaire.

J'approuve complètement le traité conclu par M. le ministre des finances avec l'administration de la Banque Nationale.

L'objection la plus sérieuse qu'on élevait depuis longtemps contre cette institution était tirée de la disposition gratuite de l'encaisse de l'Etat. Les conditions faites par M. le ministre des finances écartent cette objection capitale.

On peut évidemment discuter encore sur les clauses multiples du contrat, qu'il faut envisager dans leur ensemble pour bien l'apprécier ; mais il me paraît qu'il lui a été généralement rendu justice.

Les premiers orateurs entendus dans cette discussion ont été d'accord pour reconnaître que M. le ministre des finances avait sauvegardé l'intérêt du trésor ; et, mettant en opposition l'intérêt du public avec celui du trésor, on ne lui faisait d'autre reproche que de s'être trop exclusivement préoccupé du second.

M. le ministre des finances me. paraît cependant avoir fait aussi tout ce que commandaient les intérêts du public. Il l'a fait au moyen dé l'article 2 du projet de loi, qui réserve à l'Etat tous les bénéfices provenant de l'escompte au delà de 5 p. c.

Mais, je veux le prémunir contre les invitations parties de différents bancs de la Chambre, l'engageant à exercer une active influence sur la Banque Nationale dans l'intérêt du public, l'engageant à prendre des garanties, des mesures dans l'intérêt du public.

Il vous a dit qu'il était malaisé d'en découvrir et je pense que l'intérêt de l'Etat est de restreindre autant que possible son action sur la Banque Nationale.

Plus elle sera restreinte, plus réelle sera la séparation entre l'Etat et cette institution financière, mieux cela vaudra pour l'un et pour l'autre.

Les considérations que je vais présenter à la Chambre dans cet ordre d'idées sont relatives aux articles 8 et 16 de la loi de 1850 et à quelques articles des statuts par lesquels l'Etat me paraît s'être trop immiscé dans les opérations mêmes de la Banque Nationale.

Cela se comprenait à l'époque de l'institution de la Banque : à ce moment l'Etat intervenait en bien des matières où il n'intervient plus ; aujourd'hui que nous allons décréter la liberté des sociétés anonymes ; aujourd'hui que l'Etat vient de renoncer - et je me félicite d'y être pour une petite part - à la nomination du gouverneur de la Société Générale, il doit restreindre aussi dans les plus strictes limites son action sur la Banque Nationale.

La faculté de s'opposer à tout acte contraire à l'intérêt général, la nomination du gouverneur, la présence d'un commissaire du gouvernement sont des garanties au moins suffisantes.

A l'article 8, on voit que la Banque peut faire des avances sur fonds publics dans les limites et aux conditions à fixer sous l'approbation du ministre des finances.

M. le ministre des finances déterminé donc dans quelles limites la Banque peut prêter sur fonds publics.

A l'article 16, il est dit que la Banque peut acquérir des fonds publics moyennant l'autorisation du ministre des finances, qui, à intervalles périodiques, est saisi par la Banque Nationale de la demande de l'autoriser à prêter jusqu'à concurrence de telle somme sur fonds publics et à employer ses ressources, jusqu'à concurrence de telle autre somme, en fonds publics.

Il me semble que si l'on réglait par la loi les limites dans lesquelles la Banque Nationale peut faire ces opérations, à moins qu'on ne préfère lui interdire l'une d'elles, comme divers membres l'ont proposé, cela serait préférable ; l'intervention du ministre des finances en pareille matière se justifie assez peu.

Si je passe aux statuts, j'y vois l'intervention du ministre des finances à tout instant ; l'organisation des agences, des comptoirs etc., est l'objet d'un règlement soumis à son approbation.

L'honorable M. Balisaux était dans le vrai, suivant moi, lorsqu'il revendiquait le droit de critiquer les bénéfices attribués aux membres des comptoirs, puisque ces avantages sont fixés par un règlement approuvé par le ministre des finances.

Mieux vaudrait que le gouvernement n'intervînt pas dans ces questions d'ordre intérieur, qui seraient alors vraiment des questions d'intérêt privé.

Les statuts vont plus loin encore. Ils supposent le cas d'un actionnaire en retard de faire les versements sur ses actions ; la Banque pourra le relever de la déchéance encourue par suite du retard, moyennant l'approbation du ministre des finances.

Il est évident que ce n'est pas le rôle du ministre des finances.

Poursuivons la lecture des statuts.

M. le président. - M. Jacobs, vous entrez dans la discussion générale.

M. Jacobs. - Je ne le pense pas, M. le président. Je rapporte mes critiques à l'article qui se rapproche le plus des dispositions de la loi de 1850 que je critique ; mes critiques de détail n'eussent pas été à leur place dans la discussion générale.

L'article 19 des statuts porte que le conseil général de la Banque pourra décider le partage entre les actionnaires d'une partie des intérêts du fonds de réserve ; si le ministre des finances l'approuve.

Ainsi donc, messieurs, la question est de savoir si, sur les intérêts de la réserve, on pourra prélever une certaine somme pour la distribuer aux actionnaires ; ce point est encore soumis à l'approbation du ministre des finances.

Toutes ces dispositions tendent à faire de la Banque Nationale une institution gouvernementale beaucoup plus qu'elle ne devrait l'être.

Enfin l'article 42 des statuts soumet à l'approbation du ministre des finances les conditions auxquelles sont reçus les dépôts et jusqu'au règlement d'ordre intérieur de la Banque.

Si l'honorable ministre ne veut pas, au dernier moment de la discussion, modifier les deux articles de la loi de 1850 qui, suivant moi, donnent trop d'action au gouvernement sur la Banque Nationale, je l'engage tout au moins, lorsqu'il procédera à la révision des statuts, à modifier les points que j'ai signalés, en rendant autant que possible à la Banque toute sa liberté. L'enchaîner n'est pas une garantie, ce n'est qu'engager la responsabilité de l'Etat.

Je demande à la Chambre la permission de lui présenter encore une observation de détail.

L'article 9 des statuts déclare que. « pourra aussi tenir lieu de troisième signature, un gage en warrants ou en marchandises suffisant pour répondre de la totalité de la créance. »

Le warrant peut donc tenir lieu de troisième signature. J'avoue que je ne comprends pas l'utilité du mot « troisième ». S'il peut tenir lieu de troisième signature, c'est qu'il vaut une signature et alors il doit pouvoir valoir comme seconde signature, dans le cas où deux signatures suffisent.,

Je pense donc qu'une modification devrait être apportée ici. Il faudrait dire : « Pourra aussi tenir lieu d'une signature, etc... »

Je sais qu'on va m'objecter que, si le warrant est admis comme deuxième signature, il n'y aura plus qu'une signature sur l'effet. Mais, messieurs, cela ne m'effraye pas.

La Banque ne prend les effets à deux signatures que lorsqu'ils présentent un caractère de parfaite solvabilité ; elle ne prendra donc le warrant comme seconde signature que lorsque la première sera une signature de premier ordre.

Ainsi que l'a fait remarquer M. Pirmez dans son rapport, dans les comptoirs il y a énormément d'effets à deux signatures escomptés, parce que la signature du comptoir forme la troisième signature.

Qu'arrive-t-il, par suite de ce fait, si l'on compare les différentes places de commerce ? Anvers n'a pas de comptoir ; Anvers possède une succursale de la Banque ; une signature de premier ordre et un warrant ne suffisent donc pas à Anvers, là où le warrant devrait cependant être escompté plus que partout ailleurs.

Mais à Verviers, par exemple, on a le bonheur d'avoir un comptoir, et là un effet portant une seule signature jointe au warrant est admis par le comptoir, qui donne la seconde signature, le warrant formant la troisième ; le warrant est quelque chose à Verviers, il n'est rien à Anvers.

Si Anvers avait aujourd'hui, comme autrefois, un comptoir au lieu d'une succursale, Anvers pourrait escompter ses warrants moyennant une seule signature autre que celle des membres du comptoir.

C'est par une véritable erreur qu'en 1851 on a inséré dans les statuts ces mots : Troisième signature.

M. Frère-Orban. - Non.

M. Jacobs. - On me dit non. Je comprends parfaitement qu'on exclue le warrant. C'est une thèse parfaitement soutenable, parfaitement défendable. Mais du moment qu'on l'admet, il n'y a aucune raison pour ne l'admettre que comme troisième signature et pas comme seconde signature. Du moment que le warrant à la valeur d'une signature il doit conserver cette (page 1074) valeur, lorsque le comptoir admet des effets à deux signatures aussi bien que pour les effets à trois signatures.

M. Frère-Orban. - La Banque de France ne le prend qu’avec des effets à trois signatures.

M. Jacobs. - Je comprends parfaitement le système dz la Banque de France ; elle compte pour rien le warrant. Dans ce système, il ne faudrait pas parler du warrant dans les statuts.

Mais du moment qu'on en parle, qu'on l'admet comme troisième signature, c'est qu'il vaut une signature ; s'il vaut une troisième signature, il doit en valoir une seconde dans les cas où la Banque Nationale se contente de deux signatures.

Vous mettez Anvers, qui a plus besoin que toute autre ville de pouvoir escompter ses warrants, dans une situation d'infériorité vis-à-vis des autres villes dont les comptoirs ajoutent leur signature a la première signature, et au warrant pour former les trois signatures exigées.

J'engage l'honorable ministre des finances à ne pas perdre de vue les idées que je viens d'émettre, lorsqu'il aura à arrêter les nouveaux statuts de la Banque Nationale.

M. Jottrand. - Je reprends le second des amendements qu'avait présentés l'honorable M. Julliot et qu'il a déclaré vouloir abandonner.

Cet amendement consiste à porter la part de l'Etat à la moitié de l'excédant quand les bénéfices dépasseront 10 p. c.

Je ne crois pas que l'application simultanée des deux amendements proposés a l'origine par l'honorable M. Julliot engendre les effets excessifs qu'on se figure. Cette conviction, contraire à celle qu'ont exprimée la plupart des orateurs qui se sont occupés de cette question, je l'ai puisée dans des calculs exacts et que je vais communiquer dans quelques instants a la Chambre à l'appui de ma proposition.

Je crois en outre que d'excellentes raisons de principe justifient celle-ci.

Evidemment, messieurs, il faut que la part de l'Etat dans les bénéfices de la Banque Nationale se proportionne aussi exactement que possible au développement de l'émission.

En effet, plus la circulation en billets est grande, plus grand est le concours que la masse des intérêts nationaux représentés par l'Etat apporte à la Banque ; plus grands sont les bénéfices, sans que, pour cela, ni les risques, ni l'effet utile du capital versé par les actionnaires se soient accrus, plus grande donc doit être la part de bénéfice attribuée à l'Etat comme prix de son concours.

Cherchons comment progresse l'effet utile de la circulation en billets.

Si cette circulation est de deux cents millions, comme elle l'a été en 1871, le bénéfice normal de la Banque étant calculé à cinq millions de francs et l'intérêt dû à son capital étant fixé à 6 p. c, il se trouve que la part de bénéfice due à l'émission équivaut à un peu moins que 1 p. c. (0,80 p. c.) du montant de celle-ci. C'est la situation actuelle, ce sera encore la situation quand le capital de la Banque sera de cinquante millions. Mais si la circulation atteint en moyenne 400 millions, la part de bénéfice due à l'émission est de 1.25 p. c. du chiffre de celle-ci et ainsi de suite ; à mesure que l'émission se développe le capital restant fixe, la part de bénéfice due à l'émission est exprimée par un tantième de plus en plus élevé du montant qu'elle atteint.

L'effet utile de la circulation progresse en un mot suivant une double raison.

Lorsque ce tantième dépassera 1 p. c., ce qui arrivera à peu près lorsque l'émission dépassera 250 millions, M. Julliot propose d'attribuer à l'Etat 1/2 p. c. à titre de taxe annuelle sur le chiffre dépassant ces 250 millions.

C'est là instituer fort justement au profit de l'Etat une part supplémentaire dans les bénéfices, prise spécialement dans ce qui est dû au développement de son apport.

Cette part serait zéro tant que l'apport rapporterait moins de 1 p. c, elle ne commencerait à naître que lorsque le produit de l'apport dépasserait ce taux.

J'applaudis à ce procédé, mais je voudrais qu'il reçût son développement logique, et pour cela il faudrait que le taux de la. taxe perçue par l'Etat progressât, comme progresse le taux du bénéfice dû à l'apport.

Si ce dernier taux s'accroît d'un quart, le taux de la taxe doit aussi s'accroître d'un quart ; et, par exemple, le taux de la taxe étant 1/2 p. c. lorsque le taux du bénéfice est 1 p. c, c'est-à-dire lorsque la circulation est de 250 millions, il doit être 3 8 p. c. lorsque le taux du bénéfice devient 1 25 p. c, c'est-à-dire lorsque la circulation atteint 400 millions.

Il y a donc une échelle progressive suivant laquelle devrait se développer la taxe à percevoir par l'Etat sur la circulation moyenne des billets de banque ; mais cette échelle est assez difficile à trouver et surtout à appliquer.

Aussi vaut-il mieux, pour atteindre à peu près le but désiré, recourir à des procédés empiriques ; c'est-ce qu'avait fait l'honorable M. Julliot, par son second amendement ; lorsque les bénéfices nets de la Banque venaient à dépasser un certain taux, il augmentait la proportion de la part de l'Etat dans l'excédant partageable, et pour parler en chiffres, il portait cette part du quart proposé par le gouvernement pour l'excédant sur 6 p. c. à la moitié de l'excédant sur 10 p. c.

C'est ce que je veux faire en reprenant son amendement ; et voici maintenant la réalisation de la promesse que j'ai faite tantôt de montrer à la Chambre que cela n'engendre rien d'excessif.

Il résulte de calculs exacts que j'ai sous les yeux qu'il y a en somme très peu de différence dans les résultats, soit qu'on applique le système préconisé par l'honorable M. Julliot et appuyé par l'honorable M. Pirmez, soit qu'on applique le système que je propose, et que, dans les deux cas, les bénéfices restant aux actionnaires sont amplement rémunérateurs.

Je suppose que la circulation moyenne annuelle des billets soit portée à 300 millions ; que le taux moyen de l'escompte reste ce qu'il a été pendant la période que vient de parcourir la Banque, que la proportion de ses frais généraux à ses recettes brutes reste également ce qu'elle a été, les bénéfices nets annuels atteindront, dans ces hypothèses, 7,500,000 fr. L'application à ce bénéfice du système de MM. Julliot-Pirmez entraîne la conséquence que voici : l'Etat, pour sa part bénéficiaire, recevrait une somme de 1,312,500 francs, et les actionnaires 6,125,000 francs, c'est-à-dire 12.575 p. c. de leur capital de 50 millions.

Si on applique uniquement le système du gouvernement, la part de l'Etat sera de 1,125,000 francs ; celle des actionnaires de 6,375,000 fr. ; c'est-à-dire 12.75 p. c. de leur capital.

Si on applique au contraire le système que je propose, la part de l'Etat sera de 1,375,000 francs, la part des actionnaires de 6,125,000 francs, c'est-à-dire 12.25 p. c. de leur capital. [en note de bas de page, non reprise dans la présente version numérisée : le détail du calcul.)

CHAMBRE DES

Comparez ces (rois chiffres du dividende des actionnaires ; dans le système du gouvernement, 12.73 p. c. ; dans le système de M. Julliot, 12.51 p. c ; dans le système que je préconise, 12.23 p. c. ; où donc est la spoliation ? S'agit-il, au contraire, d'une circulation de 100 millions, voici les résultats probables en partant des mêmes bases de calcul. On peut présumer, dans ce cas, un bénéfice net de 10 millions de francs. Si l'on applique au partage de ce bénéfice le système du gouvernement, l'Etat recevra 1,750,000 francs, les actionnaires 8,250,000 francs, c'est-à-dire 1G 1/2 p. c. de leur capital.

Si l'on applique le système de M. Julliot, l'Etat recevra2,125,000 francs :, les actionnaires, 7,875,000 francs, c'est-à-dire 15 5/i p. c. de leur capital ; si l'on applique celui que je préconise, la part de l'Etat sera de 250,000 francs, celle des actionnaires de 7,500,000 francs, c'est-à-dire 15 p. c. de leur capital.

(page 1075) Comparez ces trois chiffres du dividende des actionnaires : dans le système du gouvernement, 12. 75 p. c. ; dans le système de M. Julliot, 12.51 p. c.; dans le système que je préconise, 12.25 p. c.; où donc est la spoliation ? S'agit-il, au contraire, d'une circulation de 400 millions, voici les résultats probables en partant des mêmes bases de calcul. On peut présumer, dans cc cas, un bénéfice net de 10 millions de francs. Si l'on applique au partage de ce bénéfice le système du gouvernement, l'Etat recevra 1750,000 francs, les actionnaires 8,250,000 francs, c'est-à-dire 16 1/2 p. c. de leur capital.

Si l'on applique le système de M. Julliot, l'Etat recevra 2,125,000 francs : les actionnaires, 7,875,000 francs, c'est-à-dire 15 3/4 p. c. de leur capital ; si l'on applique celui que je préconise, la part de l'Etat sera de 250,000 francs, celle des actionnaires de 7,500,000 francs, c'est-à-dire 15 p. c. de leur capital.

Comparez encore une fois ces trois chiffres :

Application du système du gouvernement 16 1/2 p. c. aux actionnaires ; application du système de M. Julliot 15 3/4 ; application de mon système 15 p. c.

Avais-je raison de dire qu'on faisait manœuvrer des fantômes lorsqu'on prétendait que l'application du système préconisé à l'origine par M. Julliot, et que j'ai repris, ferait à l'Etat la part trop grosse et mettrait les actionnaires à la portion congrue ? Dans l'hypothèse d'une circulation de 400 millions, il restera 15 p. c. aux actions, par le cumul des deux amendements dont M. Julliot est le père, et l'on dira que ce n'est pas assez ! Je dis que si les actionnaires ne sont pas satisfaits d'un pareil chiffre, s'ils trouvent que c'est les tondre au point de les écorcher que de les réduire à ce bénéfice de 15 p. c, c'est vraiment qu'ils se font sur l'étendue des droits que leur donne leur coopération au fonctionnement de la Banque Nationale, des illusions bien étranges !

Pour moi, j'ai la conscience bien tranquille et je suis sûr que ce n'est violer ni la justice ni l'équité que de défendre un système de partage qui, dans tous les cas, leur laisse sur leur capital porté à 50 millions les beaux dividendes que je viens de dire.

M. Malou, ministre des finances. - L'honorable M. Jottrand se trompe et ses calculs pèchent par la base. L'honorable membre suppose que si les deux amendements de l'honorable M. Julliot ou, pour mieux dire, l'amendement de M. Julliot et celui qu'il abandonne, mais que M. Jottrand a repris était adopté, on n'appliquerait pas en outre le système du gouvernement

Or, le contraire résulte du texte même des amendements. Ainsi on prendrait 1/2 p. c. sur la circulation après un certain chiffre, la moitié des bénéfices au delà de 10 p. c. sur le capital nominal, plus le quart sur l'ensemble des bénéfices.

M. Jottrand. - Ce n'est pas ma pensée.

M. Malou, ministre des finances. - Ce n'est pas votre pensée, mais c'est le texte de la loi et je regrette que votre pensée soit en contradiction avec le texte de la loi. Vous développez votre amendement. Quand je le combats, vous m'en donnez d'autres. Ce n'est plus discuter cela, c'est embrouiller, je vous en demande dix millions de pardons, mais le mot m'échappe.

M. Jottrand. - Jamais M. Julliot n'a songé à cela.

M. Malou, ministre des finances. - S'il n'y a pas songé, il l'a fait par son amendement, ce qui est cinquante fois pis.

Le projet du gouvernement se résume en ces termes : il y a un principe et un fait.

Le principe, c'est que le gouvernement, à raison des droits qu'il confère à la Banque Nationale, est un associé bénéficiaire de la Banque ; il prend une part des bénéfices qu'elle réalise au delà des intérêts. Le fait, c'est que cette part doit être proportionnelle aux bénéfices réalisés et qu'il ne faut pas introduire ici subrepticement l'impôt progressif. Il ne le faut point pour deux raisons : d'abord, parce que ce principe est mauvais en lui-même et surtout parce qu'il est mauvais dans l'intérêt de la Banque Nationale.

Un seul mot, messieurs, sur ce point.

Il est évident que la Banque doit conserver, en tout état de choses, le stimulant de l'intérêt privé pour augmenter ses bénéfices, parce que les bénéfices que la Banque réalise représentent dix fois, vingt fois, des services rendus à l'intérêt public. Il est donc évident que si, d'une part, il est vrai qu'il est beaucoup plus difficile de gagner le dixième million que de gagner le cinquième, et si, d'autre part, ce stimulant de l'intérêt doit subsister, vous ne. devez point établir de pénalité contre la Banque Nationale et contre le développement de ses bénéfices normaux.

Je prends l'hypothèse la plus extrême,

La Banque Nationale arrive, dans un moment donné, à faire un bilan d'où ressort un bénéfice net de 10 millions (cela est bien éloigné de nous ; une seule fois la Banque a réussi à réaliser un bénéfice de 6 millions} ; quelle serait la part de l'Etat ? Vous auriez les 2,500,000 francs dont je vous ai donné le détail l'autre jour, et vous auriez un troisième million à raison du prélèvement du quart sur ce bénéfice additionnel.

Eh bien, quand l'Etat aura 3 1/2 millions de bénéfice net comme actionnaire bénéficiaire de la Banque Nationale, cela ne sera-t-il pas suffisant et complet ? Faut-il violer tous les principes de notre législation pour aller plus loin ? Je ne le pense pas.

Il m'est très difficile, la Chambre le comprendra, de saisir à une première audition tous les chiffres qui viennent d'être produits.

Je me tiens donc à ce principe que l'Etat doit demeurer simple bénéficiaire, que la loi doit être faite de telle manière que la Banque Nationale ait intérêt à étendre ses opérations et qu'on ne doit pas arriver à une sorte de confiscation presque totale des bénéfices que la Banque peut réaliser.

M. Jottrand. - Voici le texte de mon amendement :

« Si les bénéfices excèdent 10 p. c, la part de l'Etat sera portée à la moitié de l'excédant sans que cette part puisse être inférieure à celle fixée par le paragraphe, qui précède. »

M. le président. - Je mets aux voix le 4°, ainsi conçu :

« A l'article 7 : Le quart du même excédant est attribué à l'Etat. »

- Adopté.


M. le président. - Ici vient l'amendement de MM. Julliot et Pirmez. Il consiste à ajouter au paragraphe qui vient d'être voté la rédaction suivante :

« Qui aura, en sus, 1/2 p. c. sur l'émission fiduciaire dépassant 250 millions. »

- 11 est procédé au vote par appel nominal.

75 membres y prennent part.

60 répondent oui.

14 répondent non.

1 s'est abstenu.

En conséquence l'amendement est adopté.

Ont répondu oui :

MM. de Vrints, Drion, Elias, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Houtart, Jacobs, Janssens, Jottrand, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Lescarts, Magherman, Mascart, Muller, Notelteirs, Nothomb, Pety de Thozée, Piedbœuf, Pirmez, Puissant, Rogier, Royer de Behr, Tack, Thienpont, Van Cromphaut, Vanden Steen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Verwilghen, Léon Visart, Warocqué, Wasseige, Wouters, Ansiau, Balisaux, Berten, Biebuyck, Boulenger, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Clercq, Defuisseaux, de Lhoneux, de Macar, Demeur, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, Dethuin et Thibaut. Ont répondu non :

MM. Frère-Orban, Moncheur, Mulle de Terschueren, Orts, Sainctelette, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Anspach, Bara, Crombez, Delcour, de Liedekerke, de Rossius et de Theux.

S'est abstenu :

M. Jamar.

M. le président. - M. Jamar, qui s'est abstenu, est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Jamar. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai eu l'honneur de faire connaître à la Chambre lors du vote sur le paragraphe premier de l'article premier.


M. le président. - Vient maintenant l'amendement de M. Jottrand. Je le mets aux voix.

- Cet amendement n'est pas adopté.


Article premier. Autres alinéas

M. le président. - Nous avons à nous occuper maintenant de l'amendement de M. Dansaert, ainsi conçu :

« Ajouter après le 4° de l'article premier du projet :

« 5° à l'article 8, à la suite du paragraphe ainsi conçu :

« 4° A se charger du recouvrement d'effets qui lui seront remis par des particuliers ou des établissements.

« Le service du recouvrement des effets de commerce, dans toutes les communes du pays, sera organisé par la Banque Nationale dans le délai d'un an à partir de la promulgation de la présente loi. »

(page 1076) La parole est à M. Dansaert pour développer son amendement.

M. Dansaert. - La Chambre étant pressée d’en finir, je crois inutile d’entrer dans des développements.

M. Malou, ministre des finances. - Nous avons 2,554 communes dans le pays.

- Un membre. - 55.

MfM. - 55, si vous le voulez.

Nous en avons au delà de 2,000 qui n'ont pas deux mille habitants. La plupart de ces communes sont uniquement agricoles. Il n'y aurait pas un effet à recouvrer chaque année dans chacune d'elles.

Une de de ces communes, Zoetenaey, a 18 habitants.

- Un membre. 35.

M. Malou, ministre des finances. - Pardon, elle n'a pas 55 habitants.

Elle avait 18 habitants lors du dernier recensement. Il est impossible ou au moins invraisemblable que la population se soit accrue dans des proportions comme celle-là.

Restons dans les limites du possible. Il a été déclaré de la manière la plus formelle qu'une des obligations de la Banque serait de compléter et d'étendre, dans la mesure des besoins réels, tous ses services et notamment le service des encaissements ; je demande encore une fois que la loi ne pose pas des règles absolues dont l'exécution est impossible, en chargeant le gouvernement de cette exécution.

M. Dansaert. - Le but que je voulais atteindre sera réalisé par l'exécution de la promesse que veut bien me faire M. le ministre des finances. Je n'insiste pas.


M. le président. - L'amendement étant retiré, nous arrivons à l'amendement proposé par M. le ministre des finances et ainsi conçu :

« 5°. Les billets sont payables dans les agences en province. Toutefois ce payement peut être ajourné jusqu'à ce qu'elles aient pu recevoir les fonds nécessaires. ». (Le n°5 deviendrait le n°6.)

M. Malou, ministre des finances. - Messieurs, il faut ajouter à l'article 14 : « Les billets sont payables à vue dans les agences en province. Toutefois, ce payement peut être ajourné jusqu'à ce qu'elles aient pu recevoir les fonds. »

- Cette proposition est adoptée.


« 5° A l'article 16, paragraphe dernier : L'emploi de la réserve en fonds publics sera facultatif. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Le bénéfice résultant, pour la Banque Nationale, de la différence entre l'intérêt de 5 p. c. et le taux d'intérêt perçu par cette institution, est attribué à l'Etat.

« L'article 5 de la loi du 5 mai 1865 est abrogé. »

M. le président. - M. Balisaux a proposé l'amendement suivant :

« L'article 2 du projet de loi est remplacé par la disposition suivante :•

« Art. 2. L'article 5 de la loi du 5 mai 1865 est abrogé.

« Le bénéfice résultant, pour la Banque Nationale, de la différence entre l'intérêt de 4 1/2 p. c. et le faux d'intérêt perçu par cette institution est attribué à l'Etat.

« Ce taux pourra être réduit par la loi, successivement, d'un 1/2 p. c, à l'expiration de chaque période quinquennale, mais jusqu'au taux minimum de 3 1/2 p. c. seulement. »

M. Balisaux. - Messieurs, j'ai développé, dans mon premier discours, mes moyens à l'appui de cet amendement, ainsi que d'un autre qui attribuerait à l'Etat les 25,000 actions nouvelles ; ces amendements ont été combattus par les honorables MM. Pirmez, Frère et Malou.

J’ai eu l'occasion de leur répondre dans la séance d'hier. Je n'ai rien à y ajouter.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je mets aux voix l'amendement de M. Balisaux.

- Des membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

73 membres sont présents.

62 répondent non.

10 répondent oui.

1 (M. Jamar) s'abstient.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu non :

MM. de Vrints, Elias, Frère-Orban, Hagemans, Hayez, Houtart, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orts, Pety de Thozée, Pirmez, Puissant, Rogier, Royer de Behr, Sainctelette, Tack, Van Cromphaut, Vandenpeereboom, Vanden Steen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Outryve d'Ydewalle, Van Overloop, Van Wambeke, Verbrugghen, Verwilghen, Léon Visart, Warocqué, Wasseige, Wouters, Ansiau, Anspach, Bara, Berten, Biebuyck, Boulenger, Crombez, d'Andrimont, David, de Baillet-Latour, de Clercq, Delcour, de Lhoneux, de Liedekerke, de Macar, de Montblanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Theux et Thibaut.

Ont répondu oui :

MM. Drion, Guillery, Jottrand, Lescarts, Thienpont, Balisaux, Dansaert, Defuisseaux, Demeur et Dethuin.

M. le président. - M. Jamar est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Jamar. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai déjà indiqués.

- L'article 2 du projet est mis aux voix et adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Les statuts de la Banque Nationale seront modifiés d'après les principes consacrés par les articles précédents.

« Ils pourront être modifiés sur tous autres points non réglés par la loi.

« Ils seront soumis à l'approbation du Roi. »

- Adopté.


« Art. 4. L'article 7 de la loi du 10 mai 1850 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

« La Banque Nationale fera gratuitement le service de caissier de l'Etat.

« Elle supportera tous les frais d'administration, de matériel, de transport et de virement des fonds, et interviendra dans les frais de la trésorerie en province à concurrence d'une somme annuelle de 175,000 francs. Cette part ne pourra être augmentée aussi longtemps que la Banque sera chargée des fonctions de caissier.

« Les fonds disponibles du trésor, excédant les besoins du service, seront placés par la Banque en valeurs commerciales ; elle sera garante des valeurs acquises ou appliquées pour le compte du trésor. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5. Par dérogation à la loi du 10 septembre 1862, la Banque Nationale payera, chaque année, pendant dix ans, à partir du 1er janvier 1873, une somme de 84,000 francs, à titre d'abonnement pour le timbre de ses billets au porteur. »

M. le président. - M. le ministre des finances propose la suppression de cet article.

- Cette suppression est mise aux voix et adoptée.

Article premier, deuxième alinéa

M. Muller. - Il y a un amendement de M. Balisaux qui n'a pas été mis aux voix.

M. le président. - En effet ; cet amendement est ainsi conçu : « Ajouter au n°2 de l'article premier, la disposition suivante :

« Les versements nécessaires pour porter le capital social de la Banque à 50 millions de francs se feront pas l'Etat qui recevra, en compensation, 25,000 actions semblables à celles des autres actionnaires.

« Les actions ainsi acquises par l'Etat seront aliénées publiquement au mieux des intérêts du trésor public : » Je le mets aux voix.

- Cet amendement n'est pas adopté.


M. le président. - La Chambre veut-elle passer au second vote ?

M. Malou, ministre des finances. - Je demande à la Chambre de remettre, conformément au règlement, le second vote à la séance de vendredi prochain.

Je reconnais, messieurs, que, d'après la majorité qui s'est prononcée pour l'amendement, il y a quelque chose à faire. Mais je prie la Chambre de me laisser le temps de préparer la rédaction de la formule qui peut être définitivement adoptée par elle.

Je désire qu'il n'y ait de surprise pour personne.

M. le président. - Il n'y a pas d'opposition à ce que le second vote sur la Banque Nationale soit remis à vendredi ? La Chambre a décidé de ne pas siéger demain et de ne pas s'occuper vendredi des pétitions. Le premier objet à l'ordre du jour de la séance de vendredi sera donc le vote sur la prorogation de la durée de la Banque National

- La séance est levée à 10 heures et demie.