(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIIIµ.)
(page 398) M. de Vrints procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Woutersµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des électeurs à Molhem, Cobbeghem et Releghem demandent le vote à la commune pour toutes les élections. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale.
« Des instituteurs communaux dans la Flandre orientale proposent des mesures pour améliorer leur position. »
« Même pétition des instituteurs du canton de Houflalize. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi établissant une caisse centrale de prévoyance des instituteurs communaux.
« Le greffier provincial de Liège transmet un extrait du procès-verbal de la séance de la députation permanente du conseil provincial, en date du 18 de ce mois, contenant une déclaration de ce collège au sujet de l'arrêté ministériel du 11 janvier, portant adoption de l'école normale d'institutrices établie à Liège par M. le chanoine Habets. »
MpX. - Je propose d'ordonner le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
M. d'Andrimontµ. - Je demande à M. le président qu'il soit donné lecture de l'extrait du procès-verbal de la séance de la députation permanente de Liège, qui vient d'être transmis à la Chambre.
Je n'entends pas, messieurs, rentrer aujourd'hui dans la discussion de l'affaire Habets ; je me réserve de le faire à l'occasion du budget de l'intérieur ; mais il importe que, dès à présent, la Chambre soit éclairée sur la valeur de nos affirmations.
MpXµ. - Votre demande est contraire aux usages de la Chambre. Tout le monde a le droit de s'adresser à la Chambre ; mais il n'y a que le président du Sénat et les ministres qui aient le droit d'y faire lire leurs missives. Je le répète, tous les usages de la Chambre sont contraires à votre demande. Si vous voulez lire la pièce vous-même en en prenant la responsabilité, vous en êtes le maître.
- Plusieurs membres. - C'est la même chose.
M. de Theuxµ. - Je crois qu'il est contraire au règlement et assurément a tous les précédents de cette Chambre qu'on y donne lecture d'une pétition qui lui est adressée avant qu'elle ait été renvoyée à une commission. (Interruption.) Je le répète, il serait contraire au règlement et à tous les précédents qu'un membre vînt ici donner lecture d'une pétition adressée à la Chambre.
- Un membre. - Ce n'est pas une pétition.
M. Bouvierµ. - 'est une protestation.
MfJµ. - On ne proteste pas à la Chambre.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je crois vraiment qu'on ne cherche qu'à provoquer du scandale dans cette Chambre en venant, à chaque instant, soulever des incidents tantôt à propos d’un fait, tantôt à propos d’un autre.
Je m'oppose formellement, pour ma part, à ce que la lecture demandée soit autorisée et je propose que la pièce dont il s'agit soit renvoyée à la section centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur.
MpXµ. - Le bureau ne donnera pas lecture de la pièce dont il s'agit ; ce serait contraire à tous les précédents. Nous avons proposé le dépôt de cette pièce sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
M. Bouvierµ. - Mais il me semble, M. le président, que vous aviez autorisé M. d'Andrimont à donner lecture de la pièce.
- Voix à droite. - Non ! non !
M. Bouvierµ. - Comment! mais vous ne voulez donc pas que la lumière se fasse ? Je demande que M. d'Andrimont soit autorisé à donner lecture de la pièce.
MpXµ. - Il est évident que personne ne peut empêcher un membre de lire une pièce.
M. De Lehayeù. — Je vous demande pardon !
M. d'Andrimontµ. - Je prie M. le président de vouloir bien me faire remettre le dossier.
MpXµ. - Je répète qu'à mon avis on ne peut pas empêcher un membre de donner lecture d'une pièce ; mais je ne dis pas que, dans le cas actuel, ce soit avec l'assentiment du président. (Interruption.)
M. de Rossiusµ. - Vous ne voulez donc pas connaître la vérité?
MpXµ. - Il me semble, messieurs, qu'il vaudrait mieux ajourner cet incident à la discussion du budget de l'intérieur.
M. Mullerµ. - Je comprends très bien que la lecture de... je ne dirai pas de la pétition ni de la protestation, mais simplement d'une explication qui nous est adressée par la députation provinciale n'ait pas lieu sans l'autorisation de la Chambre.
M. de Theuxµ. - Nous sommes d'accord.
M. Mullerµ. - Mais la Chambre me permettra de lui rappeler que lorsque nous avons discuté le projet de loi sur les bourses d'étude, il nous est arrivé une protestation dirigée par des membres du clergé de Tournai contre l'honorable M. Bara ; la droite en a demandé lecture et cette lecture a eu lieu.
M. de Theuxµ. - Je ne crois pas.
M. Mullerµ. - Mes souvenirs sont contraires; cela pourra, au surplus, être vérifié dans le Moniteur.
Maintenant, de quoi s'agit-il ? (Interruption.) Laissez-moi donc parler ! On a visé, dans un arrêté ministériel, un avis de la députation permanente de la province de Liège, qui aurait été émis sur la demande d'agréation de son école normale, adressée dernièrement au gouvernement par M. Habets.
Eh bien, ce collège déclare qu'il n'a pas émis d'avis, par la raison toute simple qu'il n'a pas été consulté.
Il ajoute qu'en 1864 il avait bien été consulté sur une demande d'agréation d'une école normale qui n'existait pas alors, et que se proposait d'établir M. Habets ; que naturellement il n'a pu se prononcer sur un établissement futur ; qu'enfin, de son côté, le gouvernement a rejeté la demande.
- Des membres. - Ah !
M. Mullerµ. - Consentez donc à la lecture du document. Il ne s'agit pas de le discuter aujourd'hui.
M. Bouvierµ. - Ce serait déjà fini.
M. Mullerµ. - Une réclamation nous est adressée par un corps constitué, émané à double titre de l'élection. Nous vous demandons d'autoriser la lecture de cette réclamation, et vous vous y refuse? ! Cela vous gênerait-il ?
(page 399) M. Bouvierµ. - Il faut le croire.
M. Lefebvreµ. - Nous devrions au moins attendre la présence de M. le ministre de l'inférieur, pour qu'il pût s'expliquer.
MfJµ. - Je prie mes honorables collègues de la majorité de vouloir bien ne pas s'opposer à la lecture de la pièce ; sinon l'incident va prendre encore toute la séance.
M. Bouvierµ. - Nous sommes donc d'accord.
MpXµ. - Je dois consulter la Chambre. Il vaudrait mieux ajourner tout cela à la discussion du budget de l'intérieur.
M. Bouvierµ.-La droite ne se refuse pas à la lecture ; M. le ministre des finances ne s'y refuse pas non plus.
MpXµ. - Quelqu'un s'oppose-t-il à ce que M. d'Andrimont donne lecture de la pièce ? M. d'Andrimont fait la pièce sienne.
M. d'Andrimontµ. - Extrait du procès-verbal...
- Des membres (à droite). - Nous nous opposons à la lecture.
MpXµ. - M. d'Andrimont, rasseyez-vous, s'il vous plaît ; il y a réclamation, et il faut un vote de la Chambre.
M. Van Humbeeckµ. - Messieurs, on nous reprochait, il y a deux jours, de n'être pas sérieux ; je crois que nous pouvons, avec plus de fondement, renvoyer aujourd'hui le reproche à ceux qui nous refusent la lecture de la pièce.
Le règlement exige que toute pièce adressée à la Chambre soit analysée par le bureau et qu'il soit statué sur le renvoi que le bureau propose ; mais évidemment la conclusion du bureau peut être contestée ; une autre proposition peut être faite par tout membre de la Chambre et, dès lors, ce membre, pour appuyer sa proposition, pour contester celle du bureau, doit pouvoir lire la pièce, sinon il ne pourrait souvent pas arriver à démontrer que sa proposition est la meilleure. (Interruption.)
Prenez-y garde, messieurs, si vous ne permettez pas d'agir ainsi, vous nous obligez à admettre comme indiscutable l'analyse et la conclusion du bureau.
C'est ce que vous ne pouvez pas vouloir. Cette absence de contrôle peut mener à trop d'abus.
Il n'y a pas ici un intérêt de parti ; c'est un intérêt commun à toute la Chambre qui est en jeu ; il s'agit de la sincérité de nos délibérations.
La majorité qui s'oppose à la lecture, dans les termes où elle est demandée, exagère la portée des dispositions réglementaires ; le soin de sa dignité, de sa considération aux yeux du pays, devrait la pousser à ne pas refuser plus longtemps la lecture.
MpXµ. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si M. d'Andrimont est autorisé à donner lecture de la pièce en question.
- Voix nombreuses. - L'appel nominal !
MpXµ. - Ceux qui seront d'avis de permettre à M. d'Andrimont de lire la pièce, diront oui ; ceux qui ne le veulent pas diront non.
- Il est procédé à l'appel nominal.
94 membres y prennent part.
36 répondent oui.
47 répondent non.
1 s'abstient.
Ont répondu oui :
MM. Le Hardy de Beaulieu, Lescarts, Muller, Pirmez, Rogier, Sainctelette, Tesch, Van Humbeeck, Van Iseghem, Allard, Ansiau, Balisaux, Bara, Berge, Boucquéau, Bouvier, Braconier, Brasseur, Couvreur, d'Andrimont, Dansaert, David, de Baillet-Latour, de Dorlodot, Defuisseaux, de Lexhy, de Lhoneux, de Macar, de Rossius, de Vrints, Elias, Frère-Orban, Funck, Houtart, Jamar et Vilain XIIII.
Ont répondu non :
MM. Julliot, Kervyn de Volkaersbeke, Lefebvre, Liénart, Magherman, Moncheur, Mulle de Terschueren, Pety de Thozée, Rembry, Royer de Behr, Santkin, Schollaert, Simonis, Snoy, Tack, Thienpont, Vanden Steen, Vander Donckt, Van Hoorde, Yan Outryve d'Ydewalde, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Amédée Visart, Wasseige, Wouters, Biebuyck, Coremans, Cornesse, Cruyt, de Borchgrave, de Clercq, Delaet, Delcour, De Lehaye, de Moerman d'Harlebeke, de Mont-blanc, de Muelenaere, de Naeyer, de Smet, de Theux, de Zerezo de Tejada, Drion, Drubbel, Hayez et Hermant.
S'est abstenu :
M. Jacobs.
En conséquence la lecture de la pièce n'est pas autorisée. La pièce sera déposée sur le bureau de la Chambre pendant la discussion du budget de l'intérieur.
MpXµ. - M. le ministre des finances est prié de faire connaître les motifs de Sun abstention.
MfJµ. - J'ai cru, messieurs, que la lecture de la pièce serait un précédent fâcheux ; mais d'autre part, j'ai pensé qu'elle serait de nature à faire gagner du temps. C'est ce qui explique mon abstention.
- M. Mascart demande un congé.
Accordé.
MpXµ. - Messieurs, j'ai eu l'honneur d'être reçu ce matin par le Roi et de portera Sa Majesté les compliments de condoléance de la Chambre à l'occasion de la mort de la Princesse Joséphine, fille de Mgr le Comte de Flandre.
Le Roi m'a chargé de remercier toute la Chambre de l'intérêt qu'elle lui a témoigné dans cette triste circonstance.
MpXµ. - La parole est continuée à M. Frère-Orban.
M. Frère-Orbanµ. - Je crois avoir montré hier, de manière à ne laisser aucun doute dans l'esprit de personne, quel a été le véritable caractère de la convention du 25 avril. Je crois avoir démontré que la disposition de l'article 59 de cette convention consistait purement et simplement dans l'exemption du payement des droits sans préjuger aucune des questions auxquelles les transferts pouvaient donner lieu, sans préjuger bien moins encore la constitution d'une société à laquelle ces transferts auraient pu être faits, et qui aurait émis les titres en représentation des annuités transférées.
Les documents que j'ai eu l'honneur de mettre sous les yeux de la Chambre sont très péremptoires sur ce point. Il n'y a pas seulement les diverses rédactions qui successivement ont été proposées ; il n'y a pas seulement la note que j'ai consignée, dès le 18 juin, dans un document officiel qui repose dans les archives du département des finances, et qui donne à cette disposition son véritable caractère. Il y a plus : un avis émané de l'un des négociateurs, avis que j'ignorais, que j'ai trouvé par hasard aux pièces qui ont été déposées, et qui constate que nos honorables successeurs ayant consulté l'avocat du département des travaux publics, celui-ci a donné à la convention et à la disposition de l'article 59 qui est en contestation, exactement le même sens que nous.
Cet honorable avocat, qui avait suivi toute la négociation, reproduisant les diverses rédactions qui ont été déposées par la société des Bassins houillers et rejetées par le conseil des ministres, constate que, dans tout le cours de la négociation, les représentants des Bassins houillers ont persévéré à demander et à indiquer comme un moyen d'exécution de la convention, la constitution d'une société à laquelle le transfert pouvait être fait, mais il constate également d'une manière non moins formelle que le conseil des ministres a rejeté d'une manière absolue toutes les prétentions qui étaient formées à cet égard.
Nos successeurs étaient donc parfaitement libres ; ils n'étaient engagés sous aucun rapport ; ils avaient une liberté d'action absolue, lorsqu'ils ont eu à statuer sur la demande qui leur était faite par les Bassins houillers de créer ce qu'on a appelé une caisse d'annuités.
Ils ont eu des appréhensions très vives ; ils ont eu des doutes. Ils se sont éclairés et ils ont consulté. Avertis, par les documents si importants qu'ils avaient sous les yeux, des dangers sérieux que pouvait faire naître la caisse des annuités, si l'on voulait en abuser, instrument qui pouvait être utile dans certains cas donnés, que nous n'avions pas condamné, qui n'eût pas été exclu quand même, qui pouvait être dangereux si l'on ne prenait pas certaines précautions, si on l'autorisait sans condition ; avertis de ces dangers bien formels, ils ont autorisé la constitution de la caisse des annuités à la date du 25 septembre 1870 sans aucune espèce de conditions.
Or, messieurs, c'est un point sur lequel j'appelle la plus sérieuse attention de la Chambre, dans le rapport de l'avocat du département des travaux publics qu'ils avaient consulté, il était expressément énoncé que bien que le gouvernement ne s'engageât pas au point de vue légal, il pouvait, au point de vue moral, assumer une responsabilité en créant cette caisse d'annuités.
(page 400) Averti qu'il ne devait pas l'ériger sans conditions et ces conditions lui ayant été indiquées, le gouvernement a passé outre.
Les conditions étaient indiquées et quelles sont-elles ? Nous y reviendrons un peu plus tard. Ces conditions sont, en principe, sauf certaines restrictions qui annonçaient des intentions qu'on n'était pas obligé de suivre, mais ces conditions sont, en principe, précisément ce qui se trouve aujourd'hui formulé dans les propositions apportées à cette Chambre par M. le ministre des finances.
La question du visa de la trésorerie, le dépôt des titres dans les caisses de l'Etat, la question même des lots à primes ont été indiqués, alors comme elles le sont aujourd'hui. On les trouve mentionnés dans la lettre du 25 juillet 1870 de l'honorable avocat du département des travaux publics.
Je ne puis m'expliquer que le gouvernement ait agi sans s'arrêter à ces graves considérations, n'aura suivi la foi des représentants des Bassins houillers. Ceux-ci lui ont dit à toutes les époques : « (erratum, page 412) Nous demandons la constitution d'une caisse d'annuités, c'est afin de traiter avec les obligataires, c'est le moyen dont nous avons besoin, et il faut mettre cet instrument à notre disposition ; car bien certainement si les Bassins houillers étaient venus dire :
« Nous demandons de constituer une société anonyme à laquelle les annuités seront transférées ; c'est le moyen pour nous de faire des propositions aux obligataires ; mais, pour le cas où ils ne les accepteraient pas, nous nous réservons de disposer des annuités à notre profit ,» le gouvernement aurait repoussé cette proposition avec indignation.
C'est exclusivement en vue de traiter avec les obligataires que la combinaison était projetée, et cela seul la pouvait justifier.
La société des Bassins houillers exposait elle-même ses intentions en s'adressant aux compagnies, au mois de juillet, pour obtenir leur adhésion à la convention du 25 avril. Elle écrivait notamment a la compagnie du Centre, pour exposer ses vues quant aux obligataires.
N'est-il pas clair comme le jour que si la compagnie des Bassins houillers avait été dire à la compagnie du Centre et aux autres sociétés : Dans le cas où l'on n'accepterait pas les propositions que j'ai l'intention de soumettre aux obligataires, il est bien entendu que je disposerai de la redevance comme je le trouverai bon ; je l'emploierai dans mes affaires, je payerai des créanciers, n'est-il pas évident qu'il n'y a pas une société qui eût accepté le marché proposé dans ces termes ?
Tout le monde a agi, gouvernement (erratum, page 412) et sociétés intéressées, de bonne foi, loyalement, dans la croyance qu'il s'agissait de désintéresser les obligataires, de faire avec eux des combinaisons satisfaisantes pour qu'ils n'eussent pas à essuyer des préjudices.
Mais, messieurs, lorsqu'une fois en possession de la caisse des annuités, la compagnie a déclaré de la manière la plus expresse qu'elle avait désormais le droit d'appliquer comme elle l'entendait le produit de la redevance ; lorsque la société des Bassins houillers a fait des annonces déclarant qu'elle remettrait des annuités aux porteurs d'actions dans une série de sociétés ; lorsqu'on a vu absorber et éteindre la compagnie anonyme d'exploitation dont tous les administrateurs ont disparu pour être remplacé par ceux des Bassins houillers ; lorsqu'on leur eut donné en payement de leurs actions des titres de la caisse des annuités ; lorsqu'on a vu un pareil scandale, il y avait quelque chose à faire,
J'admets que le gouvernement ait été trompé. Je ne suspecte pas ses intentions ni sa bonne foi ; niais lorsque l'on a va des débiteurs transformés en créanciers, il y avait une chose à faire : c'était de retirer immédiatement l'arrêté royal autorisant la caisse d'annuités.
Il n'y avait à cela aucune objection possible. Tout ce qui avait été fait jusque-là était simple promesse, car la caisse des annuités ne pouvait entrer en activité qu'au 1er janvier. On ne pouvait prétexter qu'aucun intérêt eût été lésé.
Le gouvernement n'a rien fait. Il a souffert que l'on annonçât dans les journaux que les actions de certaines compagnies seraient échangées contre celles de la caisse des annuités ; il l'a souffert sans retirer l'arrêté royal d'autorisation dont ont abusait d'une manière aussi scandaleuse. Au lieu de eu acte de vigueur légitime qui eût vengé la morale publique, que voyons-nous ?
On voit la société comblée de faveurs successives.
La Société générale d'exploitation était concessionnaire du réseau franco-belge, elle devait être substituée au concessionnaire primitif. On avait donné un délai à la compagnie du Luxembourg pour prononcer sur l'option qui lui était réservée, et, ce délai étant expiré, le département des travaux publics écrivit, à la date du 19 octobre 1870, une lettre à la Société générale d'exploitation, lettre dont j'ai demandé la communication, qui se trouve déposée sur le bureau de la Chambre et par laquelle la compagnie d'exploitation était invitée à verser le cautionnement d'un million qu'elle devait pour garantie de l'exécution de ses engagements.
A l'aide de je ne sais quels moyens, on est arrivé à remettre en question ce qui était décidé et ce qui intéressait les tiers.
Le conseil des ministres avait délibéré et prononcé la déchéance. L'honorable ministre des finances paraît faire un signe de dénégation. Je vais expliquer la chose pour que, par événement, il n'y ait pas d'employés suspectés.
M. De Lonyai, qui était ministre du royaume de Hongrie et qui est devenu ministre des finances de l'empire, m'écrivit à une époque que je ne puis préciser en ce moment, pour me prier d'accueillir le mandataire de M. De Kiss, qui était porteur de sa lettre, en recommandant très instamment les intérêts de M. le colonel De Kiss à la bienveillance du gouvernement belge.
M. De Kiss qui passe pour un fort galant homme, et auquel le gouvernement de son pays porte un vif intérêt, se trouvait malheureusement engagé dans la concession primitive en garant du cautionnement d'un million qui a été déposé.
J'ai donc été mis en rapport avec le mandataire de M. De Kiss, or ce mandataire a été informé, positivement informé de la résolution du conseil des ministres où la déchéance a été prononcée ; il était averti que l'affaire ne souffrirait plus de longs retards, qu'on allait substituer un cautionnement à l'autre et que la restitution si vivement désirée se ferait bientôt.
On s'est avisé après coup que les formalités remplies à l'égard de la compagnie du Luxembourg n'étaient pas suffisantes : on a dit : Il faut une notification par huissier et non une simple lettre. Cependant, au lieu de faire une notification par huissier, on s'est décidé à refaire une notification par lettre dans les mêmes termes que la précédente, sans même affaiblir la lettre antérieure qui autorisait des mesures de rigueur.
Quel a été le résultat de cette belle opération ? Il a été donné dispense à la Société générale d'exploitation de déposer le cautionnement d'un million qu'elle aurait dû verser.
A cette première faveur, voici qu'on en ajoute une autre étrange, extraordinaire. La compagnie des Bassins houillers a déposé une série de cautionnements pour plusieurs millions dans la caisse de l'Etat, en fonds publics belges pour la garantie de l'exécution de ses entreprises.
Cela répond, vis-à-vis de l'Etat, de l'accomplissement des engagements ; et c'est un gage pour les populations intéressées, parce que ce cautionnement servira de premier appoint pour d'autres qui se substitueraient à la compagnie dans le cas où elle ne remplirait pas ses engagements.
Voilà le gouvernement qui livre ses fonds publics à la compagnie des Bassins houillers et l'on met à la place quoi ? Des annuités ! Des annuités qui constituent une partie du gage des créanciers, ou des obligations qui leur seront substituées, si j'ai bien compris la combinaison qu'on nous a indiquée, mais qui sont absolument sans valeur dans les mains de l'Etat.
Vous figurez-vous, messieurs, cette hypothèse : la compagnie des Bassins houillers manque à ses engagements ; elle ne peut pas les exécuter ; la voilà en état de faillite. Nous avons pour créanciers notamment les porteurs d'obligations et voici l'Etat qui viendra dire à ces porteurs d'obligations : Moi, je suis nanti d'une certaine quantité d'annuités ; il est vrai que cela peut bien être un peu votre garantie ; il est bien vrai que vous avez pu le croire. Mais, en droit strict, je ne vous dois rien.
Ces annuités, je les garde ! Eh bien, non, messieurs, l'Etat n'osera pas les garder.
M. Baraµ. – Il n'en aurait pas le droit.
M. Frère-Orbanµ. - Evidemment, il ne le pourrait pas ; mais je raisonne dans l'hypothèse de la combinaison qu'on nous a indiquée ; et je dis que le gouvernement n'osera pas accepter cette position. La Chambre au surplus ne souffrirait pas que de pauvres créanciers fussent victimes dans de pareilles conditions, parce que le gouvernement, avec une précipitation inexplicable, aura restitué des cautionnements valables qu'il avait en main pour prendre des annuités précisément à une époque où ces annuités font l'objet d'une contestation entre la société des Bassins houillers et ses propres créanciers.
Enfin, messieurs, il fallait mettre le comble à tout cela ; il fallait faire plus encore pour cette compagnie, qui a si bien rempli ses engagements. Voici qu'il faut lui payer le matériel comptant.
Il faut ajouter, à tout ce qui vient d'être fait, des millions pour la reprise du matériel ; il les lui faut sur l'heure.
Cela est-il concevable ? Je le demande.
Et voyez la précipitation qu'on y met. On nous apporte ce projet pour la (page 401) reprise du matériel et immédiatement il soulève des objections tellement capitales, tellement formidables, qu'on s'empresse d'amender le projet ; on en retranche une partie de ce qu'on nous demandait de payer immédiatement. Il fallait voter incontinent, au pied levé, sans autre délibération ; la compagnie était pressée ; cela suffisait.
Nous nous y opposons, et voici qu'au premier amendement on en substitue un second.
Voilà, messieurs, avec quel soin cette affaire a été examinée, voilà comment on était convaincu du mérite des propositions qu'on veut soumettre à la Chambre.
Voilà la situation.
Vous me dites : Ce matériel, mais il a été vendu, cela résulte de la convention ; par conséquent, on pouvait le payer, et, à tout prendre, qu'on paye en annuités ou en capital, c'est, au fond, la même chose : cette annuité comprend un amortissement ; par conséquent, c'est le payement du prix.
C'est là une simple subtilité qui ne supporte pas l'examen. Le matériel des compagnies, quels qu'en fussent les propriétaires, quels que fussent ceux à qui le matériel devait être restitué, ce matériel devait être nécessairement repris ; il ne pouvait être affecté qu'à un usage, à une seule destination, l'exploitation des chemins de fer.
Dans cette situation confuse, si peu claire, relativement au matériel, il ne fallait rien faire qui fût préjudiciable aux intérêts des tiers dans cette affaire. Pourquoi les compromettre ? pourquoi s'exposer à les compromettre ? Il y a certainement des contestations ; cela n'est pas douteux ; pourquoi ne pas laisser les contestations se vider complètement ? Quelles raisons donne-t-on ? Une des raisons pour payer actuellement ce matériel, c'est que le trésor public pourrait réaliser un certain bénéfice, en payant le capital actuellement plutôt que par annuités, ce capital étant obtenu dans les conditions de la convention qui a été faite par le gouvernement.
Mais c'est là un intérêt tout à fait insignifiant, et, même au point de vue de la convention, ce n'est guère à approuver.
On prend, nous dit-on, du 4 1/2 à 105 ; mais ce 4 1/2, qu'on prend à 105, est du 4 1/2 qui est aujourd'hui coté 102, 103, est soumis à une action de dépression qui s'expliquerait même par les cautionnements qui ont été restitués ; dépression qui s'explique en tous cas par les circonstances ; dans un temps donné, la paix faite, le 4 1/2 dépassera certainement le taux auquel on prétend le réaliser aujourd'hui.
Le bénéfice dont on nous parle, en donnant le 4 1/2 dans les termes de la convention, n'est donc pas un intérêt qui permette d'expliquer l'opération qui nous est soumise.
Il faut que je dise toute ma pensée sur cette affaire. On ne croit pas, généralement, que les ministres actuels soient tout à fait responsables (interruption), pas en totalité, de cet ensemble de mesures que je viens de rappeler.
On prétend que la plus grosse part de responsabilité, dans cette affaire, pourrait bien incomber au ministre qui n'est plus ministre.
On a pu les (erratum, page 412) conjecturer lorsque, en même temps que tous ces actes, s'accomplissaient en faveur de la compagnie des Bassins houillers, on vit annoncer que l'affaire était introduite à la Société générale ; alors on disait : Mais tout s'explique : du moment que l'on s'associe aux Bassins houillers, il faut fortifier cette proposition ; il faut rassembler dans leurs mains le plus de millions possible.
C'est là ce que des gens qui, peut-être, y mettaient un peu de malignité, se permettaient de supposer.
MfJµ. - Et cela est inexact.
M. Frère-Orbanµ.- Ce sont des conjectures que favorisent certaines positions dont nous avions signalé les inconvénients. Il était difficile d'y échapper. Mais enfin, messieurs, quoi qu'il en soit de ces conjectures, vaincu par l'évidence, on a fait des propositions.
Que sont ces propositions ?
D'abord et avant tout, elles sont la condamnation absolue de celles qui avaient été faites précédemment. Ensuite, comme je le disais tantôt, elles ont été indiquées au gouvernement lui-même par son conseil, par son avocat, à la date du 25 juillet 1870. Je le répète : dépôt des titres à la trésorerie, séquestre des titres, tout cela a été indiqué comme condition de la constitution de la société.
La compagnie disait à cette époque-là : Je vous offre de déposer dans les caisses de la trésorerie lotîtes les obligations et annuités ; je fais en même temps des offres aux obligataires ; ils auront un an pour se prononcer et passé cette année, je deviendrai libre de mes actions quant aux annuités.
Il est bien évident, messieurs, que le ministre des finances n'était nullement tenu d'accepter ce délai. Mais cette condition, pourquoi était-elle insérée ? Evidemment pour essayer de déterminer le gouvernement à consentir à l'émission de lots à primes. On disait, en effet, immédiatement après : Si vous voulez concéder des lots à primes, vous les garderez jusqu'à extinction.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement, mis en présence de ces propositions dès le 25 juillet, les a écartées sans autre discussion ; il a autorisé purement et simplement. On les réédite aujourd'hui.
Il est clair que si les obligataires acceptent ce qui leur est offert, je n'ai rien à dire sous ce rapport. Mais le gouvernement commet une grave imprudence en intervenant dans un règlement d'intérêt privé.
A un autre point de vue, je trouve l'intervention du gouvernement extrêmement dangereuse. M. le ministre des finances l'avait ainsi compris, il avait d'une manière constante refusé de laisser mettre en contact le trésor avec les obligations ; il ne voulait pas que le visa fût apposé. Je regrette qu'il n'ait point persévéré dans ce système. Il est incontestablement compromettant d'avoir des titres en circulation portant le visa de la trésorerie.
Le gouvernement a dit dans cette Chambre : Je n'interviens pas ; je. ne m'engage à rien ; je consens à mettre le visa sur les titres, rien de plus ; niais gardez-vous de croire que je m'engage à quoi que ce soit.
Mais que n'avions-nous pas dit dans la convention du 25 avril ?
N'avons-nous pas dit dans cette convention après de longues délibérations : Nous ne voulons pas vous donner une rente ; c'est simplement un prélèvement sur la recette brute que vous aurez ; rien de fixe, rien de garanti ? Et n'a-t-on pas osé dire au lendemain de la convention aux particuliers qui étaient intéressés à le croire, que c'était une rente fixe qu'on avait sur l'Etat, que jamais cette rente ne pouvait être atteinte que par les mêmes éventualités qui atteindraient les fonds publics eux-mêmes ! Et de même dans un temps donné, ces obligations se trouvent dans les nains du public et sur lesquelles on voit le visa du trésor public, étant données comme des valeurs dont la solidité est parfaitement garantie, vous verrez des tiers qui seront porteurs de ces obligations et qui, au moment d'un désastre, si par malheur il pouvait arriver, se retourneront contre le trésor et diront : Pourquoi avez-vous visé ces titres ? Et l'on dira que le trésor est moralement engagé dans ces opérations.
Ensuite une autre considération (erratum, page 412) doit être présentée sur l'intervention du gouvernement qui me paraît faire miroiter aux yeux des obligataires une situation qu'il est impossible de leur garantir.
Le gouvernement dit : Je suis séquestre ; je me constitue séquestre. Je reçois les titres ; je les mets dans mes caisses ; je les garde. Vous, obligataires, vous ferez ce que bon vous semblera ; vous échangerez ou vous n'échangerez pas. Si vous échangez, tout est dit ; vous aurez de nouveaux titres. Si vous n'échangez pas, le gage sera toujours pour vous.
On expliquera probablement ce que c'est que ce séquestre d'invention nouvelle. Pour moi, je n'y comprends absolument rien. Mais c'est donc dire aux obligataires : Je détiens dans mes mains les titres qui sont la représentation de ces annuités. Eh bien, supposons la faillite. Vous êtes détenteur de ces titres, à qui iront-ils ? je vous prie. Vous avez promis que ce serait aux obligataires. Etes-vous en mesure de réaliser voire promesse ? Non ; vous faites miroiter une chose illusoire aux yeux des obligataires ; vous ne sauriez pas réaliser votre promesse.
MfJµ. - Au moment de la faillite, tous les droits sont fixés.
M. Frère-Orbanµ. - Sans doute. Vous aurez donc le concours de tous les créanciers ; ces titres seront le gage commun des créanciers. Ne dites donc pas que les obligataires ont un gage ; vous ne leur donnez pas cela, vous ne pouvez le leur donner.
Je trouve donc qu'à tous ces points de vue, la situation est véritablement compromettante, dangereuse pour l'Etat.
Maintenant allons au fond ; voyons ces propositions.
Nous ayons diverses catégories de créanciers dans cette affaire : le Flénu, Saint-Ghislain, l'Ouest. Nous avons des lignes qui sont bonnes, d'autres qui sont médiocres et d'autres qui sont mauvaises, et nous avons des obligations qui s'appliquent à chacune de ces lignes. Pour le Flénu, Saint-Ghislain, Jonction de l'Est, pas de question..
On ne vous cède ces lignes qu'à la condition que vous payiez la rente. En voilà qu'il faut désintéresser ou vous n'aurez pas les lignes. Vous avez maintenant des obligataires des autres lignes. Les obligataires des bonnes lignes, qui seraient assurés d'obtenir leurs 15 francs, ceux des lignes médiocres qui pourraient en avoir 10 ou 12, je suppose, et ceux des lignes mauvauses qui ‘en auraient peut-être que 5, sont mis à peu près sur la même ligne ; on leur offre une situation analogie. Mais que va-t-il se passer, dans le système du gouvernement ? Vraisemblablement ceci : Les porteurs d’obligations appartenant à des lignes mauvaises s’empresseront (page 402) d'aller changer leurs titres contre les titres de la caisse d'annuités et les obligataires des bonnes lignes n'iront pas. Tamines-Landen, par exemple, qui est dans la catégorie des mauvaises lignes, a un nombre, restreint d'obligations.
Le total s'en élève à 45,000 ; 27,000 sont dans la possession même des Bassins houillers et peut-être qu'il ne serait pas très difficile de trouver le reste chez le voisin. Voilà donc ceux qui vont venir à l'échéance, mais que sont ceux-là ? Ce sont des débiteurs. Les Bassins houillers sont débiteurs et ils vont obtenir des titres d'annuités, ils vont recevoir une bonne valeur en échange d'une valeur dont on trouverait difficilement le placement.
Je conçois cette opération de la part de la compagnie des Bassins houillers, mais je doute qu'elle soit vue de bon œil par les autres obligataires.
Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas dit aux Bassins houillers : En échange des faveurs que je vais vous donner, vous consentirez à ce que vos créanciers soient payés ayant que je donne quelque chose pour les obligations dont vous êtes porteurs.
Il me semble que cette proposition serait très acceptable et n'aurait rien de bien exorbitant.
Peut-être, si l'on veut bien ne pas se priver des moyens d'exercer une légitime pression sur la compagnie, peut-être aura-t-on de nouvelles propositions à soumettre au gouvernement ? On a affaire à des hommes très ingénieux. Voici ce que je trouve raconté par eux dans une brochure qui vous a été distribuée ; on parle d'une proposition qui m'aurait été faite, dans ces termes :
« Cette donnée étant admise, nous disions à M. le ministre des finances.... » Ce nous disions à M. le ministre des finances en dit très gros. J'ai eu l'occasion de déclarer que je n'ai vu que deux fois l'administrateur délégué des Bassins houillers et ce n'est pas certes alors qu'il m'a fait part de ces prétendus projets. C'est encore une invention.
Voici comment on l'expose :
« Ces données étant admises, nous disions à M. le ministre des finances : Le crédit de l'Etat se capitalise aujourd'hui de 4 1/4 à 4 1/2 p. c, tandis que celui des sociétés de chemins de fer dont vous allez reprendre les lignes vaut à peu près 6 1/2 p. c. Offrez de notre rente aux obligataires de ces chemins de fer, et vous économiserez immédiatement au moins le quart de la charge annuelle, soit 2,750 fr. par kilomètre ; payez-vous en crédit ce que vous ne voulez pas donner en argent.
« Cette proposition était simple, pratique ; elle eût satisfait à coup sûr les obligataires. Elle ne déplaisait pas à M. le ministre des travaux publics ; elle était chaudement appuyée par M. le ministre de l'intérieur : elle fut rejetée par M. le ministre des finances.. Le gouvernement, d'après lui, n'avait, en aucune façon, à s'immiscer dans les intérêts des tiers. »
Ceci est encore, je le répète, une pure invention. Aucune proposition de ce genre n'a été faite. Voici ce qui a donné lieu au roman.
Notre honorable collègue M. Pirmez avait depuis longtemps l'idée d'une combinaison à l'aide de laquelle en échange des obligations de chemins de fer on opérerait dans de bonnes conditions le rachat des lignes concédées.
Celte idée n'avait pas été émise à l'occasion de la convention que nous discutons. cette idée était antérieure à la convention et de bien longtemps antérieure ; elle avait été même, formulée par écrit et examinée par la trésorerie. Il n'est donc pas étonnant qu'il en ait été question de nouveau entre nous dans les négociations.
Mais nous ne l'avons pas admise alors, parce qu'il ne nous a pas été démontré que l'on pût utilement en tenter l'application. Et c'est ainsi que sur un fait vrai dont on a pu avoir connaissance, on bâtit le roman d'une proposition qui n'a jamais été faite. Je ne veux pas la discuter. Je dis seulement que si elle était pratique au moment de la convention, si elle ne devait pas alors imposer de charges au trésor, elle serait à plus forte raison dans les mêmes conditions aujourd'hui.
Si M. le ministre veut examiner cette combinaison, il pourra nous faire connaître son sentiment.
Mais en attendant que nous ayons autre chose que des indications assez vagues, des projets non réalisés, à supposer qu'ils puissent être efficaces quant aux obligataires, faut-il se hâter de se dessaisir du capital que représente le matériel ?
Des tiers réclament, des tiers élèvent des prétentions. Il y a des oppositions signifiées dans les mains de l'Etat. La ratification des conventions peut être considérée comme douteuse. Il y a des compagnies qui semblent avoir adhéré purement et simplement, mais d'autres n'ont adhéré que sous des réserves très expresses. La compagnie de Hainaut et Flandres, la compagnie de Braine-le-Comte à Courtrai, celle de l'Ouest ont ratifié pour autant que cela ne porte aucune atteinte aux droits des obligataires.
Le Centre, il est vrai, d'après les pièces qui ont été déposées, a adhéré purement et simplement. Il y a une opposition signifiée au gouvernement. On prétend que cette ratification n'a pas été donnée par l'assemblée ; que cette assemblée avait été composée ad hoc par les Bassins houillers, eux-mêmes possesseurs de 6,500 actions, et qu'elle aurait décidé que la société du Centre renonçait à l'action résolutoire.
Voilà des actes que l'on considère comme frauduleux.
Il y a procès.
Et c'est à ce moment que l'on veut payer le matériel ! Je ne pense pas que cela soit raisonnable.
Enfin, si nous examinons la situation qui a été faite, il y a quelque peu lieu de s'étonner de ceci.
Quelle que soit l'importance du matériel, j'admets qu'il ait été expertisé très bien par les agents de l'Etat dans lesquels j'ai confiance, on arrivera à 26 millions, dit-on, est-ce bien la valeur du matériel afférent aux lignes dont nous reprenons l'exploitation ?
Ne bat-on pas monnaie avec le matériel ? Ne vient-on pas porter en compte tout le matériel que l'on a sur d'autres lignes, sur d'autres exploitations, pour le vendre aujourd'hui à l'Etat ?
Je pose la question.
Voici le fait qui m'a frappé.
La société avait environ 1,000 kilomètres en exploitation. Elle avait donc en circulation, commandé et livré le matériel dont nous nous occupons.
Ce matériel, d'après les chiffres d'aujourd'hui, monterait à 31 millions, si je ne me trompe, tout compris, pour les 1,000 kilomètres.
On nous livre 600 kilomètres, elle en garde 400, chiffre rond. Et pour ces 400 kilomètres, il ne lui reste plus que 5 millions de matériel, tandis que pour les 600 kilomètres que nous prenons, nous avons du matériel pour 26 millions. C'est une situation qui a besoin d'être éclaircie. Je ne prétends pas que les lignes soient égales, qu'il existe partout le même trafic. Non, sans doute ; il y a une différence entre le matériel afférent à l'une et à l'autre ligne, mais le matériel qu'on attribue au réseau des Flandres, évalué à 5 millions, me paraît d'une telle expression de simplicité, que je crains bien que les populations ne se plaignent de l'insuffisance du matériel, et ce sera de l'assentiment du gouvernement que les choses se seront ainsi passées.
Ensuite, il y a une autre raison.
J'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que le budget, qui a été préparé en même temps que la convention, pour savoir jusqu'où iraient les obligations de l'Etat, démontrait qu'en supposant un matériel de 18 millions appliqué aux 600 kilomètres, l'Etat exploitant perdrait encore. 108,000 francs par an, si j'ai bon souvenir.
Vous allez appliquer, non pas un matériel de 18 millions, mais un matériel de 26 millions ; il y aura, en ce cas, un demi-million de perte sur l'exploitation.
Je sais bien qu'on va me répondre que le matériel fait défaut.
Si vous voulez avoir du matériel, faites deux choses : prenez le matériel nécessaire et afférent aux lignes et payez-en l'annuité et faites-vous facturer directement le matériel dont vous avez besoin. Vous aurez ainsi cette situation que le matériel destiné à vos services généraux ne viendra pas peser sur les lignes reprises de la Société générale d'exploitation.
Lorsque le projet a paru, j'avais dit que je le trouvais injustifiable, mais je le trouvais aussi inutile. J'ai fait mes efforts pour démontrer qu'il ne pouvait guère être justifié, mais il sera facile de démontrer qu'il est inutile.
Quelle est la justification du projet de loi ? Lisez les exposés des motifs ; il n'y a qu'un motif ; on dit : Nous voulons aider la compagnie à exécuter ses engagements. Il n'y a pas d'autre motif dans les exposés qui ont été soumis à la Chambre.
Eh bien, nous venons vous démontrer que vous faites une chose difficile, compromettante, discutable, plus ou moins dangereuse, soulevant des réclamations, pouvant froisser des tiers en payant le matériel au comptant, au lieu d'en payer l'annuité. Vous voulez, dites-vous, aider la compagnie à exécuter ses engagements. Mais faites-lui des avances sur les annuités que vous lui devrez pour les lignes à construire ; c'est une chose bien simple.
On doit exécuter des kilomètres de chemins de fer que l'Etat se dispose à exploiter moyennant une rente kilométrique de 7,000 francs. Pour les annuités qui seraient libres, l'avance que vous ferez constituerait le rachat partiel de l'annuité que vous avez promise.
(page 403) Et ainsi, vous atteindriez le but que vous vous êtes proposé ; et ainsi vous ne compromettriez rien, pour autant qu'il fût démontré qu'il est utile de venir, de cette façon, en aide à la compagnie, ce qui resterait a examiner.
Messieurs, ces compagnies ont-elles donc tant besoin de l'assistance de l'Etat ? Ces compagnies me paraissent, au contraire, - si j'en dois croire des documents authentiques, - nager dans les millions. J'ai, sous les yeux, les deux derniers comptes rendus de la Société générale d'exploitation des chemins de fer et de la société des Bassins houillers du Hainaut, à la date : l'un du 9 juin 1870, l'autre du 31 mai 1870.
Le compte des profits et pertes pour la Société générale d'exploitation se solde par un bénéfice brut de 3,596,246 fr. 13 c. ; déduction des charges et de la réserve, il reste un bénéfice net à répartir de 1,055,869 francs.
Ainsi, un million à répartir, sans compter ce qu'on met à la réserve, car nous avons affaire à des gens prévoyants. Une pareille société, qui partage de telles sommes, a-t-elle tant besoin de l'assistance de l'Etat ?
Le compte rendu de la société des Bassins houillers n'est pas moins brillant. II y a, d'après le compte des profits et pertes, un bénéfice de 2,294,000 francs. La part de M. l'administrateur délégué s'élève à la bagatelle de plus de 84,000 francs ; celle des autres administrateurs de plus de 155,000.
On s'est partagé des millions il y a quelques mois à peine. On s'est partagé tous ces millions et aujourd'hui on vient demander encore des millions.
Eh bien, messieurs, croyez-moi, il est très dangereux de remettre tant de millions à des gens qui en ont tant déjà. Il y a là beaucoup trop de tentations (erratum, page 412) de se livrer à de nouvelles entreprises, à de nouvelles spéculations. Gardez-les ces millions, messieurs ; vous ferez une bonne chose pour tout le monde, et, en toute hypothèse, (erratum, page 412) dans l’état incertain où l’on est encore sur les droits et les prétentions de tiers intéressés, je crois que ce qui vaudrait mieux, ce serait d'ajourner les propositions qui sont actuellement soumises à la Chambre.
- M. de Naeyer remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.
M. Liénartµ. - Messieurs, on a beaucoup discuté jusqu'à présent la convention du 25 avril, et très peu le projet de loi qui vous est soumis.
Mon rôle de rapporteur n'a donc pas encore commencé, à proprement parler, et j'attendrai pour rencontrer, dans une réfutation d'ensemble, les critiques dirigées en terminant par l'honorable M. Frère et celles qui seront présentées dans le cours de la discussion.
Quant à M. l'administrateur des Bassins houillers, je n'ai aucune mission pour le défendre contre les attaques de l'honorable préopinant, qui me semble avoir voulu parler à la fenêtre et, ce qui est plus regrettable, avoir battu un peu M. l'administrateur sur le des des obligataires.
Mais je vous ai dit précédemment que la section centrale, avant de recevoir de l'honorable ministre des finances l'amendement qu'elle a l'honneur de vous présenter, avait envisagé, dans une vue d'ensemble, la position des obligataires au point de vue de l'ensemble de la convention du 25 avril.
C'eût été un hors-d'œuvre de consigner dans mon rapport les développements de cette discussion parce que je ne devais pas prévoir, à ce moment, que la discussion aurait passé au-dessus du projet de loi pour remonter à la convention mère du 25 avril.
Mais ce qui eût été un hors-d'œuvre dans mon rapport trouve tout naturellement sa place dans mon discours par suite de la tournure imprimée au débat.
Vis-à-vis de mes adversaires qui ont fait dévier le débat, je n'ai pas à m'excuser de prendre la parole sur ce sujet, el je compte sur l'indulgence de mes amis.
La convention de reprise de lignes des Bassins houillers, cette convention « qui intéresse, au plus haut degré, la fortune d'une masse de gens et concerne même la fortune publique, » fut apportée aux Chambres par le cabinet précédent à la dernière heure, et si bien à la dernière heure qu'il fallut, pour arriver à temps, presser le pas à la discussion de la façon que vous allez juger.
Présenté dans la séance du 29 avril, imprimé et distribué j'ignore à quel instant précis, il fut fait rapport sur le projet de loi le 6 mai. La discussion, ouverte le 13 mai dans une séance du soir, fut clôturée le lendemain 14. Le projet aurait peut-être été voté dans la nuit même du 15 mai sans l'opposition de l'honorable M. Dumortier, qui se refusa à parler au milieu des conversations d'adieu et à dix heures et demie du soir.
L'instant d'après, la Chambre s'ajournait ; la période électorale s'ouvrait et le gouvernement descendait dans l'arène électorale, armé du prestige nouveau que lui assurait la convention du 25 avril.
D'autres vous diront, messieurs, l'usage que le gouvernement en fit et le pays jugera si l'honorable M. Jamar s'est conformé à la vérité quand il vous a dit hier, à l'honneur du cabinet précédent et dans un langage véritablement austère, que le cabinet précédent n'a jamais cherché, en dehors, du monde des idées et des principes, les appuis qui sont la force des gouvernements comme elles sont celle des majorités.
Ce résultat, messieurs, ne fut pas obtenu sans coup férir. La conduite de l'ancien cabinet fournit le thème d'appréciations diverses.
« Est-ce le fait d'un gouvernement parlementaire constitutionnel de vous présenter, huit ou dix jours avant la clôture d'une session qui a duré sept mois, un projet de loi d'une pareille importance ? On ne traite pas le parlement de la sorte. On n'arrive pas au dernier moment avec des projets de lois qui peuvent devenir ainsi des objets (je ne dis pas que ce soit l'intention de MM. les ministres), mais enfin, je dois bien le dire, des objets d'escamotage. »
Et plus loin encore. « au surplus, c'est au moment où. nous n'avons pas le temps de l'examiner que l'on veut venir enlever un projet aussi grave, et je serai vraiment tenté de croire qu'on nous a présenté ce projet de loi dans les derniers jours de la session, parce qu'il y a une aiguille sons roche que vous ne voulez pas montrer. »
Ainsi parla M. Dumortier.
Un membre de la gauche, M. Le Hardy de Beaulieu, ne fut pas moins sévère pour critiquer la présentation « à un moment, disait-il, où il est matériellement impossible de le discuter à fond, parce qu'il a été très difficile, pour ne pas dire impossible, d'examiner toutes les pièces qui devaient l'appuyer »
Il termina son discours en demandant en ces termes l'ajournement : a Quant à moi, je le déclare, en présence de la situation (le mot violence n'eût pas été parlementaire) qui nous est faite de discuter une affaire de cette importance au moment présent, je me refuse à prendre part au vote ; je ne voterai pas même d'une façon négative, car ce serait apporter par mon vote un acquiescement que je ne puis donner à la loi qui nous est proposée. »
Un autre membre encore de la gauche, fort au courant cependant de ces matières, M. Couvreur, motiva ainsi son abstention : « Je n'ai pas voulu voter pour, à cause des conséquences du principe et à raison du peu de temps qui m'était donné pour émettre un vote éclairé. »
Mais votre siège était fait, le projet de loi fut voté ; il ne réunit que six suffrages sur les bancs de la droite.
Voilà, messieurs, extrait des Annales parlementaires, l'historique et je dirai volontiers puisque le mot est en vogue, la photographie du vote de cette fameuse convention qui « intéresse au plus haut degré la fortune d'une masse de personnes et concerne même la fortune publique. »
L'honorable M. Frère, qui apparemment donna l'impulsion à toute cette affaire, et dont les interrupteurs de l'époque ne faisaient que servir les intentions, ne me démentira pas.
Dans une discussion aussi écourtée, c'est à peine si l'intérêt des obligataires fut mentionné. Il m'a fallu lire patiemment la discussion, la lire ligne par ligne, mot par mot, pour découvrir le seul membre de phrase, dans lequel se résument toutes les sollicitudes du gouvernement d'alors pour la cause des obligataires.
Avec une sobriété de langage, qui contraste avec les discours émus et les paroles retentissantes que les ministres démissionnaires ont retrouvés dans l'opposition, le gouvernement se contenta de déclarer, par la bouche de l'honorable M. Jamar, que « le gouvernement n'avait pas à s'immiscer dans cette question. La convention ne porte aucune atteinte aux droits des tiers, que ceux-ci ont à sauvegarder comme ils l'entendent. »
M. Frère-Orbanµ. - C'est encore ce que nous disons.
M. Liénartµ. - Pardon ; quelle distance entre cette déclaration du jour même et la déclaration du lendemain qui a été faite à la séance d'hier par l'honorable M. Jamar, ministre démissionnaire, que l'intérêt des obligataires avait été la cause déterminante du contrat du 25 avril ! (Interruption.) Autres temps, autres mœurs.
Vous n'avez pas porté atteinte aux droits des obligataires, c'est peut-être vrai. Mais vous avez omis de sauvegarder le droit des obligataires au moment propice pour le faire le plus naturellement et le plus utilement, à un moment où il ne vous aurait coûté ni de bien longs discours, ni de bien grands efforts pour atteindre ce but, si vous l'aviez sincèrement à cœur.
En l'établissant, je dégage la parole que j'ai donnée à la Chambre dans la séance du 21 décembre dernier.
Les obligataires se disent les ayants droit des Bassins houillers. C'était donc au moment où vous traitiez avec les Bassins houillers que vous deviez avoir souci des intérêts des obligataires et stipuler des garanties en (page 404) leur faveur. L'avez-vous fait dans le contrat du 25 avril ? Là est toute la question. Vous ne l'avez pas fait.
M. Frère-Orbanµ. - Nous ne devions pas le faire et nous ne pouvions pas le faire.
M. Liénartµ. - Je vous porte le défi de dire quelle est, dans ce volumineux contrat de soixante et des articles, la disposition où il y ait seulement trace du moindre souci de ces intérêts, pour lesquels vos tendresses sont nées en un jour d'opposition ; il n'y a pas une disposition qui assure, qui sauvegarde, que dis-je, qui vise même de quelque façon que ce soit cet intérêt, et le chef de l'ancien cabinet en a été réduit hier à l'humiliante nécessité de plaider que le contrat du 25 avril sauvegarde ces intérêts plutôt par ce qu'il ne dit pas que par ce qu'il dit.
Le contraire est la vérité.
M. Frère-Orbanµ. - Je n'ai pas dit cela. (Interruption.)
M. Jamarµ. - C'est une phrase de M. Hennequin.
M. Liénartµ. - La preuve irrécusable qu'il en est ainsi est la tendance définitive du pétitionnement soulevé dans le pays, pétitionnement qui ; après avoir quelque temps cherché sa voie, remonte aujourd'hui à la convention du 25 avril comme à la source du mal pour en demander le redressement.
Si vous avez continué, comme vous l'avez fait dans le principe, à prêter une oreille complaisante aux plaintes des obligataires, vous savez qu'ils réclament contre le transfert des annuités et ensuite contre le niveau injuste établi par la convention entre le produit kilométrique des lignes déjà construites et exploitées et celui des lignes encore à construire.
« Il résulte des termes de l'article 44 que nous venons de citer, qu'en traitant avec l'Etat M. Philippart n'a pas seulement amalgamé toutes les lignes du réseau construit à ce jour, mais qu'il a de plus adroitement confondu le réseau ancien avec le réseau à construire ; de telle façon que certaines lignes du nouveau réseau, dont les recettes seront pendant bien longtemps inférieures aux dépenses d'exploitation, trouveront une compensation dans celles des lignes de l'ancien réseau qui produisent de fortes recettes. Voilà la situation dans laquelle la convention du 25 avril place les obligataires des anciennes lignes...
« Les ministres, auteurs de la convention du 25 avril, auraient dû s'opposer aux tentatives faites par M. Philippart, pour enchevêtrer l'ancien avec le nouveau réseau. Nous ne comprenons pas que l’on ait permis aux Bassins houillers de sacrifier l’intérêt des obligataires...
« Si les auteurs de la convention du 25 avril avaient été sages, ils auraient scindé cette convention ; ils auraient mis, d'un côté, les lignes construites, dont l'exploitation est en plein rapport et pour lesquelles il y a en des engagements pris et des droits acquis ; de l'autre côté, ils auraient placé les lignes à construire dont le rendement sera faible pendant plusieurs années et pour lesquelles il n'y a aucuns droits acquis, ces lignes étant jusqu'ici dans le domaine des hypothèses.
« La convention du 25 avril étant faite de manière que les redevances à payer pour les deux réseaux ne puissent être confondues, la situation changeait du tout au tout. L'Etat n'aurait pas hésité à garantir un minimum plus élevé si l'on avait traité séparément pour les lignes de l'ancien réseau, et cela eût fait les affaires des obligataires. » (Extrait de l'article signé Emile Francq et publié dans le journal le Commerce, n°2, 12 janvier 1871, p. 16.)
Ainsi s'exprime l'un des défenseurs des obligataires, qui n'est pas suspect d'hostilité systématique vis-à-vis de l'ancien cabinet, attendu que l'Echo du Parlement lui accorde l'hospitalité de ses colonnes.
La distinction entre les deux réseaux avait été faite dans un projet de convention en, vingt-trois articles, que je tiens à la main et qui est extrait de la farde déposée sur le bureau de la Chambre.
Voici comment est conçu l'article 8 :
« Pour prix de la jouissance des ligues remises à bail à l'Etat par la compagnie des Bassins houillers, cette dernière recevra, sur le montant des recettes brutes afférentes à ces lignes, une part fixée comme suit ; 1° quarante pour cent de la recette brute opérée sur l'ensemble des deux réseaux mentionnés à l'article premier ci-dessus, sans que cette part puisse être inférieure au produit minimum de 8,000 francs par kilomètre et par au pour l'ancien réseau, et 6,000 francs par kilomètre et par an pour le nouveau. »
Tout en n'acceptant pas la garantie d'un minimum, le gouvernement a été mal avisé de ne pas entrer dans la voie d'un prélèvement différent pour chacun des réseaux et l'honorable M. Frère a évidemment mauvaise grâce de critiquer aujourd'hui, comme il vient da le faire il n'y a qu'un instant, le sort égal fait aux obligataires des différentes lignes.
Cette égalité n'existe dans la combinaison qu'aux regards du gouvernent ; mais elle existerait en réalité entre les obligataires, que vous ne seriez pas admis à la critiquer puisque vous auriez contribué à l'établir.
C'est le premier grief.
Le second grief a plus vivement ému l'opinion publique. Les pétitionnaires demandent que l'on intercale dans ce contrat ce qui aurait dû être inscrit et qu'à la place des facilités accordées par l'article 59, pour la cession des annuités, on mette, au contraire, une clause frappant ce prélèvement d'indisponibilité entre les mains de la partie venderesse.
La pétition adressée à la Chambre, par la commission de la Bourse, organe de la finance, émanation de l'administration de la ville de Bruxelles et, par conséquent, non suspecte, mérite particulièrement de fixer l'attention à cet égard et est expressément conçue dans ce sens ; j'y lis ce qui suit :
« Les obligations créées pour la construction des chemins de fer repris par l'Etat, sont au nombre de 400,000, représentant un capital effectif de 100,000,000 de francs et sont disséminées entre les mains d'un nombre considérable de porteurs.
« Les intérêts de ces nombreux porteurs, pour la plupart petits rentiers, sont gravement atteints et compromis par la convention du 25 avril. Le gage sur lequel ils comptaient, c'est-à-dire les produits de ces lignes, aujourd'hui représentées par l'annuité due par l'Etat, a été réalisé par la société des Bassins houillers, grâce aux facilités que lui donne cette convention.
« Si l'exécution de la convention du 25 avril doit amener de semblables résultats, il faut la modifier.
« Le gouvernement, en reculant devant sa révision, engagerait sa responsabilité morale... »
Toutes les combinaisons, si nombreuses qu'elles soient, présentées jusqu'à ce jour tendent au même résultat. En prônant le remède, les pétitionnaires accusent manifestement la source du mal.
Pour éviter cette seconde et principale cause de préjudice, un mot suffisait, un seul, et ce mot vous ne l'avez pas écrit.
Vous n'avez pas écrit le mot utile et vous avez mis à sa place l'article 59.
Qui a introduit cet article dans la convention ? Est-ce M. Philippart, est-ce le gouvernement ?
Les efforts que vous faites pour établir la seconde alternative et pour rapetisser dans la mesure du possible la portée de l'article 59, ne prouvent qu'une seule chose, que la paternité de l'article 59 est fort gênante et que vous seriez bien aise de la transporter aux Bassins houillers attendu que la responsabilité de l'ancien cabinet est sérieusement engagée par l'adoption de cet article.
M. Jamarµ. - Nous l'acceptons tout entière.
M. Liénartµ. - Vous ne sauriez faire autrement, car il m'importe assez peu de savoir qui a présenté l'article. Il me suffit de trouver l'article dans une convention signée par le gouvernement pour que j'en rende, à bon droit, le gouvernement responsable. L'article 59 vous est imputable que vous en ayez eu l'initiative ou que vous l'ayez accepté des mains de M. Philippart.
L'honorable M. Frère s'est défendu avec habileté contre le reproche d'avoir autorisé le transfert par l'article 59 de la convention du 25 avril dans une note placée fort à propos dans le dossier à la date du 17 juin, c'est-à-dire après la défaite de l'ancienne majorité et quelques jours avant la retraite du cabinet ; les dates présentent ici de l'intérêt.
Il combat dans cette note l'appréciation de l'honorable chef de la trésorerie sur la portée de l'article 59, appréciation la plus naturelle du monde et qui viendra la première à l'esprit de tous ceux qui liront l'article :
« Il résulte de la convention, disait l'honorable chef de la trésorerie, il résulte de la convention conclue entre la compagnie des Bassins houillers et le ministre des travaux publics, que le gouvernement a prévu la capitalisation de l'annuité et y a, en quelque sorte, donné son adhésion. »
On peut soutenir, en effet, que lorsque dans une convention qui acquiert force de loi, le gouvernement accorde des facilités pour le transfert, le gouvernement ou, mieux encore, le pouvoir législatif, non seulement, considère le transfert comme possible, mais l'autorise de fait.
Mais, écrit l'honorable M. Frère, sur la note susdite, toutes les combinaisons tendantes à faire reconnaître le droit de transférer les annuités ont été rejetées coup sur coup et à l'unanimité des membres du cabinet. Est-ce péremptoire ?
Pourquoi les rédactions diverses de l'article 59, qui reconnaissaient explicitement la faculté de transférer l'annuité à une société agréée par le gouvernement, et qui déclaraient ce que la rédaction actuelle ne fait que sous-entendre, ont-elles été écartées ? Je l'ignore.
(page 405) La presse a retenu d'une explication qui ne serait pas a l'avantage de l'ancien cabinet et qui tendrait à établir, lorsqu'on la rattache à d'autres circonstances et notamment à un grand nombre de contre-lettres datées du jour même où la convention fut signée, que l'on aurait cherché, lors de la présentation de la convention, à organiser autour d'elle la conspiration du silence.
Quoi qu'il en soit et en admettant la version de l'honorable M. Frère, est-ce qu'il serait vrai, par hasard, que, parce qu'il n'a pas autorisé expressément la création de la société de capitalisation, l'ancien cabinet se trouverait complètement justifié, qu'il n'aurait plus rien à se reprocher, que nos critiques seraient téméraires et que nous ne pourrions les maintenir sans nier l'évidence et arguer pour ainsi dire de faux la note crayonnée de l'honorable M. Frère ?
Le langage triomphant que vous avez entendu tendrait à le faire croire. Il n'en est rien.
Il reste toujours au passif de l'ancien cabinet la double responsabilité de n'avoir fait aucune réserve au sujet de la cessibilité des annuités pour empêcher le mal et celle d'avoir facilité le transfert, s'il était possible.
Arrière l'explication de l'honorable M. Jamar, qui est venu nous dire que le transfert visé par l'article 59 aurait pu se faire dans de bonnes conditions, qu'on conçoit un transfert favorable aux intérêts des sociétés fusionnées et que c'est en vue de ce transfert que le. gouvernement a accordé les facilités de l'article 59.
La société des Bassins houillers, avec laquelle vous traitiez ne cachait par ses projets ; le transfert à une caisse d'annuités ou à un établissement financier agréé par le gouvernement était, de l'aveu même de l'honorable M, Frère, le but constant de ses sollicitations.
M. Brasseurµ. - Et une condition.
M. Liénartµ. - Et si l'honorable M. Jamar se félicite d'avoir facilité un transfert favorable, je suis en droit de lui reprocher d'avoir facilité par la même disposition le transfert qui fait aujourd'hui l'objet de ses critiques et qui a soulevé dans le monde financier de si vives appréhensions.
Le cabinet précédent a facilité le transfert, c'est incontestable, d'abord par la dispense des droits d'enregistrement et de timbre, mais pour moi c'est le côté secondaire de la question, et je ne prendrai pas la peine de contester l'affirmation de M. Frère que le bénéfice de cette exemption aurait été évalué à un chiffre trop élevé.
La facilité véritablement opérante, selon moi, si je puis m'exprimer ainsi, est celle de créer des titres au porteur. Le droit de cession était dans le droit commun ; je le reconnais, celui de créer des titres n'y était pas. Le vice capital de l'article 59 est de permettre la création de titres au porteur représentatifs de l'annuité ; la même annuité devenait ainsi l'objet de deux titres : de l'obligation des compagnies fusionnées d'abord, du titre au porteur ensuite.
Or, de l'aveu de tous les hommes compétents, c'est la présence simultanée, sur le marché financier, de deux titres pour une seule et même valeur qui a provoqué les légitimes inquiétudes de la Bourse.
Les conseils du département des finances sont unanimes à ne pas considérer la chose comme douteuse. Ecoutez l'avis de l'honorable M. Lejeune entre autres qui est des plus explicites sur ce point :
« L'article 59 de la convention du 25 avril 1870 prévoit le transfert de la créance relative aux annuités à payer par l'Etat et il prévoit en outre la création de titres, en nom ou au porteur, émis pour toucher ces annuités. La faculté d’émettre des titres au porteur est donc stipulée par le contrat au profit de la société des Bassina houillers et celle opération ne doit pas être assimilée à une cession de créance.
« Les dispositions du Code civil qui régissent le transfert des créances ne concernent point le droit contractuel d'émettre des titres au porteur. Le dessaisissement en faveur du porteur s'opère en vertu du contrat même qui le prévoit et l’autorise et ce dessaisissement ne dépend que de la création et de la tradition du titre. »
Les autres conseils ne sont pas moins explicites sur ce point.
Au surplus, cette mention de la création de titres au porteur n'a pas tassé d'une façon inaperçue dans l'article 59.
L'avant-dernière rédaction de l'article 59 portait :
« Les transferts qui auraient pour objet l'annuité à payer par l'Etat, et les titres qui seraient émis pour toucher cette annuité seront exempts des
Vous remarquerez, messieurs, qu'il n'était pas question dans cette rédaction des titres au porteur ; la rédaction ne satisfit pas les Bassins houillers qui tenaient à la chose et pour satisfaire aux observations des Bassins houillers, l'article fut enfin arrêté dans les termes suivants :
« Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat, et les titres en nom ou au porteur qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. »
De ce côté, messieurs, sont les fautes et les responsabilités, et de ce côté doivent porter, pour être efficaces, les efforts de l'ancien cabinet qui entrevoyait le mal et qui a à expliquer, en présence du mal entrevu, son inaction à stipuler des réserves, sa condescendance à accorder des exemptions d'impôts.
L'occasion naturelle de faire des réserves était perdue après le vote de la convention. Le gouvernement qui a succédé à l'ancien n'a accordé que ce qu'il ne pouvait équitablement refuser, ce qu'il ne pouvait refuser qu'en réagissant, en vertu du droit du plus fort, contre une convention consacrée par l'assentiment solennel des deux parties contractantes.
L'étude raisonnée des faits conduit à la division des responsabilités telle que je viens de l'établir, nul effort d'éloquence ou d'indignation ne parviendra à donner le change au public.
Il reste, à l'honneur du gouvernement actuel, d'avoir dans la mesure du possible et sans posséder les moyens directs d'influence dont disposait l'ancien, amené, entre les obligataires et les Bassins houillers, cette heureuse conciliation dont le public reconnaissant fera remonter en grande partie le mérite à l'intervention aussi prudente qu'efficace du cabinet actuel.
L'arrangement intervenu, on a cherché à le critiquer dans ses détails ; il répare en réalité le mal engendré par l'article 59 de la convention, il assure aimablement aux obligataires le gage qu'il leur aurait été bien difficile de faire valoir en justice et mettra heureusement fin aux inquiétudes qui ont tenu en émoi de bien légitimes et bien respectables intérêts.
Il ne manque plus rien depuis hier au concert d'éloges que ce résultat rencontre, il ne manque plus rien, pas même la voix de l'honorable M. Frère qui a reconnu que ce résultat dépassait son attente.
Pouvons-nous soutenir avec avantage le parallèle entre les faits et gestes des deux gouvernements, l'ancien et le nouveau et entre les résultats bons ou mauvais obtenus par chacun d'eux ? Je pose la question a tous ceux qui m'ont honoré de leur attention.
M. Tackµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente des finances, sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1866.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et tout le projet à la suite de l'ordre du jour.
MpdeNaeyerµ. - Je dois consulter la Chambre pour savoir si elle entend mettre en tête de l'ordre du jour de demain les prompts rapports de pétitions.
- Des membres. - Non ! non ! continuons la discussion actuelle.
MpdeNaeyerµ. - Ainsi, nous continuerons demain la discussion actuelle.
- La séance est levée à 4 heures