(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1870-1871)
(Présidence de M. Vilain XIIIIµ.)
(page 407) M. de Vrindsµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Woutersµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Vrintsµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Duwez, sous-lieutenant pensionné et combattant de Septembre, demande la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale de Grand-Rieu prient la Chambre d'accorder au sieur Colson la concession d'un chemin de fer de Bonne-Espérance à Beaumont, Romedenne et Givet. »
- Même renvoi.
« Le bourgmestre, des membres du conseil communal et des habitants de Javingue-Sevry prient la Chambre d'autoriser la concession du chemin de fer d'Agimont à Athus, demandée par le sieur Grangier. »
- Même renvoi.
« Des instituteurs communaux à Ruysselede, Caneghem et Schuyffers Kappelle demandent une loi qui les assimile aux participants de la caisse centrale des instituteurs et professeurs urbains. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi établissant une caisse centrale de prévoyance des instituteurs communaux.
« Des instituteurs primaires à Liège proposent des mesures pour améliorer leur position. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Waerschoot demandent que, pour les élections législatives et provinciales, le vote ait lieu à la commune ou du moins au chef-lieu du canton. - Même demande d'électeurs à Olsene. »
- Renvoi à la section centrale pour le projet de loi sur la réforme électorale.
« Des obligataires des chemins de fer repris par l'Etat prient la Chambre d'introduire dans la convention avec la société des Bassins houillers du Hainaut les modifications indispensables à la sécurité de leurs titres. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la convention.
« Des électeurs à Evere demandent le vote à la commune pour les élections législatives. »
« Même demande d'habitants d'Hekelghem. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale.
« Des habitants de Lennick-Saint-Quentin demandent, pour toutes les élections, le vote à la commune ou au chef-lieu de canton. »
- Même renvoi.
« Le sieur Renaud prie la Chambre de décréter qu'un pensionnat pour les orphelins du corps enseignant sera ajouté aux écoles d'application annexées aux écoles normales de l'Etat ; d'accorder aux instituteurs et professeurs des écoles moyennes un traitement et une pension en rapport avec l'importance de leurs services et d'exempter les professeurs laïques du service de la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Piérart fait connaître que le but principal de sa requête du 16 janvier est d'obtenir une loi rendant impossible la vénalité des offices. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal d'Heyst réclament l'intervention de la Chambre pour que le conseil de fabrique ne fasse pas procéder à l'adjudication publique des travaux de reconstruction de l'église de cette commune sans avoir au préalable soumis à l'avis du conseil communal les plans, devis, cahier des charges et fait connaître les ressources dont elle dispose pour réaliser son projet. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Belle prie la Chambre de faire mettre et laisser en liberté les prisonniers français, internés d'abord en Prusse, qui arrivent en Belgique peur gagner une autre frontière de notre pays et d'en agir de même vis-à-vis des prisonniers prussiens qui s'échappent de France. »
- Même renvoi.
« La veuve Dechaine prie la Chambre de la faire indemniser du préjudice qui lui a été causé par le détournement d'un chemin de fer existant à l'endroit de la station de Dolhain avant l'établissement du chemin de fer. »
- Même renvoi.
M. Magherman, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Houtartµ (pour une motion d’ordre) - M. le ministre des finances a déposé sur le bureau un projet de loi allouant au département des travaux publics un crédit de 6,000,000, pour l'augmentation du matériel des chemins de fer.
Je demanderai à la Chambre s'il n'y aurait pas possibilité de s'occuper immédiatement et d'urgence de la discussion de ce projet de loi ; si nous attendons les formalités ordinaires, le commerce continuera à souffrir et les réclamations seront de plus en plus nombreuses.
Je proposerai donc de renvoyer ce projet à une commission spéciale et d'autoriser M. le ministre à mettre en adjudication une partie de ce matériel. (Interruption.) Je crois qu'on pourrait s'occuper d'urgence de ce projet et interrompre momentanément l'intéressante discussion qui doit occuper la Chambre encore fort longtemps.
Si cette proposition ne pouvait être admise, je demanderai le renvoi immédiat en sections du projet de crédit de 6 millions.
MpXµ. - Je préviens la Chambre que le projet de loi sera distribué ce soir.
MtpWµ. - Je me disposais à faire à la Chambre la même demande que celle que vient de lui faire mon honorable collègue, M. Houtart ; je me joins à lui pour réclamer l'urgence de l'examen de ce projet par les sections.
J'ai l'intention, pour gagner du temps, et si la Chambre n'y voit pas d'inconvénient, de prendre sur moi de faire annoncer au Moniteur les adjudications à faire, sans attendre le vote de la loi, mais sous réserve, bien entendu, de l'adoption du projet de loi par les Chambres.
MpXµ. - Le Sénat est-il convoqué, M. le ministre ?
MtpWµ. - Pas a ma connaissance, M. le président ; mais, comme j'ai eu l'honneur de le dire, les adjudications ne pourraient être faites que conditionnellement, sous réserve expresse de l'adoption du projet.
M. Bouvierµ. - Je ne puis me rallier à la proposition de M. Houtart tendante à faire renvoyer le projet de 6 millions à une commission spéciale. Je demande que les sections se réunissent demain pour s'occuper d'urgence de ce projet qui, comme on l'a dit, est très important.
MpXµ. - Les sections seront convoquées demain pour l'examen du projet.
M. Brasseurµ (pour une motion d’ordre). - Je devais parler hier de la question à l'ordre du jour. J'ai cédé mon tour de parole à M. Liénart, parce qu'il me disait devoir parler en faveur de la proposition, et que mon intention est de (page 408) combattre le projet du gouvernement ; or, l'article 18 du règlement me semble formel.
J'y lis : « La parole est accordée, suivant l'ordre des demandes ou inscriptions. Il n'est dérogé à cet ordre que pour accorder la parole alternativement pour, sur et contre les propositions en discussion. »
Je ne sais comment la Chambre a jusqu'à ce jour expliqué cet article, mais il me semble qu'en cédant mon tour de parole à M. Liénart pour parler « pour », j'ai gardé mon tour de parole pour parler « contre » et que je dois avoir le pas sur l'honorable M. Boucquéau.
MpXµ. - Voici l'étal des inscriptions. M. Brasseur était inscrit le premier ; après lui, venait M. Boucquéau et puis M. Liénart. M. Brasseur ayant cédé son tour de parole à M. Liénart, il a, par cela même, pris la place de ce dernier. Par conséquent M. Boucquéau figure en tète dans l'ordre des inscriptions.
Maintenant, l'article 18 du règlement qu'invoque M. Brasseur est quelquefois mis à exécution dans les grandes discussions ; mais ce n'est point la pratique habituelle. La Chambre veut-elle entendre alternativement un orateur pour et un orateur contre ?
H. Boucquéauµ. - Je compte parler dans le même sens que M. Brasseur et par conséquent, il y a lieu, je pense, de me maintenir mon droit de priorité, car, pour que M. Brasseur pût céder son tour de parole tout en maintenant son inscription, il aurait dû y être autorisé par la Chambre. Je demande donc, conformément au règlement, que la parole me soit accordée.
M. Brasseurµ. - Je me suis borné à laisser appliquer le règlement, qui me paraît formel en ma faveur.
MpXµ. - L'article 18 n'avait pas été invoqué avant que vous eussiez cédé votre tour de parole à M. Liénart. Je crois, M. Brasseur, que vous ne devriez pas insister.
M. Brasseurµ. - Je me mets à la disposition de la Chambre.
MpXµ. - La parole est à M. Boucquéau.
M. Boucquéauµ. - Messieurs, si cette discussion et les circonstances qui l'ont provoquée ont pour résultat d'appeler un examen sérieux de la question des chemins de fer, et de répandre sur cette question bien simple, mais jusqu'ici peu étudiée et peu connue, des notions et des idées justes, nous n'aurons à regretter ni le temps que nous consacrons à cette discussion, ni les fautes qu'elle aura révélées, car ce sera à ces fautes mêmes, aux conséquences dont elles nous menacent et auxquelles on aura senti la nécessité de parer, que nous devrons d'apprécier sainement tout le parti qu'on peut tirer des chemins de fer pour le bien-être général.
Mais, messieurs, pour atteindre ce résultat si désirable, pour que la lumière se fasse, nous devons, dans cette discussion, dépouiller tout esprit de parti et en reconnaissant loyalement les fautes qui, de part ou d'autre, peuvent avoir été commises, chercher des enseignements pour l'avenir.
A quelles causes doit-on attribuer l'état de choses auquel la convention du 25 avril 1870 a eu pour but de mettre fin ? Telle est, messieurs, la question que j'examinerai tout d'abord.
J'examinerai ensuite si par cette convention les droits de tiers qui n'y sont pas intervenus peuvent être réduits, altérés ou modifiés, et si notamment, pour les obligataires des lignes cédées, cette convention n'est pas tout simplement res inter alios acta ; c'est-à-dire une chose dont on ne peut argumenter ni rien inférer contre eux.
Si la solution de cette seconde question ne peut être douteuse, j'examinerai quelle doit être, en présence des prétentions contraires de l'un des contractants, l'attitude de l'autre contractant, c'est-à-dire du gouvernement, tuteur naturel des intérêts menacés, puisque les engagements que l'on paraît vouloir violer ont été pris avec son autorisation et sous son contrôle.
Ne nous dissimulons pas, messieurs, et surtout ceux d'entre nous qui désirent encore des chemins de fer pour leurs arrondissements, qu'il y a là un grand intérêt public engagé. S'il importe que les chemins de fer reçoivent leur entier développement, il faut que tout ce qui s'y rapporte soit réglé équitablement, rationnellement. Il ne faut pas qu'ils puissent devenir pour les uns une cause de ruine imméritée, pour d'autres une source de bénéfices illicites ; il ne faut pas que leur développement excessif, déréglé et funeste sur certains points, paralyse sur d'autres points leur établissement rationnel et fécond ; en un mot, dans l'intérêt de tous et pour que les chemins de fer étendent aussi universellement que possible leurs bienfaits, il importe que les capitaux qui s'y consacrent y trouvent une juste sécurité.
J'aborde donc, messieurs, la première question :
A quelles causes doit-on attribuer l'état de choses auquel la convention du 25 avril a eu pour but de mettre fin et que l'exposé des motifs dont cette convention fut accompagnée nous fait connaître ?
Qu'on lise les chapitres II, III, IV et V de cet exposé et l'on y verra les conséquences de ces concessions nombreuses accordées en quelque sorte sans examen, il y a quelques années, par un ministre animé d'idées généreuses, mais qui ne s'était pas rendu un compte suffisant des causes auxquelles était due la prospérité des chemins de fer de l'Etat pendant les premières années de son ministère. Tout, du reste, conspirait pour l'abuser : les journaux, les Chambres elles-mêmes n'hésitaient pas à lui reporter tout l'honneur d'une prospérité qui était due en réalité à un concours de circonstances heureuses et indépendantes de son action. Il crut donc inaltérable cette prospérité dont il n'avait pas suffisamment approfondi les causes. Telles étaient les dispositions d'esprit dans lesquelles le trouvèrent quelques amis politiques qui prêtèrent leur appui à une combinaison dont j'aurai l'honneur de vous entretenir.
Mais n'anticipons pas et qu'il me soit permis, pour ne négliger aucun point du sujet important qui nous occupe, de reprendre le chapitre IV de l'exposé des motifs de la convention du 25 avril pour rechercher les causes de la situation qui y est signalée.
Nous lisons dans cet exposé :
« Les tarifs des chemins de fer de l'Etat qui, à raison de leur modératlion, ont déjà rendu de si grands services au commerce et à l'industrie du pays, sont doublement menacés.
« D'abord, la progression de mouvement en prévision de laquelle ils ont été conçus ne se réalise que partiellement.
« Ensuite, ils sont l'objet de critiques incessantes de la part de ceux dont ils contrarient les projets de concurrence.
« Il est loin de notre pensée de condamner les efforts des compagnies qui, après avoir si largement contribué à doter le pays de son vaste réseau de lignes ferrées, cherchent à rendre leurs entreprises plus prospères.
« Mais, éclairés aujourd'hui par l'expérience, il nous est permis d'exprimer le regret que les chemins de fer d'un ordre secondaire aient cherché, ailleurs que dans le service en vue duquel ils ont été concédés, la rémunération des capitaux consacrés à leur construction.
« Il eût été plus conforme à l'intérêt du pays que ces lignes n'étendissent pas leur sphère d'action au delà des intérêts locaux et servissent d'affluents aux lignes principales.
« On serait ainsi arrivé plus sûrement au bon marché permanent et progressif des prix de transport qui intéresse si vivement l'industrie du pays. »
C'est parler d'or, mais qu'il me soit permis de faire remarquer qu'il dépendait surtout de l'administration des chemins de fer de l'Etat qu'il en fût ainsi, en faisant que les lignes concédées pussent vivre dans ce rôle secondaire.
Si, comme le dit dans son chapitre III l'exposé des motifs dont je m'occupe, « plus le trafic d'une ligne grandit, plus il se fait économiquement ; s'il faut accumuler sur des lignes uniques la plus grande somme de trafic », n'est-il pas évident que le gouvernement ne pouvait prétendre accumuler le trafic sur ses lignes, en restreignant les lignes concédées à un véritable service de camionnage, sans leur assurer pour ce service un prix rémunérateur ?
Mais, d'un autre côté, tenant compte des principes d'égalité qui forment la base de nos institutions, il eût été peu admissible que des industries desservies par une ligne faisant partie du vaste réseau réuni dans la main de l'Etat, jouissent ainsi de privilèges dont eussent été privées les industries similaires, desservies seulement par des lignes secondaires ; et que, pendant que les premières expédiaient dans tout le pays aux conditions les plus favorables, les autres fussent frappées, sur la ligne qui les desservait, de tarifs élevés et ne pussent la franchir sans être soumis à des surtaxes ou à des réinscriptions. Pour ne pas créer d'inégalités blessantes, le gouvernement, se faisant exploitant de chemins de fer, ne pouvait fonder la prospérité des industries qu'il reliait sur la ruine de celles qu'il ne reliait pas, en soumettant celles-ci à des tarifs tout différents. Par conséquent, il devait chercher à amener, sur les lignes concédées comme sur les lignes de l'Etat, l'application d'un tarif unique, établi sur les mêmes bases.
Donc, messieurs, pour arriver au résultat indiqué par l'exposé des (page 409) motifs de la convention du 25 avril, il eût fallu, tout en établissant un seul et unique tarif, allouer aux lignes concédées privées des transports à grande distance et réduites à un service local, une part proportionnellement supérieure au parcours minime qu'elles auraient fourni.
Sont-ce bien là les principes que l'on a suivis ? Non, messieurs. Sous la direction d'un homme dont M. Malou, dans une polémique célèbre, s'est plu à vanter la douce et patiente énergie, mais dont le caractère distinctif était la persistance sourde dans l'arbitraire, l'administration des chemins de fer de l'Etat devint en quelque sorte indépendante du ministère des travaux publics et son chef une espèce de ministre irresponsable. Le dédale des tarifs que créa cette administration est inimaginable et peut seul donner une idée du sentiment de soulagement avec lequel fut accueillie la réforme entreprise en 1848 par l'honorable M. Frère et les tarifs des 6 juillet, 11 août et 5 novembre de la même année, qui furent dus à son initiative.
Ce sentiment fut si profond et si général, qu'un ancien ministre des travaux publics lui-même, l'honorable M. Dechamps, rendit, au sein de cette Chambre, un hommage solennel aux mesures adoptées, en adressant à leur auteur, au nom du commerce et de l'industrie, des paroles de reconnaissance et de remerciement. Mais après le ministère de M. Frère, après celui de M. Rollin qui avait continué son œuvre, l'administration retomba bientôt dans ses anciens errements, substituant, en une foule de points, aux tarifs rationnels et généraux, des tarifs spéciaux, accommodés le plus souvent en vue d'enlever aux lignes concédées les transports qui leur revenaient le plus légitimement, et sans qu'il leur fût possible de trouver une compensation suffisante dans le trafic local auquel elles étaient réduites.
On en vint ainsi à rendre l'existence presque impossible à ces lignes secondaires et isolées que l'on aurait dû s'attacher à faire vivre.
Dans leur détresse un grand nombre d'entre elles cédèrent leur exploitation à la Société d'exploitation fondée par la Société de construction de Tubize, qui bientôt après les céda elle-même aux Bassins houillers et à la Société générale d'exploitation. Mais celles-ci, qui, à cause même de la situation précaire dans laquelle se trouvaient ces sociétés, avaient obtenu leurs lignes à des conditions moins onéreuses, et qui par conséquent avaient profité des injustices dont elles avaient eu à souffrir, ne se contentèrent pas d'obtenir le redressement de ces injustices. Elles entreprirent d'accaparer les transports et de détourner à leur profit la plus grande partie du trafic de l'Etat.
La conception de ce plan remonte au commencement de 1865, et comme premier moyen d'exécution, on peut citer la reprise de la concession de Frameries à Chimay. Grâce à la reprise de cette concession, dont l'objectif était le transport des produits du Hainaut, et notamment des charbons, vers Chimay, Mézières et les Ardennes françaises, on obtint facilement la concession d'embranchements qui devaient relier les points de production du Centre et de Charleroi à la ligne principale.
Comment, en effet, eût-on pu refuser à nos trois bassins houillers l'accès de ce nouveau marché qui allait s'ouvrir ? C'eût été par trop inintelligent ! Seulement, les concessions obtenues, on se borna à exécuter de la ligne principale, un premier tronçon allant, non pas de Frameries vers Chimay, comme l'indique la concession, mais dans la direction de Charleroi vers Saint-Ghislain. Avant qu'il fût construit, on avait traité pour l'exploitation de ce tronçon avec la compagnie du Centre qui possédait la ligne de Baume à Marchienne ; on reprit en 1866 les chemins de fer du Haut et du Bas-Flénu auxquels fut adjointe une concession de Saint-Ghislain vers Frameries ; à Saint-Ghislain, on se reliait aux lignes de Hainaut-Flandres et c'est ainsi que la ligne de Frameries à Chimay produisit un chemin nouveau de Charleroi et du Centre vers Gand et les Flandres. La combinaison était donc celle-ci : recueillir les transports à leur source par la ligne de Baume à Marchienne et les embranchements industriels qui s'y rattachent, par la ligne du Centre, par les chemins industriels du Borinage que l'on avait repris ; combler la lacune entre le Centre et Mons par l'exécution d'un tronçon de la ligne de Frameries à Chimay détournée de sa véritable direction, et les transports étant ainsi recueillis, les conduire jusqu'à leur destination, quels que fussent les détours qu'on dût leur faire subir, et ne laisser aux autres exploitations que ce qu'on ne pourrait absolument pas leur enlever.
Ce sont généralement d'assez pauvres combinaisons que celles qui ne peuvent réussir qu'en changeant le cours naturel des choses et en ruinant autrui. Celle-ci, que ses auteurs considéraient sans doute comme très habile, était très discutable sous le rapport moral et ne se défendait pas mieux sous le rapport économique. N'était-ce point en effet s'abuser étrangement que de prétendre accaparer, au profit d'une seule exploitation, des chemins de fer industriels, comme ceux du Haut et du Bas Flenu, espèces de voies de camionnage dont le domaine avait été respecté jusque-là, parce qu'elles avaient pratiqué ce service de camionnage d'une manière impartiale et réparti leurs produits entre les grandes voies dont elles s'étaient environnées, sans préférence pour aucune d'elles.
Du moment que ces voies de camionnage, perdant leur caractère primitif, devenaient un monopole au profit de l'une ou l'autre de ces grandes exploitations, n'était-il pas évident que les autres, frustrées, ne pouvant accepter une telle situation, se trouveraient en droit de demander à aller aussi prendre aux points de production les produits détournés de leur cours naturel, et que, par conséquent, la combinaison jugée si habile ne pourrait se soutenir ou entraînerait nécessairement la création d'un double réseau industriel, constituant, au détriment de tous, un double emploi et un gaspillage de capitaux ?
Aussi, si tout d'abord le département des travaux publics avait déjoué cette combinaison par une mesure énergique, si, par exemple, de la station de Saint-Ghislain, il avait poussé, lui aussi, au cœur du Borinage une ligne principale, à laquelle, moyennant l'abandon légitime de la moitié des frais fixes, les sociétés charbonnières se fussent empressées de se raccorder elles-mêmes, on eût compris immédiatement que la combinaison rêvée par les Bassins houillers péchait par sa base, et une œuvre qui avait pour but, non point de satisfaire à des besoins non desservis, mais de s'emparer du trafic appartenant à d'autres lignes, n'aurait pu se poursuivre. Mais il eût fallu reconnaître les fautes commises, et avouer que, circonvenu par des amis politiques, on s'était prêté à des combinaisons dont on n'avait point prévu la portée, bien qu'elle fût assez patente. Cela était dur, lorsque, comme l'honorable M. Vanderstichelen, on s'était vu attribuer l'amélioration remarquable du trafic de nos chemins de fer, due en réalité à un ensemble de circonstances qu'il ne dépendait de personne de produire. On ne put s'y résigner : au lieu de recourir au remède énergique qui pouvait arrêter le mal, mais qui entraînait la confession d'une faute, on y chercha des palliatifs.
Mais rien n'y fit ; le mal allait en empirant et menaçait de devenir flagrant pour les moins clairvoyants par la création de quelques lignes, imprudemment concédées, qui, comme celle de Bruxelles à Anvers par Boom, aurait disputé à l'Etat son trafic le plus productif. C'est sous l'empire de ces circonstances que l'on se décida à négocier, et que l'on aboutit à la convention du 25 avril. Je ne crains pas de le dire, messieurs, de la part du gouvernement, qui tenait sans doute à mettre fin à une situation intolérable sans entrer dans une lutte dont auraient souffert beaucoup d'intérêts et qui aurait provoqué des récriminations, la convention du 25 avril fut un acte habile. Je ne puis partager l'opinion que, par cette convention, des droits dont le gouvernement avait la tutelle, les droits des obligataires aient été compromis et amoindris, par la raison bien simple que ce qui garantit le mieux le service des obligations, c'est le produit de leurs lignes, et que l'arrangement intervenu vaut mieux à cet effet que l'état de guerre qui existait auparavant.
Que, par cette convention, les Bassins houillers aient cédé au gouvernement l'exploitation d'une partie de leur réseau, moyennant la garantie d'un produit minimum annuel de 7,000 francs par kilomètre ; qu'ils aient cédé le matériel qui desservait ces lignes d'après un inventaire à dresser et dont le montant doit leur être payé soit au comptant, soit par une annuité de 4 1/2 p. c. pendant soixante-dix ans ; qu'il leur soit, en outre, concédé 600 kilomètres de lignes nouvelles sur lesquelles le même produit minimum de 7,000 francs par kilomètre leur est assuré, ce sont là des conditions qui ne font loi qu'entre les parties contractantes, et que ni l'une ni l'autre ne peut invoquer contre des tiers qui ne sont pas intervenus ou n'ont pas adhéré au contrat. Il serait donc parfaitement absurde, de la part des Bassins houillers, de dire aux obligataires : J'ai vendu vos lignes pour une annuité de 7,000 francs par kilomètre, je vous l'abandonne et conserve pour moi le surplus de mon contrat.
De même que la convention du 25 avril stipule une annuité minimum de 7,000 francs par kilomètre de lignes cédées, elle aurait pu en stipuler 5,000, 4,000 ou même moins ; les obligataires pourraient-ils être tenus de s'en contenter ? Evidemment non. Ils ne peuvent pas être tenus davantage de se contenter de 7,000 francs.
Le principe est le même. Une convention dans laquelle ils ne sont pas intervenus ne les lie pas, ne peut leur être opposée et ils n'ont pas moins de droit sur tout ce qui peut être stipulé en faveur de leur débiteur de quelque chef que ce soit, que sur les 7,000 francs stipulés pour les anciennes lignes. Il est vraiment incroyable que des choses aussi simples aient besoin d'être démontrées. Supposons que vous vendiez un bloc de terre à un grand spéculateur en terrains qui, pour une cause (page 410) quelconque, en vienne a vendre, par un seul et même acte, toutes ses propriété, y compris celle que vous lui avez cédée ; pourra-t-il vous dire : La propriété que vous m'avez vendue pour 100,000 francs, je ne l'ai revendue que 60,000 francs ? Je m'acquitte envers vous en abandonnant ces 60,000 francs. Ce serait absurde et il ne l'est pas moins d'offrir aux obligataires 8, 9 ou 10 francs, lorsqu'on leur en doit 15, et qu'on a de quoi les payer.
D'un autre côté, le droit de céder une rente, une annuité ou toute autre valeur mobilière ne peut, en général, faire question. Remarquez que je dis en général, c'est ce qui explique que j'ai pu dire dans une séance précédente en interrompant M. le ministre des finances : C'est clair, tandis que mon honorable voisin, M. Tesch, disait : C'est contesté. Il est clair que le transfert d'une créance est de droit commun ; ce droit, l'article 59 ne l'a pas créé ; il n'a fait qu'en faciliter l'exercice, et, semblerait-il, en vite surtout de l'usage loyal et légitime qui pourrait en être fait. C'est-à-dire pour le remplacement des anciennes obligations par un titre unique, basé sur ces annuités, puisque dans ce cas il ne s'agirait que de remplacer par des titres nouveaux des titres ayant déjà payé le timbre, ou dont la source, comme le stipulent la plupart des actes de concessions, était dispensée des droits d'enregistrement.
Donc, pour cette partie, le transfert sans droit allait de soi et, quant au surplus, la faveur ne consistait que dans l'exemption du droit de timbre des titres à émettre, puisque l'exemption des droits d'enregistrement est habituelle.
Mais, lorsque après avoir demandé, sur cette question si simple de la cession d'une créance, une consultation judiciaire, on voit la société des Bassins houillers se prévaloir de cette consultation pour demander à ses créanciers la conversion et la réduction de leurs titres, peut-on se dissimuler que l'on a devant soi un débiteur cherchant à effrayer ses créanciers afin de les amener au sacrifice d'une partie de leur créance, bien que cette créance soit parfaitement légitime ? Il s'est bien gardé, ce débiteur, de demander à ses conseils s'il lui appartient de réduire de son autorité privée le droit de ses créanciers ; il n'eût obtenu qu’une réponse rassurante pour ces derniers et il tenait à les alarmer.
Et c'est à un tel débiteur que le gouvernement prêterait son concours en l'aidant à réaliser un actif qu'il prétend pouvoir soustraire à ses créanciers !
Je le dis hautement, messieurs, si en présente de semblables tendances le gouvernement se dessaisissait de la moindre des garanties que lui permet de conserver le contrat du 25 avril, il encourrait une responsabilité grave.
Je vais plus loin et je dis : s'il est vrai que l'on ne stipule point pour des tiers et que, n'ayant pas annuler complètement les droits des obligataires sur le produit des lignes cédées, le contractant du 25 avril n'a pu non plus réduire ces droits à 4,000, 5,000 ou 7,000 francs par kilomètre, il est évident qu'il ne peut loyalement retirer un centime de bénéfice de ce contrat sans que les droits de ses créanciers soient complètement assurés, et que par conséquent le gouvernement ne doit rien faire qui puisse aboutir à un résultat contraire.
La position que veulent prendre les Bassins houillers serait par trop commode.
On sait, en effet, que, tandis que 7,000 francs par kilomètre laissent pour les anciennes lignes un déficit annuel de deux millions environ, au contraire, 7,000 francs de rente par kilomètre pour la construction des lignes nouvelles dans les conditions prévues donneraient à tout entrepreneur capable et digne de confiance un bénéfice de plus de 40,000 francs par kilomètre, soit plus de 24 millions pour les six cents kilomètres concédés. Est-ce bénévolement et en vue de lui faire un cadeau personnel que le gouvernement a accordé à son cocontractant ces conditions magnifiques pour les lignes nouvelles ? N'est-ce pas évidemment à cause de l'insuffisance de l'annuité allouée pour les lignes anciennes ? Si, au lieu de cette annuité insuffisante, on en avait stipulé une qui excédai les besoins du service des obligations, l'excédant n'eût certainement pas été abandonné aux obligataires ; de quel droit voudrait-on donc leur faire supporter le déficit et, tant qu'il y a déficit, comment le gouvernement peut-il se dessaisir de la moindre parcelle de ce qui peut le couvrir, alors que la convention ne l'y oblige pas ?
Examinons le contrat à un autre point de vue.
Admettons pour un moment que les Bassins houillers, en cédant leur marché pour la construction des lignes nouvelles, en réalisent le bénéfice ; qu'ils réalisent ensuite la valeur du matériel et que le tout vienne à sombrer dans une entreprise nouvelle. Le gouvernement, resté seul en présence des obligataires, est-il bien certain de pouvoir leur dire, même en strict droit : Voilà vos 7,000 francs par kilomètre, arrangez-vous-en. Est-ce que ceux-ci ne seraient pas tout au moins fondés en équité à lui répondre : En vertu d'engagements pris avec votre autorisation et sous votre contrôle, le produit net de la ligne devait servir de garantie à notre créance ; vous devez donc nous tenir compte de ce produit net tant que notre créance n'est pas entièrement couverte.
Il me paraît, messieurs, que le gouvernement ne pourrait que difficilement repousser ce raisonnement.
S'il était permis à la compagnie des Bassins houillers de faire deux parts distinctes dans le contrat du 25 avril, et, en allouant aux obligataires des lignes anciennes 7,000 francs par kilomètre, de conserver pour elle la valeur du matériel estimé à 26 millions et le bénéfice à réaliser sur la construction des lignes nouvelles qui est au minimum de 24 millions, cela lui représenterait un boni net de 50 millions, tandis qu'elle infligerait aux obligataires une perte de 10 millions environ ; cela n'aurait-il pas absolument le caractère de la banqueroute frauduleuse ? Je ne puis dès lors penser sans un véritable sentiment de tristesse aux propositions que l'on a osé faire au gouvernement.
A quoi tendent en effet toutes ces propositions, si ce n'est à amener une réduction des rentes des obligataires à qui l'on payerait 8, 9 ou 10 francs au lieu de 15 ; à faire admettre par le gouvernement la légitimité de cette réduction, comme étant une conséquence de la convention du 25 avril, prétention contraire aux plus simples principes de droit. Il est vrai que, comme dédommagement, on demande au gouvernement une intervention ou des modifications à la loi, auxquelles rien ne l'oblige et que d'autres compagnies de chemins de fer, dans le but de réduire le service de leurs obligations, seraient bien plus fondées à lui demander que la compagnie des Bassins houillers.
Je ne crains pas de le dire, messieurs, si dégagée d'une foule de détails qui en compliquent l'examen, la convention du 25 avril était résumée de manière que chacun pût en apprécier l'ensemble, des propositions semblables à celles dont je viens de parler ne pourraient se produire, car on les considérerait avec raison comme une instille au bon sens et à la moralité publique.
Je n'ai donc rien trouvé jusqu'ici qui me porte à accepter la proposition que le gouvernement nous a soumise.
Au contraire, tout ce qu'a fait la société des Bassins houillers dans ces derniers temps semble nous faire un devoir de repousser cette proposition si nous ne voulons point paraître seconder des prétentions hautement condamnables.
Voyons si les motifs que M. le ministre des finances nous donne sont de nature à modifier ces dispositions. « C'est, dit-il, à la demande de la compagnie des Bassins houillers et en vue de lui faciliter l'exécution des lignes qu'elle s'est obligée à construire, que j'ai adhéré à sa proposition de lui escompter les annuités qui lui étaient dues en vertu des articles 5 et 10 de la convention, » c'est-à-dire pour la reprise du matériel et les compléments d'installation.
En raison de ces motifs il semble, messieurs, que le projet eût dû être contresigné, non seulement par M. le ministre des finances, mais par M. le ministre des travaux publics. On comprend en effet qu'en retour de cette faveur accordée en vue de faciliter l'exécution des lignes nouvelles, l'administration des travaux publics, et notamment les ponts et chaussées chargés de diriger la construction de ces lignes, eussent pu indiquer et stipuler même quelques conditions, ne fût-ce que pour mettre un terme à toutes les habiletés dont l'honorable M. Bouvier ne nous a donné dernièrement qu'une légère esquisse à propos du chemin de fer de Virton.
La chose semble si naturelle que l'on ne comprendrait pas que l'honorable M. Jacobs n'y eût pas pensé et on est tenté de croire qu'il aura reçu, en dehors du département des travaux publics, tous ses apaisements sur ce point. Quoi qu'il en soit, je ne puis m'empêcher de regretter que le département des travaux publics n'ait pas été consulté ; peut-être eût-on renoncé au projet de loi, ou, tout au moins, on eût demandé, contre la reproduction de certaines habiletés et de procédés inadmissibles, des garanties dont le département des travaux publics doit depuis longtemps avoir senti le besoin.
Comment admettre comme suffisant le motif qu'on invoque de faciliter la construction des lignes nouvelles ? Quoi ! voilà 600 kilomètres de lignes secondaires à construire en pays ordinaire, à simple voie, avec des rampes pouvant aller à 0,016, pour quelques-uns avec des courbes dont le rayon en pleine voie peut être réduit à 200 mètres, et le concessionnaire ne peut en trouver le capital malgré la garantie minimum de 7,000 francs par kilomètre qui lui est accordée. Le kilomètre de voie, dans les conditions indiquées, doit coûter au maximum de 100 à 120 mille francs ; l'annuité (page 411) minimum garantie en représente largement 150,000 ; il y a donc là un bénéfice certain de 30,000 francs au moins par kilomètre. Qu'est-ce donc, M. le ministre, qu'un concessionnaire qui ne peut trouver d'argent dans ces conditions !
Mais comment donc ont fait d'autres concessionnaires à qui aucune garantie n'était donnée ? Comment ai-je pu faire, moi, qui, loin d'avoir une garantie pour le chemin de fer qui m'a été concédé, avais garanti au gouvernement pour sa part un minimum de 11,500 par kilomètre, qui ai construit ce chemin à double voie et qui pour toute ressource mise à ma disposition, non point par le gouvernement, mais par une compagnie ne présentant aucune garantie réelle, n'avais que 320 obligations par kilomètre, c'est-à-dire.4,800 francs de rente, plus l'amortissement ? Il faut donc que cet entrepreneur, impuissant à trouver de l'argent avec 7,000 francs garantis par l'Etat, ou soit bien incapable, ou qu'il ne jouisse plus d'aucun crédit, ou qu'il ait des raisons pour chercher à réaliser son actif. Comment trouver en tout cela un motif de modifier le contrat, en sa faveur, par pure bienveillance ? Ne serait-ce point faire preuve de peu de clairvoyance que de ne point apporter dans l'exécution de ce contrat toute la réserve et la prudence possibles ?
Mais, dit-on, dans l'intérêt des obligataires des lignes anciennes, dans l'intérêt de la construction des lignes nouvelles, il est nécessaire de seconder la compagnie des Bassins houillers ; qu'on lui donne de l'argent et partout elle mettra la main à l'œuvre. Je ne doute pas que beaucoup d'entre vous n'aient été sollicités en ce sens par leurs commettants.
Rien de tout cela n'est sérieux. Et d'abord en présence des concessions obtenues par les Bassins houillers et dont rien n'a été exécuté, n'est-ce point s'abuser volontairement que de compter sur ses promesses ?
Mais supposons, pour un moment, que la compagnie des Bassins houillers ait disparu ; qu'arriverait-il ?
L'élément qui veut tout fausser à son profit étant écarté, tout se réglerait immédiatement d'une manière rationnelle.
Le gouvernement est en possession des lignes anciennes ; il proposerait aux obligataires de chacune d'elles un arrangement équitable basé sur la valeur respective de leurs titres ; cet arrangement, les Bassins houillers ne peuvent le demander ; ils doivent à tous 15 francs de rente, quand même ils ne se seraient engagés à payer cette rente intégrale qu'en cas de suffisance du produit, et ce parce qu'il ont cédé les lignes sans stipuler qu'ils pourraient, en cas de besoin, demander l'établissement du produit net de chacune d'elles.
Je le répète, le gouvernement n'est pas dans la même position.
Or, il est évident que. les obligations de Tamines à Landen, par exemple, ne valent pas celles de Baume à Marchienne ; elles n'ont pas été d'ailleurs payées au même prix.
Le gouvernement, qui ne pourrait demander aux obligataires de Baume-Marchienne une réduction de leur rente, serait parfaitement en droit de dire à ceux de Tamines-Landen : Je vous offre tant par titre, c'est le produit net, probable, de votre ligne, calculé largement. Je n'entends pas cependant vous imposer cet arrangement ; si vous le refusez, j'exploiterai en tenant les comptes de cette exploitation et le bénéfice vous en sera attribué.
Quel que fût, entre ces deux modes, le choix des obligataires, leurs droits seraient sauvegardés et leur position améliorée.
En effet, en cas d'acceptation d'une rente fixe, la solvabilité exceptionnelle de leur débiteur en augmenterait la valeur, et, en cas d'exploitation pour leur compte, l'annexion de leur ligne à un réseau complet dont toutes les parties réagissent favorablement l'une sur l'autre, leur constituerait un premier avantage.
Quant aux lignes nouvelles, dont les populations intéressées ne pourraient être privées, il n'est pas douteux que l'établissement complet n'en fût devancé de plusieurs années et avec une économie que l'on peut évaluer à plus de vingt millions si leur construction s'adjugeait publiquement sur les bases de la convention du 25 avril.
Que l'on n'infère pas toutefois de ce que je viens de dire que je puisse voir sans en souffrir la moindre injustice se commettre à l'égard des Bassins houillers. Je puis même dire que j'ai protesté avec énergie et lutté efficacement contre des injustices dont ils ont été menacés. Mais je veux que, comme tous, ils remplissent leurs engagements, et qu'ils renoncent à des entreprises par trop habiles en présence desquelles aucun intérêt ne peut se trouver en sécurité, avant que le gouvernement fasse profession à leur égard de la bienveillance que leur accorde M. le ministre des finances. Grâce à cette bienveillance, si l'on n'y prend garde, une situation plus fâcheuse que celle à laquelle la convention du 25 avril a si habilement mis fin pourrait bientôt se produire. Qu'avant de persister dans ces dispositions et de mettre aux mains de cette société de si puissants moyens d'action, M. le ministre des finances s'enquière comment elle s'y est prise pour ne faire jamais que ce qu'elle voulait, tout en poursuivant évidemment un but condamnable ;
Qu'il recherche l'origine et la tendance véritable de l'agitation qui se propage à Gand ; là aussi il verra, comme je l'ai fait ressortir à propos de la ligne de Frameries à Chimay, que des travaux proposés vers l'Est ont comme but final une ligne que l'on veut établir vers l'Ouest afin de reporter de ce côté l'accès de la ville ;
Qu'il examine le parti que, pour la direction des transports, peut tirer de la concession de six cents kilomètres de lignes nouvelles enchevêtrées dans des lignes préexistantes, un homme qui, je le répète, n'a jamais fait que ce qu'il a voulu ;
Qu'il s'informe de ce que l'on entend dans cette maison qu'il protège par : faire chanter les populations et de la manière dont on y figure l'opinion publique ;
Qu'il demande aux fonctionnaires des travaux publics, et notamment aux ingénieurs des ponts et chaussées dans les provinces, ce qu'il leur a fallu de fermeté, au milieu des obsessions qui les entouraient, pour conserver intact ce sentiment du devoir et du dévouement à l’intérêt général que l'on reconnaît en Belgique à ce corps d'élite !
Que l'on demande même à certains membres de cette Chambre à quelles manœuvres on n'a pas craint de recourir pour les engager à sacrifier ce qu'ils considéraient comme l'intérêt général, et lorsque, renseigné sur tout cela, M. le ministre des finances se sera assuré les moyens d'en empêcher le retour, d'en préserver son collègue des travaux publics et le pays, quand il se sera assuré que cette société n'entend plus, en quoi que ce soit ni envers qui que ce soit, se soustraire à ses engagements, qu'il donne alors un libre cours à tous ses sentiments de bienveillance et je serai le premier à y applaudir, car je suis d'avis qu'un bon gouvernement doit faire, pour tous et pour chacun, ce qu'il peut faire sans se grever et sans nuire aux intérêts des tiers.
Un mot encore et je termine. J'ai eu l'occasion, il y a un certain nombre d'années, de prouver à quel point l'intérêt personnel s'efface chez moi devant l'intérêt général. Je pourrais le démontrer à toute évidence à M. le ministre des finances. Mes sentiments ne sont pas changés ; ils sont même aujourd'hui consolidés par le sentiment du devoir. M. le ministre ne peut donc douter de la sincérité de mes paroles, et m'étant occupé toute ma vie des objets que je traite aujourd'hui, il admettra peut-être que ces paroles peuvent avoir quelque valeur. Eh bien, c'est la main sur la conscience et en vous prenant tous à témoin, messieurs, que je lui dis : Arrêtez-vous, examinez ; ne faites pas aujourd'hui, contrairement à des avis dont vous ne pouvez suspecter la loyauté, ce qu'après examen vous pourrez toujours faire demain, mais ce dont vous ne pourrez plus revenir, une fois qui vous l'aurez fait. Vous reconnaîtrez bientôt que je vous parle ici comme un véritable ami.
Tous, messieurs, nous voulons que l'honnêteté soit respectée ; beaucoup d'entre nous disent qu'elle est violée par la manière dont les Bassins houillers veulent traiter leurs obligataires ; tous nous savons que la construction des lignes nouvelles doit entraîner pour l'Etat le payement d'une annuité minimum de quatre millions deux cent mille francs et devons vouloir qu'il en ait pour son argent ; or, je vous affirme que si les Bassins houillers ne renoncent point à leurs errements précédents, vous aurez non seulement des lignes nouvelles sans valeur, mais nuisibles aux lignes préexistantes.
En présence de toutes ces incertitudes, il me semble que notre devoir est de nous arrêter, de nous recueillir pour ne plus agir qu'en parfaite connaissance de cause. Pensons qu'il ne s'agit pas ici d'une loi dont on revient, mais d'une convention dont on ne peut revenir.
Tous, messieurs, nous sommes les défenseurs de l'Etat, de l'intérêt général, de l'honnêteté ; ne nous exposons pas au regret de reconnaître que nous les avons compromis par une mesure précipitée et dans laquelle l'intérêt de parti n'a rien à voir.
(page 413) M. Brasseurµ. - Si l'on veut se rendre un compte exact du projet qui est soumis à nos délibérations, il est bon de rappeler qu'il vise l'article 10 de la convention du 25 avril de l'année dernière. Or, il est difficile de s'expliquer la portée d'un article d'une convention, sans en rappeler, au moins à grands traits, l'esprit général ; alors, seulement vous saurez au juste ce que vous êtes appelés à voter.
Messieurs, permettez-moi de me livrer à ce travail d'ensemble : il sera d'autant plus utile, que beaucoup de personnes ignorent encore aujourd'hui ce qu'est au juste celte convention du 25 avril.
Le débat, du reste, est élargi : ce n'est plus à proprement parler le projet de loi qui est en discussion ; c'est toute la convention du 25 avril, ainsi que tous les actes postérieurs auxquels elle a donné naissance. Ainsi l'ont compris les honorables MM. Frère-Orban et Jamar. L'honorable M. Frère-Orban a fort bien posé la question : il s'agit de fixer les responsabilités. Il s'agit de savoir sur qui doivent retomber les fautes commises. Est-ce sur l'ancien gouvernement, auteur de la convention du 25 avril, ou bien est-ce sur le gouvernement actuel qui est chargé d'en exécuter les différentes dispositions ?
La convention du 25 avril, messieurs, peut être examinée à trois points de vue différents : au point de vue financier, et spécialement au point de vue des obligataires ; en second lieu, au point de vue de l'Etat et en troisième lieu, au point de vue des Bassins houillers.
Nous allons parcourir successivement chacun de ces ordres d'idées.
Le point de vue financier est tout entier dans l'article 59, et, pour le bien comprendre, permettez-moi, messieurs, de rappeler le sens des différents articles qui s'y rattachent.
D'abord, vous avez les articles 1, 2 et 3, qui stipulent que les Bassins houillers cèdent à l'Etat 600 kilomètres de chemins de fer, moyennant un prélèvement de 7,000 francs sur la recette brute. Ce prélèvement est de 7,000 francs. aussi longtemps que la recette brute n'excède pas 18,000 fr.; ce qui dépasse ce chiffre est partagé en deux ; une moitié appartient à l'Etat, l'autre moitié appartient aux Bassins houillers. Le maximum de la part des Bassins houillers est fixé à 15,000 francs; ce chiffre atteint, le reste appartient en entier à l'Etat. Voila l'opération quant aux 600 kilomètres qui viennent d'être livrés à l'Etat depuis le 1er janvier et qui sont actuellement exploités par lui.
Messieurs, quel est le caractère de ce prélèvement, de cette annuité?
Pour moi, messieurs, je considère comme une véritable puérilité de soutenir que ce prélèvement ne soit pas une réalité, que ce prélèvement puisse un jour disparaître.
Je taxe cette allégation de puérilité, parce que la recette du réseau cédé s'élève aujourd'hui déjà à 17,000 ou 18,000 francs et elle augmentera certainement d'année en année : telle est la loi commune des recettes de chemin de fer en général. On ne peut donc pas admettre que cette recette puisse tomber au-dessous des 7,000 francs stipulés en faveur des Bassins houillers. - Il n'est certainement pas un commerçant ou un industriel qui ne partage absolument ma manière de voir. Ce prélèvement est donc une réalité, une annuité acquise.
Mais ce n'est pas une rente de l'Etat, celle-ci est une créance directe à charge du trésor public : elle constitue l'Etat débiteur; ces 7,000 francs, au contraire, constituent une charge du chemin de fer, ce n'est pas l'Etat qui est débiteur ; c'est un tribut que le chemin de fer doit payer. Mais, messieurs, si cette annuité est une réalité, c'est une réalité qui est subordonnée à une clause résolutoire.
En effet, les Bassins houillers ont pris des engagements envers l'Etat ; ils doivent notamment payer 9 millions à différentes époques ; et de plus ils doivent construire environ 600 kilomètres de chemins de fer livrables dans six ans ; ce qui constitue une dépense de 60 millions.
Il est possible que les Bassins houillers ne soient pas à même de remplir leurs engagements. Dans ce cas, le gouvernement pourra très bien dire un jour: « Nous allons résilier le contrat. »
Et alors que deviendront vos annuités ? Messieurs, ne peuvent-elles pas un jour venir à disparaître ?
C'est pourquoi je blâme de toutes mes forces cette presse qui, lorsqu'il s'est agi d'engager les obligataires à convertir leurs obligations en annuités, à raison de 10 francs pour 15 francs, auxquels ils ont droit ; je blâme, dis-je, cette presse de ce qu'elle a osé présenter ces annuités comme une rente de l'Etat; c'était induire le public en erreur, involontairement, je veux bien l'admettre. Et quand je vois même un journal donner à ces titres un cachet quasi officiel, en mettant, en tête du document qui vise la caisse des annuités, la mention suivante : Ministère des finances, administration de la trésorerie et de la dette publique, je dis que dans de pareilles circonstances, le gouvernement aurait bien fait de rendre le public attentif par un communiqué inséré au Moniteur. J'ai vu des communiqués pour moins que cela, et, à tout prendre, le gouvernement est le tuteur naturel des populations.
Non, messieurs, nous restituerons aux annuités relatives aux 600 kilomètres dont nous parlons leur véritable caractère, en disant que ce n'est pas une rente de l'Etat, mais un prélèvement assujetti à une clause résolutoire.
Cette première annuité de 7,000 francs, qui s'élève à 4,200,000 francs, à qui appartient-elle ? Ces 600 kilomètres de chemin de fer n'ont pas été construits par les Bassins houillers.
Ces 600 kilomètres sont une agglomération de douze compagnies différentes, qui ont été fusionnées par les Bassins houillers : ceux-ci les ont transférés à l'Etat. Mais ces compagnies avaient émis des obligations nombreuses, à peu près 400,000, et la rente annuelle a payer de ce chef s'élève au chiffre de 6,765,000 francs, à peu près sept millions.
Voilà la charge de ces compagnies.
Eh bien, messieurs, dans ces circonstances, il est évident que, quelque opinion qu'on puisse avoir sur les droits des obligataires, qu'ils aient hypothèque ou qu'ils n'en aient pas, (cette question est vivement controversée, et pour ma part je pense qu'ils n'en ont pas, puisque les formalités indispensables pour avoir un droit d'hypothèque n'ont pas été remplies), il est évident que l'obligataire a droit au premier bénéfice net après prélèvement des dépenses. Sur ce point je crois que tout le monde doit être d'accord.
Cela est non seulement inséré dans les statuts de toutes les compagnies des chemins de fer, mais cela résulte de la loyale interprétation des conventions existantes entre les compagnies et le public obligataire.
Par conséquent les 7,000 francs sur les 600 kilomètres, après défalcation des dépenses, doivent, en bonne justice, appartenir aux obligataires sans discussion aucune.
M. Bouvierµ. - C'est évident.
M. Brasseurµ. - La faute commise par l'ancien cabinet, c'est de ne pas avoir suffisamment protégé les obligataires lorsqu'il a fait la convention du 25 avril.
J'y reviendrai tantôt.
Je passe à un deuxième point.
Il résulte des article. 17 et 18 que les Bassins houillers doivent construire environ 600 nouveaux kilomètres de chemins de fer. Ici cette compagnie prélève également 7,000 francs par kilomètre sur la recette brute jusqu'à concurrence de 18,000 francs. Passé ce chiffre, la recette est encore divisée par moitié, de façon cependant que le prélèvement des Bassins houillers ne puisse pas excéder 15,000 francs.
C'est le même système que pour les lignes existantes.
Quel est, messieurs, le caractère de cette annuité-là? Vous allez voir qu'elle a une nature différente de celle dont je viens de parler.
Au premier abord, on pourrait dire qu'il n'y a rien de certain dans cette annuité, puisque la ligne n'existe pas encore. Ce serait verser dans une erreur. En effet, en vertu de l'article 44, le gouvernement a établi une solidarité entre l'ancien et le nouveau réseau. Il a opéré une fusion ; de sorte qu'au point de vue où je parle, il y a 1,200 kilomètres de chemins de fer. Et comme le premier réseau rapporte déjà 17,000 à 18,000 francs, il rapporte à lui seul assez pour que le second soit couvert quant aux 7,000 francs, en supposant même que ce dernier ne rapportât rien. De là, la conséquence que cette nouvelle annuité a le caractère d'une véritable garantie d'intérêt fournie par le premier réseau.
Mais, messieurs, ce n'est là encore qu'une garantie d'intérêt aléatoire, parce qu'elle dépend de l'exécution du réseau qui n'est pas encore construit.
Ce. n'est pas une réalité, en ce sens que le payement n'en est pas dû. Les Bassins houillers ont six ans pour construire les lignes nouvelles. Et pour qu'on ne l'oublie pas, je prierai à M. le ministre des travaux publics, ici présent, de faire paraître au plus tôt l'arrêté royal qui fixe non seulement l'époque, mais aussi l'ordre dans lequel ces 600 kilomètres doivent être construits.
MtpWµ. - publics. — Ce n'est pas un arrêté royal, c'est un arrêté ministériel.
M. Brasseurµ. - Soit, mais je désire vivement qu'il soit publié, et voici pourquoi. J'ai dans mon arrondissement des industriels qui veulent (page 414) ériger des établissements ; ils désirent savoir quand telle ou telle ligne sera construite, si c'est dans un an, dans quatre ans ou dans six ans. Il y a là une question qui intéresse au plus haut point les populations que les diverses lignes à construire doivent desservir.
Je prierai M. le ministre des travaux publics d'avoir égard à cette observation que je viens de faire sous forme de parenthèse que je me hâte de fermer.
Pour ce nouveau réseau, messieurs, il n'y a pas d'obligations. Les anciennes lignes sont grevées de 400,000 titres environ ; les lignes nouvelles ne sont pas construites; donc pas d'obligations. Pardon, je me trompe, il y a déjà des obligations émises pour le nouveau réseau. Voyons l'article 13, n°5 : il y est question de la section restant à construire du chemin de fer de Frameries à Chimai et de ses extensions. Or, si j'ai bon souvenir, les obligations du chemin de fer de Frameries-Chimai ont toutes été émises (au nombre de 80,000), et, d'après les journaux de cette époque, tout a été souscrit. Il y a donc une partie des obligations émises qui s'appliquent au nouveau réseau. Mais il y a plus, et j'attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur ce point ; il y a, pour le chemin de fer de Frameries-Chimai, une disposition des statuts qui dit que chaque kilomètre ne peut comporter que pour 100,000 francs d'obligations. Par conséquent le nombre d'obligations dans les statuts est limité non seulement quant au quantum général, mais par kilomètre. Or, si le gouvernement actuel a fait disparaître du réseau général une partie du chemin de fer de Frameries-Chimai, il est évident que votre capital obligations doit diminuer, et cela de par les statuts.
Je prierai donc M. le ministre des affaires étrangères ou M. le ministre des finances de bien vouloir réduire par arrêté royal le nombre de 80,000 obligations; sans cela, il pourrait y avoir double emploi, et, en tout cas, violation des statuts.
MfJµ. - Il n'y a que 26,000 obligations, conformément au nombre de kilomètres exploités.
M. Brasseurµ. - Qui sont exploités aujourd'hui. Mais quand on a lancé les 80,000 obligations dans le public, on a dit que tout avait été souscrit. Il faut donc qu'une partie de ces obligations rentrent et soient annulées, puisque vous avez diminué le nombre de kilomètres à construire.
Je rentre dans le débat.
En troisième lieu, vient l'article 5. Cet article exige des compléments d'installation et, de ce chef, les Bassins houillers doivent dépenser 3,000,000 de francs. Toutefois ces 3,000,000 sont remboursés par l'Etat on une rente de 4 1/2 pendant 70 ans. Ici vous n'avez plus affaire à un prélèvement ; vous n'avez plus affaire à un tribut à payer par le chemin de fer ; vous avez affaire aune véritable rente de l'Etat.
Vous voyez donc que cette troisième annuité a un caractère tout autre que les deux premières : c'est une rente de l'Etat; c'est du 4 1/2 p. c. à payer par l'Etat aux Bassins houillers, bien entendu quand les compléments d'installation auront eu lieu. De plus, d'après l'article 5, le payement de cette rente de l'Etat ne commencera qu'en 1872.
Vient enfin l'article 10, qui prévoit le rachat du matériel roulant. Ce matériel est payable soit par annuités en 70 ans, soit au comptant.
Ceci n'est plus un prélèvement ni une rente aléatoire, mais le prix d'une marchandise livrée : c'est donc une créance sur l'Etat certaine et incontestable, sauf à en déterminer le quantum par expertise ou sur facture.
Toutefois, ce matériel a été fourni en partie par les anciennes compagnies et en partie par les Bassins houillers eux-mêmes. Quant à la partie qui a été fournie par les anciennes compagnies, peu importe qu'elle ait été livrée en nature ou en obligations, elle constitue, au moins moralement, le gage des obligataires : elle doit faire partie intégrante de leur avoir.
Quant à la partie du matériel roulant apportée par les Bassins houillers, il est juste que cette partie reste la propriété des Bassins houillers, et que le capital ou l'annuité qui y correspond leur appartienne.
Voilà, messieurs, les quatre points visés par l'article 59. Cet article contient les quatre espèces de rentes, et il n'y en a que quatre dans la convention.
Je les résume en disant que l'annuité de 4,500,000 francs relative au réseau en exploitation, est une réalité, mais une réalité subordonnée à une clause résolutoire ; que l'annuité relative aux lignes à construire est encore une réalité, une véritable garantie d'intérêts fournie par le premier réseau, mais une garantie d'intérêts d'un caractère aléatoire, puisque les lignes sont encore à construire ; que l'annuité stipulée à l'article 5 est une rente de l'Etat non encore échue, et enfin que l'annuité stipulée à l'article 10 est une véritable rente de l'Etat, Toutes ces annuités s'élèvent au chiffre d'environ dix millions : elles ont toutes, comme vous voyez, une nature différente et une origine différente. J'arrive à l'article 59-
Cet article amalgame tout ; il ne fait aucune distinction. En effet, il est ainsi conçu :
« Les transferts qui auraient pour objet les annuités à payer par l'Etat et les titres en nom ou au porteur, qui, en représentation des valeurs transférées, seraient émis pour toucher ces annuités, seront exempts des droits de timbre et d'enregistrement. Ceux de ces actes qui seraient présentés à l'enregistrement seront enregistrés au droit fixe de 2 fr. 20 c. »
Une observation préalable à faire, messieurs, c'est que cet article est l'article le plus important de toute la convention, et la rédaction en a été faite avec tant de précipitation qu'on ne s'était pas même mis d'accord sur le sens du mot « annuités », et qu'il y a eu, entre le gouvernement et M. Philippart, toute une correspondance après coup, après le 25 avril, pour se mettre d'accord sur le sens de ce mot. Passons.
Le mot « annuités » comprend les quatre points que j'ai indiqués tout à l'heure.
Messieurs, un point qui doit être hors de toute contestation, un point qui ne peut être assujetti au moindre doute, quelque opinion que l'on ait sur la question de l'anonymat, dont je parlerai tantôt, c'est que la convention, telle qu'elle est là, accorde aux Bassins houillers le droit de transférer les annuités.
- Une voix à gauche. - Allons donc !
M. Brasseurµ. - Ne dites pas allons donc ! Discutons et ne récriminons pas.
- Une voix à gauche. - C'est une plaisanterie !
M. Brasseurµ. - Plût à Dieu que vous ne l'eussiez pas faite cette plaisanterie ! Le droit de transférer n'est pas contestable et voici pourquoi. D'abord le droit de transférer une créance est de droit commun ; il résulte du Code civil. Pour que le transfert ne pût avoir lieu, le contrat devait stipuler que cette annuité de 4,200,000 francs dont je parlais tantôt était incessible.
M. Bouvierµ. - Alors ce n'est plus le droit commun.
M. Brasseurµ. - Il fallait sortir précisément du droit commun qui permet la cession des créances ; les Bassins houillers pouvaient faire un mauvais usage de cette annuité.
M. Baraµ. - Nous sommes d'accord sur ce point,
M. Brasseurµ. - Je vais vous prouver que vous ne l'étiez pas lorsque vous avez fait la convention.
M. Bouvierµ. - Vous l'êtes maintenant.
M. Brasseurµ. - L'honorable M. Bouvier dit d'excellentes choses ; mais je lui serais reconnaissant de les dire tantôt. Dans une matière aussi importante, où il est si facile de perdre le fil des idées, il me serait désagréable d'être interrompu.
J'ai écouté avec un religieux silence les orateurs qui m'ont précédé. Je demande qu'on me laisse parler à mon tour sans m'interrompre à chaque instant.
Il fallait sortir du droit commun ; il fallait rendre cette somme incessible.
En outre, pour l'annuité relative aux chemins de fer à construire, il fallait dire qu'elle est cessible, parce qu'on ne construit pas de chemins de fer avec des rentes, mais avec des capitaux. Il fallait permette aux Bassins houillers de capitaliser cette rente, afin de se procurer le capital nécessaire aux nouvelles constructions.
En troisième lieu, il fallait dire : l'annuité relative à l'article 5, pour les installations des voies est cessible, parce que ce sont les Bassins houillers qui donnent les 3 millions, et qu'on fait des installations de voies avec du capital, et non avec des annuités.
En quatrième lieu, il fallait dire, quant au matériel roulant : La partie qui appartient aux obligataires est incessible et la partie qui appartient aux Bassins houillers est cessible.
Voilà la distinction qu'il fallait faire dans la convention et que vous n'avez pas faite.
Du reste, messieurs, voulez-vous la preuve qu'il n'y a pas l'ombre d'un doute sur le droit de transférer les annuités ? Et cela malgré la déclaration posthume de M. Frère-Orban ? L'honorable M. Frère déclare itérativement que non seulement il n'a pas entendu donner l'anonymat, ce qui est contestable, j'en conviens, mais, qu'il n'a pas même entendu parler du droit de transférer les annuités. Eh bien, il y a ici une déclaration très catégorique de la part d'un homme (page 415) dont l'honorable M. Frère ne contestera pas la sincérité, puisqu'il a invoqué lui-même son témoignage ; c'est la déclaration de M. Hennequin, l'avocat, non pas des Bassins houillers, mais du gouvernement.
M. Hennequin a assisté à toutes les discussions ; et mieux que tout autre, il connaît le sens qu'il faut attacher à chaque disposition de la convention du 25 avril. - Et savez-vous comment s'exprime M. Hennequin ? M. Hennequin déclare que M. Philippart « n'a cessé de déclarer dans tout le cours des négociations que le droit de déléguer à un établissement financier les annuités qui seraient dues par l'Etat, était la condition sine qua non de la cession des chemins de fer, le seul moyen de la rendre possible.
« L’Etat n'a donc point ignoré que le transfert était la condition du contrat, et il l'a facilité en l'exemptant du timbre et de l'enregistrement !
« Je répète, messieurs : l'Etat n'a donc pas ignoré que le transfert était la condition du contrat ! »
Et un peu plus loin, M. Hennequin ajoute :
« L'achat de l'exploitation du chemin de fer a été consommé conformément aux règles de droit commun, et, d'après les mêmes règles, M. Philippart peut, à son gré, sans autorisation de qui que ce soit, céder à n'importe qui les annuités qui lui sont dues. »
Par conséquent le droit de cession des annuités n'a jamais été contesté. Ce qui sera contesté, c'est la question de l'anonymat, mais le droit de transférer les annuités, il existe, et en vertu du droit commun et en vertu des déclarations formelles de M. Hennequin, qui a assisté à toutes les délibérations.
Voila la cause de tout le mal. Le gouvernement a permis la cession des créances ; l'anonymat n'est qu'une question accessoire, car ce n'est qu'une forme plus facile pour faire circuler des titres. Mais la cession est le point principal. En effet quelle devait être la conséquence du principe adopté par la convention ? C'est que deux titres pouvaient être créés pour la même créance.
Il y a d'abord les anciennes obligations qui ont droit aux 4,200,000 fr. de rente des lignes existantes, et puis vous permettez à M. Philippart de céder la même rente qu'en équité il n'aurait plus dû pouvoir céder. Le contrat en main il pouvait, le lendemain de la promulgation de la loi, créer un titre de créance et céder ce titre.
Voilà un point incontestable ; M. Philippart n'avait pas besoin pour cela de prendre l'anonymat ; la cession peul.se faire sous d'autres formes ; il pouvait employer la forme du code civil, l'une ou l'autre des formes du Code de commerce, sans recourir à l'anonymat. En sorte que le point capital, la création de deux titres pour une même créance, résulte directement de la convention du 25 avril.
Voilà, messieurs, la faute capitale commise par l'ancien cabinet.
Je suppose, messieurs, que le lendemain du vote de la loi, il eût plu aux Bassins houillers de céder leurs créances globalement à une maison anglaise, par exemple, dans le but de battre monnaie ; ils le pouvaient parfaitement en vertu de la loi ; dans quelle position auraient été les obligataires, si les Bassins houillers avaient usé de leur droit strict ? Ils perdaient chemins de fer, matériel et revenus ; ils perdaient tout ; ils n'avaient plus rien. Pardon, ils avaient encore un procès à plaider devant les tribunaux.
Vous le voyez donc, messieurs, par voie de conséquence, les tiers ont été complètement sacrifiés dans cette convention du 25 avril. Les obligataires ont eu tous ces désagréments depuis que la convention existe ; auparavant ils n'en avaient pas ; leur position légale était parfaitement maintenue ; il n'y a eu de difficulté que depuis cette malheureuse convention. Du reste, voulez-vous une preuve que l'ancien cabinet ne s'est pas le moins du monde soucié des obligataires ? Les membres qui le composaient s'en soucient aujourd'hui, depuis que l'émotion publique a été si vivement surexcitée, depuis que la réaction a été si violente.
Finalement, on a dû songer à un moyen quelconque d'endosser à l'honorable M. Jacobs les fautes personnelles à l'ancien cabinet.
- Voix à droite. - Très bien !
M. Brasseurµ. - Et voulez-vous la preuve, messieurs, qu'on n'a pas songé aux obligataires ? Cette preuve, je la trouve d'abord dans le discours de l'honorable M. Jamar. L'honorable M. Liénart s'est déjà occupé de ce point. Je n'ai donc qu'à le toucher légèrement.
Lorsque vous vous êtes occupés de cette convention du 25 avril, convention qui vise un capital de 250 millions de francs pour les Bassins houillers, et qui vise en même temps 200 millions de francs, capital nominal des obligations grevant les douze chemins de fer, en tout 450 millions, c'est-à-dire l'affaire la plus grave au point de vue financier qui se soit présentée depuis l'origine de notre existence nationale ; lorsque, dis-je, vous vous êtes occupés de cette convention, il y avait là des droits de tiers à sauvegarder ; au moins y avait-il à discuter la question de savoir quelle était la situation légale. - Eh bien, ni dans l'exposé des motifs, ni dans le rapport, ni dans la discussion du mois de mai, je ne trouve rien, absolument rien, si ce n'est le langage de l'honorable M. Dumortier qui a rendu le gouvernement attentif à la situation légale des obligataires ; et qu'a répondu l'honorable M. Jamar? Trois lignes ; les voici :
« L'honorable membre est venu parler ensuite des charges qui résultent, pour la société d'exploitation, des obligations qu'elle a contractées envers d'autres compagnies.
« Je crois que le gouvernement n'avait pas à s'immiscer dans cette question. La convention ne porte aucune atteinte aux droits des tiers, que ceux-ci ont à sauvegarder comme ils l'entendent. »
Voilà comment l'honorable M. Jamar a entendu défendre les droits des obligataires ! Ils ont à sauvegarder leurs droits comme ils l'entendent ! Ce qui veut dire qu'ils n'ont qu'à se promener.
Oh ! je sais fort bien (et l'idée ne me viendrait pas de le soutenir) qu'il ne fallait pas donner aux obligataires une rente de l'Etat. Mais il y avait autre chose à faire, et notamment il y avait à défendre la cessibilité d'une partie des annuités ; voilà ce que vous n'avez pas fait ; là est votre faute.
Messieurs, voulez-vous encore une preuve qu'on n'a pas songé aux obligataires ? Prenez l'article 44 de la convention. Je lis dans cet article ce qui suit :
« Pour prix de la cession consentie et des ouvrages que la société s'engage à exécuter, il lui sera accordé une part dans les produits de l'exploitation, conformément aux dispositions ci-après :
« Sur le montant des recettes brutes de l'ensemble des lignes, il sera prélevé, etc.. »
Vous le voyez, messieurs, l'article 44 considère les deux réseaux fusionnés en un seul et constituant un réseau global.
J'ai déjà signalé ce point à votre attention. Si le second réseau ne donne pas les 7,000 francs-, on les prélève sur le premier réseau. Eh bien, messieurs, voilà un article qui démontre encore à la dernière évidence qu'on n'a pas songé aux obligataires; ils ont été sacrifiés complètement; et voici comment :
Si l'on avait séparé les réseaux, - ce qu'on aurait dû faire, - si l'on avait dit : « Les 600 kilomètres que les obligataires apportent et sur lesquels ils ont 4,200,000 francs de rentes à percevoir, auront une existence à part, et ils ne seront pas confondus avec les lignes à construire, » les intérêts des obligataires eussent été sauvegardés.
En effet, les 600 kilomètres ont aujourd'hui une recette de 18,000 francs, mais dans un avenir peu éloigné ces 18,000 francs se traduiront en 20, 22, 23 ou 24 mille francs et, dans ce cas, les obligataires auraient d'abord eu à palper les 7,000 francs, et, de plus, la moitié de l'excédant de 18,000 francs, soit 10,000 francs sur une recette de 24,000 francs.
Quant au second réseau, d'ici à longtemps, il ne rapportera pas 12,000 francs, il y aura donc un déficit de 6,000 francs pour atteindre les 18,000 francs.
Or, le premier réseau rapportant 24,000 francs, c'est-à-dire 6,000 fr. de plus que les 18,000 francs; le second réseau ne rapportant que 12,000 francs, soit 6,000 francs de moins que les 18,000 francs, il n'y aura pour les deux réseaux réunis qu'une recette de 18,000 francs, soit un prélèvement de 7,000 francs pour l'ancien réseau. Vous le voyez, votre fusion a amené une dépression de recettes au détriment des anciennes lignes.
Voilà comment on a songé aux obligataires !
Il fallait, non seulement stipuler l'incessibilité des créances, mais il fallait ajouter à cette stipulation que les deux réseaux seraient séparés.
Il fallait garantir les intérêts des obligataires, non pas en paroles, mais par des faits ; car il leur fallait, non pas des flots d'éloquence, mais une nourriture plus saine et plus substantielle, et cette nourriture devait consister dans des garanties réelles et sérieuses insérées au contrat.
Voilà un point qui me semble aujourd'hui bien établi ; c'est le point capital ; le reste est accessoire à mes yeux.
Vous avez permis la cession des créances d'une manière générale et absolue : je ne cesserai de le répéter, c'est là la cause de tout le mal.
Mais, nous dit M. Frère-Orban, nous eussions garanti les droits des obligataires le jour où les Bassins houillers seraient venus nous demander l'anonymat ! Nous leur eussions imposé des conditions telles, que les droits des tiers eussent été garantis !
Eh bien, je répondrai bien carrément à l'honorable M. Frère-Orban qu'à ce moment-là il ne pouvait plus rien garantir ; c'était trop tard.
(page 416) Tout d'abord l'occasion aurait pu lui manquer ; le transfert étant permis, les Bassins houillers pouvaient fort bien ne pas faire l'honneur à M. Frère-Orban de lui demander l'anonymat ; ils n'avaient, pour cela, qu'à s'entendre avec une maison française, anglaise ou autre et à lui vendre ces annuités ; l'affaire était faite ; on n'avait pas besoin d'anonymat pour cela, et le mal était consommé en vertu de votre article 59, qui ne défend pas la cession
M. Baraµ. - Qu'ils le fassent; il y a encore de la justice dans le pays.
M. Brasseur. - Oh ! s'ils le faisaient, je serais le premier à réclamer, et sous ce rapport, nous sommes parfaitement d'accord. Mais le juge même pourrait être désarmé en présence de la situation que vous avez créée ; non, ils ne pourraient pas le faire, en équité, mais vous leur avez donné le droit de le faire et c'est là votre faute. (Interruption.)
Ils peuvent le faire en droit ; en fait, honnêtement parlant, je n'admets pas qu'ils doivent le faire.
M. Baraµ. - Ils ne le peuvent pas en droit.
M. Brasseurµ. - C'est ce que nous verrons, du reste. Consultez toutes les maisons financières, commerciales et industrielles de la Belgique, et vous verrez que tout le monde dira que le mal réside dans la convention du 25 avril.
M. Baraµ. - Si les Bassins houillers avaient pu céder leurs annuités, ils l'auraient fait.
M. Boucquéauµ. - Les valeurs n'ont pas baissé après la convention du 25 avril.
M. Brasseurµ. — Pardon, les valeurs ont haussé pendant trois ou quatre jours, parce que le public croyait que les obligations étaient garanties par une rente de l'Etat, mais quand on a su qu'il n'y avait pas de garantie, la réaction est arrivée.
Je continue. Admettons que M. Philippart se soit adressé au gouvernement pour demander l'anonymat, et j'avoue, que c'était son intention Le gouvernement était évidemment en droit d'imposer certaines conditions aux Bassins houillers. Cela est incontestable; mais ce qu'il ne pouvait plus faire, c'était d'imposer l'incessibilité de la créance, qui seule pouvait garantir les droits des tiers. Voilà pourquoi l'anonymat dont vous parliez n'a plus qu'une valeur accessoire.
La seule condition qui eût dû être stipulée, vous ne pouviez plus l'imposer. L'anonymat a été accordé par l'honorable M. Jacobs, sous le nom de Caisse des annuités. Cette caisse, messieurs, a soulevé bien des récriminations.
Eh bien, cette caisse d'annuités ne pouvait plus réparer un mal qui était devenu irréparable. Et, en tous cas, l'honorable M. Frère-Orban a eu le grand tort, selon moi, de tant reprocher cette création à l'honorable M. Jacobs.
Je vais établir que cette société anonyme résultait directement de l'article 59 de la convention et qu'on ne pouvait faire autrement que d'en permettre l'existence.
Messieurs, lisez l'article. Le public tout entier l'a interprété comme moi. Le monde financier, le monde commercial, tout le monde a cru, lorsque la caisse des annuités a paru, que c'était l'application pure et simple de l'article 59.
Et la création de cette caisse n'a pas soulevé de récriminations. Savez-vous quand les récriminations ont surgi ? Lorsque, après coup, les Bassins houillers ont offert aux obligataires 10 francs au lieu de 15, lorsqu'il s'est agi de diminuer les créances des tiers obligataires. Mais la création de la caisse des annuités en elle-même a passé inaperçue, je le répète, elle n'était que l'application de l'article 59, comme vous allez le voir.
D'abord une première considération qui ne vous aura pas échappé dans le discours de l'honorable M. Frère-Orban, c'est que le représentant des Bassins houillers, M. Philippart, n'a jamais entendu les choses autrement que d'avoir l'anonymat.
Toujours l'anonymat et rien autre chose que l'anonymat. C'était la condition essentielle qu'il imposait au gouvernement et en voulez-vous la preuve ? La preuve, c'est que M. IIennequin, le témoin invoqué par l'honorable M. Frère-Orban lui-même, nous fait connaître que M. Philippart n'a cessé de déclarer, dans tout le cours des négociations, que le droit de déléguer à un grand établissement financier les annuités qui seraient dues par l'Etat, était la condition sine qua non de la cession des chemins de fer, Il ajoute, et je souligne trois fois l'ajoute : « L'Etat n'a donc pas ignoré que, etc. »
De sorte que nous voilà dans la position étrange d'un homme qui se présente à l'Etat pour traiter avec lui pour la somme de 200 et des millions. Il entend faire de l'anonymat la condition absolue de tout le marché. D'un autre côté, le gouvernement, en admettant qu'il ne l’ait pas entendu ainsi, en admettant qu'il ait cru devoir repousser cette prétention, n'ignorait cependant pas les prétentions de M. Philippart, c'est-à-dire; de la partie co-contractante.
Comment se fait-il donc que l'Etat ait contracté dans de pareilles conditions ? Lorsque deux parties contractantes ne sont pas d'accord sur une clause essentielle d'une convention, ne s'expliquent-elles pas au préalable sur le point litigieux ? S'il n'y a pas d'arrière-pensée, est-ce qu'elles ne se mettent pas d'accord avant tout sur le sens et l'esprit de la convention ?
Le gouvernement savait que M. Philippart demandait l'anonymat ; qu'il en faisait la condition sine qua non du contrat ; et vous passez outre ; et vous traitez dans de pareilles conditions ? Mais si j'avais une conclusion à tirer de tout ceci, c'est que nous nous trouverions en présence d'une situation douteuse : M. Philippart croyant avoir droit à l'anonymat ; le gouvernement croyant ne pas l'avoir accordé. Eh bien, quant à moi, j'accorderais l'anonymat, précisément parce qu'il y a des doutes et que le gouvernement ne doit pas profiter de l'erreur ou du doute qui se serait glissé dans une convention.
Tel serait le devoir, non pas seulement du gouvernement, mais encore de la Chambre.
Maintenant l'honorable M. Frère-Orban n'a pas été rapporteur fidèle de tous les faits, tels qu'ils se sont passés. Il est venu avec une photographie, nous dire : Ce sont les Bassins houillers qui ont demandé l'anonymat ; nous l'avons toujours refusé.
Pour moi, messieurs, ce point est tout à fait indifférent ; peu importe que cet anonymat ait été demandé par l'une ou l'autre des parties contractantes, j'admets même que l'initiative vienne de la part des Bassins houillers.
Mais M. Frère-Orban n'est pas tout à fait dans le vrai, quand il dit : « Nous l'avons toujours refusé. » Moi aussi j'ai un dossier. Il y a eu huit ou neuf rédactions et elles n'émanent pas des Bassins houillers seulement. Et savez-vous quelle est une des dernières rédactions ? Elle émane du gouvernement, puisqu'elle a été publiée par ordre du ministre, et qu'elle a été imprimée à l'imprimerie royale. Elle précède de quelques jours la signature de la convention.
« Art. 59. Transfert des annuités et émission de titres.
«. La société est autorisée à transférer, en tout ou en partie, à un établissement financier agréé par le gouvernement les rentes dues par l'Etat en exécution du présent contrat.
« Cet établissement pourra émettre des titres spéciaux de rentes au porteur ou en nom dont la propriété sera transmise, même à l'égard des tiers, par la seule tradition du titre et sans qu'il soit besoin d'aucune signification.
« L'intérêt et l'amortissement de ces titres n'excéderont jamais le montant des sommes attribuées à la Société en exécution du présent traité. Les transferts dont il s'agit ne donneront lieu à aucun enregistrement. »
Je n'entends pas soutenir que cette rédaction engageait encore définitivement le gouvernement.
M. Frère-Orbanµ. - Vous êtes dans une erreur complète. C'est la copie d'une proposition de la compagnie.
M. Brasseurµ. - Est-ce que la rédaction n'a pas été imprimée sur vos ordres ?
M. Frère-Orbanµ. - Evidemment. C'est l'avant-projet sur lequel nous avons délibéré en conseil.
M. Brasseurµ. - Voulez-vous une autre rédaction qui émane de la sphère administrative, ou plutôt du département des travaux publics?
Je ne parle pas ici du ministère des finances, ni du cabinet ; je ne connais pas le conseil des ministres ; je vois une convention signée de M. Jamar et de M. Philippart ; je m'enquiers de l'opinion de M. Jamar et de l'opinion de M. Philippart. Je n'ai pas à m'occuper de ce qui a été fait en conseil des ministres.
Eh bien, messieurs, il y a eu différentes rédactions, vous ai-je dit ; en voici une autre :
« La compagnie des chemins de fer des Bassins houillers est autorisée à transférer à un établissement financier à agréer par le gouvernement, la partie fixe des rentes stipulées ci-dessus, etc.. »
Voilà donc bien l'anonymat non pas reconnu, je le sais, mais l'anonymat qui a été l'objet de discussions dans les sphères administratives.
M. Baraµ. - C'est ce qui a été rejeté.
M. Brasseurµ. - Je.ne sais pas ce qui a été rejeté.
M. Baraµ. - Vous savez ce qui a été admis.
M. Brasseurµ. - Comme il n'y a eu ni discussions, ni commentaires (page 417) lors de l'adoption du projet de loi, nous devons bien rechercher le sens d'un article qui n'est pas clairement rédigé.
M. Frère-Orbanµ. - Voilà déjà deux rédactions rejetées.
M. Brasseurµ. - Vous croyez. En voulez-vous une autre, elle émane de M. Hacchterman :
« Seront exempts du droit de timbre les titres que tout propriétaire de l'annuité à payer par l'Etat émettrait pour toucher cette annuité.
« Jouiront de la même exemption les actions d'une société anonyme, dont la création serait déterminée par l'apport de l'annuité due par l'Etat. »
Enfin, messieurs, si l'on met cette création de titres au porteur en regard du capital énorme visé par la disposition, 220,000,000 de francs, je le demande, peut-on admettre que l'on ait songé à autre chose qu'à une société anonyme ?
Un fait qui reste établi à la dernière évidence, c'est que le cabinet n'ignorait pas la prétention de M. het qu'il a passé outre.
Voilà ce qui me déterminerait en toute hypothèse à accorder l'anonymat aux Bassins houillers ; je ne voudrais pas profiter d'une rédaction douteuse pour faire un tort à un particulier.
Mais, dit-on, l'honorable .M. Jacobs pouvait prendre des garanties en faveur des obligataires !
Il ne le pouvait plus, messieurs, parce que la seule garantie possible était de déclarer la rente de 2,400,000 francs incessible.
M. Jacobs aurait-il pu dire aux Bassins houillers : Je vous accorde l'anonymat, mais vous n'émettrez pas de nouveaux titres, parce que les anciens existent ? Là est toute la question.
Les Bassins houillers n'eussent pas manqué de répondre : Si vous me défendez de créer de nouveaux titres, c'est comme si vous me défendiez de céder ma créance. Or, la cessibilité est prévue par l'article 59.
Voilà, messieurs, l'examen de la convention au point de vue financier, et spécialement au point de vue des obligataires.
L'article 59, comme vous le voyez, a complètement sacrifié les droits des obligataires; il a reconnu implicitement la création d'une société anonyme pour les annuités ; de sorte que la conclusion est que les Bassins houillers pouvaient en droit, mais non en fait comme nous le verrons plus tard, aliéner les annuités.
Il ne restait aux obligataires qu'un recours éventuel contre les Bassins houillers. Ce qui devait être une obligation garantie au delà de toute mesure, ne devenait plus qu'une créance chirographaire à la charge des Bassins houillers, qui, comme l'a dit l'honorable M. Bara, sont riches aujourd'hui, mais peuvent devenir pauvres demain.
Voilà les responsabilités fixées quant au premier point.
Mais, messieurs , au moins l'Etat, en sacrifiant ainsi des centaines de milliers de pères de famille, a-t-il fait un brillant marché ; l'Etat a-t-il fait une bonne opération au point de vue commercial ?
Eh bien, messieurs, c'est là le second ordre d'idées que j'ai à examiner ; après, il me restera à parler de la convention au point de vue des Bassins houillers. Je demande à pouvoir continuer dans la séance de demain.
- Voix nombreuses. - A demain !
(page 411) M. Anspachµ (pour une motion d’ordre). - On a déposé hier le texte du projet de loi relatif au déplacement de la Monnaie.
Je viens demander à la Chambre de vouloir bien fixer un jour pour l'examen en sections de ce projet ; il est indispensable que l'examen de ce projet, dont personne ne méconnaîtra l'importance, ait lieu a courte échéance. Dans la convention provisoire intervenue entre le gouvernement et le principal intéressé, il est dit que les dispositions de ce projet seront nulles et non avenues si elles ne sont pas ratifiées par la législature avant le 1er mars prochain. Je suis convaincu que le projet ne rencontrera d'opposition sérieuse ni à la Chambre ni au Sénat, mais il est important que (page 412) nous ne nous laissions pas surprendre par un délai fatal qui est très rapproché. Telles sont les raisons pour lesquelles je demande à la Chambre de fixer un jour pour l'examen en sections de ce projet de loi.
MpXµ. - Les sections sont convoquées demain pour le projet de crédit de 6 millions ; elles pourraient examiner en même temps le projet relatif au déplacement de la Monnaie. (Adhésion.)
M. Jamarµ. - Mon intention était de demander la parole au commencement de cette séance pour provoquer une explication de la part de l'honorable M. Liénart.
L'honorable membre n'étant pas présent au début de la séance, je n'ai pas cru convenable d'interrompre la discussion engagée et j'ai ajourné à ce moment ma demande d'explications au sujet' d'un passage de son discours d'hier.,
« La presse, a-t-il dit, a retenti d'une explication qui ne serait pas à l'avantage de l'ancien cabinet et qui tendrait à établir, lorsqu'on la rattache à d'autres circonstances et notamment à un grand nombre de contre-lettres datées du jour même où la convention fut signée, que l'on aurait cherché, lors de la présentation de la convention, à organiser autour d'elle la conspiration du silence. »
La Chambre se rappelle, messieurs, que c'est à notre demande que le gouvernement a déposé sur le bureau de la Chambre toutes les pièces propres à jeter quelque lumière sur cet important débat et à montrer le caractère et la portée de la convention du 25 avril.
C'est dans ces pièces que l'honorable député d'Alost a découvert un grand nombre de contre-lettres datées du jour même où la convention fut signée.
L'honorable membre appartient au barreau. Il connaît le sens juridique et grammatical du mot « contre-lettre ». Je le prie d'indiquer a la Chambre quelles sont les pièces qui revêtent ce caractère.
L'accord s'est établi, messieurs, entre les divers négociateurs de la convention du 25 avril sur l'exécution à donner à plusieurs stipulations du contrat. Cette exécution incombait à diverses directions du département des travaux publics et, conséquemment, il y a eu autant de lettres que de questions résolues. C'est, au reste, le mode, suivi dans toutes les administrations pour les questions importantes dont il convient de former des dossiers distincts.
La Chambre comprendra que je tienne à ce que l'on indique quelles sont celles de ces nombreuses pièces qui ont le caractère d'une contre-lettre.
- Des membres. - Il n'est pas présent.
M. Jamarµ. - J'avais cru le voir il y a un instant. Enfin, il pourra répondre demain.
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.